Les fleurs renaissent toujours au printemps - Tome 2 - Gabrielle Delestre - E-Book

Les fleurs renaissent toujours au printemps - Tome 2 E-Book

Gabrielle Delestre

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Beschreibung

Le bonheur de sa nouvelle vie ne plairait-il pas à tout le monde ?

Malgré son divorce, Florence n'a jamais été aussi entourée. Enfin installée dans sa nouvelle vie, elle remonte doucement la pente. Troquant son métier d'enseignante et sa villa en banlieue pour devenir vendeuse dans un magasin de sport en montagne, Florence s'épanouit dans sa nouvelle colocation et se lie d'amitié avec sa propriétaire, Lise, une comtesse veuve, excentrique et prévenante. Ensemble, elles décident de prendre une troisième colocataire. Elles font alors la connaissance de Margaux, une fille hors du commun, qui vit dans sa camionnette et semble porter un lourd secret. Cette jeune fille libre et farouche se laissera-t-elle apprivoiser par les deux femmes ?

De sa plume douce et sensible. Gabrielle Delestre signe un deuxième tome empreint de bienveillance, dont les personnages sauront faire preuve de résilience et de remise en question.

CE QUE PENSE LA CRITIQUE DU PREMIER TOME

"C'est une belle histoire qui se lit rapidement." @la_bibliotheque_de_bichette (Instagram)
"Un roman feel good sympathique avec des personnages touchants." @marine_bookine (Instagram)
"L'auteure a une écriture agréable à lire, je me ferai un plaisir de lire la suite." @aurelie170617 (Instagram)

À PROPOS DE L'AUTEURE

Passionnée par l’écriture depuis son plus jeune âge, Gabrielle Delestre a été journaliste durant quinze ans. Aujourd’hui, elle est conseillère conjugale et familiale, jonglant entre sa nouvelle vie professionnelle et sa passion pour l’écriture. Elle remporte la deuxième place du concours Feel So Good avec sa saga Les fleurs renaissent toujours au printemps.

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Chapitre 1

Florence ouvrit les volets et prit le temps, comme chaque matin, d’admirer le magnifique paysage qui s’offrait à ses yeux. La vallée d’Abondance en ce milieu d’automne se parait de couleurs flamboyantes qui accentuaient le vert sombre des sapins. Des voiles de brume s’accrochaient aux montagnes, masquant parfois leurs sommets abrupts. Elle s’étonnait encore de la façon dont sa vie avait basculé quelques mois plus tôt. Par un SMS laconique, Romain, son conjoint, lui avait appris qu’il la quittait et voulait divorcer. Rapidement, Florence avait compris que son choix était irrémédiable et que leurs années de mariage pesaient bien peu face à sa maîtresse, Diane Valmont, une splendide Parisienne qu’il avait rencontrée au cours d’une soirée professionnelle et pour laquelle il avait décidé de tout abandonner. En état de choc et profondément meurtrie, Florence s’était sentie dépossédée de tout ce qui donnait sens à son existence. Sans sa fille Anaïs, quelques amies très proches ainsi que son frère Robin et sa femme Sonia, elle aurait été incapable de se reconstruire tant cet échec conjugal l’avait anéantie. Au fil du temps, parce qu’elle était entourée et véritablement aimée, son désir de vivre avait été plus puissant que la souffrance lancinante qui la taraudait jour et nuit, l’empêchant de trouver le sommeil. Imperceptiblement, la beauté de la nature en pleine effervescence printanière avait réveillé son amour de la vie malmené par ce drame. Elle avait alors repris courage et relevé la tête. Sa force de caractère avait fait le reste. Aujourd’hui, elle débutait une nouvelle existence loin de sa région et de tout ce qui lui rappelait son bonheur perdu. Passionnée par la montagne, elle avait fait le choix de s’installer en Haute-Savoie dans le Chablais près de Châtel.

