Les pieds de la femme boutonnière - Christine Claude - E-Book

Les pieds de la femme boutonnière E-Book

Christine Claude

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Beschreibung

La richesses des scènes de la vie ordinaire

L'univers coloré et aux tonalités féminines des Pieds de la femme boutonnière, dévoile des scènes de la vie ordinaire animées par des personnages attachants et sensibles, qui s’éveillent à la vie par une plume fine. Chacune des nouvelles du recueil de Christine Claude est un regard attentif sur la vie, une petite leçon d'humanité.

Une ode à la vie

EXTRAIT

Dixième jour de fermeture de la boutique rue Lepic. Je cognais le volet de bois, je l’appelais éperdument, je passais le matin, repassais le soir, parfois à la mi-journée. Je détournais et rallongeais mes livraisons pour essayer de choper un signe de vie, mais personne ne répondait. J'avais l'habitude de ses volatilisations subites. Elles étaient toujours précédées de signes avant-coureurs, inscrits sur ses pieds. Au fil du temps, elle m'avait révélé ces trucs bizarres qu'elle appelait ses « trahisons ». C'était sans appel. Lorsque les stigmates de son mal-être tatouaient ses pieds et ses chevilles, je savais d'avance qu'elle allait foutre le camp. C'était inéluctable. Sans crier gare, et sans préavis, elle disparaissait, en laissant une pancarte sur le volet orange : la pancarte à trahisons : "Fermeture momentanée pour cause d'absence".

A PROPOS DE L’AUTEUR

Depuis ses origines montmartroises, Christine Claude navigue entre la Bretagne et le reste du monde, elle a exercé tous les métiers alimentaires, et vécu ses passions artistiques. Depuis douze ans, elle partage sa vie entre Rennes et le Maroc, et se consacre à l’écriture et la photographie. Christine Claude est née le 4 novembre 1949 à Paris.

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Lauréat du concours d’écriture et de création numérique

PUBLISHROOM - LE TEXTE VIVANT

en partenariat avec

 

 

SOMMAIRE

Les pieds de la femme boutonnière

Du jasmin sur la gouttière

La faute à Lilou

Les pieds de la femme boutonnière

Dixième jour de fermeture de la boutique rue Lepic. Je cognais le volet de bois, je l’appelais éperdument, je passais le matin, repassais le soir, parfois à la mi-journée. Je détournais et rallongeais mes livraisons pour essayer de choper un signe de vie, mais personne ne répondait.

 

J’avais l’habitude de ses volatilisations subites. Elles étaient toujours précédées de signes avant-coureurs, inscrits sur ses pieds. Au fil du temps, elle m’avait révélé ces trucs bizarres qu’elle appelait ses « trahisons ». C’était sans appel. Lorsque les stigmates de son mal-être tatouaient ses pieds et ses chevilles, je savais d’avance qu’elle allait foutre le camp. C’était inéluctable.

Sans crier gare, et sans préavis, elle disparaissait, en laissant une pancarte sur le volet orange : la pancarte à trahisons.

 

Fermeture momentanée pour cause d’absence

 

Le buraliste plus bas se marrait et faisait son intelligent.

 

« C’est même pas du français ça, je t’en foutrais des absences, ben oui quoi, elle a vraiment des absences cette bonne femme ! »

 

Sauf que cette fois, il n’y avait pas de pancarte.

Le luthier plus haut lui, il s’inquiétait, enfin, il remuait la tête de haut en bas, comme s’il pouvait comprendre quelque chose, car lui était un homme sensible. Aux artistes, aux créateurs, aux artisans, aux femmes, aux malheurs du monde et aux absences.

J’étais allé le trouver, et avec son échelle, on avait jeté un œil au premier étage, dont les volets n’étaient jamais fermés. On avait fait ça discrètement, en fin de journée, les nez collés aux carreaux. Tout était bien rangé, personne, ni dans le lit, ni par terre, ni dans la cuisine… ah, sauf la salle de bain, on ne pouvait pas voir dedans. Mais vu l’état du petit appartement, ça sentait bien le départ.

Peut-être qu’elle avait tout simplement oublié la pancarte. Elle allait rentrer.

 

Je m’appelle Milo. Ça doit bien faire une dizaine d’années que je sillonne Paris sur mon deux roues. La liberté. C’est mon boulot. Je suis livreur de livraisons express, rapides, efficaces, délicates et de bonne humeur.

 

Déjà tout gamin, je dépannais mon grand-père Thomas Joseph, horloger rue de l’Armée d’Orient.

Son atelier était installé au fond d’une cour pleine de pots de fleurs, c’est là que j’ai grandi et que je vis toujours. Il me confiait de temps à autre quelques courses importantes. Puis ce fut le boucher, le tailleur, la fleuriste. Mon destin était tout tracé et ça me plaisait bien.

