Les Serbes, Croates et Slovènes - Augustin Chaboseau - E-Book

Les Serbes, Croates et Slovènes E-Book

Augustin Chaboseau

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Beschreibung

La date de publication de l'ouvrage est importante : en 1919 le monde est en pleine reconfiguration géopolitique ; des questions existentielles se posent au sujet de nombreux petits États, qui n'ont que partiellement voix au chapitre. Le coeur de l'Europe en particulier est instable. Sous le regard acéré des Habsbourg et des Hohenzollern, Serbes, Croates et Slovènes, sans oublier Albanais, Roumains, Tchèques, Bulgares, Hongrois, Slovaques et autres Macédoniens, tous unis contre la Porte, sont pourtant installés depuis longtemps dans de dures rivalités interethniques. Le moment est venu d'essayer de trouver des voies d'apaisement. L'expertise de l'auteur en esquisse les tracés. (Édition annotée)

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Les Serbes,

Croates et Slovènes

Augustin Chaboseau

Édition annotée

Fait par Mon Autre Librairie

À partir de l’édition Bossard, Paris, 1919.

Les notes entre crochets ont été ajoutées pour cette présente édition.

https://monautrelibrairie.com

__________

© Mon Autre Librairie, 2023

ISBN : 978-2-38371-069-1

Table des matières

I. Les principes

II. Les Yougoslaves

III. La Serbie

IV. La Serbie (suite)

V. Balkans

VI. Dalmatie

Quand les Serbes auront créé la Slavie du Sud, les Prussiens auront vécu comme dictateurs de l’Europe.

Gambetta

I. Les principes

Unité ethnique ? linguistique ? géographique ? – Les revendications historiques. – Les intérêts stratégiques. – Les nécessités économiques. – La moyenne à chercher. – La volonté des populations.

La carte de l’Europe, ou plutôt du monde, a été remaniée, depuis cinquante et quelques mois, par bien des gens, et de tous pays. Il y aurait un atlas à faire avec les travaux auxquels se sont ainsi livrés tant de spécialistes, et aussi tant d’amateurs. Il sera établi un jour peut-être, et il sera volumineux, étonnant davantage encore.

Volumineux, parce que chacune des contrées connues devra y figurer à maintes reprises. Étonnant, parce qu’entre les multiples représentations d’une même contrée, il n’existera de commun que la géographie physique. L’aire de chaque race, de chaque idiome, voire de chaque religion, variera de page en page, et parfois dans une proportion très ample. D’autres délimitations auront été fixées pour assouvir certaines revendications purement historiques. Des considérations stratégiques ou économiques auront inspiré d’autres tracés.

Il sera difficile, sinon impossible, de trouver, pour une région quelconque, une carte où le dessinateur, après avoir envisagé successivement l’absolu de l’unité géographique, celui du groupe ethnique ou linguistique, celui des traditions historiques, celui des intérêts stratégiques, celui des nécessités économiques, ait eu le souci de dégager de ce chaos une moyenne rationnelle et équitable, pour proposer des contours politiques offrant des chances de longue durée, c’est-à-dire ne contentant pleinement personne sans doute, mais ne causant non plus à personne un grave mécontentement, ce qui est l’essentiel.

En pareille matière comme en n’importe laquelle, la vérité pratique et la justice tangible sont en effet dans les moyennes, et ne peuvent être que là. Les absolus s’entrechoquent avec violence partout et toujours. Conflits qui seraient amusants s’ils n’avaient pour répercussion, plus ou moins indirecte et plus ou moins lointaine, la guerre.

Voici, par exemple, le principe des nationalités, en vertu de quoi la nation doit finir par correspondre, intégralement et exclusivement, au bloc compact et homogène que forme – ou est censé former – à la surface du globe l’habitat d’une race, ou d’une notable fraction de race. Or il s’en faut de beaucoup que cette sorte de dogme soit traduisible, sur le sol, par toutes les réalisations qu’exigerait la logique. Il suffit pour s’en rendre compte de regarder, au hasard, quelques espèces concrètes.

Entre les Basques et les populations qui les environnent, aucune parenté n’est sensible, ni au point de vue des caractères anthropologiques, ni en ce qui concerne l’idiome, ni quant aux mœurs et coutumes. À l’autre extrémité de la chaîne franco-espagnole, une famille ethnique nettement distincte dans la masse néo-latine, et un parler auquel on ne saurait non plus contester une individualité bien tranchée dans l’ensemble des langues romanes, sont perpétués par les Catalans. Si jamais deux agglomérations humaines ont été fondées à réclamer l’application du principe des nationalités considéré au degré absolu, ce sont ces deux-là, surtout la première.

