Les métamorphoses d’un vampire - Jean Rasther - E-Book

Les métamorphoses d’un vampire E-Book

Jean Rasther

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Beschreibung

"Les métamorphoses d’un vampire" est une chronique criminelle où réalité et manipulation s’entrelacent dans une atmosphère oppressante. Entre Bordeaux et la presqu’île du Cap Ferret, l’histoire d’amour entre Sarah et Lou cache une vérité bien plus sombre : une machination diabolique se déploie dans l’ombre, orchestrée avec une précision machiavélique. Chaque page révèle des rebondissements, dignes des chefs-d’œuvre d’Hitchcock, qui vous tiendront en haleine jusqu’au dénouement final.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Rasther a été séduit par le charme envoûtant des îles de la Polynésie française, où il réside depuis plusieurs années. Après L’amant d’éternité, "Les métamorphoses d’un vampire – Chronique d’une vie privée" est son second roman publié chez Le Lys Bleu Éditions.

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Seitenzahl: 307

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Jean Rasther

Les métamorphoses d’un vampire

Chronique d’une vie privée

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean Rasther

ISBN : 979-10-422-5373-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Aux illustres membres du « Club des Cinq » :

Belphégor,

Anne,

Jenn

et Christine,

qui m’ont apporté leur soutien logistique

mais avant tout écoute, patience et tendresse,

À Nicole, toujours présente,

À Laurence, dans la déchirure d’une aube baudelairienne

que je n’oublie pas,

Ce témoignage de ma profonde reconnaissance

et de mon Amour.

Tous les événements relatés dans ce récit, ainsi que les personnages mis en scène sont-ils nés de l’imagination fantasque de l’auteur ?

Se réfèrent-ils ou non à des faits qui se seraient déroulés dans la réalité ?

Chacun saura rendre aux uns comme à l’autre le tribut qu’il lui doit.

Cette pénétrante et indicible éloquence qui est dans le regard, dans le geste, dans le silence même, acheva de convaincre Derville et le toucha vivement.

Le Colonel Chabert : Scènes de la vie privée,

Honoré de Balzac, 1832

Les métamorphoses du vampire

La femme cependant, de sa bouche de fraise,

En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise,

Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,

Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :

« Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science

De perdre au fond d’un lit l’antique conscience.

Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,

Et fais rire les vieux du rire des enfants.

Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,

La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !

Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés,

Lorsque j’étouffe un homme en mes bras redoutés,

Ou lorsque j’abandonne aux morsures mon buste,

Timide et libertine, et fragile et robuste,

Que sur ces matelas qui se pâment d’émoi,

Les anges impuissants se damneraient pour moi ! »

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,

Et que languissamment je me tournai vers elle

Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus

Qu’une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !

Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,

Et quand je les rouvris à la clarté vivante,

À mes côtés, au lieu du mannequin puissant

Qui semblait avoir fait provision de sang,

Tremblaient confusément des débris de squelette,

Qui d’eux-mêmes rendaient le cri d’une girouette

Ou d’une enseigne, au bout d’une tringle de fer,

Que balance le vent pendant les nuits d’hiver.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857

Pièces condamnées : Épaves ; VII, 1866

Première partie

Eylau

Mais un observateur, et surtout un avoué, aurait trouvé de plus en cet homme foudroyé les signes d’une douleur profonde, les indices d’une misère qui avait dégradé ce visage, comme les gouttes d’eau tombées du ciel sur un beau marbre l’ont à la longue défiguré.

Le Colonel Chabert : Scènes de la vie privée,

Honoré de Balzac, 1832

1

Ce serait sa dernière semaine de liberté.

Le 23 février 2019 à 23 h 10, elle avait dû s’y reprendre à deux fois pour permettre aux mots de maquiller les sentiments, truquer le bégaiement d’un cœur sous contrôle, au travers d’un SMS jeté en pâture et dont il devrait se repaître jusqu’au lendemain avec la parcimonie d’un affamé que le sort aurait jeté dans une barque non pontée au milieu de l’océan.

Je t’embrasse tendLou

L’adverbe, étranglé avant que de naître, se retrouvait bizarrement accolé au nom, devenu dès lors un autre, un monstre qui n’était plus lui. Fatigue ombrant vigilance, distraction, précipitation, désintérêt pour ce que l’on s’apprête à dire, c’est pourtant dans l’adverbe qu’aurait dû se lover la pulpe pure des sentiments et c’est précisément là qu’elle avait trébuché, contrainte au repentir.

Tendrement Lou

Voilà, chaque mot offrant désormais l’illusion d’avoir retrouvé sa petite case sémantique, la force gravitationnelle de leur relation semblait avoir retrouvé le flux apaisé des énergies.

Et pourtant.

Et pourtant ce couple que formait l’apostrophe avec l’adverbe, isolé de la sorte du reste de la phrase se voyait vidé de toute logique de sens, comme si le plaquage des mots ne recouvrait plus rien, dénudant la laideur d’un bois vermoulu.

