Les Enfants de Titaniah - Sugeeta Fribourg - E-Book

Les Enfants de Titaniah E-Book

Sugeeta Fribourg

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Beschreibung

Un voyage fantastique au cœur d’une planète sous la menace d’un industriel mal intentionné et de son acolyte maléfiqueLa planète Titaniah se situe dans une autre galaxie mais est bien semblable à notre bonne vieille Terre. Une triste nuit, un incendie ravage l’Île du Vieux-Chêne. Considérée comme le poumon de la planète Titaniah, elle détient aussi une faune et une flore abondantes, riches des espèces les plus rares. Cette catastrophe bouleverse Sylvio, un enfant de douze ans qui a le don de communiquer avec la nature, les animaux mais aussi le vent et la pluie. Les sinistres coupables de ce forfait sont l’industriel Prosper Pimpondor et son complice, le diabolique Professeur Loopi Kankrela, sorcier à ses heures. Ils espèrent obtenir un vaste terrain afin de réaliser un projet fabuleux : construire une ville expérimentale inédite, entièrement artificielle, en maîtrisant tous les éléments de la nature, afin que ses habitants ne soient plus dépendants des caprices du temps. Sylvio est chargé par Francesco, le vieux chêne roi de la forêt, de solliciter l’aide du Génie du Vent du Nord afin qu’il achemine des milliers de graines pour replanter la forêt…Un roman d’aventures initiatique et facétieux qui invite joyeusement le lecteur à renouer une véritable relation avec la nature. EXTRAITL’enfant galopait sur la terre sèche du sentier forestier. Ses yeux noirs et intenses pétillaient. Joie des grands jours ! Il savourait sa liberté retrouvée !Avec la grâce fragile d’un chevreuil, il effleura sur son passage buissons et fleurs sauvages. Il courait à un rendez-vous au cœur de la forêt. Un rendez-vous qui était son secret et sa joie.   Surgissant d’un bosquet, une biche vint à sa rencontre et frotta un museau chagrin dans le creux de sa main.— Que se passe-t-il aujourd’hui ? J’ai le cœur joyeux et pourtant, je ne rencontre que tristesse dans cette forêt ? lui demanda Sylvio doucement. — J’ai peur !— Peur de quoi ?— Je ne sais pas, gémit la biche.Plus loin encore, Sylvio croisa un renardqui courait ventre à terre.— Ne reste pas ici ! lui lança l’animal sans s’arrêter.Où fuyait-il ?Le vent rapportait à Sylvio les plaintes de la végétation. On murmurait qu’une catastrophe imminente allait frapper.A PROPOS DE L’AUTEURSugeeta Fribourg est librettiste et metteur en scène. Elle a écrit une douzaine de livrets d’opéra pour le jeune public. Les enfants de Titaniah, son premier roman, est une sorte de « flûte enchantée au pays des merveilles ».

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La Terre n'appartient pas à l’homme,

c’est l’homme qui appartient à la Terre.

Sitting Bull

1. L’ÎLE DU VIEUX CHÊNE

L’enfant galopait sur la terre sèche du sentier forestier. Ses yeux noirs et intenses pétillaient. Joie des grands jours ! Il savourait sa liberté retrouvée !

Avec la grâce fragile d’un chevreuil, il effleura sur son passage buissons et fleurs sauvages. Il courait à un rendez-vous au cœur de la forêt. Un rendez-vous qui était son secret et sa joie.

Surgissant d’un bosquet, une biche vint à sa rencontre et frotta un museau chagrin dans le creux de sa main.

— Que se passe-t-il aujourd’hui ? J’ai le cœur joyeux et pourtant, je ne rencontre que tristesse dans cette forêt ? lui demanda Sylvio doucement.

— J’ai peur !

— Peur de quoi ?

— Je ne sais pas, gémit la biche.

Plus loin encore, Sylvio croisa un renard

qui courait ventre à terre.

— Ne reste pas ici ! lui lança l’animal sans s’arrêter.

