Les pirates et le code Aztèque - Philippe Pourxet - E-Book

Les pirates et le code Aztèque E-Book

Philippe Pourxet

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Beschreibung

1525 : Cuauhtémoc, le dernier empereur aztèque, meurt assassiné par Herman Cortéz en ayant pris soin de lui dissimuler l’endroit où il a amassé l’essentiel des richesses de son peuple.
1672 : Sur la route des Amériques, le navire du pirate Le Floc’h s’empare de la cargaison d’un galion espagnol. Ses cales contiennent une partie des joyaux aztèques confisqués par les conquistadors, mais surtout une clef cryptée permettant de situer l’emplacement du trésor de Cuauhtémoc.
De nos jours : Membre de l’Ordre d’Amus, le Français Prat, assisté des professeurs Toussaint et Garnier, s’engage sur la piste de l’île au trésor de Le Floc’h. Une course effrénée débute pour percer les indices laissés derrière lui par le pirate. La situation se complique dès lors qu’ils apprennent que sur leur chemin se dressent un dangereux armateur américain, ainsi que le chef du plus important cartel mexicain : le terrifiant Alfonso Mendoza… Tous deux désirent s’emparer du trésor… à n’importe quel prix…


Un thriller palpitant qui vous mènera de la Normandie au Sud-ouest américain, en passant par le Pacifique, Panama, l’Italie et le Mexique…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Philippe Pourxet est un écrivain. Après des études à l’École R. M. de Sorèze et à la faculté de droit de Pau, il a travaillé dans la publicité et dans le monde du luxe. Il est aussi membre de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). Il a été comédien à la Troupe du Théâtre des Loges (Paris) de 1988 à 1994. En 1994 il crée et dirige la troupe théâtrale La Compagnie de l’Instant .
Il montera trois pièces à Paris et en Province dont il est l'auteur: L'Oiseau des Tempêtes (drame), La cour des corbeaux (Comédie médiévale) et La Suite (Comédie)
Il a publié déjà 3 romans aux éditions Terres de l'Ouest : Du rififi à Hossegor, Rappel sanglant sur l'Arbizon et Du grabuge au Pays basque.

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Seitenzahl: 491

Veröffentlichungsjahr: 2022

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LES PIRATES

ET LE CODE

AZTEQUE

 

 

 

 

Philippe Pourxet

 

 

 

 

LES PIRATES

ET LE CODE

AZTEQUE

 

 

 

 

 

Roman

 

 

 

 

 

Tous droits réservés©Editions Terres de l’Ouestwww.terresdelouest-editions.fremail : [email protected] papier : 978-2-494231-02-3ISBN numérique : 978-2-494231-03-0

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photographiques :

Réalisation couverture : Terres de l’Ouest Editions à partir de crédits photographiques ADOBE STOCK : Pirate skull and compasses on old grunge paper background par Tryfonov © et Black silhouette of the pirate ship in night par zef art ©.

Avant-propos

Amus est un ordre plusieurs fois millénaire dont une des missions premières était l’établissement d’un syncrétisme universel. Après sa séparation avec l’Ordre du Temple, il entra dans la clandestinité et perdura jusqu’à nos jours. Durant des siècles, il favorisa la science, l’art et les grandes découvertes territoriales. S’il abandonna son ambition de créer une seule et unique religion, il demeura secrètement en relation avec les plus grands cultes de la planète.

Aujourd’hui, il entretient des liens privilégiés avec tous les gouvernements, apportant dans l’ombre son expertise dans le règlement des différents conflits et crises…

Première partie

 

1

Île d’Amontville au large de la Normandie.

3 heures.

 

Deux silhouettes d’hommes pressés gravissaient le grand escalier du fort. Les rafales de vent humide les poussaient vers la porte principale du robuste bâtiment du XVIIIe siècle. La nuit les enveloppait. Seule la masse sombre de la tour forte se détachait distinctement de ce décor. Les intrus scrutèrent inquiets son sommet. Rien ne bougeait. Ils finirent par se concentrer à nouveau sur l’imposante serrure devant eux.

Un long moment passa avant que le lourd battant de bois ne s’ouvrît. Après un dernier regard lancé vers l’océan d’encre, ils disparurent dans l’obscurité de la forteresse.

Seul le faisceau étroit d’une lampe torche leur ouvrait le chemin. L’austérité des lieux ne les perturba pas ; ils savaient à quoi s’attendre.

Sans hésitation, ils se dirigèrent vers une pièce située dans l’une des tours, au rez-de-chaussée. Ignorant la grande bibliothèque qui occupait un pan de mur complet de la salle ainsi que son bureau Empire, ils portèrent leur attention sur une grosse malle posée à même le sol. C’était un coffre de marine en bois, vieux de plusieurs siècles, renforcé par de puissantes ferrures ; dont l’ouverture semblait parfaitement cadenassée. Au moyen d’une lame épaisse, l’un des hommes s’attacha à en faire sauter le verrou. Avec succès.

Les deux intrus échangèrent un regard de satisfaction.

La lueur de la torche leur dévoila son contenu : de vieux papiers couverts d’écritures manuscrites. Les premières liasses furent vite sorties et déposées sans ménagement au sol. Ils semblaient s’intéresser à quelque chose de précis et l’homme qui fouillait alluma sa lampe frontale pour mieux étudier le contenu. Avec plus de méthode, il détailla les manuscrits suivants qui remontaient à l’époque recherchée. Sa main s’attarda sur un paquet soigneusement enveloppé dans une peau de chevreau brune. Un cordon rouge, noué en son centre, en retenait les bords ; un sceau carmin le recouvrait. L’individu accroupi se retourna et sourit à son complice resté debout un peu en retrait.

― Je les ai, se contenta-t-il de dire.

― Allons-y alors. Je n’aime pas cet endroit.

L’homme se releva et s’amusa de la remarque de son acolyte. Pour lui, la promesse d’une forte récompense suffisait à balayer toutes les angoisses engendrées par le lieu. Déjà, son complice se tenait dans l’embrasure de la porte et s’impatientait. Sans un mot, il le rejoignit et lui tapa sur l’épaule.

― Ne t’en fais pas, notre fortune est faite.

― Sortons d’abord d’ici.

― Tu as raison.

Le paquet glissé dans une serviette en cuir, ils prirent le couloir qui menait à la porte d’entrée.

À l’extérieur, chargé d’embruns humides et poisseux, le vent avait forci et les fouetta sans semonce. Les deux hommes grimacèrent à ses assauts. Par moments, de puissantes rafales dévoilaient une lune bien ronde dans un ciel tourmenté. Elle jetait sur ce décor, de rochers et d’océan, un éclairage sinistre. Ils remontèrent le col de leur blouson et commencèrent à s’avancer sur la petite terrasse.

Soudain, une silhouette sombre leur tomba dessus.

Avant qu’ils n’aient réagi, un lourd objet s’était abattu sur leurs crânes. La scène n’avait duré que quelques secondes, mais la violence des coups portés et leur rapidité, avaient projeté les deux voleurs au sol, les laissant inanimés.

Un homme s’approcha de ses victimes sans aucun égard pour elles et s’empara de la serviette. Un bref coup d’œil à l’intérieur de la sacoche lui confirma que ces derniers étaient bien en possession de ce qu’il convoitait lui aussi. Il la referma et dévala le long escalier de granit qui menait à l’océan. Son ombre s’évanouit dans l’obscurité aussi vite qu’elle était apparue au milieu de la tempête naissante.

2

Île d’Amontville. Deux jours plus tard.

 

Prat se tenait debout sur la terrasse, face à cet océan qu’il connaissait si bien. Le vent fouettait son visage fermé. Le regard du chef de la sécurité de l’Ordre d’Amus fixait un petit point qui dansait sur la mer dissipée. Par moments, le canot à moteur disparaissait derrière une vague plus puissante que les autres. Il ne s’en émut pas. Il releva le col de son caban et ne changea rien à sa posture ; même les cris des mouettes au-dessus ne le distrayaient pas de son observation. Le canot finit par aborder la petite anse bordée de rochers qui servait de port à l’île. D’où il se trouvait, il constata que les passagers de cette embarcation étaient bien ceux qu’il attendait : un homme et une femme.

