Les mois d’août à Gardincourt - Sophie Selliez - E-Book

Les mois d’août à Gardincourt E-Book

Sophie Selliez

0,0

Beschreibung

Années 90. Laura grandit dans le nord de la France, au sein d'un foyer modeste, aux côtés de ses parents et de ses deux sœurs. Sa famille ne part pas en vacances. L'été, elle reste à Gardincourt, où les journées s'étirent entre les jeux au jardin, les réunions de voisins, les pique-niques et les tâches domestiques des parents. Alors qu'elle reçoit du courrier de ses copines, Laura se met à écrire pour elle-même. À la fin de chaque été, elle s'adresse rituellement une carte postale qu'elle conserve précieusement. – Entre moments familiaux tendres et turbulences adolescentes, ses étés tracent l'itinéraire d'une jeune femme confrontée à des épreuves personnelles et à de petites révolutions touchant à l'universel. Ce récit, teinté d'introspection, explore d’une plume sensible les thèmes de l'attachement et de la réussite. – « Août est toujours un voyage immobile, une île de félicité qui déploie des objets, du mobilier que notre famille n'utilise pas le reste de l'année. C'est un dépaysement qui me semble encore plus savoureux que si nous partions en vacances. On réinvente le quotidien, on tord les règles du jeu, on s'autorise. Les enfants vivent dehors et les parents rajeunissent. »

À PROPOS DE L'AUTRICE

Sophie Selliez est née en 1987 dans le Pas-de-Calais. Épanouie quand elle transmet, elle anime des ateliers d'écriture pour petits et grands, dans la continuité de son travail de romancière et de poétesse. Attachée à sa région, elle aime ancrer ses histoires dans son « Nord en or ». Elle est l'auteur du recueil "Du merveilleux dans l'ordinaire" et du roman "Un diamant dans une boîte à chaussures", parus aux Editions Glyphe. Elle a également publié une minisérie pour la jeunesse : "Zak et Anouck" (aux éditions Amanite).

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 155

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

« La vérité n’existe pas. […]Dès lors qu’on ellipse, qu’on étire, qu’on resserre, qu’on comble les trous, on est dans la fiction. »

Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie

« Ne change rienNi d’air ni de refrainVis ta vie, jolie personneVa comme au premier clair de l’aubeNe doute ni ne raisonneIrradie, danse, rayonneVa comme au premier clair de l’aubeBelle comme au premier clair de l’aube »

Tété, Le premier clair de l’aube

AOÛT 2022

C’EST L’HEURE DES PREMIÈRES VOLUTES de brume. L’heure des ciels de guimauve et des ultimes caresses d’été sur les épaules qu’on dénude encore.

Dernier jour d’août, petit matin. Les vacances sont finies, le bureau m’attend, j’en reprends doucement le chemin.

Après un grand bol de café avalé dans un coin de la cuisine, j’ai rassemblé à la hâte quelques affaires, cherché mon badge dans des poches et des tiroirs, remis la main sur une clé USB. Enfilé les baskets élimées portées tout l’été. Et puis sans faire de bruit, j’ai refermé la porte, laissant un répit au reste de la maisonnée encore en congés.

Personne dans la rue. Rien que mes pas et mes cheveux mal coiffés.

Assise sous l’abribus, j’étire mes bras au rythme lent des souvenirs frais qui affluent vers mon cœur et m’enveloppent de toute leur douceur. Dans l’air léger, j’élargis mon corps. La rue dort encore. Je suis l’intruse venue précipiter le réveil de la ville.

Je me tiens là, seule, comme si j’avais arrêté la course du monde. Mais si l’on tend l’oreille, si l’on soulève une paupière rétive, on distingue au loin le chant d’un oiseau, le macadam éteint qu’un rare véhicule ranime et le ciel qui flamboie.

Ma main effleure mon téléphone dans la poche de ma veste. Retourner travailler, se reconnecter. Et puis non, je me freine, encore pétrie d’été et de lenteur. Je résiste et ouvre grand les yeux. Autour de moi, tout ce que, dans le quotidien, je ne regarde plus.

