Les Pèlerinages des Pyrénées - Gustave Bascle de Lagrèze - E-Book

Les Pèlerinages des Pyrénées E-Book

Gustave Bascle de Lagrèze

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Extrait : "Les habitants des Pyrénées eurent toujours une foi vive, une dévotion particulière pour la Mère de Dieu. Il est peu de vallées qui n'ait sa Madone protectrice entourée de la vénération des siècles. L'histoire raconte que les plus illustres chevaliers du pays furent les plus empressés à se dire les serfs de Marie et à lui rendre hommage de leurs succès. Les Souverains de Béarn, les Comtes de Bigorre, dans des chartes importantes, invoquent la Reine du Ciel."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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À Sa Grandeur

MONSEIGNEUR DE SALINIS

ARCHEVÊQUE D’AUCH, ETC.

MONSEIGNEUR,

« Je suis heureux que vous m’ayez permis de faire paraître, sous vos auspices, les Pèlerinages des Pyrénées.

Les sanctuaires de la Ste-Vierge, dont je raconte l’histoire et la légende, sont compris dans votre province et conservent précieusement des témoignages de votre piété, de celle de vos prédécesseurs.

C’est à Bétharam que vous avez voulu recevoir les insignes de la dignité archiépiscopale ; cette célèbre chapelle a eu pour premier historien un de vos compatriotes, un illustre archevêque aussi, Pierre de Marca. Comme lui écrivain et prélat éminent, vous avez comme lui cette courtoisie béarnaise qui fait pardonner la supériorité du talent et rehausse même le charme de la vertu.

J’ose espérer que vous agréerez avec indulgence et bonté l’hommage de mon œuvre modeste et de mon profond respect.

G.B. DE LAGRÈZE. »

Avant-propos

Notre très saint Père le pape Pie IX, comme Souverain, s’est illustré par de grandes vertus et par de grands malheurs ; comme Pontife, il a déjà acquis une gloire immortelle dans le gouvernement religieux du monde et dans la sphère de la théologie. Sa voix, proclamant du haut de la chaire de St-Pierre, le dogme de Immaculée-Conception, a trouvé dans tout l’univers catholique un immense écho, et a réveillé, surtout parmi nous, un saint enthousiasme pour l’auguste patronne de la France.

Le gouvernement impérial s’est empressé de s’associer à ce noble élan de la piété populaire. L’Empereur a voulu que les canons conquis à Sébastopol fussent employés à la fonte d’une statue colossale de Marie, qui doit être élevée à côté d’un sanctuaire célèbre, sur le roc pyramidal du Puy en Velay. Le Garde des sceaux a promis les presses de l’imprimerie impériale pour un livre monumental destiné à recueillir les gloires de la Ste-Vierge dans notre belle patrie.

C’est alors qu’il s’est formé à Paris un Comité de Notre-Dame de France, présidé par Monseigneur le prince abbé Bonaparte, et composé d’illustrations soit du clergé, soit de la science.

Nommé correspondant de ce comité, j’ai cherché à mériter cet honneur par l’ardeur de mes recherches, et j’ai trouvé des documents aussi nombreux qu’intéressants sur les sanctuaires dédiés à Marie dans presque toutes nos vallées.

J’ai soumis au comité de Notre-Dame de France mon travail, et j’ai reçu le conseil de le publier en entier avec sa couleur locale, en attendant qu’il pût former un chapitre du grand ouvrage.

C’est ainsi qu’est née la pensée de ce livre où j’ai réuni les monographies des sanctuaires les plus renommés de nos contrées sous le titre de : Pèlerinages des Pyrénées.

Notre-Dame des Pyrénées

Son culte. – Ses sanctuaires en Béarn et en Bigorre.

Les habitants des Pyrénées eurent toujours une foi vive, une dévotion particulière pour la Mère de Dieu. Il est peu de vallées qui n’ait sa Madone protectrice entourée de la vénération des siècles.