Elle huma l’air frais qui montait de la vallée et un sourire illumina son visage. Tout ici respirait la tranquillité, et ce paysage alpestre égayait son cœur et touchait son âme. À quarante-deux ans, Florence avait largué les amarres pour donner corps à ses rêves et cela l’enthousiasmait malgré les incertitudes de l’avenir. Abandonnant à regret l’embrasure de la fenêtre, elle descendit prendre son petit déjeuner. Lise, la propriétaire des lieux, s’affairait déjà dans la cuisine, et une délicieuse odeur de café chaud flottait dans l’air.

— Bonjour, Florence, avez-vous bien dormi ?

— Oui, merci. Depuis que je vis ici, mes nuits ne sont plus agitées et parsemées de cauchemars, mon sommeil est enfin réparateur !

— Certainement les bienfaits du Léchat. Vous me semblez tellement plus gaie que cet été. Je n’ai pas oublié notre première entrevue et votre soulagement d’être arrivée à bon port.

— Oh moi non plus. Il m’a semblé que je ne parviendrais jamais jusqu’au chalet tant la route m’avait paru longue et défoncée !

Lise se mit à rire. Que de changements pour elle aussi en quelques mois ! Elle avait perdu son mari, le comte Geoffrey du Praz de la Semblière, dans un accident de voiture dix ans plus tôt, et son unique enfant Jean-Charles, avait décidé de s’installer en Guadeloupe. Elle s’était donc retrouvée seule au Léchat, petit hameau du val d’Abondance, dans cet immense chalet dont la vétusté devenait préoccupante. Devant faire face à d’importantes difficultés financières et ne supportant plus la solitude, elle avait eu l’idée de louer des chambres et avait rédigé une annonce dans le journal local à cet effet. Florence avait rencontré la comtesse un après-midi de juillet et avait emménagé quelques semaines plus tard. Un beau matin, Lise avait vu débarquer une camionnette conduite par un charmant grisonnant aux manières affables, suivie d’un C4 dans lequel se trouvait sa future locataire, accompagnée d’une jeune fille blonde souriante et curieuse. Florence avait présenté Anaïs ainsi que son beau-père, Marc. En quelques heures, la petite équipe avait meublé les deux pièces réservées à l’étage et après un déjeuner pris en commun, Marc était reparti sur Dijon pour retrouver sa femme, Adeline. Anaïs désirait rester quelques jours auprès de sa maman avant de commencer sa troisième année de fac de médecine à Strasbourg. À presque vingt ans, elle avait un caractère bien trempé et semblait très protectrice à l’égard de Florence. Plusieurs fois, Lise avait capté dans les grands yeux sombres de la jeune fille de l’inquiétude mêlée à une tristesse indéfinissable.

En effet, lorsqu’elles avaient quitté la départementale pour emprunter une petite route sinueuse qui grimpait à l’assaut de la montagne, Anaïs s’était demandé si sa mère avait bien toute sa tête pour venir vivre ici. Et son cœur s’était serré d’angoisse à la vue de l’immense chalet, à l’aspect peu engageant, entouré de forêts sombres. Posé massivement sur un pan de prairie, il se composait de trois étages ornés de balcons ajourés. Les fondations qui supportaient le premier niveau où courait une balustrade avaient été construites en pierres du pays d’un gris soutenu, alors que l’on avait utilisé de l’épicéa pour le reste de la bâtisse. Des fenêtres étroites entourées de volets détériorés par les intempéries habillaient la façade qui, malgré sa triste apparence, n’en demeurait pas moins imposante. Après avoir gravi quelques marches, on pénétrait dans l’habitation par un sombre vestibule menant au séjour dans lequel trônait une vaste cheminée où figurait une sorte de blason. L’intérieur que Lise avait tenté d’améliorer pour les futures locataires n’en restait pas moins austère. D’un côté s’élançait un escalier en hêtre qui desservait un couloir donnant sur des chambres, et qui masquait en partie l’entrée de la cave. De l’autre côté s’ouvrait la cuisine prolongée par un cellier. Le bois omniprésent s’invitait sur les murs ou dans la réalisation du mobilier que Lise était allée récupérer au grenier avec l’aide d’Antoine, un ami agriculteur qui l’avait beaucoup soutenue après la mort de son conjoint. Une grande table et des bancs occupaient le centre de la pièce. Une armoire rustique et un vieux coffre sculpté complétaient l’ameublement. Mais ce qui avait laissé Anaïs perplexe, bien qu’elle se soit souvenue que la propriétaire était une artiste peintre, était l’immense triptyque dont les teintes acidulées coloraient le chalet d’une manière saugrenue.

