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Cette nouvelle enquête du père Brun nous mène dans les secrets du Vatican. Un objet précieux a disparu. Ce vol inédit risque de jeter le monde catholique dans une crise grave. Le voleur distille des énigmes curieuses pour aiguiser la sagacité de notre célèbre détective. Le moine franciscain parviendra-t-il à déjouer les pièges de ce mystérieux voleur ?
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Seitenzahl: 358
Veröffentlichungsjahr: 2025
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A Madame de Fontaines,
qui détient les clés du succès de nombreuses signatures.
Avec tous mes remerciements.
La clef de toutes les sciences est sans contredit le point d’interrogation.
Honoré de Balzac
A tous ceux qui font profession « d’esprit de sérieux », l’auteur adresse une prévention charitable : « Fuyez ces lignes en toute hâte, fermez ce livre ; gardez-vous simplement d’y revenir, vous n’y trouverez aucun moyen de vous rendre plus sérieux ! »
Cet ouvrage porte le joli nom de roman, terme servant à désigner une langue adoptée pendant les siècles du Moyen-âge, issue de la langue d’oïl, utilisée dans le Nord de la France et dérivée du latin. « Mettre en roman » est apparu vers 1150, pour signifier « traduire en langue vulgaire » par opposition au latin, la langue des textes sacrés et des études savantes.
Dès ses origines, le roman est un texte qui se distingue de «l’esprit de sérieux ». Ce modeste ouvrage n’échappe pas à la règle, parce qu’il s’agit d’une fiction joyeuse, benoîtement inventée par son auteur, et dont les personnages, les propos ou les situations n’ont aucune réalité dans la vie des autres.
Si, par inadvertance, pour le malheur des bienheureuses consciences, des fâcheux ou orgueilleux se croyaient en droit de reconnaître leurs propres actions ou leurs propres paroles, dans les situations qui peuplent ce récit affable, il va sans dire - mais il va mieux en le disant - qu’il ne pourrait s’agir que d’un coup de dés lancé par le destin, la fortune ou le hasard.
Quant à la Providence, l’auteur ne cultive pas la vaine insolence des naïfs de la vouloir associer à ces enfantillages.
Qu’on veuille bien pardonner les coquilles, et qu’on veuille bien accepter de les accueillir comme un modeste hommage à l’Apôtre Jacques.
Chapitre 1: Dans le bureau du cardinal
Chapitre 2: Un dîner chez la Contessa
Chapitre 3: Le bon air de Normandie
Chapitre 4: Le clavigero
Chapitre 5: Saint François et Saint Pierre
Chapitre 6: Promenades dans Rome
Chapitre 7: Un nommé Jeudi
Chapitre 8: Brad Pitt et George Clooney
Chapitre 9: Dans l’Enfer de Dante
Chapitre 10: Entre livres et cuisine
Chapitre 11: Une leçon de mathématiques
Chapitre 12: La messe et le latin
Chapitre 13: Le dimanche des rameaux
Chapitre 14: Les papes de la Renaissance
Chapitre 15: Le loup voyageur
Chapitre 16: Au petit matin
Chapitre 17: Le chapeau de paille
Chapitre 18: La chape de Saint Martin
Chapitre 19: Les trois Alliances
Chapitre 20: Une apparition
Chapitre 21: La langue de Dieu
Chapitre 22: Le peuple des Myrmidons
Chapitre 23: L’apparition du phénomène
Chapitre 24: Sur la place Navone
Chapitre 25: Vendredi saint
Chapitre 26: Dr Jekyll, Mr Hyde et Arsène Lupin
Chapitre 27: Le matin de Pâques
- C’est une catastrophe !