Derrière l’abribus se dresse un mur aussi haut que dissuasif, celui de la maison d’arrêt, enceinte massive qui se fond dans le décor au point de se laisser oublier. Elle répand ses ombres jusqu’au milieu du boulevard. Austère, irréfutablement frontalière, camouflant des vies abîmées. Un seul mur pour découper le monde, séparer les passants libres du gouffre invisible des pénitences.

Sur le trottoir d’en face, un autre bâtiment. La maison paroissiale est une grande salle commune à la façade de briques où les chrétiens se rassemblent, baptisent, célèbrent chaque semaine. L’imposant mur lui aussi élancé vers le ciel se distingue du premier par les nombreuses fenêtres oblongues qui le percent et miment l’allure des vitraux des églises, en plus modernes et sans couleurs.

Je laisse courir mon regard sur l’édifice jusqu’à ce qu’il s’accroche à un barreau, l’image d’un barreau. Les fenêtres à cette heure se font miroir du monde. Je devine, dans chacun des carreaux, des barreaux. Les cellules du dernier étage de la prison se reflètent dans les vitres de cette maison dédiée à Dieu. D’un côté de la rue, l’arrêt, la détention, tant de vies suspendues, et de l’autre, un espace où des gens viennent cultiver chaque semaine l’espoir d’un paradis, d’une vie éternelle et paisible. Leurs fenêtres curieusement se répondent.

L’autobus est arrêté au feu rouge un peu plus bas sur le boulevard, bientôt j’y monterai. Je profite de ce minuscule interstice pour imprimer l’image saisissante dans ma mémoire. Un petit bout de poésie entre un café et un trajet en transport en commun.

À quel point nos prisons s’acoquinent-elles avec nos espérances ? Est-ce que ce qui nous libère flirte toujours avec ce qui nous enferme ?

Le bus arrive, je salue le chauffeur, composte mon ticket. Me voilà en route pour une nouvelle année de travail. En moi aussi bataillent des élans de foi contre des murs de croyances érigés. Ai-je conscience de mes prisons ? De mes moyens d’évasion ?

Les vacances ne sont plus, la rentrée n’est pas là tout à fait. Dernier jour d’août, petit matin.

Bientôt la cafetière du bureau ronronnera au son des récits de vacances, des voix enjouées couvriront d’un voile de nostalgie les photos du camping, du barbecue, de la piscine. Le passé proche gorgé de certitudes et de grandes gratitudes côtoiera les espoirs et les doutes à venir.

Dernier jour d’août, petit matin.

Prémices du déclin de l’été.

L’heure des plus jolies célébrations.

Et je couve déjà précieusement les pépites collectées sur mon chemin estival. J’ai passé un merveilleux été et je ne veux pas le laisser s’échapper. Ce soir, j’irai jusqu’au tabac presse acheter une carte postale, comme je le faisais avant. En l’espace de quelques phrases, je rassemblerai les impressions et les couleurs de ce mois d’août, que j’inscrirai de ma plume déliée sur le carton buvant toujours un peu trop l’encre.

Quand la carte aura séché, je la glisserai dans la boîte à chaussures poussiéreuse qui sommeille à même le plancher sous mon lit, avec toutes les autres cartes écrites depuis que je suis petite. Et dire que ces dernières années, je les avais oubliées ! Hier soir, en rangeant des photos, j’ai retrouvé le carton. Je l’ai ouvert et je souris encore d’avoir relu son contenu. Tout a commencé par l’idée naïve d’une enfant. C’est devenu un voyage dans le temps. Avec le recul, cette entreprise avait tout d’un projet d’écriture.

S’écrire à soi-même. Se raconter ses étés.

Écrire à ses soi du futur, destinés de façon irréversible à glisser à leur tour dans le passé.

Garder des traces, rivaliser avec la mémoire sélective.

Quelques morceaux de carton aux illustrations datées, une écriture chancelante puis de plus en plus affirmée, des mots glanés, année après année, dans mes souvenirs d’été.

Des fragments qui me racontent, qui m’élident surtout.

Comme en musique, il faut bien des silences, des interstices de non-dits pour donner corps à tout le reste.

