Avis de recherche pour balle perdue - Philippe Pourxet - E-Book

Avis de recherche pour balle perdue E-Book

Philippe Pourxet

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Beschreibung

« Ah, la subtile odeur de poudre quand on a vidé son chargeur de Beretta, ce bourdonnement exquis qui vous ruine les tympans pendant des heures et ces petites brûlures aux doigts quand le canon monte dans les degrés… »
Novembre 1978 : Quand au cours d’un braquage de banque, une balle perdue vient se loger dans le front de Martin Élissalde, Beñat, son frère jumeau, va très mal le prendre. La vengeance, c’est comme l’axoa, ça se mange chaud et épicé !
Une traînée sanglante va alors se dessiner à travers tout le Pays basque sur fond de guerre des gangs. Des Bordelais, des Basques, et au milieu, un commissaire désabusé et revanchard, qui fait ce qu’il peut… Un cocktail détonant sur fond de fandango où les bonnes manières auraient tendance à s’oublier ; mais pas le sulfatage sauvage.
Avis de recherche pour balle perdue nous plonge dans les années 70, avec ses truands à l’ancienne et cette ambiance si particulière des polars noirs de l’époque.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Pau, Philippe Pourxet est auteur de romans historiques et romans policiers. Après des études à l’École R. M. de Sorèze et à la faculté de droit de Pau, il a travaillé dans la publicité et dans le monde du luxe. Il est aussi membre de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). Il a été comédien à la Troupe du Théâtre des Loges (Paris) de 1988 à 1994. En 1994, il crée et dirige la troupe théâtrale La Compagnie de l’Instant . Il montera trois pièces à Paris et en Province dont il est l'auteur: L'Oiseau des Tempêtes (drame), La cour des corbeaux (Comédie médiévale) et La Suite (Comédie).

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Philippe Pourxet

 

 

Avis de recherche

pour balle perdue

Polar en Pays basque

 

 

Tous droits réservés©Editions Terres de l’Ouesthttp://www.terresdelouest-editions.fremail : [email protected] papier : 979-10-97150-69-3ISBN numérique : 979-10-97150-72-3

 

 

Du même auteur chez Terres de l’Ouest Editions :

Du rififi sur la côte basque, 2018Rappel sanglant sur l’Arbizon, 2019

1

Biarritz, novembre 1978

Confortablement installé dans son fauteuil Chesterfield rouge bordeaux, Vixente Olazagasti s’adonnait à ses ablutions quotidiennes au cognac. Son regard se perdait sur chacun des objets qui l’entouraient. Le temps avait passé et se retourner pour contempler le chemin parcouru lui apportait toujours une grande satisfaction. Soixante-trois ans déjà. Il avait vu le jour dans une petite maison un peu à l’écart de Sare au cœur du Labourd. Dès l’adolescence, une seule voie s’était ouverte à lui, celle de la contrebande avec l’Espagne. Passer la frontière ne lui posait aucun problème. La montagne était son terrain de jeu et les gabelous français ou espagnols n’arrivaient jamais à le serrer. Question furtivité, il ne craignait personne. Un cador du marché parallèle, le Vixente ! Ses allées et venues firent bien vite sa réputation et améliorèrent grandement le quotidien de ses parents, journaliers dans les fermes voisines. Ses huit frères et sœurs profitèrent aussi de cette manne transfrontalière pour faire des études. L’un d’eux, Iban, finit même par devenir curé. Si les voies du Seigneur sont impénétrables, celles de la frontière n’avaient aucun secret pour le jeune Vixente. On lui passait commande de cigarettes ou d’alcool depuis Bayonne et bien vite le petit trafic devint une véritable entreprise. D’abord, une camionnette avec un double fond, un camion, puis deux et un bateau, puis deux… Une multinationale de la contrebande avec chauffeurs, secrétaires, comptables, porte-flingues et tout le toutim avait vu le jour. La Basco-Espingouine comme il s’amusait à la qualifier. La monnaie coulait à flots. Lorgnant sur ses comptes, le fisc n’y voyait pourtant qu’une prospère société de fret et de pêche. En pensant à cette période, Olazagasti sourit et baigna davantage ses molaires du fond dans l’excellent cognac de trente ans d’âge.

