Moana reva - Jean Rasther - E-Book

Moana reva E-Book

Jean Rasther

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Beschreibung

Les mythes racontés dans "Moana reva" tirent leur inspiration de l’île de Huahine. « La vengeance de Hina » explore les premiers âges de la création de l’univers par les Dieux, tandis que la seconde aventure met en scène la princesse Ari’ipaea vahine, symbolisant le passage vers un nouveau monde. Ces histoires interrogent l’identité d’un peuple, les marqueurs culturels que sont la défense d’une langue, la connaissance de son histoire, mais aussi celle du cap que l’on souhaite fixer pour son avenir. Si Moana reva questionne sur des sujets qui touchent intimement à l’âme Māʻohi, ils n’en sont pas moins universels.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Rasther a grandi à Luchon, dans les Pyrénées. Il poursuit des études littéraires à Toulouse, enseigne à Bordeaux, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française où il s’intéresse aux cultures ancestrales et au transgénérationnel. Il réside actuellement à Tahiti. "Moana reva" est son septième ouvrage. Tous sont publiés aux Éditions Le Lys Bleu.

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Jean Rasther

Moana Reva

© Lys Bleu Éditions – Jean Rasther

ISBN : 979-10-422-1800-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Huahine, ma petite île de cœur,

à Hadrien Areiti, mon fils,

à mes parents et à Corinne,

je dédie ces deux récits mythologiques polynésiens.

Avertissement

Les deux récits mythologiques de ce recueil sont librement inspirés de légendes polynésiennes qui ont nourri l’imaginaire de l’auteur.

Que les puristes ne lui en tiennent pas trop rigueur.

Moana Reva est à double titre une œuvre de pure fiction.

L’alphabet tahitien et la prononciation des mots

L’alphabet tahitien compte treize lettres et trois signes

– Huit consonnes : F, H, M, N, P, R, T, V prononcées [fa], [hé], [mo], [nou], [pi], [ro], [ti], [vi] ;
– Cinq voyelles : A, E, I, O, U, prononcées [a], [é], [i], [o], [ou] ;
– Trois graphies pour les accents : -, ', ^.

La prononciation en tahitien

– Le « u » est prononcé « ou » ;
– Le « e » est prononcé « é » ;
– Le « h » est expiré comme dans « home » en anglais ;
– « ae » comme dans « père » ;
– « ao » comme dans « port » ;
– « au » comme dans [a] – [ou] prononcé « a » puis « ou » dans la même syllabe ;
– « ou » comme dans [o] – [ou] prononcé « o » puis « ou » dans la même syllabe ;
– « ai » comme dans « oseille » usuellement, alors qu’on devrait plutôt dire « ai » comme dans « ail » ;
– « ei » comme dans « oseille ».

Beaucoup de personnes en Polynésie prononcent « ai » ou « ei » de la même manière.

L’auteur utilise dans ces deux récits mythologiques de nombreux termes polynésiens dont il s’efforce d’éclairer le sens par le contexte.

Il a cru préférable de ne pas joindre un glossaire à ce recueil, afin que le lecteur n’ait d’autre choix que de s’abandonner peu à peu à la douce musicalité de la langue polynésienne.

Son mystère ne la rendra que plus charmante.

Comme il existe dans les mythologies des dieux primordiaux, l’histoire de certains mots semble remonter aux origines obscures d’une langue.

Le terme moana en fait partie.

Partout au sein de l’immense zone géographique mā'ohi que l’on nomme Triangle polynésien, te moana désigne la mer, le grand Océan, la matrice.

Reva évoque, quant à lui, au même titre que fano ou tere, l’idée du déplacement, du mouvement et du voyage.

Il décrit en outre les sphères célestes.

Pour l’Académie tahitienne, l’appariement des deux mots moana reva suggère l’insondable profondeur de la mer.

J’y ai vu la métaphore d’une culture immémoriale.

Faute de mythe, toute culture perd la saine fécondité de son énergie native ; seul un horizon circonscrit de toute part par des mythes peut assurer l’unité de la civilisation vivante qu’il renferme.

Friedrich Nietzsche, La naissance de la tragédie, 1872

Si les Tikis sont matériellement basculés dans les fossés c’est qu’ontologiquement ils ont d’abord été renversés dans les esprits, les âmes et les cœurs.

Michel Onfray,

Le Désir ultramarin – Les Marquises après les Marquises,

Éditions Gallimard, 2017

La vengeance de Hina

Chapitre I

Il était une fois, en des temps immémoriaux, une Déesse qui ne supportait plus l’exil auquel Ta'aroa l’avait contrainte.

