Les lueurs de Danapi - Manon Dastrapain - E-Book

Les lueurs de Danapi E-Book

Manon Dastrapain

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Beschreibung

Avez-vous déjà rêvé d'un autre monde ? Auriez-vous aimé y rester plus longtemps ?

Mahaut Deschamps vient de fêter ses 20 ans, mais ne sait toujours pas ce qu'elle veut faire de sa vie. Heureusement, sa mère a tout prévu : elle l'invite à apprendre le management dans l'entreprise qu'elle dirige, pour « parfaire sa formation ». Quand Mahaut commence à rêver chaque nuit de Ramah, un monde étrange et futuriste, elle est ravie de trouver dans ses songes une échappatoire à un avenir tout tracé. Oubliant ses interrogations sur son étrange expérience, elle entame à Ramah une carrière militaire et savoure chaque instant de cette deuxième vie bourrée d'adrénaline. Jusqu'au jour où la terrible violence de la société ramahène transforme ses nuits en cauchemar. Jusqu’au jour où les pratiques douteuses de sa mère l'obligent à choisir vers quel idéal elle veut orienter son destin...

Accrocheur, intense et terriblement original, le premier tome de la trilogie Les lueurs de Danapi vous entraînera dans un récit initiatique poignant, empreint des enjeux sociétaux contemporains.




 

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Manon Dastrapain

Les lueurs de Danapi

Partie 1 : Lanuit

Chapitre 1 Premiersaut

Aucun oiseau ne chantait. La forêt autour de Mahaut était plus que silencieuse. On aurait cru que les arbres eux-mêmes avaient raidi leurs branches pour ne pas laisser bruisser leurs feuilles au vent. Malgré la brise légère, l’air était chaud, étouffant.

Mahaut était allongée sur le dos, enveloppée par une végétation luxuriante qu’elle ne reconnaissait pas. Elle tenta de deviner dans quelle région du monde elle se trouvait. Les plantes qui l’entouraient, avec leurs larges feuilles d’un vert profond, ne lui évoquaient cependant ni les forêts d’Europe occidentale, qu’elle avait parcourues enfant, ni celles d’Amérique du Nord qu’elle avait visitées plus récemment. C’était son père, le professeur Deschamps, le féru de botanique ; paselle.

De plus en plus mal à l’aise à cause du silence, Mahaut s’assit. D’après la luminosité et la position des arbres qu’elle apercevait, elle devait être à mi-hauteur du versant d’une vallée qui se refermait sur la gauche et s’ouvrait en pente douce vers la droite. Le soleil n’arrivait pas à pénétrer l’épais feuillage pour éclairer la strate inférieure de la forêt ; la chaleur et l’humidité ambiantes indiquaient qu’il était pourtant bien présent au-dessus de la canopée.

Mahaut posa une main sur le sol pour se relever, mais la retira aussitôt : quelque chose l’avait piquée violemment ! Tandis qu’elle inspectait sa paume, elle sentit un sifflement sourd fendre l’air tout près de sa joue. Une fraction de seconde plus tard, un claquement sec semblable à celui d’une décharge électrique retentit quelques mètres derrière elle. Mahaut se figea, confuse.

Elle essayait toujours de comprendre l’origine de ces phénomènes lorsqu’elle entendit de nouveaux chuintements, suivis eux aussi de petites détonations, plus haut dans la vallée. Et cette fois, d’autres sons, plus puissants, plus inquiétants, leur répondirent immédiatement. Mahaut mit plusieurs secondes à prendre conscience de leur nature : c’étaient des coups defeu.

Par réflexe, elle s’allongea sur le sol, fut piquée à nouveau au ventre, mais serra les dents et s’aplatit de plus belle. Trop effrayée pour bouger, elle resta ainsi de longues minutes, s’efforçant sans succès de respirer plus lentement. Les bruits étranges résonnaient désormais en cadence de part et d’autre de la vallée, s’arrêtant parfois pour reprendre quelques instants plus tard, plus loin ou plus fort. Rien qu’à leur rythme, Mahaut était certaine qu’il s’agissait d’échanges detirs.

Qui étaient les deux factions engagées dans cette bataille ? Elles demeuraient invisibles à ses yeux, cachées dans les replis de la forêt. Quelles armes utilisaient-elles ? Leurs bruits ressemblaient si peu à ce que Mahaut avait l’habitude d’entendre dans les films d’action américains. Et quel était l’objet de leur conflit ?

Après s’être posé cinquante fois ces questions, Mahaut conclut qu’elle ne pouvait prédire de quelle manière l’un ou l’autre camp la traiterait si sa présence était découverte. En clair, elle n’avait d’autre choix que de s’échapper. Heureusement, elle se trouvait à la périphérie des combats ; elle décida de remonter son côté de la vallée pour espérer franchir la crête qui la surplombait.

Mahaut avait rampé à peine un mètre quand elle reçut une nouvelle piqûre, près de son oreille. La douleur vive lui fit monter les larmes aux yeux et elle s’arrêta, tétanisée à l’idée de ne pas pouvoir fuir la bataille sans en subir des dizaines d’autres.

Un long moment s’écoula. Mahaut eut l’impression que les échanges de tirs diminuaient d’intensité, ou du moins s’éloignaient. Les poumons oppressés par l’angoisse comme par une fumée trop dense, elle réussit finalement à se remettre en mouvement. Elle progressa avec lenteur, examinant fébrilement chaque plante et chaque insecte dans l’espoir d’identifier le responsable de ces si douloureuses piqûres. Elle rampa sans dommage plusieurs minutes, suant à grosses gouttes sous l’effet de la chaleur et de la peur. Mahaut releva alors la tête pour essayer d’apercevoir quelque chose qui la renseignerait sur les combats en cours.

Elle ne voyait pas grand-chose à travers la végétation. Des éclats de lumière apparaissaient à intervalles réguliers sur l’autre versant de la vallée, mais ce n’étaient que de minuscules points indistincts. Elle regarda vers le haut et constata avec dépit que la crête, barrée par une arrête rocheuse sur toute sa longueur, paraissait toujours aussi éloignée. Elle sentit sa volonté s’évaporer aux quatre vents.

Au même moment, un aboiement phénoménal retentit dans la vallée et couvrit tous les bruits de la bataille. Puis il se répéta, encore et encore. Mahaut n’avait jamais entendu un son semblable, assurément émis par un chien, mais tellement puissant, tellement violent. Malgré l’effroi qu’elle ressentait, elle ne put s’empêcher de tourner les yeux en direction des aboiements qui continuaient de saturer la vallée tout entière. Elle aperçut alors leur forme.

Ce n’étaient pas des chiens, ce n’était pas possible. Ils évoluaient encore à une centaine de mètres, mais Mahaut put évaluer en une fraction de seconde que ces animaux avaient au moins la taille d’un ours, pas loin de celle d’un jeune éléphant. Et immanquablement, ils se dirigeaient droit surelle.

Elle avait déjà parcouru vingt mètres quand son cerveau se rendit compte qu’elle était en train de courir. Elle trébucha, se rattrapa de justesse et poursuivit avec une détermination redoublée. L’arête rocheuse qui surplombait la vallée se rapprochait maintenant à grande vitesse et, faisant fi de la sensation de brûlure qui se répandait dans ses muscles, Mahaut l’atteignit en quelques secondes.