Au bout de quelques jours, Anaïs s’était détendue. Florence l’avait emmenée découvrir Châtel, cet adorable village qui avait su garder son charme d’antan malgré l’affluence des touristes à la saison de ski. Elles avaient réalisé quelques randonnées, crapahutant au cœur d’une nature sauvage, dégusté des spécialités locales dans de jolis restaurants, acheté quelques babioles pour décorer l’espace de vie de Florence, et lorsque le moment du départ était arrivé, Anaïs pensait véritablement que sa mère pourrait se plaire dans ce petit coin de Haute-Savoie. Elle avait également été captivée par la personnalité de Lise. Son élégance intemporelle, sa manière de parler très aristocratique et son côté artiste déjantée l’attiraient tout particulièrement. Elle la trouvait belle et mystérieuse et les quelques soirées où la comtesse avait retracé l’histoire de la vallée avec ferveur l’avaient subjuguée.

Florence avait accompagné sa fille jusqu’à Genève, où son père devait la récupérer pour passer quelques jours de vacances en sa compagnie. Elle n’avait pas revu son mari depuis son départ de Besançon, et cette rencontre ne la réjouissait guère. Elle l’avait aimé passionnément et avait terriblement souffert de cette séparation, mais il lui semblait aujourd’hui qu’elle aspirait à autre chose. Avec le temps, les blessures cicatrisaient, atténuant les turbulences qui l’avaient malmenée durant d’interminables semaines. Romain restait le père de sa fille et elle le respectait pour ça, mais il lui semblait que son cœur battait moins la chamade lorsque sa longue silhouette et son visage fin, encadré par des cheveux bouclés, surgissaient à l’improviste au cœur de ses souvenirs. Comment réagirait-elle s’il la sollicitait pour qu’elle lui donne une seconde chance ? Florence voulait se persuader que leur histoire était bel et bien finie et que cette mélancolie qui l’envahissait parfois quand elle revivait des instants marquants de leur vie à deux ne signifiait en aucun cas qu’elle l’aimait encore, mais bien plutôt qu’elle était sur la voie de la guérison.

Du côté de Romain, les choses étaient plus complexes. Paradoxalement, bien qu’il ait pris la décision de la quitter, une émotion qui ressemblait à de la colère l’avait submergé parce que sa femme lui échappait. En outre, il y avait cet Alban, un ancien copain de fac qu’elle avait reçu dans leur maison durant un week-end alors qu’ils étaient tout juste séparés. C’est en faisant visiter la villa à un potentiel acheteur qu’il avait fait sa connaissance, et l’assurance de cet homme lui avait déplu. Il était d’ailleurs persuadé qu’ils étaient amants. L’intense douleur qu’il avait éprouvée en imaginant Florence dans les bras de cet individu lui avait laissé penser qu’il l’aimait encore.