Où fuyait-il ?

Le vent rapportait à Sylvio les plaintes de la végétation. On murmurait qu’une catastrophe imminente allait frapper.

L’enfant accéléra le pas. Quelle catastrophe pouvait advenir à cette forêt ? Qui pouvait lui en vouloir ? Voulait-on la détruire ?

Des siècles auparavant, les habitants de la région l’avaient baptisée « L’Ile du Vieux Chêne », car le Génie qui veillait sur cette forêt était un chêne sans âge.

Cette forêt était si belle qu’elle aurait pu rendre jaloux le Paradis. Sur la planète Titaniah, tout comme sur notre Terre, certains affirmaient que ce lieu idyllique existait. On évoquait aussi parfois un autre lieu, nommé « Enfer » où, prétendait-on, brûlaient dans d’atroces souffrances les méchantes personnes. Sylvio ne voulait pas croire à la réalité d’un lieu si barbare. « Existe-t-il vraiment ? Et où est-il situé ? », avait-il demandé à sa mère. La question était restée en suspens.

Et la question, à l’instant, à l’instant présent, ne préoccupait guère Sylvio.

Il était en vacances.

Son dernier cours de maths ne lui semblait plus qu’un mauvais souvenir.

— Je vous souhaite à tous de bonnes vacances. Certains d’entre vous sont passés de justesse dans la classe supérieure. Aussi, je les invite à ne pas mollir et à méditer sur un vieux dicton : l’oisiveté est mère de tous les vices, leur avait débité de sa voix austère le professeur de mathématiques, en les retenant quelques minutes de plus après la sonnerie qui marquait la fin des cours.

Sylvio parvint dans une clairière. Il était arrivé à son rendez-vous.

Au centre s’élevait le vieux chêne, le Génie de la Forêt. Son feuillage généreux grimpait presque jusqu’au ciel. Cet arbre, qui passait pour millénaire, avait pourtant gardé bon pied bon œil. Aux dires des sources, qui le murmuraient à tout vent, le chêne était le Roi de la Forêt parce qu’aucun buisson n’avait jamais eu l’audace de s’enraciner sous son ombre.

— Bonjour, Francisco, dit doucement Sylvio.

Il s’assit sous les ramures du vieil arbre, le dos calé contre le tronc solide.

Depuis quelques années déjà, le vieux chêne accueillait l’enfant avec la même joie. Il était devenu son ami et son guide.

Lorsque Sylvio avait voulu lui donner le nom de « Francisco », le chêne avait accepté en souriant. Le vieux sage savait que les hommes de cette planète ne pouvaient s’empêcher de nommer pour reconnaître.

— Entre nommer et juger, le plus souvent, il n’y a qu’un pas, avait-il enseigné à l’enfant.

Ce jour-là, comme les autres habitants des bois, Francisco lui paraissait triste et anxieux. Sylvio demeura à ses côtés plus longtemps que de coutume sans parvenir à le réconforter. Il tenta de le faire rire. En vain ! Quelle était la cause de cette morosité inaccoutumée ? À coup sûr, la chaleur accablante et le manque d’eau ! Il n’avait pas plu depuis des mois. Les arbres ne marchaient pas et ne pouvaient aller se désaltérer dans le courant d’un ruisseau comme les animaux. Ils puisaient l’eau du sol. En restait-il depuis le temps ? La canicule avait engendré la sécheresse. Les réserves d’eau souterraines commençaient-elles à tarir ? L’enfant promit à Francisco de lui apporter quelques litres d’eau dès le lendemain.

Sylvio vivait en Vivazonia. Un pays chaud, riche et florissant qui faisait la fierté de la planète Titaniah.

Par le plus grand des hasards, Titaniah, cette belle planète bleue, ressemblait comme deux gouttes d’eau à notre bonne vieille Terre. On aurait pu la prendre pour sa sœur jumelle ! Elle tournait autour d’une étoile semblable à notre Soleil, mais dans une galaxie très lointaine. À des années-lumière de la nôtre !