L’homme qui soufflait ces mots se montrait profondément abattu, se tenant la tête entre les mains, assis derrière un grand bureau, dans une pièce immense, avec des murs décorés de fresques admirables, datées de la Renaissance, qui jetaient sur les lieux un esprit de splendeur, augmenté par le triomphe des couleurs et des formes. L’inconnu, qui s’apprêtait à rejoindre la chapelle Pauline, pour y chanter les laudes, apparaissait coiffé d’une barrette cardinalice, d’une calotte pourpre, et arborant, pardessus son superbe rochet plissé, orné de dentelle immaculée, recouvrant le haut de sa soutane rouge, une mozette écarlate sur les épaules. Entre ses bras, balançait sa croix pectorale, tandis qu’il continuait de se tenir la tête, en signe de désolation.
- Un cataclysme !
Il ne faisait aucun doute que ce personnage important était un cardinal de l’Église catholique apostolique et romaine, tout d’abord en raison de ses vêtements, mais encore parce qu’il travaillait dans un bureau situé au cœur du palais du Vatican ou plutôt, selon sa dénomination officielle, du Palais apostolique, appelé aussi Palais Sixte V, ou anciennement Sacré Palais, une résidence des Papes, depuis leur retour d’exil à Avignon, de façon définitive, en l’an de grâce 1420.
- Un désastre !
L’homme en question laissa soudain tomber ses mains pour lever les yeux vers un autre homme debout devant lui. Un autre homme plus jeune et habillé d’une soutane noire, dont les manières trahissaient, non pas un vice de maladresse, mais une certaine gaucherie causée par l’inexpérience des débuts. Selon les rigueurs d’un œil averti, on pouvait rapidement déduire que ce jeune abbé venait d’entrer au service du cardinal, en qualité de muninante, c’est-à-dire comme employé de la Curie, chargé de rédiger les minutes, pour les projets de notes officielles ou les comptes rendus, ou alors en qualité d’ajudante di studio, qui sont généralement les postes dévolus en début de carrière, et que plusieurs papes ont occupé dans leur jeunesse.
Par la fenêtre de son bureau, on apercevait là-bas, dans l’ombre de la Basilique Saint Pierre, coincé tout à l’extrémité du Palais du Belvédère, un vaisseau de briques sombres, sous la forme d’une grande boîte à chaussure, avec des lignes de trous sous le couvercle, comme si des Lilliputiens avait permis à un animal gigantesque d’y respirer en captivité. Cette forte bâtisse rectangulaire, à la structure masquée sous les parements de brique, pouvait ressembler à un grenier antique prévu pour entreposer le blé des récoltes. Mais un chemin de ronde, ajouré d’une série régulière, séquencée par des baies carrées, décelait un type de fortification plus récent. Ce bâtiment haut, assez austère, sans grâce, sans fantaisie, ne séduisait pas l’œil au premier regard. Qui pouvait comprendre, imaginer, deviner, en les observants seulement, tout ce que pouvaient renfermer ces murs puissants ? Personne, c’était une évidence, ne pouvait savoir tout ce que protégeait cette enceinte, tout ce que gardaient ces remparts, ce que conservaient ces parois, au cœur de la plus mystérieuse Cité du monde : le Vatican. Non, vraiment personne ne pouvait soupçonner que ce gros édifice abritait le plus fabuleux trésor de tous les temps, la plus grande aventure artistique de tous les siècles, la plus géniale des toutes les œuvres humaines.
- Et dire que je suis chargé d’annoncer la nouvelle au Saint-Père. Quel malheur !
Le cardinal hochait la tête, de manière désordonnée, comme un jouet qui remue de façon désarticulée, parce qu’un de ses ressorts s’est brisé.
Pour le Vatican, l’art est un témoin crédible de la beauté de la Création, il est aussi un instrument d’évangélisation. Au sein de l’Eglise, et à travers le monde entier, il sert à diffuser le message des Évangiles. Par l’architecture, par la sculpture, par la peinture, par la musique, l’art explique, décrypte, interprète la Révélation. Dans le Figaro du 16 août 1904, Marcel Proust écrivait :« c’est en France que l’architecture gothique a créé ses premiers et ses plus parfaits chefs d’œuvre », parce qu’on avait su graver le catéchisme dans la pierre, pour ceux qui ne savaient pas lire, et qui apprenaient en observant les sculptures. En revanche, il ne fait aucun doute que dans les lieux saints du Vatican, mieux qu’ailleurs, la Renaissance a exprimé ses plus grandes réussites. Tout au long de son Histoire, l’Église a recouru à l’art pour montrer la création de Dieu et la dignité de l’homme créé à son image et à sa ressemblance. Par l’art, elle a toujours célébré le pouvoir de la mort du Christ, ainsi que la beauté de sa Résurrection, qui conduit à la renaissance, dans un monde frappé par le péché. La beauté nous unit. Jean-Paul II aimait bien citer Dostoïevski : « La beauté sauvera le monde ». Suivre le Christ n’est pas juste renoncer au péché, c’est d’abord adhérer à la beauté du Salut.
