Sale temps en Béarn - Philippe Pourxet - E-Book

Sale temps en Béarn E-Book

Philippe Pourxet

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Beschreibung

Le ciel gronde, déverse des trombes d’eau sur le Béarn. Plus bas, sur la terre ferme, l’apocalypse se déchaîne aussi : un homme a été crucifié sur le site du Sanctuaire de Pietat, puis un second a été disposé en évidence sur la deuxième station du Calvaire de Betharram. Quel est le sens de ces mises en scène morbides ? Satanisme ? Fondamentalisme religieux ? Fausses pistes ?

Le capitaine Berry, de la PJ paloise, et son équipe sont sur le coup. Et les premiers éléments de l’enquête sont troublants : une pseudo-Église aux mœurs douteuses, des légionnaires sauvagement assassinés, des notables locaux qui tentent d’étouffer l’affaire, et un lingot d’or découvert chez l’une des victimes. Il n’en faut pas plus pour que l’histoire fasse la une des médias et sème la panique au pied des Pyrénées.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Pau le 6 septembre 1960, Philippe Pourxet est l'auteur d'une quinzaine de romans. Après des études à l'École R. M. de Sorèze et à la faculté de droit de Pau, il a travaillé dans la publicité et dans le monde du luxe. Il est aussi membre de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques
(SACD). Il a été comédien à la Troupe du Théâtre des Loges (Paris) de 1988 à 1994. En 1994 il crée et dirige la troupe théâtrale La Compagnie de l'Instant. Il montera trois pièces à Paris et en Province.
Ses deux derniers romans publiés chez Terres de l'Ouest sont "Les pirates et le code" (roman d'aventure) et "Du Grabuge au Pays Basque" (Policier).
Après Rappel sanglant sur l’Arbizon, Philippe Pourxet nous régale avec une nouvelle enquête du capitaine Berry, qui fait la part belle à sa nouvelle terre d’adoption : Le Béarn.

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Sale temps en Béarn

Philippe Pourxet

Tous droits réservés

©Editions Terres de l’Ouesthttp://www.terresdelouest-editions.fremail : [email protected]

ISBN papier : 978-2-494231-42-9

ISBN numérique : 978-2-494231-45-0

Crédits photographiques :

Réalisation couverture : Terres de l’Ouest Editions à partir de crédits Adobe Stock - Ville de Pau, coucher de soleil sur le boulevard des Pyrénées sous la pluie © Par J. Borruel.

Du même auteur chez Terres de l’Ouest :

Du rififi à Hossegor, février 2019

Rappel sanglant sur l’Arbizon, 2020

Du grabuge au Pays Basque, mars 2021

Les pirates et le code Aztèque, juillet 2022

1

Sanctuaire de Pietat – 12 novembre – 8 h 25

Les essuie-glaces avaient du mal à chasser l’eau qui dégoulinait sur le pare-brise. Le ciel semblait vouloir se vider sans jamais y parvenir. Trois jours qu’il pleuvait sans discontinuer. Tout le Béarn était brossé de gris, pris dans un ciel bas et tourmenté. Pas de quoi remonter le moral du capitaine François Berry. Cela faisait presque une heure qu’il avait quitté l’hôtel de police de Pau, rue O’Quin, et qu’il roulait à travers un épais rideau de flotte sur la route étroite du coteau. Tournez à droite… Et cette voix mielleuse qui lui disait ce qu’il devait faire dès qu’il quittait son bureau, ça l’exaspérait! Un jour, toi, je vais te fumer! pesta-t-il. Toujours est-il qu’il tourna à droite, soumis à la voix féminine du GPS. Une masse sombre lui apparut soudain au bout de la petite route qu’il venait d’emprunter. Berry se demanda de quoi il s’agissait. Plus étrange encore, sur sa gauche, il aperçut un arc de pierre d’ordonnance romane planté au milieu de nulle part. En s’approchant, il comprit que l’imposant bâtiment qui se dessinait à travers la grisaille était en fait une église. Mais on est où, ici?

Plus tôt, il avait reçu un appel du lieutenant Millot lui annonçant un homicide au sanctuaire de Pardies Pietat. Un truc de dingue, avait-il ajouté. Venez vite! Berry avait bien grogné son agacement, avant de finir par céder à l’excitation confuse de son coéquipier. Cela ne faisait qu’un an qu’il avait été muté à Pau, et le Béarn restait pour lui un territoire exotique ourlé de coteaux, de montagnes, de vallons, et de forêts. C’était beau, mais plein de noms inconnus et impossibles pour lui à situer. D’où sa dépendance au GPS.

