Les fournaises du passé - Jo-Rémi Faye - E-Book

Les fournaises du passé E-Book

Jo-Rémi Faye

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  • Herausgeber: Encre Rouge
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2022
Beschreibung

L’heure de la retraite a sonné pour l’Adjudant-Chef Constant Goupil. En guise d’adieu, ses collègues de la Brigade de Gendarmerie d’Olliergues et son épouse Marinette lui font la surprise d’un voyage à l’Île de la Réunion.
Ce retour sur les lieux, où il avait passé une partie de sa carrière, ne va pas être de tout repos.
Sans le savoir, sa venue sur cette île va occasionner une série d’évènements tragiques. Les forces de la nature semblent se déchainer contre lui.
Tandis que le Piton de la Fournaise entre en éruption, des légendes vont soudainement rejaillir.
Le passé de l’ancien Adjudant-Chef de la Gendarmerie va refaire surface au point de déclencher les foudres de Marinette.
Il ne se doutait pas à quel point les sentiers escarpés et la végétation luxuriante de cette île pouvaient laisser autant de traces dans les mémoires des randonneurs.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Auteur depuis 2018 né à Clermont-Ferrand, j’ai exercé à partir de 1999 des missions au sein des collectivités territoriales.
Attaché Territorial au Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes, je suis actuellement Chargé d’Affaires Juridiques.
Mes activités extra-professionnelles sont nombreuses :
Président durant sept ans de l’Association du Personnel de ma collectivité.
Bénévole au sein d’associations participant à des projets d’attractivité du territoire, Trésorier et Vice-Président d’un Comité des Fêtes, organisateur d’animations pour une commune rurale.
Altruiste, j’aime m’impliquer dans les questions de société, de management des organisations, de prévention des risques psychosociaux, de bien-être et de développement personnel.
Mes centres d’intérêt sont le jardinage, la musique, la cuisine et les bons restaurants, sans oublier bien sûr la littérature (romans, essais et poésie).

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Jo-Rémi FAYE

Les fournaises du passé

Prologue

L’existence nous réserve parfois bien des surprises. Nul n’est censé ignorer les incidences de nos actions passées dans le déroulement de notre futur. Nous éprouvons pourtant tous le besoin de revenir sur les lieux qui nous ont marqués. Notre quotidien illustre bien ce bon vieil adage que l’on fait graver sur les plaques de cercueil « Les années passent, mais les souvenirs restent ».

Un évènement malheureux, soudain, surgit sur notre parcours et nous rappelle cruellement combien il est important de vivre, de ne pas nous égarer mais de nous recentrer sur ce qui compte le plus au fond de nous.

Pour autant, il ne faut rien regretter. « Life’s what you make it » est le titre d’une chanson du célèbre groupe anglais Talk Talk. La vie est en effet ce que nous en faisons.

Comme j’aime souvent l’exprimer, « l’écriture est un jardin de pensées », elles fleurissent dans la tête de leurs auteurs et leurs effluves se répandent dans le cœur de quelques lectrices et lecteurs avec l’espoir qu’elles embellissent leurs journées.

L’existence m’a donné cette chance de vous faire partager les souvenirs rocambolesques d’un voyage de noce qui s’est déroulé au cœur de l’île de la Réunion. Bien évidemment, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite.

La réalité s’est déformée au fil de ma plume, représentée sous les traits d’un Adjudant-Chef Constant Goupil truculent à souhait mais malmené par la résurgence d’un passé qui vient lui empoisonner les premières heures de sa retraite.

N’oubliez jamais ce voyage magique, cette plongée dans les décors majestueux du Livradois-Forez et les paysages vertigineux de l’île mystérieuse de la Réunion, ne serait-ce que pour entretenir les légendes !