Les Musées du Vatican constituent un ensemble muséal unique au monde, situé dans les murs du Vatican, regroupant douze musées, c’est-àdire cinq galeries, et mille quatre cents salles, abritant l’une des plus importantes collections d’art dans le monde. Chaque année des millions de personnes admirent les chefs d’œuvre, dans les sept kilomètres de salles et couloirs des musées, en partie hébergés dans le palais du Vatican. C’est le troisième musée le plus fréquenté au monde. Tant de beautés accumulées en si peu d’espace donnent un sentiment de vertige, si bien décrit par Stendhal, quand il ressent ce moment sublime de proximité du Paradis, en admirant une des plus belles églises de la cité florentine : « J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber ». Au fil des siècles, des œuvres splendides ont été rassemblées par les papes, depuis la volonté du grand Jules II, en 1506, d’offrir à tous la joie d’admirer des statues antiques, comme l’Apollon du Belvédère et le Laocoon, avec le projet d’agrandissement du Vatican, confié à Bramante, pour entreposer des chefs-d’œuvre de sculpture et de peintures couvrant plusieurs millénaires, dans ce qui constituera la future institution des Musées, incluant les chapelles Sixtine, Pauline, Nicoline, les différentes galeries : lapidaire, les tapisseries, les candélabres, les cartes géographiques, le Braccio Nuovo, les chambres et loggia de Raphaël, les appartements Borgia, et tant d’autres salles que cet humble ouvrage peinerait à décrire, sans oublier les Jardins, situés dans un cadre unique, entre la coupole de Saint-Pierre, le bois qui couvre la colline vaticane ainsi que la façade de la Pinacothèque.
Né dans une grande famille de la noblesse pontificale, étudiant curieux, brillant, discipliné, sportif (natation, escrime, cheval, aviron, tennis), musicien (violon, piano), attiré par l’archéologie, l’anthropologie, la philologie, il fit sa théologie à l’université pontificale grégorienne, sa philosophe à l’université de La Sapienza, avant de rejoindre l’université pontificale du Latran, pour y obtenir trois doctorats, l’un de théologie, et les deux autres in utroque jure, c’est à dire dans les deux droits, civils et canoniques. Il avait rapidement progressé au sein de la Curie, d’abord en qualité de juriste dans la diplomatie vaticane, puis de Nonce apostolique en Bavière, en Suisse, à Vienne. Ensuite, Contani avait été rappelé à Rome pour son excellente connaissance des affaires vaticanes. Visage sévère, émacié, glabre, ce prélat romain possédait dans ses manières quelque chose de l’élégante austérité du Cardinal Pacelli, dans son esprit, de la grande érudition du Cardinal de Cues et dans son maintien admirable, un certain air de noblesse du Cardinal de Richelieu, si bien exprimée dans le fameux portrait en pied de Philippe de Champaigne. Soldat de l’Invisible, il veillait avec un soin vétilleux aux trésors de la cité vaticane, entreposés là depuis des siècles, sous l’autorité directe du Secrétaire d’État du Vatican, en lien avec Gendarmerie du Vatican, la direction des Musées, la Garde Suisse, le Secrétariat du pape, le Collège des cardinaux, le Camerlingue de la Sainte église romaine, la Préfecture de la Maison pontificale, et bien d’autres institutions que, par charité pour la patience du lecteur, votre narrateur se gardera bien d’énumérer.