En levant le regard sur le fort qui les surplombait, ils lui adressèrent un signe amical de la main. Prat se contenta d’un hochement de tête. Ses yeux se perdirent aussitôt dans le bleu profond de l’océan. Ses pensées s’engagèrent dans un voyage au long cours sur cette masse d’eau aux couleurs changeantes.

Les deux visiteurs mirent de longues minutes avant d’atteindre la petite terrasse. La pente était raide et le sentier, à peine dessiné, se déroulait avec difficulté à travers les parois luisantes de granit. Par endroits, une volée de marches creusées à même la roche facilitait l’ascension vers le fort.

― Salut Prat, lança le professeur Thomas Garnier qui aidait de la main sa compagne à gravir la dernière marche. Il faudra que vous pensiez un jour à installer un téléphérique dans votre nid d’aigle.

― Je confirme ! articula Agnès Toussaint avec peine.

L’homme d’Amus esquissa à peine un sourire avant de répondre :

― Venez vous réchauffer à l’intérieur.

Il tourna les talons et s’engagea dans la poterne sans rien ajouter. Les deux jeunes archéologues échangèrent un regard d’étonnement. L’attitude de leur ami les intriguait. Ils ne comprenaient pas tout, mais présumaient qu’une chose importante ou grave avait dû se produire. Ils pressèrent davantage le pas, désireux de connaître la suite.

La veille, ils avaient reçu un message de Prat leur demandant de le rejoindre chez lui dans les plus brefs délais. Par amitié, ils n’avaient pas hésité à tout abandonner pour rallier cette île perdue au large de la Normandie. Ils connaissaient bien Prat. S’il faisait appel à eux avec cette gravité et ce ton énigmatique perceptible entre les lignes, c’était qu’il avait besoin d’eux. Le mystère restait pourtant entier.

Ils ne mirent pas longtemps à se retrouver autour de la monumentale cheminée de granit qui nourrissait un puissant foyer aux flammes agitées. Ses craquements et son ronflement sourd occupèrent un long moment le silence installé entre les trois amis. Prat le rompit le premier :

― Merci d’avoir répondu aussi vite à mon appel.

― C’est normal… Mais si vous nous disiez ce qui se passe ?

Prat releva les yeux et planta son regard dans celui de Thomas.

― J’ai été cambriolé…

Agnès ne put s’empêcher d’esquisser un léger sourire.

― Et ? reprit le jeune chercheur avec étonnement.

― On m’a dérobé des papiers de famille de grande importance.

― C’est très ennuyeux, j’en conviens, mais en quoi pouvons-nous vous être d’une quelconque utilité ?

― J’y viens. Mais avant, laissez-moi vous raconter une histoire. Une très ancienne histoire.

Cette entame invitant au mystère captiva un peu plus les deux visiteurs.

Prat commença son récit :

― Il y a environ trois cents ans, mon ancêtre, Antoine d’Amontville, en tant que corsaire du roi, écumait les côtes de la Nouvelle-Angleterre ainsi que la mer des Caraïbes…

― C’est bien lui qui a bâti ce fort, n’est-ce pas ?

― Oui, Thomas. Ayant fait suffisamment fortune et l’âge avançant, il décida de s’y retirer et de prendre en quelque sorte sa retraite…

― Curieux endroit pour une retraite.

― Si on veut, Agnès. Mon ancêtre avait été anobli par le roi pour services rendus à la Couronne et s’était engagé à construire ce fort. Il y entretenait une petite garnison.

― Contre les Anglais ?

― Oui, essentiellement. Cette île se situait sur une voie de navigation stratégique dans le temps… Mais ce n’est pas cette forteresse qui nous intéresse…

« Mon ancêtre avait un second, un homme plus jeune et qui, lui, ne se résolut pas à se retirer des affaires. Il racheta le navire principal de la flottille de son ancien capitaine et enrôla l’équipage qui le servait. Antoine d’Amontville soutint cette initiative, car les deux marins se portaient une sincère affection. Le Floc’h était le nom de ce nouveau capitaine corsaire. Lorsque son navire quitta Saint-Malo, mon ancêtre se trouvait présent sur le quai et ce fut, le cœur serré, qu’il vit son ancien brick s’engager dans la passe. À cet instant, il ignorait que jamais il ne le reverrait…

― Que s’est-il passé ?

― L’impensable, Thomas. Peu de temps après, Le Floc’h fit passer le navire sous pavillon pirate… Il ne se contentait plus d’attaquer les vaisseaux anglais, mais s’en prenait à tous les navires marchands, même ceux qui appartenaient aux armateurs français… Antoine d’Amontville se désola de ce changement inattendu qui faisait offense à son honneur, à sa confiance.

― Ce ne fut pourtant pas le premier à s’engager dans une telle voie. Si je ne me trompe pas, une telle reconversion était assez fréquente à cette époque.

― Oui, Agnès, mais mon ancêtre appréciait Le Floc’h. Il le considérait un peu comme son fils, un fils qui jusqu’alors s’était montré droit et honnête. Durant plus de cinq ans, il ne reçut aucune nouvelle de lui. Le Floc’h était devenu un paria et sa tête avait été bien évidemment mise à prix.

― Promis à être pendu haut et court…

― Oui, exactement. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

« Un jour, après de longues années de silence de la part de son ancien second, mon ancêtre reçut un étrange courrier. Il provenait de Fort-de-France. Quelle ne fut pas sa surprise quand il découvrit son auteur : Le Floc’h. Il était mourant lors de sa rédaction, résidant dans une misérable auberge éloignée de toute route. Il y racontait sa vie durant cette période, une existence faite de rapines, d’abordages et de massacres de malheureux marins. Même les passagers des prises qu’il effectuait n’étaient pas épargnés. Oui, son ancien second était devenu pirate et appartenait à la plus abjecte des espèces : celle qui ne faisait pas de quartier et ne laissait la vie sauve à aucun témoin. Sans doute, à l’heure de sa mort, voulait-il soulager un peu sa conscience auprès du seul ami qu’il avait eu. »

― Et c’est tout ? demanda Agnès.

― Non, ce n’est pas tout et c’est là que ça commence à devenir intéressant.

De sa voix la plus calme, il exposa :

« Au matin d’une belle journée du mois d’août 1672, au large de l’isthme de Panama, côté Pacifique, l’homme de vigie repéra à l’horizon la silhouette d’un galion espagnol, le San Felipe. Il se trouvait sans protection, car, d’après Le Floc’h, un terrible ouragan avait sévi la veille. Sans doute, son escorte s’était-elle éloignée. Sa ligne de flottaison accusait des cales pleines et sa lenteur confirmait ces premières constatations. Une occasion pareille ne pouvait pas être ignorée par ces forbans des mers. Ils ne mirent pas longtemps à se rapprocher du galion et bientôt une première salve de boulets ramés1 faucha la mâture du navire qui ne pouvait dès lors plus manœuvrer. La salve suivante fut déchargée à mitraille au ras du pont. »

― À mitraille ? demanda Agnès.

― On remplissait jusqu’à la gueule les canons de pièces de fer de petite taille qui opéraient, une fois la mise à feu effectuée, un peu comme de la chevrotine, lui répondit Thomas.

― C’est ça, reprit Prat. Imaginez le carnage… Ensuite, les grappins furent lancés pour entraver le galion et l’abordage suivit…

― Sans compter, les gabiers qui, du haut des verges, balançaient leurs grenades sur le pont des Espagnols…

― Oui, Thomas, c’est exactement ce qui s’est produit. Je vous passe les détails du massacre des membres de l’équipage qui furent tués jusqu’au dernier.

― Quelle horreur ! s’insurgea Agnès.

― Les pirates ne sont pas ces doux aventuriers un peu rustres, ivres de bravoure et de bons sentiments, comme souvent la littérature veut bien les décrire. C’était des assassins de la pire espèce. Pas de code d’honneur et pas de pitié. Hommes, femmes, enfants, tous y passaient.

