Les fleurs renaissent toujours au printemps - Tome 3 - Gabrielle Delestre - E-Book

Les fleurs renaissent toujours au printemps - Tome 3 E-Book

Gabrielle Delestre

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Beschreibung

Florence parviendra-t-elle à se reconstruire et à s’épanouir à nouveau ?

Grâce à son courage, sa patience et la bienveillance de ses deux amies, Florence est ressortie plus forte de son divorce. Bien installée dans sa nouvelle vie, elle jongle entre la reprise de son métier d’enseignante et son projet de chambres d’hôtes qui l’enthousiasme. Sentimentalement, elle oscille entre son ex-mari, qui semble la découvrir sous un jour nouveau, et Alban dont la prévenance la charme tout autant que son insistance l’inquiète. Cependant, au cœur du Val d’Abondance, le chemin est encore semé d’embûches, et l’avenir, incertain. Les menaces s’intensifient alors même que l’enquête concernant l’incendie au Léchat ne fait que commencer… Qui pourrait souhaiter l’abandon de ce projet ?

Frissons dans la vallée clôture cette magnifique saga feel good qui encourage à ne jamais baisser les bras et à croire en de meilleurs lendemains.


À PROPOS DE L'AUTEURE

Passionnée par l’écriture depuis son plus jeune âge, Gabrielle Delestre a été journaliste durant quinze ans. Aujourd’hui, elle est conseillère conjugale et familiale, jonglant entre sa nouvelle vie professionnelle et sa passion pour l’écriture. Elle remporte la deuxième place du concours Feel So Good avec sa saga Les fleurs renaissent toujours au printemps.  






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Chapitre 1

Florence, Margaux et Lise s’étaient réunies dans les combles du chalet pour réfléchir à l’agencement du lieu. Ce grenier aux proportions imposantes accueillerait bientôt trois chambres d’hôtes. L’idée avait germé dans la tête de Florence quelques mois après son arrivée au Léchat, petit hameau perdu au cœur de la vallée d’Abondance en Haute-Savoie. Jamais elle n’aurait imaginé que sa passion pour la montagne et sa séparation avec Romain, son mari, l’entraîneraient dans d’aussi folles aventures. Tout était allé très vite. Florence profondément meurtrie par cette rupture avait choisi de tout quitter pour tenter de se reconstruire loin des lieux qui lui rappelaient sa famille et ce bonheur patiemment édifié au fil du temps. Anaïs, sa fille unique, l’avait soutenue dans son projet et c’est ainsi qu’elle avait débarqué un matin d’été dans l’immense chalet de Lise du Praz de la Semblière, une comtesse veuve et désargentée qui avait décidé de louer des chambres afin d’obtenir un revenu supplémentaire. Cette artiste peintre quelque peu excentrique était une femme d’une soixantaine d’années à la beauté encore vivace et à l’allure aristocratique. Les yeux lavande empreints d’intelligence et de bienveillance qu’elle posait sur le monde avec une douceur exquise avaient immédiatement charmé sa nouvelle occupante. Il faut dire que Lise était à l’opposé d’Adeline, la mère de Florence qui ne possédait aucune aptitude au bonheur ; elle se plaignait de tout, critiquait sans cesse, et avait toujours préféré son fils Robin à sa fille. Peu à peu, Florence s’était attachée à Lise et avait trouvé auprès d’elle ce que sa génitrice lui refusait : de la sollicitude, de l’écoute et un regard indulgent sur ce qu’elle entreprenait.

— Bon, les filles, j’voudrais pas paraître casse-pied, souligna Margaux, mais y’a Romain qui se pointe aujourd’hui et il faut mettre nos idées sur papier, sinon notre architecte risque de pas apprécier ! Déjà que l’mec a l’air stressé de nature…

— Mag ! Sois clémente, reprit Lise. Romain n’a pas revu Florence depuis plusieurs mois, et maintenant qu’ils sont divorcés, il peut se sentir embarrassé par ces retrouvailles.

— C’est lui qu’a proposé ses services à son ex, pourtant ? Maintenant, faut qu’il assume. T’es pas d’accord, Florence ?

— Tu as raison, Mag. D’ailleurs, le jour où il m’a téléphoné pour m’offrir son aide est gravé à jamais dans ma mémoire. C’était le soir de l’incendie. Vous vous rappelez ?

— Oh oui ! Je me souviens de tout comme si c’était hier, poursuivit Lise. Tes hurlements dans la nuit et Mag qui se précipite dans le couloir alors que tu dévales l’escalier. Nous sommes toutes sorties de la maison. Et là, j’aperçois une des dépendances qui s’embrase et je suis incapable du moindre geste, hypnotisée par les flammes. Antoine est arrivé pratiquement au même instant que les pompiers.

— Sacrée soirée, Comtesse, lança Margaux. J’vous avais jamais vue aussi mal en point. Vous m’avez fait pitié dans vot’ chemise de nuit, avec vos cheveux tout emmêlés. Vous étiez choquée. Antoine vous avait ramenée à l’intérieur pour vous faire boire quelque chose de chaud. Faut dire qu’il est sacrément amoureux, celui-là.

— Antoine n’est qu’un ami très cher. Il m’a beaucoup soutenue après le décès de Geoffrey, et j’apprécie sa présence et son aide précieuse.