L’histoire raconte que les plus illustres chevaliers du pays furent les plus empressés à se dire les serfs de Marie et à lui rendre hommage de leurs succès. Les Souverains de Béarn, les Comtes de Bigorre, dans des chartes importantes, invoquent la Reine du Ciel, implorent ses grâces, la remercient de leurs succès, et lui lèguent des monuments durables de leur piété.

Un héros béarnais, célèbre dans les croisades, Gaston IV, l’émule de Tancrède, un des premiers qui entra dans Jérusalem délivrée, ne cessa de témoigner sa pieuse reconnaissance à la Vierge qui avait veillé sur lui à l’heure du danger, et qui lui avait permis de rentrer, après la victoire, dans sa chère patrie. Il lui dédia l’abbaye de Sauvelade dont il fut le fondateur, il lui éleva de nombreuses chapelles en Béarn, et enrichit, de ses dons, diverses chapelles en Espagne, notamment celle de Notre-Dame del Pilar .

Henri II, roi de Navarre, le chevaleresque époux de Marguerite de Valois, fut le bienfaiteur, ainsi que nous le verrons, de plusieurs sanctuaires consacrés à Marie. Au bout du pont qui faisait face à son château de Pau, se trouvait un oratoire renommé. Il exigea que sa fille Jeanne d’Albret, au milieu même des douleurs de l’enfantement, chantât un cantique à Notre-Dame du Bout du Pont, et le nouveau-né, placé ainsi à son entrée dans la vie sous ce divin patronage, devint un jour le grand, le bon Henri !

Les comtes de Bigorre avaient pour cri de guerre : Notre-Dame de Bigorre, et à ce noble cri ils triomphèrent des infidèles dans la Palestine, ils combattirent les Maures en Espagne, et expulsèrent de leurs frontières, les Sarrazins et les Anglais !

Ils aimaient à donner le nom de la Vierge jusqu’à leurs châteaux forts. Près de Luz, on voit encore les vieilles tours de Ste-Marie, célèbres dans les annales du pays, au moment où la domination anglaise prit fin pour toujours dans nos vallées.

Ce n’est pas tout : les seigneurs de Bigorre se reconnaissaient les vassaux de la Reine du Ciel. Un titre authentique de 1062 rapporte que le comte Bernard consacra son comté à Notre-Dame du Puy, et s’obligea à lui payer une redevance de 60 sols Morlàas.

Cette concession faite de la suzeraineté à la Ste-Vierge a donné lieu à des évènements fameux dans l’histoire locale. Était-ce là un hommage de dévotion établi par un pur sentiment de piété ? Était-ce la reconnaissance d’un ancien droit sans cesse respecté jusqu’au dernier siècle ? Si l’on en croit une des chartes les plus anciennes des archives du château de Pau, voici quelle aurait été l’origine de cette importante redevance. Je cite en entier et je traduis littéralement cette curieuse légende :

Comme la vie de l’homme est fugitive et fragile, afin d’empêcher que la mémoire de la prise de Mirambel ne vienne à périr, nous allons la raconter à la postérité.

Dans ce temps-là, Charlemagne, roi des Français et empereur romain, s’était emparé de la cité et de tout le comté de Horra (Bigorre), excepté du château de Mirambel. Depuis longtemps il le tenait assiégé sur trois points différents du côté de Ferragut, du côté d’Hippolyte et de celui de St-George. Mirat, seigneur de Mirambel, avait été plusieurs fois sommé de se rendre et de devenir chevalier de Charlemagne, après avoir reçu le baptême ; mais il répondit que, tant qu’il aurait la possibilité de se défendre un seul jour, il ne consentirait jamais à se soumettre à un homme mortel.

