Une enquête du Père Brun - Benoît Roch - E-Book

Une enquête du Père Brun E-Book

Benoît Roch

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Beschreibung

Une enquête policière originale. Elle est menée par un moine franciscain, le Père Brun, dans un petit village de la côte Normande, en compagnie d'une jeune policière, Amanda Lemercier, plutôt moderne, assez belle et athée. De leur confrontation, faite d'incompréhensions et de préjugés, va naître une amitié fraternelle, car Amanda, qui ne connaît rien au monde religieux, va peu à peu découvrir les talents hors du commun de ce moine simple, chaleureux et très intelligent. Plusieurs rebondissements vont compliquer l'enquête au point d'égarer les enquêteurs sur nombre de mauvaises pistes, toujours en quête de vérité, dans la bonne humeur. Saurez-vous découvrir le mobile et l'assassin ? On croise toute sorte de personnages. On parle de musique, de peinture, de littérature, de sciences physiques, de recettes de cuisine, mais aussi de métaphysique. Quelques conversations viennent ponctuer l'intrigue, non sans une pointe d'humour bienveillant et de joyeuse désinvolture, sur la place de la vérité dans nos vies humaines, en miroir avec le déroulé de l'enquête. Grâce à ses immenses lectures, à sa grande culture religieuse et scientifique, la figure du Père Brun illumine le récit de part en part, comme une torche dans l'obscurité d'un labyrinthe. Et comme toujours dans les bonnes histoires, l'action s'achève autour d'un bon repas. "Une enquête du Père Brun" est le premier volume d'une sérié d'enquêtes, dont chaque intrigue est autonome.

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Seitenzahl: 161

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Avec cent lapins on ne fabriquera jamais un cheval, avec cent soupçons, on ne fabriquera jamais une preuve.

Fédor DOSTOÏEVSI

(Crime et châtiment)

Sommaire

Avis au lecteur

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Avis au lecteur

Cet ouvrage porte le nom de roman, c’est-àdire qu’il s’agit d’une fiction, benoîtement inventée par son auteur et qu’ainsi donc les personnages, les propos ou les situations n’ont aucune réalité dans la vie des autres.

Que si, par inadvertance, et pour le plus grand malheur des bienheureuses consciences, des fâcheuses ou orgueilleuses personnes se croyaient en droit de reconnaître, elles-mêmes, leurs propres actions ou leurs propres paroles, dans les situations qui peuplent ce récit affable, il va sans dire - mais il va mieux en le disant - qu’il ne pourrait s’agir que d’un coup de dés lancé par le destin, la fortune ou le hasard.

Quant à la providence, l’auteur ne cultive pas la vaine insolence des naïfs de la vouloir associer à ces enfantillages.

Chapitre 1

C’était un mariage heureux, comme on en aperçoit encore dans nos campagnes, pendant les beaux jours d’été. La messe avait réuni les amis des deux familles sous les vieilles voûtes romanes de la charmante église, à Donville-sur-mer, au nord du Pays d’Auge. La réception, depuis les hauteurs, prodiguait une vue imprenable sur la Manche. Avec ce magnifique soleil, on pouvait presque imaginer, là-bas, dans les lointains, les côtes d’Angleterre qui miroitaient à l’horizon. Il faisait si beau que les plus taquins demandaient où était passée la Normandie. Devant un manoir à pan de bois, une grande et splendide bâtisse, les invités, qui tous rivalisaient d’élégance, cancanaient avec insouciance, massés près du buffet, une coupe de champagne à la main. Il flottait dans l’air un mélange d’aisance et de désinvolture. Sur le gazon vert, superbement tondu dans un genre de perfection, un festival chamarré de chapeaux répandait, au creux de tous les regards, les couleurs de l’arc-en-ciel.

Il existe des jours où le poids des soucis et l’ennui des années semble suspendu. On se sent un autre ou, plus être plus précis, on a l’impression de posséder la meilleure part de soi, ce noyau qu’on aimerait conserver de l’autre côté, dans ce que les religions archaïques avaient coutume de nommer l’Au-delà, et que les chrétiens ont appelé pour toujours la Vie éternelle. Il ne fait aucun doute que nous ne maintiendrons pas les aspects les plus sordides de nos âmes, trop fréquemment maculées de boue, pour peu que nous cherchions humblement à nous approcher de la lumière, née de la lumière, cherchant le vrai Dieu, né du vrai Dieu. Néanmoins, même pendant les moments les plus agréables, où tout paraît se révéler sous son meilleur jour, où la vie se dévoile pour ce qu’elle est en réalité, un pur moment de grâce et de joie, surgit un incident imprévisible qui, malencontreusement, peut venir troubler la sérénité des âmes.