Lorsque les visiteurs découvrent toute la splendeur des collections vaticanes, au moment de pénétrer dans ces vastes espaces hors du temps, particulièrement la Bibliothèque et les Archives Apostoliques, quand ils contemplent l’immensité et la qualité du patrimoine préservé ici, en général ils sont stupéfaits. « La catholicité n’est pas une abstraction, car elle est une étreinte de tout ce qui est humain » explique le Cardinal portugais José Tolentino de Mendonça, archiviste et bibliothécaire de la Sainte Église romaine. Le Vatican veut exercer une activité de charité intellectuelle, puisqu’il a choisi de partager son patrimoine avec des chercheurs du monde entier, depuis l’an 1600, avec Paul V. Quand ils découvrent toutes ces merveilles, les visiteurs restent muets, enveloppés dans un silence qui n’est pas seulement un silence. Ce serait plutôt comme ce tremblement qui saisissait Blaise Pascal devant la pensée de l’infini.
- Que va dire le Saint-Père ? Et le Sacré Collège ?
Le jeune abbé se tenait debout sans broncher. Il était mince lui aussi, mais proche de cette maigreur qui inquiète sur un jeune visage.
La Curie est un héritage direct de la Rome antique. Le mot d’origine proto-indo-européenne ko-wiriya signifie tout simplement « réunion d’hommes ». Dans la Rome ancienne, le mot désigne aussi le lieu des réunions, comme le bâtiment où se réunissait le Sénat romain. Par extension, le terme signalera les subdivisions civiques, dès l’époque de la monarchie et dans les cités de droit latin. Aujourd’hui, la Curie romaine peut indiquer tout l’ensemble des institutions administratives du Saint-Siège, ainsi que l’organe central du gouvernement de l’Église catholique. A un esprit ordinaire, à peu près comme celui du narrateur, il n’est guère permis de comprendre l’énigmatique organisation de la Curie, pas moins complexe que le mystère des rémanents de supernova, après l’effondrement des systèmes d’étoiles sous l’effet de la gravitation. Placée sous la primauté pontificale de l’évêque de Rome, cette belle institution est au service du pape, successeur de Pierre, et des évêques, successeurs des apôtres. A ce titre, elle est assistée du Collège des évêques, du Synode des évêques, du Collège des Cardinaux, mais aussi des Légats et Nonces apostoliques. Par ailleurs, elle se trouve composée d’un nombre important de dicastères : la secrétairerie d’État, les neuf congrégations romaines, mais aussi les trois tribunaux du Saint-Siège, et les douze conseils pontificaux, ainsi que des différents services administratifs chargés des affaires économiques. A ce catalogue non exhaustif, il faut adjoindre l’État de la Cité du Vatican, qui possède une structure particulière, mais aussi la liste interminable des institutions rattachées au Saint-Siège, tels que, par exemple, les Archives apostoliques du Vatican, ou la Bibliothèque apostolique vaticane, l’Osservatore romano, la Fabrique de Saint-Pierre, chargée de l’entretien de la basilique éponyme, et la liste encore plus énigmatique des nombreuses Académies de droit pontifical.
Flaubert avait poussé ce puissant cri jailli du cœur : « J’aimerais mieux avoir peint la Chapelle Sixtine, que gagné bien des batailles, même celle de Marengo ». Si le pape Francesco della Rovere n’avait pas choisi de se faire appeler Sixte, que sa volonté lui avait commandé d’adopter un autre nom papal, tel Anaclet, Evariste, Télesphore, Eleuthère, Antère, Eutychien ou Zosime, nous ne connaîtrions pas la joie quasi-séraphique de prononcer ce mot béni : Sixtine ! Peut-on imaginer un autre nom pour ce chef-d’œuvre des chefs d’œuvre ? Non, bien sûr, car la Providence, qui veille à tout, jusqu’au bonheur de nos oreilles, n’a pas permis au nouveau pontife de se tromper, lors de son élection au trône de Saint Pierre, en lui inspirant ce beau nom de Sixte, le quatrième, ce 9 août 1471, jour où l’Eglise actuelle célèbre la grande Édith Stein (qui n’était pas née à l’époque), sous le vocable de Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, théologienne, philosophe, vierge, martyre, mais surtout carmélite et patronne de l’Europe.
