Pas bête(s) ! - Christophe Léon - E-Book

Pas bête(s) ! E-Book

Christophe Léon

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Beschreibung

Un recueil de fables, dont les héros sont des animaux qui nous ressemblent énormément.

Une poule pondeuse et frondeuse. Les pensionnaires étranges d’un zoo extraordinaire. Un mouton mégalomane. Un père et son fils en guerre contre les blattes. Un jeune cadre dynamique jouant les toreros. Les animaux curieux d’une ferme pédagogique ultramoderne. Un chien retraité pas mordu de téléréalité. Voilà les rencontres étranges que vous ferez dans ce livre.

Sept fables contemporaines dont les héros, qu’ils aient deux, quatre ou six pattes, n’agissent pas exactement comme l’on pourrait s’y attendre. Un savant mélange de raison et de folie, de causticité et de gravité, pour saliver de plaisir et se gratter la tête.

Découvrez sans plus attendre ces fables contemporaines qui portent un regard malicieux sur notre monde.

EXTRAIT DE Je suis une poule

Je suis une poule.
Une poule logée, nourrie et éclairée. Mon studio de poule a été choisi spécialement pour moi. Ou plus exactement, pour nous.
Nous sommes cinquante mille poules dans la même résidence. Un complexe remarquable en béton et tôle ondulée, ventilé par de gros extracteurs avec de grosses hélices.
C’est chouette ! – je veux dire c’est poule !
Les dimensions de mon studio ont été calculées afin que je ne manque pas d’espace pour bouger mon croupion, mais aussi pour que je ne m’amuse pas à cabrioler comme une chèvre des Alpes. Je ne suis pas une poule de cirque.
Je pourrais, mais que le Grand Dieu Coq m’en garde, oui je pourrais me retourner si je le voulais. Et pourquoi faire, hein ? Risquer un claquage du pilon et me retrouver coincée ?

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

A la fois profond, philosophique et mordant, chaque texte est une véritable claque! - Thalie, Parfums de livre

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ancien étudiant des Beaux-Arts, ancien joueur professionnel de tennis, Christophe Léon a publié, outre des ouvrages de littérature générale, plus de 40 romans et recueils de nouvelles à destination des ados. La protection de la nature et des animaux, les faits de société et les dangers de la mondialisation sont les thèmes qu’il aborde le plus souvent à travers ses livres.

En octobre 2015, il a créé la collection Rester vivant aux éditions du Muscadier, qu’il a animée jusqu’en octobre 2018.

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Ce recueil réunit les nouvelles publiées dans les ouvrages Pense bêtes et Bêtes de pensée, parus chez le même éditeur en2013et2015.

© Le Muscadier, 2018

48 rue Sarrette – 75685 Paris cedex 14

www.muscadier.fr

[email protected]

Directeur de collection : Christophe Léon

Couverture & maquette : Espelette

Photographie : © Roman Nedoshkovskiy/jakobradlgruber/123RF

Conversion numérique : Chris Ebouquin

ISBN :979-10-96935-19-2

Table des matières
Je suis une poule
LE ZOO
Bêbêbert Ier
BLATTARIA
TERCIO 3
De père en fils
Je suis un chien

Je suis une poule.

Une poule logée, nourrie et éclairée. Mon studio de poule a été choisi spécialement pour moi. Ou plus exactement, pour nous.

Nous sommes cinquante mille poules dans la même résidence. Un complexe remarquable en béton et tôle ondulée, ventilé par de gros extracteurs avec de grosses hélices.

C’est chouette ! – je veux dire c’est poule !

Les dimensions de mon studio ont été calculées afin que je ne manque pas d’espace pour bouger mon croupion, mais aussi pour que je ne m’amuse pas à cabrioler comme une chèvre des Alpes. Je ne suis pas une poule de cirque.

Je pourrais, mais que le Grand Dieu Coq m’en garde, oui je pourrais me retourner si je le voulais. Et pourquoi faire, hein ? Risquer un claquage du pilon et me retrouver coincée ?