— Ben voyons, un ami très cher qui vous mate un max !

— Oh Margaux ! Ton expression est quelque peu cavalière, voire vulgaire.

— Ah ! Quand la comtesse m’appelle Margaux, c’est qu’j’ai dépassé les bornes, lança cette dernière en s’esclaffant. Désolée, Comtesse, je m’excuse. Mais votre Antoine en pince pour vous. Ça, c’est sûr. Et vous le savez bien !

Florence adorait les échanges entre les deux femmes, toujours savoureux et remplis de tendre complicité. Margaux était arrivée au chalet en décembre pour faire la saison en tant qu’employée des remontées mécaniques. Cette jeune personne à l’allure masculine semblait n’avoir peur de rien ni de personne. Longtemps nomade, elle avait pas mal bourlingué dans sa camionnette transformée en camping-car de fortune avant d’échouer au Léchat comme locataire. Sauvage et quelque peu bourrue, elle refusait de dévoiler quoi que ce soit de son existence passée. Parfois agressive, surjouant son look rebelle pour éviter qu’on ne l’approche, elle avait souvent déstabilisé Florence qui souffrait de ses sautes d’humeur récurrentes. Puis, au fil du temps, grâce à la patience de Lise et à la gentillesse de Florence, cette trentenaire aux cheveux rouge vif coupés à la garçonne, arborant fièrement un anneau dans le nez, s’était laissé apprivoiser. Aujourd’hui, des liens solides unissaient les trois femmes et elles formaient une véritable équipe. Mag avait d’ailleurs rejoint Lise et Florence dans l’aventure des chambres d’hôtes, choisissant le chalet comme nouveau port d’attache.

— Depuis que les gendarmes sont venus nous prévenir que l’incendie était criminel, nous n’avons pas beaucoup de nouvelles, reprit Florence. Et même si nous nous doutions que quelqu’un voulait faire capoter notre projet, en avoir la confirmation par les forces de l’ordre m’angoisse.

— L’enquête ne sera sûrement pas aisée, précisa Lise. C’est la brigade territoriale autonome d’Abondance qui gère l’affaire et je les ai trouvés plutôt aimables.

— Moi, j’ai pas trop apprécié leur interrogatoire, poursuivit Mag. Quand on leur a parlé d’la lettre anonyme qu’on avait reçue quelques semaines avant l’incendie, on aurait dit que c’étaient nous les coupables.

— La lettre anonyme…, continua Lise le visage crispé. Les mots sont ancrés dans ma mémoire : laissez tomber les chambres d’hôtes, sinon vous aurez de gros ennuis. Qui peut m’en vouloir autant ? Certes, je suis restée l’étrangère alors que Geoffrey et sa famille étaient très appréciés dans la vallée. Je pensais pourtant que l’on m’avait acceptée et que certains habitants m’estimaient. Finalement, je me rends compte qu’il n’en est rien et qu’ils auraient préféré que je quitte la région après la mort de mon mari. J’ai d’ailleurs relaté aux gendarmes l’appel reçu le soir de Noël où l’on indiquait clairement que ma présence ici n’était pas souhaitée, et que je devais déguerpir.

— Je vous en prie, Lise, répliqua Florence, cessez de vous tourmenter. Vous n’êtes plus seule maintenant. Mag et moi sommes à vos côtés et nous allons nous battre pour que notre projet voie le jour. Les gendarmes ont pris tout cela très au sérieux et ils enquêtent. Ils trouveront les responsables, j’en suis certaine.

— Et on peut même leur donner un p’tit coup de main, renchérit Margaux. J’ai très envie de fouiner dans les villages du coin.

— Sois prudente, Mag, s’exclama Lise. Un homme t’a déjà importunée dans un bar, et il semblait violent. J’ai tellement peur qu’il vous arrive quelque chose à toutes les deux. Nous ne connaissons pas nos ennemis et ne savons pas de quoi ils sont capables !

— Justement ! Il faut que ça change…, lança Mag d’un ton magistral en déambulant dans le grenier. Nous allons les obliger à sortir de l’ombre, les poursuivre jusque dans leur tanière, les démasquer et leur faire cracher leur venin… Bon là, j’ai l’impression que j’force le trait au niveau de la réplique. C’est vrai qu’on joue pas dans un thriller. Excusez-moi, les filles.

Florence sourit, s’étira puis souligna :

— Heureusement que nous t’avons, Mag. Qu’est-ce qu’on ferait sans toi ! Tu dédramatises toujours les situations les plus préoccupantes. Mais tu as raison, il faut rester à l’écoute et glaner la moindre information. Ça pourra être extrêmement utile pour l’enquête. De toute façon, lorsque nos adversaires s’apercevront que leurs menaces ne nous intimident pas et qu’une instruction est en cours, ils abandonneront peut-être !

— Que Dieu t’entende, Florence, répliqua Lise le visage tendu.

— Je ne voudrais pas paraître rabat-joie, mesdames, reprit Flo, mais je vous invite à vous mettre au travail, car Romain arrive dans quelques heures et j’aimerais lui présenter la totalité de nos idées concernant l’agencement des combles.