À vitesse réduite, il longea le côté sud de l’église et s’étonna de ne voir que deux ou trois maisons. Ce n’était pas un village, ni même un hameau. En contrebas, au bout de la petite rue qui descendait en pente douce, il aperçut plusieurs véhicules dont ceux de la Gendarmerie. Il était arrivé. Un militaire l’arrêta avant qu’il n’atteigne l’attroupement.

— Désolé, monsieur, vous ne pouvez pas aller plus loin.

Berry lui présenta sa carte de police en baissant à regret la fenêtre. L’eau et le vent en profitèrent pour s’immiscer et le gifler.

Vous êtes arrivé! annonça fièrement miss GPS.

Il voulut répliquer, mais le militaire ne lui en laissa pas le temps.

— C’est bon, garez votre voiture ici. C’est par là que ça se passe.

Il désignait de la main les véhicules et les silhouettes qui s’agitaient à une vingtaine de mètres. Puis il ajouta :

— J’espère que vous avez un parapluie.

Lui-même dégoulinait.

Un parapluie… pensa Berry, évidemment qu’il avait oublié cet accessoire de première nécessité en Béarn, dans son bureau. De toute manière, cette journée s’annonçait pourrie. À contrecœur, il quitta son véhicule et se retrouva trempé dès les premières secondes. Le vent était de la partie, ce qui ne lui laissa aucune chance. Après quelques pas dans la tourmente, il stoppa net. Ses yeux s’arrondirent et sa mâchoire descendit d’un étage : qu’est-ce que c’est que ça? La vache!

2

Juste au-dessus des fourgons se dressaient trois grandes croix. Sur celle du centre, la silhouette du Christ se devinait sans difficulté, celle à sa droite était vide. Quant à celle de gauche… Millot n’avait pas menti. C’était bien un truc de dingue! Attaché par les poignets, le corps d’un homme torse nu pendait lamentablement comme le plus misérable des crucifiés. Son buste pâle luisait, dégoulinant d’eau et de sang.

Le jeune lieutenant, le voyant figé, rejoint son supérieur.

— Ça claque, hein? se crut-il obligé de déclarer avec un large sourire.

Hypnotisé par la scène, Berry ne prit pas le soin de répondre. Il finit par se rapprocher et constata que le supplicié avait le visage tuméfié. Quelle horreur! pensa-t-il.

— Oui, de plus près, c’est pas beau à voir.

Reprenant ses esprits, le capitaine demanda :

— On sait de qui il s’agit ?

— Non, mais je mettrais bien un billet sur « Jésus ».

Millot ricanait, fier de sa plaisanterie. Avec un sérieux tranchant, Berry répondit, les yeux toujours fixés sur la victime :

— Jésus, c’est lui – il pointa du doigt le Christ – lui, là, c’est un des brigands.

— Non, mais je déconnais, je sais bien que…

— Pour le hisser là-haut, on a dû se donner du mal, reprit le capitaine. Mais alors pourquoi cette mise en scène?

— On a retrouvé des traces de pneus au pied des croix. Ils ont dû le hisser à partir d’un petit camion ou du toit d’un fourgon, poursuivit l’adjoint.

— La même question demeure : pourquoi? Sans doute, en apprenant son identité, en saurons-nous davantage. En tout cas, il a dégusté ce pauvre type avant de mourir…

— Oui, il a le visage en bouillie et des hématomes sur tout le corps.

— Bien, reste plus qu’à attendre le rapport du légiste.

Comme s’il désirait passer à autre chose, Berry se retourna et fut stupéfait par l’église qui lui faisait face, à une centaine de mètres de là.

Sa masse grise, à travers les traits serrés de la pluie, lui donnait un air à la fois mystérieux et imposant. Elle se situait en haut d’une rue en pente douce et dominait l’ensemble du site.

— Mais que fait un tel bâtiment en ce lieu désert?

— C’est le sanctuaire de Pietat… Je crois qu’il est dédié à la Vierge… C’est un des nombreux lieux de balade pour les Palois.