      Jo-Rémi FAYE

PARTIE 1

Cap sur l’île Bourbon

« Fé lève la mort » - Proverbe réunionnais

1 – Une retraite officialisée

Une foule s’entassait sous les arcades fleuries de cette ancienne halle aux grains. D’habitude, le samedi, le bas de la mairie ronde d’Ambert servait d’abri aux marchands et producteurs locaux. Les négociations allaient bon train pour obtenir un prix à l’occasion de l’achat d’un coq ou de poules dans l’espoir d’une meilleure production d’œufs pour les besoins de la famille.

Pourtant, ce jour-là, il n’était nullement question de poulailler mais d’une nuée d’uniformes de gendarmes et de notables tirés à quatre épingles.

Un attroupement de badauds se formait, médusés par ce curieux spectacle et cette agitation soudaine.

Midi sonna au clocher Renaissance de l’église Saint-Jean. Son style gothique flamboyant faisait la fierté des Ambertois.

D’un pas cadencé, les gendarmes montèrent les premières marches de la Mairie suivis du sous-préfet d’Ambert, fraîchement nommé, Gaspard Légal et d’un grand nombre de personnalités invitées à cet évènement.

Au cœur de ce bâtiment à la forme insolite et circulaire dont l’architecture rappelait la halle aux blés de Paris, se trouvait la salle des mariages. Le discours se faisait attendre.

Des employés municipaux des services techniques de la ville faisaient les derniers réglages des micros.

Le sous-Préfet Légal, droit comme i, était devant le pupitre, avec des papiers à la main, prêt à débiter un flot de paroles préparé minutieusement à l’avance pour célébrer le départ à la retraite de l’Adjudant-Chef Constant Goupil.

***

Un bruit de larsen strident se répandit dans toute la pièce.

L’air grave de Constant Goupil fit place à une mimique faciale qui exprimait la colère.

⸺ C’est-y pas Dieu possible de ne pas avoir fait des essais avant la réception ! Ils veulent nous rendre sourds ! s’exclama-t-il en présence à ses côtés de son épouse Marinette.

⸺ Calme-toi mon chouchou, lui murmura-t-elle. Ce n’est pas le moment de te mettre à dos tous les invités.

Le sous-Préfet qui n’avait rien raté de la scène se racla la gorge, un peu gêné et se lança dans le discours tant attendu.

⸺ Mesdames, Messieurs, permettez-moi avant de commencer cette harangue de me présenter. Comme vous le savez peut-être depuis peu, je suis votre nouveau sous-Préfet depuis deux semaines. Après dix années passées en tant que serviteur de l’État sur l’île de Beauté, me voici débarqué parmi vous, sur vos vertes terres d’Arvernes. Soyez assuré que je saurai être la colonne vertébrale de l’État dans vos territoires, et que toute mon action portera sur le respect de l’application des lois, l’ordre et la recherche du bien commun …

L’Adjudant-Chef Constant Goupil commençait à trépigner d’impatience. Depuis quelques secondes, il tournait dans tous les sens ses moustaches en guidon.

⸺ Bon … Cela commence à bien faire. Qui célèbre-t-on aujourd’hui ? Lui ou moi ? s’indigna-t-il auprès de son épouse.

⸺ Laisse-lui le temps de se présenter. Dis-toi bien que les sous-préfets ce sont comme les préfous, il faut qu’ils mettent les bouchées doubles avant qu’ils nous aillent ! plaisanta Marinette.

L’Adjudant-Chef Constant Goupil éclata de rire.

Son rire était tellement fort que tout le monde se retourna vers lui.

Cela eut l’avantage de stopper net le discours mal engagé du sous-Préfet.

⸺ … Pour en revenir au sujet qui nous rassemble, nous voici tous réunis aujourd’hui, en ce 3ème samedi calendaire du mois d’août 1992 …

⸺ Prête ton oreille Marinette ! Le sous-Préfet se prend pour un prêtre en plein homélie du haut de sa chaire ! glissa Constant à l’oreille de Marinette.

À son tour, Marinette fut prise d’un fou rire et de quelques hoquets. Cela fut tellement communicatif que toute l’assemblée ne se fit pas prier pour rire à gorges déployées.