Elles s’installèrent sur de vieilles caisses en bois et commencèrent chacune à exposer leurs points de vue. Parfois, l’une d’elles se levait pour désigner tel endroit du grenier et expliquer comment elle imaginait la pièce. Elles s’activèrent plusieurs heures, heureuses d’être là et de réfléchir ensemble à cette merveilleuse aventure qui les stimulait et leur offrait à toutes les trois un nouveau but dans l’existence.

Vers quinze heures, Florence entendit une voiture se garer devant le chalet. Son cœur se serra et sa respiration s’accéléra. Elle n’avait pas revu son ex-mari depuis plus d’un an et cette rencontre l’angoissait. Comment fallait-il qu’elle l’accueille ? Elle avait tellement souffert de cette rupture, tellement pleuré. Vingt ans de vie commune qu’une splendide créature avait réussi à balayer d’un déhanchement sensuel lors d’une soirée professionnelle. Au fond d’elle-même, Florence savait qu’il y avait autre chose. Leur union avait sombré dans une routine délétère et elle ne s’en était pas aperçue ; elle s’était laissé bercer par cette quiétude, cette enveloppante douceur du quotidien qui rassure, ces gestes mâtinés de tendresse qui réconfortent et indiquent que le bonheur est là, simple et discret. Était-ce à ce moment précis qu’elle avait baissé la garde, certaine qu’ils formaient un couple solide et soudé pour la vie ? Comment était-elle passée à côté des premiers signes avant-coureurs d’orage : l’indifférence qui s’installe subrepticement lorsque l’autre se confie, une petite voix qui fait les comptes et rappelle les multiples blessures, enfin cette distance invisible que la routine amplifie dangereusement ? Puis était venu le temps de la trahison et de la déchirure ; la sensation que tout son être se disloquait sous l’effet de l’annonce de la séparation. Ce SMS qui avait hanté ses jours et ses nuits, elle l’avait imprimé dans sa mémoire comme une marque faite au fer rouge pour ne jamais oublier : « Tout est terminé entre nous. J’ai essayé, mais n’ai plus de sentiments. Désolé. Je veux divorcer. Je ne rentrerai pas à la maison ce week-end. Ai besoin d’être seul. »

La venue de Romain replaçait Florence au cœur de son passé. Elle se remémorait ses premiers émois. Tout lui avait plu chez lui : son physique, l’odeur de sa peau, ses yeux presque noirs lorsqu’il était contrarié, son intelligence, sa passion pour l’architecture, sa volonté quand il avait un projet en tête…

Le son émis par la sonnette la tira de sa douloureuse songerie. Elle ouvrit la porte et se retrouva face à lui. Il lui sembla qu’il avait vieilli. Les fils argentés étaient plus nombreux dans sa chevelure bouclée et de légers cernes accentuaient son regard sombre marqué par quelques rides au coin des paupières. Il possédait toujours cette silhouette élancée sous laquelle se devinait une fine musculature. Il paraissait tout aussi embarrassé qu’elle et attendit qu’elle l’invitât à entrer avant de déclarer :

— Tu habites au bout du monde ! J’ai cru que je n’arriverais jamais à trouver ton fameux chalet !

— Oui, le hameau est un peu perdu. As-tu fait bonne route ? reprit Florence d’une voix légèrement saccadée.

— Ça va. J’ai fait le trajet en deux fois. Je suis passé par Besançon et j’ai dormi à l’appartement. Je ne regrette pas cet investissement. J’y suis relativement souvent au bout du compte.

— Tu ne t’es pas installé à Paris ? Il était question pour toi d’ouvrir une succursale.

— Oui, je l’ai créée et ça fonctionne très bien. Les clients parisiens ont afflué rapidement, mais ma présence n’est pas nécessaire toute la semaine. Je suis devenu nomade et je partage mon existence entre Paris et Besançon. C’est pour ça que j’apprécie cet appartement. Et puis, ça fait un pied-à-terre à Anaïs.

Une fraction de seconde, elle crut discerner la tristesse dans son regard et s’en émut, mais elle se reprit aussitôt. Après tout, c’est lui qui avait choisi cette nouvelle vie et elle n’allait certes pas s’apitoyer sur son sort.

— Anaïs m’a dit qu’elle adorait ton appartement, continua-t-elle. C’est sympa que vous puissiez vous y retrouver de temps en temps tous les deux. C’est important pour elle.

— Tu sais que tu peux l’utiliser également sans aucun problème, répliqua-t-il aussitôt.

— C’est très aimable à toi, mais le projet de chambres d’hôtes me prend tout mon temps. Pourtant, j’adorerais revoir Camille et Bénédicte. Elles me manquent tellement.

Bénédicte avait été la nounou d’Anaïs durant plusieurs années et tout naturellement les deux femmes avaient sympathisé avant de devenir intimes. Camille, quant à elle, était une collègue de travail originaire du Sud que Florence avait accueillie avec gentillesse quand elle avait débarqué dans son établissement scolaire. Elles s’étaient très vite trouvé des centres d’intérêts communs, dont la course à pied, et lorsque Florence lui avait appris que son mari la quittait, elle l’avait beaucoup soutenue.

— Comme tout cela me paraît loin, murmura Florence.

— Que dis-tu ? répliqua Romain.