E tāpa'o rahi tei 'itea i ni’a i te ra'i

E vahine i vehihia i te mahana 'e te marama i raro a'e i tāna 'āvae...

Un grand signe apparut dans le Ciel.

Une femme vêtue de Soleil, et la Lune sous ses pieds…

chantaient naguère les Hommes.

Sur la peau d’une pierre fleurie fut gravée un jour la sentence de Ta'aroa.

Le tronc d’un cocotier, évidé pour la recevoir, déposée en son cœur.

De part et d’autre, des têtes tranchées d’hommes.

Deux jambes vers l’arrière, pour conjurer le mauvais sort.

Deux jambes vers l’avant, pour louvoyer en compagnie des Dieux, entre Hiva' Oa et Ra'iātea.

Une pierre, que les prêtres du marae de Taputapuātea avaient reçu l’ordre d’enfouir profondément, et que fût scellée l’alliance.

Jadis vêtue de Soleil, elle foulait dans son exil la Lune sous ses pieds.

Tout là-haut, au fond d’une vallée de rocaille, on avait bâti pour elle un petit Palais dont l’architecture s’inspirait vaguement des fare ia manaha.

À l’intérieur de l’enceinte, sur des blocs basaltiques régulièrement disposés, trônaient des images en bois ou en osier tressé des plus illustres représentants du vieux culte mā'ohi.

Hina, puisqu’il faut l’appeler par son nom, vivait seule dans son royaume peuplé d’ombres.

Eu égard à son statut divin, on avait simplement permis que des enfants demeurassent à son service.

Elle les maintenait dans la plus ingrate servitude, des 'ōpūnu, de peau plus noirs que la nuit.

Elle en faisait ses pages.

Sa main les sacrifiait lorsqu’ils atteignaient l’âge adulte.

La tiédeur écarlate du sang – soutenait-elle –, entretenait la sainte incarnation qui lui permettrait de retourner vivre sans doute un jour sur Terre.

Les 'ōpūnu veillaient sur leur maîtresse à certaines heures du jour ; ils répondaient à ses menus plaisirs à certaines heures de la nuit.

Quand la Déesse prenait du repos, ils chassaient les rats qui pullulaient à cette époque sur la Lune, des rats énormes, de la taille de cochons sauvages, dont le dos était recouvert d’épines gorgées de venin bleu.

Captive, Hina le demeurait à sa façon, enfermée entre quatre murs rongés par l’humidité, dans une bâtisse sinistre, sans toit, offerte aux terribles tempêtes célestes, et au regard réprobateur de ses pairs.

L’oisiveté et surtout la rancœur aigrissaient chaque jour davantage l’âcre caractère de la Déesse.

Ceux qui avaient souhaité la punir d’un orgueil excessif ignoraient encore que l’humiliation dont ils l’avaient meurtrie ne manquerait pas de se révéler bientôt lourde de conséquences.

Hiro, en particulier, le propre frère de Hina, en subirait le premier les foudres.

N’était-il pas responsable de l’exil de la Déesse ?

N’avait-il pas fléchi Ta'aroa pour assouvir une vengeance personnelle ?

Nul n’ignorait que Hiro haïssait sa sœur depuis l’enfance, et qu’il rêvait de la voir morte en pensées, la mort, pour une divinité s’apparentant à l’oubli.

Apparemment soumise et résignée à subir son triste sort, Hina entretenait sournoisement dans le secret de son cœur le ahi du châtiment.

Chapitre II

Fiti Iti promettait la force et la beauté des 'arioi.

Hina l’avait remarqué le jour où Ta'aroa lui en avait fait don, emporté depuis Mata’ire’a vers la Lune par un pāuma, un cerf-volant, en forme de tortue géante.

Le charme de l’enfant l’avait troublée.

Elle, dont le cœur captivait les émotions comme les pièges du lac Fauna Nui de Maeva ses poissons, pour jouir ensuite du spectacle délectable de leur lente agonie, hésitait sur la pertinence du sacrifice prochain.

Une nuit, Hina exigea que Fiti Iti restât auprès d’elle.

Qu’il contemplât un clair de Terre.

À cette époque lointaine, les deux astres gravitaient côte à côte, inséparables, puisque frère et sœur dans le Ciel.

Pour preuve, Maui, le héros aux mille ruses, était parvenu à lancer un javelot sur la Lune depuis 'Orohena, le sommet le plus élevé de Tahiti.

