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François Berry, capitaine de police judiciaire, est dépêché à Arreau, petit village de la Vallée D’aure, pour enquêter sur un meurtre. Un corps vient d’être découvert pendu à une paroi rocheuse dans la montagne. Banal accident ? Pas tout à fait, car la victime est censée être morte vingt ans plus tôt dans un accident de voiture !
Aidé d’une guide aussi étrange qu’attirante, l’enquêteur va devoir affronter une nature hostile et des habitants peu loquaces qui semblent cacher de bien lourds secrets. La vérité n’est pas toujours celle qui se dessine en premier…
Un polar haletant dans des décors pyrénéens époustouflants.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après des études à l’École R. M. de Sorèze et à la faculté de droit de Pau,
Philippe Pourxet a travaillé dans la publicité et dans le monde du luxe. Il a également été comédien au théâtre, dans des pièces de Tchekhov, Marivaux ou André Obey... Puis il a créé sa propre troupe théâtrale : la Compagnie de l’Instant avec laquelle il s’est produit à Paris et en Province. Il est l’auteur de trois pièces : L’Oiseau des Tempêtes, La Cour des Corbeaux, La Suite… Auteur de huit romans (polars, thrillers, fantasy...). Il est aussi membre de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). Rappel sanglant sur l’Arbizon est son septième roman.
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Seitenzahl: 209
Veröffentlichungsjahr: 2020
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Du même auteur chez Terres de l’Ouest Editions :
Du rififi à Hossegor, février 2019
Rappel sanglant
sur l’arbizon
Crédits photographiques :
Réalisation couverture : Terres de l’Ouest Editions à partir de crédits Adobe Stock © Galyna Andrushko
Tous droits réservés
©Editions Terres de l’Ouesthttp://www.terresdelouest-editions.fremail : [email protected]
ISBN numérique : 9791097150440
Pic d’Arbizon - Hautes Pyrénées
Le corps pendule sur la paroi. Le menton collé à la poitrine, il ne donne aucun signe de vie. L’hélicoptère de la gendarmerie se rapproche un peu plus et le souffle de ses pales accentue davantage l’effet de balancier. Le maréchal des logis Dusseau mitraille le malheureux avec son appareil photo. Soudain, un détail le stupéfie.
— Tu peux te rapprocher un peu plus ? crie-t-il au pilote du EC145, il y a un truc qui cloche !
— J’ai pas trop envie de me fraiser contre la paroi, lui répond l’officier tout en gardant un œil sur le mur de roche à sa droite. Il y a un peu de vent et les rabattants sont violents dans le coin.
Sans rien ajouter, il fait glisser l’hélicoptère latéralement, frôlant la falaise du bout de ses pales. Le gendarme à ses côtés en profite pour faire une autre série de photos du corps suspendu à sa corde. En mitraillant, il ne cesse de répéter : « C’est pas possible ! »
Livide, il se retourne vers le pilote.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? T’as le mal de l’air ou quoi ? Si tu voyais ta tête.
— Vite, rentrons. C’est pas croyable !
— Quoi, ce type ? C’est sûr que ce n’est pas un temps à mettre un alpiniste dehors.
— Dépêche-toi bon sang ! Il faut rentrer au plus vite et organiser une cordée de secours. Ramène-moi à la brigade.
Sans bien comprendre, le pilote balance son engin sur la gauche et l’écarte de la paroi. Aussitôt, il plonge vers le fond de la vallée, avant de finir par lâcher :
— Je ne vois pas ce qu’il y a de si urgent : le gars là-haut ne semblait pas s’impatienter tant que ça.
À ses côtés, Dusseau ne cesse de faire défiler les images sur son appareil. Il s’arrête sur l’une d’entre elles et la grossit en faisant glisser ses doigts sur l’écran tactile. Son visage paraît se décomposer.
— Putain, c’est pas vrai ! C’est pas possible !