Le trio s’était donné rendez-vous au bord du lac Léman, au début de la jetée des Eaux-Vives, là où se trouve, depuis la fin du dix-neuvième siècle, l’imposant jet d’eau pouvant atteindre cent quarante mètres de hauteur. Les deux femmes étaient parties du Léchat tôt le matin pour profiter des nombreux atouts de cette ville cosmopolite. Elles avaient fait un peu de shopping puis s’étaient promenées dans les jardins qui longent le Léman, appréciant cette luminosité d’automne qui ciselait chaque détail de la nature environnante. Anaïs avait aperçu son père la première et lui avait fait un signe de la main. Il les avait rejointes immédiatement, un sourire égayant son visage. Il les avait trouvées belles, complices et heureuses, et avait ressenti un léger pincement au cœur en se souvenant qu’il n’avait plus sa place au centre de ce duo. Florence, comme à son habitude, était vêtue d’une tenue sport chic qui lui allait à ravir et mettait en valeur son corps modelé par le sport. Ses cheveux châtains étaient plus longs que d’habitude, mais elle les portait toujours dégradés sur le devant avec une frange. Sa peau hâlée rehaussait l’éclat de ses yeux verts pailletés d’or. Anaïs quant à elle, était une blonde à la silhouette longiligne qui possédait un regard presque noir qu’adoucissaient de grands cils courbes. Romain avait perçu tout de suite la froideur de son ex-femme, et cela l’avait chagriné. Il aurait tant aimé qu’ils puissent rester amis et passer de bons moments ensemble. Mais visiblement, Florence ne lui pardonnerait jamais de l’avoir abandonnée et, surtout, d’avoir fait voler en éclat son couple, auquel elle tenait tant et qui était sa plus belle réussite. Mais paradoxalement, plus elle affichait une réserve glaciale à son égard, plus il tentait de conserver un lien entre eux.

De plus, le départ de Florence pour la Haute-Savoie avait mis sa curiosité à rude épreuve. Jamais il n’aurait imaginé qu’elle puisse tout quitter pour aller vivre dans ce qui équivalait pour lui à un trou perdu au cœur d’une nature hostile. Il n’avait jamais apprécié la montagne et tous les sports qui en découlaient, et Florence avait appris à randonner et à skier seule ou avec des amis. Il reconnaissait n’avoir jamais réalisé beaucoup de concessions et s’être laissé choyer dans cette relation de couple. Il ne devrait pas reproduire ces erreurs avec Diane. De toute manière, cette dernière l’évincerait rapidement s’il ne correspondait plus à ce qu’elle attendait. Du coup, il était devenu un compagnon attentionné et à l’écoute de l’autre, alors même qu’il se trouvait sur un siège éjectable.

Le baiser de sa fille l’avait tiré de ses songeries. Il avait proposé d’aller boire un café quelque part, mais Florence avait décliné fermement et Anaïs n’avait pas insisté. Elles s’étaient embrassées longuement et Florence avait retenu ses larmes. Le départ de sa fille venait clore à tout jamais une étape qui lui avait apporté beaucoup de bonheur, mais aussi de nombreuses déceptions, dont le refus de son mari d’avoir un deuxième enfant.

Prenant conscience de la mélancolie qui déferlait sur Anaïs au moment des adieux, elle s’était détachée d’elle et lui avait souri, lui rappelant qu’elles se reverraient régulièrement. Une immense solitude l’avait envahie alors qu’elle rejoignait sa voiture et le doute l’avait assaillie. Serait-elle assez forte pour entamer cette nouvelle tranche de vie ? Aurait-elle le courage de recréer du lien et de se faire des amis ? Saurait-elle retrouver un travail, puisqu’elle avait fait le choix de ne plus exercer son métier d’enseignante pour un temps ? Libre désormais d’agir à sa guise, il lui faudrait s’interroger véritablement sur ses désirs de femme et sur le sens qu’elle voulait donner à son existence.