À vingt-cinq ans, l’ancien berger du Labourd avait déjà une excellente réputation dans le milieu fermé des gros bras du banditisme local. Rien ne lui faisait peur et surtout pas ceux du nord, les Bordelais, avec leur suffisance et leur condescendance affichées. Venus le mettre au pas, leurs représentants avaient nourri les sardines durant un temps au large de Saint-Jean-de-Luz. Après cette histoire de visite en apnée des fonds marins, nul n’osa lui imposer quoi que ce soit. Son territoire s’étendait sur tout le Pays basque et personne ne lui contestait cette suzeraineté.

Puis la guerre le mobilisa dans les Bat’ d’Af’1. Discipline de fer, mais aussi endroit idéal pour se faire des relations honorables… Le véritable gotha de la faisanderie nationale se croisait dans ces bataillons disciplinaires. Négligeant le côté exotique de la situation, Vixente s’était concentré sur le relationnel. Ses nouveaux camarades d’arme étaient pour la plupart des pontes influents de la pègre parisienne ou marseillaise. Des types bien qui possédaient le même regard sur le monde que lui : L’oseille se ramasse au calibre et le travail est un gros mot qui ne s’applique qu’au corps de son ennemi. De retour au pays, il choisit le camp de la Résistance, celui des futurs vainqueurs. Sa connaissance de la frontière fit de lui le meilleur passeur d’aviateurs anglais ou américains et aussi de réfugiés. Pour ceux-là, une contribution financière s’imposait. Patriote, mais il fallait aussi compenser la mise en sommeil de ses activités d’avant-guerre et sa chute de revenus.

La Libération lui apporta l’honorabilité et accessoirement la Légion d’honneur. Il n’y attachait pas trop d’importance, mais le petit ruban rouge ornait tous les revers de ses costumes.

Les cigarettes et l’alcool c’était bien joli, mais pour fonder un empire, il fallait davantage. Du genre artillerie légère et herbe qui rend nigaud. Pour les armes, aucun souci, il s’approvisionnait auprès de militaires américains qui stationnaient encore dans les bases comme celles de Captieux en Gironde. Quant au haschich, le Maroc et ses cultivateurs de marijuana halal offraient des millésimes exceptionnels. Ses bateaux de pêche rapportaient dans leur cale de quoi faire rire l’Aquitaine entière. Plus tard, dans les années soixante, la mode se tourna vers la cocaïne. Là, ça ne rigolait plus ! Le chiffre d’affaires s’affolait dans les colonnes de sa comptabilité, même si Olazagasti restait officiellement un modeste armateur inscrit au registre du commerce de Bayonne. Modeste. S’il y avait bien un attribut qui ne pouvait pas s’appliquer à Olazagasti, c’était bien la modestie. Sa maison au-dessus de Biarritz, face à l’océan, ressemblait plus au Petit Trianon qu’à un pavillon de banlieue. L’ancienne adresse d’un prince russe claquait sur sa carte de visite et en imposait aux pousse-mégots avec qui il devait parfois négocier.

En quarante ans de carrière, jamais il n’avait fréquenté d’établissements pénitentiaires ou alors seulement en simple visiteur. Le trou du Bat’ d’Af’ l’avait rendu pointilleux sur la qualité de la literie.

Pour faire court, Olazagasti avait réussi et en éprouvait plutôt de la fierté. La plupart de ses concurrents se tenaient à carreau ou entre quatre planches et l’avenir s’annonçait plutôt radieux.

Ces souvenirs allaient et venaient dans les vapeurs du cognac et un sourire niais se dessinait sur son visage. Tout allait bien.

Mais que signifiaient ces crissements de gravier et ce bruit de moteur intempestif ? Qui osait perturber son album souvenir ?