— Rien d’important. Des souvenirs qui se bousculent dans ma tête…

Elle lui proposa quelque chose à boire et tenta de relancer la conversation. Dialoguer avec naturel semblait compliqué pour l’un comme pour l’autre.

Romain ne pouvait s’empêcher de trouver son ex-femme ravissante. L’air de la montagne lui allait à ravir. Elle portait un chemiser en lin blanc qui faisait ressortir son bronzage et son regard émeraude au puissant magnétisme. Il aurait aimé caresser sa joue et lui dire combien il était heureux d’être à ses côtés, mais c’était impossible, car elle l’aurait immédiatement remis à sa place. Il n’en revenait toujours pas qu’elle ait accepté son aide. Quand il l’avait appelée cette fameuse soirée, il ignorait que quelques heures plus tard, un drame se jouerait au chalet. Sa fille l’avait informé que l’incendie était criminel ; il avait imaginé que dans ces circonstances son ex-femme abandonnerait son projet et quitterait le Léchat. Il avait été stupéfié lorsqu’elle lui avait téléphoné peu de temps après pour lui demander si son offre tenait encore. Il ne s’était permis aucune remarque et lui avait rappelé qu’elle pouvait compter sur lui. C’est ainsi que le rendez-vous avait été fixé.

Depuis, il ne cessait de penser à elle, car elle forçait son admiration. À l’annonce de leur séparation déjà sa réaction l’avait ébahi. Pas d’insultes ni de vaisselle cassée, mais une dignité qui l’avait époustouflé et lui avait renvoyé sa propre médiocrité. Elle s’était résignée devant sa détermination, souffrant en silence et préservant leur fille du mieux qu’elle avait pu. Il l’avait presque brisée, pourtant elle avait su relever la tête et choisir la voie de la guérison. Il découvrait en Florence une femme battante, forte et courageuse qui ne fuyait nullement face au danger. Il la percevait passionnée et éprise de liberté. Pourquoi n’avait-il rien vu ? Trop accaparé par son ego et sa réussite personnelle, il avait vécu à côté d’elle sans vivre avec elle. Il avait fallu qu’il la quitte pour prendre conscience de sa valeur. Était-il trop tard pour lui, pour eux ? Une femme comme elle ne resterait pas seule très longtemps. D’ailleurs, cet Alban qui avait eu l’outrecuidance de s’inviter à Noël au chalet la courtisait, il en était certain. Anaïs avait beau lui rappeler qu’il n’était qu’un ancien copain de fac devenu un ami, il ne la croyait pas. Il se sentait envahi par une violente jalousie bien qu’il soit divorcé depuis peu. Et puis, il avait refait sa vie avec Diane. Ils n’habitaient pas sous le même toit, chacun d’eux préservant sa liberté. Ils se voyaient régulièrement pour passer de bons moments et faire la fête. Elle était extrêmement belle et sensuelle, et à presque cinquante ans, avoir pour compagne une aussi magnifique créature était valorisant. Diane l’avait introduit dans les milieux branchés parisiens et de dîners mondains en soirées festives, il s’était éclaté durant quelques mois, puis avait commencé à déchanter. Tout paraissait tellement factice…

La voix de Florence le sortit de ces réflexions :

— Je propose de visiter le chalet et de terminer par les combles. Lise et Margaux nous rejoindront tout à l’heure et nous pourrons alors te faire part de nos idées. Ça te va ?

— Ça me semble très bien. Je te suis.

Florence lui fit faire le tour du propriétaire. C’était immense et il admira, en connaisseur, les vestiges de ce qui avait été une magnifique habitation. Le premier étage comportait de nombreuses chambres ainsi que deux salles d’eau. Il découvrit avec un vif plaisir les deux pièces où vivait son ex-femme et reconnut sa patte dans la manière dont elle avait décoré son lieu de vie. De jolis bibelots, des tons pastel et des lumières indirectes lui rappelèrent brièvement le style de la villa où ils s’étaient aimés. Lorsqu’ils pénétrèrent dans les combles, il ne put retenir un sifflement d’admiration :

— Waouh ! Quel espace ! lança-t-il. C’est génial. On va pouvoir réaliser quelque chose de sublime !

— Je le pense aussi, reprit Florence, mais ce qui risque de coincer, ce sont les finances.

— C’est sûr qu’avec un budget illimité, je te transforme ce grenier en un véritable palace. Cette charpente est exceptionnelle. Il faut absolument la conserver et, à mon avis, créer des ouvertures qui permettront d’être en lien direct avec la nature. Mais je m’emballe là. Ce n’est pas mon projet, mais le tien.

— Pas uniquement le mien, répliqua-t-elle. C’est maintenant celui de trois femmes devenues inséparables qui ont une folle envie de réussir !

— Eh bien, je vais tout mettre en œuvre pour que vos rêves se réalisent. Je veux vraiment t’aider, Florence, et je suis certain que tu ne regretteras pas de m’avoir dit oui.

— Sur le plan de l’architecture et de l’agencement d’intérieur, je sais que je peux te faire confiance. C’est véritablement une belle aventure qui commence.

Romain comprit le message et en fut peiné, même si son ex avait raison. Il l’avait trahie et Florence avait trop souffert pour tenter de lui accorder une seconde chance.