2

C’est le 24 janvier 2019 que Sarah avait finalement accepté de lui accorder un rendez-vous.

Il devait bien s’avouer qu’il le lui avait un peu extorqué.

Leur relation, bloquée au fond d’une impasse, n’offrait, disait-elle, aucune chance de lendemain.

Elle ne pouvait pas lui demander d’attendre encore. Il ne l’avait que trop longtemps attendue. Il devait réapprendre l’amour sans elle, sortir, rencontrer d’autres femmes, vivre enfin, car la vie se refusant obstinément à elle, ne voulant plus d’elle, puisqu’elle allait mourir, devenait vaine la promesse retrouvée de ce couple magnifique qu’ils avaient formé dix mois plus tôt.

Elle ne supportait plus qu’on l’abreuve de mensonges et d’illusions ; les résultats des analyses imposaient, semaine après semaine, la terrible évidence d’une tout autre réalité : elle ne s’en sortirait pas. Le traitement de la dernière chance, tel que le lui avait présenté Édouard, le professeur qui la suivait depuis la découverte de sa maladie, ce traitement expérimental israélien qu’on lui avait proposé au CHU de Lyon trois mois auparavant ne donnait aucun résultat.

Le jeudi matin, invariablement, depuis une éternité, depuis mai 2018, une voiture-ambulance venait la récupérer à Petit Piquey pour la conduire à l’hôpital de Haut-Lévêque à Pessac. Elle avait une semaine, entre deux hospitalisations, pour nourrir l’espérance que les résultats, la fois prochaine, seraient enfin meilleurs. Récurrente, l’angoisse de la veille, la nuit qui n’apportera pas le sommeil, ce trajet que l’on fait vers la lumière ou vers sa tombe, les formalités d’entrée, le personnel qui vous reconnaît et vous sourit ; sourires affectueux ou de commisération ; marques d’humanité pour ceux que l’on croise dans cette antichambre de la mort suspendue que l’on nomme hôpital. La prise de sang sur des bras suppliciés, l’attente dans la chambre, des pensées qui cognent au cerveau écartèlent le cœur d’espoir et d’inquiétudes. La résignation qui apaise, la fatalité dans les bras de laquelle on s’abandonne toujours. À chaque fois, la même désillusion quand Édouard, incapable de cacher sa déception, lui annonce que le taux de globules blancs n’a augmenté que de 2,4 %…

Au début, il voulait partager ses tourments.

Savoir.

Alors il lui écrivait beaucoup.

Était-elle arrivée à l’hôpital ?

À quelle heure Édouard devait-il la recevoir ?

Ça y est, avait-elle les résultats ?

Elle ne supportait plus cette pression supplémentaire qu’il lui imposait et ils avaient convenu qu’il ne lui écrivît plus, c’est elle qui le ferait quand elle saurait quoi lui dire.

La journée du jeudi était devenue pour tous deux un avant-goût de l’enfer.

Il avait appris à caler son emploi du temps sur celui de Sarah. En règle générale, elle quittait le Cap aux environs de 8 heures ; Édouard la recevait en consultation en milieu d’après-midi. La matinée était dévolue aux examens ; on lui faisait subir une semaine sur deux un test d’effort qu’elle appréhendait énormément, tant l’épuisement qui en découlait était lourd ensuite à surmonter.

Quand sa mère séjournait en France, elle accompagnait Sarah à l’hôpital, ou bien venait simplement partager avec sa fille et le professeur un déjeuner à la cafétéria. Il fallait attendre que les procédures administratives fussent réglées, puis elle retournait chez elle, vers son petit paradis du Cap Ferret.

C’est sur le trajet du retour qu’elle lui téléphonait.

La voix éteinte, brouillée par les sanglots, elle lui annonçait ce qu’il s’était convaincu de ne plus jamais entendre. Il fallait alors avaler très vite son chagrin et chercher d’autres mots que ceux de la semaine d’avant, pour l’encourager à se battre.

Certes, les résultats n’étaient pas aussi bons qu’ils auraient pu l’espérer mais la chute des globules blancs n’avait-elle pas été régulée ?

La courbe n’était-elle pas inversée et en progrès ?

Ça serait long, on l’avait prévenue, le processus de guérison était néanmoins enclenché.

Son optimisme l’exaspérait et souvent elle s’emportait après lui.

Non seulement il n’avait pu demeurer à ses côtés aujourd’hui, puisqu’elle le lui avait interdit, mais il était impuissant à la soutenir par les mots qu’elle attendait.

3

Cela faisait dix longs mois qu’il ne l’avait pas revue. Dix longs mois qu’au travers de chaque seconde des jours et des nuits, comme la flèche d’Ulysse dans la stridence d’un cri d’hirondelle traverse d’un index relevé l’anneau des douze haches, il avait espéré que de l’ombre vers la lumière, puisse vibrer en lui la projection du bonheur suspendu.