À la vérité, je ne suis pas une grande sportive. Mes muscles sont flasques et je peine à tenir debout sur mes pattes. Quelle utilité y a-t-il à avoir des biscoteaux quand on n’en a pas besoin ? À quoi cela me servirait-il dans mon lopin de 46 × 51 centimètres au sol ? Non franchement, pas la peine de tenter des loopings.

Des copines se plaignent de nos conditions de vie. Et que je caquette par-ci. Et que je cancane par-là – pour les jalouses qui auraient aimé être des canes et se faire engraisser gratis tous les jours. Des mauvaises poules celles-là. D’ailleurs, ce sont elles qui déménagent le plus souvent.

Notre propriétaire – celui qui nous loue les studios et à qui nous réglons quotidiennement notre loyer en œufs  ̶ vient parfois les chercher le matin. Elles se croient intelligentes à faire semblant d’être mortes, mais il ne se trompe pas.

Il les saisit par les pattes et les emporte dehors, au grand jour, dans le vert et le bleu. Ouste les mauvaises pondeuses ! Elles n’ont qu’à se débrouiller à l’extérieur. Tiens, rien que d’y penser, j’en tremble.

D’un autre côté, le propriétaire a pensé à tout pour que nous ne nous ennuyions pas. Il a installé un manège, un tapis électrique qui avance lentement mais sûrement. Il l’a garni d’une succulente nourriture. De la farine que des ingénieurs ont conçue dans des laboratoires uniquement pour nous. Dedans il y a des oligo-éléments, des vitamines bonne mine, des médicaments pour qu’on se porte bien et encore des médicaments pour qu’on résiste aux virus, au stress, à la fatigue, aux courants d’air, à la conjonctivite, à la grattouille et au mal de gésier.

Le jeu consiste à attraper des becquées de cette farine. C’est super amusant. Et c’est d’autant plus simple qu’on nous a coupé le bec à la naissance.

Certaines râleuses professionnelles rouspètent en affirmant qu’il s’agit d’un acte inhumain. Pour qui se prennent-elles, des hommes ? Chacune à sa place et les espèces seront bien gardées !

En plus, je me souviens, ils le font proprement, et ça ne fait même pas mal. Avec une pince chauffée à blanc. Ils coupent et ça cicatrise aussitôt. De l’art, je vous dis. Ça va si vite, que ni ouille ni aïe, c’est déjà fini. Il y a juste l’odeur de brûlé qui est désagréable. Mais pas de quoi fouetter une couvée.

Ma voisine de droite, une poule déplumée, une vieille dondon sans crête et au bréchet riquiqui, avance que c’est pour nous empêcher de nous étriper à coups de bec. Personnellement, je ne vois pas comment. Nos studios sont sécurisés. Ils sont dotés d’un grillage anti-agression et anti-intrusion, et personne ne peut empiéter sur le territoire de l’autre.

— Oui, s’énerve-t-elle, c’est bien beau, mais si nous avions des becs, nous nous entretuerions. Chacun sait que nous sommes cannibales par nature.

— Première nouvelle, je lui réponds. Mes ancêtres étaient des poules de basse-cour et elles avaient trop à s’occuper à gagner leur pitance pour se dévorer entre elles…

— Vous êtes trop jeune pour comprendre, cocotte, me lance-t-elle sur un ton méprisant.

Alors je la snobe et je ponds deux fois plus d’œufs qu’elle. Ainsi, je double le prix du loyer, sachant qu’elle ne pourra pas en faire autant, et qu’elle devra céder sa place à une consœur plus jeune et plus moderne.

À la réforme, mémère !

Il m’arrive d’avoir le cafard – dans les bons jours. Quand l’une de ces sales bestioles tombe dans ma cage. Ploc. Elle crapahute entre mes pattes, et je dois être rapide pour la gober avant qu’elle ne passe sous moi.