Prat poursuivit son discours :

« Dans la cale proche de la poupe, les pirates découvrirent une cloison de bois qui n’avait pas sa place. Elle fut vite abattue et ce qui se trouvait derrière dépassait toutes les espérances de ces brigands. Des coffres remplis d’or et d’argent, des pierres précieuses, des statues indigènes, mais aussi des lingots. Jamais de leur vie, Le Floc’h et son équipage n’avaient imaginé connaître pareille fortune. D’après le carnet de bord, le galion s’en retournait au Panama avec, à son bord, un an de rapines et de pillages des colonies espagnoles du nord du Mexique actuel. Mais il fallait faire vite. Déjà, la vigie annonçait la présence à l’horizon de la mâture d’un navire de guerre espagnol. Dans la précipitation, le butin fut rapidement transbordé sur le brick pirate. À la fin des opérations, le puissant vaisseau de la Couronne avait viré de bord et se dirigeait droit sur eux. Même alourdi par ce butin, le brick parvint à distancer à la course son poursuivant. Il profita de la nuit proche pour changer de cap et se perdre tous feux éteints dans le Pacifique. La ruse avait fonctionné, car au matin, aucune voile ne fut repérée. Étaient-ils sauvés pour autant ? Le Floc’h le savait, l’océan allait devenir une véritable souricière. Jamais les Espagnols ne laisseraient impunie pareille infamie. Mais où aller ? »

Après avoir laissé quelques secondes en suspens sa dernière question qui n’attendait d’ailleurs aucune réponse de leur part, Prat reprit :

« Deux choix s’imposèrent à Le Floc’h : rallier au plus vite le cap Horn, ou se terrer sur l’une des milliers d’îles du Pacifique. La première se révélant plus périlleuse que la seconde, le brick pirate se mit à la recherche d’un havre sécurisé. »

― Il le trouva ? coupa Agnès.

― Oui. Apparemment, ils auraient accosté sur un bout de terre éloignée de toutes voies maritimes. Durant plus d’un mois, ils demeurèrent cachés sur cette île.

― Et le trésor ?

Les yeux d’Agnès brillaient. Le mirage de coffres remplis d’or et de pierres précieuses enflammait son imagination. Les deux hommes sourirent à cette marque d’impatience.

― Le Floc’h explique dans sa lettre que les pirates avaient choisi d’en laisser la majeure partie sur l’île avant de reprendre la mer.

― Pourquoi ?

― Car le brick se trouvait ralenti par un tel poids. En cas de fuite devant une escadre espagnole, il leur fallait avoir toute marge de manœuvre.

Prat reprit sa narration :

« Leurs ennemis ne les avaient pas oubliés et désormais, il leur était impossible d’accoster dans le moindre port. Trop risqué, car infesté d’espions. Ils étaient condamnés à tenter de doubler le cap Horn pour rejoindre des eaux plus paisibles. Mais pour cela, il leur fallait longer les côtes de l’Amérique du Sud, colonies espagnoles. L’entreprise était hautement périlleuse. Pourtant, ce ne fut pas les Espagnols qui mirent fin à l’aventure.

Après un mois de changements de cap incessants, un terrible ouragan s’abattit sur eux et coula le brick, emportant par le fond une grande partie de l’équipage.

Le Floc’h, avec une poignée d’hommes, réussit à se sauver sur une chaloupe, et pour eux débuta une effroyable épreuve. Bien vite l’eau douce commença à manquer. Certains marins ne purent résister à la tentation de boire de l’eau de mer, ce qui les entraîna dans d’horribles souffrances et des délires sans fin. Le Floc’h finit par se retrouver seul avec un de ses hommes. À moitié inconscients, ils se laissèrent dériver au gré des courants et des vents. »

― Quelle mort atroce !

― Oui Agnès, mais il faut croire qu’elle n’était pas encore au rendez-vous. Les deux marins furent repérés par un navire marchand hollandais. Le Floc’h qui avait encore toute sa tête jeta un regard sur son compagnon et vit qu’il délirait. Ne désirant pas être trahi, il l’étouffa avant d’être ramené à bord du vaisseau.

― Cet homme était un monstre.

― Un simple pirate qui ne voulait pas finir au bout d’une corde. Il prétendit être un marin français, membre de l’équipage d’un navire marchand attaqué par des flibustiers anglais. L’histoire parut plausible et il put reprendre un peu de forces. Après une interminable traversée et le passage du Horn, il fut débarqué sur l’île de la Martinique. Malheureusement pour lui, sa condition physique se détériora rapidement et c’est là, se sentant mourir, qu’il rédigea la lettre envoyée à mon ancêtre.

― Quand nous sommes arrivés, reprit Thomas, vous nous avez dit qu’on vous avait volé des documents. S’agit-il de cette fameuse lettre ?

― Oui. Mais il faut que vous sachiez qu’elle était accompagnée d’une carte, du livre de bord et d’explications permettant de se rendre sur l’île.

― L’île au trésor !

Les deux hommes sourirent à nouveau à la remarque d’Agnès.

― Une chose m’interpelle, reprit Thomas avec plus de sérieux, depuis tout ce temps aucun membre de votre famille n’a tenté de mettre la main sur ce butin fabuleux ?

― Bien sûr que si, au début surtout. Mais il me faut préciser un détail important : toutes les explications de Le Floc’h étaient cryptées et personne n’est jamais parvenu à déchiffrer le code.

Thomas commençait à comprendre la raison de sa présence chez Prat. Son expertise en langues anciennes, mais aussi son intuition dans tout ce qui touchait les codes et énigmes faisaient de lui le parfait candidat pour relever ce genre de défi. Du moins, c’est ce que semblait penser Prat. Sans rien laisser paraître de ses réflexions, il demanda :

― Et vous-même, avec les experts d’Amus, vous n’avez pas cherché à percer ce mystère ?

― Non. Les trésors ne m’intéressent pas et, vous le savez, mon emploi du temps est plutôt chargé. Quant à Amus, cette affaire ne regarde pas l’Ordre.

― Il semblerait que d’autres soient, eux, plus sensibles à ce genre d’aventure.

― Oui, Agnès. Mais comment étaient-ils au courant de cette histoire ?

― Les archives maritimes regorgent de ces sortes d’anecdotes. Ils ont dû remonter jusqu’à votre ancêtre et à ce fort.

― J’en doute, mais qui sait...

Prat paraissait perdu dans ses pensées.

― Et, possédez-vous encore des documents se rapportant à cette histoire ?

― Oui, Thomas. Mon père trouvait toute cette affaire ridicule, mais il a tout de même pris le soin de réaliser des photocopies des documents s’y référant. Ensuite, il les a abandonnées au fond d’un tiroir. Je n’ai jamais compris pourquoi.

― Nous pouvons les voir, puisque je crois comprendre que nous sommes ici pour cette raison ?

Prat sourit. Son cœur semblait se libérer à ces mots. Il réalisait qu’il n’avait pas eu tort de faire appel à ses amis. Il ne désirait pas impliquer Amus dans cette affaire qui lui était personnelle. C’était pour lui une question d’honneur, de déontologie.

Il se leva d’un coup de son siège et invita le couple à le suivre.

― Avant tout, j’aimerais vous montrer quelque chose d’intéressant. Allons à mon bureau.

Une fois dans la pièce, Prat se dirigea vers une armoire malouine, en ouvrit les deux portes, et se tint un instant devant, tournant ainsi le dos aux deux chercheurs. Après quelques secondes, il s’écarta et les invita à se rapprocher. Un écran vidéo s’éclaira sur une image fixe. Les deux professeurs eurent du mal à masquer leur étonnement.

― C’est un moniteur HD relié à un système de surveillance.

― Un peu parano, non ? s’amusa à relever Agnès.

― Il faut croire que non. Regardez.

L’homme d’Amus effleura l’écran et l’image se mit en mouvement. On y voyait les deux hommes accomplir leur forfait.

― C’est ici que ça devient intéressant…

La caméra extérieure avait filmé dans son intégralité l’attaque surprise ; celle d’un homme seul, comme surgi de nulle part.

