Les Disparues de la Sange - Benoit Roch - E-Book

Les Disparues de la Sange E-Book

Benoît Roch

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Beschreibung

Cette série de crimes est-elle en lien avec une légende médiévale? Entrainés malgré eux dans une nouvelle enquête, au pays de George Sand, le père Brun et ses amis vont tout faire pour laisser éclater la Vérité. Secrets de famille? Vengeance ? Vous le saurez en lisant cette enquête !

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Seitenzahl: 239

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Je rends hommage à ceux qui parlent au vent, les fous d’amour, les visionnaires, à ceux qui donneraient vie à un rêve. Aux rejetés, aux exclus. Aux hommes de cœur, à ceux qui persistent à croire aux sentiments purs.

Miguel de CERVANTES

A Monsieur François Angelier,

Belluaire en chef des mauvais genres, pèlerin de l’absolu, esprit fantastique, aède des profondeurs qui chante la colère du juste et la fureur de la grâce.

Avis au lecteur

Cet ouvrage porte le joli nom de roman.

N’y cherchez rien d’autre que la fantaisie de l’auteur, puisqu’il s’agit, à l’évidence, d’une fiction joyeuse, benoîtement inventée par lui, et dont les personnages, les propos, ainsi que les situations n’ont aucune réalité dans la vie des autres.

Que si, par inadvertance, quiconque se croit en position de reconnaître, soi-même, ses propres actions ou paroles, dans les situations qui peuplent ce récit affable, il va sans dire - mais il va mieux en le disant - qu’il ne pourrait s’agir que d’un coup de dés lancé par le destin, la fortune ou le hasard.

Quant à la providence, l’auteur ne cultive pas la vaine insolence des naïfs de la vouloir associer à ces enfantillages.