— Et tu n’es pas trop inquiète par rapport aux événements qui ont eu lieu ? poursuivit-il. C’est incroyable que l’on vous ait menacées. Je suis sidéré que vous n’ayez pas décidé d’abandonner. Vous êtes de sacrées nanas tout de même !

— Notre projet nous tient à cœur et c’est le seul moyen pour Lise de garder son chalet. Je suis persuadée que lorsque les chambres d’hôtes seront créées, les choses s’apaiseront. Et puis, beaucoup nous soutiennent ; tous ne sont pas médisants dans la vallée !

Il se demanda rageusement si Alban faisait partie des personnes bienveillantes qui épaulaient le trio, mais il décida de ne pas s’appesantir sur la question.

Alors que Romain commençait à prendre des notes et des photos, Florence entendit des éclats de voix au rez-de-chaussée et en déduisit que Lise et Mag étaient rentrées. Au bout de quelques instants, les deux femmes rejoignirent le couple au grenier et Florence fit les présentations. Comme à son habitude, Margaux scrutait le nouvel arrivant avec insistance, ce qui eut pour effet de mettre Romain mal à l’aise. Lise, consciente du trouble de ce dernier, vint à son secours en l’apostrophant :

— Pas trop déçu par ce grenier, Romain ? Pensez-vous qu’il sera possible de réaliser trois chambres d’hôtes et un espace de vie pour nos futurs clients ?

— Ces combles ont un potentiel énorme, madame, reprit-il, comme l’ensemble de votre chalet d’ailleurs. Ils se prêtent parfaitement à la situation ! De plus, cette vallée possède un charme fou, et je suis persuadé que les touristes afflueront sous votre toit ; Florence a eu du flair.

— Appelez-moi Lise, je vous en prie, renchérit la comtesse. Pas de manières entre nous. Combien de temps comptez-vous rester au Léchat ?

— J’ai pris deux jours de congés. J’ai besoin de noter toutes vos idées et d’effectuer un état des lieux des combles pour réaliser un premier chiffrage. Ensuite, nous programmerons les différentes étapes du projet de rénovation.

— À ton avis, quelle sera la durée de ces travaux ? demanda Florence.

— Ça peut aller très vite une fois que les plans seront terminés, et que nous aurons trouvé les artisans. Je dirais environ un an.

— Donc, y a pas de temps à perdre, déclara Mag qui s’était jusqu’à présent contentée d’observer en silence, focalisée sur Romain.

Rencontrer l’ex de Florence et le père d’Anaïs ne la laissait pas indifférente. Elle s’était prise d’affection pour la jeune fille lors de sa venue à Noël, et depuis elles se contactaient régulièrement. Sa relation avec Florence évoluait également. Après avoir tenté de toutes ses forces de résister à l’amitié que celle-ci lui offrait, elle avait fini par capituler. Elle appréciait aujourd’hui la joie de vivre et la gentillesse de sa colocataire à leur juste valeur, et même si la forteresse qu’elle avait érigée l’empêchait de se livrer totalement, elle redécouvrait la saveur d’instants partagés entre amies.

— On doit s’mettre au boulot parce qu’il faut qu’ça roule, cette histoire. Le plus vite on lancera notre affaire, le plus vite on risque de nous laisser tranquilles. Une fois qu’les chambres d’hôtes seront ouvertes, je pense pas qu’on continuera à nous chercher des noises.

— Je l’espère de tout mon cœur, Mag, répliqua la comtesse. J’aimerais tellement me libérer de cette angoisse permanente. Je serai délestée d’un poids terrible quand toute la lumière sera faite sur cette sombre affaire.

— Les choses vont s’arranger, Lise, poursuivit Florence, et je suis tout à fait d’accord avec Mag. Une fois que notre projet sera lancé, ils passeront sûrement à autre chose.

Le groupe se mit au travail, et pendant plusieurs heures, les trois femmes exposèrent leurs idées à Romain. Il prenait des notes tout en donnant des conseils pertinents à la petite assemblée. En début de soirée, les grandes lignes de la rénovation étaient tracées : garder intacte l’âme du chalet tout en offrant un maximum de confort, utiliser des matériaux naturels tels que la pierre et le bois associés au verre et à l’acier pour moderniser l’ensemble. Trois pièces munies chacune d’une salle d’eau et de toilettes ouvriraient sur un espace à vivre où trônerait une cheminée centrale contemporaine, et un escalier extérieur permettrait aux clients d’avoir une entrée indépendante.

Lise la première s’enquit de l’heure et suggéra que le groupe avait assez œuvré pour aujourd’hui. Elle se proposa de préparer le repas pendant que Florence s’occuperait d’installer Romain dans la chambre d’amis. C’était elle encore qui avait insisté pour que celui-ci, malgré l’opposition marquée de Florence, fût hébergé au chalet. La comtesse n’envisageait pas, alors qu’il offrait ses services d’architecte, de l’envoyer à l’hôtel. Intransigeante sur ce point, elle n’avait pas plié et Florence avait capitulé de mauvaise grâce.