Cette planète prospère hébergeait et nourrissait sans compter des habitants humanoïdes : les Titanimos. Des êtres dont le physique ressemblait si fort au nôtre qu’on aurait pu les confondre avec les Terriens. La végétation et la faune, elles aussi, avaient une incroyable similitude avec les animaux et les végétaux de notre Terre.

À s’y méprendre !

Cernée de tous côtés par les océans, la Vivazonia s’étalait du nord à l’équateur. Ce pays était couvert d’immenses forêts sauvages, les plus vastes de la planète Titaniah. On y trouvait un nombre infini d’espèces les plus rares.

Sur la planète Titaniah, au moment de leur naissance, la nature gratifiait les enfants, tous les enfants sans exception, d’un merveilleux don. Une précieuse nature première qui se révélait dès le moment où ils balbutiaient leurs premiers mots.

Les enfants en bas âge comprenaient instinctivement le langage de tout ce qui règne dans la nature. Ces enfants naissaient naturellement télépathes.

Ils dialoguaient par la pensée, en y prenant un plaisir inouï, avec les plantes et les animaux domestiques, tout comme avec les animaux sauvages des forêts.

Ils s’amusaient aussi à traduire à leurs parents ébahis le bavardage des oiseaux, les plaintes des herbes sèches, le gargouillement des sources, le chant des rivières ou les clameurs des vents.

Bien souvent, les adultes n’accordaient aucune crédibilité à ce qu’ils appelaient des affabulations, des contes sans queue ni tête.

Rien d’étonnant à cela pour la plupart, car ils avaient depuis longtemps perdu leurs rêves et leurs souvenirs d’enfance.

Vers sept ou huit ans, les enfants perdaient cette prédisposition et, au seuil de l’adolescence, rares étaient ceux qui avaient eu la chance de garder ce don précieux.

À douze ans, Sylvio faisait exception à la règle. Son don n’avait cessé de croître. Par crainte des questions oiseuses ou blessantes de ses parents et de ses camarades, il gardait ce secret pour lui.

Et pour cause !

Il avait constaté que les enfants qui révélaient leur don à autrui le perdaient inéluctablement.

Cette connaissance profonde du langage des animaux tout comme celui des fleurs, des arbres et même des pierres, Sylvio l’avait acquise grâce à ses escapades dans la forêt. Les Génies de la nature l’aimaient et lui livraient d’antiques secrets. Ce privilège dont il jouissait à loisir le comblait de gratitude.

Voilà pourquoi cette forêt représentait pour Sylvio le plus beau lieu de l’univers.

En sortant des bois, il décida que, ce soir, il rentrerait chez sa mère.

Les parents de Sylvio étaient séparés, ou divorcés si vous préférez, et l’enfant habitait à sa guise chez l’un ou l’autre, selon l’humeur du moment.

Cela était mieux ainsi. La vie entre deux adultes en désaccord permanent n’avait jamais été une sinécure pour lui ! Il suffisait que sa mère dise « blanc » pour que son père s’empresse aussitôt de répondre « noir ». C’est pourquoi Sylvio affirmait que ses parents lui en avaient fait voir de toutes les couleurs.

Ils s’accordaient pourtant sur un point. Comme bien des parents, ceux de Sylvio rêvaient de trouver en leur fils un enfant sage, franc et obéissant, bien élevé et serviable, intelligent et studieux. Bref, une caricature de l’enfant parfait ! Aussi, imaginez quel fut leur désenchantement lorsque Sylvio, qui n’avait pas la langue dans sa poche, leur déclara avec un aplomb qui les laissa sans voix :

— Je vous promets d’être conforme à votre désir dès le jour où j’aurai rencontré une personne adulte qui corresponde en tout point à ce portrait idéal.

*

Cette nuit-là était l’une des plus chaudes de l’été. Prosper Pimpondor roulait en excès de vitesse. Il était fier de sa voiture. Un nouveau modèle rouge vermillon dont la forme fuselée faisait baver d’envie les jeunes !

