Les propriétaires versaillais sous Louis XIV et sous Louis XV - Paul Fromageot - E-Book

Les propriétaires versaillais sous Louis XIV et sous Louis XV E-Book

Paul Fromageot

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Beschreibung

Qui pourrait penser aujourd'hui que la ville de Versailles, fauchée un jour en plein essor, a bien failli disparaître ? La propriété à Versailles n'était pas une sinécure sous l'ancien régime. L'auteur nous décrit les aléas d'un ordre précaire, né du caprice d'un roi et maintenu uniquement par les volontés changeantes de ses successeurs. Une étude très documentée et passionnante. (Édition annotée)

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Les propriétaires versaillais

sous Louis XIV et sous Louis XV

Paul Fromageot

Édition annotée

Fait par Mon Autre Librairie

À partir du texte paru dans la

Revue de l’Histoire de Versailles, 1900.

Les notes entre crochets ont été ajoutées pour la présente édition.

https://monautrelibrairie.com

__________

© 2022, Mon Autre Librairie

ISBN : 978-2-38371-072-1

Table des matières

Sous Louis XIV

Sous Louis XV

Sous Louis XIV

Le 5 juillet 1561, Martial de Loménie, secrétaire des finances et greffier du Conseil, avait acheté de Philippe Colas, moyennant 1500 livres de rente annuelle et perpétuelle, la seigneurie de Versailles, comprenant « chastel, maisons franches, étables, magasins, colombiers et autres édifices, cours, jardins, moulins à vent, trois arpents de bois, quatre étangs », et les terres en dépendant, consistant en « vingt-quatre arpents de terres labourables », « vingt-deux arpents de bois taillis » et « trente arpents de prés ».1

Soixante ans plus tard, Louis XIII, prenant grand plaisir à chasser aux environs de Versailles, avait acquis successivement en 1624, 1627, 1631, diverses parties de bois et de terres autour du village. Puis, le 8 avril 1632, il s’était décidé à acheter de M. de Gondy, archevêque de Paris, la seigneurie même de Versailles avec le fief de la Grange-Lessart, moyennant la somme ronde de 66.000 livres.2

En cette même année 1632, Louis XIII avait encore acquis plusieurs pièces de terre et bâtiments pour la construction et l’installation de son chenil.3 Enfin, peu à peu, tout le vieux village et ses dépendances étaient devenus la propriété personnelle du Roi.

En 1643, à la mort de son père, Louis XIV se trouvait donc déjà possesseur d’un domaine important qui englobait, avec plusieurs petits fiefs des environs, tous les terrains situés autour du château royal nouvellement construit.

Il n’y a plus à raconter les agrandissements et les transformations successives du Château et du Parc. Un éminent historien, qui sait allier le charme du style à la plus sérieuse érudition, a merveilleusement expliqué ce qui n’avait été qu’indiqué avant lui sur ce sujet.4

Mais à côté et au-dessous de sa royale demeure, Louis XIV voulut voir s’élever une ville. Étant propriétaire du sol, il put faire dresser à sa guise le plan général de sa ville, et déterminer selon son bon plaisir, par des concessions gracieuses, les conditions moyennant lesquelles il octroyait la faveur de disposer de son terrain pour y construire. C’est ainsi que fut créée la ville de Versailles.

Il en est résulté pour les propriétaires versaillais des vicissitudes singulières. Tantôt ils ont joui de privilèges exceptionnels, tantôt ils ont subi les rigueurs de règlements arbitraires, et, jusqu’à la Révolution, ils ont restés exposés aux risques d’un changement de volonté du roi. Cet état particulier de la propriété privée et ces péripéties inattendues peuvent faire l’objet d’un chapitre à ajouter à l’histoire de Versailles.

I

En 1663, on rencontre une première ordonnance royale rendue en faveur des habitants du village de Versailles. Louis XIV s’était ému de la situation bizarre qui leur était faite, d’être enfermés dans son parc et fort gênés pour leurs communications avec le dehors. En vue de les indemniser, il les exempta de la taille et de toutes autres contributions, en leur imposant seulement en échange « de faire par corvées les foins du parc, de remplir les glacières, nettoyer les cours du château, et se trouver aux chasses du parc quand ils seraient mandés ». C’étaient là des prestations en nature qui n’étaient pas trop pénibles pour des villageois.