Chapitre 2

Dès l’emménagement de Florence, la vie de Lise avait été plus légère. Elle avait tout de suite apprécié cette jolie jeune femme amoureuse de la nature et de la montagne. Elle adorait sa franchise et sa spontanéité, mais aussi sa discrétion. En effet, Florence, tout en prenant possession de son nouvel environnement, ne s’était pas imposée. Avec finesse, elle observait la manière de vivre de Lise et intégrait ses habitudes pour ne pas l’incommoder. Rapidement, elles s’étaient organisées pour rendre cette colocation supportable. Elles avaient listé les obligations liées à leur vie commune et avaient opté pour un partage strict des tâches ménagères et de l’entretien des abords du chalet. Dans la journée, chacune vaquait à ses occupations. Lise passait une grande partie de ses après-midi à travailler dans son atelier attenant au séjour. Elle adorait cet espace qui lui était totalement dédié et que son mari avait rénové peu de temps après leur installation. Elle en avait choisi l’agencement complet, et depuis la mort de son conjoint, il était devenu son refuge. L’étroite fenêtre d’origine avait été remplacée par une vaste baie vitrée qui apportait une belle luminosité et rehaussait l’éclat des murs blancs peints à la chaux. Une petite bibliothèque et de nombreuses étagères remplies de tubes de gouache, pinceaux, crayons habillaient un angle de la pièce. Quelques toiles reposaient sur des chevalets et dans un coin, un fauteuil en velours orangé recouvert d’un plaid panaché semblait attendre la venue d’un visiteur. De multiples dessins, esquisses, aquarelles, de formes et couleurs variées, formaient un étonnant patchwork. Lise pouvait passer des journées entières dans son antre – comme elle aimait à nommer son atelier – sans voir personne. Une galerie d’art à Thonon-les-Bains exposait quelques-unes de ses œuvres, et durant la période estivale, elle réalisait parfois quelques bonnes ventes. Elle appréciait également la lecture et se plongeait à corps perdu dans des biographies historiques ou des romans. Florence avait très vite compris que sa propriétaire avait besoin de solitude pour créer et se ressourcer. Ce que nombre d’habitants des villages environnants considéraient comme du mépris n’était en fin de compte qu’une certaine pudeur et le refus d’une transparence et d’un exhibitionnisme concernant sa vie privée.

Au fil des semaines, Florence avait commencé à distinguer les contours de cette personnalité sensible et totalement atypique. Elles avaient pris l’habitude de se retrouver pour le dîner et c’est à l’occasion de ces soirées qu’elles se livraient l’une et l’autre par petites touches, déposant comme un cadeau autour de cette grande table de chêne les différentes pièces du puzzle de leur existence. C’est ainsi que Florence avait appris que Lise était originaire de Saint-Étienne. Fille unique de parents commerçants, elle avait très vite montré des dons pour le dessin et, après son baccalauréat, avait choisi de s’inscrire aux Beaux-Arts de Lyon. Rapidement, elle avait conquis ce milieu estudiantin branché et s’était entourée de nombreux camarades qui adoraient faire la fête et s’amuser. Peu assidue aux cours, elle n’avait pas terminé son cursus et, sur un coup de tête, avait décidé de suivre une amie qui partait travailler à Genève. Pour survivre, elle avait déniché un emploi dans une galerie d’art, et c’est ainsi qu’elle avait fait la rencontre de Geoffrey. Ce grand brun avait un physique plutôt ingrat, mais toute sa personne dégageait une telle noblesse surannée qu’elle était tombée sous le charme instantanément. Propriétaire d’un magasin d’antiquités sur Thonon-les-Bains, il possédait une immense culture, adorait l’art sous toutes ses formes et faisait preuve d’une réelle gentillesse. Lorsqu’il lui avait demandé sa main, un genou à terre face au lac Léman, tenant entre ses doigts la bague en saphir sertie de diamants de son arrière-grand-mère, elle avait tout de suite accepté.

Encore aujourd’hui, sa présence lui manquait terriblement et des larmes perlaient au coin de ses yeux lorsqu’elle évoquait, des tremblements dans la voix, son cher Geoffrey. À part Antoine, dont Florence avait fait la connaissance un beau matin tandis qu’elle nettoyait les abords de l’habitation, Lise ne recevait aucune visite. Ce propriétaire terrien, producteur de fromage d’Abondance, avait tout de suite plu à Florence. Bien charpenté et de stature moyenne, le visage buriné par le temps et le travail au grand air, il respirait la gentillesse et l’honnêteté. Discret, il ne s’éternisait jamais au chalet, mais savait rendre service quand il le fallait. Il avait ainsi à maintes reprises réalisé quelques réparations dans la bâtisse afin que Lise puisse vivre plus confortablement. Mais la comtesse hésitait à le solliciter trop souvent et refusait qu’il s’investisse davantage dans la maison.