Il ralentit et gara son précieux véhicule en bordure de la forêt. Puis il sortit de la voiture et fila sans délai s’abriter derrière un buisson résineux où il se soulagea abondamment d’une envie pressante.

Depuis quelques saisons, chaque été, une méchante canicule s’abattait sur le pays. Cette année, elle avait débuté prématurément. Cinq mois que le baromètre affichait beau fixe ! Un désastre qui faisait le désespoir des agriculteurs.

Prosper était en nage quand un coup de vent emporta son chapeau mou.

De la forêt émanait une fraîcheur apaisante. Après avoir bataillé pour récupérer son couvre-chef, Prosper Pimpondor s’engagea à petites foulées sous les voûtes odorantes.

Il ne prêtait attention ni au charme mystérieux du bois, ni aux chants nocturnes des oiseaux. Il dérouillait ses mollets ankylosés, l’esprit entièrement absorbé par l’évaluation de son chiffre d’affaires qui grimpait de jour en jour.

La scène n’échappa pas au regard d’un vieil hibou. « Cet homme empâté cahote comme un mammouth juché sur deux pattes ! Il est sans aucun doute sous l’emprise de l’ivresse » , se dit-il en hochant la tête.

Et le sage hibou se mit à méditer sur les méfaits désastreux de l’alcool sur la gent humanoïde.

En fait, il s’agissait là d’une interprétation erronée : Prosper Pimpondor était tout simplement ivre de sa richesse.

À la tête d’une fortune époustouflante, Pimpondor caressait l’espoir de devenir l’une des personnalités les plus en vue du pays. Cette affreuse canicule le faisait souffrir, certes. En revanche, elle lui fournissait une abondante source de revenus. « Ce fléau est une bénédiction ! Pourvu que ça dure indéfiniment », espérait-il, essuyant d’un geste las son front gras et ruisselant de sueur tout en s’éventant avec son chapeau mou.

Ce qu’il fallait savoir, c’était que Prosper Pimpondor était fabricant de ventilateurs. Un très gros industriel. Et depuis qu’il s’était associé au professeur Loopi Kankrela, un mystérieux et génial inventeur, sa fortune avait pris des ailes. Grâce à la fabrication intensive de systèmes et d’appareils de ventilation et d’air conditionné des plus sophistiqués et, par conséquent, des plus coûteux !

Prosper Pimpondor s’assit sur une souche de sapin, alluma une cigarette et se perdit dans les rêves les plus fous. Il était seul. Personne aux alentours.

Alors… Sans l’ombre d’une hésitation, il jeta le mégot de sa cigarette encore incandescent sur un amas de feuilles mortes. Un geste criminel, désinvolte, accompli avec une joie obscure.

Geste fatal ! Les feuilles sèches gémirent sous la morsure du feu. En quelques secondes, les flammes s’épanouirent en dégageant une fumée jaunâtre et âcre qui fit tousser le vieil hibou.

— Éteins-moi ce feu immédiatement, couina-t-il en s’étranglant, révolté par tant d’inconséquence.

Vaines protestations ! Prosper Pimpondor, qui n’entendait rien au langage des oiseaux, remonta dans sa luxueuse voiture décapotable et reprit la route en sifflotant. Sa besogne était loin d’être achevée…

*

Sylvio se réveilla en sursaut, en proie à un violent mal de tête, en larmes, la gorge nouée et le cœur battant la chamade. Il sauta du lit et ouvrit les persiennes. Une lumière pourpre embrasait le bleu marine du ciel et… face à la fenêtre, à quelques mètres de lui, une forme vibrante environnée d’un halo doré ondulait dans l’air. Une forme qu’il connaissait bien et qu’il chérissait. Le cœur de Sylvio se mit à battre plus fort.

C’était le spectre de son vieil ami le chêne.

Sylvio resta sans voix quelques secondes. Il tendit les bras.

