Résurrection charnelle - Gabrielle Delestre - E-Book

Résurrection charnelle E-Book

Gabrielle Delestre

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Beschreibung

Suite à la perte soudaine de son conjoint, Laura suit les conseil de sa thérapeute et part à Arcachon, là où tout avait commencé quinze ans plus tôt.

Depuis le décès de son conjoint, Laura ne peut plus ressentir aucun plaisir sexuel. Sur les conseils de sa thérapeute, elle retourne en vacances à Arcachon, là où elle avait rencontré son mari quinze ans plus tôt. Là-bas, c’est tout à fait par hasard qu’elle s’inscrit à des cours particuliers de tango. À travers la danse, elle va redonner vie à son corps et renouer avec sa sensualité pour entreprendre une véritable Résurrection charnelle dans les bras de son professeur.

Une romance à la fois mélancolique et pleine d'espoir où une femme, grâce au tango, redonne vie à son corps et à sa sensualité dans les bras de son professeur !

EXTRAIT

Il lui sembla tout à coup qu’il était près d’elle. Elle ressentit sa présence rassurante, la chaleur de sa peau et son parfum épicé. L’air s’était empli de sa fragrance. Elle s’adossa au mur et ferma les yeux. Elle le vit alors nettement. Il était vêtu de son jean délavé et d’un t-shirt vert d’eau. Il s’était approché d’elle, les deux bras tendus contre le mur. Ses lèvres douces effleurant sa bouche puis remontant sur les arcades du nez. Elle sentait son souffle chaud. Elle s’était affaissée tout doucement, tentant désespérément de maintenir ce contact éphémère. Il déposait maintenant des baisers dans ses cheveux et de longs frissons lui parcouraient la nuque. Puis il commença à laisser glisser ses doigts le long de son dos. Avec le plat de sa main, il réalisait de légères rotations, puis remontait le long de la colonne vertébrale. Une bienfaisante chaleur enveloppait peu à peu son corps et une délicieuse langueur prenait possession de tout son être. Ses mots tendres la berçaient la plongeant dans une douce torpeur. Elle essayait désespérément de maintenir ce contact sensuel qui le faisait revivre l’espace d’un instant. Malgré sa volonté farouche et la concentration dont elle faisait preuve pour ne pas se détacher de cette illusion, elle sentit tout à coup un froid intense la pénétrer. Mais pour la première fois, elle n’éclata pas en sanglots. Mue par un nouvel élan, elle se rendit dans sa chambre, ouvrit le tiroir de son petit secrétaire en merisier et en extirpa un calepin.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Passionnée par l’écriture depuis son plus jeune âge, Gabrielle Delestre a été journaliste durant quinze ans. Aujourd’hui, elle est conseillère conjugale et familiale, jonglant entre sa nouvelle vie professionnelle et sa passion pour l’écriture.

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Chapitre 1

Quelques éclats de soleil filtraient par les persiennes entrouvertes et parsemaient la chambre de taches lumineuses. Elle s’étira langoureusement et savoura l’instant présent. Cela faisait une éternité qu’elle n’était pas revenue dans cette adorable station balnéaire de la côte atlantique qu’elle affectionnait particulièrement. L’odeur des pins, sirupeuse et tenace, envahissait la pièce alors que les oiseaux du parc gazouillaient à l’envi saluant l’arrivée de l’été. Elle était en vacances pour plusieurs semaines et la perspective de goûter un quotidien sans contraintes la réjouissait.

Elle se glissa hors de son lit, ouvrit la baie vitrée et se rendit sur le balcon. Le paysage était éblouissant. Au premier plan, le parc s’ornait de superbes pins centenaires et de majestueux palmiers parmi lesquels des lauriers-roses s’épanouissaient. Une trouée de verdure permettait d’apercevoir au loin la ligne bleue de l’océan et quelques voiles immaculées. Laura ferma les yeux et une multitude de souvenirs affluèrent. Arcachon était le lieu de villégiature de ses parents depuis qu’un vieil oncle leur avait laissé en héritage une villa construite dans la ville d’Hiver. Cette dernière, érigée par les banquiers Émile et Isaac Pereire au début des années 1860, possédait un charme atypique. Comme ses voisines, cette maison de maître dévoilait une architecture dite « pittoresque ». Toitures à grand débord, vérandas aux carreaux multicolores, tourelles et pignons lui conféraient un air de modeste château dans lequel Laura avait passé ses plus belles années en compagnie de son frère et de ses cousins.