Il aurait aimé que je reprenne sa suite, mais je n’avais ni patience, ni méticulosité pour ce travail d’artiste.

Il aurait aussi bien aimé que je travaille un peu mieux en classe. Je préférais enfourcher ma bicyclette et partir randonner dans Paris que je connaissais par cœur.

Je ne me posais pas de questions, mes voyages quotidiens à travers la ville me suffisaient. Ma curiosité avait choisi l’air libre, le bitume, et de temps à autre, un peu de campagne. Je me racontais plein d’histoires que je fabriquais au gré de mes itinéraires. Les portes, les fenêtres, les balcons, les gens.

Lorsque j’ai atteint l’âge requis, je me suis mis à mon compte, et me suis offert une super-mobylette. Non pas que le vélo me fatiguât, mais la structure de la mob offrait d’avantage de possibilités et je pouvais envisager de trimbaler des colis plus lourds, voire plus encombrants.

 

Ce fut un de ces petits matins frais en descendant la rue Lepic, que je vis Ma pour la première fois. Elle peignait la vieille devanture d’une boutique, couleurs criardes, rose tyrien, turquoise, vert olive, et orange…

Cette échoppe, - c’était vraiment très petit, - je ne l’avais même pas remarquée avant. Ça faisait sans doute des lustres que rien ne s’y passait, et j’avais beau creuser ma cervelle, je ne voyais pas quel marchand pouvait bien s’être installé à cet endroit avant elle.

L’immeuble très vieux, reprenait vie. Dans cette portion de la rue Lepic, les boutiques se taillaient de sacrées réputations, surtout dans le domaine de la bouffe… vieille tradition, sans doute. Enfin, vu de loin, car en y regardant bien, y avait quand même un paquet de téléboutiques, de banques, d’opticiens. Les Montmartrois venaient faire leurs commissions dans les quelques superbes commerces de primeurs, volailles, fromages, comme avant, comme dans l’ancien temps. Des gens d’ailleurs, de plus loin aussi aimaient à fréquenter cette rue du bon manger. Des gens assez pleins aux as.

 

Pas la peine d’épiloguer sur le monde en marche, c’était mieux avant, Paris était aux parisiens, aux pauvres autant qu’aux riches. Maintenant c’est foutu, mais je n’y peux rien. Alors, je continue mon bonhomme de chemin, la tête farcie des histoires d’avant quand c’était mieux, à l’époque, dans le temps, comme disait Thomas Joseph. Des images, de vagues souvenirs, la nostalgie des plus anciens, ceux qui sont encore là. Je prends ce qui passe, comme ça vient, au jour le jour, et chaque jour, c’est nouveau, c’est différent, autrement. Les carrefours sont pleins de surprises, les rues se pavent de bonnes intentions, les trottoirs rigolent sous la pluie, et les gens passent.

 

Donc, en descendant la rue Lepic, ce matin-là, je vois cette drôle de greluche qui ripolinait. Il y avait de quoi freiner des quatre fers pour admirer le tableau.

Je coupe la mob, et je contemple le travail en allumant une clope.

Elle repeignait allègrement la façade, presque à son image. Enfin, les panneaux de bois, pas les murs. Engoncée dans une vieille doudoune orange pourrie, elle avait remonté son jean jusqu’aux genoux genre pêche à la crevette. Pieds nus dans des tongs, elle s’était enturbannée la tête à la manière Touareg, sauf que là, ça ressemblait plus à une vieille choucroute. Elle chantonnait, la peinture coulait sur le trottoir.

J’ai traversé la rue pour la saluer.

 

« Salut ! Vous venez d’arriver dans le quartier ? Vous vendez quoi ?

— Salut ! Je vends des boutonnières, ça vous intéresse ?

— Euh, je n’en sais rien, oui pourquoi pas ? Oui, bien sûr, des boutonnières… »

 

Je me suis demandé un instant, si elle ne se foutait pas de moi… mais elle avait l’air aussi enthousiaste que sérieuse. Des boutonnières, mais qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Elle vendait des trous avec du tissu autour, je ne voyais pas bien… mais ça m’amusait… une femme boutonnière.

Elle avait capté mon interrogation.

 

« Je suis boutonniériste, je fais des boutonnières. Passez demain, j’aurai fini ma devanture, je vous ferai visiter ! »

 

Oui, j’allais revenir, demain ou après-demain, fallait que je voie ça de plus près une marchande de boutonnières. J’ai quand même regardé dans le dico, pour savoir si ça existait vraiment cette affaire-là. Ou si elle se payait pas ma tête.

 

Boutonniériste : ouvrière fabriquant des boutonnières à la main ou à la machine.

 

Ça existe.

Le lendemain soir, je rentrais de mes livraisons, et pris la rue Lepic en remontant.

Elle avait fini sa peinture, et le résultat était assez joli, bien que surprenant, pas trop dans la tendance du moment, mais néanmoins très harmonieux et éclatant.