Au pied du mur de pierre, elle choisit de continuer sa course en direction du côté le plus ouvert de la vallée. Des mousses parsemaient la paroi brune qui s’élevait, quasi verticale, sur près de quinze mètres. Mahaut remarqua à peine les impacts chargés d’électricité qui frappèrent la roche dans son dos ; elle cherchait des aspérités qui lui auraient permis de grimper, escomptant que, chiens, ours ou humains, ceux qui la pourchassaient seraient moins aptes qu’elle à l’escalade.

Elle apercevait enfin des rebords susceptibles de fournir des prises suffisantes quand elle entendit un nouvel aboiement. Elle sentit son cœur se serrer comme un étau sur ses derniers espoirs : les monstres n’étaient plus qu’à une dizaine de mètres.

Les jambes de Mahaut chancelèrent. Elle perdit l’équilibre et percuta la paroi, s’écorchant le bras de l’épaule jusqu’au coude. Elle ne chuta pas, mais fit encore plusieurs pas pliée en deux, puis se fracassa l’autre épaule sur ce qui semblait être le bord d’une anfractuosité percée dans l’arête rocheuse. Elle tomba dans le creux qui s’ouvrait en descente dans la pierre. Étendue sur le ventre, Mahaut hurla de toute la force de ses poumons, terrorisée à l’idée de mourir déchiquetée par les crocs de ces animaux abominables.

Une des bêtes arriva à l’entrée de la cavité et s’arrêta net, grognant furieusement. Mahaut parvint à se retourner et à reculer sur ses fesses, dans le trou qui s’enfonçait toujours plus dans la roche. L’animal renâclait visiblement à pénétrer plus avant dans la faille ; il mesurait au moins deux mètres, avait la tête d’un dogue danois, les poils touffus d’un saint-bernard et bavait copieusement.

Tandis que Mahaut se mettait debout et, n’ayant plus d’autre choix, poursuivait sa marche arrière vers les profondeurs de la pierre, le chien-ours se décida à faire quelques pas en avant, ponctuant chacun d’eux d’un aboiement épouvantable. Un deuxième monstre le rejoignit, qui obscurcit presque totalement l’entrée de la cavité.

Mahaut continuait de reculer, dans la pente de plus en plus marquée, tremblant de tous ses membres. Les murs de l’anfractuosité ne lui laissaient désormais plus la place pour progresser de face. Elle se mit de côté et heurta violemment sa tempe sur la paroi. Elle se contorsionna pour essayer de s’enfoncer plus loin dans l’espace qui restait et se retrouva à moitié allongée. La tête du chien géant ne se trouvait plus qu’à un mètre de la sienne. Mahaut pouvait sentir son souffle, la vibration de ses grognements, son haleine âcre qui évoquait le sang. Elle s’imaginait qu’à tout instant, ses crocs allaient s’ouvrir pour la happer d’un coup. Elle se remit à hurler, les mains pressées sur les oreilles.

Son pied dérapa et elle s’affala sur le côté, descendant dans la pente d’au moins trois mètres. Le chien-ours fit un bond vers elle, mais se retrouva bloqué par l’étroitesse de la faille, juste à l’endroit où Mahaut se trouvait quelques secondes auparavant. Il aboya comme un démon, frappant les murs de ses épaules massives pour tenter de se frayer un passage. Envain.

Mahaut expira avec force pour maîtriser son affolement, ne sachant pas si ce répit était réellement le bienvenu. Combien de temps pourrait-elle rester coincée là, avant que ces monstres ne renoncent à leur proie ? Y renonceraient-ils ? Ou avaient-ils des maîtres qui trouveraient une autre méthode pour la débusquer ?

Mahaut resta couchée longtemps. Ses chances d’échapper à ce piège lui paraissaient bien minces, elle ne s’imaginait d’ailleurs plus rassembler assez de courage pour tenter quoi que ce soit. Elle commença à greloter ; ses muscles s’engourdirent. Le sol de la faille était humide et, en écoutant par-delà les bruits sinistres des monstres, elle percevait le son d’un filet d’eau qui s’écoulait quelque part, pas trèsloin.

La tête posée sur son bras, Mahaut se laissa bercer par ce son si apaisant, si harmonieux. Elle pensa au ruisseau qui coulait à l’orée du village où habitait son père quand elle était enfant. Elle se retrouva avec Arthur et Lucas, ses meilleurs amis de l’époque, à explorer la grotte que le cours d’eau avait creusée à travers la roche un peu plus loin et qui constituait leur terrain d’aventures préféré. Elle déplaça un pied dans l’obscurité, tâtant sans trop y croire le fond de sa cachette. Elle ne rencontra que levide.

Exaltée au-delà de toute raison, Mahaut recula à plat ventre, constatant que la cavité s’étendait toujours plus profondément. Elle ne pouvait pas se redresser, mais réussit à se faufiler dans le minuscule passage, terrifiée à l’idée de ne pas pouvoir repartir dans l’autre sens, entièrement convaincue qu’elle n’aurait pas à le faire.

Elle cogna sa tête plusieurs fois contre les irrégularités de la roche, déchira le bas de son pantalon, mais rien ne la stopperait plus. Elle n’entendit bientôt plus les grognements des chiens-ours, seulement le bruit de l’eau qui la guidait vers lavie.

Mahaut finit par déboucher sur une grotte bien plus large. À l’autre bout, des rayons de soleil merveilleusement éblouissants filtraient par une étroite ouverture. Malgré la raideur de ses jambes, elle courut vers la sortie puis se glissa dans l’étroiture. La lumière extérieure l’aveugla instantanément ; Mahaut s’arrêta et baissa les yeux, les protégeant d’une main pendant que l’autre balayait l’espace devant elle en quête d’informations. Une sensation d’écume sur sa paume lui enjoignit de relever aussitôt le regard.

Elle était debout face au vide, au bord d’une falaise. Elle se pencha instinctivement en arrière et s’accrocha aux aspérités de l’arête rocheuse dans son dos. À trois mètres sur sa droite, le petit filet d’eau qui l’avait entraînée jusque-là sortait de la paroi par une large fissure, puis plongeait vers une grande vasque ovale d’un bleu profond, une douzaine de mètres en contrebas. Plus loin, deux autres cascades de plus gros débit créaient une brume importante qui flottait vers Mahaut. De l’autre côté, la falaise, presque verticale, semblait s’étendre sur une très longue distance avant d’enfin rejoindre la forêt.

Coincée sur son rebord, Mahaut ne savait plus quoi faire. Elle n’entendait aucun son en provenance de l’autre côté de la crête, ni les aboiements des chiens-ours, ni les tirs de la bataille. Quelques instants auparavant, elle avait exulté à l’idée d’échapper contre toute attente à une mort atroce. Maintenant, elle ne pouvait se résoudre à sauter dans la vasque. Elle resta immobile, l’esprit vide et perdu.

Quand ses jambes se mirent à trembler, Mahaut regarda à nouveau autour d’elle. Sur sa gauche, elle discerna des rebords similaires à celui sur lequel elle se tenait et quelques racines qui sortaient de la paroi. Elle s’aventura lentement sur le flanc de la falaise, trouvant peu à peu des appuis et des prises. Au détour d’un renfoncement, elle atteignit une sorte de chemin creusé dans l’arête rocheuse, qui montait, mais paraissait praticable debout. Sans réfléchir à ce qu’elle trouverait de l’autre côté, Mahaut s’y engagea.