Le paysage se teintait de rose lorsqu’ils passèrent à table. Romain semblait plus détendu. En allant chercher ses affaires dans sa voiture, il ne put s’empêcher de s’extasier devant ce panorama extraordinaire. Les massifs aux arêtes acérées et aux dômes rebondis se détachaient avec précision sur le ciel de feu. Les fragrances de la vallée remontaient par bouffée et emplissaient l’atmosphère de parfums subtils, mêlant l’odeur des pâturages à celui des fleurs alpestres. Les clochettes des vaches carillonnaient dans l’air du soir et il se surprit à profiter du lieu, lui qui n’avait jamais été féru de montagne. L’après-midi avait été agréable et il avait apprécié la compagnie de ces trois femmes si différentes et pourtant si complices — même si Margaux l’avait quelque peu déstabilisé. Cette rénovation le comblait de joie, et il voulait à tout prix réussir pour faire plaisir à celle qui avait partagé vingt années de sa vie. Il espérait que les regrets ne compromettraient pas le bon déroulement de son travail. Lorsqu’il rentra, Mag terminait d’allumer les bougies et une bouteille de champagne avait été ouverte pour l’occasion. Chacun prit place autour de la grande table de chêne et Florence servit les convives.

— Trinquons aux chambres d’hôtes, proposa Lise en levant son verre.

Chacun s’exécuta le sourire aux lèvres, et Romain prit la parole :

— Je suis vraiment très heureux que vous m’ayez retenu pour réaliser l’aménagement du chalet et je tenterai de ne pas vous décevoir. Sachez que vous pouvez compter sur moi quoi qu’il arrive.

— Merci, Romain, reprit la comtesse. Nous n’en attendions pas moins de vous. Mag et moi étions persuadées que Florence avait effectué un choix pertinent.

— Oui, et de toute façon on n’avait pas trop les moyens pour quelqu’un d’autre, répliqua Mag.

— Margaux ! Tes propos sont extrêmement indélicats ! lança Lise.

— Oh ! C’est bon, concéda celle-ci. J’essaie simplement de voir si notre architecte a de l’humour. Il faut bien que j’le titille un peu pour faire connaissance. Tu l’as pas mal pris, Romain ? Je peux te tutoyer ?

Romain avait compris qu’il passait un test et que celui-ci était d’importance. Il répliqua aussitôt :

— Aucun problème, Mag. J’avais déjà remarqué que tu étais du genre direct. Ça ne te dérange pas si je te tutoie, n’est-ce pas ?

Mag planta ses yeux dans ceux de Romain et poursuivit sur un ton frondeur :

— J’pense qu’on va pouvoir s’entendre tous les deux. Et, de toute manière, si tu rends service à Florence et à la comtesse, tu risques rien. Je suis du genre à veiller sur mes amies. Mais tu m’as l’air d’être un bon bougre et j’te crois sincère. Alors, heureuse de t’accueillir parmi nous.

Romain comprit tout à coup pourquoi Florence se sentait si bien ici. Il y avait une véritable solidarité entre ces trois femmes. Une force tranquille et une puissante affection les portaient et leur insufflaient une volonté à toute épreuve. Elles étaient prêtes à tout pour sauver ce chalet qui était devenu leur nouveau port d’attache. Et puis, cette habitation possédait une âme, une aura irrésistible et envoûtante. Il régnait entre ces murs une atmosphère particulière qui invitait à se recentrer sur l’essentiel, à lâcher prise et à laisser le sortilège opérer. Romain subissait le charme du lieu et ne tentait pas de s’y opposer. Entouré de forêts, isolé sur un pan de montagne à l’écart du village, ce chalet était sorti victorieux des attaques du temps, exhibant fièrement ses trois étages de pierres et de bois, bravant les intempéries, mais également la convoitise des hommes. Romain se sentait tout à coup investi d’une nouvelle mission. Le goût de l’aventure qu’il avait cru retrouver dans les bras de sa maîtresse resurgissait à travers ce challenge. Il mettrait tout en œuvre pour offrir à Florence, mais aussi à Lise et Mag, de superbes chambres d’hôtes. Le chalet, tel un phénix renaîtrait de ses cendres pour briller à nouveau de mille feux au cœur du Val d’Abondance.

Chapitre 2

Florence avait mûrement réfléchi et s’était décidée à poursuivre son métier d’enseignante à la rentrée de septembre. Elle avait demandé un mi-temps pour s’occuper de la création des chambres d’hôtes, et espérait un poste dans les environs. Marc, son beau-père, prenait régulièrement de ses nouvelles et la soutenait dans son projet malgré son inquiétude. Robin, son frère, et sa femme Sonia, informés des diverses menaces qu’avaient subies les trois colocataires n’avaient émis aucun jugement et avaient salué leur ténacité et leur témérité. L’attachement profond que lui portaient les membres de sa famille était essentiel pour Florence dont le besoin d’affection et de reconnaissance était primordial pour avancer. Elle ressentait parfois cruellement l’absence de sa mère qui depuis leur altercation ne donnait plus signe de vie. Elle avait peu à peu accepté cet état de fait, sachant pertinemment que rien ne pourrait faire évoluer cette relation dont la toxicité était dorénavant avérée.