— Francisco, murmura-t-il, abasourdi.

Et le fantôme de l’arbre se fondit dans la nuit.

En pyjama et nu-pieds, Sylvio sortit de la maison et cavala dans la nuit en direction de la forêt. Les routes étaient déjà coupées autour du périmètre de l’incendie. Malin et agile comme il était, il parvint à déjouer l’attention des gendarmes, se faufila comme une anguille à travers les barrages et se camoufla dans le creux d’un fossé. Il put ainsi observer le déroulement des opérations au nez et à la barbe des autorités.

Les secours étaient venus des quatre coins de la région et tentaient de maîtriser l’incendie. Une bataille rude et inégale s’était engagée. Les pompiers, braves petits soldats, luttaient contre un ogre déchaîné, un colosse aux bras de flammes qui s’étiraient à la vitesse du vent.

Sylvio ne cessait de penser à son vieil ami. Avait-il bel et bien vu son fantôme ou avait-il rêvé ? Francisco était peut-être venu lui dire adieu avant de rejoindre l’Éden de ses ancêtres ? Cette nuit-là, cette nuit blanche et fatale, cette nuit, blotti dans son fossé, Sylvio aurait du mal à l’oublier.

*

Cette nuit-là, le professeur Loopi Kankrela était assis devant un écran géant. Un silence pesant régnait dans la pièce plongée dans l’obscurité. La lueur de l’écran jetait sur le visage pâle et émacié du professeur un éclat inquiétant. La malveillance ombrageuse qui émanait de toute sa personne n’était en rien forcée. Chez lui, ce trait de caractère était naturel.

Sur l’écran s’affichait une grande sphère où l’on distinguait les contours des océans, les étendues de forêts, les zones désertiques ou habitées : une réduction lumineuse et colorée de la planète Titaniah.

Le regard glacial de l’homme se fixa sur un petit point rouge de l’écran. Il tapota sur le clavier posé devant lui. Une vue aérienne de la forêt de l’Ile du Vieux Chêne se dessina avec une netteté impressionnante.

Le feu poursuivait ses ravages en une dizaine de points de la forêt et gagnait du terrain à une vitesse vertigineuse. Ce n’étaient pas les moyens dérisoires dont disposaient les pompiers qui pouvaient l’arrêter. La forêt était irrémédiablement condamnée à périr sous les flammes. L’homme se détendit. Sans perdre de l’œil la progression de l’incendie, il appela Prosper Pimpondor au téléphone.

— Le point numéro un se déroule à merveille !

— Parfait !

Loopi Kankrela raccrocha le téléphone. Un sourire cynique flotta sur ses lèvres pâles.

*

Cette nuit-là, Prosper Pimpondor et Loopi Kankrela tardèrent à trouver le sommeil. Ni les craquements sinistres du brasier, ni le gémissement des arbres, ni les sirènes des pompiers, ni les cris d’effroi de la faune qui fuyait, ni les rires du Vent du Sud ne parvinrent à faire taire leur jubilation et leurs rêves de puissance.

Cette nuit-là marquait le début d’une ère nouvelle. Leur fabuleux projet allait enfin pouvoir se concrétiser. L’heure de gloire était proche ! À portée de main…

*

Hanou posa une assiette devant son fils. Une salade verte agrémentée d’olives noires et de champignons. Son plat préféré. Sylvio repoussa l’assiette.

— Tu n’as pas faim ?

L’enfant garda le silence. Hanou tenta d’être rassurante.

— Ne sois pas si triste, mon bichounet : les pompiers ne tarderont pas à l’éteindre, ce fichu incendie.

— C’est trop tard ! En une seule journée, le feu a détruit presque la moitié de la forêt.

Il se remit à pleurer.

Hanou se sentit à bout d’arguments. Elle n’ignorait pas l’amour inconditionnel que Sylvio éprouvait à l’égard de la nature. Toutefois,elle ne pouvait imaginer la profondeur du lien subtil et fusionnel qui reliait Sylvio au vieux chêne. Désarmée, elle ne comprenait plus rien. Que cachait cet immense chagrin qui lui semblait démesuré ?