Sommaire

Chapitre 1 : La salle d’Assises

Chapitre 2 : Journal de Basile

Chapitre 3 : La corrida

Chapitre 4 : Journal de Basile

Chapitre 5 : Journal de Basile

Chapitre 6 : A mort la sorcière

Chapitre 7 : Journal de Basile

Chapitre 8 : Journal de Basile

Chapitre 9 : Article de presse

Chapitre 10 : Journal de Basile

Chapitre 11 : Journal de Basile

Chapitre 12 : Le franciscain de Bourges

Chapitre 13 : Journal de Basile

Chapitre 14 : Journal de Basile

Chapitre 15 : Si la Vérité n’existe pas

Chapitre 16 : Journal de Basile

Chapitre 17 : Journal de Basile

Chapitre 18 : Trois constats

Chapitre 19 : Journal de Basile

Chapitre 20 : Journal de Basile

Chapitre 21 : Les pouvoirs du président

Chapitre 22 : Journal de Basile

Chapitre 23 : Journal de Basile

Chapitre 24 : Le bâton de parole

Chapitre 25 : Journal de Basile

Chapitre 26 : Le contraignant

Chapitre 27 : Journal de Basile

Chapitre 28 : Journal de Basile

Chapitre 29 : L’aveu

Chapitre 30 : Journal de Basile

Chapitre 31 : Journal de Basile

Chapitre 32 : Une surprise

Chapitre 33 : Une surprise

Chapitre 34 : Max Jacob

Chapitre 35 : Journal de Basile

Chapitre 36 : Journal de Basile

Chapitre 37 : La bonne dame de Nohant

Chapitre 38 : Journal de Basile

Chapitre 39 : Horreur et miracle

Chapitre 40 : Journal de Basile

Chapitre 41 : Le duc de Berry

Chapitre 42 : Journal de Basile

Chapitre 43 : Les Très Riches Heures

Chapitre 44 : Journal de Basile

Chapitre 45 : Les soeurs de l’Annonciade

Chapitre 46 : Journal de Basile

Chapitre 47 : Journal de Basile

Chapitre 48 : Deux et deux font quatre

Chapitre 49 : Journal de Basile

Chapitre 50 : Monsieur Deuxetdeuxfontquatre

Chapitre 51 : Journal de Basile

Chapitre 52 : Journal de Basile

Chapitre 53 : Pas de pourquoi

Chapitre 54 : Journal de Basile

Chapitre 55 : Le dasein de l’enquêteur

Chapitre 56 : La Tour de Beurre

Chapitre 57 : Journal de Basile

Chapitre 58 : Journal de Basile

Chapitre 59 : Le chanoine La Rose

Chapitre 60 : Journal de Basile

Chapitre 61 : Journal de Basile

Chapitre 62 : Le château de Sully-sur-Loire

Chapitre 63 : Journal de Basile

Chapitre 64 : Journal de Basile

Chapitre 65 : Les Ecorcheurs

Chapitre 66 : Journal de Basile

Chapitre 67 : Journal de Basile

Chapitre 68 : Georges de La Trémoille

Chapitre 69 : Journal de Basile

Chapitre 70 : Journal de Basile

Chapitre 71 : Journal de Basile

Chapitre 72 : Dans l’ombre de la Tour

Chapitre 73 : Journal de Basile

Chapitre 74 : Jacques Coeur

Chapitre 75 : Journal de Basile

Chapitre 76 : La toccata

Chapitre 77 : Journal de Basile

Chapitre 78 : Journal de Basile

Chapitre 79 : Un objet indéfini

Chapitre 80 : Journal de Basile

Chapitre 81 : Le Roman de la Rose

Chapitre 82 : Journal de Basile

Chapitre 83 : Journal de Basile

Chapitre 84 : La procession

Chapitre 85 : Journal de Basile

Chapitre 86 : Journal de Basile

Chapitre 87 : Rictus et mise en garde

Chapitre 88 : Journal de Basile

Chapitre 89 : Journal de Basile

Chapitre 90 : Deux nouvelles victimes

Chapitre 91 : Journal de Basile

Chapitre 92 : Un chinois de paravent

Chapitre 93 : Journal de Basile

Chapitre 94 : Une lettre

Chapitre 95 : Journal de Basile

Chapitre 96 : Journal de Basile

Chapitre 97 : Un palais gothique

Chapitre 98 : Journal de Basile

Chapitre 99 : Journal de Basile

Chapitre 100 : Un conciliabule interne

Chapitre 101 : Journal de Basile

Chapitre 102 : Journal de Basile

Chapitre 103 : Le palais Corvus

Chapitre 104 : Journal de Basile

Chapitre 105 : Journal de Basile

Chapitre 106 : La dame en noir

Chapitre 107 : Courrier du frère Ambroise

Chapitre 108 : Les fleurs squelettes

Chapitre 109 : Courrier du FBI

Chapitre 110 : Le tri des décombres

Chapitre 111 : Journal de Basile

Chapitre 112 : Journal de Basile

Chapitre 113 : Estelle

Chapitre 114 : A notre vieil ami

Chapitre 115 : L’humilité de Dieu

1

La salle d’Assises

C’était un grand oiseau noir qui dansait dans le ciel en souriant. Dessinant de larges tourbillons, il déployait ses ailes par-dessus les toits de la cité. Il faisait beau. Seul dans l’azur, ce grand oiseau noir tournait autour du Palais de Justice. En bas, sous le périastre de ses ellipses, bruissait la Salle d’Assises. Là-haut, depuis le ciel immaculé, il écoutait monter la tragédie des voix humaines. Ses petits yeux vifs clignaient d’un éclat sombre. Son plumage ombreux flambait dans le vent.

- Accusée, levez-vous !

Il faisait chaud. La salle était pleine à fendre sous une houle de figures ébaubies et rougeâtres. Les visages ravagés par la curiosité. Cette chaleur ! On suait, on étouffait, on mourrait de soif, mais pour rien au monde, on n’aurait manqué ce moment.

De mémoire d’homme on n’avait connu un tel procès. Le Berry porte l’empreinte d’une histoire plus de deux fois millénaire. Peut-être Avaricum, l’ancienne capitale des Celtes Bituriges, avait-elle bravé l’effervescence d’une affaire si retentissante ? Mais, à l’ombre de la cathédrale Saint-Etienne, de mémoire d’honnête homme, on n’avait pas souvenir de ce capharnaüm. Toute la presse nationale s’était ruée à Bourges. A quand remontait une affluence aussi folle ? 1849, peut-être ? Lorsque 17 militants politiques furent jugés ici, dans la ville de l’ordre et du calme. Accusés de coup d’État, après avoir tenté de placer un gouvernement provisoire, à la suite d’une grande manifestation le 15 mai 1848. Conflit de deux républiques, celle redistributive, sociale, populaire, face à celle bourgeoise, avide d’ordre et de développement économique. La ville se rétractait en état de siège. Le Journal du Cher se fit l’écho de cette situation : on ne rencontre dans nos rues que militaires de toutes armes, policiers, étrangers. Vidocq est de la partie, convoqué comme témoin, mais sous mandat d’arrêt. Il point, il parle, il part. Ramené à Paris sous bonne escorte, il profite d’un arrêt du train en gare de Vierzon pour s’évader.