Pour être honnête, je dois dire que parfois je m’ennuie.

Il fait jour dix-sept heures sur vingt-quatre dans notre résidence. Nous avons l’impression d’être en vacances toute l’année. Pas d’hiver, du chauffage quand il faut, de la fraîcheur aussi, bref le paradis sur Terre. Mais dix-sept heures de suite, c’est long !

Quand je ponds, je ne vois pas les minutes passer. Je pousse. Je m’applique. Je baisse le croupion et écarte les pattes. Je tends le cou et ouvre le bec. Au bout de l’effort mon œuf tombe sur le sol en pente, roule jusqu’à une rigole et atterrit sur son lit douillet. Ah, la technique ! Mais ensuite ? Il ne me reste qu’à attendre le suivant…

Je cause, bien sûr, comme tout le monde ici. Nous caquetons de la pluie que nous ne connaissons pas, du beau temps que j’imagine à peine ou des nouvelles copines arrivées le matin par camion.

Eh oui, nous sommes des princesses. « Chauffeur, s’il vous plaît, conduisez-moi à ma résidence ! »

Je garde un souvenir ému de ce voyage. Nous étions si nombreuses et si excitées que j’en tremblais, serrées les unes contre les autres, à trois dans un même compartiment. On ne savait plus où donner de la crête.

À cette époque, nous en portions toutes une sur le sommet du crâne. Une belle crête rouge vif, dentelée à souhait et bien épaisse. Elles sont tombées d’elles-mêmes. La nature est bien faite, parce qu’ici ce n’est pas la mode. Celles qui s’obstinent à en conserver une trop longtemps sont la risée générale.

Pour distraction, nous pouvons aussi profiter du ramassage des œufs. C’est toujours un spectacle réjouissant.

Des hommes entrent en scène. Ils portent leurs habits de lumière : salopette verte, bottes en caoutchouc, toque en tissu et un joli masque sur le nez. Ils passent dans les rangées et vérifient les machines qui collectent notre progéniture. Parfois, ils ouvrent la porte d’un studio pour vérifier que la locataire ne manque de rien.

Je me demande ce qu’ils en font, de nos œufs ? Parce que cinquante mille poules qui pondent à longueur de journée…

Il n’y a pas de poulets dans notre résidence et encore moins de coqs. Je n’ose imaginer la corrida si un mâle entrait par mégarde. Des milliers de poulettes survoltées essaieraient de le séduire.

— Viens mon coco… Je suis la plus jolie…

— Mon petit coq, approche, j’ai les plus belles plumes du monde…

— Hé, coquelet ! Si tu cherches une poule, c’est ici !

— Ne les écoute pas, mon coquet gallinacé. Regarde plutôt mes délicieuses escalopes…

Bref, une véritable révolution. Heureusement, tout est prévu pour qu’il n’y ait pas de poulets chez nous. Les autres ne s’en souviennent peut-être pas, mais moi si…

Quand je suis née, nous étions plus d’une centaine dans la couveuse. À côté de moi, il y avait un poussin mâle. On les reconnaît facilement. Ils ne font que rouler des mécaniques pas sitôt sorti de l’œuf.

Le mien était différent. Timide et un peu chétif. Nous avons lié connaissance. Il était charmant sous son duvet d’un beau jaune citron. J’aurais pu en tomber amoureuse, allez savoir.

Une main gantée de caoutchouc est venue nous happer hors de la couveuse et nous a jetés sur un tapis roulant. Mon copain poussin était à côté de moi et je me sentais moins seule et perdue.

Une autre main nous a soulevés, le mâle, une autre femelle et moi. Je me suis retrouvée les fesses en l’air. Un gros œil humain observait mon intimité. La honte de ma vie !

La main m’a jetée sur le tapis et j’ai continué mon chemin. Le poussin mâle n’a pas eu cette chance. Je l’ai vu virevolter dans les airs et atterrir dans une sorte d’entonnoir en contrebas. Il a glissé pendant que je m’éloignais et j’ai entendu un bruit bizarre, comme un craquement.