Elle n’avait jamais oublié la façon inattendue dont elle avait fait la connaissance de Frédéric. Elle avait alors dix-neuf ans. Chaque matin, elle adorait prendre sa bicyclette et faire le tour de la ville. De la jetée du Moulleau au port, en rentrant par la forêt et le plateau des Abatilles, le paysage était à couper le souffle. Parfois, elle abandonnait le centre-ville animé pour rejoindre la piste cyclable qui menait jusqu’à la dune du Pilat. Elle longeait alors de splendides pinèdes. L’océan masqué par les dunes était à portée de main. Lorsqu’elle s’arrêtait pour se désaltérer, le vent lui apportait par bouffées l’odeur iodée des embruns alors qu’au loin, le ressac émettait un bruit sourd et rythmé.

Ce jour-là, elle avait grimpé comme à son habitude jusqu’au sommet du Pilat pour admirer ce paysage sublime. À perte de vue, lagunes et océan, à la merci de courants puissants, dessinaient des arabesques sans fin. Rien n’arrêtait le regard, pas même l’horizon qui se confondait avec les eaux changeantes de l’Atlantique. Laura éprouvait toujours un sentiment merveilleux de liberté. Elle pouvait marcher des heures sur le sable brûlant, le visage caressé par le vent et chauffé par le soleil ou se plonger dans une profonde contemplation, assise face à la mer. Mais lorsqu’elle avait voulu reprendre son vélo ce matin-là au pied de la dune, elle s’était aperçue qu’un de ses pneus était crevé.

Au moment où elle s’apprêtait à rentrer à pied, la bicyclette à la main, un homme d’une trentaine d’années l’avait abordée avec naturel et aisance, lui proposant son aide. Il portait un pantalon de coton blanc et une marinière. Ses cheveux châtains mi-longs encadraient un visage fin aux yeux lavande. Elle ne sut jamais pourquoi elle avait accepté avec tant de facilité qu’il la raccompagne. Son sourire et la franchise de son regard l’avaient peut-être mise en confiance. Durant le trajet, elle avait appris que Frédéric séjournait à Arcachon pour la première fois et qu’il avait l’intention d’y rester une quinzaine de jours.

Laura n’oublia jamais les deux semaines qui suivirent cette rencontre. Arrivée à la villa, elle l’avait invité à boire un verre puis elle lui avait proposé de lui faire découvrir la région. Cet été-là avait changé sa vie. L’adolescente un peu garçonne et insouciante s’était muée, au fil des semaines, en jeune fille désirante et séductrice. Elle choisissait ses tenues avec soin, optant le plus souvent pour un style marin qui lui seyait à merveille et mettait en valeur ses courbes pleines d’harmonie. Heureuse d’être son guide, elle dévorait livres et revues pour parfaire son érudition et lui faire partager les richesses de cette fabuleuse région. Imperceptiblement, au fil de leurs balades, de leurs échanges et de leur contemplation silencieuse de l’océan, s’étaient tissés des liens indéfectibles. Ils étaient tombés amoureux l’un de l’autre et n’envisageaient plus de se quitter.

Animée d’une fougue et d’une insolence propre à la jeunesse, Laura avait épousé un an plus tard, à l’aube de sa vingtième année, cet homme de quinze ans son aîné. Il lui avait tout appris. Il était devenu bien plus que son mari. Il était tout à la fois son mentor, son amant et son ami. À son contact, l’adolescente encore mal dans sa peau et un peu rebelle avait terminé sa croissance. Elle avait mûri et s’était épanouie telle une fleur au soleil. Créative et passionnée de décoration, ses études d’architecte d’intérieur achevées, elle avait décidé d’exercer en libéral. Elle s’était fait un nom au-delà de l’hexagone et voyageait très souvent en Suisse ou en Belgique pour signer des contrats avec des clients fortunés. Frédéric avait toujours respecté son travail et ses choix de vie. Lui-même cadre supérieur au sein d’une entreprise était couramment absent, mais ils avaient toujours su se retrouver pour des moments d’exception au cours de leurs déplacements réciproques ou durant des week-ends prolongés.