C’est pourquoi l’Empereur, fatigué des ennuis d’un long siège, songeait à se retirer. Mais Ste-Marie, Mère de Dieu, Notre-Dame du Puy en Velay, invoquée par d’humbles prières, opéra un miracle de la grâce. Un aigle, saisissant dans ses serres un énorme poisson du lac, l’avait déposé intact sur une des parties les plus élevées du château, qui conserve encore aujourd’hui le nom de Pierre de l’Aigle. Le commandant, justement étonné, se hâta de l’envoyer à Charlemagne en lui faisant dire qu’il se tromperait fort s’il espérait le réduire par famine, tant que son vivier lui fournirait de si beaux poissons. L’Empereur fut tout à fait déconcerté ; mais l’évêque du Puy devinant la vérité, rassura Charlemagne, et lui dit : Prince, la Mère de Dieu, Ste-Marie du Puy, commence à opérer merveilleusement ; et le roi répondit : qu’il en soit ainsi !

Et alors l’évêque, comme bon serviteur et ambassadeur de ladite Dame Ste-Marie, s’en vint trouver Mirat, et, entre autres paroles, lui adressa celles-ci : « Mirat, puisque tu ne veux pas te rendre à Charles-le-Grand, le mortel, le plus illustre de l’univers, puisque tu ne veux pas reconnaître un maître, reconnais du moins une maîtresse, rends-toi à la plus noble Dame qui fut jamais, à la Mère de Dieu, Notre-Dame du Puy. Je suis son serviteur, deviens son chevalier. »

À ces mots, Mirat, déjà éclairé d’en haut par un rayon de la grâce, lui dit : « Je rends les armes et je me livre avec tout ce qui m’appartient à la Mère du Seigneur, à Ste-Marie du Puy ; je consens en son honneur à me faire chrétien et à devenir son chevalier ; mais j’entends m’engager librement, et je veux que mon comté ne relève jamais que d’elle seule, soit pour moi, soit pour mes descendants. » L’évêque, diplomate par excellence, prit dans ses mains une poignée du foin du pré sur lequel il se trouvait dans ce moment avec Mirat, et ajouta : « Ne veux-tu rien accorder en signe d’hommage à la Mère de Dieu ? Offre-lui du moins ces brins d’herbe pour montrer que tu deviens son vassal. » Mirat répondit : « Je n’ai pas de conseil à prendre de toi ; j’accorderai ce que je voudrai. » – Il en sera ainsi, répliqua l’évêque.

Et alors celui-ci, revenant auprès de Charlemagne, lui demanda ce qu’il lui plairait de faire. Le roi, ayant réuni son conseil, fit cette réponse : « Il me plaît que tout hommage soit rendu à Notre-Dame du Puy, et j’accorde qu’il en soit ainsi. Et l’évêque alla rejoindre Mirat, et les conventions furent arrêtées, comme il a été dit, avec approbation du roi. »

Mirat et tous ses soldats, mettant des guirlandes de foin au fer de leurs lances, en signe de soumission de la place, se rendirent aux pieds de Ste-Marie du Puy, et firent litière de ce foin en l’honneur de la Mère de Dieu. Mirat obtint le titre de chevalier pour lui et pour ses enfants ; il reçut en baptême le nom de Lorus ; tous ses biens lui furent remis ; il reprit possession de Mirambel. Suivant l’usage des gentilshommes, il donna son nom au château qui, depuis lors, s’appelle Lordum. Ceci eut lieu en l’année 778.

Dans ma Chronique du château de Lourdes, j’ai longuement disserté sur cette légende qui, au moment où elle fut écrite, ne faisait évidemment que traduire une croyance adoptée par la piété populaire.

Si les seigneurs, si les chevaliers du Béarn et de la Bigorre aimaient à courber la tête devant l’autel de l’humble Vierge de Bethléem, les pauvres surtout trouvaient d’ineffables consolations à déposer leurs peines au pied de la consolatrice des affligés.

Les artistes s’inspiraient aussi des touchantes scènes de la vie de la Reine des Anges. Les trois cathédrales de Lescar, d’Oloron et de Tarbes lui étaient dédiées, et il serait difficile d’énumérer les églises, les chapelles, les oratoires, les statues, les bas-reliefs , les peintures qui lui étaient consacrées.

