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Vous pensez que le Perche est une région tranquille ? C'est en tout cas ce que croyait la romancière à succès Edith Delafond lorsqu'elle y chercha refuge, loin de la vie parisienne. La mort de Gaston de La Flandrière, puis la mystérieuse disparition jamais élucidée de son fils Jacques intriguent la romancière qui mène l'enquête... Aidée d'Emma Latour, sa jeune documentaliste, Edith comprend vite que ses recherches dérangent alors que les faits datent de plus de vingt ans. Les langues se délient : entre adultère, enfant illégitime, pièces d'or et secrets de famille, la vérité va apparaître au grand jour, mettant en péril la vie des enquêtrices. Les menaces auront-elles raison de leur volonté ?
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Seitenzahl: 246
Veröffentlichungsjahr: 2022
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CE QU’EN PENSENT LES BOOKSTAGRAMMEUSES :
« Un roman à suspense qui se lit très vite tant on a envie de connaître le dénouement. Un voyage dans le temps, les souvenirs et témoignages des protagonistes : une construction très originale avec pour supplément d'âme une touche d'humour ! Je vous le conseille vivement. » @leslecturesdelaeti
« L'histoire est superbement bien écrite, les pages défilent, c'est hyper fluide. J'y ai trouvé tous les aspects que j'aime dans un livre : du suspense, des personnages attachants, une histoire familiale sur plusieurs générations et une alternance passé / présent. Bref, carton plein pour moi ! » @alys_lecture
« La plume est fluide et très addictive. Je trouve les personnages superbement bien travaillés. L’alternance d’époque permet au lecteur de mieux imbriquer chaque élément, afin de constituer l’élément final. Entre amour, secret, adultère… » @lectures_decha
«J'ai beaucoup aimé ce livre qui m'a rappelé le premier livre que j'ai lu de l'autrice, notamment grâce à cette plume qui reste si addictive! Ce livre se dévore en un rien de temps, il défile sous nos yeux à une vitesse folle tant on a le besoin de connaître le fin mot de l'histoire. » @le_coin_demma
Meurtre à Dancé (2015) est le quatrième roman à suspense de Nathalie Michau après Secrets de Famille (2004), Répétition (2006), Apparences Trompeuses (2013).
Meurtre à Dancé introduit Emma Latour qui devient ensuite l’héroïne d’une série dont Une Rue si Tranquille (2021) est le premier tome.
Nathalie Michau a également écrit des nouvelles historiques, aux Editions de Borée, avec Les Grandes Affaires Criminelles des Yvelines (2007) et, en collaboration avec Sylvain Larue, Les Grandes Affaires Criminelles de l’Essonne (2011).
Enfin, elle a publié des albums pour enfants (3-6 ans) avec Petite Lapinette est à l’heure à l’école (2013) et Petite Lapi-nette part en vacances (2014). Ces albums sont illustrés par Isabelle Vallet.
À tous ceux – amis, famille et lecteurs – qui m’accompagnent dans mon aventure littéraire.
À ma mère qui a beaucoup participé à la genèse de ce livre. À ma sœur qui l’a beaucoup relu.
À mes deux amours : ma fille Julie et mon cher et tendre Gérald.
Nota : Ce livre est une œuvre de fiction. Certes, certains lieux existent, mais l’auteure s’est permis de grandes libertés dans les noms et les descriptions. Aucun événement n’est inspiré de faits réels. Toutes les erreurs ou approximations sont de mon fait.
Cette édition est la seconde du livre. J’en ai profité pour corriger des coquilles et procéder à de petites améliorations. L’intrigue n’a pas été changée par rapport à la version d’origine éditée en grand format.
Principaux personnages
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Édith Delafond : romancière
Aline Deville : assistante d’Édith
Michel Lemand : éditeur d’Édith
Emma Latour : documentaliste d’Édith
Jean Verrier : juge d’instruction et ami d’Édith
Jacques de La Flandrière : avocat
Gaston de La Flandrière : père de Jacques
Marie de La Flandrière : mère de Jacques et femme de Gaston
Jeanne de La Flandrière, épouse Dutour : sœur de Jacques
René Dutour : chef d’entreprise et mari de Jeanne
Steven Portman : gentleman-farmer
Adeline Mercier, épouse Portman : femme de Steven
Philippe Portman : fils d’Adeline
François d’Esclard : ami de Philippe
Les Laplace : voisins des Portman
Charles Vignon : cultivateur
Marie-Hélène Vignon : femme de Charles
François Geandon : cultivateur et ami de Charles
2013
Aline Deville était ennuyée. Elle avait réfléchi toute la nuit à ce qu’il convenait de faire. Une question l’obsédait : qu’est-ce que Mme Delafond aurait souhaité ? D’autres interrogations la taraudaient : pourquoi sa patronne et amie ne lui avait-elle pas laissé d’instructions comme elle avait l’habitude de le faire ?