Au sommet de la crête, une vue dégagée s’offrit à ses yeux fatigués. La forêt luxuriante couvrait la totalité de la vallée, qui s’étendait de plus en plus large vers le nord. Le vert sombre des arbres formait un tapis dense jusqu’à l’horizon, où il était bordé par une drôle de lumière orangée. La couleur attira le regard de Mahaut.

Puis son cœur s’arrêta. Tout l’horizon venait de s’embraser. L’extrémité de la vallée était en feu. Et le feu avançait vers elle à toute vitesse.

Cette fois, Mahaut savait qu’elle n’en réchapperait pas. Les flammes de la gigantesque explosion arrivaient bien trop rapidement. Elles engloutissaient tout sur leur passage. La terreur força cependant Mahaut à faire volte-face. Elle se mit à courir de manière effrénée, se tordit tant les chevilles que le dos sur les rochers qui jalonnaient le chemin pentu, mais continua malgré tout. Parvenue au bord du précipice, elle poussa sur ses jambes avec ses dernières forces et sauta vers la vasque bleue.

Après les trois secondes les plus interminables de sa vie, Mahaut frappa la surface de l’eau, penchée sur le côté. Elle crut qu’un coup de fouet avait lacéré son flanc. La douleur la fit tressaillir et elle manqua de perdre connaissance. Lorsqu’elle sentit sous ses pieds les algues qui ondoyaient au fond de l’eau, elle retrouva pourtant ses esprits ; elle redressa la tête, juste à temps pour voir les volutes de feu envahir l’espace au-dessus de la vasque puis disparaître.

Mahaut resta immergée aussi longtemps qu’elle le put, ralliant la rive la plus proche par de grands battements de jambes. Elle sortit finalement la tête de l’eau et se hissa sur le sol vaseux. Le bas du corps toujours dans la vasque, elle inspira de grandes bouffées d’air. Sa tête tournait ; et bientôt, la forêt tout entière se mit à tourner. La vision de Mahaut s’obscurcit. Sa pensée aussi. Ses vêtements lui parurent bizarres, d’une couleur turquoise aux reflets argentés qu’elle n’avait jamais vue auparavant. Il n’y avait plus aucun bruit, sauf un oiseau qui chantait. Exténuée, Mahaut se laissa chavirer dans l’inconscience comme dans un maelström silencieux.

Chapitre 220 ans

Mahaut ouvrit les yeux et inspira profondément, férocement, comme si elle avait eu le souffle coupé des heures entières. Désorientée, elle expira lentement pour laisser son cerveau reprendre ses marques et examina son environnement.

Elle se trouvait dans sa chambre. La lumière ambrée qui filtrait au travers des stores indiquait que le jour venait de se lever. Sur son bureau, ses nouveaux supports de cours attendaient qu’elle se lance dans son traditionnel rangement de début d’année universitaire. Sa lampe de chevet était restée allumée et le roman de science-fiction qu’elle avait entamé la veille gisait au pied de sonlit.

La respiration encore saccadée, Mahaut se redressa et secoua la tête. Une sensation de confusion lui anesthésiait l’esprit. Le rêve qu’elle venait de faire lui avait semblé si réel, si intensément réel et terriblement intense, qu’elle n’arrivait pas à se sentir éveillée, demeurant étrangère à la sérénité de sa chambre. Elle n’avait jamais rien vécu de pareil.

Après plusieurs minutes, son cœur battait toujours à tout rompre derrière ses côtes. Dans combien de temps retrouverait-il un rythme normal ? Mahaut posa les pieds à plat sur le sol et tenta de se concentrer sur son souffle. Elle renonça après quelques secondes puis se dirigea vers la fenêtre afin de lever les stores.

Quelques nuages parsemaient le ciel bleu ; la journée s’annonçait belle et chaude pour un début d’automne. Mahaut aperçut deux ouvriers en tenue orange vif qui nettoyaient la piscine, ce qui lui parut étrange, car on était samedi. Plus étrange encore, Sylvie, la mère de Mahaut, était en robe de chambre sur sa terrasse, juste au-dessus des ouvriers. Elle leur parlait en gesticulant, visiblement préoccupée par quelque chose qui n’était pas à songoût.

Encore sous l’effet de son rêve, Mahaut haussa les sourcils et quitta distraitement son poste d’observation pour se rasseoir sur le lit. Son cœur battait toujours trois fois trop vite quand quelqu’un frappa à sa porte. Elle sursauta et, instantanément, la tête de sa mère apparut dans l’entrebâillement.

« Ah, ma puce, tu es debout ! » commença Sylvie d’une voix forte qui semblait résonner depuis le fond d’un long tunnel. Elle s’avança de deux pas dans la chambre.

« Je voulais te faire la surprise pendant que tu dormais, mais tant pis… Joyeux anniversaire ! »

Sa mère sortit de derrière son dos un immense bouquet que Mahaut n’avait curieusement pas remarqué jusque-là. Vingt roses blanches étaient disposées au milieu d’une multitude de callas, de lys et d’autres fleurs colorées. L’ensemble était du plus bel effet.

Mahaut, qui n’avait pas réfléchi à son anniversaire depuis son réveil, resta interdite un instant. Elle avait plutôt imaginé recevoir un gadget technologique dernier cri, voire les clés d’une nouvelle voiture. C’était la première fois qu’on lui offrait des fleurs. Enfin, la deuxième, mais elle ne pouvait quand même pas compter toutes les excentricités d’Adam, le petit ami de ses douzeans…

Apercevant la mine tout à coup renfrognée de Sylvie, Mahaut esquissa un sourire.

« Oh, merci, dit-elle rapidement. Elles sont super jolies ! C’est très gentil. Tu n’aurais pas aussi un vase, derrière ton dos ? »

Le visage de sa mère s’éclaira à nouveau de toutes ses dents immaculées.

« Je vais dire à Rosa de t’en monter un tout de suite. Qu’est-ce que tu as prévu de faire, ce soir ?

–On va au resto en ville, répondit Mahaut en bâillant. Juste quelques potes, j’avais trop la flemme d’organiser autre chose…

–Allons, allons ! C’est une maladie d’adolescent, ça, la flemme perpétuelle. Quand on a vingt ans, on doit déborder d’énergie. On a des projets plein la tête, à vingtans !

–Oui, mais je ne les ai que depuis quelques heures ; je n’ai pas encore pu faire tous les ajustements… »

La voix de Mahaut se perdit dans son souffle en prononçant les derniers mots. Ses pensées étaient de retour dans la grotte humide de son rêve. Un frisson lui glaça le corps tout entier.

« Dans ce cas, claironna Sylvie, je te laisse terminer tes ajustements. On se retrouve pour le lunch ? Patrick doit nous rejoindre. Sushis ou thaï ? Léger, évidemment… Tu ne dois pas être ballonnée pour ce soir, ce serait trop bête ! Tu as froid ? Tu veux prendre un bon bain ? Aujourd’hui, tes désirs sont des ordres, d’accord ? Bisous, ma puce ! »

Et elle disparut de la pièce sans attendre la moindre réponse.