Il est vrai que le ton solennel de ce début de discours avait comme quelque chose d’irrésistible.

Le sous-Préfet Légal se sentit soudainement seul. Il attendit que tout le monde se calme avant de reprendre de plus belle et à aller droit au but.

⸺ … Mon Adjudant-Chef, c’est avec un immense plaisir que nous sommes ici réunis pour vous témoigner notre reconnaissance pour l’exemplarité de vos actions pour le bien des habitants de ce territoire et de celui d’Outre-mer dont vous avez fait preuve tout au long des années de votre carrière.

Je ne raconterai pas dans le détail toutes les initiatives que vous avez déployées, tous les renoncements, les sacrifices que vous avez parfois dû faire au détriment de nuits de sommeil avec votre charmante compagne rencontrée au cours de votre périple de quatorze années à l’Ile de Réunion que vous avez épousée.

Je me permettrai tout de même de relater les principaux épisodes et temps forts de votre parcours.

Vous avez commencé votre carrière de gendarme à l’âge de 23 ans en 1955 à la Brigade de Tauves. Après quinze années de bons et loyaux services, votre vœu d’exercer dans des contrées plus exotiques a été entendu par votre hiérarchie …

Constant Goupil savait en son for intérieur que ce départ n’avait pas été à l’origine voulu mais précipité à la suite d’une idylle qu’il avait eue avec la femme d’un collègue gendarme en son absence. Pour éviter le scandale dans le village, il avait prétexté à l’époque qu’il s’agissait d’une promotion, selon ses termes, « paradisiaque ».

⸺ … C’est en l’an 70 que vous avez atterri sur l’île Bourbon comme on la désignait encore en 1810. Durant quatorze précieuses années, vous avez exercé avec brio votre métier au Peloton de Gendarmerie de la Réunion plus communément appelé PG de la Réunion. En ces lieux merveilleux, vous n’avez pas ménagé vos efforts et avez mis vos talents de sportif au service des résidents de cet île. Vous avez surveillé les colères de l’un des volcans les plus réputés et actifs au monde, le Piton de la Fournaise, assurer la sécurité des touristes qui, fascinés par le spectacle des éruptions, bravaient les interdits au risque de leur vie en se rendant au plus près de la lave incandescente. Combien de fois avez-vous sillonné avec l’hélicoptère du Peloton l’espace aérien de la Réunion pour secourir des promeneurs en difficulté dans des endroits étroits, difficile d’accès pour des services de secours classiques ? J’épargnerai à l’assistance le nombre de kilomètres que vous avez dû parcourir sur les sentiers abrupts de randonnée de cette île mystérieuse et périlleuse à la recherche de personnes disparues ou victimes d’accidents.

C’est au lendemain d’un accident certainement dû à la fatigue sur la coulée de lave de 1977, qui, à l’époque, avait traversé Piton Sainte-Rose, détruit des maisons et une station d’essence sur son passage pour s’arrêter devant une église, que vous avez pris la décision de regagner la métropole.

C’est donc en 1984 que vous avez posé vos valises avec votre épouse réunionnaise à la Brigade de Gendarmerie d’Olliergues.

Votre venue sur notre territoire a été une bénédiction. Durant ces huit ans, votre dextérité, votre sens du devoir, votre professionnalisme et bien d’autres qualités que je ne citerai pas pour ne pas être trop long, ont permis de faire baisser toutes les formes d’incivilités, de diminuer de 22% les vols, dégradations, atteintes aux personnes et aux biens.

Depuis votre arrivée, le bilan des activités de la Brigade de Gendarmerie d’Olliergues est au-delà de toute espérance. Le taux d’élucidation n’a jamais été aussi élevé, soulignant ainsi la sagacité, l’opiniâtreté et la persévérance dont vous avez su faire preuve quelle que soit l’épreuve.