4

Elle lui avait proposé la date du 24 janvier.

Qu’importait la date ? Il attendait de la revoir depuis le 18 mai de l’année précédente.

Cet ultime rendez-vous, ils l’avaient partagé au Cap Ferret.

La maladie s’était déclarée quelques jours plus tôt. Indéterminée, inquiétante, mais sans la gravité qu’on lui connaîtrait bientôt, suffisamment importune toutefois pour le séparer de l’être aimé. Dans un premier temps, le médecin avait songé à un simple symptôme grippal. Puis, la fatigue devenue plus dense, il avait orienté ses recherches vers une mononucléose infectieuse qu’une analyse sanguine confirmerait probablement. Lou en avait souffert à dix-huit ans, et il lui semblait que Sarah ressentait toutes les marques de cette affection de son adolescence : accès de fièvre, gorge enflammée dans la nasse d’une extrême fatigue.

Sarah ne sortait quasi plus.

La centaine de mètres qui séparait son domicile de la boulangerie lui demandait d’inaccoutumés efforts qui la contraignaient à de fréquentes stations, comme une petite vieille, expliquait-elle en riant tristement, parce que ses jambes se dérobaient sous elle et que le souffle lui manquait.

On préconisait la prise d’antalgiques et surtout beaucoup de repos.

La maladie serait domptée au terme de quelques semaines de convalescence forcée.

Elle ne s’inquiétait pas outre mesure.

Sarah avait accepté qu’il passe l’après-midi du 18 mai avec elle.

La journée était magnifique.

Il s’amusait souvent à lui faire remarquer que leurs rendez-vous avaient toujours été placés sous les auspices d’un grand soleil, depuis le jour-berceau de leur première rencontre, un 10 janvier de plein hiver.

Il s’était garé non loin de son domicile, à côté de la pâtisserie de Sébastien Bouillon, au 110, avenue de la Pointe aux Chevaux, et l’avait attendue.

Le petit portail de bois s’ouvrait bientôt et elle marchait vers lui avec l’élégance de Madeleine Elster dans Vertigo pénétrant chez Ernie, la première fois que Scottie découvrait la créature qui ravagerait sa vie.

Elle était vêtue d’un simple jeans, d’une vareuse au rouge éclatant, celle du Bassin, qui porte la signature d’une coquetterie trop urbaine, et un foulard ceignait son cou. Elle savait qu’il aimait lui en voir porter un, retrouvant en ce détail vestimentaire sa profession d’avant, au temps où elle travaillait comme PNC chez Air France.

Il l’attendait devant la voiture.

Elle l’avait rejoint avec une lenteur calculée.

Lorsqu’elle se savait désirée par le regard d’un homme, Lou avait remarqué que Sarah affectait de transformer sa démarche en une sorte de glissement félin discrètement chaloupé.

Elle avait déposé sur ses lèvres le baiser furtif d’un sourire. Il est des femmes dont la grâce s’exprime jusque dans la fluidité sensuelle du corps qui prend place dans une voiture, et le trouble de Lou ne lui avait pas échappé quand elle lui avait adressé l’ébauche d’un clin d’œil complice et malicieux.

Ils s’étaient installés en terrasse à l’Hôtel des Dunes en face du Bassin.

L’harmonie aussitôt les avait réunis.

Ils avaient évoqué la maladie, bien sûr, mais aussi l’avenir.

La mise à l’eau du bateau dont il se chargerait, si elle voulait bien, le nouveau moteur qu’elle avait dû acheter, le permis qu’il lui faudrait passer – cela s’imposait quand on résidait sur le Bassin – le bonheur des couchers de soleil côté Océan qu’ils partageraient bientôt.

Il verrait, c’était magnifique !

Deux verres, une bouteille de rosé. Non, deux flûtes en cristal. Cultiver le raffinement jusque dans les moindres détails, et un champagne millésimé.

À quarante-cinq ans, elle voulait profiter de la vie, ne se priver de rien. Ils s’aimaient, ils seraient heureux. Le champagne accompagne mieux le bonheur de ceux qui s’aiment, n’est-ce pas ? Ils s’enivreraient de vin, du spectacle de la mer, de l’union du soleil et de l’Océan sur la ligne d’horizon. Ensuite, elle voulait qu’il la prenne sur la plage. Il n’ignorait pas qu’elle ne portait jamais de culotte. Sa robe, il se contenterait de l’enrouler sur le ventre et qu’importe le regard des autres, ce serait un concert merveilleux que ces vagues qui se brisent, la fraîcheur du soir qui vient, l’esprit emporté dans la houle frémissante de l’alcool et son sexe à lui, enfoncé profondément en elle, pour que s’épuisent les gémissements exaltés de la vie.