Laura avait découvert ce qu’était une relation sexuelle à dix-sept ans, au cours d’une brève idylle avec un garçon de son âge. Cette première fois lui avait permis de découvrir le sexe masculin et de se sentir plus mature. Elle avait tout de même été déçue de ne pas se sentir plus « différente ». Avec Frédéric, elle avait compris ce que voulait dire « faire l’amour ». Elle s’était donnée pleinement, corps, cœur et esprit, découvrant de quelle façon la confiance démultiplie les joies de l’intimité charnelle. Elle lui avait offert comme un don sa jeunesse, son corps ferme et son avidité sensuelle. Il l’avait initiée aux délices de l’amour, lui apprenant à apprivoiser son corps, à l’aimer et à l’offrir savamment, tout en lui faisant découvrir le sien.

Ainsi avait-elle pu, peu à peu, mettre des mots sur ses désirs de femme et ses ressentis. Effleurer et se laisser toucher dans un même mouvement, s’ouvrir à la caresse et choisir d’étreindre librement, décrire la beauté d’une main ou d’un sexe et vibrer sous la délicatesse des mots avant de fondre dans l’ivresse de la rencontre charnelle. Il lui avait appris la patience et l’envie, la fulgurance du désir et la beauté du geste. Elle lui avait offert sa spontanéité et sa pétulance, son impatience et sa truculence. Elle l’avait charmé et désarmé par ses questionnements et parfois ses arrogances lorsque, sûre d’elle, elle s’était affirmée dans ses choix et s’était transformée en une femme sensuelle, avide de plaisir pour elle et son compagnon. Cultivant une vivacité d’esprit étonnante, elle avait su prendre soin de leur relation avec beaucoup de sensibilité et de finesse. Quinze années de bonheur durant lesquelles le couple avait appris à se découvrir, à s’aimer, et à s’enrichir de ses nombreuses différences. Aucun nuage ne voilait ce bonheur conjugal lorsque Frédéric avait eu son accident de voiture.

Jamais elle n’oubliera ce soir d’hiver où elle l’attendait près de la cheminée. Il l’avait appelée pour lui dire qu’il rentrerait très tard à la suite d’une réunion de travail un peu longue. Elle lui avait suggéré de dormir à l’hôtel, car les cinq heures de route risquaient d’être éprouvantes. Il n’avait rien voulu entendre, soulignant qu’il avait envie de retrouver sa femme au plus vite et de la serrer dans ses bras. Une semaine d’absence lui suffisait amplement et il ne supporterait pas d’être encore séparé d’elle ce soir-là. Elle avait capitulé sachant qu’il n’y avait rien à ajouter, sa décision était prise. Elle s’était couchée, angoissée et préoccupée.

Lorsque le téléphone avait sonné à une heure du matin, elle avait bondi, pressentant la catastrophe. La voiture de Frédéric avait glissé sur une plaque de verglas et était allée percuter un arbre de plein fouet. Il était mort sur le coup. Elle avait senti le sol se dérober sous ses pieds. Tout était devenu noir et elle avait sombré.

Le carrelage froid sous sa joue l’avait fait revenir à elle. Frédéric était mort. Elle ne le reverrait jamais plus. Mais tout cela était impossible et n’était qu’un mauvais rêve. On allait certainement la rappeler et lui dire que c’était une erreur. La vie ne pouvait s’arrêter ainsi, si abruptement, sans prévenir. C’était injuste.

Les jours qui suivirent l’annonce de sa mort furent un véritable cauchemar. Il lui sembla qu’elle traversait un brouillard cotonneux où chaque son et sensation étaient assourdis et lointains. Frédéric était un homme connu et aimé tant sur le plan professionnel que privé. L’annonce de son décès et ses funérailles attirèrent de nombreuses personnes qui lui rendirent un dernier hommage. Prévenantes ou compatissantes, curieuses ou éplorées, ces silhouettes remplissaient de leur ombre un écran gris sur lequel Laura allait écrire dorénavant sa vie. Plus aucune couleur. Plus de bleu, celui de ses yeux, indéfinissable, qui virait au gris sous le coup de la colère. Plus de jaune, celui de son t-shirt de promo délavé qu’il adorait enfiler pour bricoler. Plus de vert, celui des champs qui entouraient la maison de son enfance et dans lesquels il se roulait avec délectation les soirs d’été avant de plonger son regard dans les étoiles. Plus de rouge, celui qui montait à ses joues lorsqu’il s’abandonnait à la puissance du plaisir dans ses bras.