Comme Berry esquissait une grimace, Millot ajouta :

— Non, mais il faut le voir avec le soleil, c’est sympa comme site, je vous assure.

Le capitaine dégoulinait et son manteau en poils de chameau ressemblait de plus en plus à une vieille serpillière. Comme si de rien n’était, il demanda :

— Et ces quelques maisons, elles sont habitées?

— Oui. On a interrogé les gens, mais ça n’a rien donné. Cette nuit, il pleuvait déjà des cordes et à la téloche il y avait Danse avec les Stars, alors imaginez…

— En gros, personne n’a rien vu ni entendu.

— En d’autres termes : oui.

— Et ça, c’est quoi?

Il désignait du menton une sorte de table en haut d’une volée de marches.

— C’est une carte panoramique. De là-bas, on peut observer une grande partie des Pyrénées… Évidemment, avec ce temps…

— Allons-y…

Les deux hommes s’éloignèrent de l’agitation qui régnait autour du calvaire et se dirigèrent, le dos courbé, vers le belvédère. Le vent mêlé de pluie redoublait comme si les éléments désiraient chasser ces intrus du paysage.

— La vache, tu parles d’un panorama!

— Je vous avais prévenu… avec ce temps…

La toile grise occultait toute la chaîne des Pyrénées. C’est à peine si les deux hommes distinguaient les coteaux qui formaient le piémont. Un nom sur la table attira le regard du capitaine : Arbizon. La seule évocation de ce pic lui arracha un soupir et barra son front de rides. Il y a plus d’un an maintenant, il s’était retrouvé accroché à une de ses parois en compagnie de la plus ravissante des femmes1… Fred! Elle lui manquait amèrement. Millot s’aperçut que Berry n’était plus là. Son regard vague que rien ne venait perturber, pas même les fortes rafales, distillait une sorte de mal-être indéfinissable.

— Capitaine? tenta-t-il.

— Hein? Oui, bon… Euh… Et ce village, juste en bas, c’est quoi?

— Pardies Pietat, le sanctuaire dépend de cette commune.

— Parfait, qu’on aille interroger les habitants pour savoir s’ils n’ont rien remarqué cette nuit… Un camion suspect, je ne sais pas…

Berry semblait inquiet, pas vraiment présent ni même clairement concentré sur cette nouvelle affaire. Le lieutenant le remarqua.

— D’accord, on va faire comme ça… Vous êtes sûr que ça va?

— Je suis trempé, j’ai froid et je n’ai pas pris mon café… Alors non, ça ne va pas. Et puis ce macchabée, là, qu’est-ce que ça veut dire? Ça fait deux mille ans qu’on met plus à mort les gens comme ça… Il y a sûrement une signification…

— Oui, mais laquelle?

— On est là pour ça, non ?… Pour découvrir le pourquoi et le qui de cette affaire… Quant au comment, ça paraît assez clair, non?

Berry jeta un dernier coup d’œil sur le supplicié et grimaça de dégoût.

— La vache, il faut être sacrément barré pour faire un truc pareil. Bon, je vais me changer. Je passe chez moi… On se retrouve à l’hosto pour l’autopsie. Dis-moi, tu ne connais pas un autre chemin que la route étroite des coteaux pour rentrer sur Pau?

— Si, en passant par Pardies Pietat, justement. En bas, au village, vous prenez à gauche et c’est tout droit.

— D’accord, j’y vais.

— À propos, vous avez des nouvelles de votre copine?

Berry s’arrêta net et regarda stupéfait Millot.

— Oui, pourquoi?

— Non parce que, se taper l’Everest en cette saison, ça a l’air plutôt coton, non ? Enfin, je dis ça…

— Oui, c’est ça, ne dis rien, c’est mieux. On fait comme on a dit.

Sans rien ajouter, Berry poursuivit sa marche vers la voiture.

Le vent et la pluie ne désiraient pas faire de pause. Ils s’acharnaient sur ce décor avec de plus en plus de violence.

Une fois installé derrière le volant, Berry se saisit de son smartphone : aucun message, pas un appel affiché.

« Fait chier! » lâcha-t-il énervé.

Il introduisit la clé de contact et les essuie-glaces se mirent aussitôt en marche. À travers la buée du pare-brise, il aperçut les hommes de l’IRCGN2 qui commençaient à descendre le corps.

« On croit rêver… »

Faites demi-tour…, déclara de sa voix enjouée la dame du GPS.