Avec irritation, la dernière gorgée du nectar ambré fut avalée d’un trait. Finis la dégustation raffinée, les délices charentais. La colère emportait tout. La sonnerie de l’entrée déclina sa version du carillon de Westminster. Furibard, Olazagasti s’arracha de son fauteuil et se planta discrètement sur le côté de la fenêtre. L’inopportun était là, s’impatientant devant la porte et il le reconnut tout de suite. L’Attila des allées était une vieille connaissance : le commissaire Marty. Quinze ans déjà qu’il cherchait à le coincer, quinze années à fureter dans ses affaires, à lui coller au train. Pour le condé en chef, serrer le truand n’était plus un devoir, mais une véritable obsession qui tournait à la monomanie psychiatrique. Le commissaire connaissait tout des activités du malfrat, mais sans preuve, pas d’arrestation possible, pas d’interrogatoire au bottin ni de menottes trop serrées aux poignets…

Dans le genre justicier, Marty ne faisait pas penser à Batman par son physique, mais de sa cinquantaine grisonnante et bien tassée, se dégageaient l’aigreur et la frustration du fonctionnaire en fin de carrière. Son regard d’épagneul, aussi usé que son pardessus taupé, paraissait se poser avec nonchalance sur toute chose qui l’entourait. Ses passions se résumaient à ses chats et à la dégustation de cassoulet de son Lauragais natal. C’était tout. Côté carrière, rien à dire. Jamais un accroc, des résultats plus qu’honorables, mais pas de quoi flamber non plus. Il avait l’estime de sa hiérarchie. À l’approche de la retraite, Marty se posait la question fondamentale de l’efficacité de la justice. Sur Olazagasti, il avait fini par constituer un véritable dossier de plusieurs centaines de pages, mais n’y figurait pas même le commencement d’une preuve. Depuis le premier jour, il jouait au chat et à la souris avec le mafieux basque et c’était toujours la souris qui bouffait le chat.

Olazagasti lui avait tout pris : son sommeil, sa santé nerveuse et aussi son seul amour, Nicole. La jeune femme, michetonneuse à mi-temps, rêvait alors de devenir la nouvelle Brigitte Bardot, et lui le futur Eliot Ness avec en ligne de mire l’Al Capone d’Euskadi. Quel programme ! Toujours est-il que la belle avait plié les gaules au bout d’un an et s’était réfugiée dans le paddock d’Olazagasti. Toute la Côte basque s’était alors gaussée de l’infortune du policier. Cocu, et par son pire ennemi. L’esprit de vengeance avait pris le pas sur le devoir, mais rien n’y faisait, aucune preuve ne permettait de mettre fin à la carrière du truand. Quinze ainsi ! Le temps passait, pas la haine.

En lui ouvrant la porte, Nicole fit resurgir en lui tous ces souvenirs et la plaie s’ouvrit davantage, douloureuse. Foutu ulcère ! Elle était là, souriante et toujours aussi belle ; blonde avec sa moue capricieuse, ses grands yeux charmeurs et son corps de rêve de routiers. Salope, pensa-t-il sans rien laisser paraître.

— Bonjour Henri… Je suppose que tu désires voir Vixente ?

— Tu supposes plutôt correct…

Nicole ne releva pas l’acidité de la réponse et se contenta d’un signe de tête. Elle se retourna et le précéda à l’intérieur.

— Suis-moi.

Si elle savait… En d’autres temps, il l’aurait suivie jusqu’au bout du monde.

Quand il pénétra dans le grand salon, il trouva Olazagasti assis dans son fauteuil, un verre de cognac à nouveau plein dans la main droite. Il lui souriait. Au fond, le voir dans cette situation l’amusait.

— Très cher commissaire, comment allez-vous ? lui lança-t-il avec ironie. Que me vaut votre visite ?

— Quinze ans de prison ferme si j’arrive à prouver que t’es à l’origine de la tempête de blanche qui fait rage actuellement sur la côte.

— Voyons, c’est ridicule, commissaire, vous savez bien que toutes mes activités sont inscrites au registre national du commerce et des sociétés.