Ils avaient bu deux verres d’Entre-deux-Mers ; elle rit beaucoup malgré la fatigue qui marquait insensiblement ses traits. Il avait voulu l’union des mains, elle s’y était complu. Il avait prétexté un correctif de commande pour se lever, s’éloigner d’elle, puis se rapprocher par-derrière, glisser les mains assez bas sur la courbure des seins, mordiller sa nuque, attirer vers lui sa bouche qu’il avait langoureusement baisée, lui pourtant si pudique, devenu par son amour infini d’elle, gourmand de tendre impudeur.

Elle était fatiguée.

Comprendrait-il qu’elle veuille rentrer ? Et puis Yliès serait rentré du surf, il fallait qu’elle soit à la maison pour l’accueillir.

Pour profiter un peu plus d’elle, il l’avait entraînée vers le Boulevard de la Plage qui concentre les principaux commerces du Cap.

La vitrine de Jane de Boy lui ayant donné la curiosité d’entrer, il l’avait suivie dans les travées dégorgeant de clients, heureux de partager avec elle l’ordinaire banalité d’une vie de couple.

C’était une petite fille qu’il découvrait, s’émerveillant de tout, cueillant une paire de chaussures, attirée par une robe, un short, des pantalons. Une cabine avait été réquisitionnée pour les essayages. Elle voulait son avis sur chacun des articles emportés derrière le rideau bleu. Il glissait son museau pour la taquiner et surprendre la beauté nue de ce corps tant admiré, caressé, possédé, ce corps des nuits partagées, ce corps qui vieillirait au rythme du sien et auprès duquel il voulait reposer un jour, dans l’éternité.

Sarah avait hésité et puis son choix s’était arrêté sur un pantalon en toile fuselée blanc, d’une élégante sobriété qui se marierait très bien, lui avait-elle précisé doctement, avec le rouge de la vareuse.

Lou, l’un des secrets du bon goût, c’est celui des couleurs. Jamais plus de deux, sinon tu commets une faute pour l’œil…

Si cela ne l’ennuyait pas, pouvait-il lui avancer les cent quarante euros que coûtait le pantalon ? Elle avait laissé sa Carte bleue à la maison. Un amant n’est pas peu fier de pouvoir couvrir sa Princesse de cadeaux ; elle lui en offrait l’occasion.

Tu verras mais en fait tu as déjà vu, canaille ! Il dessine parfaitement la silhouette… Évidemment, je devrai le porter sans culotte… Les marques, au niveau des fesses, et même devant, hein ? Avoue que ça serait du plus mauvais effet…

Béat, amoureux, le sexe enflammé, il avait souri, l’avait attiré contre lui pour lui murmurer à l’oreille :

Tu es la femme de ma vie…

Sarah avait demandé qu’il la déposât au niveau du giratoire, juste à côté de la gendarmerie, à quelques pas de chez elle.

Elle avait fait volte-face, revenant sur ses pas vers la voiture, lui avait offert sa main qu’il avait embrassée avec fougue, bouleversé par le fracas de sa passion.

Elle lui avait lancé des lèvres, au bout des doigts, un dernier baiser.

Il avait attendu qu’elle se soit éloignée pour reprendre la Route de Bordeaux.

Une indéfinissable appréhension l’avait alors saisi.

Toujours, il avait redouté de la perdre.

Il ne se doutait pas qu’allait débuter son terrible exode.

Dix mois de souffrances et de solitude autour desquels allait se cristalliser le sel amer de son amour.

5

Elle lui avait proposé la date du 24 janvier.

Ça devait être un jour de rupture, le terme de son évulsion.

Elle lui avait dit qu’elle ne pourrait pas être là avant 17 heures. Elle prendrait sa voiture, et non une ambulance. Elle le rejoindrait directement en ville au sortir de l’hôpital au Bar l’Orangerie du Grand Hôtel InterContinental, place de la Comédie à Bordeaux, à l’endroit même où ils avaient partagé dix mois plus tôt leur première coupe de champagne.

Le lieu, c’est lui qui le lui avait imposé.

Il ne parviendrait pas à trouver le sommeil la nuit du 23 et il relisait en boucle leurs derniers échanges.

Combien de temps comptes-tu m’accorder demain ?

— Je ne sais pas.

— Tu n’imagines pas ce que je vis.

— Je l’imagine très bien.

— Tu es certaine, même en me revoyant, de ne plus rien ressentir pour moi ?

— Arrête.

— Réponds.

— Je suis lasse de tout cela… J’ai besoin de calme, de silence, de méditation, une sorte d’analyse sur moi… Voilà Lou, je ne veux pas te faire de mal mais j’espère que tu respecteras ma décision.

— Édouard est-il amoureux de toi ? Est-il possible que tes sentiments pour lui te rapprochent encore davantage de lui quand tu seras guérie ?

— Mais c’est n’importe quoi… Je n’arrive même pas à me projeter sur le « quand je serai guérie »…

— Il est amoureux de toi, ne me mens pas !

— Tu crois détenir la vérité tout le temps, Lou… C’est incroyable !