Nouveau temple de Salomon, merveille des merveilles, la gloire de la Création, le joyau de l’Incarnation, la symphonie des couleurs, le chef d’œuvre absolu de la chrétienté, sanctuaire de la théologie du corps (selon le pape Jean-Paul II), les mots sont impuissants à décrire la splendeur des lieux. Bâtie sur un plan de basilique (ces édifices antiques semi-sacrés, pour les audiences publiques, pour la cour royale, la cour de justice ou les bourses de commerce), elle mesure 40 mètres de long sur 13 mètres de large, c’est-à-dire qu’elle reproduit les dimensions du Temple de Salomon, comme indiqué dans l’Ancien Testament. Qui n’a jamais visité la chapelle papale ne peut se faire une idée de l’atmosphère qui baigne ses murs. Constituée d’une unique salle rectangulaire, couverte de fresques sublimes des murs au plafond, sa voûte en berceau s’élève à 21 mètres de haut, sachant que si l’on divise cette mesure par la largeur, soit 21 par 13 on trouve le nombre d’or : 1,61. Est-il nécessaire de préciser que la Chapelle Sixtine possède nombre de secrets de construction, mathématiques, religieux, et symboliques ?
- On pourrait peut-être demander un à détective de nous assister ? Ce serait une aide précieuse.
- Un détective ? Mais vous plaisantez ? Et pourquoi pas une équipe de télévision tant que vous y êtes ?
- Je pensais à un détective en qui nous aurions toute confiance. Quelqu’un de chez nous.
- Confiance ? Quel joli mot ! Vous êtes à Rome, mon ami. Le jour où vous trouverez un baril de confiance, achetez-moi tout un rayon !
- Pour tout vous dire, éminence, je pensais à un frère franciscain qui a fait ses preuves dans des enquêtes policières, et qui est à Rome en ce moment.
Don Alvaro rencontrait les ravissements du cloître, tant souhaités, à chaque lecture du Château de l’âme. Tout en lui voulait combattre contre la souillure du péché, dès le premier agenouillement, pour conquérir la grâce, dans l’oubli absolu de sa chair. Extase de l’approche de Dieu que connaissent parfois quelques jeunes prêtres. Heure bienheureuse où tout se tait, où les désirs ne sont qu’un immense besoin de pureté. Il ne plaçait sa consolation chez aucune créature. Parce que Dieu est tout. Rien ne pouvait ébranler sa Foi. Ni son humilité, ni son obéissance, ni sa chasteté, qui demeuraient ses seuls trésors. Il se rappelait qu’à 7 ans il pleurait d’amour dans les églises. Il redoutait d’aimer. Il avait peur de rester attendri. Marchant dans sa Foi, comme dans une cuirasse, Dieu ne l’avait jamais abandonné. Très tôt, il eut l’idée d’être prêtre, pour se dévouer corps et âme à ce besoin d’affection surhumaine qui était son tourment. Il ne savait pas comment aimer davantage. Il voulait contenter tout son être, les prédispositions de son sang, ses rêves d’adolescent. Si jamais les épreuves devaient venir, il attendait avec la sérénité d’une âme pure et ignorante. Il voulait tuer l’homme en lui, heureux de se savoir à part, créature châtrée, marquée de la tonsure ainsi qu’une brebis du Seigneur, à l’abri des souffles mauvais.
Le cardinal leva, sur le petit prêtre haletant, un sourcil inquisiteur qui eut fait trembler Torquemada lui-même.
- De qui parlez-vous ?
- Il se fait appeler le père Brun.
- Quoi ? Le père Brun ? Cavalio ? Cavalio est à Rome ? Et personne ne me dit rien ?
Jamais, peut-être, avant cette réflexion blessante, le petit prêtre n’avait examiné le bout de ses chaussures avec une telle force d’humilité.
