Les rues atteNantes - Alexandre Feraga - E-Book

Les rues atteNantes E-Book

Alexandre Feraga

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Beschreibung

S’approprier les sensations d’autrui pour se découvrir soi

Des chapitres dans lesquels on s’immerge aisément, un texte qui parle du vécu de chacun de nous. On se retrouve facilement dans les pas de l’auteur, dans le kaléidoscope de ses personnages, il suffit de changer les noms des lieux et l’on s’approprie instantanément les sensations. Les rues atteNantes ressortent alors de l’intime.

Un roman intimiste tel un guide identitaire

EXTRAIT

Il connaît cette ville par cœur. Comme un poème décortiqué vers par vers, pied par pied. Mâché, avalé et digéré. Il peut réciter les rues et les quartiers sans trébucher. Il sait que la rue de l’Arche Sèche rime avec 1 euro l’heure de stationnement. Il sait que le 34 rue de Richebourg rime avec entrée - plat - café pour 10 euros le midi uniquement. Il sait que le Musée des Beaux-Arts rime avec dix toiles de Kandinsky. Il sait que la Place Viarme rime avec les chineurs du dimanche matin. Il sait la métaphore de Julien Gracq sur cette ville « Ni tout à fait terrienne ni tout à fait maritime : ni chair ni poisson — juste ce qu’il faut pour en faire une sirène. » Il sait tout cela par cœur. Il en connaît presque tous les auteurs, des premiers hommes aux derniers bâtisseurs.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Amateur de peinture surréaliste, de rock et de jazz, Alexandre Feraga est né en 1979 ; entre randonnées en montagne ou escapades à Belle-Isle-en-Mer, il vit à Nantes et travaille dans l'univers du social qui "correspond à ses convictions et à ses valeurs". Ce passionné de littérature a fait partie des lauréats du concours d'écriture Chroniques Urbaines initié par Publishroom.

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Lauréat du concours d’écriture et de création numérique

PUBLISHROOM - LE TEXTE VIVANT

en partenariat avec

 

 

Sommaire

Lila

Les carreaux

Les corsaires

Banlieue

Place Sainte-Croix

Sonotone

Bacchus

La cloche

Le Stakhanov

Le premier rôle

9 m²

Hommage aux Hommes verts

David contre Air Goliath

Micocoulier de Géorgie

Retrouvailles d’inconnus

Trentemoult

à Emilie, à ceux que j’aime

Lila

Quand Lila se déplace en ville, l’heure ne lui est d’aucune utilité. Elle ne porte pas de montre, elle dit qu’elle a l’impression de porter un bracelet de menottes. Lila a d’autres unités de mesure en sa possession. Pour rejoindre le centre-ville, par exemple, elle sait que cela va lui prendre le goût d’un chewing-gum Hollywood à la chlorophylle ou le temps de sucer (pas croquer) deux bonbons Arlequin. Si elle n’a pas de friandises dans la poche droite de son blouson, le trajet lui prend quatre chansons de l’album The Suburbs d’Arcade Fire. Si elle n’a pas son lecteur MP3 dans la poche gauche, il lui faut dix à quinze pages d’un bouquin pour arriver à destination. Les exemples s’arrêtent là, car si elle ne porte jamais de montre, il y a toujours un livre qui traîne sur elle.

Lila est souvent en retard à ses rendez-vous. Ses amis ont l’habitude de poireauter sur le trottoir. C’est pour eux l’occasion de se divertir à son insu en pariant sur son retard. Ils parient des clopes ou la tournée à venir. Ils vont souvent boire un coup pour tuer le temps. Le temps de Lila.

Quand elle lit, Lila laisse filer systématiquement l’arrêt de tramway où on l’attend. Parce qu’il faut impérativement achever le chapitre en cours. C’est vital, comme la respiration. Elle s’impose d’emmener les personnages d’un point A à un point B. Eux aussi ont un rendez-vous. Alors, au lieu de descendre à l’arrêt Commerce, elle se retrouve aux Chantiers navals. Elle doit donc reprendre le tram dans l’autre sens. Et si elle décide d’entamer un autre chapitre pour combler le temps du trajet, Lila retournera à la case départ. Au grand dam de ses amis, au grand bonheur des personnages. Au grand malheur de Lila qui sait pertinemment qu’elle est en train de tuer son roman.