— Tu me méprises…

— Je ne te méprise pas, je veux vivre ma maladie seule, simplement. C’est si compliqué à comprendre ?

— Sarah ?

— Oui.

— Quelle que soit l’issue de ta maladie, c’est définitivement terminé entre nous ?

— Oui, Lou.

— Vraiment, tu n’en aimes pas un autre ?

— Mais tu vas me lâcher avec ça ? Je t’ai dit non, tu sais tout ! Jeudi 24 à 17:00 à Bordeaux.

— Je ferai tout demain pour te séduire comme le 10 janvier 2018, le plus beau jour de ma vie.

— Non, Lou.

— Si, je le ferai, Sarah.

— Ça ne marchera pas. Arrête stp. Je n’ai plus envie d’en parler. Demain, j’ai une dure journée et je suis épuisée. À demain.

— Si demain à cette heure, c’est terminé entre nous, probablement pour la dernière fois, je m’autorise à te l’écrire et c’est très dur…

Je te souhaite une douce nuit, Sarah, ma Princesse, mon Amour que j’aime tant.

— À demain.

6

Comme de bien entendu, le temps était radieux ce 24 janvier-là.

À midi, il était prêt.

Il s’était lamenté devant le miroir de la salle de bain que les cernes sous ses yeux fussent aussi prononcés au lendemain d’une nuit uniformément blanche mais faisant contre mauvaise fortune triste cœur en ce jour de deuil, il avait par exception prolongé le rituel de la toilette. Sarah lui avait fait découvrir le gel douche Thé des Vignes, de chez Caudalie ainsi que l’eau parfumée de la même gamme.

Telle avait été la première empreinte olfactive découverte au matin de leur rencontre.

Alors cultivait-il depuis, dévotement, la présence de Sarah à ses côtés, dans l’espace évidé de l’appartement, par l’usage et l’olfaction des flux évanescents de musc blancs, de néroli et de gingembre.

Il n’avait rien pu avaler de la journée qu’un carré de chocolat noir, filant l’écheveau interminable des heures qui semblaient par malice s’échiner à ralentir leur course.

On le vit arpenter sans relâche les axes du centre-ville, Cours de l’Intendance, Cours Clemenceau, rue Porte Dijeaux, en captif volontaire. Immergé dans le bouillon urbain où pataugeaient les autres, ombres indifférentes croisées à la lointaine périphérie de ses pensées, il ressassait son infortune, remonté contre le Destin qui lui refusait son bonheur d’amour et de vie.

À 12 heures 20, elle lui avait écrit son premier SMS de la journée.

Bonjour, Lou, je te tiens au courant de l’heure où je quitte l’hôpital.

Puis un second, à 12 heures 55.

Pourras-tu me ramener ma robe en jeans et le gaufrier stp ?

Ce n’était pas précisément une robe mais une chemise qui lui servait de nuisette quand elle sortait de la salle de bain. Elle l’enfilait pour la forme, en feinte bienséance. Dormant toujours nue, sitôt dans la chambre, elle l’ôtait alors qu’il l’attendait sous la couette. Elle s’en défaisait sans empressement. Elle savait que son désir à lui languissait, agacé par ce ludique effeuillage. Il avait réchauffé le côté du lit où elle dormirait et avec la célérité d’un petit chat, il percevait maintenant la fraîcheur de sa main explorant avec une impertinente naïveté les épaules, le buste, une cuisse ou le ventre, avec l’assurance de celle qui a toujours su d’instinct ce qu’instantanément elle n’aurait pas manqué de trouver : sa verge durcie qui, fermement empoignée, provoquait chez elle un éclat de rire enfantin.

Le gaufrier, elle l’avait emporté dans un sac à dos noir un lundi de février pour faire une surprise à son fils, Andrea.

Et aujourd’hui, elle lui réclamait ces deux biens temporels.

— Je suis en ville, Sarah.

— Mais c’est pour ce soir, tu as le temps de repartir chez toi.

— Nous ne sommes vraiment pas sur la même longueur d’onde…

— J’en ai besoin stp.

— Je te les ferai livrer, ne t’inquiète pas… Tu as raison, c’est tellement important…

— C’est tout cela qui m’agace chez toi.

— C’est ma vie que je joue avec toi, et toi, la seule chose qui t’intéresse, alors que ça fait 10 mois que j’attends de te revoir, c’est de retrouver ton appareil à gaufres !

— Et la robe. Je ne demande pas la lune !

— C’est cela qui me déçoit chez toi. Respecte, s’il te plaît, le caractère sacré, à mes yeux, de cette ultime entrevue. Je te les ferai livrer.

— Je ne veux pas de livraison.