Et ce jour-là, tandis que nos jeunes mariés recevaient les félicitations de leurs invités, bien sagement rangés en file indienne pour attendre le moment tant convoité, où seuls à seuls, et en tête à tête, il est permis de débiter ses petits compliments au couple, bientôt harassé de recevoir les mêmes balivernes, pour ne pas exprimer des choses plus désagréables, lors de cette petite cérémonie difficile et interminable des félicitations qui finit toujours par prolonger le buffet, avant de passer à table, installant une sorte de flottement dans la journée, entre ceux qui sont élus pour rester dîner et ceux qui sont priés de repartir, tandis que la queue n’en finit pas de s’étirer, bref donc, à ce moment étrange et indéterminé, un événement tragique devait soudain briser les fils du destin et rompre le charme de la fête.

Mais avant de parler de cette affaire plus en détail, il nous faut dire un mot des mariés. Charles et Mathilde sont-ils heureux ? Il faut le supposer, car alors pourquoi se marier ? On pourra m’objecter que le mariage ne fait pas le bonheur, mais je vous répondrai sans trembler que le concubinage non plus, pas davantage que le célibat. Nous ne sommes pas faits pour vivre seuls, mais nous n’arrivons pas à vivre ensemble. C’est le drame de l’être moderne, qui rêve d’individualisme et crève de solitude. Mais revenons plutôt à nos tourtereaux. Ils sont jeunes et beaux. Tous leurs amis et leurs familles sont réunis autour d’eux pour célébrer ce jour si particulier.

Il y a, là-bas, la grand-mère de Mathilde, ou l’arrière-grand-mère. Sait-on à quelle génération on appartient lorsqu’on est entré dans l’hiver glacial du grand âge ? Elle se tient assise dans son fauteuil roulant, et sourit aux anges, avec un air béat qui laisse entrevoir ses dernières dents. La tante de Charles, elle, tient encore debout, sous un chapeau à voilette digne d’un film en noir et blanc, en s’appuyant sur la cane en ivoire de son défunt père qui avait servi en Indochine. Son fils, le capitaine au képi bleu marine, a gagné la plupart de ses médailles en Afrique. Sa femme est la jolie blonde en robe verte qui discute avec deux autres chapeaux.

Les parents de Charles sont très heureux d’accueillir Mathilde dans la famille. Après de brillantes études de médecine, le jeune homme se prépare à entamer une carrière de cardiologue. Son père, un neurologue éminent, est fier de voir son fils marcher dans ses pas. La famille vit à Paris, mais possède une maison sur la Côte Fleurie. Et du côté de Mathilde aussi. Tout ce petit monde se retrouve le dimanche à la messe de Donville. Il existe là une communauté de familles, assez heureuses, aimant la vie, bien installées dans l’existence, ravies de se coudoyer au mariage de Charles et Mathilde. Mais, un malheur inattendu vient perturber la joie de ces retrouvailles. Au moment très précis où le capitaine au képi bleu marine soulève son verre, au milieu d’un petit groupe de convives, et proclame: Domine salvam fac Galliam ! on distingue un bruit étrange, disons plutôt un mélange de sonorités, pas deux tonalités concomitantes, mais réellement un bruit contenant un autre bruit, l’un mat et sourd, comme celui d’un solide se liquéfiant, l’autre sec et cassant, celui d’une carcasse se disloquant. La source des sons avait jailli du côté du manoir à colombages, et plus précisément au pied de la tour carrée. Des cris avaient soulevé les poitrines. Il n’était pas difficile, parmi les ouïes les plus fines, de saisir toute la signification du mélange de ces bruits. C’était la percussion fatale d’un corps humain qui venait de chuter.

Ce choc épouvantable fit tourner toutes les têtes. Pendant une pincée de secondes brèves, chacun resta figé sous l’effet brutal de la surprise, puis les premiers s’approchèrent. Au sol gisait un corps inerte soudain la proie de toutes les attentions. Immédiatement, le père de Charles, médecin de son état, constata la mort de la victime. Il intima qu’on ne touche à rien avant l’arrivée de la police. On pria quelqu’un d’appeler la gendarmerie. Du sentiment général, il était préférable d’exposer la situation aux autorités, personne ne voulant s’attirer des ennuis. En dépit de cet incident - encore plus pénible car inapproprié - l’ensemble des convives s’en retourna du côté du buffet, la plupart ayant besoin de chercher du secours dans le fond d’une flute de champagne.

Chacun y allait de son commentaire ou de son explication. Mais tous condamnaient l’idée sinistre de se suicider pendant un mariage. Le cadavre qui gisait là au pied de la tour carrée, était inconnu aux yeux des familles, autant qu’à ceux des convives ; anonymat qui ne manquait pas d’ajouter une ombre à l’énigme de son geste. A l’arrivée des gendarmes, on expliqua les circonstances du drame, et le père de Charles rapporta qu’il avait aussitôt constaté le décès après la chute. Il avait d’ailleurs noté l’heure précise sur un carnet. Après plusieurs échanges avec des témoins, les gendarmes avaient clairement conclu au suicide de l’inconnu. Mais alors qu’ils s’interrogeaient sur les motivations et sur l’identité de la victime, une voix claire et forte annonça sans trembler :

- Non, messieurs, ce n’est pas un suicide.

Chapitre 2

La voix qui avait fendu l’air, dans ce bel après-midi d’été, appartenait à un homme assez grand et bien bâti. Sous ses cheveux bruns, et courts, on devinait un air méridional, accentué par une belle barbe fleurie d’ébène, ni longue, ni courte.

- Que dîtes-vous ?

Le plus vieux des deux gendarmes était tourné vers l’homme brun, au regard noir.

- Je dis que ce n’est pas un suicide.

- Et pourquoi ?

Le plus jeune des deux gendarmes, lèvres entrouvertes, dévisageait l’homme en question avec un mélange de candeur et de stupéfaction. Dans ses yeux, perçait une étincelle d’incompréhension, pas seulement à cause des propos tenus, mais parce que le personnage qui se tenait devant eux portait une bure de couleur brune, avec une corde à nœuds à la ceinture.

- En vous attendant, j’ai eu tout le loisir d’examiner le corps, avec les yeux, je précise, et j’ai remarqué plusieurs indices qui obligent à conclure que cet homme ne s’est pas suicidé.

Machinalement, les gendarmes lancèrent des regards du côté du cadavre, mais ce nouvel examen bref ne se révéla pas plus fructueux que leurs précédentes observations.

- Voyez la position du corps ! L’homme est sur le ventre, la tête vers le mur du manoir. Une simple réflexion. Si l’envie me prenait de me suicider - Deus me custodiat ! - il est certain que je me jetterais par la fenêtre, tête en avant. Or la position du corps indique bien qu’il est tombé à la renverse, exécutant un tour sur lui-même, pour retomber la tête vers le mur. Mais qui réalise un salto arrière pour se suicider ? Je vous le demande. Personne ne fait ça ! Cette acrobatie dans la chute n’est pas volontaire, ce qui tend à prouver qu’il a été poussé.

A ce moment, les gendarmes maintenaient des yeux ronds comme des billes, le plus âgé vers le cadavre, le plus jeune vers la fenêtre du troisième étage, qui était la seule ouverte.

- A supposer que vous ayez raison, il n’est pas possible de prouver ce que vous affirmez.

- Bien sûr que si, reprit l’homme en bure, dont le visage aux traits marqués ressemblait à celui d’un philosophe barbu des temps anciens. C’est assez simple, il suffit de prélever la mince pellicule blanche sous les ongles de la victime pour vérifier qu’elle correspond à l’entourage de pierre crayeuse de la fenêtre ouverte. Je suis certain que, si l’un d’entre vous se déplace pour étudier les montants, il découvrira des traces de griffure.

Le plus jeune des gendarmes avisa l’autre et comprit d’un seul échange de regards qu’il devait cavaler au troisième étage pour scruter cette hypothèse.

Tandis qu’il s’éclipsa, l’homme en bure poursuivit :

- Enfin, je ne serais pas surpris, qu’à la faveur d’une autopsie, on puisse confirmer que le malheureux ait reçu un coup violent, pour le faire lâcher prise. Imaginez-le, dos à la fenêtre ouverte, les mains posées sur les montants pour s’appuyer, refusant de se laisser pousser. Alors, son agresseur a dû décocher un coup violent à l’endroit où tous les hommes cherchent à se protéger, par une sorte de réflexe génétique.

- C’est-à-dire ? demanda le gendarme de plus en plus ébahi.

L’homme à la bure toussa un peu, lança deux ou trois regards agacés vers l’entourage, avant de répondre sur un ton impatient :

- Mais dans les parties intimes, pardi !

A ce moment, le jeune gendarme, qui était apparu dans l’encadrement de la fenêtre, se mit à crier, comme s’il avait gagné au tirage de la loterie communale :

- Il y a des traces fraiches de griffure !

Un curieux silence tomba sur les témoins de la scène. Alors, sous l’effet d’un ressort invisible, le gendarme du bas lança d’une voix grave :

- Que personne ne touche à rien ! Merci de vous écarter ! Ce lieu est désormais une scène de crime.

Pendant ce temps-là, d’un autre côté du parc, sous le grand chapiteau de toile blanche, la réception battait son plein. Il avait été décidé, après un accord commun entre les deux familles, de poursuivre les festivités du jour. D’une part, l’homme tombé de la fenêtre ne figurait pas sur la liste des invités. D’autre part, la scène se situait un peu à l’écart du buffet et du chapiteau dressés pour le dîner. Quelques rumeurs filaient bon train, mais aucune circonstance, pas même la présence des autorités policières, ne semblait en mesure de faire plier la détermination des convives qui avaient pris place à table, sans se préoccuper de l’accident. A part quelques remous dans le flot des conversations, personne n’avait eu l’envie de gâcher la fête et chacun s’affairait à boire ses dernières gorgées de champagne pour entamer le festin.

A côté du corps, les gendarmes avaient accueilli une jeune femme blonde, assez belle, flanquée d’un petit chauve en imperméable.

- Alors, brigadier, de quoi s’agit-il ?

Le plus âgé des gendarmes se lança dans une explication un peu embrouillée, où il était question de pierre crayeuse, de salto arrière et d’une bure de couleur brune. La jeune femme offrit son plus beau sourire, puis laissa tomber, froidement :

- Je n’ai rien compris !

Alors le brigadier appela l’homme à la bure, avec son faciès grec antique, pour lui demander de s’approcher.

- C’est une soirée déguisée ? dit la femme blonde, à la vue de notre homme en bure de toile brune, qui la considéra d’une façon peu amène. Un silence pesant verrouilla les visages.

- J’ai formulé une bêtise ? ajouta-t-elle en plissant les yeux. Et d’abord qui êtes-vous ?

Alors, l’homme en bure planta, droit dans son regard, des yeux qui brillaient comme des banderilles de feu.

- Je suis le prêtre du mariage. Certains m’appellent le père Brun. Et accessoirement, je suis le curé de Donville-sur-mer.

- Vous êtes sérieux ?

- Et vous ?

- On ne voit jamais de prêtre en costume !

- Ce n’est pas un costume, c’est un habit de franciscain. Et vous, qui êtes-vous ?

La femme portait un blouson d’aviateur pardessus son chemisier blanc, qui tranchait avec son blue-jean.

- Je suis le lieutenant Lemercier. Amanda Lemercier, chargée de cette enquête.

Le regard du franciscain ne s’atténua pas.

- Puis-je savoir quel est votre lien avec cette affaire ?

Alors, le Père Brun fit un exposé des faits qui était aussi clair que la lumière du jour.

- Avec peu d’axiomes, on fait de grands théorèmes, se plut-il à conclure.

Amanda Lemercier n’était pas femme à se laisser séduire par le premier venu. Les paroles du franciscain avaient frappé si juste qu’elle fut un moment sans parler. Puis, lançant un regard au petit chauve en imperméable, comme pour chercher les faveurs d’un témoin, elle entreprit de cuisiner son interlocuteur.

- Et d’abord, où étiez-vous au moment des faits ? Je vous trouve bien précis et sûr de vous.

Contre toute attente, le père Brun illumina son visage d’un sourire pétulant.

- J’étais avec les parents de Mathilde. La famille de la mariée. Il y avait aussi ses tantes. C’est très facile à vérifier. Maintenant, si vous pensez que mes explications sont trop précises, je prie la police de bien vouloir m’en excuser.