Outre les monuments religieux qui font la grande richesse du patrimoine de Bourges, ce qui saisit le visiteur, dès qu’il arrive en ville, c’est la forte représentation de l’architecture civile de la fin du Moyen-âge et de la Renaissance. Il est facile de considérer que le Temps s’est arrêté ici, à l’occasion d’un voyage ; que, se sentant bien, il n’ait pas voulu repartir. A tel point que les imaginations faibles, celles qui manquent de vigueur, au moins autant que d’instruction, pourraient croire que des ombres, aux allures médiévales, se promènent dans les rues de la cité, sur les pas des coquillards de l’ami Villon, qui trucidaient à l’ombre des églises, faisant écrire à Verlaine ces vers inquiétants :

Ô les routes du Moyen-Âge,

pleines de potences et de chapelles !

On raconte encore, dans les campagnes du Berry, la légende de la chasse à baudet, qui émet un bruit semblable, affirmait George Sand, à celui de nombreux ânes qui braient. Phénomène acoustique, non visuel décrit par la romancière. Taureau blanc, veau d’or, dragon, oie, poule noire, truie blanche, elle mentionne plusieurs animaux fantastiques qui garderaient des trésors dans des ruines. Elle évoque aussi la grand’bête qui se promène la nuit et effraie les troupeaux dans les métairies. George Sand avait eu accès à trop de témoignages de gens honnêtes pour ne pas croire qu’il existait quelque chose, mais elle voulait comprendre et trouver une explication rationnelle à ces phénomènes. Elle insiste fortement sur le caractère contagieux de la frayeur, comme chez les chiens qui crient et fuient devant la bête. Sa plume démontre que les phénomènes affectent une localité après l’autre.

George Sand propose une explication pour rassurer les êtres rationnels. Elle trouve refuge dans le goût des paysans pour le secret, au sens d’un savoir semi-magique, dans un domaine spécialisé, comme font les rebouteux ou les meneurs de loups, ces paysans dotés d’un don pour communiquer avec le prédateur, et qui ont été vus par toutes sortes de catégories de personnes en train de mener des loups par dizaine en leur parlant. Elle prend très au sérieux ces histoires, comme les cris, les hurlements, tout autant que les miaulements sauvages de la chasse à baudet. Personne n’ose se moquer de cette chasse fantastique. Chacun sait bien que tout ce tintamarre est produit par le Diable et ses suppôts quand ils conduisent les âmes en enfer.

2

Journal de Basile

Toute ma vie j’ai poursuivi le sommeil. Dès les premières tensions du crépuscule, je redoutais le moment d’aller me jeter au lit, retardant l’heure de me coucher. Si l’attente s’étirait, menaçante, intolérable, je sortais boire un verre dans les bars du centre-ville. On y croisait toujours une tête connue, un visage capable de nous faire oublier l’isolement de nos chambres d’étudiant. Certains buvaient beaucoup, jusqu’à s’abrutir, étudiants par hasard, ennui, défaut. Ils se traînaient comme des limaces, la première année, avant d’échouer aux examens.

Sur le campus de la faculté, on croisait de jolies filles. Grégoire les méprisait avec une belle indifférence. Certaines étrangères, avec des grands yeux, quêtaient chez lui les secours d’une amitié provisoire. Lui revendiquait sa préférence pour les femmes d’un âge plus avancé. Comme beaucoup de fils à papa, il se moquait fièrement des besogneux qui luttaient avec force volonté pour décrocher un diplôme. Son père était notaire, dans une étude au cœur de la Sologne. Grégoire portait des chemises Ralph Lauren, et fumait des blondes américaines. Il filait certains week-ends à La Baule, pour jouer au polo, ou faire glisser sa planche à voile. Plutôt grand, mèche blonde sur les yeux, il restait mince, bien que musclé. Quand une fille nous demandait s’il était célibataire, on répondait en raillant qu’il préférait les garçons.