— Tu vas m’expliquer un peu ce qui se passe ?
— Le gars là-haut… Il est mort…
— Oui, c’est l’impression qu’il donnait.
— Oui, mais il est mort il y a vingt ans !
Arreau - Le lendemain.
François Berry claque la portière de sa voiture et lève le regard au ciel. La brume qui peine à se dégager de la vallée ne l’enthousiasme guère. Il grimace et plisse un peu les yeux. Remontant le col de son manteau, il s’avance vers le bâtiment qui lui fait face. À sa droite, l’enseigne accrochée à son mât lui décroche un soupir : Gendarmerie.
La veille, le capitaine de la police judiciaire de Pau a reçu l’ordre de se rendre au plus vite à Arreau pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer sur ce bout de rocher de la vallée d’Aure.
« Un con d’alpiniste amateur venu se vautrer par mauvais temps à plus d’une heure de mon bureau… Super l’enquête ! »
Après s’être présenté au planton à l’accueil, un collègue le mène directement auprès du major.
Une moue dubitative accrochée aux lèvres, François Berry, la quarantaine, taille moyenne et dégaine urbaine, toujours engoncé dans son manteau, ne manque pas de surprendre le sous-officier. Tout en le toisant du regard, ce dernier l’invite à s’asseoir. Le policier marque un temps, peine à réagir. Son regard se perd dans les différentes cartes et affiches qui décorent les murs. C’est finalement la voix du major qui le sort de son inventaire mental.
— Vous pouvez enlever votre écharpe et votre pardessus, c’est chauffé ici.
— Comment ?
— Je me trompe ou vous ne semblez pas trop heureux de vous retrouver parmi nous ?
— Vous savez, la mort d’un touriste qui dévisse d’une montagne au milieu de l’automne n’a pas vocation à m’enthousiasmer plus que ça. J’ai du mal à cerner le côté festif de la chose.
— D’accord… Et si je vous dis qu’il ne s’agit pas d’un accident, mais d’un meurtre ?
— Là, je vous répondrai que ça justifie un peu plus le fait d’avoir roulé deux heures et demie pour venir jusqu’ici.
— Deux heures et demie pour venir de Pau ? s’étonne le major.
— Ça va ! Je suis passé par le col d’Aspin. Col noyé dans la brume, dois-je préciser.
— Je vois, sourit le sous-officier, léger détour tout de même, motivé je suppose par un goût prononcé pour la découverte touristique ?
— Pas vraiment. Motivé surtout par un con de GPS qui ne connaît pas son chemin… Vous me parliez de meurtre ?
— Je vous ai transmis le rapport.
— Pas eu le temps d’ouvrir le fichier. Désolé ! Je suis en plein déménagement. On vient tout juste de m’affecter à Pau. Avant, j’étais à Bayonne. Vous connaissez Bayonne ? demande-t-il avec un soupir maté de regret dans la voix.
— Non. Si on en revenait au dossier ?
— Ah oui, le dossier… Vous parliez de meurtre. On connaît la victime ?
— Un jeune homme, plutôt sportif et passionné par la montagne. Un certain Maillard !
— Pas très original comme profil. Enfin, je veux dire dans la région, il doit y avoir pas mal de types qui correspondent à ce genre de… Vous disiez ?
Le sous-officier observe un moment Berry avec étonnement. Ce gars-là est-il vraiment policier ou simplement un psychopathe égaré en montagne ? Ne trouvant pas de réponse satisfaisante, il finit par lâcher :
— Sauf que lui avait un casier judiciaire.
— Du genre ?
— Petits cambriolages sans violence, recel… Enfin, vous voyez le genre.
— Vous avez des photos de la scène du crime ?
— Oui, tenez.
Le major lui tend un dossier. François s’en empare et l’ouvre avec précaution pour ne pas tout faire tomber. Longuement, il détaille la première photo sans dire un mot. Une moue se dessine sur son visage. Presque une grimace. Il passe à la seconde tout en croisant ses jambes nerveusement. Le sous-officier l’observe et attend sa réaction. Elle ne devrait plus tarder à présent.