Florence avait également décidé de tenir Alban informé des derniers événements. Elle le considérait comme un ami et, même si certains de ses comportements suscitaient chez elle une forme d’anxiété, elle appréciait sa prévenance, sa fidélité, et son charme indéniable. Il lui avait dévoilé ses sentiments au cours d’un week-end au Léchat, lui révélant par la même occasion qu’il souhaitait quitter Lyon pour se rapprocher d’elle et s’installer à Genève. Florence avait très mal accueilli ses propos, se sentant une fois de plus piégée. Il lui semblait qu’Alban tentait régulièrement de s’immiscer dans sa vie et de lui imposer ses choix. Lorsqu’elle exprimait son désaccord, il réussissait toujours, grâce à une excellente argumentation, à lui prouver qu’elle avait tort ; il désirait simplement prendre soin d’elle, car il l’aimait plus que tout au monde et ne voulait que son bonheur. Grandement perturbée par sa décision de tout abandonner pour se rapprocher d’elle, elle lui avait précisé qu’elle n’était pas éprise de lui, mais le considérait comme un très bon ami.

La réaction d’Alban, en apprenant que l’incendie était d’origine criminelle, avait été à la mesure de son caractère entier et parfois imprévisible. Il avait totalement perdu son calme et pratiquement intimé l’ordre à Florence de quitter le chalet sur-le-champ. Il avait proposé de lui trouver un appartement et de s’occuper du déménagement. Lorsqu’elle lui avait répliqué qu’elles avaient décidé de ne pas abandonner le projet, il s’était muré dans le silence, comme assommé par la réalité de ce qu’il venait d’entendre. Au bout de quelques instants, il lui avait glissé :

— Et que pense ta fille de tout ça ? Comment a-t-elle réagi lorsqu’elle a su que l’incendie n’était pas accidentel ? Est-elle inquiète pour toi ? Ne crois-tu pas qu’elle serait soulagée d’apprendre ton départ du Léchat ?

Florence avait marqué un temps d’arrêt. Elle ne s’était pas attendue à cette remarque de la part d’Alban, qui jusqu’à présent ne s’était jamais immiscé dans sa vie de mère. Au bout de quelques secondes, elle avait répliqué froidement :

— Que vient faire Anaïs dans notre discussion, Alban ? Tu joues au même jeu qu’Adeline ? Tu essaies de me culpabiliser et d’insinuer que je ne prends pas mes responsabilités de parent ? Si tu conçois vraiment les choses ainsi, nous n’avons plus rien à nous dire.

— Mais enfin, que vas-tu chercher, Flo ? Je ne te juge absolument pas, et je n’adhère en aucun cas aux propos que ta mère a tenus à Noël. Je suis terriblement angoissé à l’idée qu’il t’arrive quelque chose. C’est tout. Et je ne pourrais pas te perdre une seconde fois, ce serait impossible pour moi. Je désirais connaître l’avis de ta fille pour savoir si je suis le seul à penser que c’est une folie de continuer à habiter cet endroit.

— Mais pourquoi dis-tu que tu ne supporterais pas de me perdre une seconde fois ? Nous n’avons jamais été ensemble et nous n’étions même pas très proches à la fac. Et, pour le moment, je ne t’ai rien promis, rien. Je ne suis pas ta petite amie et je ne t’ai jamais laissé croire quoi que ce soit. Nous sommes bien d’accord là-dessus, Alban ?

Florence s’était emportée et avait presque crié. Elle avait senti la colère monter crescendo. Qui était-il pour la mettre en demeure d’abandonner son projet et de déménager séance tenante ? Qui était-il pour s’intéresser à la manière dont Anaïs avait réagi à l’annonce de l’incident ? De quoi se mêlait-il ? La prenait-il, lui aussi, pour une personne immature parce qu’elle avait décidé de vivre en colocation avec deux femmes et de créer des chambres d’hôtes ? Sa mère l’avait insultée le soir de Noël pour la même raison et Florence s’était tue, anéantie par tant de violence et incapable de lui répondre et d’argumenter. Mais ce temps-là était révolu. Plus personne, jamais, ne dirigerait son existence, et plus personne ne la dénigrerait sans qu’elle ne réagisse. Elle n’était pas une petite fille et n’avait pas besoin d’être protégée et guidée. Elle pouvait gérer sa vie seule sans aucun problème. Fallait-il hurler pour être enfin entendue et comprise ? À bout de nerfs, et contenant mal sa rage, elle avait lâché agressivement :

— Mais puisque tu m’aimes tant, Alban, et que tu ne cesses de t’inquiéter pour moi, je vais te rassurer immédiatement. Mon ex-mari m’a proposé de mettre à mon service ses compétences d’architecte pour la création de nos trois chambres d’hôtes, et j’ai accepté. Il est venu la semaine dernière pour un premier repérage et reviendra régulièrement tout au long des travaux. Le père d’Anaïs sera donc à mes côtés, et je suis certaine qu’il saura prendre soin de la mère de sa fille !

Elle s’en était voulu aussitôt d’avoir prononcé ces paroles. Florence ne supportait pas d’être belliqueuse ou dans la provocation. Elle était d’un naturel plutôt conciliant et perdait rarement le contrôle de ses émotions. Sa colère avait disparu, balayée par sa virulente diatribe. C’était au tour de la tristesse d’affleurer, mâtinée d’une touche de culpabilité. À l’autre bout du fil, le silence s’était éternisé.

— Es-tu toujours là, Alban ? avait-elle repris légèrement mal à l’aise.