— La femme de ma vie m’a largué, alors un appareil à gaufres et une robe, c’est le cadet de mes soucis ! Je les déposerai où tu veux… Franchement, Sarah, avec ces demandes saugrenues, tu n’es pas sérieuse là ?… Ne me dis pas que tu as accepté de me revoir uniquement pour ça ? Je suis à tes yeux moins important qu’un gaufrier ? Pendant dix mois, tu as été plus importante que mon fils. Je n’en retire aucune gloire… Mais chacun fait en fonction de ses valeurs. N’aie crainte toutefois, je te les rendrai, tes affaires. Si tu refuses une livraison, je les déposerai bientôt chez le pâtissier en face de chez toi. Pas de souci. Je ne suis pas un voleur.

— Je te dis que non ! C’est clair ? Tu vas encore me faire suer longtemps ?

— Moi aussi tu me fais suer ! Tu aurais pu avoir aujourd’hui la délicatesse, Sarah, la décence, le respect de ne pas abaisser de la sorte le niveau de la conversation.

— C’est toi qui cherches cette situation. À tout à l’heure.

— C’est toi qui évoques des trucs à la con dont je n’ai cure ! Ennoblis un peu ton esprit avec moi. Noble et respectueux, avec toi, je l’ai toujours été. Respecte-moi. C’est tout. Je ne suis pas un larbin. Surtout pas aujourd’hui. Tu auras même réussi à gâcher ce dernier rendez-vous. C’est pathétique. Promets-moi de ne pas chercher à être désagréable ce soir. C’est capital pour moi.

Il était 14 heures 46.

À 17 heures 10, Sarah n’était pas arrivée.

Il ne se serait pas inquiété s’il n’avait à de multiples reprises fait la cruelle expérience de son imprévisibilité.

Alors depuis le Bar l’Orangerie où il avait pris place, il se décida à lui écrire.

Je veux encore croire que tu vas arriver… Mais si tu t’étais une fois de plus dérobée, sache que j’ai moi également un tempérament fort quand il le faut ! Et que je viendrai t’affronter au Ferret si tu n’as pas l’éducation minimale de m’expliquer cette énième dérobade…

Il s’apprêtait à repartir.

À 17 heures 30, elle ne viendrait plus.

Il allait régler sa consommation.

Il était debout, il revêtait son imperméable Gant, acheté un peu pour elle…

De la lave en fusion coulait dans ses veines, l’envie de hurler sa déception, la colère, la haine pour cette femme, un amour infini mort-né, le non-sens de quinze mois de vie, quand son regard se porta machinalement vers les portes vitrées qui communiquent avec le Cours de l’Intendance.

Il la vit.

Et ce fut un éblouissement.

Non, il est incapable de se souvenir des vêtements qu’elle portait. Un jeans comme la première fois, de cela il est sûr. Mais quelle chemise ? Quelle veste ? Un manteau, peut-être, qu’il revoit sombre, noir sans doute.

Une femme superbe de distinction et d’élégance.

La mémoire, comme un miroir d’eau remué par la violence inattendue d’un orage, retrouvera un jour dans la nappe réfléchie du ciel les détails aujourd’hui dissipés.

Trop surpris, trop bouleversé pour songer à faire un pas. Elle s’autorisa à avancer vers lui, un sourire énigmatique dessiné sur ses lèvres. Le bar était plein. Plus une table libre, il l’avait noté avant son arrivée. Et s’il avait mis un point d’honneur à se présenter en avance au rendez-vous, c’était pour avoir l’assurance d’occuper une table qui étancherait les fissures de son âme. Sous le regard de qui va et vient, afin qu’elle le remarque aussitôt en entrant, si elle le rejoignait… isolée un peu, pas trop, pour leur garantir l’intimité d’une conversation.

Lorsque Sarah se trouva à son niveau, Lou la prit dans ses bras.

Déroutée un instant, elle ne chercha pas, il le sentit, à se dérober à son étreinte. Il la serra fort, à percevoir les battements de son cœur, et ses bras à elle l’enserrèrent à leur tour. Timidement d’abord, puis dans un dialogue affectif sans équivoque. Comme le géant Antée qui puisait son énergie de Gaïa, la Terre, avec laquelle toujours il devait demeurer en contact sous peine de mort, Lou nourrissait son Amour, renaissait à la vie de cette étreinte, du contact de ce corps de femme qu’il avait cru disparu à jamais. Il huma l’odeur de sa peau, s’imprégnant de sa réalité, conscient de vivre là un moment fondateur de sa vie.

Il figea en secondes d’éternité le miracle de l’instant.

Il fallut bien qu’ils réintègrent le cercle des vivants.

Sarah lui fit gentiment remarquer qu’ils n’étaient pas seuls et lorsqu’il se fût assis et que son regard eût embrassé un instant la salle, il remarqua que nombre de regards étaient posés sur eux.

Son choix se porta sur un verre de Saint-Julien. Un jeune serveur obséquieux en rapporta deux. À défaut de boire dans le même verre qu’elle, il partagerait le nectar coulé de la même bouteille, mûri du même vignoble. La magie de la terre et du ciel coulerait dans leurs veines.