— Dites-moi, major, vu comme ça, on dirait plutôt que le particulier s’est pendu. Qu’est-ce qui vous fait penser à un meurtre ?
Ce n’est pas la réaction qu’il attendait, mais est-ce vraiment étonnant ? Agacé, il répond :
— Regardez la troisième photo, on voit que ses mains sont attachées dans son dos.
— Eh oui ! Un sacré nœud ! Du coup…
— Et sinon, rien ne vous choque, capitaine ?
— Non.
— Regardez mieux, insiste le gendarme irrité.
— Ses vêtements ?
— Non ! Soyez plus attentif et souvenez-vous de ce que je vous ai dit au sujet de Maillard.
Le policier reste un long moment à détailler les photographies. Seuls ses yeux s’activent nerveusement. À bout, le gendarme éclate :
— On parlait de jeune délinquant. Bon sang, soyez un peu à ce que vous faites !
— De jeune délinquant… répète-t-il en marmonnant. Oh la vache, vous avez raison ! Ce type a la quarantaine bien passée. Mais comment ça se fait ? L’effort intensif de l’escalade ? Le mal des montagnes ?
— Non, encore plus étrange. Ce gars est censé être mort il y a vingt ans.
— Quoi ? Vous voulez dire qu’il est accroché là depuis tout ce temps ?
— Mais non ! s’emporte le gendarme, il est décédé il y a vingt ans dans un accident de voiture.
— D’accord, et on ne retrouve son corps qu’hier, pendu en pleine montagne sous les traits d’un homme de quarante-cinq ans, voire plus. Vous ne me prendriez pas pour un con, major ?
— C’est pas la question ! Enfin, je veux dire… Voilà, il y a vingt ans, Maillard rentrait tard du Pla d’Adet, la station de ski de Saint-Lary. Douze kilomètres environ de virages et de descente plus ou moins raide…
— Une route de montagne, quoi !
— Voilà. Rien d’extraordinaire. On ne sait pas ce qui s’est passé, mais sa voiture est sortie de la route et s’est abîmée une centaine de mètres plus bas.
— Ensuite, elle a pris feu et plusieurs heures après, quand les secours sont arrivés sur site, ils n’ont retrouvé qu’un corps calciné, avec les papiers de Maillard et sans doute également une montre ou une gourmette ou encore une chaîne de baptême.
— Oui, c’est ça, s’étonne le major. Vous connaissez le dossier alors, capitaine ?
— Non, mais avant les années 2000 quand on voulait faire croire à sa mort, c’est comme cela qu’on procédait. Un corps méconnaissable de la même taille, sans empreintes intactes et tout le toutim. À l’époque, on ne recourait pas à la recherche ADN comme aujourd’hui, surtout pour un simple accident de la route.
— Eh oui ! lâche le gendarme ébahi par cette démonstration.
— Après, poursuit le policier, Maillard disparaissait de la circulation, échappant ainsi à toute éventuelle poursuite. Il était plus ou moins recherché par la justice, n’est-ce pas ?
— Euh, oui, plus ou moins…
— Donc, en premier lieu, il nous faut savoir pourquoi il a voulu disparaître de cette façon et pourquoi il est revenu après tout ce temps. Ensuite, viendront les questions : qui l’a assassiné et pourquoi ? Accessoirement, qui se trouvait vraiment dans cette voiture il y a vingt ans, la nuit de l’accident ? Vous avez une petite idée, major ?
— Là, maintenant, je dois vous avouer que…
— C’est normal, tout cela est si soudain. Bien, procédons par ordre : obtenir au plus vite un permis d’exhumation de la tombe de Maillard, enfin s’il en a une.
— Oui, au cimetière d’Arreau.