« Eh voilà, c’est reparti! La ferme, Berthe! »

La voiture démarra et se trouva face à l’église qui impressionnait à travers les éléments déchaînés. Berry devait se concentrer sur cette nouvelle affaire. Ne plus penser à Fred, son amie, son… amour. Ce mot ne lui faisait plus peur. Oui, il était amoureux comme un ado et son absence le perturbait. Il n’était plus le même. Quand elle lui avait parlé de son projet de se joindre à une équipe en partance pour l’Everest, il ne s’était pas senti le courage de l’en dissuader. C’était le rêve de toute une vie. Quelques mois sans elle… Après tout, il avait bien vécu plus de quarante ans sans la voir, alors… Mais au bout de quelques jours seulement, il se sentit terriblement seul, inquiet, triste. Se documenter sur l’ascension du pic le plus haut de la planète ne fut pas non plus la meilleure des idées. Grimper l’Everest restait un chalenge, un concentré de dangers mortels : le froid, les crevasses, le manque d’oxygène, les avalanches de neige, de glace, de pierres…

Grâce au téléphone satellite de l’équipe, elle pouvait de temps en temps l’appeler. Entendre sa voix le rassurait… Un peu… Pas assez.

Il souffla longuement, comme s’il voulait se débarrasser de ses mauvaises pensées. Il frissonna et il ne fut pas certain que le froid ou l’humidité en fussent la cause. Il alluma le chauffage et songea au type accroché à sa croix. Pas Jésus, l’autre… C’est sur lui qu’il devait à présent se concentrer et sur rien d’autre.

Tournez à droite.

— La ferme!

3

Hôpital François Mitterrand – Pau

Berry était passé chez lui, dans le centre de Pau, pour se changer. La pluie et le vent n’avaient pas cessé de s’acharner sur le Béarn. Une tempête devait se déchaîner sur la Côte basque et le policier eut une pensée émue pour son ancienne affectation. Ces précipitations, qui n’étaient ici qu’un désagrément, se transformaient là-bas en un véritable spectacle. Il appréciait plus particulièrement ces murs d’eau façonnés au large qui venaient s’écraser avec puissance contre les rochers. Une nostalgie en entraînant une autre, il pensa aux Pyrénées, à la vallée d’Aure, là où il avait connu le véritable amour, Fred, qui se trouvait à présent dans un camp de base à attendre, entre deux avalanches, le moment propice où elle pourrait affronter le monstre Everest. Quelle folie! Lui devait résoudre le cas d’un meurtre pour le moins étrange, se concentrer sur cette nouvelle affaire et arrêter d’angoisser pour un rien.

Mais, putain, pourquoi elle n’appelle pas?

Berry pénétra dans la salle réservée aux autopsies. Millot s’y trouvait déjà ainsi que Lamard, le légiste et son assistante, une petite brune, toute pimpante.

Le cadavre était étendu nu sur la paillasse et la lumière crue qui descendait du plafond n’épargna aucun détail au capitaine.

Une incision au niveau de l’abdomen avait été pratiquée et une odeur forte s’en échappait. Berry détestait ce genre de visite. Il grimaça, ce qui fit sourire le lieutenant.

— Alors? demanda-t-il.

— Nous avons là un homme d’une cinquantaine d’années, musclé, qui ne présentait aucune malformation ou maladie chronique. Il a deux côtes cassées dont une a perforé le poumon gauche, ce qui a entraîné une hémorragie interne abondante.

— C’est de ça qu’il est mort?

— Oui, et du reste aussi : avant d’être crucifié, il a reçu pas mal de coups à la face qui lui ont fracturé le nez. Bon, comme vous pouvez le voir, les pommettes ont éclaté. Ensuite, il ne fait aucun doute qu’il a été accroché encore vivant à la croix et là, outre son hémorragie et son nez cassé, la position du corps suspendu par le haut a fini de l’achever.

— La cause de sa mort?

— Asphyxie!

— Il a beaucoup souffert?

— Certainement, même s’il a dû perdre rapidement connaissance. Et puis dans ce genre de situations, l’adrénaline anesthésie le corps. J’ai fait un prélèvement que je vais analyser pour voir s’il a été drogué.

— Sinon, poursuivit Berry en se rapprochant du cadavre, rien qui puisse nous en apprendre davantage?

— À ce stade? Non.