Florence affectionnait tout particulièrement ces moments de causeries intimes alors que les lueurs vespérales du couchant teintaient de rose les cimes environnantes. Elle imaginait Geoffrey et Lise dans leur intérieur, recevant des amis artistes ou choisissant ensemble pour leur magasin des objets chinés au hasard de leurs voyages ou de leurs rencontres. Ils s’étaient profondément aimés, et malgré les grandes difficultés qu’ils avaient connues, ils étaient restés unis jusqu’à ce que la mort surprenne brutalement Geoffrey au détour d’un virage rendu glissant par le gel. Elle percevait également des blessures cachées chez celle qu’elle nommait parfois sa comtesse. En effet, à diverses occasions, cette dernière n’avait pas dissimulé son admiration concernant la relation de Florence et de sa fille, soulignant que leur complicité était merveilleuse. Elle avait laissé entendre qu’elle pensait avoir échoué dans son rôle de mère, et parlait peu de ce fils qui avait fait le choix de la quitter peu après le décès de son père.

Florence débutait régulièrement sa journée par une activité sportive. Selon son humeur, elle partait courir ou randonner sur les sentiers environnants. La nature majestueuse la comblait de joie. Elle admirait jusqu’à plus soif ses paysages d’une richesse incomparable où les prairies courtisaient les forêts sombres et denses qui s’étageaient sur les pentes escarpées pour prendre d’assaut les montagnes. Avalant les dénivelés avec une volonté farouche, le corps parfois meurtri par les efforts récurrents qu’elle lui imposait, elle se sentait entièrement libre et savourait un bonheur intense et profond. Il lui semblait être en totale osmose avec cet environnement et puiser à son contact une puissante énergie.

Les températures matinales chutaient de façon conséquente et les premières flambées dans les cheminées apportaient des effluves de bois roussi au cœur de la vallée, qui se mêlaient à l’odeur des champignons dans les sous-bois. Bientôt, les premières neiges napperaient de blanc les Cornettes de Bises et le mont de Grange, plus haut sommet de la vallée d’Abondance. Florence, emmitouflée dans un poncho, était assise à son bureau et réfléchissait aux offres d’emploi qu’elle avait reçues. Sa demande de disponibilité ayant été acceptée, elle n’exercerait plus son métier de professeur de français pendant un an. Deux magasins de sport et un restaurant lui proposaient de travailler à Châtel durant la saison hivernale. C’était une belle aubaine, car malgré la vente de leur superbe maison qui lui avait permis d’obtenir une coquette somme et de se sentir relativement à l’abri du besoin pendant quelque temps, elle ne pouvait s’accorder de rester oisive, d’autant plus qu’elle ferait certainement face à des frais imprévus, comme l’achat d’un 4x4 pour se déplacer en toute sécurité l’hiver. Alors qu’elle s’apprêtait à téléphoner à l’un des propriétaires des boutiques qui avait répondu par l’affirmative à sa demande d’emploi, on frappa doucement à la porte. Lise fit son apparition, ses cheveux d’un blanc immaculé tressés en une longue natte.

— Puis-je entrer, Florence ? J’espère ne pas vous importuner ?

— Pas du tout, Lise, j’ai des réponses positives pour du travail à Châtel et j’allais passer quelques coups de fil, car il faut absolument que je décroche un job pour cet hiver.

— Vous n’aurez, je vous l’assure, aucun souci pour trouver un emploi par ici. La station connaît depuis des années un succès fou, et le nombre de touristes ne cesse de croître. À mon grand désespoir d’ailleurs. Moi qui suis plutôt solitaire et qui ne conçois la nature que vierge et sauvage, je suis parfois horrifiée de voir déferler dans nos villages des hordes de visiteurs affublés de vêtements criards et n’ayant le plus souvent aucune urbanité. On m’a beaucoup reproché mes positions lorsque je m’investissais dans le fonctionnement de la commune et que je tentais de limiter le développement de certaines zones touristiques. J’ai été beaucoup critiquée, et j’ai fini par prendre mes distances. Aujourd’hui, ma vie sociale est excessivement réduite et je n’apprécie guère de côtoyer mes contemporains. De nombreuses rumeurs circulent à mon sujet, et certains vont même jusqu’à penser que mon attachement au passé m’amène à prendre contact régulièrement avec mes aïeux décédés lors de soirées particulières. Ma demeure serait hantée, et je ne suis pas loin d’être une sorcière ou un médium !