Entre les pleins et les déliés, comme entre des barreaux, se faire miroir ou faire miroiter, donner matière à l’insignifiant bruit du monde.

Mardi 27 août 1996

Chère Laura,

J’ai passé des bonnes vacances. On a été à la mer. J’ai bronzé, on voit la marque de mon maillot ! Les cousins sont venus dormir à la maison. Papa a rapporté des glaces fusées, on a tout mangé en deux jours ! C’est bientôt la rentrée. Je passe en CM1. J’ai un peu peur, j’espère que je serai dans la classe de mes copines. Surtout Augustine !

Demain soir, on va acheter les affaires d’école. Maman est d’accord pour que j’achète aussi un CD !

AOÛT 1996

UN CONCERT de splash et de voix d’enfants résonne dans le périmètre circonscrit d’un rectangle de pelouse. Encadré par les haies de thuyas que l’on vient de tailler, le jardin est notre petit monde. Un havre à l’abri des regards où l’enfance dispose de tout l’espace nécessaire pour se dilater.

À l’ombre du parasol rayé à franges délavé par le soleil, l’odeur amère de la sève cède la place à celle du PVC. C’est le parfum chimique du plastique rouge de ma bouée. On a gonflé les boudins de la piscine et Maman l’a remplie, seau après seau qu’elle porte à bout de bras de la cuisine vers la terrasse en béton. Elle a relevé ses cheveux permanentés, les a fixés à la hâte avec une pince crocodile vermeille qui s’accorde au vernis tout frais qui pare ses orteils. Au fil des allées et venues, une mèche s’échappe de ce chignon improvisé. Ma mère est belle en débardeur blanc et short en jean, elle ressemble à une actrice. Elle disparaît lentement puis revient déjà, éclaboussée, pour se délester du poids de l’eau. Et puis l’effleurement des rides du plastique au fond de la piscine, la topographie légèrement désagréable contre laquelle se frottent mes genoux tandis que mes doigts clapotent à la surface du bain. L’eau froide est enfin devenue tiède.

— Je crois qu’on a vidé le cumulus, rit-elle !

Bain à la température du corps, boudins brûlants de soleil. Je m’allonge, gigote, insouciante et comblée.

— Papa, regarde, je sais nager !

Mon père bricole torse nu dans le jardin, un bob publicitaire enfoncé sur la tête. Il se retourne pour commenter mes exploits.

— Bouge les jambes comme une grenouille ! Ouais, et les bras aussi !

Maman a enfilé un maillot de bain puis remis son short par-dessus. Le restant de l’année, je ne connais ma mère qu’en pantalon. Elle étale de la crème solaire sur ses jambes un peu frêles et si blanches de ne jamais voir le soleil. Leur maigreur contraste avec son ventre encore un peu mou d’avoir porté des enfants. On y dépose nos nuques en demande de câlins quand vient le soir. Pour l’heure, mes sœurs sont à la sieste, le jardin m’appartient.

— Tu mets de l’eau partout, Laura ! Je te préviens, je n’en rajouterai pas !

J’entends la réprimande et me calme, dans une tentative de flotter en étoile de mer. Juliette, cinq ans, sort en trombe du salon, elle est réveillée. La voilà qui court en slip, saute par-dessus les boudins, souille l’eau de ses pieds maculés de pelouse. On râle un peu, on rit, et l’on se moque bien de son torse nu au soleil et des petites fesses que l’on devine à travers le coton blanc mouillé. Tout à l’heure on mettra un chapeau. Des pleurs retentissent à l’intérieur. Marine aussi veut se lever, Maman va la chercher, s’installe avec elle sur une couverture dépliée sur le gazon et lui donne une compote à l’ombre du magnolia.

Je passe les mois d’août à Gardincourt, comme disent les vieux de chez nous. Un village qui ne figure sur aucune carte, aucun atlas. Gardincourt appartient au territoire et au langage de mon enfance dans le Pas-de-Calais comme il appartient à la mémoire de tant de gens du Nord. Gardincourt parce que le matin dans l’gardin, l’après-midi dans l’cour. Gardincourt comme : « Quel bronzage ! T’es partie où en vacances ? – À Gardincourt ! »

Août est le mois du soleil, du jardin, du bonheur ! Mes parents sont en vacances et nous font vivre trois semaines d’éternité.