En descendant sur le quai et dès que l’angle le lui permet, Lila jette un coup d’œil vers la Tour de Bretagne. En l’associant à la position du soleil, elle se dit qu’elle a encore de la marge. Un retard inférieur à deux heures. Lila a son propre cadran solaire. Elle s’est amusée à découper la ville comme une horloge. Elle se sert des monuments emblématiques de la ville pour marquer les heures. En tenant compte des saisons, de la durée des jours, des solstices et des équinoxes, Lila est arrivée à quelque chose d’assez précis pour qui n’est pas pressé.

Elle entre dans une boulangerie, et demande à la vendeuse si elle peut accrocher une petite annonce. Lila vient d’entrer à la fac. Elle veut devenir astrophysicienne ou libraire. Elle n’a pas encore choisi. Elle se dit qu’elle a le temps. En attendant, Lila aimerait faire du soutien scolaire pour aider ses parents à payer son logement et ses études. En plus de sa paie de serveuse le week-end, elle pense pouvoir y arriver. Elle ne se voyait pas rester dans le trou paumé où elle a traîné son adolescence comme un sac de gravats. Ses parents eux, ne se voyaient pas engager des frais aussi importants alors que les deux derniers sont encore à la maison.

Elle ne sera pas la seule dans ce cas-là. Les universités sont pleines d’étudiants crève-la-faim qui triment pour se payer un avenir.

Elle aime bien les enfants, elle a déjà fait du baby-sitting. Elle se dit aussi que le soutien scolaire est moins exigeant en termes d’horaires. Elle accroche son annonce au milieu des autres. Les petites franges de papier, où est indiqué son numéro de portable, n’attendent plus qu’à être déchirées.

Lila remercie la vendeuse et sort de la boulangerie. Elle répète l’opération dans la librairie quelques numéros plus loin. La femme à la caisse lui dit que le lieu n’est pas vraiment approprié et qu’elle regrette. Lila répond qu’elle n’essaie pas de vendre une voiture ou un meuble, elle cherche du boulot c’est tout. La caissière comprend très bien, elle est désolée mais elle ne peut pas faire d’exception.

Lila tourne les talons et va jeter un œil sur les derniers romans parus. Elle se voit bien écrire les petites fiches « coup de cœur » sur les livres qui lui feront rater son arrêt. En passant la main sur les couvertures, elle se demande si elle aura le courage de refuser son annonce à une étudiante.

Elle sort de la librairie sans rien acheter, Lila sait qu’elle n’a plus le temps. Avant de continuer son chemin, elle roule du tabac blond dans une feuille ZIGZAG. Il va falloir qu’elle ralentisse sa consommation. Elle va leur dire aussi qu’elle ne pourra pas sortir comme ça tous les soirs.

Une fois sa cigarette allumée, elle reprend son chemin et consume le Cours des 50-Otages, la rue de Feltre, la rue de la Boucherie, la rue Cacault, la rue des Deux-Ponts, la rue Pierre Chéreau et enfin la rue Mercoeur. Lila sait qu’elle embrassera ses amis juste à temps, juste après avoir écrasé le mégot de sa roulée sous la pointe de sa chaussure.

Les carreaux

Elle garde toujours les carreaux pour la fin. De grandes vitres, qui lui meurtrissent les épaules. Après le repassage qui assassine son dos elle est bonne pour se vautrer dans le canapé en rentrant chez elle. Elle aime bien regarder une bêtise à la télé, histoire de décompresser avant d’attaquer les corvées de son propre appartement. Elle se fait un thé avec le sachet de la veille. Elle n’aime pas gaspiller, elle répète à ses amies qu’un sachet peut infuser dans l’eau d’une théière toute entière.