J’ai toujours détesté les transitions. Eveillé, endormi, je garde l’esprit en mouvement ou au repos, mais il existe un état indéfini, un espace entre vie et mort, où mon esprit divague. Ce tourbillon de l’entre-deux, qui m’agite au coucher, qui m’agresse au réveil, pénible vertige, a pesé sur ma vie pendant des années. A cause de cette nausée quotidienne, je séchais tous les cours du matin. Les jours de pluie, on se barricadait au chaud, à la cafétéria. C’était avant les débuts d’Internet, on n’avait pas encore l’habitude d’aller glander sur la Toile. Jessica nous servait des cafés, lorgnant Grégoire avec ses gros yeux vicieux. A part les cancres ou les paumés, tout le monde restait assis dans le grand amphi, bien sagement courbé sur sa tablette, à copier les saintes paroles de nos professeurs.

J’ai encore du mal à percevoir le moment précis où commence mon sommeil. Bien sûr, je revoyais des images précédant l’instant, comme un souvenir assez flou, une sensation vague, proche du tournis, mais il était impossible de savoir à quelle heure je m’étais assoupi. A-t-on jamais conscience de perdre conscience ? Dorothée, la grande copine d’Yvoire, toujours collée à ses basques, assenait ses théories en étalant son rouge à lèvres. Elle croyait que le cerveau s’immobilise pendant qu’on dort. Comme un robinet fermé. Grégoire détestait son air de chien battu. Il mugissait dès qu’elle débitait ses sottises, en nous faisant rire. Mais Dorothée n’avait aucun esprit, et sa moue dédaigneuse nous mettait en joie.

Les débuts de notre année pour préparer la licence consacraient enfin des vocations. Beaucoup avaient tourné en rond, pendant les deux premières années, incapables d’orienter leurs idées entre les arcanes du Droit. J’avais choisi de suivre Yvoire et tout le petit groupe de ses amis, dans l’examen du Code Civil. Ambroise nous alimentait en résumés, en commentaires, en revues annotées de toute sorte. Lui avait un don pour la synthèse, et nous pour boire des cafés. Jessica nous reprochait de passer trop de temps avec elle, mais le ton de sa voix n’était pas authentique. Ses gros yeux nous traitait comme ses meilleurs clients, avec la fausse autorité d’une maquerelle, alors qu’elle était employée par le campus. Elle ne touchait rien sur le résultat de sa cafétéria. Seulement le plaisir d’aguicher Grégoire, et de lui claquer une bise langoureuse.

A Orléans, la vie s’écoulait sans surprise, toujours monotone. Une simple ville de province, aux allures bourgeoises, repliée sur elle-même, coincée entre la Sologne et la Touraine, encore endormie dans ses certitudes. On sortait au cinéma, dans les bars du centre. Quelques fois, on terminait en boîte, sur les bords de Loire. Grégoire nous embarquait dans la voiture de sa mère, en buvant gaiement sa flasque de whisky au volant, et je conduisais au retour. Le plus étonnant étaient les Tonus, des soirées étudiantes, où l’on réunissait les jeunes ambitieux de la ville, dans des salles bien enfumées. On nous marquait d’un tampon rouge sur la main ou sur le bras, pour noter qu’on avait payé l'accès. L’alcool coulait à flot. Tout était plus facile, surtout les filles. Fiers comme des hussards, les membres des corpos portaient des bérets stupides, buvaient comme des ivrognes et montraient leurs fesses, avant d’aller vomir aux toilettes. Dorothée, elle, se plaignait toujours de l’ambiance. Nous, on s’en foutait. Il y avait de la musique à se péter les tympans.

Ambroise se prétendait aristocrate, autant que sa garde-robe, qui se limitait à des pantalons de toiles ou de flanelle, à un blazer bleu marine, et à des vestes en tweed. Il portait aussi des foulards ridicules, et collectionnait des cravates club, avec des rayures et des blasons. Que faisait-il en Droit ? A l’entendre, il se rêvait chercheur en Histoire du droit nobiliaire, pour devenir une sorte de Sherlock Holmes des particularismes orléanais. Comme de nombreux garçons de son âge, il sortait dans des soirées où les filles portaient des robes de soie. Le dimanche, après la messe à la cathédrale Sainte-Croix, il accompagnait de temps en temps son oncle à la chasse. Quelque fois, il était convié à dîner autour d’une belle pièce de gibier. Ambroise était fier de sa famille, de son alliance aux Plantagenêt, qui avaient régné sur l’Anjou et la Sicile. A croire ses discours dithyrambiques, il était apparenté à Boni de Castellane, et par voie de cause, au Prince de Talleyrand. Mais personne n’en croyait rien. Et chacun cultivait un heureux plaisir à écouter ses histoires, en se moquant royalement de sa parenté.