— Pas à moi, Olazagasti… Malgré tes grands airs, tes costards à trois cent mille et ta baraque de poupée, tu es resté la même crapule, alors garde tes grands airs pour ces messieurs du conseil municipal. Tu as beau arroser tout le monde ici avec ton pognon, pour moi tu seras toujours une ordure. J’ai même appris que tu as versé une forte somme à l’orphelinat de la police. Quelle touchante attention ! Remarque, quoi de plus naturel ? C’est tout de même toi et tes associés qui remplissez régulièrement cet établissement !

Le sourire d’Olazagasti se figea en un rictus féroce. D’un coup, le cristal du ballon de XO Fine Champagne éclata entre ses doigts crispés, ce qui réjouit Marty.

— Foutez-moi le camp ! hurla le truand. Vous n’avez rien contre moi, vous m’entendez ?

Le commissaire entendait bien et s’amusa de la situation. Avec lenteur, il plongea les mains dans les poches de son pardessus, sourit et lança :

— Tu perds tes nerfs, Olazagasti. Tu as beau prendre tes grands airs, tu resteras toujours ce petit contrebandier de Sare. Sans classe et sans envergure. Allez salut… Inutile de me raccompagner, je connais le chemin. Et puis soigne cette main, tu es en train de saloper le tapis avec ton sang.

2

Comme chaque matin depuis plus de vingt ans, Martin Èlissalde, la petite cinquantaine bedonnante, rangeait la recette de la veille dans un sac de sport. Avec son frère Beñat, il tenait un magasin d’articles de pêche et de chasse dans le quartier Saint-Esprit. Les différents rayons de leur petite boutique débordaient de cannes, d’hameçons, de mini-arbalètes, de fusils de chasse… enfin tout ce qui pouvait distraire l’amateur de plein air et l’amoureux de nature morte. Bien que jumeaux, les frères Èlissalde différaient sur bien des points. Calme et réfléchi, Martin était le cerveau de la fratrie. Amateur de pêche à la mouche qu’il considérait comme du grand art, il attendait chaque week-end avec impatience pour filer dès l’aube sur la Nive, le Laurhibar ou les proches gaves béarnais.

Beñat, l’autre Èlissalde, lui son truc, c’était plutôt les armes à feu. Ah, la subtile odeur de poudre quand on a vidé son chargeur de Beretta ! Ce bourdonnement exquis qui vous ruine les tympans pendant des heures et ces petites brûlures aux doigts quand le canon monte dans les degrés…

Rien de très extraordinaire dans le fond ; des plaisirs simples, comme celui d’aller boire un coup avec les copains de temps en temps dans un troquet du Petit Bayonne, même si ce coup était souvent suivi de plusieurs autres. À part ça ? Rien. Le temps filait avec monotonie, et tout semblait se répéter chaque jour avec le même rituel, des gestes identiques, à heures fixes. Côté sentimental, ce n’était pas vraiment la feria ! Pas de femme, pas d’enfants, pas même un petit câlin de temps en temps. La misère. D’aucuns diraient : une vie de merde. À ceux-là, je dis attention à ne pas juger trop vite son prochain… Mais ne pas trop s’y attarder non plus, histoire de ne pas attraper le bourdon.

Donc ce jour-là, après avoir avalé son bol de café au lait, Martin, le jumeau pêcheur, quitta l’appartement familial situé au-dessus de la boutique avec en guise de conseil de son frère, les sempiternels recommandations :

— Tu as tort de ne pas emporter un petit calibre avec toi. On ne sait jamais…

Martin secoua la tête et sourit. Qui pouvait s’intéresser à quelques centaines de francs ? De toute manière, il avait horreur de se servir d’une arme à feu.

La banque se trouvait non loin du magasin et comme le soleil brillait déjà dans le ciel bayonnais, il décida de s’y rendre à pied. À quelques mètres du Crédit Lyonnais, il s’aperçut que son lacet était défait. Ne voulant pas risquer la chute, un prudent le Martin, il posa un genou sur le trottoir et s’engagea dans la confection complexe d’un double nœud. Quand, satisfait, il se releva, une fusillade s’engagea entre un gardien de la paix et une bande de contrevenants armés jusqu’aux dents. Le paisible boutiquier se trouvait au milieu de l’échange. Notez que le destin est parfois vachard, voire facétieux… Toujours est-il qu’une balle de 11.45 vint se loger confortablement dans la tête du malheureux Martin, qui, il faut le reconnaître, ne souffrit pas le moins du monde. Le monde, il le quitta par la faute d’une balle perdue que personne ne viendrait réclamer. Le pêcheur à la mouche s’écroula sur le trottoir, emporté par ce soudain excès de poids.