Sarah ne parla pas de rupture, et de leurs bouches s’écoula le courant apaisé des premiers mois fondateurs de l’amour. Il fut question de sa maladie, évidemment. Elle se livra beaucoup, lui racontant le calvaire des mois d’été durant lesquels elle avait si souvent cru mourir.

Lou ne l’écoutait pas.

Ce dont elle l’entretenait, le brouillard des semaines écoulées, ne l’intéressait pas.

Il était tout entier à la dégustation de sa présence. Ses yeux, jamais rassasiés, buvaient goulûment l’encre brune de son regard. Il ne pouvait interdire à son corps si longtemps privé de la liberté du sien, de la frôler, de jouer des mille teintes que la palette de son cœur offrait aux pinceaux virevoltants des doigts. De cesse jamais il n’avait que fussent caressés la peau douce des joues ou bien les cheveux dont il peignait délicatement les mèches ondulantes pour qu’elles reposent doucement sur l’épaule. Il osa effleurer un genou. La promesse d’un sourire l’encouragea au babillage des mains. Comme autrefois, leurs doigts s’aventuraient par-delà les regards, par-delà les mots, sur les rives du souvenir.

Quand elle lui proposa une promenade dans les rues de Bordeaux avant que les commerces ne ferment, il fut heureux que soient renoués les fils ordinaires du quotidien.

Le Bar l’Orangerie n’était plus la triste officine de leur rupture mais retrouvait comme par magie l’ambiance irréelle et raffinée de l’écrin d’amour où il l’avait embrassée pour la première fois.

S’estompait la frontière du temps et se gommaient en son cœur les morsures de dix mois de souffrances.

Sarah venait de le réveiller d’un sommeil de mort et ensemble ils allaient à nouveau traverser le miroir du réel.

Elle l’entraîna chez Apple, puis aux Galeries Lafayette.

Il avait pris sa main, l’avait un instant tenue par la taille, si fier qu’elle fût à nouveau sa petite Eurydice.

Elle essaya un tailleur, s’enticha d’une veste, hésita, se ravisa, jeta son dévolu sur une jupe beige dont le tissu et la coupe évoquaient pour lui un modèle classique de la maison Chanel. Il la suivit jusqu’à la cabine d’essayage, glissant le regard autorisé de l’époux derrière le rideau bleu pour retrouver enfin sa quasi-nudité, comme ils s’en étaient amusés tous deux chez Jane de Boy au Cap Ferret, le 18 mai d’une vie d’avant.

Finalement, la jupe ne lui convint pas, elle s’y étouffait.

Elle la rendit.

Ils saluèrent la vendeuse dépitée et regagnèrent l’animation des rues.

À l’angle de la Galerie bordelaise, elle voulut s’arrêter pour écouter un guitariste de flamenco. Elle se colla contre lui, de sorte qu’il puisse la ceinturer de ses bras et elle battit des mains comme une fillette au rythme de la chanson. Il la sentait véritablement heureuse, détendue, offerte à lui dans ce don d’elle, fait de complicité et de confiance. Les tourments de la maladie lui accordaient une rémission, elle réalisait sans doute ce soir-là qu’elle guérirait plus vite grâce à lui et à son amour dont elle n’avait jamais douté.

À 20 heures, Sarah expliqua qu’il lui était impossible qu’ils dînent ensemble, car son fils se retrouvait seul à la maison mais elle le lui promettait, elle reviendrait très vite.

Oui, elle lui faisait solennellement le serment d’un dîner.

Alors, il la raccompagna jusqu’à sa voiture qu’elle avait stationnée rue Condillac, à proximité de la Place des Grands Hommes. Elle se proposa de le déposer devant son immeuble. Il accepta pour goûter le bonheur de quelques minutes de plus grappillées au Destin. Elle désirait acheter du pain pour Yliès et il lui suggéra de remonter la rue Judaïque. Il arrivait que la boulangerie Lamour ferme après 20 heures. Une jeune employée balayait la boutique, cela ne la dérangeait pas de le servir. Lou acheta la dernière baguette et deux babas au rhum qui furent logés dans un carton si étriqué qu’avec leur pipette d’alcool ils pointaient leur rondeur brune comme deux chevaliers échappés d’un conte merveilleux que l’on aurait surpris derrière une muraille. Il cala la boîte sur la banquette arrière et c’est place Dutertre qu’ils se quitteront. Il l’embrassera sur les joues mais à l’image du 10 janvier 2018, ses lèvres glisseront près des siennes et il sentira la caresse discrète et douce de la pointe de sa langue…

À 20 heures 16, il lui écrivait.

— C’était véritablement merveilleux… Magique… Merci, mon Amour.

— Merci.

— Tu es magnifique…

— Non, pas du tout. Je suis très ordinaire, tu exagères.

— Émane de toi une lumière extraordinaire, Sarah, qui m’éblouit. Ébloui, je le suis tout le temps. Je me sens tellement bien avec toi… J’ai ressenti exactement les mêmes émotions que la première fois. C’est fou !