À qui devait-elle confier sa trouvaille : à son avocat ? Son éditeur ? Ou la police ? Elle avait beau regarder l’un des portraits de la célèbre romancière posé sur le secrétaire, cette dernière était bien incapable de lui apporter les réponses qu’elle cherchait. Elle avait, en plus, l’impression qu’Édith la narguait.
Une autre photographie la montrait souriante, avec ses immenses yeux bleu clair qui pétillaient et ses longs cheveux gris retenus en chignon. Grande et mince, elle se tenait très droite même si le cliché avait été pris alors qu’elle avait 85 ans passés. Elle n’avait jamais paru son âge.
À six heures du matin, après une insomnie épuisante, la vieille fille de 70 ans, fidèle et dévouée employée de feue Mme Delafond, se décida enfin à agir. Trois heures plus tard, elle téléphona à Emma Latour et lui expliqua la situation. Emma comprit pourquoi l’assistante d’Édith était si perturbée.
— Je vois très bien de quoi vous parlez, Aline.
Emma devait être la seule personne à part ses parents – paix à leurs âmes – à l’appeler par son prénom. La jeunesse d’Emma lorsqu’elle était arrivée au Moulin lui avait permis cette familiarité exceptionnelle qu’elle avait conservée des années plus tard.
— J’ai tapé et corrigé ce manuscrit.
L’assistante d’Édith Delafond ne put masquer sa surprise. Emma la rassura.
— Je vous rassure, Édith n’a pas agi de la sorte par manque de confiance envers vous.
Elle m’a demandé de l’aider, parce que, comme vous avez pu vous en apercevoir, j’ai été présente au moment des événements relatés dans ces pages et Édith a souhaité que je lui fasse profiter de ma mémoire des événements.
Oui, en effet, Aline se rappelait bien l’installation de sa patronne à Dancé début 1992. Elle ne l’avait rejointe qu’un an plus tard, car son logement sur place n’avait été prêt qu’à la fin de l’année suivante et elle avait dû rester à Paris pour traiter les nombreuses affaires en cours d’Édith.
Elle savait que des choses graves s’étaient passées pendant ce laps de temps. Personne ne l’avait mise dans la confidence et elle n’avait pas posé de questions. Maintenant, il lui semblait important d’obtenir des réponses :
— Est-ce que ce qui est raconté dans ce manuscrit est véritablement arrivé ?
— Édith souhaite laisser au lecteur une libre appréciation du contenu de cet écrit.
Aline sourit en secouant la tête et n’insista pas davantage. À son grand désarroi, elle en conclut que les faits devaient être véridiques, mais que la romancière souhaitait ne pas créer un scandale, ce qui se comprenait. Elle respecterait son vœu.
— Désirait-elle que cette histoire soit publiée ?
— Oui, mais après sa mort, si je donnais mon accord.
— Et, vous êtes d’accord ?
— Oui. Je n’y vois aucune objection tant que mon nom n’apparaît pas. On ne doit pas savoir que j’ai participé d’une manière ou d’une autre à l’écriture de ce livre.
— Je comprends. Le manuscrit a été écrit de façon à ce que nous pensions qu’Édith l’a écrit seule. La question de votre rôle dans sa création ne se posera donc pas. Votre souhait sera respecté. Sachez qu’Édith a laissé des consignes vous concernant…
Quelques heures plus tard, Aline Deville observait, méfiante, le petit homme chauve un peu bedonnant, d’une cinquantaine d’années, à l’allure un peu négligée, avachi dans un fauteuil en cuir élimé, qui grignotait du bout des doigts un biscuit sec. Elle n’aimait vraiment pas cet individu, mais elle n’avait pas le choix. Le seul éditeur qui possédait l’autorisation de publier les écrits d’Édith Delafond – posthumes ou pas – se tenait en face d’elle. Elle respira profondément et se lança :
— Voyez, Monsieur Lemand, ce que j’ai trouvé en rangeant les papiers de Madame Delafond.