La fusillade ne dura que très peu de temps. Les braqueurs s’enfuirent sans rien ajouter, laissant un policier tremblant et un Èlissalde qui ne serait plus jamais le même.

Quelques minutes plus tard, les secours arrivèrent dans une débauche de sirènes et de gyrophares. Le corps de Martin laissa la place à une silhouette dessinée à la craie blanche, rappelant aux passants que la mort pouvait traîner partout, même sur un trottoir d’une rue tranquille.

3

Au commissariat, l’effervescence était à son comble. Non seulement il y avait eu un braquage et un passant avait été tué, mais depuis plus de trois heures, les truands couraient toujours, sans qu’aucun début de piste ne commence à se dessiner. Malgré les barrages et le quadrillage de la ville puis de sa périphérie, rien n’y faisait, les malfaiteurs s’étaient littéralement volatilisés. De véritables pros ! Tous les indics de la ville avaient été contactés, mais là encore, ça n’avait rien donné. Les gars qui avaient fait le coup n’étaient pas du cru ni des habitués du prétoire de Bayonne ou de la Villa Chagrin2.

— C’était déjà assez compliqué avec les locaux, si maintenant les étrangers s’y mettent aussi, lançait le commissaire Marty, rageur.

— Encore un effet de la décentralisation, patron, osa ajouter un des inspecteurs présents dans le bureau.

— Quoi ?

— Non rien, patron, se reprit penaud l’adjoint, je cherche…

— C’est ça !

Un agent fit son entrée :

— Commissaire, l’Anguille est là.

— Faites-le entrer !

Un gars à la barbe hirsute et au teint cireux pénétra dans le bureau. Poussé, serait le terme plus juste, car c’est rarement avec enthousiasme qu’on va à confesse à la maison poulaga ; question d’éthique. Il était alors de bon ton de lâcher quelques injures et autres mots grossiers, histoire de donner le change. Ses deux gros yeux humides indiquaient que ce monsieur avait l’habitude de tremper son nez dans la poudre blanche d’origine afghane contrôlée. Un toxico aux oreilles bien informées. L’Anguille était le meilleur fournisseur agréé BAB3 de tuyaux en tout genre, du plus percé au plus solide. Contre un oubli de ses activités, il pouvait se révéler une véritable source de renseignements. Pris alors d’une dysenterie verbale, il déballait tout d’un trait, sans s’arrêter. Aux policiers ensuite de faire le tri.

L’homme le plus bavard du Pays basque se tenait devant le commissaire Marty.

— Commissaire, gémit l’Anguille, vous êtes louftingue ou quoi ? Me faire venir ici, en plein jour ? Il en va de ma réputation !

— De quoi ?

— Oui, enfin, si on apprend ce que je viens faire ici, je vais me retrouver cloué à ma porte, c’est sûr ! Et là, finis les renseignements glissés amicalement au détour d’une rue sombre, ces petits plus qui font les enquêtes plus courtes, les mots gentils laissés dans la boîte aux lettres, les anecdotes que vous appréciez tellement, les…

— C’est fini là ? s’impatienta Marty.

Surtout ne pas le laisser s’embarquer dans du hors sujet, sinon la journée pouvait s’annoncer longue et très pénible.

— Dis-moi tout ce que tu sais sur le braquage de cet après-midi.

— Mais rien, nib, que tchi ! Je me tue à le dire à vos deux abrutis d’inspecteurs… Ce coup-là, c’est pas du local.

Les yeux du commissaire fixaient les deux globes humides de l’Anguille.

— Écoutez, poursuivit l’indic avec peine, il se pourrait, je dis bien pourrait… Non parce que dans ce genre d’affaires…

— Il faut que je sorte le forceps ? menaça le policier en désignant du regard le bottin du 64.