― Ce gars-là doit être un expert. Regardez la précision de ses coups et aussi la rapidité de son attaque.

― Mais d’où vient-il ? Il semble surgir du ciel !

― Pas tout à fait, Thomas… Il se tenait sur le rebord de la fenêtre du premier. Mais ce qui est le plus surprenant dans cette affaire, c’est l’arme utilisée. Regardez, je zoome.

― On dirait une sorte de casse-tête, une arme qu’employaient les peuplades primitives. C’est en effet curieux.

― Je vais accélérer un peu... Voilà, c’est ici... Regardez : Les deux hommes sont venus sur une vedette et c’est précisément dans cet engin que leur agresseur va se cacher. J’accélère à nouveau… Les deux individus se relèvent, rejoignent leur embarcation et disparaissent sans demander leur reste…

― Avec leur agresseur à leur bord. Fascinant !

― Oui, et j’ai bien visionné les premières images de leur débarquement sur l’île. Ce mystérieux individu se trouvait déjà à bord de la vedette. Il a simplement attendu que les deux autres s’éloignent pour sortir de sa cachette. Je vais vous montrer… Regardez aussi sa façon de se déplacer : un véritable félin qui se sert de la nuit et du moindre relief pour se fondre dans le paysage.

― Vous pensez à une sorte de soldat d’élite ?

― Oui et non… Ce type ne semble pas obéir à une technique bien rodée… Il paraît plutôt suivre son instinct. Et puis cette arme… J’avoue que je suis un peu perplexe… En tout cas, c’est un bon.

― Et c’est lui qui, maintenant, possède vos documents, coupa Agnès.

― Et ces images ne sont pas assez précises pour qu’on puisse en brosser un portrait.

― Bien, et si l’on jetait un œil sur les copies des papiers de votre ancêtre ?

― Oui, car je crains que l’on n’apprenne rien de plus de ces captures d’écran.

― Si ce n’est une chose…, dit Thomas.

― Laquelle ?

― Ce fort me paraît assez grand pour s’y perdre, surtout de nuit. Et pourtant vos cambrioleurs n’ont pas hésité une minute, ils se sont rendus directement dans votre bureau et se sont concentrés sans tergiverser sur le coffre contenant précisément ce qu’ils étaient venus chercher. Tout indique qu’ils connaissaient les lieux. Qu’en dites-vous ?

― Je suis d’accord avec vous, c’est assez troublant.

Prat éteignit le moniteur et attrapa un dossier qu’il déposa sur la table. Il en sortit plusieurs feuillets ainsi qu’un document relié.

― Voilà la copie du livre de bord du brick que commandait Le Floc’h, la lettre adressée à mon ancêtre, la fameuse carte et surtout le parchemin crypté, qui devrait être la clef de tout ce mystère.

Instinctivement, la main de Thomas se posa sur la feuille codée. En la retournant, il laissa échapper un long soupir et un « d’accord », fataliste.

 

 

― Vous connaissez ce code ? demanda Prat.

― Non, je n’ai aucune idée de quoi il retourne. Je sais que le célèbre pirate de l’océan Indien, La Buse, aurait utilisé celui des Templiers pour indiquer l’emplacement de son trésor, mais ici, rien ne correspond, il s’agit d’autre chose…

― Je m’en doutais un peu.

― Regardons les autres documents, peut-être y trouverons-nous des indices.

― Je ne sais pas... Je vous avoue que je les ai déjà parcourus maintes et maintes fois, sans succès…

― On ne sait jamais, un regard nouveau...

Déjà Agnès se plongeait dans le livre de bord.

― Et la carte, reprit Thomas n’avez-vous pas essayé de la comparer avec d’autres ?

― Il y a plus de vingt-cinq mille îles dans le Pacifique et la plupart sont inhabitées…

― On pourrait rentrer sa silhouette dans un logiciel de reconnaissance et voir si ça donne un résultat. J’ai parmi mes relations un géographe qui devrait pouvoir nous aider. Je vais le contacter par mail.

― Pourquoi pas, acquiesça Prat, avant d’émettre une réserve :

― Elle semble tout de même avoir pas mal souffert. Voyez plutôt. Et il leur tendit la carte représentant l’île et où l’on pouvait à peine distinguer quelques reliefs en son centre.

 

 

― Effectivement, c’est dommage parce qu’elle paraissait de bonne facture. On dirait qu’une partie a disparu à cause de l’humidité… Peut-être que mon ami arrivera tout de même à l’identifier.

― Espérons. Une dernière chose : il est curieux qu’aucune croix ou repère ne figure sur le plan. En général, sur ces cartes, on trouve toujours ce genre d’indices.

― Dans les romans de pirates, s’amusa à répondre Thomas.

Puis, avec plus de sérieux, il reprit :

― Sans doute Le Floc’h ne désirait-il pas abandonner son trésor au premier venu. Avec une croix, si on arrivait à identifier l’île, n’importe qui pouvait alors le trouver. Non, je pense que la solution se trouve dans le message codé.

― Vous avez sans doute raison. Bien, espérons que vous arriverez à le percer. Je vais tâcher de voir de mon côté si mes mystérieux cambrioleurs ont laissé des traces de leur passage sur le continent.

3

San Francisco – Californie.

 

Robert W. Cox se tenait derrière son imposant bureau situé au dernier étage de la tour qui portait son nom. Ses yeux se perdaient dans un fatras de papiers étalés devant lui. Cet homme de cinquante-trois ans dirigeait une société de transport maritime et trempait dans un grand nombre de trafics. Il était notamment à la tête d’une flotte de portes containers qui sillonnaient les océans. Sa fortune était faite, mais la concurrence se montrait féroce. Les années de forte croissance n’étaient qu’un lointain souvenir. À présent, il fallait se battre pour chaque contrat, serrer au maximum les prix et même parfois refuser des courses. Il n’appréciait guère cette situation. Déjà, il avait dû se séparer de l’un des fleurons de sa flotte. La seule évocation de cette transaction lui déchirait le cœur. Il devait impérativement trouver une solution s’il ne voulait pas disparaître, lui et sa compagnie.

Plus jeune, Cox s’était engagé chez les Marines. De cette expérience, il avait gardé le goût de la discipline et cette volonté de ne jamais renoncer. Son passage dans les Forces spéciales l’avait endurci. Une fois revenu à la vie civile, il avait été embauché dans une société de protection rapprochée pour riches hommes d’affaires et trafiquants en tout genre. Bien vite, il avait sympathisé avec bon nombre de ces individus et avait fini par tisser un réseau qui lui servit plus tard pour la création de sa société. Rapidement, les contrats avaient afflué et la Cox Company n’avait dès lors cessé de se développer ; trop vite selon certains. Aujourd’hui, le patron comprenait mieux les mises en garde de ses associés. Le temps des regrets était passé. Il devait faire face. Pourtant, un nom occupait en permanence son esprit : Mendoza, Alfonso Mendoza. Le trafiquant, chef du plus puissant cartel de drogue mexicain, les Aztecs, le menaçait et de la plus sournoise des façons.

Au commencement, ce n’était qu’un très gros client qui payait bien, puis il était devenu le plus important d’entre eux et bientôt l’indispensable, celui dont on attend l’appel pour boucler une belle fin de mois. Celui qui vous tient et qui ne vous lâche plus.

En songeant à son adversaire, le visage de Cox se ferma davantage.

Pourquoi ai-je accepté ce prêt mirifique proposé par cette banque mexicaine ? Quel pigeon ! pensa-t-il avec aigreur. Qui d’autre à part Mendoza pouvait bien diriger cette banque ? Et évidemment, il ne figurait sur aucun organigramme de la société bancaire. Dès que la Cox Companyavaitconnu ses premiers soucis de trésorerie, on lui avait rappelé avec insistance ses obligations et, même si la négociation avait été rude, Cox n’avait pas vraiment eu le choix. C’est ainsi que Mendoza était entré au capital de sa société, avec un large pouvoir de blocage. Oui, son entreprise était sauvée, mais à quel prix ! Il n’était plus le seul maître à bord. Cette simple idée le rendait fou de rage. Le Mexicain profitait de sa position dominante. La fréquence des transports de drogue et de migrants illégaux sur ses bateaux avait nettement augmenté au mépris des règles les plus élémentaires de prudence. Maintenant, le FBI l’avait dans son collimateur et désirait à tout prix le coffrer. Mendoza, le FBI, l’étau se resserrait autour de lui.