L’assistante de Mme Delafond lui tendit une épaisse liasse de feuillets reliés. À la suite de son appel, il était venu lui rendre visite de toute urgence à Dancé. Il attendait patiemment, en buvant une tasse de thé, qu’elle se décide à lui expliquer pourquoi il avait dû effectuer deux heures de route, le matin même. Beaucoup d’autres choses bien plus excitantes figuraient dans son agenda ce jour-là, comme ce déjeuner qui s’annonçait des plus agréables avec une délicieuse jeune femme d’une vingtaine d’années qui souhaitait qu’il publie l’un de ses romans. Il consulta brièvement le tas de feuillets qu’elle venait de lui donner.
— Est-ce un manuscrit ?
— Oui, cela y ressemble bien, en effet.
Elle choisit de ne pas tout lui révéler :
— Mais je n’arrive pas à savoir si nous nous situons dans l’autobiographie ou la fiction. Et, vu ce que j’ai lu, il va être important de le déterminer rapidement.
— Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle Deville.
L’éditeur regarda l’exécutrice testamentaire d’Édith qui se tenait debout devant lui. Son interlocutrice le jaugeait d’un air qu’il jugea bizarre. D’ailleurs, il ne comprenait pas pourquoi Édith l’avait désignée pour prendre soin de sa succession. Certes, elle se retrouvait sans famille proche, car ses parents étaient décédés depuis une vingtaine d’années et elle était fille unique sans descendance. La seule personne en laquelle elle avait suffisamment confiance pour lui donner la responsabilité de gérer son immense fortune et les droits de ses nombreux livres était Mlle Deville. Il ne savait pas s’il fallait s’en attrister ou pas. Comment avait-elle pu s’entendre avec cette femme revêche, armée de lunettes, d’une robe d’une autre époque et d’un chignon sévère ? Il éprouvait la sensation d’être jugé par sa mère et n’aimait pas ça. Néanmoins, des enjeux financiers importants imposaient de ne pas contrarier Aline Deville. Il prit donc un ton très professionnel :
— Je vais lire tout ça attentivement et je vous dirai ensuite comment nous procéderons.
Michel Lemand ne doutait pas un instant que Mlle Deville, qui travaillait depuis quarante ans pour la défunte Mme Dela-fond, possédait une imagination très fertile. Pour sa part, il pensait très improbable, que son auteure préférée ait écrit quoi que ce soit qui ressemble à des mémoires. Il le lui avait suggéré à plusieurs reprises, il y a une quinzaine d’années. Elle avait toujours refusé. Hors de question qu’elle raconte sa vie dans le détail et s’il ne s’agissait que de confier ce qu’elle jugeait nécessaire de divulguer à ses lecteurs, cela n’en valait vraiment pas la peine. Il était donc tout à sa joie d’avoir découvert un roman à suspense posthume. Il se mit à rêver. De son vivant, les livres d’Édith Delafond partaient d’habitude comme des petits pains, alors un ouvrage publié après sa mort allait se vendre par centaines de milliers d’exemplaires partout dans le monde, sans compter l’édition de poche qui suivrait ensuite. Il ne regrettait finalement pas d’avoir revu à la hâte son planning de la journée. Le directeur des Éditions La-fontaine venait d’assurer l’avenir de la société pour un bon moment. Désormais, tous les déjeuners avec de charmantes jeunes femmes devenaient possibles. Il écoutait d’une oreille distraite Aline Deville lui faire part de ses états d’âme.
— Je trouve bizarre qu’elle ait écrit tout cela sans rien me dire. À la fin de son existence, elle préférait me dicter ses romans. L’écran de l’ordinateur lui fatiguait la vue et son arthrose aux doigts la faisait souffrir. Elle n’a pas procédé de la manière habituelle. Je suis très surprise.
Elle choisit de ne pas évoquer le rôle d’Emma Latour dans l’écriture de ce manuscrit, car elle ne savait pas si elle pouvait se fier à son interlocuteur. Emma souhaitait rester dans l’ombre et elle le comprenait.
— Ne vous inquiétez pas. Les auteurs sont souvent de grands originaux. La vie d’Édith, des plus mouvementées, ne lui a pas donné l’habitude d’être rangée. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle ait pris certaines libertés.
Aline Deville choisit de ne pas le contredire jugeant que cela ne servirait à rien. Pourtant, elle connaissait suffisamment la romancière pour pouvoir affirmer que cette dernière aspirait à la tranquillité et à écrire de manière très routinière.