— Et ça, c’est quoi?

Il désigna de l’index l’intérieur du biceps gauche. Lamard avec ses lunettes loupe, approcha de l’endroit identifié et resta un petit moment à l’observer.

— On dirait des tatouages, marmonna-t-il, c’est un peu effacé… Ah, je lis O +…Oui, c’est bien ça…

— O + comme le groupe sanguin? demanda Millot.

— Oui, certainement… Attendez, il y a autre chose… Des chiffres… 407922. C’est très peu lisible, mais ça doit être ça.

L’assistante faisait jouer sur l’endroit analysé le faisceau bleuté d’une lampe.

— Oui, je confirme, c’est bien ça, déclara ravi Lamard en se redressant.

— 407922? Je ne vois pas ce que c’est, grimaça Berry.

— Un ancien numéro de téléphone? tenta Millot.

Le capitaine se retourna vers lui.

— T’es sérieux, là?

— Ben, je cherche.

— Alors dans ta tête, s’il te plaît. Et côté empreintes, ça a matché?

— Une recherche sur le FAED3 a été lancée, mais ça n’a rien donné… Le gars est inconnu au bataillon.

— D’accord… Super… Voilà une enquête qui commence bien. Donc, si je résume : on a un type qui s’est fait tabasser, puis crucifier, et qui apparemment avait une passion pour les chiffres au point de se les tatouer sur le bras. Un mathématicien en goguette qui aurait eu un différend avec une secte nostalgique de l’Empire romain?

Les trois témoins le regardaient avec étonnement.

— Oui, désolé, je cherche aussi… Je suis un peu perturbé en ce moment… Bon, peut-être que l’ADN va parler?

— J’ai envoyé un prélèvement au FNAEG4. Si le gars y est inscrit, on connaîtra vite son identité, ajouta le médecin.

— C’est à espérer, conclut Berry en se pinçant le nez.

Le capitaine quitta la pièce et se retrouva dans le couloir. Millot l’accompagnait.

— C’est curieux comme affaire, non? se risqua ce dernier.

— Curieux?

Berry s’arrêta et jeta un regard instigateur au lieutenant.

— Vraiment? C’est tout ce qui te vient? Non, parce que moi, face à un truc pareil j’aurais dit plutôt : c’est quoi cet imbroglio incongru?

— Ah bon?

Berry soupira. Parfois son collègue l’étonnait par sa naïveté à tout gober. Parfois même, il l’exaspérait; enfin, c’était un bon flic en devenir.

— Sur ce coup, on est mal si on n’arrive même pas à identifier un type qu’on a crucifié de la sorte, lâcha Berry.

— Pour moi, ça peut être une histoire de secte, vous savez, le genre apocalyptique avec sacrifices et tout le tremblement…

— Oui, c’est une éventualité… Mais je t’avoue que ce n’est pas celle qui me vient à l’esprit en premier.

— Pourquoi? Ça pourrait être cool.

Cette fois-ci, Berry secoua la tête, et désabusé, précisa :

— En ce moment, je ne me sens pas de courir après des gars en toge sur fond de sacrifices rituels. Bon, au cas où, essaie de me trouver toutes les sectes du coin, les groupes de déjantés, les nécromanciens illuminés, les gourous… Enfin tous les tarés qui traînent dans la région… Tu vois le genre…

— Je vois surtout que je vais devoir me coltiner un travail de malade.

— Mais non… Dis-toi bien que des gars ou des sectes capables de crucifier leurs adeptes, ça ne doit pas courir les rues!

— Mouais… Je m’y mets dès qu’on est rentré.

— C’est ça… Et merde, il pleut encore!

*

Berry était passé par la rue O’Quin, là où se situait, au 5, le commissariat de la ville de Pau. Cette histoire de crucifié ne ressemblait à aucune de celles qu’il avait pu résoudre depuis son affectation dans la région. En Béarn, son quotidien était assez monotone et pour tout dire ennuyeux. En matière criminelle, la tendance était plutôt aux conflits matrimoniaux même si parfois, un gars pouvait mourir pour un mauvais regard ou pour une histoire de stups. Dans le cas présent, c’était autre chose. Jamais un mari jaloux ou un dealer n’en viendrait à ce genre de procédé pour le moins archaïque, moyenâgeux. Il y avait un sens à cette mise en scène. Un symbole peut-être même. Oui, mais lequel? Religieux? Berry le pensait, même si cette hypothèse le gênait. Exposer ainsi le corps du supplicié découlait certainement, d’après son expérience, d’une volonté de mise en garde, d’exemple, adressée par le tueur. La photo du visage de la victime suggérait qu’il y avait eu acharnement de violence à son égard. Pourquoi? Par simple plaisir? Berry grimaça à cette idée. Un châtiment pour mauvaise conduite, pour trahison? Ou pour faire avouer un secret? À ce stade, ce n’étaient que des conjectures sans fondements. Il lui fallait du concret. Au moins un nom, un contexte. Ne restait plus qu’à espérer que l’ADN parle.