- Convoquez-le au plus vite !
Sur le point de sortir du grand bureau, le jeune ecclésiastique dont la petite soutane volait au moindre mouvement, fut stoppé dans son élan, comme les fils du Laocoon, attaqués par les serpents :
- Un instant, Don Alvaro, dites-moi d’abord ce qu’il est venu faire à Rome en ce moment ?
- J’ai entendu dire qu’il assistait au chapitre général des Franciscains, éminence.
- Ah très bien. Très bien. Très bien. Allez, allez ! Filez vite me le chercher !
A plusieurs kilomètres de là, dans un joli coin du Nord-ouest de la France, au cœur du Pays d’Auge, entre Deauville et Lisieux, une jeune policière discutait avec un libraire.
- Si le père Brun était là, il nous dirait qu’il ne faut pas confondre la vérité avec l’opinion de la majorité.
- C’est juste. Encore un père de l’Église ?
- Non, pas vraiment un saint, encore qu’il n’appartient qu’à Dieu de sonder les cœurs et les reins, mais tout de même un artiste chrétien, assez tourmenté.
- Alors, qui donc allez-vous encore me christianiser ? A vous écouter, tout le monde est catholique, s’amusait la jeune femme qui s’appelait Amanda Lemercier.
- Non, pas tout le monde, mais certainement un peu plus que ce qu’on pourrait croire.
Le libraire, que la plupart des lecteurs auront reconnu, était un homme au physique imposant, plutôt trapu que géant, mais de belle taille néanmoins, une sorte d’ours médiéval aux allures joviales, large des épaules, râblé et mafflu comme frère Jean des Entommeures. Il existe dans l’espèce humaine, nous dit Horace, des individus nés pour consommer les fruits de la Terre. Gargarin en composait la preuve irréfutable.
- En novembre 1959, après la chapelle de Milly-la-Forêt il réalise une fresque dans la chapelle de la Vierge à Notre-Dame de Jérusalem, à Londres, autour de trois thèmes.
- Laissez-moi deviner.
- A vous l’honneur !
- L’Annonciation. Depuis que j’ai appris que c’était un thème central dans l’apparition de la perspective, je suis plus attentive au sujet.
- Bravo pour le premier !
- La Nativité et Les Noces de Cana ?
- Non, la Crucifixion et l’Assomption. On ne gagne pas à tous les coups, avait alors commenté Gargarin d’un sourire cocasse, plutôt content de reprendre l’ascendant.
- Bon. Vous avez encore gagné !
- Chaque matin, lors de son arrivée, Cocteau allumait un cierge et se mettait au travail. Alors, l’académicien s’adressait à la Vierge en ces termes : « Vous, la plus belle des femmes, la plus merveilleuse des créatures de Dieu, vous avez été la plus aimée. Aussi, je veux que vous soyez ma plus belle œuvre d’art. Je vous dessine avec des éclairs de lumière. Vous êtes le travail inachevé de la Grâce... ».
Amanda s’était tue un moment, devant la beauté de ces paroles pleines d’amour. Puis, elle reprit, le nez en l’air, comme une enfant qui vient acheter des bonbons.
- En attendant, il a bien de la chance.
- Qui ça ? Cocteau ?
- Non, le père Brun, sous le soleil de Rome, alors qu’on grelotte ici, avec ce printemps qui ne veut pas venir.
- J’espère qu’ils ne vont pas le garder !
- Ne parlez pas de malheur, j’en ai besoin ici pour mes enquêtes. Pourquoi voulez-vous qu’ils le gardent ?
- Je ne sais pas moi ! Imaginez qu’il soit élu Ministre Général de l’Ordre franciscain !
- Ah non, je ferai appel. Donville a besoin de son curé.
- Ou alors, il peut être nommé au Vatican ?
- Mais pour y faire quoi ?
- Oh, il y a toujours quelque chose à faire. Secrétaire du pape, président d’une Académie pontificale, Prédicateur officiel du Vatican, ou alors Grand pénitencier.
- Et pourquoi pas cuisinier du pape ?