Elle rétorqua poliment :
— Oui, en effet.
L’éditeur de la romancière hésita un instant :
— Rassurez-moi, Mlle Deville, votre patronne n’indique nulle part qu’elle ne souhaite pas que ces papiers soient édités ?
— Non, il n’existe à ma connaissance aucune note de ce type. De toute façon, que cette histoire ait réellement existé ou pas, il faut qu’elle soit publiée. Après, je vous laisse opter pour le genre littéraire sous lequel vous la présenterez.
Michel Lemand la regarda d’un air interrogatif. Elle lui apporta la réponse qu’il cherchait avant qu’il ne pose sa question.
— À vous de choisir l’autobiographie ou le roman avec toutes les conséquences associées !
Il faudra changer tous les noms par précaution, si vous optez pour la première solution ! Une dernière chose, les droits d’auteur de ce livre iront à Emma Latour.
— Ce nom me dit quelque chose…
— Il s’agit de la jeune documentaliste qui a travaillé avec Édith pendant plusieurs années lorsqu’elle est arrivée au Moulin.
L’éditeur haussa les épaules. Une lubie de plus ou de moins de la part d’Édith ne l’étonnait pas. Si elle le souhaitait ainsi, Emma Latour allait gagner le jackpot !
2012
J’ai maintenant 88 ans et il ne me reste plus longtemps à vivre. Je ne bouge plus beaucoup désormais. Je passe mes journées sous mon porche quand la météo le permet. Je lis beaucoup et des amis me rendent régulièrement visite. En revanche, j’ai de plus en plus de mal à écrire. Je dois dicter mes textes à mon assistante et tout prend plus de temps. Je m’affaiblis chaque jour et, avant de ne plus être en état d’écrire seule, j’éprouve le besoin de partager ce qui s’est produit lorsque je suis venue m’installer au Moulin. Ma conscience me pèse depuis des années et je me sentirai soulagée quand cette histoire sera couchée sur le papier.
Ce témoignage ne sera néanmoins rendu public que de manière posthume, car je n’ai pas envie que ces lignes soient lues par quiconque tant que je vivrai. Cette façon de procéder présente un inconvénient. Je ne peux savoir, avec certitude, qui va parcourir mon manuscrit et ce qui arrivera lorsque tout sera dévoilé. Je me résous à faire confiance au bon sens de la personne qui découvrira ma prose et j’espère bien que Mlle Deville, ma fidèle assistante, aura ce rôle.
En 1992, âgée de 68 ans, je décide de me retirer à la campagne pour y passer mes vieux jours. J’ai envie de tranquillité et de sérénité. Je choisis le Perche, qui me semble une région peu touristique, accessible de Paris en un temps raisonnable. Je crois qu’on ne viendra pas trop m’y solliciter. Pour la plupart des Parisiens, s’éloigner de plus d’une demi-heure de route de la capitale paraît souvent une aventure périlleuse difficilement envisageable. Cela me semble un bon compromis, je pourrai aller à Paris quand j’en aurai envie et éviter de recevoir trop de visites.
Dans les faits, vingt et un ans plus tard, je reconnais que je me suis trompée. Ma notoriété m’a poursuivie jusqu’ici, au milieu des moulins, manoirs, champs et vaches, et les personnes prêtes à effectuer une heure et demie de route ont été plus nombreuses qu’escomptées.
Écrivaine qualifiée de célèbre, j’ai publié quarante-cinq romans à suspense et suis traduite dans le monde entier. Il y a même des films adaptés à partir de mes livres. J’ai eu la chance de ne jamais me soucier d’argent, car j’ai commencé jeune à très bien vendre mes ouvrages, et je n’ai jamais connu de panne d’inspiration. Cela m’a permis de mener une vie passionnante, pleine de voyages et de nombreux coups de tête. Grâce à cette existence, j’ai rencontré pas mal d’hommes, mais je n’ai pu rester longtemps avec eux tant j’avais besoin de mon indépendance, de pouvoir vivre en fonction de mon rythme et de mes envies de création. Je n’ai pas d’enfant, certains de mes amants avaient la fibre paternelle, mais je n’en ai jamais voulu, pensant qu’ils entraveraient ma liberté. Mon attitude peu conventionnelle a été beaucoup critiquée, mais je ne regrette pas ces choix, même si maintenant je me retrouve à presque 90 ans, seule, sans famille et finalement avec peu d’amis. Je suis néanmoins entourée. Je possède par rapport à d’autres personnes âgées un atout de taille : je suis riche, très riche, avec, en fait, peu de besoins. Du moment que je peux lire, installée dans une demeure confortable avec du personnel qui s’occupe de moi, je me sens bien. À ma disposition, une infirmière, une assistante, une gouvernante qui tient la maison et prépare mes repas, une femme de ménage et un jardinier. Mon éditeur, mon comptable et mon avocat veillent également à mes intérêts. Tout ce petit monde me permet de ne pas me soucier de quoi que ce soit. M’entourent également quelques amis fidèles comme Emma Latour dont je reparlerai plus tard.