*

À l’instant où Hanou tentait de réconforter ce fils qu’elle aimait de tout son cœur, Prosper Pimpondor roulait des escalopes de veau dans un mélange de farine et de jaune d’œuf. Il adorait cuisiner et personne ne réussissait mieux que lui cette recette.

Takina, sa fille, entra dans la cuisine.

— Tu as entendu ça, papa ?

— Entendu quoi ?

— Tu n’es pas au courant ? Un incendie ravage la forêt de l’Ile du Vieux Chêne !

— Naturellement que je suis au courant : tous les journaux en parlent ce matin !

— Je viens de voir des images horribles à la télé. Le feu s’étend sur des milliers d’hectares ! Depuis hier soir, les pompiers luttent désespérément pour l’éteindre. C’est terrible ! Cinq pompiers sont entre la vie et la mort !

— Quelle horreur ! répondit Prosper d’une voix compassée.

— Tu es rentré très tard, hier soir, lui fit remarquer Takina.

— Lorsque je suis passé par là, la route n’était pas encore coupée. Une chance ! dit-il, en déposant les escalopes dans la poêle.

— Ils ont interrogé le capitaine des pompiers. L’origine de l’incendie provient de mégots de cigarettes mal éteintes qu’ils ont retrouvés en divers endroits stratégiques de la forêt, a-t-il affirmé.

Sans un mot, Prosper retourna les escalopes de veau qui doraient dans la poêle.

— La police poursuit son enquête. Elle est formelle. Sans l’ombre d’un doute, c’est un acte criminel, souligna sa fille.

— Probablement un de ces jeunes bons à rien, écervelés et désœuvrés !

— Qu’est-ce que tu en sais ? Pourquoi faut-il que tu accuses toujours les jeunes ? C’est peut-être un adulte qui…

— Si j’étais au gouvernement, je te les mettrais au boulot, ces jeunes incendiaires. Des criminels, oui !

Les escalopes étaient cuites.

— À table ! dit-il, imperturbable, en posant la poêle sur la table de la cuisine.

Il prit son couteau et sa fourchette et attaqua avec le plus bel appétit son escalope de veau tout en continuant à vitupérer et à pester contre les incommensurables dangers du monde moderne.

*

Durant des semaines, les pompiers luttèrent pour venir à bout de l’incendie. La police enquêtait, cherchant à élucider le mystère de son origine. Elle avait arrêté trois jeunes agriculteurs. Des voyous qui, selon la police, avaient mis le feu afin de transformer ces espaces en champs de culture ou en pâturages.

Ils n’avaient pas d’alibis mais persistaient à crier leur innocence.

*

La forêt de l’Ile du Vieux Chêne, territoire gigantesque, était l’un des poumons de la planète. Depuis déjà plus de vingt ans, elle avait perdu des milliers d’hectares en raison des abattages d’arbres et des incendies qui s’ensuivaient. Plusieurs causes étaient à l’origine de cette disparition : l’agriculture intensive, l’extension des pâturages pour le bétail et le bois de chauffe consommé par une population en constante augmentation dans cette région. Il fallait craindre le pire pour l’avenir de cette forêt. À ce rythme, elle risquait de disparaître dans les trente années à venir.

Contrairement à la végétation évoluant dans un climat plus tempéré, dans cette région aride, les arbres ne repoussaient pas après les incendies.

Sans une main humaine et réparatrice, la forêt ne renaîtrait pas de ses cendres.

Pas une seconde, il ne serait venu à l’esprit de la police de soupçonner Prosper Pimpondor et son complice Loopi Kankrela. Personne ne les avait vus, aucun témoin, à part le vieil hibou et quelques oiseaux nocturnes. Mais pouvaient-ils témoigner ? Et qui les aurait crus ?