Florence éclata de rire, mais elle se souvint des paroles prononcées par Agnès et Gérard Deminzas, qui l’avaient accueillie dans leur maison d’hôtes quand elle était à la recherche d’un appartement. Lise faisait figure de marginale peu fréquentable et lorsque Florence leur avait indiqué qu’elle séjournerait au chalet, elle avait perçu fugacement dans leur regard une certaine appréhension.

— Je vous avais signalé, poursuivit Lise, lorsque nous nous sommes rencontrées la première fois, que je désirais prendre une seconde locataire. J’ai donc déposé une annonce il y a peu de temps, car la période de ski débutera dans un mois et demi et certains saisonniers cherchent à se loger. Plusieurs personnes m’ont appelée hier, et je voulais vous en parler pour que nous choisissions cette future pensionnaire ensemble.

— Oh, c’est très aimable à vous, Lise. Je ne pensais pas avoir mon mot à dire dans ce domaine.

— Bien au contraire, cela me paraît essentiel. Vous vivez dorénavant ici et de ce fait, les décisions sont collégiales. Nous sélectionnerons donc cette personne toutes les deux dès que vous aurez un moment à m’accorder.

— Avec grand plaisir. Je passe quelques coups de fil, j'envoie deux ou trois SMS, et je vous retrouve dans une heure.

Une fois de plus, Florence était touchée par la prévenance de Lise. Extrêmement courtoise, celle-ci faisait tout pour que sa jolie locataire se sente chez elle et reparte du bon pied dans la vie. Avant de rejoindre la comtesse, Florence prit le temps de répondre à quelques proches.

Durant ces longs mois difficiles qui avaient suivi l’annonce de la séparation, elle avait été épaulée par deux amies. L’une, Camille, était sa collègue ; l’autre, Bénédicte, avait été la nounou de sa fille, et était devenue sa confidente. Elles avaient toutes deux été très attristées par son départ, mais elles n’avaient pas tenté de la retenir, comprenant que c’était la seule voie de reconstruction possible pour leur chère amie. Depuis, elles n’avaient cessé de correspondre toutes les trois. Camille, de nature excessivement curieuse, essayait à chacune de leur discussion d’obtenir des informations sur son histoire avec Alban, ce qui agaçait Florence, car elle-même peinait à définir sa relation avec cet ancien copain qui l’avait retrouvée sur Facebook. À quarante-trois ans, ce brun aux yeux bleu océan, féru de montagne et travaillant dans la communication, avait beaucoup de charme. Divorcé et père d’un petit Martin de huit ans, il avait connu Florence sur les bancs de la faculté et semblait ne jamais l’avoir oubliée. Le week-end qu’ils avaient passé ensemble quelques semaines avant son départ avait été une réussite. Ils s’étaient trouvé beaucoup de passions et de centres d’intérêts communs, mais quand Florence avait ressenti son désir d’aller plus loin après leur soirée au restaurant, elle lui avait signifié qu’elle préférait dormir seule. Bien que séparée de Romain, le souvenir de leurs étreintes était profondément ancré dans sa chair, et toute proximité avec un autre corps lui semblait inenvisageable dans l’immédiat. Elle partageait encore au cœur de ses rêves des instants de volupté puissants qui la laissaient anéantie au petit matin, lorsqu’elle prenait conscience que son mari ne ferait plus vibrer sous ses doigts agiles son corps avide de caresses. Certes, elle trouvait Alban très séduisant, attentionné et plein de ressources, mais elle le devinait extrêmement impatient vis-à-vis d’elle, comme s’il tentait de rattraper les années perdues. Et malgré ses promesses de lui accorder du temps et d’accepter qu’ils ne vivent pas leur relation au même rythme, elle ressentait parfois chez lui un besoin de superviser sa vie qui l’exaspérait. Il n’avait d’ailleurs pas supporté son choix de s’installer en Haute-Savoie, et Florence avait ressenti que cette décision avait contrecarré des projets qu’il avait élaborés sans même lui en parler. C’est pourquoi depuis son emménagement au Léchat, elle avait refusé de le revoir, lui signifiant ainsi qu’elle, et elle seule, dirigerait dorénavant son existence.