— Parfait. Ensuite, replonger dans le passé et essayer de comprendre ce qui a pu motiver une telle simulation. Alors, recherches dans les archives, les journaux, les faits divers…
— D’accord, capitaine, on fait comme ça.
Il tient dans sa main droite un stylo et note sur un carnet toutes les suggestions du policier. Concentré, il attend la suite.
— Pour ma part, je désirerais me rendre sur les lieux du crime, pour constater par moi-même.
— C’est prévu, un guide va vous y mener.
Il appelle aussitôt de sa voix autoritaire :
— Dusseau !
Un gendarme apparaît une demi-poignée de secondes plus tard dans le bureau.
— Major ?
— Le guide du capitaine est-il arrivé ?
— Oui major, il attend à l’accueil.
— Très bien, faites entrer Fred !
Le gendarme quitte la pièce et réapparaît presque instantanément, mais accompagné. Berry se retourne et n’en croit pas ses yeux...
— Je vous présente Fred, un des meilleurs guides de montagne du coin.
La mâchoire du policier manque de se décrocher ; ses yeux s’arrondissent. Aucun son ne parvient à sortir de sa bouche.
La nouvelle de la découverte du corps de Maillard s’est répandue dans la vallée comme une giclée de vin dans la gorge du randonneur. À Arreau plus particulièrement, les commentaires vont bon train. Ce joli bourg niché au cœur du massif pyrénéen, à la confluence des Nestes d’Aure et de Louron, vit à l’ombre du pic de l’Arbizon. Majestueuse, presque protectrice mais parfois inquiétante, sa silhouette imposante domine la commune. Ce géant de roche de 2831 mètres, réclame parfois des victimes et même si les accidents n’y sont pas fréquents, il arrive que des grimpeurs y perdent la vie. Triste tribut versé à la montagne, diront certains. Mais aujourd’hui, c’est différent, l’homme retrouvé sur l’une des parois du pic a probablement été assassiné et, chose plus étrange encore, c’est la deuxième fois en vingt ans que l’on constate sa mort.
Les hypothèses les plus folles courent à ce sujet. On entend même la version spatio-temporelle avec enlèvement intergalactique, soucoupes volantes et petits hommes gris très cruels. Le plus souvent, c’est l’incompréhension qui l’emporte. Comment un gars mort depuis près de vingt ans a bien pu se retrouver pendu sur l’Arbizon ?
— C’est les OVNI, je te dis.
— Oh Raymond, arrête de picoler et va te coucher !
Les échanges de points de vue sont vifs dans l’un des cafés d’Arreau et, à part le vieux Raymond, confit à l’Armagnac, chacun prend l’affaire très au sérieux.
— Maillard, je l’ai bien connu, déclare avec gravité un des hommes attablés, c’était un sacré gaillard ! Pour la marche, il n’avait pas son pareil et pour ce qui est de la grimpette, un véritable isard ! Infatigable le type !
— À l’époque, il ne devait pas participer à une expédition dans l’Himalaya ? interroge l’homme qui se trouve en face de lui.
— Oui, c’est vrai. Enfin, c’est ce qui se disait, mais à ce moment-là, Maillard avait quelques petits soucis avec la justice...
— Du genre ?
— Du genre cambriolages de maisons secondaires. Il était jeune et sans boulot et à part grimper, c’était pas un vaillant, le Maillard.
— D’après ce que je me souviens, il aimait aussi courir les filles, non ?
— Ça, personne ne le niera. Un chaud lapin ! Je ne sais pas comment il faisait, mais toutes les belles nanas de l’époque ont fait un petit tour dans son lit à un moment ou à un autre.
Les deux hommes éclatent de rire, laissant le vieux Raymond indifférent. Pour lui, retrouver le fil de ses pensées devient laborieux à cette heure de la matinée. Il paraît chercher au fond de son ballon doré.
— Dis-moi, Galindo, tu le connaissais bien, toi aussi, Jean-Baptiste ?