Mahaut soupira. Elle n’aimait pas le ton faussement enjoué qu’adoptait sa mère quand elle voulait couper court à toute discussion. Elle avait le sentiment diffus que Sylvie lui cachait quelque chose. Ou bien que son attitude l’avait embarrassée. Peut-être aurait-elle dû manifester plus d’enthousiasme vis-à-vis du bouquet ?

Mahaut se recoucha. Elle resta allongée pendant une heure sans que le sommeil daigne l’emporter ; elle était trop contrariée. En plus, elle n’arrivait pas à déterminer si c’était son rêve traumatisant ou la remarque de sa mère qui la chiffonnait leplus.

Elle avait vingt ans, mais, si elle en croyait sa chère maman, elle n’était toujours qu’une adolescente attardée. Les projets ne se bousculaient pas dans sa tête. Même une idée concrète de ce qu’elle voudrait faire dans les prochaines années était introuvable, dans satête…

Sauf imprévu, elle aurait terminé ses études de gestion dans un an et neuf mois. Une fois son diplôme en poche, elle devrait chercher un travail. Mais que voulait-elle faire, précisément ?

Parfois, Mahaut s’imaginait assez bien suivre les traces de Sylvie et gérer sa propre entreprise. La plupart du temps, cependant, elle était convaincue qu’elle n’était pas taillée pour un tel rôle, qu’elle ne serait jamais capable d’accomplir tout ce que sa mère réalisait au quotidien. Une carrière académique, comme celle de son père, lui semblait plus dans ses cordes, mais elle n’avait probablement pas choisi la bonne orientation d’études pour cela. En fait, avoir ne fût-ce qu’un tout petit projet à mettre dans sa tête aurait déjà été génial.

Un jour normal, sa tendance naturelle à ruminer toute difficulté jusqu’à ce qu’elle ne soit même plus reconnaissable l’aurait empêchée de sortir un orteil de son lit avant de longues heures. Aujourd’hui, heureusement, Mahaut avait vingt ans. Elle n’avait toujours aucun projet en tête, mais elle avait, par contre, la ferme résolution de profiter du moment — tant que c’était encore possible.

Mahaut se doucha puis consulta son portable. Elle constata immédiatement qu’elle avait déjà reçu de nombreux messages d’encouragement et de réconfort. Les uns célébraient son entrée présumée dans l’âge adulte, les autres lui promettaient une lente et irrémédiable déchéance à la suite de ce passage de cap. Quelques camarades de l’école primaire avaient même pensé à elle en ce jour symbolique ! Et en fin de matinée, ce fut son père et sa belle-mère qui l’appelèrent pour la féliciter et lui proposer de passer manger chez eux dès qu’elle aurait le temps.

Ayant ainsi fait le plein d’énergie positive, Mahaut put affronter avec grand détachement le lunch en compagnie de sa mère et de Patrick-le-bellâtre-à-la-Bugatti. Elle avait observé que Sylvie perdait automatiquement vingt points de QI lorsqu’elle se trouvait en présence de « son gentil Pat ». Ensemble, ils devenaient insupportables de mièvrerie et de superficialité. En secret, Mahaut décomptait les jours avant que sa mère ne finisse par se lasser de ce énième amant aux charmes très extérieurs.

Une fois Patrick envolé vers sa partie de tennis, Mahaut voulut repartir d’un meilleur pied avec Sylvie en la remerciant encore pour les jolies fleurs. Son effort ne lui valut toutefois qu’un vague sourire assorti d’un petit geste de la main, le téléphone de sa mère s’étant fâcheusement mis à sonner au même moment. Décidée à ne pas se laisser démonter pour si peu, Mahaut remonta dans sa chambre, jeta un œil moqueur sur les cours qui dormaient sagement sur son bureau puis reprit la lecture de son roman, confortablement nichée dans son fauteuil préféré.

L’après-midi touchait à sa fin quand elle en eut assez des aventures de Spacejock Jack et de ses joyeux compagnons. Elle appela Alexia, sa colocataire et néanmoins meilleure amie, pour savoir si elle pouvait venir la chercher plus tôt que prévu. Mahaut fut positivement ravie d’entendre que celle-ci était non seulement d’accord, mais même déjà en route.

Dix minutes plus tard, Mahaut et Alexia étaient assises sur les tabourets de la cuisine en train de boire un des jus « détox » préparés par Rosa pour Sylvie. Elles tentaient de déterminer quel bar disposait de la terrasse la plus agréable pour patienter jusqu’à l’heure du rendez-vous avec les autres quand la mère de Mahaut arriva. Celle-ci repéra d’un œil sa bouteille de jus vide, rectifia promptement son expression de déplaisir, puis leur conseilla de partir tout de suite pour profiter des derniers rayons du soleil.

Les deux jeunes femmes s’exécutèrent sans délai, réprimant de justesse leur envie de pouffer de rire face au visage contrarié de Sylvie. Alexia se mit au volant de sa vieille Peugeot verte et parvint à démarrer le moteur dès le troisième essai, quasiment un record. Mahaut alluma la radio pour trouver la musique la plus adaptée au début de cette soirée, qui s’annonçait sous les meilleurs auspices.

Elles approchaient de leur destination lorsqu’Alexia freina si brusquement que Mahaut laissa échapper un « Oulah » de surprise — et la voiture derrière elles un coup de klaxon tonitruant. À l’arrêt au milieu de la chaussée, Alexia martelait son volant en jurant. Puis, sans dire un mot, elle effectua un demi-tour — trois autres coups de klaxon — pour repartir en trombe dans le sens inverse, sous le regard médusé de Mahaut.

« Un problème, peut-être ? lâcha Mahaut après une bonne minute de silence.

–J’ai oublié mon téléphone dans ta cuisine, répondit simplement Alexia.

–Tu peux utiliser le mien, si tuveux.

–Je dois avoir lemien.

–Mais on va être en retard !

–On laisse tomber l’apéritif, c’esttout.

–C’est nul,ça.

–Je suis désolée, OK ? J’avais… J’ai enregistré une surprise pour toi, sur le portable. Je dois absolument te la montrer cesoir.

–Eh bien, j’espère pour toi qu’elle vaudra la peine, ta surprise !

–C’est promis, t’inquiète… »

Mahaut manifesta son mécontentement en réglant la radio sur une station qui diffusait des chansons d’amour toutes plus désespérantes les unes que les autres. Un jour normal, ce genre de musique aurait fait bouillonner Alexia, jusqu’à l’explosion. Aujourd’hui, pourtant, elle ne broncha pas, se contentant de froncer les sourcils. Un peu perplexe, Mahaut se retrancha dans ses pensées et essaya de deviner quelle surprise si géniale elle allait bientôt découvrir ; elle ne remarqua pas la petite flamme de malice qui pétillait dans les yeux de sonamie.

De retour dans l’allée devant chez Mahaut, Alexia éteignit le moteur.

« Ils sont quand même délicieux, les jus de ta mère, déclara-t-elle de sa voix la plus ordinairement espiègle. On s’en vide un deuxième avant de repartir ? »

Elle regardait son amie avec les yeux d’un petit chat mendiant une caresse. Mahaut, elle, regarda sa montre, puis le soleil qui finissait de se coucher à l’horizon.

« D’accord, soupira-t-elle avec le sourire. De toute façon, pour le verre en terrasse, c’est foutu… »

Dans la maison, tout était calme. Les lumières du rez-de-chaussée étaient éteintes ; Sylvie passait certainement la soirée dans sa chambre, qui n’avait de chambre que le nom et ressemblait plutôt à une suite d’hôtel.