Alors, la France va-t-elle donner à l’Espagne tels arrondissements des Basses-Pyrénées et des Pyrénées-Orientales parce que la majorité des Basques et des Catalans vivent dans la péninsule ? Ou se constituera-t-il un État basque et un État catalan au détriment, tant de l’Espagne que de la France, et sans le moindre lien politique avec celle-ci ni avec celle-là ?

Les Écossais, les Irlandais, les Gallois, les gens du comté de Cornwall et du Devonshire, les Armoricains, sont frères de race et cousins par l’idiome. Va-t-on soustraite au gouvernement de George V tout ce qui, dans l’archipel métropolitain, n’est pas l’Angleterre proprement dite, et à la République française la Bretagne, pour en constituer une nation à part, une sporadique Celtide ?

Notre pays aurait du reste à subir d’autres amputations. Il devrait renoncer, en faveur de l’Italie, à ce qui fut le comté de Nice et à la Corse, et, en faveur de la Belgique, à plusieurs arrondissements du Nord. Il est vrai que la Belgique n’aurait probablement plus droit à l’existence ; les Flandres aujourd’hui belge et française fusionneraient en un État souverain, et la Wallonie serait rattachée à la France. La Confédération helvétique devrait disparaître aussi, démembrée au profit de la France, de l’Italie et de l’impériale République allemande, ou de l’Empire républicain d’Allemagne, on ne sait comment dire.

Puis ce serait Jersey, Guernesey, etc., revendiquées par la France, la Galice exigée par le Portugal, Gibraltar annexé par l’Espagne, Malte administrée par l’Italie, la domination arabe restaurée en Égypte, Cyrénaïque, Tripolitaine, Tunisie, Algérie, et au Maroc, l’indépendance rendue aux Boers, aux Coréens, aux Philippins, et ainsi de suite.

Dans les cas que nous venons de citer, et dans plusieurs dont nous pourrions grossir cette énumération, l’unité de race se confond à peu près avec l’unité de langue. Mais si l’on préférait pour guide universel la seconde à la première, ce serait également à des absurdités que l’on aboutirait souvent.

Il faudrait par exemple classer l’Argentine parmi les nations espagnoles et le Brésil parmi les nations portugaises, alors qu’il s’agit de deux pays polyethniques entre tous. On rangerait parmi les peuples de souche ibérique ceux qui vivent le long de l’Océan Pacifique, depuis la baie de San Diego jusqu’au cap Horn – quarante millions de personnes ayant l’espagnol pour idiome officiel, mais dont dix millions sont des Indiens de sang pur, dix autres millions des métis, et dix millions encore des nègres, des mulâtres, des Zambos, des Chinois.

Les nègres de la république haïtienne seraient catalogués comme Français ni plus ni moins que les Tourangeaux, les nègres de la République libérienne comme Anglo-Américains, ni plus ni moins que les descendants directs des pèlerins de la May Flower. On baptiserait Italiens les débardeurs, les cabaretiers, les camelots des quais de Fiume, parce que ces Croates baragouinent la langue de Gabriele d’Annunzio, de même que dans cinquante autres ports tout le monde jargonne le maltais, et dans cinquante encore, le sabir.

Adoptera-t-on plutôt l’unité géographique, le principe des limites naturelles : mers, grands fleuves, importantes lignes de faîtes ? C’est l’Espagne évincée du Maroc, c’est l’absorption du Portugal par l’Espagne, c’est le Rhin moyen et inférieur bornant la France aux dépens de la Belgique entière et d’une forte proportion des Pays-Bas, c’est la Hongrie justifiée à conserver la Transylvanie et le Banat, c’est la Dobroudja transmise à la Bulgarie.

Que l’on invoque exclusivement les titres de possession historique, et même sans remonter jusqu’à l’Antiquité, on se débattra parmi des difficultés bien plus formidables que celles indiquées ci-dessus.

Ce ne sera pas la seule Afrique du Nord qu’il faudra rendre aux Arabes, ce sera Chypre, la Crète, la Sicile, la Sardaigne, les Baléares, et la presque totalité de la péninsule ibérique. – Au fait, ce n’est pas Alphonse XIII qui doit avoir Gibraltar, c’est le roi du Hedjaz.