Mais bientôt une nouvelle population affluait à Versailles. Des courtisans, des artistes, des industriels de tous genres, attirés par la présence du Roi et les travaux du Château, prenaient domicile au village. Ils sollicitèrent la transformation des corvées en une contribution fixe en argent. Louis XIV accéda à leur requête, et, par un arrêt du Conseil d’État du 8 novembre 1666, les habitants de Versailles furent déchargés pour le passé comme pour l’avenir de tous impôts, taille, taillon et autres, moyennant le payement d’une somme annuelle de 600 livres à répartir entre eux.

Cette taxation était modique elle devait ne pas tarder à devenir tout à fait minime lorsque la population de Versailles atteindrait et dépasserait les chiffres de 10.000 et 20.000 âmes, puis, sous Louis XV et Louis XVI, celui de 50.000 âmes.

De 1666 à 1670, malgré quelques hôtels récemment édifiés autour du Château, Versailles n’était encore qu’un gros village fort encombré, augmenté d’un énorme campement d’ouvriers et de nombreuses baraques où se logeaient les petits commerçants de toute espèce. La future rue des Réservoirs ressemblait, d’après une gravure de Silvestre, à un chantier de construction.

En 1671, les gros travaux du Château étaient presque terminés, les abords en étaient à peu près déblayés, et l’entourage en paraissait sans doute un peu nu, surtout du côté opposé à l’ancien village. C’est alors que Louis XIV désira créer une véritable ville composée de maisons bien alignées sur de grandes voies symétriques, dont l’aspect compléterait l’ensemble majestueux du Château.

Il écrivit à cet effet, de Dunkerque, le 22 mai 1671, la lettre suivante adressée à Colbert :

« Sa Majesté ayant en particulière recommandation le bourg de Versailles, souhaitant de le rendre le plus florissant et fréquenté qu’il se pourra, Elle a résolu de faire don des places à toutes personnes qui voudront bastir depuis la Pompe dudit Versailles jusqu’à la ferme de Clagny, avec exemption du logement par craye èsdits bâtimens, pendant dix années qui auront cours du jour qu’ils seront achevés, à la charge de payer au domaine dudit Versailles, pour chacune desdites places, à proportion de 5 sols de cens pour arpent, payables chacun au jour de Saint-Michel, pour desdites places et bâtimens jouir par chacun des particuliers auxquels icelles places seront délivrées en pleine propriété comme à ceux appartenant, à la charge de par eux, leurs hoirs et ayans-cause entretenir les bâtimens en l’état et de même symétrie qu’ils seront bastis et édifiés. La délivrance desquelles, avec mesure, tenans et aboutissans, sera faite par le surintendant des bâtimens.5 »

Ainsi le Roi, afin de pousser les particuliers à construire des maisons à Versailles, déclarait faire d’avance don en pleine propriété des terrains nécessaires à tous ceux qui bâtiraient, en les exemptant pour dix ans de la charge onéreuse du logement des gens à la suite de la Cour. Les places à bâtir seraient simplement délivrées aux impétrants par le surintendant des bâtiments. Nous verrons plus tard dans quelle forme.

C’était l’acte constitutif de la propriété immobilière à Versailles, et, par là même, la fondation de la ville, au moins dans les limites indiquées, entre la rue des Réservoirs où se trouvait la pompe et, de l’autre côté, l’étang, puis la ferme de Clagny. Cinq ans après, une ordonnance du 30 septembre 1676 devait accorder les mêmes avantages aux maisons bâties et aux places données du côté de l’ancien village formant une partie du futur quartier Saint-Louis. Plus tard encore, le Roi devait étendre ces privilèges au quartier neuf à créer sur l’emplacement du Parc-aux-Cerfs de Louis XIII.