L’image de la Vierge brillait partout au Moyen Âge, à côté du foyer domestique et dans l’angle extérieur de la maison, dans la niche au coin de la rue et dans la mont-joie au bord du chemin. On aperçoit encore, dans plusieurs villages des vallées, des places vides qu’orna jadis la statuette de Marie qui protégeait les édifices civils comme les édifices religieux, l’humble chaumière comme le château féodal.

Une lampe, le soir, veillait au pied de la madone ; ce fut le premier système d’éclairage de nos villes. Cette pierre immobile et muette, représentant des traits révérés, fut aussi bien souvent une sauvegarde contre de sinistres projets. À son aspect, le malfaiteur, qui se croyait seul dans les ténèbres, trembla quelquefois comme tremble un fils quand une mère le surprend au milieu d’une action criminelle.

On a beaucoup écrit sur les Pyrénées ; le poète les a chantées ; l’écrivain en a raconté les merveilles ; le savant en a exploré les curiosités, les richesses et les secrets. Nos vallées, moins heureuses que les vallées de la Suisse, n’ont pas eu encore un historien catholique qui sût faire ressortir avec autant de dévotion que de génie le charme de ses souvenirs religieux ; et rendre intéressantes les annales de la chapelle consacrée à la Vierge ; la vieille chronique de la vieille foi des montagnards ; enfin, la légende d’autrefois, naïve mais touchante peinture d’une piété simple et profonde.

Si Dieu n’a pas accordé à tous le don de sentir vivement et de noblement exprimer ce qu’on a senti, une parole sans éloquence et sans art ne suffit-elle pas pour faire naître dans les âmes pieuses des réflexions profondes et de douces émotions, en racontant l’histoire des grâces répandues dans certains lieux privilégiés, consacrés depuis des siècles par la prière et les miracles ?

Qu’il me soit permis de répondre à deux objections que ces derniers mots ont peut-être fait naître dans quelques esprits peu éclairés.

Me dira-t-on : les lieux de pèlerinage et de dévotion, si recherchés dans les temps d’ignorance, ne sont-ils pas dans un siècle de lumière regardés comme sans utilité pour les âmes, sans d’autre intérêt que la satisfaction d’une vaine curiosité ? Le chrétien ne peut-il pas prier partout ? Le créateur n’est-il point partout pour accueillir l’hommage parti d’un cœur sincère ?

Quant aux miracles, nos pères ont pu y croire, mais aujourd’hui Dieu n’en fait plus.

Avant d’attaquer les pratiques et les croyances catholiques, il serait convenable de prendre la peine d’en étudier le sens et la portée.

Dans les temps antiques, le Seigneur n’avait qu’un seul temple. C’est à Jérusalem qu’étaient obligés de se rendre de toutes les parties du monde, ceux qui voulaient l’adorer.

Depuis l’institution du christianisme, les églises se sont multipliées sur toute la surface du globe. Les fidèles, après s’être prosternés sur le tombeau des saints, leur élevèrent des autels. « Honorons, disait Eusèbe, les soldats de la vraie religion comme les amis du Seigneur ; allons aux temples qui leur sont consacrés, et là nous leur ferons des vœux comme à des hommes révérés par l’intercession desquels nous espérons obtenir beaucoup de Dieu. »

La Vierge, la Reine des saints, a été l’objet d’une vénération toute particulière, et le culte de sa mémoire remonte au berceau même de notre religion. Il est destitution apostolique ; la tradition attribue à St-Pierre lui-même l’érection du premier oratoire en l’honneur de la Mère de Dieu. Et depuis lors les paroles de David se sont accomplies : Tous les riches du peuple sont venus devant sa face pour lui offrir leurs supplications. Vultum tuum deprecabuntur omnes divites plebis (Ps. 46).