2. LA MISSION DE SYLVIO

Lorsque Sylvio revint dans la forêt, une odeur de bois carbonisé flottait dans l’air. Une odeur âcre. L’incendie avait tout dévoré. Dépouillés de leur feuillage, les arbres ne protégeaient plus les promeneurs. Sous la chaleur torride, l’enfant cheminait entre tristesse et rage au cœur. Nulle trace des fleurs sauvages et des verts buissons aux couleurs délicates. La psalmodie joyeuse des oiseaux s’était tue. Y avait-il des rescapés ? Où s’étaient-ils réfugiés ? Dans les bois déserts, l’éclat feutré des pas de Sylvio troublait l’impressionnant silence. Ombres muettes des arbres décharnés. Petits cadavres calcinés abandonnés sur la terre noire.

À chaque pas, la perspective de retrouver un germe de vie dans cet hostile territoire s’amenuisait et ne laissait entrevoir aucun espoir.

Cependant, ce que Sylvio ignorait, c’était qu’il y avait des rescapés. Le vieil hibou et quelques oiseaux de nuit avaient pu donner l’alarme. Ainsi, une partie de la faune avait réussi à s’enfuir avant que l’incendie se déploie. Ils s’étaient réfugiés dans des zones non incendiées.

Une dizaine d’oiseaux étaient revenus et tenaient un conseil, perchés sur les branches calcinées du vieux chêne. L’état physique du Roi de la Forêt était alarmant, son feuillage avait nourri l’incendie, mais il lui restait encore un souffle de vie. Les survivants s’interrogeaient. Que leur réservait l’avenir ? Le feu avait détruit leur habitat. Du jour au lendemain, ils se retrouvaient sans gîte et sans nourriture. Cette situation leur offrait peu de chance de survivre.

— Les humanoïdes sont devenus fous, ulula une chouette. Un soir, il y en a deux qui mettent le feu et, ensuite, toute une équipe cherche à l’éteindre. Ils sont fous, ces humains !

— Ils sont fous, ces humains ! répéta le perroquet.

— Ça dépend lesquels, murmura le vieux chêne.

— C’est vrai ! J’ai vu passer des humanoïdes, des experts, précisa une corneille. Ils comptent sur les graines subsistant dans le sol pour la survie des espèces végétales qui ont brûlé.

— Les humanoïdes, des experts ! Tu parles ! dit un corbeau. L’autre jour, il y en a un qui m’a pris pour un merle.

— Ils se tournent les pouces, les experts ! fulmina un vautour. Si on attend après eux…

— On pourrait faire appel au Génie du Vent du Nord. Qu’il souffle et nous apporte des milliers de graines, dit soudain un condor.

— Je ne vois pas qui pourrait le convaincre de se déplacer : Sa Majesté a si mauvais caractère, gloussa une perdrix.

— Ne soyez pas injustes, dit le vieux chêne. Écoutez-moi, j’ai une idée…

*

L’assemblée s’était dispersée lorsque Sylvio parvint au pied du vieux chêne. Ce fut un choc. L’enfant eut le sentiment que le vieux sage brandissait ses branches calcinées en maudissant le ciel. De ses petits bras, Sylvio étreignit le tronc de son ami et y colla une joue mouillée de larmes. Le lien qui l’unissait au vieux sage s’était rompu. Désormais, à qui pourrait-il se confier ? Sylvio demeura ainsi, suspendu, immobile et dans une fusion absolue. Le temps s’était arrêté.

Puis, soudain, une voix, un murmure, émergea du tréfonds de la terre.

— Ne pleure pas ! soupira le vieux sage d’une voix rauque.

La voix enveloppa l’enfant d’une énergie apaisante.

— Francisco ! Tu es vivant ? balbutia Sylvio.

— Un des rares survivants de la forêt… Mais pour combien de temps ?

— Tu es vivant ! jubila Sylvio.

— Les hommes ont eu la folie de croire qu’ils pouvaient vivre séparés de la nature. Sans nous, ils sont condamnés, dit le chêne d’une voix grave. Petit homme, il faut replanter la forêt.