Quand je vous raconte que je suis partie prendre ma retraite dans le Perche, je n’ai pas, pour autant, arrêté d’écrire. Écrire est une drogue, une nécessité impérieuse et j’écrirai jusqu’à mon dernier souffle. J’ai donc produit un certain nombre de suspenses, une fois installée au Moulin, mais je ne me suis pas pressée pour les concevoir. J’ai créé sans culpabilité, dans le plaisir. J’ai cessé d’enchaîner les signatures, conférences, lectures et interviews. Au moment de la sortie de mes livres, j’effectue quelques rares apparitions à la librairie Plaisir de Lire de Nogent-le-Rotrou présentant l’énorme avantage d’être située à moins de dix kilomètres de chez moi. Vu le succès de mes romans, ces quelques dédicaces engendrent, chaque fois, un remue-ménage incroyable, car mes admirateurs savent qu’il s’agit là de l’une des uniques occasions de me rencontrer. Si j’ai toujours eu envie de créer, en revanche, les campagnes éreintantes de promotions, que je m’infligeais tant que je vivais dans la région parisienne, me fatiguaient. Je ne les ai jamais aimées. Je profite désormais du fait que, maintenant, mon nom, seul, sur la couverture d’un livre fait vendre et que la publicité, si elle fait plaisir à mes lecteurs, ne paraît plus indispensable. Ces derniers peuvent me retrouver sur le site Internet que mon éditeur a conçu pour moi, télécharger mes rares interviews organisées à mon domicile.
Mais je m’égare. Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, c’est donc épuisée par la vie parisienne et mes voyages que je décide de m’installer à la campagne. J’ai envie de vieilles pierres. Par l’intermédiaire d’un ami qui adore restaurer les anciennes demeures, j’identifie un moulin avec des dépendances, délabré, dans la commune de Dancé. L’endroit est magnifique. La maison est entourée de verdure et mes voisines proches sont les vaches de la pâture d’en face. Une rivière, La Chêvre, et un ru, La Rivière Morte, bordent un bout de terre, que poétiquement je baptise L’Île. Il est rattaché à la propriété par un petit pont. Des peupliers longent une prairie et un puits orne le fond du jardin. Je trouve tout cela très champêtre et j’achète le tout avec un certain nombre de terrains alentour. Je prends ensuite un entrepreneur de ma connaissance et en un an, aidé par une armée d’artisans locaux, il remet les lieux en état. Le sol est asséché, le jardin aménagé, un préau créé ainsi qu’une terrasse, un potager et une piscine. Pendant les travaux, je consacre mes loisirs à me promener dans les brocantes afin de découvrir des meubles anciens et des bibelots d’époque.
J’emménage aux beaux jours. Tout est paisible avec quelques vaches qui paissent dans l’herbe verte. Je passe un été merveilleux avec un temps propice aux barbecues. Mes connaissances parisiennes viennent profiter de la piscine. De très chers amis, les Latour, me rejoignent pour passer quelques jours, fin septembre. Le couple ne vit pas très loin de Versailles, à Saint-Nom-la-Bretèche. Le mari a réussi dans les affaires, sa femme ne travaille pas et s’investit dans le bénévolat. Ils sont venus accompagnés d’Emma, leur troisième fille, âgée de 23 ans. La jeune femme vient de finir ses études d’archéologie et ne trouve pas d’emploi dans sa branche : la conservation préventive du patrimoine. En 1992, il y a beaucoup de chômage et trouver un travail reste très compliqué. Emma est soutenue financièrement par ses parents et vit dans leur grande maison. Elle n’est donc pas aux abois, mais souhaite trouver un petit travail en attendant qu’un poste se libère. Lors de cette visite, elle m’avoue qu’elle serait prête à tout pour s’occuper. Je lui propose alors de me donner un coup de main pour faire des investigations pour mon prochain roman. Je cherche une documentaliste et même si elle n’a pas le profil idéal, elle a fait des recherches dans le cadre de ses études universitaires et elle semble intelligente, elle devrait s’en sortir. Même si je ne l’ai pas vue depuis des années, je sens que nous pouvons nous entendre. Lorsqu’elle me répond qu’elle accepte de s’installer au Moulin, je suis très satisfaite.