On a toujours pensé que le seigneur lui-même choisissait certains lieux privilégiés pour y répandre ses grâces avec plus d’abondance. Il commanda jadis à Abraham de quitter sa terre natale, parce qu’il voulait se manifester à lui sur la terre du pèlerinage. Jacob, après la vision céleste du chemin de Mésopotamie, s’écriait : « Vraiment, Dieu est ici et je l’ignorais. » Verè Deus est in loco isto et eyo nesciebam. Ce n’est que sur le mont Oreb que le Seigneur se montre à Moïse, et lorsque Salomon lui bâtit un temple, il lui dit : Voilà l’endroit que j’ai élu pour y faire ma demeure. Elegi locum istum in domum.

Aussi haut que l’on remonte dans l’histoire de l’Église, on voit ériger des autels dans des lieux prédestinés à jouir des faveurs spéciales du Ciel. Les vieilles légendes nous apprennent que c’est à la suite d’apparitions mêmes de la Vierge que furent désignés les emplacements choisis pour les plus antiques chapelles de la France et de l’Espagne, comme celles de Notre-Dame du Puy ou de Notre-Dame del Pilar.

La raison sous ce rapport est encore d’accord avec la foi. L’âme, comme l’esprit humain, est moins sensible aux choses accoutumées qu’à celles qui s’offrent à elle avec le double mérite de la difficulté et de la rareté. Les plus beaux objets perdent leur prix par un trop fréquent usage. Une magnifique cathédrale que l’on visite chaque jour éveille moins d’émotions religieuses qu’une chapelle modeste, retirée, lointaine, renommée par de singuliers pèlerinages. Dieu semble avoir voulu, pour exciter plus vivement la foi, s’accommoder aux faiblesses humaines, en permettant que des miracles de grâce fussent opérés dans des lieux écartés, séparés des villes, et quelquefois d’un difficile accès. Il accorde ainsi un encouragement à ceux qui vont au loin solliciter ses faveurs, et une récompense à ceux qui font effort pour aller au-devant de ses bienfaits célestes. Le royaume des cieux souffre la violence ; ce sont les forts et les courageux qui l’emportent.

Le Béarn et la Bigorre se font remarquer par la vénération toute particulière du peuple pour d’antiques chapelles érigées à Notre-Dame, soit sur le sommet de quelque montagne, soit au fond de quelque vallée, dans les sites les plus sauvages, comme dans les sites les plus gracieux. L’origine de presque tous ces oratoires est si ancienne, qu’elle est enveloppée de mystères.

Ces monuments furent souvent, nous l’avons déjà dit, la manifestation de la piété reconnaissante des seigneurs et des peuples. C’est là que des rois de France et d’Espagne se rendirent en pèlerinage, déposant un instant les insignes de leur puissance pour ne songer qu’à leurs devoirs de chrétien ; c’est là que les chevaliers du Moyen Âge allaient faire bénir leur épée, passer la veille d’armes et projeter des emprises en l’honneur de madame Ste-Marie.

C’est là que des populations entières accouraient de bien loin, lorsque des calamités publiques annonçaient la nécessité de désarmer la colère du Ciel.

C’est là que se rendaient jadis et que se rendent chaque jour encore les cœurs malades ou brisés par les orages de la vie, et sans cesse ils y rencontrent les secours célestes de la Vierge qui soulage toutes les infirmités physiques et morales, salus INFIRMORUM !

« Dieu peut-il faire des miracles ? Cette question sérieusement traitée, dit Rousseau, serait impie si elle n’était absurde. » « Il est des merveilles, dit le même auteur, auxquelles on reconnaît le maître de la nature ; elle n’obéit pas à des imposteurs. »

La doctrine qui veut exclure le surnaturel de ce monde est vieille de deux mille ans et a été trop victorieusement réfutée pour qu’il soit nécessaire encore d’en faire ressortir le vide et l’absurdité : qui peut raisonnablement prétendre que celui qui a créé le monde a abdiqué le pouvoir d’y rien changer ? Il se passe entre le ciel et la terre des choses invisibles que nos sens grossiers ne peuvent comprendre.

On ne saurait dire tous les mystères que l’homme rencontre dans la nature ; toutes les folies des prétendus sages du siècle ; toute la supériorité des préceptes d’un simple catéchisme, sur les théories d’une orgueilleuse science.