On frappa à la porte. Il aboya un « entrez » contrarié.

La trentaine athlétique, dans un costume de chez Boss à la coupe impeccable, Patten se tenait bien droit face à son patron. Il attendait que Cox lui adresse la parole. À ses côtés se tenait un homme plus petit, qui devait avoir passé la soixantaine. Il baissait les yeux et ne semblait pas se sentir à l’aise dans ce bureau.

― Vous avez fait ce que je vous ai demandé ?

― Oui, Monsieur. Nos hommes restés en France surveillent ce d’Amontville2.

― Que savons-nous de lui ?

― Très peu de choses, monsieur. C’est un ancien militaire, officier de marine. La petite quarantaine, sportif…

Cette indication amusa Cox.

― Et maintenant, dans quoi est-il ?

― Nous n’avons pas pu le découvrir. Cet homme n’a laissé de traces nulle part.

― Services secrets ?

― Non, Monsieur. Mes indicateurs m’ont affirmé que d’Amontville ne faisait partie d’aucune agence officielle.

― Je n’aime pas ça… C’est lui qui a agressé nos hommes ?

― Non, monsieur. Il ne se trouvait pas sur zone. Il n’est revenu sur l’île que le lendemain. Le fort, ce soir-là, était désert, comme nous l’avait indiqué notre informateur.

― Alors qui ? s’emporta Cox. Trouvez-moi qui c’est !

Puis, il se tourna vers le petit homme resté jusque-là silencieux :

― Ce que vous nous avez appris, professeur Florès, sur Le Floc’h et sur sa prise du San Felipe est tout bonnement incroyable. Êtes-vous bien certain de ce que vous avancez ?

L’homme de petite taille releva le menton et inclina nerveusement la tête.

― Sí, señor, un véritable trésor, qui, d’après mes estimations, s’élèverait à plusieurs centaines de millions de dollars.

― D’accord, d’accord, coupa Cox, agacé. Puis, il s’adressa à Patten : Il me faut ce magot, vous comprenez. Trouvez celui qui nous a volé ces documents et faites-le parler. Rien de plus ?

― Sí, señor. Deux professeurs en archéologie et histoire ont été reçus par d’Amontville et résident à présent sur l’île.

Cette annonce saisit Cox qui, durant quelques instants, sembla perdu dans ses pensées.

― Ce sont deux Français, les professeurs Garnier et Toussaint…

― Garnier, avez-vous dit ? intervint Florès.

― Oui, je crois que c’est ça. Pourquoi ?

― Parce que le professeur Garnier est bien un archéologue de grande valeur, mais surtout un brillant linguiste…

― Linguiste ? coupa Cox.

― Sí, señor…

― Et un linguiste, là, comme vous dites, ça s’y connaît en code secret ?

― Pas spécialement, mais oui, les linguistes de la trempe de Garnier ont tout à fait l’esprit formé pour obtenir de bons résultats. Vous pensez que ?

― Bien entendu... Ce d’Amontville doit être en possession de documents dont nous ignorions l’existence. Notre intervention a précipité les choses. Il doit à présent vouloir reprendre à son compte la recherche de ce trésor. Ces deux professeurs sont là pour l’assister dans ses recherches.

― Oui, c’est fort probable. Garnier est très compétent dans son domaine. Si le pirate a codé ses documents, on peut estimer que notre bon professeur est en mesure de les déchiffrer.

― Entendu… Vous, Patten, dites à nos hommes de poursuivre leur surveillance et surtout faites qu’ils se montrent discrets. Avec un peu de chance, ce d’Amontville nous mènera au trésor.

― Et pour ceux qui ont agressé nos hommes…

― Je veux savoir qui ils sont et pour qui ils travaillent.

― Nous ferons le nécessaire, monsieur.

― Allez maintenant !

Patten inclina la tête, tourna les talons puis quitta la pièce, suivi de près par Florès.

Une fois seul, Cox se leva et s’approcha de la baie vitrée. Au pied de ses bâtiments, débutait le Pacifique, majestueux, indomptable et infini. Quelque part dans cette immensité se trouvait le trésor du San Felipe. Une partie de son salut, à n’en pas douter ! Son visage se referma à nouveau et le nom de Mendoza occupa toutes ses pensées.

 

 

Alfonso Mendoza dirigeait son entreprise « d’import-export » depuis sa somptueuse propriété. Nichée sur les hauteurs boisées de Oaxaca, elle reprenait dans son ensemble les codes architecturaux des anciennes haciendas : vaste, comportant un étage et un rez-de-chaussée, tout en arcades. Mais ce qui étonnait le visiteur au premier abord se trouvait dans le patio. Au milieu de cette cour intérieure à la surface impressionnante s’élevait la copie d’une pyramide aztèque. En pierre de lave noire, elle reproduisait sur une hauteur de vingt mètres la pyramide de la Lune de Teotihuacan. Les rares invités de l’hôte de ces lieux s’émerveillaient devant cette fascinante construction à degrés avec ses larges marches menant à la plateforme au sommet. Ils n’oubliaient jamais de flatter le génie de son puissant et dangereux propriétaire. Nul ne cherchait à en comprendre la signification exacte ni ne s’aventurait à poser trop de questions sur le sujet. Mendoza lui seul connaissait la raison de ce délire architectural, qui avait pris corps en lui, il y a fort longtemps.

Celui qui dirigeait le plus puissant cartel de drogue du Mexique était venu au monde dans une famille très pauvre d’un des bidonvilles de Oaxaca. Les trois enfants et leurs parents se partageaient un espace réduit fait de tôle et de bois de récupération. La grand-mère paternelle, qui s’ajoutait à ce décor miséreux, restait la plupart du temps dans un coin sombre à marmonner des paroles que personne ne comprenait. Depuis longtemps, la raison avait déserté son esprit et on ne prêtait plus attention à cette aïeule au corps maigre et au visage creusé de profondes rides. Dernier de la fratrie, Alfonso s’était attaché à elle. Uni par un lien forgé dès son plus jeune âge, c’était elle qui s’occupait de lui. Ainsi se souvenait-il de ses sages paroles :

― Regarde, Alfonso, regarde la misère dans laquelle les derniers Aztèques survivent.

― Les Aztèques, Abuela3? s’étonna le jeune garçon.

―Oui, les grands et puissants seigneurs qui occupaient ces terres avant que les Espagnols ne viennent y semer la misère et la désolation pour nous autres.

―Mais ne sommes-nous pas descendants des Espagnols, grand-mère ?

La vieille femme se mit alors à cracher au sol en affichant sur son visage cuivré la plus vilaine des grimaces. Puis, elle planta son regard noir dans celui du garçonnet.

―N’oublie jamais ça, éructa-t-elle en pointant vers le ciel son index menaçant, tu n’as rien à voir avec ces misérables conquistadors ! Dans ton corps coule le plus pur, le plus admirable des sangs, celui que les dieux ont fait tomber du ciel dans les tout premiers temps et qu’ils ont insufflé dans les veines des plus redoutables guerriers. Tu es un des leurs, Alfonso…

―Moi ? s’étonna l’enfant.

―Oui, je l’ai vu en songe cette nuit. Tezcatlipoca, le dieu guerrier des Aztèques est ton protecteur. Tu dois te montrer digne de lui, ne pas éprouver de pitié, te montrer inflexible et imposer ta force aux autres et alors, toi aussi, tu régneras en maître.