Je ne manquerai pas non plus de souligner les bons résultats en matière de sécurité routière. La mobilisation de vos équipes a permis une diminution considérable de 26% du nombre de blessés et de tués sur les routes du Livradois-Forez.

Nous ne pouvons que nous réjouir de ces excellents chiffres.

Grâce à votre action, vous avez contribué à freiner le sentiment d’insécurité qui peut parfois se développer dans les endroits les moins fréquentés de nos villages, à rendre nos routes plus sûres, à mieux faire respecter l’ordre républicain.

Vous avez enfin su développer avec les habitants et les élus de ce territoire une véritable relation de proximité et c’est justement au nom de ce lien de confiance et d’accessibilité que vous avez su établir avec nous tous, que nous vous remercions chaleureusement.

Nous vous souhaitons du fond du cœur une agréable retraite qui ne regrette pas les bons moments passés mais qui prenne la forme d’une quête vers de nouvelles enquêtes ! Qu’en dites-vous ?

Les applaudissements se mirent à fuser de toutes parts.

L’Adjudant-Chef Constant Goupil prenait subitement conscience que tous ces compliments flatteurs lui étaient destinés. Il ne put s’empêcher de rougir tellement l’émotion était forte.

Marinette aperçut même des larmes prêtes à couler des yeux de son mari. Elle était véritablement fière de lui et lui serrait fortement la main.

⸺ Allez, cela va être à ton tour de parler. Ne t’inquiète pas, tu vas assurer, lui dit tendrement Marinette.

Constant Goupil respira un bon coup et s’exécuta.

⸺ Merci M. Le Sous-Préfet pour tous ces compliments qui me vont droit au cœur. À mon tour donc de prendre la parole … Je vais essayer de faire court. Merci d’être venus aussi nombreux, cela me touche forcément. Bien évidemment, je ne vais pas ici retracer toute ma carrière mais juste les moments les plus croustillants. Que dire ? Tout d’abord, que durant ces trente-sept années de service, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer. Ensuite, si je fais une rétrospective, que je ne regrette rien, non rien de rien. Peut-être une chose malgré tout. Je présente mes excuses à mes précieux collègues qui ont souvent subi mes sautes d’humeur et mes coups de sang au quotidien. J’espère qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur et que nous resterons les meilleurs amis du monde … J’ai donc passé près de quarante ans sous cet uniforme et j’ai commencé mon service avec ce képi moulé de travers. Je ne voulais surtout pas manquer cette occasion de vous l’emmener. Il symbolise à lui seul la dureté de cette profession qui, parfois, vous mets la tête à l’envers. Toutefois, quelle joie de pouvoir compter sur la détermination, la lucidité, la rapidité d’esprit et la disponibilité de ses adjoints qui m’ont accompagné tout au long de ces années pour résoudre brillamment des enquêtes judiciaires, sur les contrôles routiers, ou sur tout autre type de missions fastidieuses ou dangereuses !

Comment, par exemple, ne pas évoquer l’anecdote qui est arrivée à mon collègue Clément lors d’un déplacement qui, par inadvertance, a laissé son képi sur le toit de la voiture de gendarmerie ? Je me rappellerai pour longtemps nos échauffourées avec les bikers lors du grand rassemblement de motards et de Harley Davidson à quelques pas d’ici au Pays de Cunlhat ou encore notre immersion chez les hippies.

Je ne vous épargnerai pas les folles nuits que nous avons passées à tenter de prendre en tenaille les fans de techno lors des rave party. Je me souviens notamment de cette fille au regard hagard quelque peu défoncée qui venait vers moi pour me dire « la musique, c’est l’amour » ! …

Les anecdotes de l’Adjudant-Chef Goupil faisaient leur effet sur le public en liesse. Constant Goupil reprit son discours.

⸺ D’amour, il est en effet question. J’ai vraiment aimé ce métier. Je l’ai épousé et aimé comme ma femme. Je ne remercierai jamais assez celle qui a été durant toutes ces années à mes côtés, à me soutenir, à me conseiller lorsque j’avais des doutes et à me recadrer quand cela était nécessaire.