Répétons avec un de nos plus brillants écrivains modernes , quoi de plus naturel et de plus conforme à la miséricorde divine que ces éclatants prodiges qui viennent à de fréquents intervalles récompenser une foi vive, ou ranimer dans des cœurs bons et naïfs, mais faibles, la foi ébranlée ?

Je raconterai donc les miracles que nos pères ont cru, et je ne tairai sous silence que ceux qui n’ont pas été approuvés encore par l’autorité ecclésiastique, seule compétente en ces matières.

Que de faits merveilleux nous sont transmis dans les documents les plus vénérables !

Tantôt des étrangers venaient dans nos sanctuaires où leur piété était soudain récompensée ; tantôt nos montagnards implorant une madone célèbre au-delà des monts, la voyaient mystérieusement apparaître pour les couvrir de sa main puissante dans l’abîme où ils étaient ensevelis vivants, et dont ils ne pouvaient être retirés que par une merveilleuse assistance .

En rapportant avec un mélange de respect et d’amour les vieilles traditions, nous redirons avec l’éloquent historien de Ste-Elisabeth : « quand même nous n’aurions pas le bonheur de croire avec une entière simplicité aux merveilles de la puissance divine qu’elles racontent, jamais nous ne nous sentirions le courage de mépriser les innocentes croyances qui ont ému et charmé des milliers de nos frères pendant des siècles. »

Parmi un nombre infini de faits miraculeux accomplis par l’intercession de Marie, nous avons eu soin de ne rapporter que ceux qui nous ont paru les mieux établis. L’Église ne commande pas d’y croire ; si la légende quelquefois ne semble qu’une pieuse allégorie, si elle ne subjugue pas la raison, elle charmera du moins toujours le cœur par un parfum de suavité et de sainteté ; mais si les concessions faites par la bonté de Dieu à la foi et à la Prière sont appuyées sur des preuves authentiques, pourquoi ne pas en laisser la gloire à la toute-puissante intervention de Marie auprès de son divin Fils ?

Comme le pèlerin des vieux âges, en traversant les magnifiques scènes de la nature, arrêtons-nous devant les sanctuaires recommandables par les mystères de leur origine, les miracles qui s’y sont οpérés et la vénération séculaire qui les environne.

Chacune de nos plus belles vallées nous offrira un asile propre au recueillement et à la méditation. Allons de l’un à l’autre, et, dans la vallée d’Aspe, dans celles du Gave, d’Azun, d’Argelés, de Gavarnie, d’Aure, de la Neste, de Campan, de l’Adour, de Magnoac, nous rencontrons Notre-Dame de Sarrance, Piétat près de Pau, Bétharam, Poueylahun, Piétat près de St-Savin, Héas, Bourisp, Nestés, Médous, Piétat près de Barbazan, Garaison.

Que ceux qui ont toujours marché d’un pied ferme dans la droite voie ; que ceux, qui après avoir quitté le sentier du bien et de la vérité, ne craignent pas de le retrouver ; que ceux qui, en se livrant au courant des idées du jour n’ont trouvé dans le monde que des souffrances sans remède et des tristesses sans consolation ; que ceux dont l’âme aspire à des délices et à des espérances éternelles, essaient de lire la naïve histoire de la chapelle des montagnes, qu’ils essaient de prier au pied de l’autel où tant de générations disparues ont prié avec eux ; et qu’afin d’obtenir une céleste médiatrice entre la faiblesse humaine et la bonté divine, ils stressent à la Ste-Vierge Marie, et qu’ils lui disent du fond du cœur : Mère du Christ, priez pour nous ! MATER CHRISTI, ORA PRO NOBIS !

Notre-Dame de Sarrance
I

La vallée d’Aspe, qui conduit du Béarn aux montagnes de l’Aragon, est une des plus intéressantes des Pyrénées. Là vivait un peuple fier de ses anciens privilèges, mais toujours fidèle à la foi de ses ancêtres.