— Les hommes vont le faire. Bien sûr ! Ils vont le faire !

— Tu les connais mal. Sont-ils seulement capables de semer les graines de toutes les variétés ? Ces variétés qui faisaient la beauté et la richesse de la forêt ? Il y en avait des milliers. Replanteront-ils ce que, vous les hommes, appelez à tort « les mauvaises herbes » ? Mon enfant, méfie-toi de la main de l’homme.

— C’est dans leur intérêt…

— Ils l’ignorent. Ils ont perdu toute sagesse. Nous, les arbres et les plantes, sommes arrivés sur la planète bien longtemps avant vous, les humanoïdes. Nous avons eu le temps d’atteindre le degré de perfection de notre évolution. Il reste à l’homme beaucoup de chemin à faire. Écoute-moi ! Le temps est compté. Toi seul peux agir ! Va trouver le Génie du Vent du Nord et préviens-le de la catastrophe.

— Le Génie du Vent du Nord ! Il ne souffle plus depuis des mois…

— Oui ! C’est pourquoi tu vas marcher en direction du nord. Tu dois trouver le Génie. Tu lui ordonneras de ma part d’acheminer des milliers de graines pour replanter la forêt.

Sylvio pensa que Francisco avait perdu la tête, ce qui était en partie vrai car il était totalement dégarni de son feuillage. Le chêne lui proposait une mission magnifique, mais impossible à réaliser. Comment lui, petit garçon malingre et sans défense, pouvait-il réussir à attraper un Vent glacial puissant, dont le caractère irascible était bien connu et, de plus, maître d’un territoire aussi lointain et aussi vaste que le Grand Nord de la planète ? Il risquait de se perdre et de chercher le Vent indéfiniment. Cependant, Sylvio ne voulut pas contrarier le chêne et protesta d’une voix faible :

— Ce vent me terrorise quand il cogne brutalement ; ses beuglements me font mal aux oreilles. Je n’arriverai jamais à l’attraper.

— Ne parle pas comme ton père et ne te décourage pas. Je vais te confier le plus précieux des secrets, un secret que tu ne dois jamais oublier : « rien n’est impossible à celui qui écoute la voix de son cœur ». Si tu as le cœur pur, les esprits de la nature te viendront en aide. Ne cherche pas le Génie du Vent ! Trouve-le. Ce Génie, je le connais depuis des siècles. Il va nous aider. Et il le sait déjà. Sois le pèlerin du cœur. Et promets-moi d’aller au bout de ce voyage, murmura doucement son vieil ami.

Sylvio avait une confiance totale dans le vieux chêne. En une seconde, il balaya toutes ses peurs et, en particulier, celle de l’échec.

— Je te le promets, jura-t-il.

Une promesse est une promesse. Il courut chez sa mère et lui écrivit un mot.

« Je pars en voyage avec papa pour quelques temps. Je t’enverrai des nouvelles. Je t’embrasse et je t’aime. »

Ensuite, il fila derechef chez son père et lui griffonna rapidement un message qu’il colle sur le frigo.

« Je pars en voyage avec maman : ce n’était pas prévu et je devais rester avec toi. Mais ne t’inquiète pas, nous ne partons pas très longtemps. Je t’aime. »

Puis il fourra rapidement quelques vêtements chauds dans son sac à dos et partit sans attendre. Ses parents ne se parlaient plus depuis belle lurette et Sylvio ne le savait que trop ; cette règle ne changerait pas de sitôt.

3. LA FLÛTE MAGIQUE

Une semaine que Sylvio marchait seul sous le soleil ! Il se disait : « Sacré Francisco, il a eu une drôle d’idée ! Je me demande qui de nous deux est le plus fou ! »

— Où vas-tu le nez en l’air et si joyeux sous cette canicule ? lui cria un héron.

— Chercher le Vent du Nord !

— Suis-moi ! Je vais t’indiquer un chemin plus frais.