Ces mots revenaient souvent à son esprit. Plus que tout, il désirait ne jamais les oublier. Ces mots l’avaient porté là où il se trouvait : à la tête d’un véritable Empire. La police, les hommes politiques, tous lui obéissaient. Avec le temps, Alfonso avait créé un véritable réseau d’influence dans tout le pays et même au-delà. Ses armes : la peur et l’argent. La violence et la cruauté accompagnaient la plupart de ses actions. C’était sa marque de fabrique, son sceau. Quiconque se mettait en travers de son chemin avait à craindre pour sa vie et aussi pour celle de sa famille. Une promesse qui ne restait jamais longtemps en suspens. On retrouvait les cadavres de ses adversaires décapités, démembrés, exposés à la vue de tous, comme un avertissement à ceux qui oseraient contester son autorité. Les anciens dieux avaient soif de sang et Mendoza se chargeait de les abreuver.

―N’oublie jamais le peuple, les véritables enfants de cette terre, ceux qui croupissent comme nous dans cette misère, ceux-là sont tes véritables frères. Tu feras d’eux tes guerriers et tu gratifieras leurs familles de ta générosité…

Ces mots aussi, il ne les avait jamais trahis.

Tous ses hommes venaient des barrios4 les plus pauvres de la ville et les habitants de ces bidonvilles recevaient leur manne du puissant chef de cartel. Plusieurs dispensaires et écoles avaient été financés par Alfonso. L’eau courante et l’électricité avaient même été installées dans une partie des quartiers défavorisés. Tous le considéraient comme un véritable bienfaiteur, un homme bon. Sa grand-mère serait fière de lui.

C’est elle qui l’avait poussé à s’imposer auprès du premier groupe d’enfants côtoyé. Ses prières, ses sorts, ses poisons et aussi ses conseils l’avaient beaucoup aidé dans son ascension. À présent, elle demeurait sous cette pyramide, au beau milieu de son hacienda et continuait à veiller sur lui. Elle avait rejoint le domaine des dieux, par-delà le ciel, mais venait souvent le visiter en songe. « Montre-toi sans pitié pour tes ennemis et généreux avec tes frères… » « Retrouve l’antique cité rouge, le berceau de notre peuple, et le trône du dernier empereur ; alors, selon la prophétie, l’Empire aztèque renaîtra avec toi à sa tête… ». Ce délire l’obsédait. Retrouver la cité rouge, celle des origines… Le trône d’or…

Depuis peu, il avait fait de grands pas dans la compréhension de ce mystère. Il ne savait pas où se trouvait ce site, mais à présent il savait comment l’atteindre…

 

 

Arizona – États-Unis d’Amérique.

 

Les premiers rayons du soleil enflammaient la mesa. Ils déposaient sur ce paysage désertique la couleur ocre des terres d’Arizona qui se déroulaient à l’infini au pied de cette étrange formation géologique, aux parois verticales et au sommet arasé.

Une petite silhouette se leva et fit face à l’astre naissant.

Le vieil homme qui portait les apparats traditionnels des chamans de la tribu des Hopis leva les bras au ciel et commença à psalmodier des prières. Son visage cuivré, buriné, irradiait la puissance du soleil.

Ses doigts frappaient le tambour. Ses pieds chaussés de mocassins en peau se mirent à frapper le sol rougeâtre. Des grelots attachés à ses chevilles rythmaient cette danse rituelle. Bientôt, il entrerait en transe et communiquerait avec les Catsinas, les esprits de toute chose et de tout être vivant sur cette terre. Ce jour était grand, mais en annonçait d’autres plus difficiles. Il le savait. Il devait prendre conseil auprès de Talawa, l’esprit de l’aube, celui qui éclaire ceux qui sont tourmentés. Le monde allait mal et son équilibre se trouvait menacé par les agissements des Hommes. Il lui fallait retrouver les plaques d’or où était inscrit le nouveau chant de la Création, « celui qui sauvera l’humanité de la quatrième destruction ».

 

4

Île d’Amontville – Normandie.

 

Toute la journée, Prat avait laissé œuvrer les deux professeurs. Il les avait installés dans une pièce barrée d’une grande table en chêne massif. Les documents de Le Floc’h y étaient éparpillés. Le feu dans la cheminée rendait moins austères les murs de granit et chassait avec peine l’air froid et humide du fort. Thomas avait beau retourner dans tous les sens le message codé, il ne parvenait pas à le percer. Pour lui, ce n’était qu’une succession de signes sans logique. Il manquait la clef. Il devait s’y résoudre, le pirate avait créé son propre code. Dans ces conditions, il paraissait impossible d’en révéler la teneur.

Las de cette recherche, il se leva, ôta ses lunettes et commença à se masser le haut du nez. Il se sentait vaincu. N’importe qui peut se créer un alphabet, et l’utiliser pour son usage personnel, pensa-t-il. Mais alors, pourquoi Le Floc’h s’était-il donné la peine d’envoyer ce morceau de papier à son ami ? Ça n’avait pas de sens. Thomas avait beau tourner et retourner ce raisonnement dans sa tête, il ne trouvait pas la solution. Son regard se perdit un long moment dans le feu qui s’agitait dans la cheminée, et finit par se poser sur sa compagne qui lisait attentivement le livre de bord du navire pirate.

Il prit une profonde inspiration.

― Tu as appris quelque chose ? demanda-t-il.

― Non, rien de plus que ce que nous a communiqué Prat. La prise du San Felipe, la recherche d’un refuge sûr, mais rien de précis.

― Et, bien évidemment, il n’a pas relevé les coordonnées de l’île ?

― Ce serait trop simple, non ? Il ne parle que d’une petite île volcanique recouverte d’une végétation épaisse avec une source et un petit lac.

― Cette description ressemble à environ un millier d’atolls du Pacifique. C’est comme la carte. J’ai envoyé une copie à mon ami, espérons qu’il pourra l’identifier.

― Oui... Espérons.

― Tu en es où là ?

― Je suis en train de lire le rôle de l’équipage. C’est fou le nombre de nationalités que l’on trouve sur ce navire : des Français bien sûr, mais aussi des Anglais, des Portugais, des Espagnols, des Hollandais, des Italiens ainsi que d’anciens esclaves…

― Oui, c’est typique. Ce genre de vaisseau attirait tous les aventuriers du coin. Souvent des déserteurs de la marine, des hors-la-loi, ou tout simplement des types voulant échapper à la misère.

― Sans trop de scrupules, tout de même.

Cette remarque fit sourire Thomas.

― Non, ça, on ne peut pas dire que c’étaient de gentils garçons.

― Oui, mais regarde celui-là, le médecin et cartographe du bord, c’était, à en croire le commentaire, une sorte de savant italien originaire de Milan. Angelo di Lombardi, quarante-trois ans. C’est drôle, c’est le seul pour qui est mentionné une date de naissance précise.

― Sans doute était-il le seul à la connaître.

― Oui, probablement, mais comment un honorable médecin s’est-il retrouvé au milieu de cet équipage de forbans ?

― Je n’en sais rien. Une sale affaire dans son pays sans doute. Le Nouveau Monde offrait souvent la chance de se refaire une virginité. Peut-être était-il l’otage de ces flibustiers ? Le saurons-nous un jour ? Une chose est certaine, cela le changeait sûrement de Milan… Il ne devait pas non plus trop apprécier les Espagnols qui occupaient le duché à cette époque.

― C’est peut-être ça l’explication de son exil : un intellectuel en révolte contre l’occupant et obligé de fuir son pays.

― Oui, c’est possible. Un Milanais chez les pirates, c’est amusant.

Thomas se rapprocha d’Agnès et jeta un coup d’œil sur le livre de bord.

― Tu permets ?

Sans ajouter d’autres explications, il prit le livre et commença à le feuilleter. Il se tenait toujours debout, le regard perdu dans les lignes manuscrites. Nerveusement, il tournait les pages, s’arrêtant à peine sur le contenu.

― Qu’y a-t-il ? demanda son amie intriguée.

― L’écriture… Ce n’est pas la même au début du livre et vers la fin.

― Oui, j’ai remarqué ça.

― Attends…

Thomas se plongea à nouveau dans le livre, mais cette fois-ci avec plus d’attention.