3

La corrida

Même le Palais de Justice projetait un aspect inquiétant, dans les locaux de l’ancien couvent des Ursulines, datant de la toute fin du XVIIème siècle. Les têtes se haussaient pour apercevoir la tueuse. Ce n’était pourtant pas un conte cruel qui avait conduit la jeune femme sur le banc des accusés. Non, c’était un crime, un crime abominable, un crime qui avait frappé les consciences de cette cité tranquille. Elle était blonde, plutôt pâle, assez belle. Était-elle folle, possédée, monstre ? Pourquoi avait-elle ôté la vie de sa logeuse en lui arrachant le cœur ? La jeune femme se tenait immobile, debout face à une salle remplie de curieux. Le président prit la parole :

- Veuillez décliner, je vous prie, vos nom, prénom et qualité.

La salle d’Assises est une arène de corrida. On y vient pour la mise à mort. Aujourd’hui la peine capitale a disparu de notre arsenal juridique. Mais la condamnation par une Cour d’Assises équivaut à une peine de mort sociale. C’est le goût du sang qui pousse les foules à s’engouffrer sous les lambris des palais de Justice. Qu’importe l’innocence du sujet, la foule veut se repaître. Elle veut boire du sang. Et celui de l’innocent est encore meilleur. Jubilation du mécanisme sacrificielle. René Girard nous avait prévenu : la foule, inaltérable, tend toujours vers la persécution. Les causes naturelles de ce qui peut la troubler ne peuvent pas l’intéresser. Après Œdipe, le tous contre tous s’est transformé en tous contre un. La peste, c’est l’accusé : le Bouc émissaire. Et la Cour d’Assises : le bouquet mystère.

La corrida, c’est le taureau émissaire. Celui qu’on charge de tous les péchés du monde, pour sacrifier à la violence des hommes. Que fait Francis Ford Coppola quand il filme le sacrifice du buffle, à la fin d’Apocalypse Now, par la tribu des Ifuagos ? Il nous montre le terrible engrenage du mécanisme sacrificiel. Chaque fois que la violence surgit en un point quelconque d’une communauté, elle tend à s’étendre et à gagner l’ensemble du corps social. La seule façon d’enrayer cette affreuse contagion, c’est de procéder à l’holocauste d’une victime innocente. La corrida ne sacrifie pas aux dieux du ciel mais aux démons de la foule. La révélation de la bassesse, proclame Pouchkine, ravit toujours la foule. C’est une catharsis d’ordre démocratique. Il est petit, il est comme nous. Jouir de la foule est un art, affirme notre Baudelaire, puisqu’il n’est pas donné à tout le monde de prendre un bain de multitude.

Que reprochait-on à cette jeune femme ? Un crime, un crime abominable, un de ces crimes qui donne des sueurs froides quand on y pense le soir dans son lit. La mise à mort d’une vieille dame sans défense. Une vieille dame qui logeait sa meurtrière. Une vieille dame, tranquille, aimable, gisant dans un bain de sang, le cœur arraché de sa poitrine. Du sang partout. Une plaie béante au niveau du thorax et son cœur disparu. Un coup de téléphone anonyme et la police était venue au petit matin. Elle avait vu cette scène épouvantable. Puis elle avait fouillé la maison, avant de trouver la meurtrière qui dormait paisiblement dans sa chambre, le corps couvert du sang de sa victime. Aucune trace du cœur. Mais ce sang, tout ce sang sur elle, et le couteau sur la table de nuit avait fait conclure à la culpabilité de la jeune femme.

Dieu est le seul juge, nous dit Kierkegaard (le philosophe au nom de bière) parce qu’il ignore la foule et ne connaît que les individus. Il ne sait compter que jusqu’à un. C’est pourquoi le Christ a transformé les foules en assemblées. Eglise, du grec Ekklêsia, veut dire assemblée. Chaque chrétien doit penser à son Salut, par une relation unique avec Dieu. Il ne peut le faire qu’au sein de l’assemblée. Le Salut est une affaire communautaire. Vivant du Corps du Christ, l’Eglise est elle-même Corps du Christ. Seule, elle permet une mystique de la foule, qui reste sinon la preuve du pire, selon le juste mot de Sénèque. Et, dans cette salle d’Assises bondée, la foule débagoulait sa haine, comme une bête élémentaire dont l’instinct est partout, la pensée nulle part. Debout, dans le box des accusés, la jeune femme se dressait face à elle, comme la proue d’un navire d’orgueil.

