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Paul Girod

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Beschreibung

Pour qu’une espèce animale persiste, il faut qu’elle remplisse deux conditions essentielles : la première, que de nouveaux individus succèdent aux individus âgés, prêts à disparaître, et la seconde, que ces jeunes individus survivent en nombre suffisant, dans la lutte pour l’existence. La reproduction s’impose donc à chaque espèce, et elle répond ainsi à la première de ces conditions. La reproduction se fait de deux façons différentes. Par mode asexué, l’individu détache une partie de sa masse qui devient un nouvel individu qu’on peut nommer blastozoïte (animal produit par bourgeonnement).

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Les sociétés chez les animaux

Paul Girod

© 2020 Librorium Editions

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Sommaire

LES SOCIÉTÉSchez les animaux

INTRODUCTION - Les formes sociales.

PREMIÈRE PARTIE - Les Associations chez les Vertébrés

CHAPITRE PREMIER - LES ASSOCIATIONS INDIFFÉRENTES

I. Les caractères de ces associations.II. Les poissons migrateurs.III. Les montagnes d’oiseaux.IV. Les voyages de l’hirondelle et de l’ectopiste.V. Les migrations des rats et des lemmings.

CHAPITRE II - LES ASSOCIATIONS RÉCIPROQUES

I. Les alliances offensives et défensives.II. Les Républicains.III. Les castors, leurs villes.

CHAPITRE III - LES ASSOCIATIONS PERMANENTES

I. Les associations des corneilles et des freux.II. Le troupeau chez les mammifères.III. Les sociétés des singes.IV. L’organisation sociale des anthropoïdes.

CHAPITRE IV - LES ORIGINES DES ASSOCIATIONS

I. — Les formes de la famille.II. L’affection paternelle chez les poissons.I. La famille chez les reptiles et les oiseaux.III. L’éducation des jeunes chez les oiseaux.IV. La famille chez les mammifères.V. Les causes des associations.

DEUXIÈME PARTIE - Les Associations chez les Invertébrés

CHAPITRE PREMIER - LES MANIFESTATIONS SOCIALES ET LEURS CAUSESCHAPITRE II - LES SOCIÉTÉS DES INSECTESCHAPITRE III - LES GUÊPES; LE NID ET L’ÉDUCATION DES JEUNES.CHAPITRE V - LES BOURDONS; CARACTÈRES PARTICULIERS DE LEURS RAPPORTS SOCIAUX.CHAPITRE VI - LES MÉLIPONES.CHAPITRE VII - LES ABEILLES

I. L’essaim, sa constitutionII. L’aménagement de la ruche.III. La vie dans la ruche.IV. Les mâles, leurs caractères distinctifs.V. Les reines futures.VI. Éclosion et fécondation d’une reine.VII. Les reines de sauveté.VIII. L’essaimage. Conclusions.

CHAPITRE VI - LES FOURMIS.

I. L’intelligence de la fourmi.II. Le nid, sa construction, ses formes diverses.II. La vie dans la fourmiliére.III. Le développement de la fourmi ; les ouvrières.IV. Les reines et les mâles ; la fécondation.V. Les sentiments sociaux des fourmis.VI. La guerre chez les fourmis.VII. Les villes des fourmis.VIII. L’alimentation des fourmis.IX. Les fourmis chasseurs.X. Les fourmis agriculteursXI. Les fourmis pasteurs.XII. Les fourmis esclavagistes.

CHAPITRE VIII - LES TERMITES

I. Le termite belliqueux et son organisation sociale.II. Le nid des termites.III. Le termite lucifuge.

TROISIÈME PARTIE - Les Commensaux et les Parasites

CHAPITRE PREMIER - LE COMMENSALISME.

I. Les formes du commensalisme.II. Les mutualistes.III. Les vrais commensaux.IV. Le bernard l’ermite et ses associés.V. Les commensaux des fourmis et les fourmis commensales.

CHAPITRE II - LE PARASITISME.

I. Les associations de parasites.II. Les parasites des abeilles.III. Les parasites des sociétés.IV. Le sitaris et ses métamorphoses.V. Le coucou.

QUATRIEME PARTIE - Les Sociétés Coloniales

CHAPITRE PREMIER - LES COLONIES DES TUNICIERS ET DES BRYOZOAIRES.

I. Les ascidies sociales et les ascidies composées.II. Les salpes et la génération alternante.III. Les Bryozoaires.

CHAPITRE II - LES POLYPES ET LES POLYPIERS.

I. L’hydre d’eau douce et les polypes hydraires,II. Les siphonophores.III. Les éponges.IV. Le développement des acalèphes.V. Le corail et les madrépores.

CHAPITRE III - LES VERS ET LES COLONIES LINÉAIRESCHAPITRE IV - LES COLONIES COALESCENTES DES ECHINODERMES, DES ARTHROPODES, DES MOLLUSQUES ET DES VERTÉBRÉS.CHAPITRE V - LES SOCIÉTÉS CHEZ LES PROTOZOAIRES.

 

LES SOCIÉTÉS chez les animaux

INTRODUCTION

Les formes sociales.

Pour qu’une espèce animale persiste, il faut qu’elle remplisse deux conditions essentielles : la première, que de nouveaux individus succèdent aux individus âgés, prêts à disparaître, et la seconde, que ces jeunes individus survivent en nombre suffisant, dans la lutte pour l’existence. La reproduction s’impose donc à chaque espèce, et elle répond ainsi à la première de ces conditions.

La reproduction se fait de deux façons différentes. Par mode asexué, l’individu détache une partie de sa masse qui devient un nouvel individu qu’on peut nommer blastozoïte (animal produit par bourgeonnement). Par mode sexué, l’individu hermaphrodite, ou deux individus de sexes différents, l’un mâle, l’autre femelle, émettent une cellule femelle, l’œuf, et une cellule mâle, le spermatozoïde, et, de l’union de ces cellules sexuées, provient un protoplasme rajeuni, capable de se développer en un individu nouveau. On peut opposer ce dernier au blastozoïte sous le nom d’oozoïte (animal sorti d’un œuf).

L’individu oozoïte peut, arrivé à l’état adultes, posséder les deux formes de reproduction que nous venons de décrire, ou donner seulement des œufs qui, fécondés, se développent en nouveaux oozoïtes.

Dans ce dernier cas, les oozoïtes restent libres et indépendants, ils constituent chacun un individu distinct.

Dans le premier cas au contraire la formation des blastozoïtes détermine deux dispositions fondamentales. Si les bourgeons produits par l’oozoïte se détachent de l’individu mère après leur formation et mènent une vie indépendante, chacun d’eux devient un nouvel individu libre par dissociation, un blastozoïte dissocié. Si, au contraire, les bourgeons restent fixés à l’oozoïte, conservant avec lui des relations organiques, plus ou moins larges, on a sous les yeux un groupe de blastozoïtes associés, et ces derniers forment avec l’oozoïte initial un ensemble que l’on peut caractériser par le mot : colonie.

Dans la colonie, les blastozoïtes, individus bourgeons, restent en rapport plus ou moins étroit, par leurs organes de nutrition; mais, dans les formes les plus simples, chaque individu conserve une indépendance relative par rapport à ses voisins. