Les dernières reines - Christophe Léon - E-Book

Les dernières reines E-Book

Christophe Léon

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Beschreibung

Le réchauffement climatique atteint des sommets dans cette zone équatoriale de l’Afrique où la forêt primaire n’est plus que résiduelle. L’agriculture intensive a investi toutes les terres disponibles et mobilise les dernières innovations technologiques – jusqu’à la pollinisation… Mais quand la fille du magnat de l’agroalimentaire achète sur le marché noir un mystérieux petit pot jaune à un séduisant africtiviste, un grain de sable s’immisce dans les rouages de la multinationale.
La catastrophe écologique qui se déclare risque de faire basculer de nombreuses vies, en direct sur les réseaux sociaux.


À PROPOS DES AUTEURS


Ancien étudiant des Beaux-Arts, ancien joueur professionnel de tennis, Christophe Léon a publié une dizaine de romans de littérature générale, entre autres en littérature noire ( Tu t’appelles Amandine Keddha aux éditions du Rouergue, Journal d’un étudiant japonais à Paris aux éditions du Serpent à Plumes, ou encore Frans 68, paru en 2021 aux éditions Ramsay). Également auteur de littérature de jeunesse, il a été récompensé par de nombreux prix en France et à l’étranger. Il est traduit dans plusieurs pays, et son roman Délit de fuite a été adapté pour la télévision (France 2).
La protection de la nature et des animaux, les faits de société et les dangers de la mondialisation sont les thèmes qu’il aborde le plus souvent à travers ses livres.
Il a créé et anime depuis octobre 2015 la collection Rester vivant aux éditions du Muscadier.


Après une enfance girondine et des études de lettres qu’elle aurait aimé poursuivre jusqu’à la retraite, Patricia Vigier a choisi de devenir passeuse d’histoires. Professeure documentaliste dans un collège du Sud Ouest, quand elle ne se promène pas un appareil photo autour du cou, elle se consacre à l’écriture.



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© Le Muscadier, 2020

BP 60076 – 16103 Cognac cedex

www.muscadier.fr

[email protected]

Directeur de collection : Christophe Léon

Couverture & maquette : Espelette

Photographie de couverture : © pixabay – Willgard

© istock – Antagain

© jmage

Mise en page : La Femme assise

Conversion numérique : Chris Ebouquin

ISBN : 9782383020455

Table des matières

1

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Pour Solangela plus jeune de nos lectrices

Pour Julienapiculteur devant l’Éternelet tuteur de notre reine Cunégonde

1

Dès la réception du signal envoyé par l’ordinateur de bord du véhicule, le portail automatique s’ouvrit sans un bruit, glissant sur son rail. Deux gyrophares, un sur chaque pilier, déversaient leur lumière orangée et discontinue. Il était dix heures du matin. La Mercedes noire aux vitres teintées s’avança au pas dans l’allée gravillonnée et pénétra dans la propriété. Le portail se referma derrière elle en émettant un bip strident et répétitif. Une clôture électrifiée courait tout du long d’un chemin de ronde. Un maître-chien et son berger allemand observaient la voiture qui progressait lentement en direction d’une des propriétés de l’enclave.

« Tout doux, Mumba. »

Le maître-chien flatta l’encolure de la bête. Une muselière enserrait les mâchoires puissantes du molosse, ne laissant dépasser que sa truffe luisante et ­grenelée. À chaque extrémité de la clôture, là où elle décrivait un angle à 90 degrés pour se dérouler à nouveau vers l’ouest, deux miradors avaient été dressés. Des gardes en armes s’y relayaient 24 heures sur 24. Des caméras à infrarouge assuraient discrètement la surveillance ­électronique des environs. Le moindre mouvement était enregistré. Les résidents et les éventuels visiteurs étaient identifiés par reconnaissance faciale, le tout transmis en temps réel à un PC opérationnel. La Mercedes s’éloigna, le maître-chien reprit sa ronde, suant sous sa tenue militaire aux couleurs de la société de sécurité qui l’employait. À cette heure encore matinale, la chaleur était déjà étouffante et les organismes mis à rude épreuve. Le contraste entre l’enclave, arborée et parsemée de points d’eau et de fontaines, et les routes en terre battue qui menaient à la ville, était saisissant. Verdure et opulence d’un côté, poussière et stérilité de l’autre. Un no man’s land d’une largeur d’une ­centaine de mètres entre la clôture et l’extérieur permettait de prévenir et d’anticiper les éventuelles agressions ou émeutes, fréquentes dans cette région du monde. La prospérité des uns avait de tout temps attiré la convoitise des autres.

La maison devant laquelle s’arrêta la Mercedes était une imposante construction moderne en matériaux composites. Un élégant alliage de ciment zéro-carbone importé d’Europe et de lamellé-croisé recyclant le bois tropical des forêts décimées par la sécheresse, le tout formant une structure robuste et harmonieuse. C’est ainsi que l’on bâtissait alors les demeures des notables, industriels et riches propriétaires. Haute de deux étages surmontés de toits plats végétalisés, elle s’étendait sur plus de mille mètres carrés. Le porche qui délimitait l’entrée avait été conçu de telle façon qu’une dizaine de véhicules modernes puissent y stationner à l’ombre. Des buses astucieusement implantées diffusaient une eau brumeuse et parfumée qui rafraîchissait l’air sans pour autant détremper les personnes.

— Il n’est pas question que nous parlions de l’incident à vos parents, Mademoiselle Sunee. Je risque ma place avec vos bêtises…

Le ton qu’employait Khun était lourd de reproches mais suffisamment déférent pour ne pas fâcher sa jeune maîtresse qui, il le savait, avait un tempérament parfois susceptible et brutal. Khun était le mari de Yana, cuisinière et femme de chambre de la famille. Lui s’occupait de l’entretien et des petits travaux dans la maison, ainsi que de conduire la Mercedes. Mais il était surtout en charge de la protection rapprochée de la fille unique des Prunt, ses patrons.

— Mais je n’ai rien fait ! le rembarra Sunee, bien qu’elle se sache coupable.

Ils n’étaient pas encore descendus de voiture. Khun avait coupé la climatisation et ils attendaient une poignée de minutes que la température augmentât un peu dans l’habitacle pour en sortir. Le choc thermique entre les 20 degrés à l’intérieur et les plus de 50 degrés à l’extérieur serait ainsi amorti.

Sunee était la fille de Maï et Donald Prunt. Du haut de ses seize ans, elle n’avait connu que le luxe et la vie facile des enfants de riches. Elle suivait ses études à domicile depuis que la famille s’était installée en 2049 dans ce coin d’Afrique, propriété du consortium Pionsanto – une multinationale sino-américaine dont Donald Prunt était le directeur pour tout le continent. Ses obligations l’amenaient à beaucoup voyager partout dans le monde mais, pour l’heure, Donald se trouvait dans ses bureaux, en ville, une autre forteresse gardée par une milice formée et instruite par le groupe Pionsanto. Cette armée privée – et décriée par nombre d’ONG et d’associations humanitaires – était garante, sur toute la planète, de la sécurité des biens et propriétés du trust.

— Parce que me fausser compagnie en plein marché, avec les risques que cela comporte, ce n’est rien faire, Mademoiselle Sunee ?

Khun se força à paraître fâché mais, dans son for intérieur, il ne l’était pas. Comment en vouloir à cette gamine qu’il connaissait depuis sa naissance et qu’il avait vue grandir au cours des années pour devenir une adorable, bien que parfois capricieuse, jeune fille ? Et, pour ne rien gâcher, Sunee était d’une beauté rare, certainement le résultat du métissage entre son père américain et sa mère chinoise.

— Eh bien, il y a eu cette détestable averse qui nous a trempés jusqu’à l’os. Il a fallu que je me réfugie quelque part pour me mettre à l’abri ! Et vous, Khun, que faisiez-vous ? Je vous ai perdu de vue dans la multitude. Tous ces gens qui couraient dans tous les sens, mon Dieu quelle pagaille ! Moi aussi j’ai eu peur…

Une pique pour montrer à Khun qu’il avait manqué à son devoir de protection. Sunee était passée maître dans l’art de retourner les situations à son avantage. Khun soupira, vaincu par tant de mauvaise foi et par le sourire enjôleur que lui adressa Sunee.

— Donc nous sommes d’accord pour ne rien dire à vos parents, Mademoiselle Sunee. Il ne s’est rien passé : comme d’habitude, vous avez pu faire vos emplettes tranquillement…

Sunee acquiesça d’un hochement de tête en serrant son cabas contre elle. Mais, ce matin, en plus des quelques babioles qu’elle avait achetées, elle possédait un trésor qu’elle était pressée de dévoiler à sa mère. Une rareté dont elle avait entendu parler sans jamais la voir en vrai. Quelque chose qui ne devrait plus exister sur les marchés africains. De l’or liquide, en quelque sorte…

— Bien, alors sortons maintenant avant de commencer à bouillir dans cette voiture.

Khun appuya sur le bouton d’une télécommande et les portes blindées – comme le reste de la carrosserie de la Mercedes – s’ouvrirent sans un bruit.

2

Donald Prunt, président-directeur général de la filiale Afrique du consortium Pionsanto, participait à une visioconférence avec ses homologues des six autres continents quand le visage de son épouse s’afficha sur le plateau numérique de son bureau.

Seul en apparence dans l’espace de téléprésence, il conversait depuis une heure avec six hauts responsables que lui donnait à voir son casque de réalité virtuelle. C’est une alerte lumineuse clignotant dans le coin droit de son écran de lunettes qui lui fit baisser les yeux vers le bureau. Sur celui-ci, la mine préoccupée et impatiente de Maï Prunt s’affichait avec netteté et obstination.

Depuis le début, la discussion entre ces hauts dirigeants était tendue et axée sur les derniers résultats de la multinationale, globalement en baisse. Mais ce qui, en particulier, crispait leurs échanges se cristallisait autour des remontées contestataires qui leur parvenaient d’un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, ils ne pouvaient plus les ignorer, ou même les minimiser, au risque d’être dépassés par les événements. Ces troubles généraient angoisses et questionnements de la part de leurs actionnaires, qui ne se privaient pas de le leur faire savoir. Ces derniers mois, les réseaux d’activistes écologiques se faisaient très offensifs dans les médias, tandis que les populations, épuisées par les vagues de chaleur et la récession généralisée et durable, y prêtaient une oreille plus qu’attentive.

Un nouveau coup d’œil sur son bureau confirma à Donald que sa femme tentait toujours d’ouvrir la ligne. Il balaya d’un revers de main la fenêtre de l’appel vidéo et réprima un soupir d’exaspération que ses correspondants allaient assurément mal interpréter. Maï savait pourtant qu’elle ne devait pas le déranger dans son travail, à plus forte raison lorsqu’il était au siège. D’autant qu’à chaque fois qu’elle bravait l’interdit, elle interrompait les journées de titan de son mari pour un motif au final futile. Il avait beau la sermonner à son retour, cela ne l’empêchait pas de recommencer. Cette femme était décidément incorrigible ! Fort belle au demeurant, elle faisait son orgueil dans les réceptions et les voyages d’affaires, mais elle ne percevait en définitive pas les enjeux de la mission de son puissant époux.

Quelques secondes à peine s’écoulèrent avant que ne clignote de nouveau l’alerte d’appel. Donald avait déjà perdu le fil de l’exposé du directeur financier et stratégique de la zone Arctique – un nouveau terrain ­d’exploitation des plus prometteurs depuis que la calotte glaciaire avait tout à fait disparu – quand il aperçut du coin de l’œil Maï, qui articulait distinctement : « Réponds, c’est important. » En d’autres circonstances, il aurait trouvé adorable ses ravissants sourcils froncés, ses lèvres rosies de gloss formant ces syllabes outrées mais, là, ce n’était pas le moment. Il tapota vite fait sur le clavier numérique de son bureau un lapidaire NON occupé + tard, espérant couper court à ses caprices. Mais elle répondit illico Il s’agit de Sunee, elle est en DANGER.

S’il y avait bien un sujet primordial pour Donald, c’était sa fille – la prunelle de ses yeux. Maï le savait et visait juste. Après un raclement de gorge, il s’excusa auprès de ses collègues disséminés en plusieurs endroits de la planète et retira son casque, quittant ainsi la réunion, non sans promettre d’y revenir d’ici quelques petites minutes. Grâce à la modularité totale du mobilier et des cloisonnements réduits de l’openspace dans lequel Donald Prunt et ses rares collaborateurs évoluaient, son fauteuil recula de quelques mètres, et il s’encapuchonna dans une alcôve insonorisée qui lui permit de répondre enfin à la mère de Sunee. Celle-ci ne lui laissa guère le temps de grogner la moindre question et ordonna :

— Tu dois rentrer au plus vite, Donald !

— Où est Sunee ? rugit-il.

— À la maison avec moi, et…

— Où est le problème dans ce cas, bon sang ?

— Je ne peux pas t’en dire plus… Il faut que tu voies par toi-même.

Sans conteste, Maï paraissait alarmée et elle termina en le suppliant :

— Donald, rentre s’il te plaît, c’est grave…

Elle raccrocha aussitôt sans permettre à son mari d’élever la moindre objection.

3

Le pot de verre trônait au centre de la table basse débarrassée des revues qui l’encombraient habituellement. Le vaste salon immaculé s’ouvrait sitôt le hall d’entrée traversé. Une lueur dorée émanait du pot et happait le regard. Tout était blanc chez les Prunt, du carrelage de marbre au mobilier, en passant par les épais tapis. De lourds vases débordaient de bouquets d’hydrangeas que Yana, l’employée de maison, renouvelait chaque matin. Les canapés design, vastes et purs comme une banquise, ne faisaient pas exception. Seuls les tableaux de nacre, entre deux fenêtres encadrées de voiles neigeux, mâtinaient cette blancheur de reflets irisés.

Donald Prunt avait fait irruption dans le salon où l’attendaient Maï et Sunee. La mère et la fille se tenaient debout à un mètre de la table, en retrait du pot à l’origine du ramdam familial. Sunee n’en revenait toujours pas de la réaction de sa mère quand elle avait brandi le petit pot de liquide ambré. Fière de sa trouvaille, elle l’avait exhibé en pensant naïvement l’éblouir et lui faire plaisir. Au contraire, Maï avait marqué un temps de stupeur interdite, comme tétanisée. Puis, après s’être reprise, elle lui avait demandé :

« Mais d’où sors-tu ça ? »

Sans attendre la réponse, Maï avait planté Sunee sur place et s’était précitée sur son téléphone, un Vertu Signature Cobra 255 en or massif incrusté de diamants que lui avait offert Donald à l’occasion de leurs vingt ans de mariage.

« Non, ne me dis rien, j’appelle ton père ! » avait-elle ordonné d’une voix qui trahissait un mélange d’angoisse et d’affolement.

En voilà une affaire d’État ! Tandis qu’à présent, un paternel rugissant se dressait en face d’elle, le visage rubicond traversé d’un tic nerveux, signe d’une colère à peine contenue. Il allait bien falloir donner des explications. Mais sur quoi, au juste ? Sunee n’en savait trop rien. De quoi était-elle coupable et pourquoi était-ce si grave ? La gravité de ce qu’on lui reprochait était telle que son Tout-Puissant-Papa-au-Travail-si-Important avait quitté son bureau en pleine journée pour rappliquer fissa devant… devant un pot ! Il y avait de quoi être perplexe et désemparée. Donc, si elle avait bien pigé, il s’agissait d’une sorte de sirop à tartiner – et pas mal aussi pour sucrer les tisanes – rare, certes, mais… mais pas de quoi fouetter un chat, non ?

— Sunee… commença Donald, le regard pénétrant et le ton grave, dans une tentative presque comique de se contrôler. Ma chérie, où as-tu trouvé ce pot ?

La balle était dans son camp. La jeune fille sentait qu’elle était attendue au tournant et qu’il n’était pas question d’esquiver.

— Alors voilà… Il pleuvait très très fort…

Sa voix se brisa, enrayée par le stress qui l’obligea à déglutir.

— Où ça ? la pressa son père. Sunee, tu dois être précise. Chaque détail a son importance. Où étais-tu quand il s’est mis à pleuvoir ?

— Ben… au marché, papa !

C’était l’évidence même, voyons. Tous les samedis, elle y faisait un tour, accompagnée par Khun, son ange gardien. Si son père avait passé un peu plus de temps avec sa famille, surtout le week-end, il le saurait. Mais ça, elle évita de le dire afin de ne pas jeter de l’huile sur le feu.

— OK, il pleuvait. Et puis ?

Donald s’était insensiblement rapproché de sa fille. Son imposante masse corporelle n’était pas pour la rassurer. Autant son père pouvait se montrer protecteur, autant, dans certaines situations, sa corpulence l’intimidait.

— En fait, il pleuvait vraiment très fort, reprit Sunee comme si cette pluie était l’unique responsable et la dédouanait des ennuis à venir qu’elle pressentait. J’ai couru pour m’abriter sous les Arcades…

— Tu étais au marché des Arcades ?

La mégalopole dans laquelle ils étaient installés comprenait une multitude de marchés d’importance variable, plus ou moins spécialisés selon les produits vendus, locaux ou importés. Dans chaque quartier se tenait au moins une fois par semaine un marché. Cette tradition perdurait malgré la raréfaction des denrées alimentaires, et celui des Arcades était l’un des plus anciens. Il se déployait dans une banlieue populaire où se croisaient toutes les couches de la population. Il était de ce fait particulièrement animé et bigarré, une mixité qui en faisait tout l’attrait aux yeux de Sunee et de certaines de ses copines qui, parfois, l’y accompagnaient. Maï tolérait que sa fille s’y rende à la seule condition qu’elle fût conduite et chaperonnée par Khun, dont la mission consistait à veiller sur Sunee dès qu’elle franchissait les grilles de la propriété. Pour Donald, Khun était plutôt censé la mener vers des galeries commerciales plus conformes à son rang et aux besoins vestimentaires d’une adolescente de bonne famille. Mais, visiblement, il y dérogeait, et l’homme d’affaires nota dans un coin de sa tête qu’il devrait sans tarder lui remonter les bretelles.

Sunee souffla entre ses lèvres avant de poursuivre. Si on l’interrompait sans cesse, ils n’étaient pas rendus !

— Il y avait un monde de folie. Dès 9 heures, c’était déjà blindé, expliqua-t-elle à sa manière. Tout le monde s’est rué à l’abri au premier coup de tonnerre. Une bousculade d’enfer !

— Maï, comment peux-tu la laisser traîner dans de tels endroits par ce temps ? remarqua Donald en lui lançant un regard accusateur. Et Khun, ce fainéant ? Il était où pendant ce temps ? Qu’on le fasse appeler sur-le-champ ! C’est du délire, Sunee ! Tu aurais pu te faire…

— C’est bon, papa… T’exagères, là. J’ai pas deux ans non plus.

Décidément, les parents… Sunee n’était plus une gamine. Elle n’était ni sotte ni téméraire, et elle ne voyait pas en quoi aller au marché des Arcades posait problème. Si elle n’aimait pas affronter son père dans des disputes qu’elle trouvait stériles, elle n’était néanmoins pas prête à se laisser commander. Elle se situait à un âge critique où désobéir et imposer sa personnalité étaient une nécessité pour grandir.

— Je suis entouré d’inconscientes, se lamenta Donald, mettant dans le même sac la mère et la fille. Et ça, pointa-t-il de son index comminatoire. Comment t’es-tu retrouvée avec ça entre les mains, je te prie ?

— J’y viens… Si tu me laisses parler au lieu de monter sur tes grands chevaux ! se rebiffa Sunee.

Donald préféra passer sur l’insolence déclarée de sa fille et se contenta d’un encouragement de la main.

—