Je m’appelle Laura et j’ai deux petites sœurs. Juliette me talonne avec ses trois ans de moins, Marine quant à elle est encore un bébé. Dans ma classe de CE2, nous sommes trois à nous prénommer Laura, il paraît que c’est la faute de Johnny Hallyday. Pourtant mes parents ont horreur de Johnny, à cause de son look de motard, du cuir et des boucles d’oreilles. On passe un peu pour des OVNIs. Mes parents ont acheté récemment une chaîne hifi. Dans la pile de CD, des chanteurs romantiques des années soixante-dix et les tubes disco d’ABBA, si bien que mes sœurs et moi adulons nous aussi des vedettes mortes ou datées, tout en brushings et en pattes d’éléphant. Nos reflets dans la porte-fenêtre de la salle à manger nous renvoient nos chorégraphies. Juliette et moi les élaborons en pyjama sur des succès en anglais dont nous ne comprenons rien mais qui nous invitent à danser. Serions-nous vraiment sur scène que rien n’y changerait, nous sommes possédées par notre spectacle. Je dirige notre duo en comptant les temps, cadençant nos pas chassés, tours sur nous-mêmes et autres applaudissements.

Nous habitons une rue calme où chaque maison bâtie dans les années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix héberge des voisins de notre âge. Dans notre lotissement, toutes les bâtisses se ressemblent et tous les adultes se connaissent.

Les jours très chauds, j’attends que le soleil passe derrière le pignon d’à côté. La rue alors se peuple d’ombres qui nous rafraîchissent. Un à un, les gamins apparaissent sur le trottoir, armés de craies, de skateboards, de cordes à sauter.

Quand nous entrons chez un voisin, nous ne sommes jamais dépaysés. Chez chacun, le même rectangle de pelouse tondu de près, l’abri de jardin où sont rangés les ballons, la cheminée au feu de bois, la cuisine équipée, une allée en macadam pour garer la voiture, un break ou un monospace… Nous avons aussi les mêmes aspirations que les copains. Regarder le Club Dorothée, manger des Chocapic et de la crème Mont-Blanc, rêver du camping-car Barbie ou d’un BMX, vouloir épouser le prince William ou encore mieux, Harry, acheter des CD 2 titres des Spice Girls, avoir l’autorisation de porter un crop top, rembobiner des VHS et des K7, jouer avec des pogs et ressentir le blues du dimanche soir devant Ça cartoon après le bain.

Quand nous ne sommes pas devant la télévision, nous jouons dehors, sans craindre les voitures, veillant les uns sur les autres. C’est l’époque des grands rassemblements de gamins à vélo. Une tribu autonome se constitue dans notre rue sans que les parents s’en mêlent. Jérémie, les cheveux en brosse et les muscles déjà saillants sous ses maillots serrés, habite la maison en crépi. Dès que les adultes ont le dos tourné, il pavane tout en acrobaties comme si son vélo ne pouvait rouler que sur une roue. Devant mes parents, il déverse chaque jour un flot de politesse qui les amadoue. Mais dès que la rue nous appartient à nouveau, il utilise des mots que je n’ai pas le droit de dire, s’emploie à réaliser de nouvelles cascades, ne craignant jamais de s’écorcher, et entraîne ses petits frères à sa suite. Les autres garçons l’imitent et le défient, on organise des courses et des concours sur le goudron collant comme de la lave. Jamais ne nous effleure l’idée du danger. Les filles sont moins nombreuses, Juliette et moi côtoyons Amélie qui habite la dernière maison avant le virage. C’est toujours elle qui nous rejoint et nous traçons des marelles à la craie sur le trottoir de mes parents.

Depuis peu, j’ai le droit de rouler à vélo sur la route jusqu’au stop. En plein après-midi, il n’est pas rare qu’un nuage nous surplombe et pédalant le plus vite possible, nous tentons de poursuivre son ombre. Toujours elle nous échappe et nourrit le désir brûlant de rouler un peu plus loin, jusqu’au virage peut-être ! Nous échappons un instant à la surveillance des plus grands ou d’un papa qui nettoie sa voiture. Notre liberté se gagne par petits bouts de bitume tandis que nous troquons tour à tour les petites roues pour des VTT.