Il est temps maintenant que je vous remercie toutes et tous. Vous me manquerez. Pour me consoler, je me remémorerai tous ces instants que je ne suis pas prêt d’oublier.

Finies les nuits blanches, les pyjamas enlevés à la hâte pour enfiler en quatrième vitesse l’uniforme, finis les appels de collègues affolés sur le terrain !

C’est bien sûr avec un certain pincement de cœur que je vais devoir maintenant quitter mes sœurs et frères d’armes. J’espère avoir su montrer l’exemple et que la relève sera tout aussi redoutable pour assurer le confort de nos concitoyens.

C’est donc une page qui se tourne mais un nouveau chapitre qui s’ouvre, peut-être moins trépidant mais pas pour autant moins passionnant.

Pour la dernière fois, je baisse mon képi de travers pour la fierté que j’aie eue de servir cette noble institution qui a su me rendre heureux.

Je vais m’arrêter là car il se fait tard, et en plus, j’ai la gorge sèche. Il va falloir que je m’hydrate, bien sûr avec modération, car comme nous le savons tous, la gendarmerie est un corps d’élite et non un corps des litres.

Je vois que certains d’entre vous commencent à lorgner du coin de l’œil les petits fours sur les tables.

Alors, champagne et que la fête nous accompagne !

Les adjoints de l’Adjudant-Chef, Clément et Prudence furent les premiers à se diriger vers les tables, à se faufiler entre les invités pour être les premiers à se jeter sur les toasts de jambon aux figues et à la fourme d’Ambert. Sans qu’ils s’en rendent compte, cela donnait vraiment l’impression qu’ils jouaient les pique-assiettes. Mais il est vrai que cela n’était plus tenable. Ces discours avaient trop duré. Leur appétit était insatiable.

Pendant ce temps, Constant Goupil était harcelé de questions par les convives présents, en particulier, sur ses futures activités de retraité.

Pour la énième fois, il martela la même réponse.

⸺ Ne vous en faîtes pas, je serai bien m’occuper, je ferai du bricolage, je jardinerai et je voyagerai …

Prudence surgit alors de la foule et se plaça devant Constant.

⸺ Justement, mon Adjudant-Chef, comme vous avez souvent voyagé durant votre vie, nous nous sommes dit que vous ne refuseriez pas une excursion de plus. Aussi, nous avons le plaisir de vous offrir un voyage à l’Ile de la Réunion pour trois semaines. Le départ est prévu dans deux jours juste le temps de préparer vos bagages !

Elle lui tendit une enveloppe qui contenait des billets d’avion.

Constant Goupil était troublé. Il se mit même à bégayer.

⸺ Mais … mais, je ne m’atten…ten…dais pas…pas à cela ! Marinette, étais-tu au courant ?

⸺ Mais bien évidemment, grand bêta, lui dit-elle amusée. Tous tes collègues et amis ont souhaité te faire la surprise.

⸺ Je ne veux toutefois pas m’y rendre seul.

⸺ Ouvre ton enveloppe et tu verras qu’il y a deux billets d’avion, je n’allais tout de même pas te laisser partir seul, lui rétorqua-t-elle.

Constant poussa un soupir de soulagement et reprit ses esprits.

⸺ Comment tous vous remercier ?

⸺ En nous envoyant des cartes postales de la Réunion ! lui répondit Clément.

La cérémonie de départ à la retraite de l’Adjudant-Chef se poursuivit tard dans l’après-midi.

Dans un brouhaha incessant, les discussions enjouées et les coupes de champagne s’enchaînèrent à un rythme effréné.

À la fin de la réception, certains invités rencontrèrent même quelques difficultés pour descendre les escaliers de la mairie ronde.

Il était certain que ce soir-là, les routes du Livradois-Forez n’allaient pas connaître de contrôles routiers, et qu’en ces lieux, la nuit allait appartenir aux gendarmes couchés.