L’homme qui boit son café au comptoir, se retourne et affiche une expression des plus hostiles. Il jette un regard noir à celui qui vient de l’apostropher.
Galindo approche la cinquantaine.Trapu et musclé, il n’impressionne pas tant par sa taille que par son visage toujours fermé à double tour. C’est un entrepreneur qui a profité de l’explosion immobilière de la région dans les années 2000. Son entreprise, Les Établissements Galindo, se porte bien. Elle compte plusieurs camions, des grues de petites tailles et tout le matériel utile à une société honorable du bâtiment. Plusieurs employés travaillent pour lui à l’année, sans compter les intérimaires à l’occasion des gros chantiers. Galindo est devenu un notable, ce qui le rend fier parce qu’il sait d’où il vient. Jeune, il en a bavé pour arriver là où il est.
Dès le plus jeune âge, il suivait son maçon de père sur les chantiers, et cette vie à la dure lui a tout de suite plu. À quinze ans, il partageait son existence entre son apprentissage du métier et son autre passion : la montagne. Partir au milieu de la nuit à l’assaut d’un pic ne lui faisait pas peur. Il en éprouvait une grande joie, surtout quand au petit matin, il assistait avec ses amis d’alors, au lever du soleil sur ses chères Pyrénées. Ce n’était pas un bavard, plutôt un taiseux et personne ne pouvait dire ce à quoi il pensait dans ces moments-là. Dès que le soleil s’imposait entre deux pics, il se levait, reprenait sa course et ses compagnons suivaient sans rechigner. Un peu plus jeunes que lui, ces derniers partageaient cette même passion pour la montagne et la nature. Depuis l’enfance, ils étaient cinq amis à avoir été initiés à l’escalade par le même professeur : le père Laffite. Cet homme, alors âgé d’une cinquantaine d’années, était sec comme la gorge d’un poivrot. Il était infatigable et surtout incollable sur les voies praticables de la région. Bien vite, il avait pris sous son aile ces cinq jeunes passionnés de montagne, tous très doués pour la varappe. Quand le père Laffite rentrait chez lui, après avoir emmagasiné toutes ces splendeurs naturelles, plus que tout, il aimait noircir des pages. Il écrivait. Surtout des poèmes. Toutes ces lignes griffonnées avec élégance à l’encre violette ne sortaient jamais de ses cahiers d’écolier. Ses élèves n’ont jamais vu autre chose de ses écrits que les couvertures. Sans doute par pudeur, par peur de se révéler.
Galindo était donc l’un de ses disciples, tout comme Maillard, Damazou, Castagnet et Lopez. Ces cinq-là étaient inséparables et dès qu’une occasion se présentait, ils partaient à l’assaut des pics de la région. Avec le temps, ils étaient devenus de véritables experts, déjà respectés pour leurs aptitudes et leur connaissance de la haute montagne ; à seulement vingt ans…
Pierre Galindo abandonne quelques pièces sur le comptoir et boit d’un trait le café posé devant lui. Sans un mot, sans un regard, il passe devant les trois hommes attablés et sort.
— Eh bien, qu’est-ce qu’il a ?
— C’était un des meilleurs amis de Maillard. On les voyait toujours ensemble. Même si Maillard, on le voyait pas souvent sur les chantiers. Galindo, lui, n’est pas très bavard, mais c’est un sacré bosseur. À vingt-huit ans, il avait déjà son entreprise.
— Ah oui, quand même !
— Sinon, intervient Raymond, il y a aussi les vampires… Pas bon ça, les vampires…
— La ferme, Raymond !
François Berry a bien du mal à détacher son regard de son guide. Le corps élancé, la peau brune et satinée, elle le regarde avec plus de détachement. Ses longs cheveux frisés encadrent un visage admirable d’harmonie avec des yeux noirs en amande au-dessus de pommettes délicieusement dessinées, qui s’arrondissent un peu plus quand la jeune femme esquisse un sourire.