Les deux amies se dirigèrent droit vers le réfrigérateur. Mahaut était en train de sélectionner le jus le plus approprié à la situation quand elle entendit un bruit inhabituel : elle aurait dit le grésillement d’un haut-parleur qu’on venait d’allumer. Elle referma la porte du frigo pour demander à Alexia ce qu’elle en pensait, mais sa colocataire avait disparu de la cuisine. Par contre, il y avait des gens dans le salon.

Chapitre 3Pas loin d’Hollywood

« JOYEUX ANNIVERSAIRE ! »

Les cris — les hurlements — de dizaines de personnes lui frappèrent les tympans si fort qu’elle eut le réflexe de se boucher les oreilles et de se recroqueviller sur elle-même, le cœur étreint par la stupéfaction. L’éclairage du salon, réactivé par une main invisible, lui révéla alors la scène improbable qui s’était mise en place pendant leur courte absence.

Tous ses amis étaient là ! La plupart chantaient « Happy birthday », certains levaient les bras en poussant des « woooh » comme à un concert. Dans le fond de la pièce, trois guitaristes et un batteur accompagnaient les chanteurs dans un style plus énergique que mélodieux. Des ballons de couleur bondissaient un peu partout. Tout le monde applaudit la fin du morceau dans un grand vacarme. Mahaut applaudit aussi, incapable de faire autre chose que rire béatement en regardant autour d’elle.

Une fois l’effet de surprise estompé, elle commença à détailler les visages de toutes les personnes qui s’approchaient d’elle pour l’embrasser. Mahaut reconnut Samuel, son meilleur ami depuis le collège, et une vingtaine d’autres anciens camarades de classe ; aux côtés d’Alexia, Cyriaque, Émilie et tous ses potes de gestion ; Siloé et les filles du club d’escalade ; ses cousins du côté de sa mère et même du côté de son père ; ses vieilles amies des Guides ; quelques copains plus récents du club d’investissement et les quatre comparses de l’école primaire qui lui avaient laissé des messages au matin.

Près de la porte du salon, Sylvie et son gentil Pat observaient les jeunes gens agglutinés autour des immenses canapés en cuir marron avec un air de contentement niais. Mahaut vint saluer sa mère sans aucune des arrière-pensées qui l’avaient agitée quelques heures auparavant.

« J’aurais aussi été heureuse avec juste les fleurs, tu sais ?

–Oh, mais je ne suis pour rien dans tout ce rassemblement. Les coupables sont tous assis là-bas… Plains-toi chez eux ! »

Mahaut jeta un œil dubitatif à sa mère ; elle avait du mal à l’imaginer en simple exécutante d’une telle organisation. Elle regarda ensuite dans la direction qu’avait indiquée Sylvie et aperçut Samuel, Alexia et Émilie qui interpellaient un serveur pour qu’il remplisse à nouveau leur verre. Mahaut observa celui-ci s’éloigner avec empressement. Ça ne pouvait tout de même pas être ses amis qui l’avaient engagé…

« À ta santé, ma belle ! lança Samuel dès qu’il la vit venir vers eux avec des reproches plein lesyeux.

–Ma santé en a pris un coup, grâce à vous autres mécréants ! J’ai failli faire un arrêt cardiaque et je ne sais même pas si vous en auriez eu mauvaise conscience… »

Mahaut sentit de suite qu’elle ne pourrait pas rester fâchée très longtemps, mais voulait trouver une façon de leur faire payer leur vilaintour.

« Je vous avais dit qu’elle serait ravie ! poursuivit Samuel sans se décontenancer d’un iota, le sourire débordant de son visage effilé.

–Comment avez-vous réussi à inviter tous ces gens sans que je m’en aperçoive ? » reprit Mahaut en abaissant sa voix d’une octave.

Émilie ne put retenir un regard furtif à Samuel, mais enchaîna.

« Une patience d’ange, la ruse des Sioux, des gadgets d’espion, la totale !

–Et ton oncle à la NSA a bienaidé…

–Faut dire qu’on n’a pas lésiné sur les moyens, c’est sûr. »

Samuel et Émilie paraissaient tellement fiers de leur coup que Mahaut eut simultanément envie de les serrer dans ses bras et de les étrangler. Elle se retourna vers Alexia, dont le visage goguenard lui sembla tout aussi agaçant.

« Et toi, la tança-t-elle, tu as failli nous faire emboutir pour jouer ton petit numéro !

–Je ne t’avais jamais dit que j’avais des talents d’actrice ?

–Maintenant, je vais le retenir ! Je ne croirai plus jamais rien de ce que tu medis !

–Ah ! Peu importe, ça en valait bien trop la peine… »

Ils s’esclaffèrent, vidèrent leur verre, puis rirent encore de la surprise de Mahaut plusieurs minutes. Autour d’eux, les invités sortaient du salon par grappes pour prendre l’air. Samuel attrapa son amie par la main et l’emmena dans le jardin afin de lui montrer à quoi ressemblait « sa » fête d’anniversaire.

La température extérieure était toujours très agréable malgré un léger rafraîchissement depuis le coucher du soleil. Un DJ avait relayé les guitaristes du début de soirée et diffusait une sélection de chansons qui correspondait étrangement — ou peut-être pas si étrangement que ça ? — à la liste des titres préférés de Mahaut. Cela n’empêchait pas une bonne vingtaine d’invités de se déhancher sur la piste de danse improvisée à l’extrémité de la terrasse.

Des centaines de petites bougies avaient été disposées partout dans le jardin, jusque devant les fenêtres de la chambre de Sylvie. Un bar et un buffet avaient été dressés le long des murs de la cuisine. Mahaut, que l’émotion avait affamée, se saisit aussitôt d’une verrine qui lui faisait de l’œil, en dévora le contenu et, enchantée de l’expérience, en avala trois autres dans la foulée.

Ses amis s’étaient éparpillés au bord de la piscine, dont l’éclairage avait été modifié et alternait lentement entre les couleurs de l’arc-en-ciel. Il ne fallut d’ailleurs pas attendre longtemps pour que de grosses vagues viennent troubler la surface de l’eau, jusqu’alors paisible : Bastien, Lukas et Teddy, les trois pires chahuteurs au collège, avaient jeté leurs beaux vêtements en tas dans un coin et plongé en caleçon dans le bassin multicolore au moment où il passait au rouge.

En les observant s’éclabousser bruyamment, Mahaut eut, l’espace d’une seconde, la vision d’une vasque d’eau bleue sous un ciel écarlate. Elle frémit, mais Alexia la considérait d’un air interrogateur ; avec un grand geste de la main, elle évacua vite de son esprit les souvenirs de son étrange rêve. Elle se dirigea résolument vers ses anciens copains d’école et entreprit de rattraper le temps perdu depuis leurs dernières sorties.

À l’approche de minuit, Mahaut alla s’asseoir sur un transat un peu à l’écart, légèrement étourdie parce qu’elle avait bu plus qu’à son habitude. Elle regarda quelques instants le petit groupe d’étudiants en gestion passablement éméchés qui jouaient au football américain avec un ballon lumineux. Elle fut bientôt rejointe par Sam qui, lui, n’avait apparemment pas bu autant que d’habitude et semblait même préoccupé. Il attendit plusieurs minutes avant de poser sa question.