Pour les vitres, elle utilise un produit naturel à base de vinaigre blanc et de citron. Un truc de sa grand-mère. Elle fabrique elle-même tous ses produits d’entretien. Elle fait faire des économies à ses employeurs. Ils n’en ont pas besoin mais tiennent tout de même à la remercier. Ils mettent la différence dans une boîte en fer, une sorte de cagnotte. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça. La femme travaille dans le commerce, elle tient une boutique de lingerie féminine dans le centre. L’homme occupe un poste avec d’importantes responsabilités au siège d’une banque à Paris. Elle le voit rarement. Il prend le TGV très tôt le lundi matin et revient assez tard le vendredi. Heureusement, ils habitent en face de la gare. Ils ont la quarantaine et n’ont pas d’enfants. C’est peut-être le seul point commun qu’elle possède avec eux.

Elle commence toujours par l’extérieur, là où c’est le plus sale. Les carreaux sont piqués par la pollution, ils ont aussi gardé les traces des gouttes de pluie de la veille. Elle ouvre les fenêtres et attaque par le haut en faisant des mouvements circulaires. Les bruits de la rue l’accompagnent au troisième étage. Elle a appris à décortiquer la musique à l’oreille, sans l’aide de partition. L’avertisseur du tramway. Les réacteurs des avions. Le pot d’échappement d’un scooter débridé. Les klaxons, les sirènes, les alarmes. Ce sont les notes les plus faciles à capter, les plus présentes. C’est la ville en mouvements, l’agitation des gens qui ont toujours quelque chose à faire, toujours un endroit où aller. Si elle avait l’énergie et le temps elle ne saurait pas par où commencer, ni même où aller. Elle a du mal à imaginer que l’avion qui passe en ce moment peut survoler une autre ville que celle-là. Elle connaît bien le terminus de sa ligne de bus. Elle ne sait rien sur le terminus des avions.

Avec l’entraînement elle a affiné son écoute pour attraper des sons plus subtils : l’empressement des valises à roulettes, la frilosité d’une fermeture éclair, la précaution d’une serrure d’antivol et même la ponctualité des freins du facteur. Ce petit jeu de reconnaissance allège un peu le poids de ses épaules. L’esprit est occupé à autre chose qu’à la plainte.

Il y a des bruits qui stimulent davantage son imagination. Comme la pierre du briquet qui allume le bout d’une cigarette. Si la pierre est récalcitrante et que le fumeur s’échine à créer une flamme, elle essaie d’imaginer à quoi ressemble la personne qui n’a pas encore compris qu’elle doit changer de briquet. Dans la foulée, elle se fait une autre réflexion, cette personne doit être le genre à taper sur la télécommande de la télévision alors qu’il suffit de changer les piles. Elle n’aime pas gaspiller, mais il y a des limites quand même. Parfois, elle a envie de passer la tête par-dessus le garde-corps pour partager ses pensées. Ça l’agace que les gens aient si peu de sens pratique.

Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est la voix enregistrée qui annonce les trains au départ ou à l’arrivée. C’est un exercice difficile que d’essayer de l’entendre. La voix s’épuise dans la distance à parcourir. Étouffée par les nombreux obstacles qui les séparent. Interrompue par les réacteurs, les pots d’échappement, les klaxons, les sirènes, les alarmes qui hachent les destinations. L’extrême concentration nécessaire pour attraper une destination lui vaut aussi d’attraper des maux de tête. C’est le prix à payer pour voyager. Ce n’est pas le Pérou ou l’Australie c’est sûr. Mais La Rochelle ou Lyon c’est déjà le bout du monde. Un jour elle ira là-bas, elle se le promet.

Elle aime ces minutes passées à la fenêtre. C’est le moyen pour elle de se raconter des histoires, de construire des personnages, des trajectoires, des vies qui auraient très bien pu être la sienne. Quand elle referme les fenêtres pour attaquer l’intérieur, tout redevient silencieux. Le quadruple vitrage étouffe la rue. C’est comme si elle perdait l’ouïe.