Un autre détail attira son attention. Griffonnés sur une page de son carnet, s’alignaient les six chiffres tatoués sur la face intérieure du biceps : 407922. Un numéro de téléphone des années soixante, comme l’avait suggéré Millot? Ça paraissait peu probable. Mais alors quoi? Pour l’instant, Berry n’avait aucune idée sur la question. Sans doute ce nombre avait-il peu d’importance puisqu’il semblait remonter à une époque lointaine.

Il jeta un regard anxieux sur l’écran d’accueil de son smartphone et vit qu’il n’avait aucun message. Il soupira longuement. Il savait Fred et son équipe bloquées dans le dernier camp de base. De ce qu’il en savait, une tempête s’y déchaînait et, à cette altitude, ça n’augurait rien de bon. Son amie était une dure à cuire, mais il ne pouvait s’empêcher de penser au pire. Il l’imaginait blottie sous une minuscule toile de tente encadrée d’effroyables avalanches… Il devait chasser ces images de sa tête. C’était ridicule et improductif.

Mais bon sang, pourquoi n’appelle-t-elle pas?

La sonnerie se manifesta avec force. Dans un réflexe, il décrocha et s’exclama fébrile :

— Oui, c’est moi!

Il y eut un silence à l’autre bout; puis une voix se manifesta :

— Ravi de l’apprendre…

Cette voix, il la connaissait bien et ce n’était pas celle qu’il espérait. Le commissaire Meunier poursuivit :

— Dis-moi, c’est quoi cette histoire de crucifié? Ça avance?

— Euh, doucement… On attend le résultat ADN pour identifier la victime.

— Bon… Espérons que cette affaire ne dure pas… Un crucifié, ça risque de faire les gros titres, même au niveau national… D’ici que BFM débarque… Bon, tâche de faire au mieux.

— Eh bien d’accord, on va faire comme ça!

Le commissaire raccrocha, laissant Berry assommé.

Mais pourquoi il m’appelle sur le portable, ce con? Il doit être déjà à sa cantine. Bon, professionnel…

Il ferma les yeux et souffla longuement, comme s’il désirait faire le vide en lui, se recentrer sur l’affaire. Quand il les rouvrit, il avait pris sa décision : Je ne peux pas rester le ventre creux, il faut que je mange un morceau.

Il se leva, enfila son manteau et quitta son bureau.