Il s’en était fallu de peu pour que l’arme piquât le Soleil.

Courroucé d’un pareil outrage, celui-ci avait promptement dévié la course du flexible 'aute, mais le bois, trop sec et trop léger, n’avait pas permis que l’arme retombât sur Terre, et sa pointe s’était enfoncée par mégarde dans le sol de la Lune.

Alors, dans un fracas formidable, il avait emporté dans sa chute deux rochers que l’on peut encore observer aujourd’hui dans la baie Faaona, à Maupiti.

« Tu es moins laid et surtout moins stupide que les autres 'ōpū nu affectés à mon service.

Ton regard sait rester humble, soumis, déférent, comme il sied à ceux de ta caste.

Tu anticipes l’appétit de mes désirs, et cela me plaît.

Toi seul devines que me répugnent les lois de l’exil, imposé par Hiro.

Il y a longtemps, Fiti Iti,

que tu as compris que j’attendais le moment opportun pour dissiper les brumes de la colère,

et fuir à jamais la laideur de ce cachot suspendu en plein ciel,

sans éveiller les soupçons de mes invisibles geôliers.

Ô vous, frères de sang, mes gentils porcs infâmes !

Tu vas servir mes plans.

Je te sais dévoué et fidèle.

Tu sauras où est ton devoir.

Il en va ainsi de ta destinée.

Dès que tes muscles se seraient arrondis,

dès que tu serais entré dans le triste âge d’Homme,

je me serais abreuvée de ton sang,

accroupie au milieu des pierres gluantes du temple.

J’en aurais enduit mon corps.

Sang pur,

mono'i délicat,

corail de vie,

puissants arômes d’humus,

lit de fougères,

berceau retrouvé de l’enfance,

nahe des vertes mémoires.

Te here o te’Ari'i'ura,

Te here o te fenua.

Le 'ūmete aurait ensuite célébré tes entrailles.

Un festin pour mes rats au venin bleu.

Tous, avant toi, ont connu le même sort.

Regarde, tout en bas, la ridicule gesticulation des Hommes.

Regarde les perpétuelles petites misères des ta'ata,

leurs guerres sans cesse livrées,

les disettes qui succèdent aux disettes,

les caprices imprévisibles des Rois,

vos mesquineries d’Immortels.

Tu as échappé à l’insignifiance parce que Ta'aroa en a décidé ainsi.

Tu n’auras pas à te morfondre plus longtemps.

À quoi te servirait d’attendre le devenir d’homme ?

Auras-tu femme et descendance ?

Tu es né pour la jouissance des Dieux,

et périr de leur main,

sur l’autel.

Je t’offre l’Autre.

Sacrifié, oui, tu vas l’être.

Mais ton corps ne fera jamais l’expérience de la peur,

des souffrances de chair,

de la vieillesse,

de la dégénérescence.

Écoute.

Demain, je prélèverai ta peau.

Tu n’as rien à craindre.

Tu ne sentiras rien.

Je connais les formules sacrées.

Je possède les plantes qui endorment à tout jamais les Hommes, dans le pli des rêves.

D’elle, de ta peau, je me revêtirai.

En Fiti Iti, déguisée, pour tromper la sotte vigilance des Dieux.

Le cerf-volant de Ta'aroa qui t’a permis de grimper jusqu’au ciel, je le conserve comme pieuse relique.

Regarde.

Regarde comme te Fenua-nui,

notre Terre,

est belle.

Demain, à la même heure, le harpon de nos yeux piquera des poissons dans les écailles du ciel.

Tahiti

Mo’orea

Ra'iātea

Taha'a

Le plus beau de tous, enfin :

Mata’irea

Mon Authentique,

Mon ventre éternel.

Rends-toi dans l’instant au fare ia manaha, pour récupérer la pierre.

Celle à l’effigie de mon frère Hiro.

Tu ne peux te tromper : la mousse l’a rongée au point que les traits en sont aujourd’hui effacés.

Avec le sérieux d’une écolière, je la sors chaque jour du marae pour que mes rats la souillent de leurs excréments.

Tu vas la tailler avec l’herminette de corail que je te fournirai.

Ne redoute pas que l’outil soit investi de l’énergie du manamana.

Vois en elle un simple galet de rivière.

Perce-le.

Il deviendra sous tes doigts agiles un hameçon pour ma ligne de pêche.

Fixé à mes pieds,

soutenu par le ha’ape’e’uo,