Elle emménage dans un premier temps dans une grande chambre indépendante située dans une des ailes de la maison. Elle déménagera à la fin de l’année dans une dépendance où elle sera complètement autonome, même si dans les faits, elle me rejoindra souvent à l’heure des repas.
Cela fait à peine une dizaine de jours qu’Emma est là quand tout bascule soudainement. Dès début octobre, les températures chutent, les nuages gris s’amoncellent et une pluie fine et persistante n’arrête pas de tomber.
Le moral en berne, je me demande si j’ai bien fait de m’exiler aussi loin de Paris. J’envisage un déménagement dans la vallée de Chevreuse, champêtre également, mais beaucoup plus près de Paris. Tout me semble triste : la campagne verdoyante devient lugubre avec les arbres qui perdent leurs feuilles à chaque bourrasque. Impossible de se promener, les chemins boueux glissent, les vaches sont trempées, les villages si typiques avec maisons jaunes aux toits pentus manquent d’animation. Je m’enfonce dans la déprime saisonnière. Évidemment, je ne reçois guère de visites avec cette météo peu engageante, ce qui n’améliore pas mon état d’esprit.
Heureusement qu’Emma est là pour me tenir compagnie. Je n’imagine pas alors un instant ce qui va se passer…
1965
Agacé, Jacques de La Flandrière haussa les épaules. Avec le temps, il aurait dû être blasé, mais rien à faire, son père l’exaspérait. Gaston de La Flandrière adhérait à des principes d’une autre époque qui empêchaient toute sa famille de mener la vie confortable à laquelle elle aspirait. Il lui semblait indispensable de conserver le manoir de l’Angervillière. Magnifique de loin, avec ses tours de tailles différentes et ses nombreux bâtiments, mais indéniablement en mauvais état dès qu’on s’en approchait. Pire encore, si on entrait, l’endroit perdait toute sa superbe. Tout avait besoin d’être refait : les peintures, l’électricité, la plomberie, la toiture… Ils ne possédaient pas l’eau chaude et vidangeaient toujours les cuvettes de leurs toilettes avec des brocs…
Certes, à la campagne, le luxe urbain n’était pas une nécessité. Cependant, vivre ainsi alors qu’on aurait pu vendre la propriété à bon prix et acheter une belle maison, facile à entretenir, afin de profiter un peu du confort, apparaissait tout bonnement inacceptable aux yeux de Gaston. Ce manoir, situé à quelques kilomètres de Condeau, appartenait à sa famille depuis sept générations, autant dire depuis la nuit des temps. L’attachement de son père à cette bâtisse semblait viscéral et irrationnel. Depuis le berceau, il avait été conditionné à tout mettre en œuvre pour la conserver envers et contre tous.
Jacques songea à sa mère, Marie. Elle ne donnait jamais son avis, mais n’en pensait pas moins. Elle avait rencontré Gaston en 1920 après la Grande Guerre. Les prétendants valides se faisaient plutôt rares dans les campagnes à cette époque-là. Elle-même veuve de guerre, depuis que son premier époux était tombé dans les tranchées en 1918, elle s’était retrouvée à 23 ans, sans mari et sans enfant, avec toutes les chances de finir seule. Quand Gaston, pourtant pas beau, d’un profil même ingrat, pas drôle et de douze ans plus vieux qu’elle, s’était mis à la courtiser, elle avait déjà 25 ans, et elle n’hésita pas. Ils ne parlèrent pas d’amour, mais plutôt d’un accord. Il voulait une femme qui accepte de vivre dans un manoir décrépit, elle voulait un homme qui lui donne un enfant et un statut de femme mariée sans lequel, à cette époque-là, on n’existait pas. Pour Gaston, ce ne fut pas déplaisant de prendre Marie pour épouse. Très belle, pulpeuse, avec de longs cheveux châtains, elle possédait un joli visage doux et des yeux gris, une couleur peu commune.