- Vous jouez au plus malin, répondit la jeune femme blonde. Pardonnez-moi, mais je ne savais pas que les prêtres étaient qualifiés en science criminelle.

- Et pourquoi pas ?

- Parce que la superstition ne fait pas bon ménage avec la science.

- La superstition ?

- Oui, enfin, tous vos trucs là, fit Amanda accompagnant ses paroles d’un geste de main en l’air qui voulait dire son agacement.

- Et si je vous disais que je possède un esprit scientifique ?

- Ah oui ? Vous êtes astrologue ?

- Non, je suis physicien

Amanda Lemercier jeta un regard trouble à l’homme qui se tenait là, devant elle, avec son visage de grec antique, et son habit grossier de toile brune, ceinturé d’une corde blanche.

- Ah ? Vous avez un bac scientifique ?

- Un doctorat de physique quantique. Et par ailleurs, je suis agrégé.

- Nous vérifierons tout ça, trancha-t-elle sur un ton devenu nerveux. Et maintenant, laissez-nous travailler.

Chapitre 3

Le père Brun lisait à son bureau quand on sonna au presbytère. Derrière la porte, c’était le petit chauve à l’imperméable qu’il avait vu, la veille, aux côtés de l’inspecteur Lemercier.

- Puis-je entrer ?

Le père Brun nota qu’il entendait sa voix fluette pour la première fois. Le jour du crime, pendant le peu de temps où ils s’étaient vus, le petit chauve n’avait pas soufflé mot. Pourquoi un imperméable avec ce temps ensoleillé ? Il le fit entrer dans un salon où le prêtre recevait ses visiteurs.

- A qui ai-je l’honneur ?

Le petit chauve retira ses lunettes rondes cerclées de fer pour les essuyer, avec un grand mouchoir de coton blanc, tiré de sa poche. Puis, une fois ses instruments d’optique chaussés sur son gros nez, il déclara :

- Je suis l’inspecteur auxiliaire Dubois, chargé de seconder l’inspecteur Lemercier dans son enquête sur l’affaire du mariage.

Le père Brun inclina la tête d’une façon vague qui pouvait signifier Dieu sait quoi.

- Mais, poursuivit le petit chauve d’une voix de plus en plus fluette, vous ne vous êtes pas présenté vous non plus.

- Si vous êtes chez moi, je suppose que vous connaissez mon nom.

- En effet, mais hier, vous avez donné un faux nom.

Le père Brun se mit à sourire.

- Pas un faux nom ! Je vous ai simplement dit comment on m’appelle par ici.

- Vous avez dit « le père Brun ».

- C’est exact !

- Mais ce n’est pas votre état civil.

- Parce que vous êtes venu pour me parler de mon état civil ?

- Vous nous avez menti !

- Ah non. Je n’ai pas menti. Interrogez le voisinage, vous verrez bien que tout le monde ici m’appelle « le père Brun », à cause de la couleur de ma bure.

- Votre vrai nom est Georges Cavalio de Saint Charles !

- Oui, et c’est un crime ?

Le petit chauve papillonnait des yeux pardessus ses lunettes pour examiner le prêtre. Et, passé un moment d’agitation, il se redressa sur son siège pour annoncer, non sans fierté :

- Nous avons identifié le cadavre.

- Ah !

- Et je viens vous demander si vous le connaissez.

- Quel est son nom ?

- Il s’appelle Frédéric Maupin.

- Non, ça ne me dit rien.

- Antiquaire à Deauville. Belle clientèle.

- Désolé inspecteur, mais je ne fréquente pas les antiquaires.

- Il n’est jamais venu à la paroisse ?

- Pas à ma connaissance. N’oubliez pas qu’hier je n’ai pas reconnu le cadavre. Peut-être qu’avec une photo ?

- A ce moment le petit chauve plongea la main dans la poche intérieure de son manteau avec le geste précipité d’un assaillant qui veut dégainer son arme, pour coller une photo sous le nez du père Brun.

- Non, je ne connais pas ce visage.

Et sans demander son reste le petit chauve s’éclipsa.

Le lendemain, après l’heure du déjeuner, on sonna de nouveau au presbytère. Cette fois, c’était Amanda Lemercier.

- Ah, des visites quotidiennes !

- Je ne vous dérange pas ?

- J’étais concentré dans l’étude du traité d’Hilaire de Poitiers sur la Trinité, mais vous ne me dérangez pas.