― L’écriture change après l’escale de Carthagène. Il semble qu’ilsignoredi Lombardi ait embarqué à ce port. À partir de ce moment, l’écriture devient plus soignée et dépourvue de fautes contrairement à avant.

― Tu penses que c’est lui qui a été chargé de rédiger le livre de bord ?

― Probablement... Attends voir…

Thomas s’assit de nouveau à la table, face à la feuille codée. Durant de longues minutes, il se concentra sur les deux documents. Son index passait du livre au message et inversement…

Relevant son visage, l’air ravi, il le tourna vers sa compagne.

― L’écriture est la même… C’est bien le médecin italien qui a rédigé le message chiffré.

― Et alors ?

― Il était milanais, as-tu dit ?

― Oui, enfin si on en croit le rôle de bord.

― Les Sforza ! Voilà qui pourrait être la clef à tout cela.

― Les Sforza ? Mais ils ne régnaient plus sur ce duché depuis longtemps.

― Tu as raison, mais en leur temps, les Sforza avaient réussi à créer un véritable réseau d’espions à travers toutes les cours d’Europe. Ils savaient que le duché était convoité par les plus grandes puissances et plus particulièrement par le roi de France, Louis XII. C’est à cette époque que le duc Ludovic dépêcha en France et à Asti, chez le duc de Savoie, allié du roi Louis, son plus fin espion, Simon Cattaneo…

― Et ?

― Et ce Cattaneo utilisait une sorte de code pour informer son souverain, un code composé de signes et de caractères qui pourraient être très semblables à ceux-ci. Enfin, d’après ce dont je me souviens. Je ne les ai vus qu’une fois et il y a très longtemps. À l’époque, seuls ces deux hommes en connaissaient la clef.

― Et de nos jours ?

― Oui, on aurait fini par le déchiffrer…

― Tu crois que ce sont les mêmes signes utilisés dans le message crypté de Le Floc’h ?

― À bien y réfléchir, ils y ressemblent fortement. Mais bon, rien n’est moins sûr.

― Et tu connais la clef de ce code ?

― Je crains que non, mais je crois savoir où la trouver.

― Où ça ?

― Probablement dans la bibliothèque de la citadelle de Milan et bien sûr dans celle d’Amus.

― Tu sais ce que pense Prat à ce sujet…

Thomas secoua la tête, désabusé. Il ne comprenait pas l’attitude de leur ami, qui ne voulait pas faire appel à l’Ordre. Consulter des documents pour son usage personnel ne lui paraissait pas une barrière infranchissable. Amus lui devait tant… Une question d’honneur, disait-il. Il trouvait cela ridicule, déplacé.

Agnès reprit :

― Et tu crois que l’on peut consulter ce genre de document facilement ?

― Je n’en ai aucune idée, mais je pense qu’il faut déposer une demande à l’administration et attendre patiemment sa réponse.

― La patience n’est pas le fort de Prat.

― Non, je le crains.

― Mais tu es sûr que c’est le bon code ?

― Non. Beaucoup ont été utilisés à cette époque dans les réseaux diplomatiques ou commerciaux. Et puis, le code de Cattaneo n’est qu’une supposition.

Agnès souffla.

Tout comme son compagnon, elle se sentait perdue. Elle le savait : à peine évoquées, ce genre de pistes pouvaient s’évanouir aussitôt. L’idée d’attendre sans avoir de certitude entama son moral. Thomas la sortit de ses pensées :

―Et Prat, que fait-il ? Je ne l’ai pas vu de la matinée.

― Il a dit qu’il désirait se rendre sur le continent pour enquêter sur ces mystérieux cambrioleurs.

― Bien, il ne nous reste plus qu’à patienter. Je propose de faire une pause.

Agnès acquiesça.

 

 

Prat avait visité tous les hôtels de la région. Les photographies qu’il avait extraites de la vidéo de surveillance n’étaient pas assez nettes pour être exploitées. Les visages y apparaissaient flous et seules les silhouettes pouvaient donner quelque indice sur leurs attributs physiques. Les deux premiers cambrioleurs étaient de race blanche et plutôt baraqués. Le troisième, celui qui avait subtilisé la sacoche, semblait plus fin ; peut-être de type méditerranéen.

Une vedette à moteur avait bien été découverte dans le port, et ce fut sans surprise que Prat apprit qu’elle avait été volée quelques jours plus tôt à Querqueville. Ni empreinte ni aucun indice supplémentaire ne furent découverts par la gendarmerie.

En montant à bord, l’homme d’Amus avait compris comment le troisième individu avait réussi à échapper à la vigilance des deux autres. Dans un petit réduit à fond de cale, derrière le puissant moteur diesel, des traces de pas et de ce qui ressemblait à l’empreinte d’unséant dans la poussière huileuse, attestaient de son passage et de son attente en position assise. Sans doute, dans cet espace confiné qui empestait le gazole, avait-il attendu patiemment, le temps des deux traversées, recroquevillé dans ce placard. En imaginant la scène, Prat esquissa une grimace de dégoût :ce gars-là devait être sacrément motivé pour endurer pareil inconfort. L’image du trésor lui apporta la raison d’une telle abnégation. Sachant qu’il n’apprendrait rien de plus, il rejoignit les deux gendarmes sur le pont.

― Une voiture a été volée cette nuit-là, lui apprit le maréchal des logis.

― Et vous pensez que les deux affaires sont liées ?

Le gradé esquissa une grimace dubitative.

― À ce niveau de l’enquête, on ne peut pas l’affirmer…

― L’a-t-on retrouvée ?

― Oui, au bas de la falaise. C’est à peine si on pouvait en reconnaître la marque. Un véritable amas de ferrailles. Une question, monsieur d’Amontville : peut-on savoir pourquoi vous vous intéressez à ces deux vols ?

Prat ne désirait pas dévoiler aux gendarmes ses motivations réelles. Il tut le cambriolage dont il avait été la victime.

― Simple curiosité. Il se passe si peu d’événements ici que, quand j’ai appris le vol de cette vedette, cela a éveillé ma curiosité.

Les gendarmes connaissaient bien le baron d’Amontville, tout comme son passé d’officier dans les commandos de marine, et sa présence n’éveilla pas davantage leurs soupçons.

― Bien, je vais vous laisser. J’espère que vous retrouverez les coupables.

En débarquant sur le quai, Prat aperçut du coin de l’œil une berline avec deux hommes à son bord. Il fit mine de ne pas les remarquer. D’ailleurs, il n’était sûr de rien. Ses cambrioleurs devaient être déjà bien loin à cette heure. Pourquoi traîneraient-ils encore dans le coin ? Il rejoignit d’un pas tranquille sa puissante Jaguar E. Type et en fit vrombir le moteur. La voiture de collection à l’aspect impeccable s’engagea dans les étroites ruelles qui donnaient sur le port. Ce coupé sport des années soixante était une de ses rares passions en dehors de son métier. Entre deux missions, il s’était attaché à le remettre en état et il n’était pas peu fier du résultat. Il était magnifique et conforme en tous points à son étatd’origine. Rien ne manquait. Sa condition d’éternel célibataire lui permettait ce genre de passion envahissante ; tout comme celle qui le poussait à restaurer la forteresse de ses ancêtres.

Instinctivement, il jeta un regard dans le rétroviseur et constata que la Mercedes lui collait au train. Il en éprouva une certaine satisfaction, même si rien, à ce stade, n’avait quoi que ce soit de louche ni de probant. La rue qu’il empruntait était la seule permettant de quitter les quais. Il devait savoir si cette filature en était véritablement une ou pas.

À vitesse modérée, il traversa le bourg et s’engagea sur la route de campagne qui s’enfonçait dans les terres. Là, il accéléra et la grosse berline allemande fut distancée un moment. Un bref regard dans son rétroviseur lui décrocha un sourire. La Mercedes faisait tout ce qu’elle pouvait pour le rattraper.

À l’approche d’un carrefour, il ralentit, rétrograda et prit le chemin sur sa droite. Il le connaissait bien : il menait à une petite ferme en ruine.