- Ah, il se débrouillerait très bien !
- Je le vois d’ici, avec son beau tablier.
- Ah oui, celui qu’on avait offert !
- Je suis certain qu’il aurait beaucoup d’allure dans les cuisines pontificales.
- Et pourquoi pas devenir garde du corps officiel de Sa Sainteté ?
- Il en serait tout à fait capable. Je crois qu’il a conservé quelques réflexes utiles de son passage chez les commandos.
- Sinon, je le verrais bien entrer chez les Gardes Suisses, avec leur bel habit de toutes les couleurs.
- Impossible ! A ma connaissance, il n’est pas suisse.
- Ah bon, ils ne recrutent que des Suisses ?
- Oui, comme autrefois les Suisses des Tuileries. Après le traité de Paix perpétuelle, contresigné par François Ier et la Confédération des Cantons Suisses, Charles IX voulut instituer une garde suisse, pour la protection du souverain. Louis XIII les organisa en régiment. Jusqu’au bout, ils sont restés fidèles au roi de France, préférant, dans la journée sanglante du 10 août 1792, se faire massacrer par la populace haineuse, plutôt que d’abandonner le roi.
- Quelle abnégation ! Et les gardes du Vatican sont aussi courageux ?
- Ils font le serment de donner leur vie pour le pape.
- Mazette !
Amanda, soudain pensive, se disait qu’elle n’était pas capable d’aller au sacrifice suprême, malgré les dangers de son métier, tout d’abord parce que Lisa, sa petite fille, avait besoin d’elle, et qu’ensuite elle n’avait pas fait le serment d’engager sa vie pour un chef d’Etat. Tournant vers Gargarin ses beaux yeux lumineux, elle lui envoya d’un ton vif :
- Attendez, j’y suis !
- Mais où ça ?
- J’ai trouvé !
- Quoi ?
- J’ai la bonne réponse !
- Mais de quoi parlez-vous ?
- A notre question !
- Je ne comprends rien.
- Que pourrait faire le père Brun au Vatican ?
- Eh bien ?
- J’ai la solution.
- Dites-moi !
- Il serait détective-en-chef du Vatican !
- Ah oui, c’est une bonne idée. Mais la fonction n’existe pas. En tout cas, je ne crois pas !
- Rien n’empêche de la créer.
- Oui, c’est vrai. Mais je crois qu’il n’y a plus de crimes dans la petite Cité du Vatican, depuis le temps des Borgia, ou alors tellement rares qu’ils ne nécessitent pas de créer une telle fonction. Et puis, il existe une gendarmerie, un corps de 150 hommes. Ils ont forcément des enquêteurs.
- Sans compter les Inquisiteurs, fit Amanda en souriant d’un air malicieux, parce qu’elle savait que les poncifs sur le sujet agaçaient profondément Gargarin.
Peut-être le Saint-Esprit avait-il soufflé la plupart de ces idées saugrenues, parce que nos deux amis étaient loin de se douter que le franciscain serait effectivement retenu à Rome, à la demande du Vatican, pour y exercer ses talents de détective, dans une affaire vraiment unique et exceptionnelle, qu’aucun autre détective avant lui n’avait eu à résoudre, et - souhaitons-le de tout cœur - dans une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur (permettez au narrateur de paraphraser Jean Jacques Rousseau au tout début des Confessions).
Amanda hésitait encore sur un ou deux livres et, devant sa perplexité, Gargarin ne put s’empêcher d’intervenir :
- Rien ne vaut un bon classique !
- Oui, mais comment le choisir.
- Il ne faut pas choisir, mais les lire tous !
- On ne peut pas tout lire, c’est impossible ! La jeune femme avait jeté un œil vif, mais inquisiteur sur le comptoir où trônait un livre épais.
- Et vous, que lisez-vous ?
- Le Tom Jones de Fielding.
- Fielding ? Mais qui lit encore cet auteur ?
- Il faut lire Fielding, qui est bien supérieur à Voltaire au jeu de l’ironie.
- Que voulez-vous dire ?