— Fred, je suis Fred. Et je serai votre guide, dit-elle pour ramener le capitaine sur Terre.
Elle lui tend une main franche.
— Très…heu… heureux, bafouille le policier avant de se rattraper :
— Enfin, je veux dire, ravi de faire votre connaissance.
Un voile de scepticisme passe devant le regard du guide. Elle n’ajoute rien. C’est le major qui prend la parole.
— Fred va vous mener sur le lieu du crime. Ça grimpe un peu, mais avec elle vous ne risquez rien. C’est la meilleure.
— Parfait ! déclare le policier en essayant de paraître le plus professionnel possible.
Une fois debout, il se retrouve face à la très jolie femme qui le défie avec curiosité. Gêné par cette attitude, Berry déclare sur un ton qui se veut à la fois autoritaire et viril :
— Bon, alors allons-y, je suis assez curieux de voir par moi-même cette scène de crime.
En disant ces mots, son regard s’attarde quelques secondes sur la poitrine généreuse de Fred, qu’il devine sous un léger pull bleu marine.
Agacée, elle soupire, en faisant rouler ses yeux. Seul le major s’en aperçoit et ne peut s’empêcher de sourire. Elle se retourne et se dirige sans tergiverser vers la sortie.
La vache, l’envers vaut bien l’endroit ! pense François avec émotion en admirant son guide de dos. Une sorte de fuseau sombre magnifie ses courbes et ses lignes qui se terminent sur des chaussures de marche.
Sur le parking, elle l’attend bien droite devant un Patrol monté de pneus énormes. La brume s’est totalement dégagée de la vallée laissant apparaître un ciel bleu sans nuage. Fixant le policier, la jeune femme semble le jauger du regard et cette attitude le met mal à l’aise. Ne dépassant pas le mètre soixante-quinze, Berry n’a pas réellement le physique d’un athlète. Son visage tout en rondeur, presque poupon, s’harmonise au reste de son corps.
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? demande-t-il.
— Je crois que ça ne va pas le faire.
— Comment ça ?
— Là où nous allons, ça grimpe pas mal et il n’y a malheureusement pas que du goudron, ironise-t-elle.
— Je sais cela, répond-il vexé, mais à mes heures perdues, je fais pas mal de sport. Je ne vous ferai pas défaut, ne vous inquiétez pas.
— Ah, mais je ne suis pas inquiète. Par contre, les mocassins à glands… Pas certain que ce soit l’idée du siècle !
Elle se retourne en secouant la tête de dépit, ouvre le haillon du Nissan et finit par en retirer une paire de chaussures de marche. À nouveau, elle jette un regard amusé aux pieds de Berry et lance :
— Okay, un petit 43 !
— Pourquoi petit ? s’offusque le policier.
— D’accord un 43. Mettez ça !
Elle lui tend les chaussures sans ménagement.
— Bon, ajoute-t-elle, le jean, ça peut passer, par contre, pour le haut…
— Quoi, mon manteau en poils de chameau ? C’est très chaud.
— Par ici, on est plutôt mouton !
Elle attrape une doudoune à l’arrière du 4x4 et lui jette dans les bras. Berry s’en saisit avec peine et ressemble maintenant à un conscrit le premier jour de son service militaire avec son paquetage dans les mains.
Un gendarme s’approche, s’arrête tout sourire devant la scène et murmure en bisant les joues de Fred :
— Salut Fred. C’est un Bordelais, ton client ?
— Je ne sais pas. Un martien peut-être.
— Bon courage, en tout cas.
Puis, saluant François :
— Monsieur.
— Bon allez, s’impatiente la guide, vous finirez de vous habiller dans la voiture. La matinée est déjà bien avancée.
— J’arrive.