Cette fois-ci, plus aucun doute possible : il était bien suivi. La silhouette de la berline allemande s’engageait à son tour dans le chemin.

Estimant qu’il se trouvait assez isolé au milieu de ce paysage de bocage, il arrêta son coupé en laissant tourner le moteur. Sa main droite se porta sur le Glock dont il ne se séparait jamais, l’arma et commença à sortir du véhicule. Il n’avait plus longtemps à attendre.

Il se trouvait dos au chemin, son arme ostensiblement tenue sur sa poitrine. Tous ses sens étaient en éveil. Par de profondes inspirations, il faisait tout pour réguler les battements de son cœur. C’était un professionnel, mais il le savait, chaque situation de ce genre comportait une part de risque. C’était là toute sa vie.

Le bruit du moteur de la Mercedes s’amplifiait. Sans se retourner, il pouvait maintenant en estimer la distance : une dizaine de mètres.

Deux portières s’ouvrirent… Les deux individus en descendirent et se portèrent à sa hauteur.

D’un coup, Prat se retourna et pointa son semi-automatique sur ses poursuivants. Choqués par la tournure des événements, les individus s’arrêtèrent net, le visage défait. Instinctivement, ils levèrent les mains bien au-dessus des épaules. Costauds, la quarantaine, ces gars-là ressemblaient en tous points aux silhouettes repérées par les caméras de sécurité du fort.

Ce constat ravit Prat.

― Alors, messieurs, on s’est perdu ? lança-t-il avec ironie.

 

 

Arizona

 

Un chant s’échappait de la kiva5. Les voix des chanteurs se mêlaient au son du tambour et des grelots. Tous rassemblés autour du sipapu, ce trou dans le sol symbolisant le passage d’où émergea l’humanité, ils en appelaient à Taiowa, le dieu suprême de la Création. Makya, le vieux chaman, était entré en transe et prononçait des mots que nul ne comprenait autour de lui. Il volait auprès de Kwahu, l’aigle céleste, le messager des dieux et dialoguait avec lui. Ses yeux roulaient derrière ses paupières entrouvertes.

Soudain, il se leva et commença à effectuer la danse rituelle. Tous l’observaient avec respect. Jamais le lien entre les dieux et les Hopis n’avait été rompu. Le chant sacré et la danse rappelaient les règles à respecter pour préserver ce monde. Dans le passé, les hommes avaient oublié les préceptes divins et Taiowa avait détruit par trois fois le monde. La première fois, par le feu, la deuxième par la glace et la troisième par l’eau. Ceux qui respectaient les préceptes avaient dû se réfugier dans le monde souterrain auprès du peuple Fourmi dans l’attente du prochain monde. Les Hopis le savaient, rompre l’équilibre précipiterait à nouveau la Terre dans le chaos. Deux fois encore, d’après la prophétie gravée sur les pierres. Dans la kiva, tous s’efforçaient de communiquer avec les Catsinas, les esprits de toute chose en cet univers, ceux qui officient auprès des dieux. C’était le rôle des Hopis de préserver l’humanité de la colère divine, de retarder la décision de Taiowa de réduire à néant le monde actuel.

 

 

Normandie

 

― Écoutez, monsieur d’Amontville, nous devons parler…

L’homme qui venait de s’exprimer le fit avec un fort accent anglais ; américain à ne pas en douter. Son français en demeurait excellent.

― C’est une bonne idée. Non, gardez vos mains bien visibles.

― Je désirais juste vous montrer quelque chose.

― Plus tard. Qui êtes-vous ? Des chasseurs de trésors ? Des cambrioleurs amateurs ?

Les deux hommes esquissèrent un sourire. Ils se tenaient à une dizaine de pas de Prat.

― Vous vous méprenez, monsieur d’Amontville. Nous ne sommes rien de tout ça. Nous sommes du bon côté.

― Ça, je ne le crois pas. C’est moi qui tiens le Glock et qui suis du bon côté de l’arme.

― Nous sommes des policiers...

― Américains ?

― Du FBI, ajouta l’homme qui paraissait être le chef.

― La Normandie ne fait pas partie de l’Union que je sache.

― Si vous le permettez, nous aimerions pouvoir vous montrer nos cartes.

Prat réfléchit avant de lancer :

― D’accord, allez-y, mais tout en douceur.

L’homme acquiesça.

Lentement, les deux Américains glissèrent une main sous leur veston et en retirèrent un porte-carte. Une fois dépliées, les deux plaques métalliques se mirent à briller au soleil.

― D’accord… Maintenant saisissez vos armes délicatement du bout des doigts et jetez-les à vos pieds.

― Écoutez, tenta de protester le deuxième agent.

― Faites ce que je vous dis, menaça davantage Prat.

Obéissant à contrecœur, ils s’exécutèrent et se débarrassèrent de leur Beretta 96.

― Approchez.

Prat pointait toujours son arme sur eux.

― Alors ?

― Nous sommes les agents Gardner et Jones.

― Et ?

― Dites, vous vous baladez toujours avec ce joujou sur vous ?

― Chacun ses petites manies. Et si vous me disiez ce que vous me voulez…

― À vous, rien. Nous sommes à la recherche de deux dangereux malfaiteurs.

― Continuez...

― Vous ne voulez pas ranger votre arme, c’est mieux pour la convivialité.

Prat esquissa un sourire et remit son Glock à la ceinture.

― Depuis des années, nous essayons de coincer un gars du nom de Cox. C’est un trafiquant multicarte qui se cache derrière sa société d’armement de navires à Frisco. Dernièrement, il a dépêché en France deux de ses hommes, pas des enfants de chœur, croyez-moi, et nous aimerions connaître le but de ce voyage.

― La Normandie est très belle en cette saison.

― Ne jouez pas avec nous, monsieur d’Amontville, nous savons que ces hommes vous ont rendu une visite et que vous êtes, vous aussi, à leur recherche…

― Admettons...

― Pourquoi ? Simpson et Graves ne sont pas de simples cambrioleurs. Alors que cherchaient-ils chez vous ?

― Voilà la question que j’aimerais leur poser.

― Méfiez-vous, ils sont très dangereux et si Cox les a envoyés chez vous, c’est que ça en valait la peine. Vous êtes très mystérieux, monsieur d’Amontville… Aucune trace de vous nulle part. On sait que vous êtes un ancien militaire, mais c’est à peu près tout.

― Pour vivre heureux, vivons cachés ; vieux proverbe français.

― Très bien. Je ne sais pas pourquoi, mais nous allons vous faire confiance. Si vous, ou nous-mêmes apprenons quelque chose sur Simpson ou Graves, on se contacte. D’accord ?

― Pourquoi pas. Vous avez un numéro, mister Gardner ?

― Tenez.

L’agent lui tendait une carte de visite sur laquelle était griffonné un numéro de téléphone.

― Bien, si j’apprends quoi que ce soit, je vous contacte. Ce Cox est dans quoi exactement ?

― Je vous l’ai dit, dans le fret maritime et bien entendu dans le trafic de tout ce qui se monnaye : armes, drogue, êtres humains… Un catalogue bien fourni… C’est pourquoi nous voulons le coincer.

― Je ne trempe dans aucune de ces affaires.

― Un Glock toujours à la ceinture chez un simple citoyen qui n’apparaît nulle part…, s’amusa à répondre Jones.

Prat ne releva pas la remarque et se contenta de sourire.

― Vous savez comment me contacter. Le premier qui repère ces deux lascars contacte l’autre. Autre chose : dans l’affaire qui nous concerne, il y avait un troisième homme. Savez-vous qui il est ?

― Un troisième homme, dites-vous ? Non, on ne voit pas.

― Ce n’est pas grave.

Les deux Américains approuvèrent d’un signe de la tête. Les mains se serrèrent et les agents rejoignirent leur véhicule. Avant de disparaître dans la berline, ils ramassèrent leurs armes. Prat ne les quittait pas des yeux, prêt à tout revirement de situation. Une fois leur voiture engagée dans le chemin, il s’installa au volant de sa Jaguar et opéra un brutal demi-tour, qui fit patiner ses roues arrière dans la boue.