— Oui, je ne me serais pas permis de te raccrocher au nez, répondit-il sonné par ce qu’il venait d’apprendre. Eh bien, je ne m’attendais pas à ce que tu renoues avec ton ex. Si c’est le cas, il pourra effectivement prendre soin de toi. Vous aviez donc besoin de divorcer pour vous retrouver ? C’est original comme concept, mais il paraît que c’est assez courant. J’espère simplement que tu ne le regretteras pas, car il me semble que tu as déjà beaucoup souffert à cause de lui. Et comment sa nouvelle compagne vit-elle tout ça ?

— Je t’en prie, cessons ce jeu stupide. Je n’ai pas été très subtile, je te l’accorde, mais arrêtons de nous faire du mal. J’ai parfois le sentiment que tu veux me soumettre à tes désirs sans prendre mes attentes ou mes souhaits en considération. J’ai réagi violemment parce que ton attitude m’exaspère. Mais je tiens à te préciser que je suis divorcée, et que je le resterai ! Je n’ai pas l’intention de me remettre avec Romain.

— De toute façon, cela ne me regarde pas. Tu mènes ta vie comme bon te semble, et comme tu l’as si bien dit, tu ne m’as rien promis et tu ne me dois rien ! J’espère simplement que tu fais les choix appropriés et que tu n’auras aucun regret. Je vais te laisser. Je t’embrasse.

Quelques jours plus tard, Alban l’avait rappelée en s’excusant pour son attitude irrespectueuse. Il paraissait apaisé et s’était même intéressé au projet, posant quelques questions sur l’agencement des combles. Confus, il lui avait demandé si elle acceptait toujours son amitié et Florence, soulagée, avait répondu par l’affirmative. Ils s’étaient séparés en bons termes, se promettant de se revoir durant l’été.

Florence n’était plus employée qu’à mi-temps au magasin de sport de Maud Mougnier. La période touristique était terminée et les commerçants retrouvaient un rythme de travail plus lent et n’avaient plus besoin des saisonniers. Ces derniers avaient quitté la station pour d’autres régions. Maud avait été déçue par la décision de Florence de reprendre son métier d’enseignante à la rentrée. Elle s’était attachée à cette quadragénaire active, discrète et pleine d’entrain qui s’était intégrée à l’équipe avec une grande facilité. Sans être devenues de véritables amies, les deux femmes avaient sympathisé et se respectaient. Maud avait bien souvent recadré des villageois qui critiquaient ouvertement la présence de deux étrangères chez la comtesse, alimentant de nouvelles rumeurs. En décidant d’accueillir des locataires sous son toit, Lise du Praz de la Semblière avait à son insu réactivé de vieilles rancœurs et de nombreuses jalousies. Originaire d’une des plus anciennes familles de la vallée, Maud avait eu vent de certaines histoires concernant Lise et son mariage avec le comte. Visiblement, l’union de ce dernier avec une personne qui n’était pas du pays n’avait guère été appréciée. De plus, celle-ci était d’une remarquable beauté. Grande et mince, elle possédait un visage aux traits parfaits encadré de magnifiques cheveux blonds. Nul ne pouvait oublier, une fois qu’il l’avait croisé, son regard pervenche presque translucide, ourlé de longs cils noirs. Les hommes aimaient s’y noyer alors que les femmes le fuyaient, développant envers cette inconnue une animosité croissante. Découvrant peu à peu l’aversion dont elle faisait l’objet, la comtesse s’était protégée à sa manière en refusant tout contact avec les habitants et en s’entourant d’artistes suisses qu’elle invitait au Léchat. Maud, adolescente à l’époque, écoutait avec avidité les propos tenus par les adultes sur cette femme étonnante. Elle la trouvait mystérieuse, magnifique, et rêvait d’être aussi séduisante qu’elle au même âge. Au cœur des multiples bavardages revenaient régulièrement les fameuses réceptions du Léchat qui aiguisaient la curiosité et l’envie des villageois. Des bigotes illuminées soulignaient que la comtesse avait la beauté du diable et qu’elle appelait les esprits lors de soirées spirites pour conserver une jeunesse éternelle. D’autres, plus prosaïques, étaient persuadés que la drogue circulait à flot et que des orgies se déroulaient là-haut à l’abri des regards. Maud, admirative de Lise, et excitée par tous ces commérages, s’était aventurée quelques fois aux abords du chalet à la nuit tombée. Elle aimait guetter les invités, notamment les femmes qui portaient souvent des tenues excentriques et s’apostrophaient en riant aux éclats. Parfois, réussissant à se glisser sous l’une des fenêtres, elle observait, éblouie, la scène qui s’offrait à ses yeux : de beaux meubles en bois massif mis en valeur par des lumières tamisées, d’étonnantes peintures égayant les murs, et dans un coin de la salle un cocktail varié déposé sur une longue table richement décorée. Les verres en cristal étincelaient alors que lui parvenaient des bribes de conversation mêlées à des airs de musique. Elle n’avait jamais découvert au cours de ses escapades nocturnes des diables fourchus accompagnés de sorcières ou de junkies défoncés. Par contre, elle se souvenait parfaitement de la comtesse, toujours vêtue avec élégance, ses cheveux blonds coiffés en un chignon haut qui dévoilait son port de tête altier.