4

Nay, 03 h 00

Le carillon de la mairie venait de sonner, diffusant dans les rues comme une complainte lugubre. En écho, celui de l’église lui répondit. Cyprien s’était réfugié derrière un des piliers des arcades qui encadraient la place de la République. Le souffle court malgré le froid mordant qui figeait la ville, il se sentait bouillant. Ils n’allaient plus tarder à l’attraper, il le savait. Ces gars-là ne renonçaient jamais, ce n’était pas dans leur nature et puis l’enjeu se révélait trop important. Une fortune. Cette simple évocation lui arracha un sourire, ou plutôt une grimace. Comment avait-il pu se laisser entraîner dans une pareille affaire? Après tout ce temps, ils n’avaient toujours pas renoncé à le pourchasser. Dix ans, déjà. Quelle folie!Il se tenait non loin de l’angle de la rue Notre-Dame, devant le distributeur de la BNP. Son cœur battait dans ses tempes. Il les sentait proches, quelque part à l’autre bout de la place, tapis dans l’ombre, derrière le rideau de cette satanée pluie qui frappait le pavé et occultait le moindre son. Au-dessus de lui, tout autour, dans ces maisons de l’ancienne bastide, des gens dormaient paisiblement sans se soucier du drame qui se jouait à leur porte. Comment pourraient-ils imaginer qu’une chasse à l’homme impitoyable et à l’issue certaine se déroulait sous leurs volets clos. Cyprien aurait voulu crier, hurler son désespoir, tenter de réveiller cette ville endormie, mais il savait qu’alors ses poursuivants le repéreraient aussitôt. Même s’il savait sa fuite sans espoir, l’envie de vivre encore un peu demeurait la plus forte. Le cri d’un chat le fit sursauter. Tout son corps trembla. Il serra les poings et jaillit de sa cachette. Maudit éclairage public! Même à travers la pluie, sa silhouette se détachait comme une ombre chinoise. Tant pis! Courir, fuir, c’était tout ce qui lui restait comme issue. Après une dizaine de mètres sous les arcades, il aperçut, de l’autre côté de la place, les silhouettes qui le traquaient. Une, en particulier, lui ôta toute sa force, toute envie de lutter. Malgré la capuche noire qui encadrait son visage, il la reconnut. Elle s’arrêta, le désigna de son index et sourit. Il se sentit paralysé, semblable à ces lapins pris dans les phares d’une voiture. Il savait qu’il était inutile de lutter, de prolonger sa cavale. Maurice était déjà tombé entre les mains de cette femme diabolique, et elle ne lui avait laissé aucune chance. Avec ses complices, elle s’était acharnée sur lui avec une férocité qui lui fit froid dans le dos, rien qu’en y pensant. Les journaux du matin s’en étaient fait l’écho. Cette femme était sadique, fière de son pouvoir. Quelle horrible mise en scène, songea Cyprien, et quel message ne lui avait-elle pas adressé! Oui, ce message lui était bien destiné, à lui! Tu ne trahiras point! Une larme coula. Il avait peur. S’il avait été armé, il aurait mis fin lui-même à ses jours. Tout était bon pour ne pas tomber entre les mains de cette diablesse. Il était trop tard. Son bourreau se tenait toujours de l’autre côté de la place, immobile, et malgré la pluie, il distingua son sourire.

Soudain, dans son dos, il perçut des pas précipités. Ses complices approchaient. Il n’avait plus envie de fuir. C’était à présent inutile. Il abandonnait. Sa vie ne valait plus rien… Et ça, depuis le jour où il s’était laissé entraîner dans cette histoire. Vivre heureux, en paix… Quelle folie!

Deux mains l’agrippèrent par les épaules et le retournèrent violemment. Un poing le percuta au menton. Il reçut comme une décharge électrique dans la tête. Tout se voila. Il perdit connaissance.

C’était mieux ainsi.

*

Berry n’arrivait pas à s’endormir. Les heures défilaient péniblement sans lui apporter de repos. Cette histoire de crucifié l’intriguait. Il ne comprenait pas comment on pouvait mettre en scène un crime pareil. Ne jamais s’abandonner aux conclusions trop évidentes. Pourtant… Si ce n’était pas à connotation religieuse, ça y ressemblait fortement! De toute manière, il ne pouvait qu’attendre pour avancer. Se perdre en suppositions ne faisait qu’épaissir le mystère. Il attrapa sur la table de chevet le roman dont il lisait chaque soir quelques pages avant de s’endormir et constata qu’il allait devoir bientôt en changer. Trois fois déjà que, cette nuit, il l’avait repris. Il connaissait la raison de cette insomnie et son nom était « Fred ». Pourquoi ne l’appelait-elle pas? Lui était-il arrivé quelque chose? Il n’osait l’imaginer. Pourtant… La météo sur l’Everest annonçait de violents vents et il savait ce qu’en haute montagne cela signifiait des températures abominables, des risques d’avalanche, un inconfort extrême sous une tente exiguë…

Il attaquait une nouvelle page de son polar sans réelle conviction quand la sonnerie de son smartphone faillit arrêter les battements de son cœur. Sa main se saisit de l’appareil et ses doigts eurent du mal à décrocher. ‘tain! Quand il y parvint, il lâcha un allô angoissé. Mais rien au bout du fil. Seulement un affreux grésillement. Il cria un Fred? mais n’eut pas de réponse. Soudain, semblant venir d’un autre monde, la voix de son amie, à peine audible, se fit entendre.

— Tout va bien… Et toi?

— Ça va… Il fait un temps de chien…

— Ah bon, parce qu’ici on a – 40° et des rafales à plus de 130…