2 – Un départ mouvementé

⸺ Dépêche-toi, Constant. On va finir par rater l’avion ! s’impatientait Marinette.

L’Adjudant-Chef s’évertuait à rentrer les derniers vêtements dans sa valise. Il s’assit dessus pour tasser le tout.

⸺ On n’a pas idée de mettre autant de fringues, grogna Constant.

⸺ Tu seras bien content de pouvoir te changer plus souvent, assura Marinette.

⸺ C’est surtout que tes vêtements et ta trousse de toilette prennent toute la place, maugréa Constant.

⸺ Allons donc, cesse de faire le macho. Tu as voulu que j’emporte la boîte à médicaments. Cela pèse son poids. Tu es souvent malade dans les transports mon chéri, lui fit remarquer Marinette.

⸺ N’oublie pas que nous partons pour trois semaines à la Réunion, ajouta-t-elle.

⸺ Peut-être bien, Pitouche …

Pitouche était le surnom affectueux que Constant donnait à son épouse.

⸺ … Je n’ai juste besoin que de chemises, de tee-shirts, de shorts et de maillots de bain, affirma Constant.

⸺ Méfie-toi, les nuits sont parfois fraîches au mois d’août à la Réunion, c’est l’hiver austral là-bas !

⸺ Ce n’est tout de même pas le Nord, s’esclaffa Constant.

⸺ Il est même arrivé qu’en cette saison les Réunions ont vu le Piton des Neiges recouvert d’un manteau blanc, insista Marinette.

Point culminant de l’Ile de la Réunion à 3 070 mètres, ce volcan endormi depuis 120 siècles fait le bonheur de randonneurs aguerris et équipés qui viennent contempler de somptueux levers du soleil.

⸺ … Tu plaisantes, s’écria Constant. Nous n’allons tout de même pas monter au Piton des Neiges, que je sache ! Nous logeons dans une case créole d’Hell-Bourg à seulement 930 m.

Hell-Bourg est l’un des îlets les plus réputés du cirque de Salazie. Ce village créole, entouré de montagnes vertigineuses, verticales et verdoyantes, a conservé une authenticité. Il s’agit d’une ancienne station thermale dont l’activité a disparu à la suite d’un cyclone en 1948 qui déclencha un éboulement. Dans les ruelles de ce village, le promeneur découvre de magnifiques cases créoles colorées et des jardins botaniques exceptionnels.

Marinette acquiesça la remarque de Constant mais elle n’en démordit pas pour autant.

⸺ Tu as en partie raison, mais nous devons prévoir une petite laine pour les soirs.

Dix minutes suffirent pour boucler les bagages.

Ils sortirent de leur logement pour rejoindre Prudence, l’adjointe à l’Adjudant-Chef qui les attendaient pour les emmener à destination de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry.

Elle les accueillit avec le sourire.

⸺ Alors, les amoureux ? Prêt pour le grand voyage ?

Elle était fière de pouvoir rendre service une nouvelle fois à son Adjudant-Chef.

La Brigade de Gendarmerie d’Olliergues avait accepté de lui laisser pour l’occasion une 4L Renault bleu ciel qui avait au compteur plus de 200 000 km.

L’Adjudant-Chef s’était installé à l’avant de véhicule.

Prudence voulut faire une marche arrière, mais la vitesse avait du mal à passer.

Elle prit son élan, et, d’un geste assuré, elle tira le pommeau du levier de vitesse. Dans l’action, Prudence heurta le genou de l’Adjudant-Chef Goupil. Celui-ci cria de douleur.

⸺ Mais vous êtes folle ! Vous venez de me péter le genou !

⸺ Oh, désolé, mon Adjudant-Chef ! Je suis confuse ! C’est cette satanée de 4L, elle se rouille de partout, déclara-t-elle.