Marie avait tenté à plusieurs reprises de faire changer d’avis Gaston au sujet de la demeure familiale, trop coûteuse à entretenir, qui pompait toutes leurs économies. Mais le Vieux aurait trouvé déshonorant de lâcher son boulet. Marie rongeait son frein. Désespérée, elle regardait son mari, qui les privait de tout, s’échiner à retaper par petits bouts leur maison avec de l’argent dont elle ne comprenait pas bien l’origine. Il payait toujours en liquide les artisans qui venaient effectuer des travaux avec des billets qu’il n’avait pas obtenus de manière légale, elle en était sûre.
Fils unique pendant dix ans, Jacques était très complice avec elle. Sa fille, Jeanne, était arrivée un peu par surprise alors qu’elle fêtait ses 40 ans. Ils partageaient tous les trois la frustration de vivre dans des conditions très précaires avec un avare. Uniquement disponibles pour la restauration du manoir et les besoins personnels de Gaston, les liasses ne sortaient, en effet, jamais pour eux.
La fille, le fils et leur mère ne pensaient qu’à ces coupures. Comment pouvaient-ils en soustraire une partie pour eux ? Le Vieux comptait tous ses sous. Il recalculait les rendus de monnaie pour le pain. Une seule chose les obsédait : mettre un peu d’argent de côté pour ne plus dépendre de lui.
Âgé de 40 ans, avocat-pénaliste, Jacques ne possédait pas beaucoup d’argent. Il aurait pu travailler davantage pour gagner son autonomie. Mais fainéant, il se contentait du minimum et s’inscrivait dans des formations la moitié de son temps. Il dépensait le peu mis de côté avec des amis avec qui il sortait parfois. Il vivait toujours chez ses parents, n’ayant pas trouvé l’âme sœur, et n’envisageant pas la vie de célibataire sans le sou dans un appartement minable de Nogent-leRotrou. Jeanne n’avait pas le même rapport à l’argent que lui. Elle lui reprochait de ne pas s’investir davantage dans son travail. Il lui rétorquait qu’elle était mal placée pour dire cela en tant que femme au foyer, sans enfant et mariée à un homme généreux. Pour sa part, il estimait que son père possédait des économies qui lui reviendraient de plein droit. Il ne voyait pas pourquoi il se fatiguerait alors que le Vieux allait bientôt mourir et qu’il cachait un magot. Ce dernier le lui avait affirmé à plusieurs reprises en lui promettant de n’en parler à personne. L’avocat avait bien essayé de le chercher, sans succès, lorsqu’il était seul dans la maison, tout en se demandant ce qu’il en ferait s’il le trouvait. Son père devait connaître le montant précis de sa cagnotte. S’il se rendait compte que quelqu’un se servait, il était capable de martyriser toute sa famille pour découvrir qui avait osé s’attaquer à son magot, puis de tuer le coupable dans d’atroces souffrances. Il avait donc cessé ses investigations, attendant de pouvoir partir à la chasse au trésor ouvertement dès que le Vieux serait mort.
Sa mère, de son côté, ne voulait pas quitter son mari, qu’elle n’aimait pourtant plus depuis bien longtemps. Ce dernier avait rompu le charme quand il s’était mis à lever la main sur elle les soirs de beuveries où, excédé par ses reproches, il la forçait au silence. Elle ne restait avec lui que pour pouvoir toucher l’héritage. Tout comme son fils, elle savait que le Vieux possédait un magot, mais qu’il le cachait, en avare. Marie et ses enfants avaient déjà prévu que dès que Gaston passerait l’arme à gauche, ils se débarrasseraient du manoir au plus vite. On pouvait raisonnablement penser que les jours de Gaston étaient comptés. Il fumait comme un pompier, buvait à outrance, mangeait de la nourriture grasse en grande quantité et atteignait maintenant 82 ans. Mais, au grand désespoir de ses proches, il semblait défier toutes les lois statistiques, paraissait en pleine forme, et parti pour devenir centenaire.
Marie, d’origine modeste, provenait d’une famille de guérisseurs et de sorcières. Dans sa jeunesse, elle avait été initiée à quelques secrets. Elle avait bien essayé de les mettre en pratique et de jeter plusieurs fois des sorts à son mari afin qu’il tombe gravement malade et meure dans d’atroces souffrances, mais il semblait immunisé contre tous les maléfices.