Après l’enterrement, Laura se retrouva seule, ayant refusé la proposition de ses parents de rester auprès d’elle quelques jours. C’est alors qu’elle prit pleinement conscience de l’absence de son mari et du manque qui l’habitait. Laura errait sans but dans l’appartement, restant prostrée des heures sur le canapé, un pull de Frédéric autour des épaules, respirant son odeur.

Ses nuits étaient parsemées de rêves étranges et de cauchemars dans lesquels son compagnon était omniprésent. Parfois, il lui faisait l’amour avec fougue et son corps endormi répondait à ses caresses. Une nuit, elle ressentit cette étreinte avec une telle force que lorsqu’elle se réveilla et comprit que ce n’était qu’un rêve, elle éclata en sanglots. Recroquevillée dans son lit et anéantie, elle se dit qu’elle n’arriverait jamais à vivre sans lui. Elle avait besoin de sa présence, de son corps, de sa tendresse et de leur complicité. Elle avait besoin de lui et il l’avait laissée trop tôt. Elle découvrit alors qu’elle ressentait de la colère contre cet homme qui l’avait abandonnée sans la prévenir et sans lui laisser le temps d’accepter son départ. Elle lui en voulait et se sentait trahie.

Le manque violent qui habitait son corps l’enserrait comme un étau. La conscience de l’irréversibilité de sa mort la submergeait et l’anéantissait. Plus jamais il ne lui dirait qu’il adorait son grain de beauté niché au creux de son cou, que son parfum le chavirait et qu’il craquait pour ses cheveux embroussaillés qu’elle n’arrivait jamais à discipliner. Une rage montait en elle contre cet homme qui venait de la quitter. Pourquoi n’avait-il pas été raisonnable ? Pourquoi avait-il pris sa voiture alors que les routes étaient si mauvaises ? Pourquoi n’en faisait-il toujours qu’à sa tête ? Pourquoi... ? Cette nuit-là, elle pleura de longues heures sa tristesse et sa rage, sa colère et son amour perdu.

Le gris de la toile de sa vie l’avait enveloppée durant de longs mois, ces mois qui permettent de faire le deuil, comme disent les psys, d’accepter ou tout du moins, de ne plus souffrir aussi intensément de cette absence et de laisser les émotions fluctuantes et contradictoires envahir le quotidien et le diriger. Laura s’était peu à peu absentée d’elle-même. Recroquevillée sur sa souffrance, elle avait élu domicile dans une petite parcelle de son être où personne ne pouvait l’atteindre, pas même elle. Elle s’était mise en hibernation d’elle-même pour tenir à distance cette souffrance insoutenable. Cette douleur lancinante, rampante, visqueuse qui collait à sa vie et la détruisait à petit feu. Elle y avait si bien réussi, qu’au fil du temps, elle avait oublié d’exister et avait sombré dans une apathie délétère.

Un jour qu’elle croisa son image dans le miroir, elle ne se reconnut pas et s’arrêta, interloquée. Un être décharné lui faisait face. Les joues creusées, les cheveux en bataille, une longue mèche blanche barrant un œil vert sombre ourlé de brun ; la silhouette famélique et légèrement voûtée qui lui faisait face lui fit peur. Était-ce bien elle, cette jeune femme de trente-sept ans, qu’elle avait connue volontaire, amoureuse de la vie, spontanée et pleine de projets ? Elle reçut un électrochoc. Frédéric aurait-il aimé la voir se détruire ainsi, refusant la réalité de la vie, si douloureuse soit-elle ?