⸺ Vous êtes parfois un peu trop brusque, Prudence. Il va falloir que vous vous détendiez quand vous êtes au volant, souligna Constant tout en se massant le genou.

⸺ Tu peux bien parler ! rétorqua Marinette. Il me semble que tu te mets dans tous tes états quand, sur la route, tu rencontres des chauffards ou au contraire des trainards !

⸺ Ne mélange pas tout, Marinette, s’emporta Constant. Là il est question de mon genou.

La route se poursuivit.

Marinette se mit à entonner une chanson maloya traditionnelle.

Le maloya est à la fois une musique, un chant et une danse de la Réunion. Transmis depuis plusieurs générations sur cette île, cet art a été apporté par les esclaves venus d’Afrique de l’Est ou de Madagascar. Le maloya exprime la douleur et la révolte chez ces esclaves dans les plantations sucrières de la Réunion.

Quand, soudain, près de Noirétable, la 4L se mit à tressauter jusqu’à s’arrêter.

⸺ Eh bien, Prudence ? Que vous arrive-t-il ? Vous ne me faîtes pas le coup de la panne, tout de même ? se moqua l’Adjudant-Chef.

Soudain, une fumée sortit du capot.

⸺ Je ne sais pas ce qui se passe, mon Adjudant-Chef. J’avais demandé à Clément de vérifier l’état de la voiture, je pensais qu’il n’y aurait pas de problème, balbutia Prudence.

Constant sortit agacé de la voiture ;

⸺ Aidez-moi à pousser la voiture jusqu’à la bande d’arrêt-urgence.

Juste à ce moment-là, surgit d’un chemin un tracteur d’un autre temps qui faisait des pétarades. Il était conduit par un agriculteur au visage tuméfié sans doute en grande partie par l’eau de vie de prune qu’il consommait quotidiennement. Il fumait une Gitane maïs roulée à la main.

⸺ Eh bien ! Vous avez de la chance que je passe par là. Vous n’alliez tout de même pas faire pousser cette épave par cette jolie dame ?! dit-il en s’adressant à l’Adjudant-Chef.

Il prit une grosse corde qu’il fixa solidement aux points d’ancrage de la 4L et du tracteur.

⸺ Je n’allais pas laisser d’aussi braves gens se sentir désarmés face à l’adversité. Je vous la remorque jusqu’à chez moi, vous prendrez bien une petite goutte pour vous remettre de vos émotions ? leur demanda-t-il tout guilleret.

⸺ Nous n’allons pas abuser de votre aimable charité, déclara Constant qui sentait s’exhaler dans l’air des vapeurs d’alcool.

⸺ C’est à moins de 500 mètres, cela vous reposera, insista l’agriculteur.

⸺ Il faut que j’appelle la Brigade pour qu’il vienne récupérer la 4L, et que Clément nous transporte jusqu’à l’aéroport, annonça l’Adjudant-Chef.

⸺ Eh beh, quelle journée ! J’apprends maintenant que les gendarmes se font la belle ! se moqua l’agriculteur.

⸺ Je vous en prie, épargnez-nous vos remarques, cher Monsieur, vous n’aimeriez pas que nous vous fassions souffler dans le ballon ? interrogea Constant quelque peu énervé.

⸺ Désolé de vous avoir offensé monsieur le gendarme. Je ne veux que vous rendre service, bredouilla l’agriculteur tout en titubant.

L’opération de remorquage fut rapide. Les gendarmes furent vite transportés jusqu’à la ferme de l’agriculteur.

À peine arrivés sur place, Constant saisit le talkie-walkie de la 4L pour joindre la Brigade. Il reconnut alors une voix qui lui était familière. Clément lui répondit.

⸺ Brigade de Gendarmerie d’Olliergues, Clément à votre service …

L’Adjudant-Chef sortit de ses gonds et se mit à hurler.

⸺ … Clément, vous allez me faire le plaisir de laisser les formules de politesse et ramener vos fesses tout de suite ! Notre 4L chancelle ! Vous ne deviez pas la réviser, il me semble ?