En outre, le Roi voulant favoriser à tout prix la construction rapide de la ville, édictait à la date du 24 novembre 1672 la curieuse Déclaration suivante :

« Le séjour que Nous faisons souvent dans notre chasteau de Versailles, et le divertissement que Nous y prenons, pour Nous y délasser quelquefois de la conduite de nos affaires, ayant convié la meilleure partie des officiers de nostre Couronne et de nos domestiques d’y bastir, Nous voyons avec plaisir le nombre de ces bastimens s’augmenter en un tel point, que dans peu de temps il y a lieu d’espérer d’y voir une ville assez grande et assez considérable, et particulièrement si Nous y donnons les facilitez qui nous sont demandées par tous ceux qui y ont basti jusqu’à présent, et qui ont dessein d’y bastir à l’avenir, et entre autres celle de décharger de toutes hypotheques, comme meubles, tous les bastimens qui se feront dans l’étendue dudit lieu, à l’exception seulement de la dette privilégiée, dont les deniers auront esté employez à l’acquisition desdites maisons, et dont il paroistra par les contracts d’acquisition, quittances des particuliers, et des dettes des ouvriers qui auront travaillé et fourny des matériaux pour lesdits bastimens. À quoy inclinant volontiers : À ces causes, en confirmant en tant que de besoin est, ou serait, le don que Nous avons fait, et ferons cy-après par brevets de toutes les places où sont et seront basties lesdites maisons, Nous avons dit et déclaré, disons et déclarons par ces présentes signées de nostre main, voulons, et Nous plaist, que les maisons basties dans lesdites places ne puissent estre sujettes à aucunes hypoteques, ny mesme saisies réellement, et adjugées par décret, ou autrement, pour le payement de quelque dette que ce puisse être, dérogeant pour cet effet à toutes ordonnances, édits, déclarations, loix, coutumes, arrests, et règlemens à ce contraires, à la réserve néanmoins de nos droits de cens, lots et ventes et autres droits seigneuriaux, et du privilège de ceux qui pourraient avoir vendu, ou qui pourront cy-après vendre lesdites maisons, ou auront presté, ou presteront les deniers pour l’achat, bastimens et réparations desdites maisons, ensemble les salaires des ouvriers et achat des matériaux qui y auront esté employez ; auxquels droits et privilèges elles demeureront sujettes comme avant nostre présente Déclaration, etc. »

Par cette Déclaration royale qui avait force de loi, les immeubles de Versailles, terrains et constructions, étaient insaisissables, sauf pour le payement de leur prix de vente ou de la dépense de construction. À l’exception du vendeur et des entrepreneurs ou ouvriers, le propriétaire était donc à l’abri des poursuites de ses créanciers, qui ne pouvaient ni saisir ni faire vendre son immeuble, ni prendre hypothèque sur lui.

C’était là un privilège précieux, surtout pour les spéculateurs peu scrupuleux et pour certains grands seigneurs, quelquefois gênés par les poursuites malencontreuses de leurs créanciers. Le Parlement essaya de réagir contre l’abus d’une pareille faveur en tâchant de la restreindre. Il n’y réussit pas, et l’on en trouve une preuve assez curieuse en 1685. Le marquis d’Aluye et de Sourdis,6 gouverneur et lieutenant général des ville et duché d’Orléans, pays Orléanais, Blaisois, Chartrain, Vendômois, etc., était propriétaire à Versailles d’un bel hôtel, rue des Réservoirs (au n° 8 actuel). Bien que pourvu de charges fructueuses, il avait de nombreux créanciers et ne les payait pas. Au mois d’août 1685, il vendit son hôtel au duc de Bourbon,7 moyennant 33.000 livres (ce qui représenterait aujourd’hui au moins 100.000 francs). Les créanciers pensèrent que si l’immeuble de leur débiteur était insaisissable, la somme d’argent due par le duc de Bourbon au marquis d’Aluye pour le prix de la vente pouvait être saisie par eux, et ils furent, en effet, autorisés à saisir, par voie d’opposition, ce qui resterait des 33.000 livres aux mains du duc de Bourbon, après payement des dettes privilégiées. Le marquis d’Aluye objecta d’abord que la plus grande partie de son prix de vente était absorbée, soit par des créanciers privilégiés, soit par des délégations consenties par lui, soit, enfin, par des acomptes à lui versés d’avance. Mais il ne s’en tint pas là et prétendit encaisser le solde de son prix malgré les saisies de ses créanciers, en vertu des dispositions de la Déclaration royale de 1672. Il se pourvut, à cet effet, devant le Roi en son Conseil d’État, en exposant dans sa requête qu’il n’avait vendu que sur la foi de la susdite Déclaration, et en ajoutant la considération d’équité que voici :

« Et, d’ailleurs, quand on recevrait les créanciers à s’opposer contre la disposition de la Déclaration, le nombre en est si grand que, venant à contribution, ils ne toucheraient pas chacun cinquante écus