Il lui sembla tout à coup qu’il était près d’elle. Elle ressentit sa présence rassurante, la chaleur de sa peau et son parfum épicé. L’air s’était empli de sa fragrance. Elle s’adossa au mur et ferma les yeux. Elle le vit alors nettement. Il était vêtu de son jean délavé et d’un t-shirt vert d’eau. Il s’était approché d’elle, les deux bras tendus contre le mur. Ses lèvres douces effleurant sa bouche puis remontant sur les arcades du nez. Elle sentait son souffle chaud. Elle s’était affaissée tout doucement, tentant désespérément de maintenir ce contact éphémère. Il déposait maintenant des baisers dans ses cheveux et de longs frissons lui parcouraient la nuque. Puis il commença à laisser glisser ses doigts le long de son dos. Avec le plat de sa main, il réalisait de légères rotations, puis remontait le long de la colonne vertébrale. Une bienfaisante chaleur enveloppait peu à peu son corps et une délicieuse langueur prenait possession de tout son être. Ses mots tendres la berçaient la plongeant dans une douce torpeur. Elle essayait désespérément de maintenir ce contact sensuel qui le faisait revivre l’espace d’un instant. Malgré sa volonté farouche et la concentration dont elle faisait preuve pour ne pas se détacher de cette illusion, elle sentit tout à coup un froid intense la pénétrer. Mais pour la première fois, elle n’éclata pas en sanglots. Mue par un nouvel élan, elle se rendit dans sa chambre, ouvrit le tiroir de son petit secrétaire en merisier et en extirpa un calepin.

Après la mort de Frédéric, une amie qui animait des ateliers d’écriture l’avait invitée à rédiger un journal intime pour se libérer de son trop-plein émotionnel. N’y croyant guère, elle avait tout de même joué le jeu et à sa grande surprise, mettre en mots son ressenti lui avait procuré un bien fou. Depuis, elle s’installait régulièrement à son bureau et griffonnait quelques mots. Elle décida donc de s’adresser à Frédéric en ses termes :

Je sais, Frédéric, que tu n’aurais pas supporté que je me détruise. Tu aimais ma force de caractère et mon optimisme. Tu riais de mes joies simples, de mes extases devant les couchers de soleil ou la beauté de l’océan et de ces eaux changeantes. Tu es parti sans me dire adieu, en me laissant seule. La colère qui m’a submergée était à la hauteur de l’amour que je te portais. Je ne pouvais vivre cette absence et je la niais de toute mon âme et de tout mon corps. J’ai tenté de te garder vivant à tout prix et j’ai refusé la réalité de ta mort en m’éclipsant de ma vie pour tenter de te rejoindre. Aujourd’hui, je sais que j’ai fait fausse route. La meilleure façon de ne pas t’oublier est d’accepter que tu ne sois plus là physiquement, afin de reconstruire un lien tout autre, fait de souvenirs, de connivences, mais aussi de colères et de discordes. J’ai le sentiment d’avoir enfin trouvé la paix. Je sens ta présence à l’intérieur de moi. Une présence apaisante et profonde. Une présence qui fera à jamais partie de ma vie que j’ai décidé de poursuivre. Je vais continuer mon histoire sans toi, parce que je t’ai passionnément aimé et que tu l’aurais désiré ainsi.

Chapitre 2

Dès lors, Laura reprit goût à la vie et quelques touches colorées adoucirent son spleen quotidien. Le jaune et le vert primesautiers des printemps successifs égayèrent ses pensées alors que les camaïeux de bruns et de rouge des automnes flamboyants illuminaient ses après-midis. Le blanc cotonneux des hivers l’enveloppa de douceur et lui redonna son goût immodéré pour les beautés de la nature. Reprenant un rythme de travail constant, elle développa son activité, remplit ses carnets de rendez-vous et retrouva une aisance financière. Ses amis la trouvaient épanouie. Elle était de nouveau gaie et pleine d’entrain en société. Pour tous, elle allait mieux et était sortie de l’impasse. Pourtant, Laura n’avait pas refait sa vie et aucun homme ne partageait son existence. Sa meilleure amie avait eu vent de quelques aventures, mais rien de plus. Laura était seule et cette solitude semblait lui convenir.