— C’est bon, un peu de suspense ne nuit pas à l’intrigue. Je disais donc qu’il se pourrait que ce soit un coup des Bordelais…

— Des Bordelais ? Mais bon sang, ça leur suffit pas d’envahir nos plages, il faut en plus qu’ils s’en prennent à nos banques ? Tu ne serais pas des fois en train de te foutre de moi ? Non parce que là, autant te le dire tout de suite, je ne suis pas d’humeur.

— Mais non, parole, c’est ce qui se dit, je ne fais que rapporter… Je colporte en quelque sorte ! Après, d’autres rumeurs évoquent des Palois, des jeunes désœuvrés…

— Oui, eh bien cesse de colporter et écoute-moi bien : pour te montrer que nous prenons bien soin de nos collaborateurs…

— Oh, collaborateurs…

— Si si, j’insiste, de nos collaborateurs, disais-je, je vais te faire une fleur.

— Tout de même !

— Vous autres, mettez-moi au frais cet auxiliaire zélé de la police. Un petit séjour en cellule devrait lui faire le plus grand bien, ordonna-t-il avant de se retourner vers le barbu hirsute. T’es un peu pâle en ce moment…

Alors que deux inspecteurs se saisissaient de l’Anguille, il se mit à crier :

— Je proteste, vous m’entendez, c’est illégal !

— Écoute-moi, abruti, reprit le commissaire, tes petits amis t’ont vu entrer ici, alors si tu ressors maintenant par la grande porte, ils risqueraient de se faire des idées. Et tu sais comment ils sont, une idée en entraînant une autre… Enfin, je n’aimerais pas aller te repêcher au fond de l’Adour.

— Je ne vous cache pas que cette éventualité ne m’enthousiasme pas non plus.

L’Anguille fit mine de réfléchir, puis reprit :

— Je vois dans votre proposition une sorte de bienveillance, un élan de générosité quoi, et je…

— Bon, allez, embarquez-moi ça, coupa net Marty à bout de nerfs.

L’indic fut alors évacué manu militari alors qu’il reprenait ses vociférations outrées. Un comédien né, l’Anguille !

Le calme était revenu dans le bureau. Le visage muré, le commissaire réfléchissait en silence. Un des inspecteurs présents se risqua :

— Vous savez, l’Anguillen’a peut-être pas tort, ce coup-là c’est pas de chez nous.

— Et Olazagasti ?

— Pas le style. Vraiment !

— Pas le style, pas le style, s’énerva le policier en chef, il faut maintenant du style pour braquer une banque et dégommer du passant ?

— Non, mais…

— Allez, coupa le commissaire agacé, poursuivez les opérations…

 

*

 

La nuit paraissait ne pas vouloir se finir. Le corps de Martin gisait au frais dans un des tiroirs de la morgue municipale ; une répétition façon métal de ce qui l’attendait un peu plus tard au cimetière Saint-Léon. Dans le centre-ville, une ombre passait et repassait devant les fenêtres encore éclairées du 3, rue Philippe-Fournier. Beñat venait de perdre une grande partie de lui-même, son frère, son jumeau, son seul ami. La peine et la tristesse se mêlaient à la colère et à l’alcool. Mauvais mélange en vérité.

4

Pour un enterrement réussi, celui de Martin Èlissalde le fut. Tout y était : la famille en pleurs avec Beñat à sa tête, l’amicale des pêcheurs à la mouche de l’Adour dans son effectif complet, les représentants des commerçants de la ville de Bayonne et le curé de la paroisse de Saint-Vincent-de-Paul flanqué de deux enfants de chœur, à vrai dire peu concernés par l’événement. Un crachin marin brossait de gris cette scène triste. Un peu en retrait, se tenait le commissaire. Il tirait sur une Gitane tout en posant un regard distrait sur la cérémonie qui se déroulait un peu plus loin.

Quand la mise en terre fut achevée, les personnes présentes se dispersèrent par petits groupes. Certains échangeaient sur la conjoncture économique, d’autres tremblaient au sujet de la montée de l’insécurité, et les derniers se murmuraient les spots secrets de la Nive où se trouvaient les plus grosses truites de la région. Comme la pluie avait cessé, tout allait pour le mieux.