« Alors ? Ça te plaît, finalement, ou pas ? »

Elle lui sourit comme à un enfant impatient de savoir si son papa aime bien son bricolage de fête des Pères.

« Enfin, Sam ! Évidemment que ça me plaît ! »

Samuel parut prêt à faire un salto au-dessus de son transat. Mahaut ne pouvait pourtant pas le laisser s’en tirer à si bon compte.

« Bon, si je dois vraiment être honnête, j’aurais espéré quelque chose d’un peu moins cliché…

–Moins cliché ?

–Ben oui, la surprise dans le noir, les amis perdus de vue depuis des lustres, le buffet autour de la piscine… Vous avez réussi à cocher toutes les cases dans la check-list des poncifs du genre. J’ai cru que j’étais tombée dans un film hollywoodien !

–On s’était dit que ça t’amuserait…

–Oh, j’y pense seulement : il est bientôt minuit ! Et le feu d’artifice ? Vous avez prévu un feu d’artifice ? Ce serait le cliché complet, mais j’adorerais ça ! »

Samuel eut l’air totalement déconfit. Pour le feu d’artifice, visiblement, c’était loupé… Mahaut, qui venait tout de même de passer une des soirées les plus mémorables de sa courte existence, se reprocha immédiatement d’avoir poussé sa raillerie un peu trop loin. Elle prit le visage de son ami entre ses mains et plongea son regard dans ses yeux bleu-gris.

« SamSam, c’était génial ! Je ne vous remercierai jamais assez d’avoir organisé tout ça pour moi. »

Mahaut se jeta sur Sam pour le serrer dans ses bras. Après une milliseconde de flottement, il lui rendit son étreinte et ils restèrent ainsi un long instant. Puis ils s’étendirent à nouveau sur les transats, mangèrent deux parts de bavarois à la framboise apportées par un serveur en quête de répit, lui aussi, et observèrent les étoiles qui jouaient à cache-cache avec des nuages d’altitude. Mahaut se rappela sa nuit précédente.

« Sam ?

–Oui, ma belle ?

–Tu as déjà fait un rêve si réaliste que tu es persuadé de le vivre pour de vrai ?

–Euh, non… Ou, si, maintenant que tu m’en parles ! L’autre nuit, j’ai rêvé que tu venais chez moi : tu portais des sous-vêtements rouges et tu… Aïe ! »

Mahaut avait donné un grand coup de poing sur le bras de Sam. Sans qu’elle s’explique pourquoi, elle avait horreur qu’il lui rappelle les aspects parfois plus érotiques de leur relation. Elle tenait peut-être simplement à garder Sam comme meilleur ami et rien d’autre, malgré leur tendance à coucher ensemble chaque fois que l’un ou l’autre avait un coup de blues…

Mahaut était sur le point de lui raconter son rêve traumatique quand elle entendit la voix de sa mère, amplifiée par un micro, qui appelait les invités à un moment d’attention. Elle se redressa pour apercevoir Sylvie, debout sur sa terrasse, faisant signe à tous les jeunes gens d’approcher. Un peu déconcertée, Mahaut n’obtempéra pas tout de suite, trop anxieuse de savoir ce qui justifiait cette intervention. Ce fut Samuel qui l’obligea à aller prendre sa place à l’avant de l’attroupement qui s’était formé entre la piscine et le buffet.

« Ah, ma puce, tu es là ! »

Sa mère avait une flûte de champagne à la main. Elle paraissait très grande du haut de sa terrasse-estrade.

« Chers amis ! Tout d’abord, je voulais vous remercier pour votre présence à tous, ce soir. J’ai vu sur le visage de ma fille la joie qu’elle avait de partager ce grand événement avec vous. Je voudrais également que l’on remercie tous ensemble les instigateurs de notre petite soirée surprise. Ils n’ont pas ménagé leurs efforts pour que nous puissions célébrer Mahaut comme il se doit. C’est à eux que nous devons la réussite de cette merveilleuse fête. Applaudissons bien fort Alexia, Émilie et Samuel ! »

Manifestement, les amis de Mahaut avaient beaucoup apprécié l’organisation de la soirée. Ils ne se firent pas prier pour faire du bruit en remerciement des trois conspirateurs ; ils les applaudirent longuement, jusqu’à ce que Bastien, dont le boxer n’avait pas encore eu l’occasion de sécher, ne décide que son vieil ami devait goûter au bonheur du bain de minuit. Sam fut balancé au beau milieu de la piscine, temporairement parée de lueurs vertes. Il fut bientôt suivi par Alexia et Émilie, malgré leurs protestations hurlantes, dans une jolie nuance orange. Les applaudissements redoublèrent.

Sylvie attendit quelques instants que le calme soit revenu pour attaquer la partie consistante de son discours.

« Il y a tout juste vingt ans, je n’avais aucune idée de ce que signifiait devenir mère. Je ne savais pas à quel point il s’agissait d’un travail exigeant, épuisant et déroutant, mais aussi captivant, enrichissant et valorisant. J’ai dû partager mon temps et mon attention entre mon rôle de mère et mon métier de cheffe d’entreprise et j’ai souvent cru que je m’acquittais mieux du second. Pourtant, quand je vois la brillante et superbe jeune femme que Mahaut est devenue aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher de penser que j’ai fait au moins une partie du boulot correctement ! »

Plusieurs personnes, qui ne devaient pas très bien connaître Sylvie, éclatèrent de rire. Mahaut, elle, était de plus en plus perplexe. Où sa mère voulait-elle en venir, exactement ?

« Mahaut, ma puce, je suis très fière de toi. Ton parcours jusqu’ici et la voie que tu as choisi de suivre me réjouissent énormément. Tu as d’ores et déjà développé des compétences dont je ne pouvais que rêver, à ton âge. Alors j’ai pensé que, pour tes vingt ans, tu méritais un cadeau hors norme. Autre chose que des fleurs, en tout cas… »

Aussitôt vint à l’esprit de Mahaut l’idée que sa mère allait lui payer un MBA dans une université prestigieuse aux États-Unis. C’eût toutefois été trop facile et Sylvie paraissait bien trop excitée par son plan-mystère pour qu’il soit aussi « normal ». Elle attendit donc le verdict.

« Même si tu as déjà plein de projets en tête, comme nous en discutions ce matin… »

Mahaut aurait voulu préciser qu’elle n’avait justement rien dit de pareil. Elle se souvenait parfaitement de l’aigreur que les propos de sa mère lui avaient fait ressentir plus tôt dans la journée ; mais Sylvie poursuivaitdéjà.

« … j’ai envie de te proposer un challenge adapté à tes capacités. Si tu es partante, dès demain, je t’emmène découvrir l’envers du décor de GreenFields. Les réunions stratégiques, les visites, les conseils, les rapports comptables, la gestion quotidienne : tu pourras m’accompagner partout dès que tes études t’en laisseront le temps. En quelque sorte, tu deviendras ma stagiaire, une stagiaire privilégiée en management de haut niveau. Je veux t’offrir l’opportunité d’apprendre le métier en accéléré et, si tout se passe bien, d’assumer progressivement des responsabilités concrètes… »

Les sensations que Mahaut avait éprouvées pendant son rêve réapparurent sans crier gare dans son esprit : sa peur et son épuisement quand elle tentait d’échapper aux chiens-ours, sa terreur à l’approche de la vague de feu. Racontée par Sylvie, la gestion d’une entreprise ressemblait furieusement à ce genre de course-poursuite, avec des hordes de concurrents à vos trousses et des prédateurs au-dessus de votre tête, prêts à s’emparer de votre société au moindre faux pas. Mahaut s’estimait bien trop jeune pour commencer à mener une vie si trépidante et surtout si angoissante. Sylvie continua néanmoins de plus belle.