Durant quelques secondes, Clément ne pipait pas mot. Il prit sa respiration et se mit à bégayer.

⸺ C’est que … mon Ad …ju …ju… dant-Chef, elle est vieille la … la … 4L !

⸺ Ramenez-vous ici le plus vite possible, nous devons être à l’heure à l’aéroport ! lui ordonna Constant.

⸺ Je pars de ce pas prendre la Renault 21 Turbo, lui répondit Clément.

La Brigade de Gendarmerie d’Olliergues avait acquis depuis peu le dernier modèle de cette voiture et le personnel en était fier.

Clément ne mit pas longtemps pour arriver.

L’agriculteur qui avait assisté à toutes les conversations depuis un moment reprit la parole.

⸺ Maintenant que vous êtes tous réunis, vous allez me faire plaisir de goûter ma vipérine spécial maison ! hurla l’agriculteur et posa d’un geste assuré une bouteille dans laquelle se trouvait enfermée une vipère morte.

⸺ Pas pendant le service, déclara Prudence.

⸺ C’est que nous prenons l’avion ensuite, ajouta Marinette.

⸺ Ne soyez pas timides, ne vous en faîtes pas, il n’y aura pas de contrôle d’alcootest ! s’esclaffa l’agriculteur tout en remplissant en même temps de petits verres d’apéritif.

⸺ Maintenant que je vous ai servis, vous n’allez pas faire la fine bouche, déclara-t-il. Il faut le boire cul-sec ! ajouta l’agriculteur.

Clément fut le premier à se lancer tandis que Prudence continuait à regarder effrayée la vipère dans la bouteille.

Clément devint rouge cramoisi, il crut qu’il allait s’étouffer. Il n’arrivait plus à sortir un son de la bouche.

À son tour, l’Adjudant-Chef se risqua à l’aventure. Il se tourna vers Marinette, ses yeux sortaient de l’orbite. Il finit par s’exprimer.

⸺ Marinette, ne bois pas ça ! C’est un tord-boyaux votre  vipérine ! beugla Constant.

⸺ Il vous faut bien ça pour prendre l’avion. Ça rince le gosier, n’est-ce pas ? Ici on carbure à la vipérine pour dépanner l’hiver les citadins qui s’aventurent sur nos chemins quand ils neigent et qui dérapent dans nos fossés.

Marinette n’osa pas boire une gorgée.

Prudence se dit finalement qu’elle n’aurait pas d’autres occasions de goûter à cette eau-de-vie venimeuse.

Elle respira un bon coup et n’hésita pas pour avaler tout le contenu du verre.

Elle eut tout d’abord l’impression de s’enflammer, puis, l’effet passé, elle déclara :

⸺ C’est de la bombe votre vipérine, cher Monsieur.

⸺ Ah, je suis content ! Vous êtes Madame, une vraie montagnarde, allez, tenez, encore une goutte ! déclara triomphant l’agriculteur.

Il remplit à nouveau à rebord son verre.

Prudence ne se fit pas prier et but cul-sec le verre.

Elle se mit alors à rire sans raison.

⸺ Bon ! Nous avons assez traîné comme cela, il va falloir Clément que vous nous emmeniez à l’aéroport, ordonna l’Adjudant-Chef.

⸺ Avant que vous ne partiez, j’aurais une demande à vous faire, avisa l’agriculteur.

⸺ Pourriez-vous s’il vous plait me laisser votre 4L ? Elle ne vous servira plus à grand-chose. J’aimerais bien l’utiliser pour mettre mes ruches, proposa l’agriculteur.

⸺ Qu’à cela ne tienne, si cela peut vous faire plaisir, dit Constant.

Tous se mirent alors à transférer rapidement les bagages d’une voiture à l’autre. Prudence avait du mal à se tenir debout.

Au bout de dix minutes, ils étaient enfin prêts.

Ils partirent en trombe en direction de l’aéroport.