Beñat restait seul face au trou dans lequel résidait à présent son jumeau. Une voix dans son dos le sortit de ses pensées :

— On est peu de chose…

— Monsieur ?

— Commissaire Marty. C’est moi qui suis chargé de l’enquête sur la mort de votre frère. Mes sincères condoléances.

— Merci.

Beñat dévisageait le policier avec dureté, comme s’il les tenait, lui et ses collègues, responsables de la mort de son frère.

— Vous permettez que l’on discute un peu ? relança le policier.

L’armurier hocha la tête pour signifier qu’il était d’accord. Les deux hommes commencèrent à marcher côte à côte dans l’allée la plus proche. Rompant le silence, Beñat demanda sur un ton agressif :

— Alors, vous avez des nouvelles des salopards qui ont abattu mon frère ? À moins que ce ne soit le policier présent sur la scène ?

— Non, ce n’est pas lui, la balistique a parlé.

— Et qu’a-t-elle dit d’autre ?

— Oh, pas grand-chose…

— Rien, quoi !

— Je ne dirais pas ça.

Èlissalde s’arrêta et tourna la tête vers le commissaire :

— Ce qui veut dire ?

— Que nous avons, comment dire, des soupçons.

— Des soupçons, mais sur qui ?

— Oh, vous savez, les soupçons, ça va, ça vient. Enfin, il se pourrait que ce soit une bande du coin qui ait fait le coup.

— Attendez, vous ne seriez pas en train de me dire, là, à demi-mot, que vous connaissez les enfoirés qui ont descendu Martin ?

— Pas avec certitude. Tout porte à croire que la bande d’Olazagasti serait à l’origine du casse du Lyonnais. Mais bon, ce n’est ni le jour ni l’endroit pour parler de ces choses-là. Je sais ce que c’est de perdre un être cher et…

— Qui c’est cet Olazagasti ? coupa net Èlissalde.

— Oh lui… Oubliez-le, c’est un vénéneux. J’ai eu tort de vous parler de ces choses-là.

Le peu de conviction encouragea le boutiquier à en savoir plus. La colère montait en lui et l’envahissait. Il serrait les poings comme s’il tentait de briser quelque chose. Satisfait, Marty le regardait du coin de l’œil.

— Je vais lui faire la peau à ce salaud, rumina l’armurier entre ses mâchoires serrées.

— Allons, monsieur Èlissalde, ne dites pas des choses pareilles. Non, faites plutôt confiance à la justice et à son bras séculier.

Beñat lui jeta un regard furieux qui en disait long sur le sujet. Le commissaire poursuivit :

— Je vous l’accorde, ces derniers temps, le bras a un peu tremblé.

— Je vais me le faire, je vous dis, et la justice n’aura qu’à juger ce qui restera.

— Je comprends votre colère, mais ne peux l’approuver. Question de déontologie. Rentrez chez vous, monsieur Èlissalde, et passez à autre chose. La bande d’Olazagasti, j’en fais mon affaire. Ça prendra le temps que ça prendra, mais je les aurai, croyez-moi. Cinq ans, dix ans… Je finirai par les avoir !

— C’est ça ! Et pourquoi ne pas attendre qu’ils meurent de vieillesse ?

— La procédure, répondit Marty avec fatalisme.

— Écoutez commissaire, merci pour votre visite, mais là, j’ai pas trop la tête à discuter du bien et du mal.

En disant ces mots, il lui tendait une main ferme.

— C’est vous qui voyez.

Les deux hommes se séparèrent au milieu de l’allée centrale du cimetière. Un crachin dégringolait d’un ciel toujours aussi bas. Alors qu’il s’éloignait, le commissaire esquissa un sourire.

— Alors là, mon pote, tu en tiens un bon. Un champion toutes catégories. Faudra tout de même penser à l’encourager de temps en temps. Oh le con !