À l’arrivée, à l’autre bout du tapis roulant, il n’y avait plus aucun mâle. Tous avaient fait le grand plongeon dans l’entonnoir.

Peut-être est-ce le souvenir de ce triste épisode qui me hante et m’empêche de bien dormir la nuit. Mais bien souvent, il ne se passe pas trente secondes sans qu’une voisine ne me dérange. À croire qu’elles ont la bougeotte.

Essayez donc de roupiller quand on s’évertue à faire du bruit autour de vous. Nous ne serions que deux ou trois, je veux bien. Mais des milliers…

C’est un des inconvénients de notre résidence. Tout y est multiplié au centuple. Caquets, bruit des extracteurs, frottement des ailes sur les grilles des studios, froissements, et j’en passe.

Et puis mon imagination débridée me rend dingue. La nuit je réfléchis plus que je ne le devrais.

Je me demande ce qu’il va m’arriver après, à la réforme, quand je ne pondrai plus assez d’œufs. Où irai-je ? Existe-t-il des maisons de retraite pour les poules ?

Certaines disent que les poules réformées rejoignent des résidences magnifiques, aux lumières tamisées, où de la musique est jouée à longueur de journée. D’autres assurent que pour les remercier de tous les œufs qu’elles ont pondus, les propriétaires leur offrent un beau voyage d’agrément. Mais pas une poule n’en est revenue pour témoigner.

La nuit, ce dont je suis certaine, c’est que tout peut arriver. Et justement, c’est arrivé ! Mais pas la nuit…

Des hommes s’occupaient du ramassage de nos œufs, comme à l’accoutumée.

L’un d’eux s’est approché de mon studio. Il a ouvert la porte et a trifouillé quelque chose à l’intérieur. À ce moment-là, un de ses collègues l’a appelé. Il s’est détourné et l’a rejoint, laissant la porte entrebâillée. Avec les autres, il a continué à superviser le ramassage. Je les ai vus s’éloigner dans les rangées.

J’ai tourné la tête sur ma droite. La lumière éblouissante de l’extérieur entrait à gros bouillons dans la résidence. C’était comme un tsunami lumineux. Une idée saugrenue a traversé ma cervelle.

J’ai sauté dans le vide !

Je suis tombée par terre. Personne ne s’occupait de moi, alors je me suis dandinée en direction de la lumière. Pas facile avec mes pattes arquées et mes muscles de puceron anémié.

J’avais peur qu’on me surprenne. Qu’un homme m’attrape et m’emmène comme une réformée. J’ai essayé de courir, mais je me suis rétamée le bec dans la poussière.

Autour de moi, ça caquetait ferme.

— Fonce !

— T’y es presque !

— Vas-y poulette, baisse la tête, t’auras l’air d’une Gauloise !

Ces encouragements m’ont procuré la force et le courage nécessaires pour aller jusqu’au bout de ma folie.

C’était il y a dix minutes.

Maintenant je suis dehors. Au-dessus de moi, un gigantesque lampadaire. Rond, jaune, éblouissant et qu’il m’est impossible de fixer directement. L’air est tiède. Je suis un peu étourdie, comme saoule. Mais que c’est beau !

Je n’aurais jamais imaginé un monde comme celui-ci. De l’espace. De l’air. Et là-bas, à portée de bec, une grande étendue d’herbe verte ! Je n’en avais jamais vu, et encore moins touché.

Je suis épuisée, heureusement l’envie est plus forte que la fatigue.

— Avance, ma grande ! Tu peux y arriver.

Je m’encourage à chaque fois que je mets une patte devant l’autre.

Je tombe. Je me relève. Titube. Je tombe encore. Me relève toujours. Je lutte. J’en suis capable, je le sais. Encore trois, deux, un mètre… J’y suis !

De l’herbe ! Que c’est doux ! Que c’est frais ! De l’herbe ! Le paradis sur terre