« Par ailleurs, je sais qu’on n’est jamais aussi impliqué dans un projet que lorsque l’on y a un intérêt financier. J’ai donc écumé les marchés ces dernières semaines afin de racheter toutes les actions négociables de la société. Ceux d’entre vous qui suivent la bourse l’ont probablement remarqué, voire même pris quelques bénéfices ! Mais je ne vous en veux pas, car c’était pour la bonne cause. »

Mahaut observa ses camarades du club d’investissement. Aucun ne manifestait le moindre signe d’avoir tiré profit des opérations de rachat de sa chèremère.

« Ma puce, reprit Sylvie, j’ai le très grand plaisir de t’annoncer que tu es désormais l’heureuse détentrice de cinquante mille parts de GreenFields ! Félicitations pour tes vingt ans, Mahaut, et encore un très joyeux anniversaire ! »

Mahaut, qui n’avait jamais suivi de près la cotation boursière de l’entreprise de sa mère, multiplia le dernier cours de l’action GreenFields qu’elle avait retenu par cinquante mille.

« Elle est complètement folle ! » s’exclama-t-elle à voix haute.

Les invités qui se trouvaient près d’elle la dévisagèrent avec une pointe d’inquiétude dans les yeux. Heureusement, les applaudissements avaient couvert sa voix ; Sylvie n’avait vraisemblablement rien entendu et levait son verre à la santé de sa fille. Mahaut n’eut pas la présence d’esprit de soulever la flûte de champagne que quelqu’un avait glissée entre ses doigts pendant le discours.

De tous côtés, ses amis vinrent la féliciter ou lui donner de grandes tapes dans le dos. Alexia lui souffla qu’à présent, elle pouvait définitivement arrêter de prétendre avoir besoin d’un diplôme. Mahaut vit dans son regard qu’elle ne plaisantait qu’à moitié, ce qui la dépita encoreplus.

L’explosion de la première fusée surprit tout le monde. Plusieurs amies des Guides de Mahaut laissèrent échapper un cri suraigu qui ajouta au sentiment de panique diffus des invités. La vision de la gigantesque sphère bleu et blanc qui illumina le ciel au-dessus de la maison rassura cependant bien vite les jeunesgens.

Chacun prit un peu de recul pour pouvoir admirer plus à l’aise le spectacle pyrotechnique. Samuel, dégoulinant de partout, vint se placer à côté de Mahaut et la bouscula.

« Tu vois que j’y avais pensé, à ton feu d’artifice ! » plaisanta-t-il.

Désemparée, Mahaut lui retourna un regard plein de détresse ; Sam se contenta alors de déposer son bras sur les épaules de son amie. Mahaut frissonnait. Elle ne pouvait s’empêcher de sursauter à chaque nouvelle explosion, totalement incapable d’apprécier ce qui aurait dû constituer l’apothéose de la soirée.

Pourquoi Sylvie avait-elle décidé de l’impliquer ainsi dans GreenFields ? En quoi consisterait, précisément, cette initiation de luxe au management ? Quelles responsabilités sa mère entendait-elle lui faire assumer dans l’entreprise ? Comment allait-elle pouvoir combiner tout cela avec ses études ? Son rêve insolite était-il annonciateur du chaos qui allait bientôt engloutir sa tranquille vie d’étudiante ?

La valse de ces questions tourmenta Mahaut tout le reste de la soirée, malgré ses efforts pour encore profiter de la présence de ses amis. Sylvie s’était apparemment éclipsée après le feu d’artifice et Mahaut n’avait même pas osé la regarder en face à la fin du discours.

Une fois les invités partis, elle demanda à Samuel s’il pouvait rester avec elle quelques minutes. Trop lasse, Mahaut renonça à exposer les causes de son trouble à son ami, mais lui fit promettre de trouver du temps pour elle le lendemain. Ils s’assirent sur les grands canapés bruns et, dix secondes plus tard, s’endormirent main dans la main.

Chapitre 4Une autre surprise

Le premier son que perçut Mahaut fut le chant distant d’un oiseau, long et harmonieux. Ensuite vint une vibration, sourde, ronflante, comme le ronronnement d’une machine. Enfin, elle discerna des voix. Plusieurs personnes avaient une conversation animée, à quelques mètres à peine. Mahaut tenta de comprendre ce qu’elles disaient, mais leur langue lui était étrangère ; elle lui fit penser au japonais.

Étendue sur le côté, Mahaut avait gardé les yeux fermés, se sentant trop désorientée pour ajouter des stimuli visuels à la confusion provoquée par son ouïe. Elle respira profondément et se concentra sur les sons qui lui parvenaient de plus en plus clairement. Les personnes qui dialoguaient dans son dos semblaient manipuler des objets tout en parlant. Des bruits métalliques et des froissements de tissu accompagnaient leur discussion.

Mahaut identifia trois voix masculines différentes. Après quelques minutes d’écoute attentive, elle fut très étonnée de comprendre le sens de certains mots, puis de bribes de phrases. Les trois hommes devaient être des infirmiers ou des médecins. Ils parlaient de blessures internes, de saignement et de pulsations cardiaques. Intriguée, Mahaut ouvrit lesyeux.

En face d’elle se dressait un mur blanc. Elle était couchée sur une civière dans le coin d’une pièce aux parois lisses et froides. Plus haut dans le mur était percée une sorte de fenêtre épaisse, qui semblait déformer l’environnement extérieur.

Elle tenta de détailler ce qu’elle pouvait apercevoir au-dehors. Elle ne vit que des arbres et des plantes, avec de larges feuilles d’un vert profond. Son sang se glaça : elle était dans la forêt. La forêt de sonrêve.

Prise de panique, Mahaut se redressa d’un mouvement brusque. La douleur fulgurante qu’elle ressentit dans son côté droit la paralysa tout aussi vite. Elle poussa un cri et retomba lourdement sur ledos.

Comment pouvait-elle être à nouveau en train de rêver ? Ses sensations étaient si vives, si fortes ; tout cela devait nécessairement être réel !

Son cerveau lui clamait pourtant qu’elle se trouvait chez elle, dans son canapé, à dormir près de Samuel. Entre ce que son intelligence lui indiquait comme seule réalité possible et ses perceptions sensorielles, la dissonance était si pénible que le sang se mit à pulser violemment dans sa tête. Mahaut fut prise de nausées. Malgré la souffrance, elle essaya de se relever pour échapper à cette situation incompréhensible et fuir, vers un ailleurs non identifié.

Les trois hommes s’étaient arrêtés de parler. Deux d’entre eux s’approchèrent d’elle précipitamment et lui agrippèrent les bras en lui enjoignant de se calmer. Leur ton était serein, mais autoritaire ; Mahaut n’osa plus se débattre. Ils portaient un uniforme qui ne ressemblait pas à celui d’un personnel médical : des écussons et des inscriptions ornaient leurs manches et leur torse, et un gros ceinturon garni d’objets étranges ceignait leur taille.