C’était donc seule qu’elle se retrouvait, en ce début d’été, dans la villa de son enfance qui avait été transformée en deux appartements. En effet, afin de conserver cette maison de maître imposante, les parents de Laura avaient choisi d’en louer une partie pour couvrir certains frais. Mais en ce milieu du mois de juin, elle en était l’unique résidente. Laura et Frédéric avaient pris l’habitude de venir régulièrement séjourner dans cette demeure familiale pour profiter d’Arcachon et de l’océan. C’était un lieu de ressourcement commun. Frédéric savait que Laura adorait cet endroit et il avait appris à l’aimer pour elle. Il avait alors fini par apprécier les longues balades sur les dunes, les périples à bicyclette à travers les forêts de pin ou les sorties en mer sur le voilier d’un ami.

Depuis la mort de Frédéric, Laura s’était refusée à retourner dans cette station balnéaire, témoin de son bonheur d’antan. C’était trop douloureux pour elle. Elle avait d’ailleurs évité tous les lieux qu’ils avaient sillonnés ensemble. Quatre ans déjà qu’il l’avait quittée ! Laura avait le sentiment que c’était hier. Elle allait avoir trente-neuf ans ! Malgré les nombreux souvenirs qui tourbillonnaient formant un kaléidoscope elle se sentait plus sereine. Elle était heureuse de se retrouver parmi des objets familiers. Le mobilier de sa chambre n’avait pas changé. Laura avait choisi elle-même la décoration, dénichant chez les antiquaires d’anciens meubles patinés par le temps. Le blanc des murs mettait en relief les vieilles moulures et les quelques affiches ou gravures disposées ici et là. Face au lit, un grand poster représentait un phare sous la tempête. Quelques cadres reproduisaient des nœuds marins. Un tapis aux arabesques colorées modernisait un parquet de chêne clair. Elle se sentait chez elle.

Elle pouvait aujourd’hui, lui semblait-il, penser à son mari sans qu’une violente souffrance ne l’étreigne, ne la taraude. Il avait une place toute particulière au cœur de son être et c’est bien souvent qu’elle lui partageait ses pensées les plus intimes. Combien de fois avaient-ils fait l’amour dans cette villa après leur journée de voile ou de baignade ? Ils adoraient ces fins d’après-midi où après avoir fait du sport de façon intense, ils s’aimaient alors que le soleil couchant coiffait les dunes d’une longue coulée d’or. Longtemps, ils laissaient l’eau glisser sur leur peau, savourant une douche commune, se savonnant délicatement pour enfin s’effondrer sur le lit à la recherche du corps de l’autre, goûtant goulûment chaque parcelle de leurs peaux. Elle esquissa un sourire à cette pensée.

Depuis la mort de Frédéric, son corps n’avait plus aucune réaction. Il s’était éteint lentement devenant une enveloppe charnelle privée de toutes sensations. Elle qui adorait s’abandonner à la caresse de l’eau ou qui prenait un plaisir extrême à prendre soin de sa peau et à se masser généreusement ne ressentait plus rien. Son corps était devenu de bois. Lorsqu’elle avait tenté de lui redonner vie par des gestes plus intimes, tentant de renouer avec le plaisir, aucun frémissement, aucune onde électrisante ne l’avait parcouru. Ses zones érogènes étaient comme engourdies par une profonde léthargie. Son sexe semblait avoir abandonné toutes velléités de jouissance. Il s’était éteint, refusant de s’ouvrir à la caresse d’un autre sexe. Même sa relation un an plus tard avec un homme qui la courtisait et dont elle avait apprécié la prévenance et l’humour s’était soldée par un échec. Son corps était resté sourd à tout plaisir, refusant les marques d’attention et de douceur.

Après plusieurs déconvenues et sur les conseils de sa meilleure amie qui la sentait inquiète, elle était allée consulter une sexothérapeute pour tenter de comprendre ce qui lui arrivait. Cette dernière l’avait invitée à raconter son histoire. Durant ces séances, Laura avait pu parler de nouveau de Frédéric, de son accident et du vide abyssal qui l’étreignait depuis sa disparition. Elle s’était replongée au cœur de cette nuit terrifiante où le téléphone avait déchiré le silence, la plongeant dans l’horreur. Sa vie entière avait basculé à cet instant. Les nombreuses consultations lui avaient permis de revivre cette chute effroyable. Elle se voyait nettement être aspirée par un trou noir et glisser sans fin au creux d’un tourbillon qui la disloquait. Perdue dans les tréfonds d’un abîme de désespérance, elle avait cessé d’exister et de ressentir quoi que ce soit.