*
Berry se bat avec sa chaussure droite. Desserrer les lacets humides, à moitié plié en deux et sanglé à la place du passager, se révèle être un véritable calvaire. À ses côtés, Fred conduit en essayant de ne pas intervenir. Le moindre gémissement d’effort de son passager l’exaspère. La journée va être longue.
— Ça y est, j’y suis arrivé ! lance le policier comme un cri de victoire. Pas facile les lacets mouillés. J’ai un peu faim, pas vous ?
— Non !
Très longue !
Le Patrol attaque les premiers virages de la route de la Hourquette. Depuis un long moment, aucune parole n’a été échangée. Cela ne dérange pas Fred, au contraire, mais par simple courtoisie ou par compassion, elle se sent obligée de débuter une conversation. La montagne apprend l’adversité et l’abnégation. L’épreuve allait s’avérer compliquée, mais il fallait bien en passer par là.
— Vous disiez que vous pratiquiez un sport, demande-t-elle sans trop de conviction, lequel ?
Les lèvres de Berry esquissent une moue comme s’il cherche une réponse. Un euh sort en premier. Il comprend rapidement que ça ne suffira pas, aussi enchaîne-t-il :
— Je cours.
— 8000, 10000, marathon ?
— Marathon, non… mais un jogging de temps en temps.
— D’accord.
— Je nage aussi. Et j’ai pratiqué le karaté. Mais il y a longtemps.
— Super.
Après tout, elle ne s’attend à rien de spécial. Un simple regard sur lui suffit pour se rendre compte que ce n’est pas un champion olympique ; pas même de curling.
— Et marcher, vous savez marcher ?
— Ben oui, depuis l’âge de deux ans. Un peu en retard, je sais…
— Non, je pensais plutôt, marcher en montagne.
— Ah d’accord. Oui, ça je sais aussi, ma grand-mère est de Bagnères-de-Bigorre.
— Ah bon ? Vous aussi ? coupe-t-elle avec amusement.
— Comment ça ?
Elle le regarde avec des yeux ronds. Là non plus, il n’a pas compris la référence.
— Eh bien, comme notre président.
— Ah oui, d’accord. Eh bien oui, j’ai cet honneur.
Il ponctue sa réponse par un rire satisfait qui bute sur le regard toujours interrogatif de Fred.
— Ou pas ! En même temps… Enfin, quand j’étais gosse, je parcourais la montagne à pied. J’adorais ça ! Un véritable chamois.
— Isard, rectifie Fred avec agacement.
Puis elle ajoute :
— Eh bien, nous voilà sauvés.
Après son café matinal, Galindo, n’est pas passé par son entreprise comme il a l’habitude de le faire. Il est retourné chez lui sans détour, la mine grave.
En entrant dans la maison, son regard s’arrête par inadvertance sur une photographie vieille de vingt-trois ans. On y distingue cinq jeunes hommes souriants, posant devant un décor grandiose. En arrière-plan se devine le cirque de Troumouse. Il l’observe, regarde longuement et soupire silencieusement. Sa mâchoire se serre davantage. Maillard, son bon copain Maillard, pose sa main sur son épaule en signe de complicité. Ces cinq-là étaient unis comme les doigts de la main, partageant la même passion pour la montagne. Tous leurs moments libres lui étaient alors consacrés. Ce temps est bien loin. Cette photo rappelle à Galindo qu’il manque quelqu’un parmi ces jeunes gens : le père Laffite, comme ils l’appelaient entre eux avec sympathie, leur maître de varappe et d’évasion. Il ne se trouve pas sur la photo car il en était l’auteur. Par pudeur sans doute, il rechignait toujours à se faire photographier.
« Je suis un vieux loup solitaire, seuls ceux qui m’apprécient se souviendront de moi. Ils n’auront alors pas besoin de mon image sur un bout de papier. Ils n’auront qu’à ouvrir leur cœur et leur mémoire… »
Sans doute avait-il raison, pense Galindo, la mémoire est suffisamment encombrée de mauvaises choses pour en glisser parfois de meilleures.