Après avoir échangé quelques SMS avec ses amies, Florence s’empressa de rejoindre Lise. Elles avaient réaménagé la grande pièce du rez-de-chaussée afin de créer un espace salon très cosy. Un charmant canapé en rotin déniché par Florence dans une boutique ainsi que des poufs bariolés prenaient place autour d’une table basse en épicéa posée sur un tapis de laine écru. Elles appréciaient s’y retrouver après le dîner pour bavarder tout en buvant une tisane de thym à la lueur de jolies bougies que Florence avait disposées au gré de son inspiration.

— Me voici enfin, Lise. J’ai terminé ma correspondance et je suis totalement disponible.

— Très bien. J’ai trois « saisonnières » qui aimeraient s’établir au chalet. Elles seront parmi nous de mi-décembre à mi-avril. L’une est vendeuse dans un magasin de sport à la Chapelle d’Abondance, l’autre travaille dans la restauration à Châtel et la troisième est employée des remontées mécaniques sur le domaine des Portes du Soleil. J’ai conversé avec ces jeunes femmes au téléphone et j’admets que l’une d’elles a piqué ma curiosité. Elle se nomme Margaux Bertinet et fait la saison de ski dans notre vallée depuis deux ans. Jusqu’à présent, elle vivait dans une vieille camionnette transformée en camping-car de fortune sur le parking du Linga, dans des conditions que j’imagine assez précaires. Cette année, elle a décidé de trouver un logement plus décent et m’a appelée à la suite de mon annonce. J’avoue que son profil inclassable me séduit déjà. Elle semble avoir du tempérament, et nos quelques échanges m’ont laissé entrevoir une vie mouvementée et peu commune. Les deux autres personnes paraissent moins marginales, mais l’une a l’air quelque peu autoritaire et l’autre totalement dénuée de fantaisie. Qu’en pensez-vous ?

— Je fais confiance à votre instinct et je suis partante pour accueillir Margaux sous notre toit. Quand la rencontrons-nous ?

— Elle est encore dans le sud et n’arrivera à Châtel que dans une quinzaine de jours. Je ne pourrai pas lui proposer un premier entretien comme je l’ai fait avec vous. Il faut que je donne mon accord sans avoir fait sa connaissance au préalable. Cela vous ennuie-t-il ?

— Après ma rupture avec Romain, j’ai décidé de tout quitter pour découvrir enfin quelles étaient mes véritables aspirations. Je me suis promis de ne pas m’enfermer dans des schémas prédéfinis et d’oser l’aventure si elle se présentait. L’inattendu frappe peut-être à notre porte sous la forme de cette jeune personne. Faisons-lui bon accueil !

Chapitre 3

Il semblait à Florence que jamais ses journées n’avaient été aussi remplies. Elle avait décroché un emploi de vendeuse dans un magasin de sport à Châtel. Son allure dynamique et son côté avenant et posé avaient séduit immédiatement Maud Mougnier, la propriétaire de cette boutique installée dans la rue principale du village. Comme Florence n’avait aucune expérience dans ce domaine, elle lui avait proposé de venir travailler deux jours par semaine pour découvrir la collection et les techniques de marketing. Florence avait tout de suite accepté, soulagée d’avoir un peu de temps pour se familiariser avec son nouveau métier et faire connaissance avec ses collègues.