4

Journal de Basile

Le Capitole était notre lieu de rendez-vous. C’est là que j’ai connu Yvoire. On s’asseyait sur les banquettes, pour descendre des pintes de bières. On subsistait des heures, à cancaner sur les nouvelles, pour échanger les derniers potins du campus. Les soirs de match, on se retrouvait pour siffler des verres, mastiquer des cacahuètes pleines de sel. Grégoire nous rejoignait à la fin, pour le plaisir de boire. Il commandait du whisky, toujours un Malt, et réclamait un glaçon, mais servi à part dans une soucoupe. Lui seul avait le droit de verser la glace dans son verre. Une sorte de liturgie personnelle, sûrement abominée par les serveurs. La plupart du temps, ils attendaient que le glaçon ait fondu pour le servir.

A cette époque, je regardais l’avenir comme un couloir obscur, une sorte de lieu indéfini, par lequel il me faudrait passer, pour aller Dieu sait où. Je n’avais aucune attirance pour le Droit, encore moins pour les études, mais bon, c’était une filière comme une autre. Dorothée voulait devenir juge pour enfant, dans l’espoir d’arracher les innocents aux colères paternelles, parce que son père avait abandonné sa mère et sa sœur, quand elle avait cinq ans. Selon Grégoire, l’erreur n’était pas de les avoir quittées, mais seulement de les avoir jetées dans l’aigreur.

En fin de soirée, on était souvent bourré, parce qu’on picolait sans retenue, surtout Grégoire à cause de son whisky. Le serveur nous avertissait poliment que l’heure de la fermeture approchait. Aussitôt, on commandait une tournée, toujours la dernière, et on lampait comme des malades. Quand enfin le Capitole nous jetait à la rue, on titubait en meuglant, faisant mine de protester, avant de filer, l’âme vagabonde. On allait chercher refuge dans un autre café. Parfois, on retrouvait Pablo, sous les fumées d’un bar espagnol, esprit bohème, sorte d’artiste contemporain qui vivait dans un monde parallèle. Je n’ai jamais vu personne boire autant que lui. Ses œuvres étaient un mélange de couleurs improbables, sur des masses aux formes insensées. Il se vantait de composer des sculptures abstraites, à l’aide de serviettes hygiéniques, récupérées dans les toilettes des filles, qu’il badigeonnait avec une mixture à base d’excréments de tortues tropicales.

Dorothée maudissait Pablo, parce que son regard lui faisait peur. Nous, on aimait beaucoup sa compagnie, en partie pour la force de sa descente mais surtout pour les idées aberrantes qu’il tentait de véhiculer. Avec sérieux, il répandait des théories anarchistes délirantes, sur l’état de la société, la vie politique, les rapports des classes sociales. Bref, il nous amusait davantage que nos enseignants et leurs doctrines fumeuses. Mais après une certaine heure de la nuit, Pablo tétait de drôles de cigarettes, qui le faisaient sourire, des cônes en papier qui diffusaient une odeur exotique. A la fin de la soirée, il paraissait si brûlé qu’il prétendait rencontrer l’inspiration absolue. Alors, titubant avec orgueil, il filait dans les toilettes des filles pour chercher de la matière.

5

Journal de Basile

Si vous recherchez la grâce

Si vous aimez la beauté

Allons au café sur la terrasse

Voir Paris qui vit Paris léger

Quand on est femme de France

Ah ah ah

Thème de toute romance

Ah ah ah

Car quoi qu’on dise ou qu’on pense

Du monde entier elles sont adorées

Vivent nos femmes de Fran-an-an-an-ce !

Maurice Chevalier

(Femmes de France)

6

A mort la sorcière

La jeune femme demeurait silencieuse face à cette foule hostile, qui ondulait comme la triste opacité de spectres futurs. Harassée par un sommeil toujours éveillé, son visage était creusé. L’espoir, fuyard, refermait ses paupières. L’innocence est une fumée, formée des vapeurs de soupirs. Les esprits pauvres ont toujours adoré l’innocence bafouée. Les employés de la Tristesse et les Comptables de la Douleur ont à peine, hélas ! d’autres domiciles pour se repaître, pour se propager, pour s’exténuer. C’est devant l’Innocence, aurait clamé Léon Bloy, qu’en des songes de suie ou de lumière, leur viennent les péremptoires suggestions d’un Infini persistant, bien que mal famé, dans l’auberge de l’existence, où ils s’accoutument, de plus en plus, à bafouer les éternités.