Il faudra restitue à la France le Canada, la Louisiane, Saint-Domingue, Maurice, un bon tiers de l’Inde – à l’Espagne Cuba, Porto-Rico, les Philippines – à l’Italie, héritière de Venise, la majeure partie de la Dalmatie et de son archipel, les îles Ioniennes, Cythère, la Crète, les Cyclades, Skyros, Lemnos. Le Danemark a des droits à faire valoir sur la Suède, qui fut sa vassale durant soixante et quelques années, et sur la Norvège, qu’il administra pendant quatre siècles et quart. La Suède réclamera la Norvège, qu’elle a détenue de 1814 à 1905, la Finlande, qui a été sienne au cours de cinq siècles et demi, l’Estonie, la Livonie, la Courlande, la Poméranie.

Soyons logiques et rendons à l’Angleterre la moitié occidentale de la France, ou, pour le moins, Calais. Ou bien rendons l’Angleterre à la France, héritière de la Normandie. Mais la Normandie ne doit-elle pas légitimement revenir à la Norvège ? Et l’Angleterre, en somme, n’est qu’une colonie rebelle de ladite Norvège – ou du Danemark. À propos de colonie rebelle, il conviendra de ramener dans le giron britannique ces États nord-américains qui, un certain 4 juillet...

Passons aux intérêts stratégiques. À l’heure précise où l’on projette d’internationaliser détroits, canaux interocéaniques, majeurs cours d’eau, autrement dit de s’arranger pour que désormais aucun peuple ne soit en mesure de se réserver la liberté de circulation sur les principales routes maritimes et fluviales, on a soudain conçu et lancé cette théorie que la sécurité navale d’un pays est illusoire si celui-ci n’étend pas sa domination sur les côtes qui font face aux siennes.

Soit, appliquons cela, et donnons les deux rives de la Manche et du Pas-de-Calais à l’Angleterre – ou à la France – l’Oranie à l’Espagne, la Tunisie et la Dalmatie à l’Italie, la Cyrénaïque à la Grèce. Madagascar dépendra dorénavant de Mozambique, ou inversement. Puis, ne sent-on pas à quel point l’Indo-Chine française est gênée par ses vis-à-vis, Bornéo et les Philippines ? Incorporons les Philippines et Bornéo à notre domaine colonial. Mais il y a, dans les mêmes parages, une situation pire que celle de notre grande possession asiatique. Les maîtres de Singapour et de Malacca peuvent-ils tolérer plus longtemps qu’une île très proche – si proche ! – de ces ports, et très vaste, et très peuplée, appartienne à une autre puissance, les Pays-Bas ? Vite que Sumatra soit conquise ou acquise par l’empire britannique !

Résolu à éviter tout ce qui risquerait d’altérer le caractère qu’il nous plaît de garder à cet opuscule, un caractère de rigoureuse impartialité, nous ne mentionnerons pas les exigences que certains États formulent, depuis quelques mois, en matière de prétendus intérêts stratégiques sur terre ou de prétendues nécessités économiques. Nous nous contenterons d’observer que ce qui est en cause, ce sont des ambitions plutôt que des nécessités, ou même des intérêts. Satisfaire à ces ambitions équivaudrait à permettre que telle puissance, non seulement accapare toutes les bases utilisables pour l’invasion de telle autre, mais aille jusqu’à priver celle-ci de toute base de défense – ou à autoriser telle nation à monopoliser les ressources d’une espèce de « marche » sans unité géographique, ni ethnique, ni historique.

Nous pensons en avoir dit assez pour démontrer qu’en fixant le nouveau contour d’un État, il est matériellement impossible d’obéir à une doctrine exclusive. Si l’on veut donc réaliser une œuvre rationnelle et durable, équitable et pratique, on est obligé de chercher une conciliation entre les diverses doctrines traditionnelles et, partant, de se contenter d’approximations pour l’ensemble comme pour les détails.

On recourra aux limites naturelles dans les régions où l’on pourra l’oser sans infliger trop d’entorses au principe des nationalités. En se préoccupant de celui-ci, on n’hésitera pas à négliger, de part ou d’autre de la frontière, un groupe allogène vivant sur un district dont la possession peut, au point de vue stratégique ou économique, importer beaucoup à l’un des deux États en cause sans léser l’autre dans une mesure notable.