À 21 heures 54, elle lui écrivait.

— Bien arrivée, dîner terminé et Yliès est au lit. Bonne nuit, Lou.

— J’ai l’impression de vivre un rêve après ces longs mois de cauchemar. C’est avec ton odeur et ton parfum que je m’endormirai. Une nuit délicieuse, c’est certain. Merci pour tant de bonheur ! Douce nuit, mon Amour.

La journée du 24 janvier se refermerait sur l’ombre de son dernier silence.

7

Ce serait sa dernière semaine d’espérance.

Le 23 février 2019, Sarah insista lourdement pour que Lou acceptât un détachement en Polynésie que l’on venait de lui proposer.

Rien n’était officialisé mais si un poste se libérait sur l’atoll de Rangiroa, il aurait la journée pour informer l’IPR de sa décision.

Dans l’immédiat, elle le lui avait répété, le suivre serait impossible.

Jamais Gabriel, l’ex-mari et père d’Yliès, n’accepterait de se séparer de son fils, non qu’il débordât de tendresse paternelle, mais du fait de ses vicieuses inclinations pour la chicane, disait-elle.

La première année, leur séparation serait-elle plus pénible à gérer que celle qu’ils venaient de vivre ?

Il rentrerait en Métropole pour les longues périodes de vacances et elle disposait de tant de milles accumulés lorsqu’elle travaillait chez Air France, qu’elle viendrait souvent le retrouver en Polynésie.

Tahiti ? Mais, Lou, c’est l’un des rares endroits au monde où je ne me sois jamais rendue et que je rêve de découvrir…

L’année suivante, leur situation se serait éclaircie, elle aurait eu le temps de préparer Gabriel à la séparation, elle l’aurait convaincu.

Il aurait alors un logement, aurait pris ses marques, il lui serait plus facile de les accueillir.

Elle démissionnerait de son poste chez Bordeaux-Atlantique Assurances et tenterait d’intégrer en tant que PNC une compagnie aérienne locale, Air Tahiti Nui par exemple (à condition qu’on lui permette des dessertes moyen-courriers), ou Air Tahiti, pour des vols interîles, ce qui lui conviendrait à merveille !

Air France ?

Non, il n’y fallait pas compter, elle doutait fort qu’on la réembauchât chez Air France après le versement de l’indemnité de départ qu’elle avait négociée âprement en 2013 : 53 000 euros. Ils lui avaient permis de financer en partie l’acquisition de l’appartement qu’elle possédait à Mérignac.

Mais on l’avait regrettée à la compagnie. De cela, elle était sûre ; ses anciennes collègues de le lui avaient souvent répété à l’occasion du dîner mensuel qu’elles organisaient ici ou là, en France ou dans toute autre capitale européenne, en fonction du bon plaisir de celle en charge de l’organisation.

Sarah avait raconté à Lou une singulière anecdote.

Un jour, sur un vol Paris-Los Angeles, les PNC avaient eu maille à partir avec un passager acariâtre et vulgaire, et dans un accès de colère, celui-ci les avait traitées de pouffiasses.

L’insulte était restée.

On l’avait rincée au détergent de l’ironie et on en avait fait le nom d’une amicale d’hôtesses et de stewards.

C’est sous ce nom iconoclaste que la table du restaurant se réservait.

Lou avait ressenti une gêne indéfinissable à l’écoute de son récit ; Sarah s’appliquait sans concession à corriger la pureté de sa langue. Le Verbe devait s’harmoniser avec l’apparence, le soin accordé à la coiffure, le maquillage, les tenues vestimentaires, les accessoires.

Les bijoux, par exemple.

En argent, toujours, ou en or blanc ; elle jugeait l’or jaune commun et vulgaire.

Elle avait en horreur la vulgarité sous toutes ses formes et cependant chaque mois elle s’enrôlait pour ces drôles de dîners sous la bannière de la plus abjecte crudité. Non qu’il fût bégueule, mais ce mot faisait tache chez Sarah, il souillait, par son emploi, la bouche qui le prononçait.

Quoi qu’il en soit, si elle retrouvait un emploi en Polynésie, Sarah désirait pouvoir rentrer à la maison chaque soir, à tout le moins le plus régulièrement possible. Yliès avait trop souffert de ses absences prolongées quand elle assurait des vols long-courriers.

Qu’il réfléchisse bien avant de donner sa réponse. La Polynésie, ça serait formidable ! Pour lui d’abord ; une pareille opportunité ne se refusait pas. La Polynésie c’était une partie importante de sa vie à lui. Son appartement regorgeait de trésors dont il lui avait fait étalage : un nombre incalculable d’œuvres du peintre Jacques Boullaire ne tapissait-il pas les quatre murs du salon ?

Chez lui, on croisait partout des vahinés dont le regard se perdait dans de déroutantes mélancolies.

Formidable pour elle ensuite.

Ils se marieraient là-bas dans la plus stricte intimité, entourés de leurs seuls fils.