 

Cette nuit-là, au-dessus de la boutique Pêche et Chasse, la lumière resta allumée une longue partie de la nuit. Dans la salle à manger, un véritable arsenal s’étalait sur la toile cirée de la grande table. Un fusil à pompe, des grenades et quelques refroidisseurs du genre qui tient dans la main, luisaient sous les feux de l’ampoule. Suivant le principe immuable des vases communicants, la bouteille de pastis se vidait à mesure que la colère montait chez Èlissalde. Ne s’attardant pas sur cette caractéristique étonnante de la mécanique des fluides, l’armurier ne cessait de jurer. Les culasses claquaient et le stock impressionnant de munitions présageait que bientôt, ça allait bâcher grave. Quelques heures et de nombreux verres plus tard, le justicier masqué de poches volumineuses sous les yeux s’effondra brutalement sur la table.

5

Le lendemain matin

La boutique d’armes et pêche ouvrit avec deux heures de retard. Le palais retapissé de frais et la tête abritant un véritable essaim de frelons hystériques, Beñat peinait à faire monter le volet métallique. Chaque tour de manivelle lui arrachait un râle de souffrance et la grimace qui stigmatisait sa gueule de bois annonçait une journée difficile. Il se traîna ensuite derrière la caisse et attendit patiemment l’heure de la fermeture. Le marché de la pêche étant plutôt mou en cette période de l’année, il en profita, entre deux intermèdes comateux, pour penser à la mort de son frère et surtout au sort qu’il allait réserver à ses assassins. Un programme aux contours encore un peu flous, qui se résumait à peu : rechercher et détruire. Il le reconnaissait, la formule n’était pas de lui. Elle était inscrite sur la carlingue des avions britanniques durant la Seconde Guerre mondiale. Search and destroy ! C’est vrai qu’on y perdait beaucoup à la traduction, mais l’idée générale était là. Pas de pitié ! Ça va saigner !La vache, qu’est-ce que j’ai mal au crâne !

 

À l’heure de la délivrance, 18 h 58, la clochette de la porte d’entrée tinta. Elle eut le même effet que le bourdon de Notre-Dame dans les tympans de Quasimodo : de mauvaises vibrations. La vie est parfois mal faite. Pas un seul client durant tout l’après-midi et là, au moment de plier les gaules, une espèce de gros balèze, du genre bâti pour durer, fit son entrée. Il était évident que ce n’était pas un prédicateur mormon en goguette à Bayonne. Quand la masse se mit à parler de sa voix sourde, Beñat devina sans difficulté les origines basques tendance arrière-pays de l’individu.

— Monsieur Èlissalde ?

— Oui, c’est bien moi. Que désirez-vous ?

— Je me suis laissé dire, comme ça, par hasard, que vous seriez l’heureux propriétaire d’un Mauser C96.

— C’est exact, j’ai cette chance. Une magnifique pièce de collection et en état de marche, s’il vous plaît !

Beñat avait du mal à masquer sa fierté au visiteur. Cette arme, cette légende de la Première Guerre mondiale, était d’une rareté remarquable.

— Et vous seriez prêt à la vendre ?

L’armurier prit un temps avant de répliquer, se contentant de sourire. Déjà il savourait sa réponse tout en montrant le calibre de son index derrière la glace épaisse de la vitrine.

— La vendre ? Je ne crois pas, non. Une merveille pareille… Mordez les détails… Pas une piqûre de rouille, rien, comme sortie d’atelier.

— Et pour un très bon prix ?

— Non monsieur, c’est sentimental, et je vous le demande, peut-on donner un prix à des sentiments ?

— Ben oui ! Je dirais même que c’est assez courant.

— Oui… Enfin… Pas dans ce cas-là. Je ne désire vraiment pas m’en séparer.

— Bon, tant pis. Enfin, si vous changez d’avis, n’hésitez pas à me contacter à ce numéro.

Il lui tendit sa carte.

— Un gros paquet de biftons de cinq cents vous attendra.

— Entendu, monsieur… Etchegaray. Mais ne comptez pas trop là-dessus.

— Qui sait ? Bon, je vous laisse.

L’armoire basque, montée sur mocassins croco, quitta la boutique. Èlissalde secoua la tête, amusé par cette conversation. Il ne doute de rien celui-là !