Soudain, une voix mugit, suivie par d’autres hurlements, tout droit sortis d’une meute en furie. C’étaient les miaulements sauvages des démons qui conduisent les âmes en enfer, pendant la chasse à baudet :

- A mort ! A mort la sorcière !

Un vent farouche agitait toutes les têtes. On bramait, on beuglait, on vociférait avec hargne. Si les regards avaient été des épées, la jeune femme aurait été transpercée de part en part, comme Saint Sébastien. Tandis qu’on la conspuait avec ardeur, ses yeux fouillaient la salle, avec ferveur, en quête d’une silhouette amie. Au moment où elle posa le regard sur un moine au faciès de philosophe grec antique, vêtu d’une modeste bure de franciscain, son visage s’était aussitôt apaisé.

Après avoir calmé la salle, selon la formule antique et rituelle, depuis qu’il existe des procès : Silence ou je fais évacuer la salle ! (Seule menace efficace, puisque la foule avide et baveuse, ne vient que pour la joie de la mise à mort) le président prit de nouveau la parole, en se tournant vers l’accusée :

- Nom, prénom et qualité, s’il vous plait !

La détonation d’une balle de pistolet, tapée par le déclic du percuteur, n’aurait pas causé plus de remous. Sa réponse avait claqué comme un coup de fouet :

- Amanda Lemercier, officier de police.

7

Journal de Basile

Au réveillon, cette année-là, nous fûmes tous déguisés. Dorothée portait un ananas sur le sommet du crâne, et des jupes créoles. On dansait à Carnac, dans la maison de vacances de sa tante. On goba des huîtres du Golfe, et on engloutit des saumons d’Irlande, pêchés par des cousins de son oncle, au Sud du Connemara. On gigota une bonne partie de la nuit, sur des tubes de disco et sur la musique de Sardou. Grégoire avait apporté des cassettes sur lesquelles il avait mixé des titres en vogue. Comme une rivière, le champagne avait coulé à flots, tout droit monté de la cave. Je crois même qu’on avait tapé dans la réserve de la tante. Ambroise avait réclamé un bain de minuit. Il avait filé seul en direction des rochers. Lorsqu’il était réapparu, trempé comme un chat maigre, on avait ouvert un flacon de vieux rhum pour le réchauffer.

Quelques jours auparavant, Yvoire nous avait présenté Olivier, un petit ami, sorte de blond fadasse à la peau rose. Agent immobilier. Ce plouc s’habillait avec le mauvais goût ostentatoire des anciens voyous de cinéma. Il maculait ses cheveux d’un gel trop brillant. Quand il nous rejoignait au Capitole, avant d’embrasser Yvoire au coin des lèvres, non sans une pointe d’avidité vulgaire, il nous lâchait une de ces phrases du genre : « Salut les jeunes ! » alors qu’il devait avoir le même âge que nous. Il gagnait de l’argent facile, en vendant une ou deux maisons chaque mois. Tel un chien qui lève la patte, incapable de se retenir, il adorait flamber sous nos yeux, croyant nous épater. Yvoire brillait quand il se pointait. Papillon aveuglé dans les feux d’une voiture, je la regardais virevolter joyeusement. Sans me tromper, je n’ai pas peur d’affirmer qu’il nous détestait tous copieusement. A part Grégoire, qui était fils de notaire.

Dorothée n’avait jamais de petit ami. Elle courait un peu dans le sillage de Grégoire, au cas où. Mais lui s’en moquait, parce qu’il déridait une bourgeoise entrée en quarantaine, épouse et mère de famille, qui bovarysait deux après-midis par semaine pour combler son temps libre. Je crois que tout le monde en tenait une bonne au moment de la nouvelle année, pour fêter la Saint-Sylvestre. Et au petit matin, on était parti marcher sur la plage avec nos déguisements sur la peau, pour faire des photos. L’air était frais. Sous nos yeux, la mer ballotait son écume à perte de vue. Etourdis, fatigués, heureux d’être là, nous chahutions sur le sable, pour admirer la première aube de cette nouvelle année. Bien loin de nous douter qu’elle marquerait nos vies.