Mahaut n’arrivait pas à saisir le sens de tout ce qu’elle vivait. Son cœur tremblait dans sa poitrine. Elle posa la première question qui lui traversa l’esprit.

« Où est Samuel ?

–Qui est Samoel ?

–Juste unami…

–C’est un nom Shadon, ça, Samoel. Votre ami est Shadon ? Comme elle ? »

L’homme qui se tenait à sa droite avait tendu la main, paume ouverte, en direction du brancard placé en vis-à-vis de celui de Mahaut. Elle y aperçut une jeune femme à la peau brune et aux longs cheveux noirs et lisses. Son bras gauche était recouvert d’un bandage gris. Elle était endormie. Ou inconsciente.

Mahaut voulut s’asseoir pour découvrir le reste de la pièce. La douleur de son côté bloqua tout de suite son mouvement. Elle s’allongea à nouveau sur le dos en gémissant.

« J’ai très mal. Vous pouvez faire quelque chose ? »

L’homme qui se tenait debout entre le mur et la civière de Mahaut s’approcha d’elle et lui adressa un sourire sans joie. Il avait les yeux bleus, la peau claire, une épaisse barbe brune et le crâne dégarni. Il prit une sorte de tube jaune dans un compartiment placé au-dessus de la tête de Mahaut et le pressa sur son avant-bras. Mahaut sentit une piqûre froide puis une sensation d’échauffement qui remonta dans son bras jusqu’à son épaule.

« Vous avez souffert d’un pneumothorax à cause de vos côtes cassées. C’est résorbé, à présent. Je viens de vous redonner une dose d’analgésique. Mais vous ne devriez pas bouger.

–Vous êtes docteur ?

–Naturellement. Je m’appelle Vinya. Et vous, quel est votre nom ? »

Mahaut le regarda dans les yeux, perplexe quant à la manière de répondre à cette simple question. Au bout de quelques longues secondes, elle abandonna la réflexion.

« Mahaut, souffla-t-elle.

–Mao ? Jamais entendu. D’où venez-vous,Mao ?

–Je ne sais pas. Où suis-je ?

–À Sirna Baal. Où habitez-vous ?

–Chez ma mère. »

Le médecin rit, visiblement amusé. Il devait avoir l’habitude des patients désorientés.

« Eh bien, Mao, je peux vous dire que vous avez eu de la chance, hier. Sans Gemli, ici en face, vous seriez morte asphyxiée au bord de l’étang. »

Mahaut redressa la tête autant qu’elle le put pour mieux voir sa voisine de lit. Son visage était fin, son front large, et elle paraissait prête à rire de sa situation dès son réveil.

« Qu’est-ce qu’ellea ?

–Oh, seulement le bras cassé et une bonne commotion. Elle se remettra très vite. Elle a sauté dans l’étang juste après vous. Elle vous poursuivait avec les chiens.

–Les chiens… »

Mahaut frissonna à l’évocation des bêtes monstrueuses qui l’avaient traquée, la nuit précédente. Elle ne savait pas qui étaient les gens qui l’entouraient, elle ne savait pas pourquoi ils se battaient ; elle ne comprenait pas pourquoi ils l’avaient pourchassée et ensuite sauvée. Elle se répéta intérieurement qu’il ne s’agissait que d’un rêve et que cela n’avait pas d’importance. Malgré tout, elle se sentait mal, totalement déboussolée.

Vinya le docteur observait toujours Mahaut. Il parut décrypter l’origine du trouble de sa patiente.

« Gemli et son groupe étaient à vos trousses, expliqua-t-il, parce qu’elle pensait que vous étiez une soldate maïdokhie et prépariez une embuscade pour piéger nos troupes. Elle nous a raconté qu’elle avait contourné la crête pour vous prendre à revers lorsque la bombe a explosé. Elle a sauté du haut de la plus grosse cascade. »

Mahaut imagina sa sauveuse expérimenter la même abominable angoisse qu’elle avait vécue lors de son saut vers la vasque bleutée et une mort probable. Elle aurait aimé la réveiller pour lui parler. Le médecin continua son récit.

« Elle était blessée, mais elle a voulu s’assurer que vous ne survivriez pas. C’est à ce moment-là qu’elle a remarqué que vos cheveux et votre peau étaient bien trop clairs et que vous ne pouviez pas être maïdokhie. Elle vous a traînée sur le sol pendant deux heures avant que notre frelon ne vous repère et ne vous extraie… »

Mahaut essayait de raccrocher toutes ces informations à des choses qu’elle connaissait, des lieux, des pays, des conflits. En vain. Sa confusion augmentait au fur et à mesure que Vinya parlait.

« Les Maïdokhis, l’interrompit-elle sans même s’en rendre compte, ils vivent dans quel pays ?

–Pays ? Maïdokh, évidemment. Tous les Ramahènes savent ça, pas vous ?

–Si si… je crois. Où sommes-nous,ici ?

–On vous a rapatriées dans l’enclave ramahène de Sirna Baal, sur Maïdokh. Ça ne vous rappelle rien ?

–Je ne me souviens pas. Pourquoi vous battez-vous ?

–Doucement, Mao. Vous êtes tout à fait confuse. On va réexaminer vos fonctions cérébrales. Il ne faudrait pas que quelque chose nous ait échappé… »

Le visage fermé, Vinya fit signe à son collègue qui s’approcha sans dire un mot. Il plaça un lourd bandeau noir sur le front et les tempes de Mahaut. L’appareil était froid et émettait une légère vibration qu’elle ressentait dans tout son crâne. Mahaut voulut rester immobile pour ne pas perturber le processus qu’elle supposait être une mesure de son activité cérébrale. Après quelques secondes, cependant, elle eut de nouveau envie de vomir.

Le deuxième docteur posa la main sur l’épaule de Mahaut de façon ferme et bienveillante à lafois.

« Détendez-vous. Ce sera terminé dans une minute. »

Mahaut entreprit de ne plus s’inquiéter des examens pratiqués par les médecins et fixa le plafond. Celui-ci était luminescent, semblait être en verre et constituait la seule source d’éclairage de la pièce. Légèrement éblouie, elle baissa lesyeux.

Vinya consultait une sorte d’écran holographique, projeté par une réglette métallique attachée au bout du brancard. Il paraissait y déplacer des objets avec les doigts, mais Mahaut n’était pas dans le bon angle pour en avoir une image nette.

L’autre docteur retira le bandeau noir de son front, lui saisit le poignet et balaya son avant-bras avec un petit scanner manuel dont la lumière bleutée rendit brièvement apparents les vaisseaux sanguins sous sa peau. Il dirigea ensuite l’appareil vers l’écran de Vinya et pressa un bouton. Un faisceau vert sortit du scanner, traversa la projection lumineuse en déclenchant un signal sonore, puis s’éteignit.

Mahaut regardait avec attention les deux médecins s’affairer autour d’elle. Elle essaya de deviner quelles étaient toutes ces technologies dont elle n’avait jamais entendu parler. Sa première intuition fut de penser qu’elle avait voyagé dans le futur. L’instant d’après, elle se souvint qu’elle n’avait probablement pas voyagé du tout : elle était simplement en train de rêver !