Nous sommes la jeunesse en devenir, nous patinons en roller en chantant Un, dos, tres de Ricky Martin et portons des t-shirts Décathlon déclinés dans toutes les couleurs par-dessus des cyclistes à motifs. Nous sommes des enfants de la télé et des rayons de supermarché, nous baignons dans un confort qui ignore les guerres et le manque. Peu importe que nos genoux soient écorchés et nos tibias couverts de bleus.

Notre voisin le plus proche est prof. À chaque fois qu’il a besoin d’une perceuse, d’un tournevis ou d’une clé à molette, il vient frapper et passe une demi-heure à nous raconter sa vie. Il part en vacances un petit peu plus loin que Gardincourt. En août, il soupire enfin d’aise : après un mois de repos, il commence tout juste à se détendre. Une fois la porte refermée, ma mère hausse les épaules.

— C’est sûr que les employés se détendent plus vite ! Ils n’ont que trois semaines pour tout l’été !

Elle est secrétaire dans une aciérie, mon père travaille pour une société de vente de surgelés à domicile. Il papote avec des gens toute la journée, si bien que lorsqu’il rentre à la maison, il n’a plus rien à dire. Il est localement connu pour être un champion du Tetris de congélateur. Rien de très homologué dans ce titre, c’est pourtant lui qui prouve à toutes les clientes que : « Si si, il reste de la place dans le tiroir du bas ! »

Au mois d’août, le pingouin de la marque de son patron s’affiche partout chez nous. Les bobs, les serviettes de plage, les tee-shirts que nous portons en chemises de nuit, les verres à limonade, le parasol, les raquettes de plage. Face à un tel élevage, on se croirait sur la banquise ! Mes sœurs et moi vivons dans une publicité pour Machingel. Et nous adorons ça ! Les objets au logo de la marque peuplent nos vacances comme si nous suivions la caravane du Tour de France. Ce ne sont que des babioles. Pour nous pourtant ces cadeaux ont le goût de luxe !

« Nous, on ne part pas. »

Ma mère prononce cette phrase à la manière dont on dirait « pas de ça chez nous ! » Aucune déception dans sa voix, une once de jugement peut-être. Elle emploie cette intonation à mi-chemin entre la fierté et l’humilité qui dit tout et rien à la fois. Libre à son interlocuteur d’interpréter. Partir, cela n’appartient pas à notre monde.

Il arrive pourtant que nous partions.

Une ou deux fois dans mon enfance, nous rendons visite à de la famille, comme ce petit cousin qui habite dans la Nièvre. Un été c’est la collègue de Maman qui nous prête sa caravane le temps d’un week-end. La caravane, c’est différent : on ne quitte pas le département, on pose nos valises à Berck, et Berck, quand on vit dans le Nord, c’est toujours un peu chez soi. Je me souviens du coffre de la voiture plein à craquer et de tout ce que nous avions emporté, nos draps, nos oreillers, nos affaires de toilette et nos raquettes en plastique, tout droit sortis des placards de la maison. Même le chocolat pour le petit-déjeuner provenait de chez nous.

Dans notre famille, c’est ainsi, on ne part pas en vacances. On est en vacances. Dans cet ici et non dans ce là-bas se loge une saveur que seuls les gens qui restent apprennent à apprécier.

La mémoire est bien plus vaste que ce vieux film qui passe dans nos têtes, elle resurgit au gré des sensations, peuple les recoins du corps, la pulpe des doigts, les papilles, le fond de l’oreille, elle vibre de mille sensations qu’une infime expérience du quotidien peut réveiller.

Par-delà les clôtures, les jours de grand beau temps, on devine les barbecues et l’amusement des voisins. J’aime ce joyeux concert ponctué parfois par le bruit d’un avion dans le ciel ou les miaulements d’un chat perdu qu’on voudrait garder pour nous, il est tellement mignon ! On sait bien que ça n’est pas bon pour lui mais on dépose quand même une écuelle de lait sur la terrasse.