Cette vallée commence à Oloron, l’antique Illuro, vieille cité qui ne forme qu’une ville avec Ste-Marie, séparée d’elle seulement par un gave. Les Romains avaient construit leurs remparts sur la hauteur ; les chrétiens du Moyen Âge descendirent la cathédrale dans la plaine. Ce monument du XIme et du XIIme siècles a conservé son porche, remarquable par ses trois arcades cintrées, ses colonnes romanes et ses chapiteaux historiés. La grande porte est décorée de sculptures représentant des Arabes faits captifs par les souverains du Béarn, les vingt-quatre travaux du calendrier, et les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse.

Malheureusement, le saint édifice dédié à la mère de Dieu était placé dans un bourg peu défendu, où il fut exposé aux dévastations des Normands, aux invasions des Espagnols, aux fureurs des guerres de religion. Aussi, l’archéologue retrouve-t-il dans cette église des rajustements de diverses époques, et notamment du XIIIme, du XIVme et du XVme siècles. Le Trésor de la sacristie a gardé des ornements sacerdotaux du Moyen Âge, fort rares surtout dans ces contrées. C’est à Ste-Marie que résidait l’évêque d’Oloron.

Après avoir visité en passant la vieille cathédrale, continuons notre route. Voilà devant nous la vallée d’Aspe qui se déploie dans toute sa magnificence.

En face du village d’Escot s’élève un rocher pointu appelé la Tour de St-Nicolas. Une excavation naturelle, située à son sommet, servit jadis, dit-on, de cellule à un saint ermite.

Bientôt la gorge se resserre. Une montagne semblait vouloir défendre d’aller plus loin : c’est la Pène d’Escot. Les Romains y ouvrirent une voie vers l’Espagne. Comme monument de leur passage, ils y gravèrent une inscription qu’une main moderne a retouchée dernièrement.

Le chemin a peine à serpenter dans cet étroit défilé. Des fontaines près de là offrent aux malades des eaux thermales bienfaisantes. Mais c’est surtout vers l’antique madone que les cœurs souffrants vont chercher un remède.

On approche de la chapelle. Le territoire de Sarrance, dit un célèbre naturaliste, présente une singularité très remarquable, c’est l’existence d’un canal souterrain qui, par des routes obscures et secrètes, conduit au pied d’une haute montagne à côté de la grande route, une eau claire, abondante et pure, dont le volume augmente quelquefois, mais sans perdre sa limpidité ordinaire… On remarque, non sans étonnement, que cette eau sert tout à la fois à l’usage d’une papeterie et d’un moulin à quatre meules, dès qu’elle sort des profondes cavités qui la recèlent. Ces deux propriétés étaient avant la révolution dépendantes d’un couvent de prémontrés.

Non loin de ces usines, aujourd’hui abandonnées, on traverse un pont, et bientôt l’on voit s’élever la tour de la vieille abbaye, fidèle dépositaire de la statue et du culte de Notre-Dame de Sarrance.

Le vallon est enfermé par deux rochers et arrosé par deux gaves. L’un de ces torrents prend sa source dans la montagne d’Estainnes, en Espagne, et l’autre dans celle de Peyranère, en Béarn. C’était là une austère solitude dépouillée de culture, n’offrant que de rares pâturages pour les troupeaux. Mais la Ste-Vierge prit cette terre ingrate sous sa protection spéciale, et bientôt des cabanes s’élevèrent sur la cime et sur le flanc de ses monts ; des champs cultivés descendirent jusque sur le bord des précipices.

L’histoire garde le silence sur l’époque précise de la fondation du sanctuaire de Notre-Dame de Sarrance. Voici comment la légende en raconte l’origine :

En ramenant ses troupeaux au bercail, un berger s’aperçut qu’un taureau s’éloignait un instant, chaque soir, au moment où le signal du départ était donné. Il fut étonné de cette disparition journalière et voulut en connaître la cause. Il suivit le taureau, il le vit traverser le Gave à la nage ; puis s’arrêter, et s’agenouiller auprès d’une pierre représentant l’image de la Vierge.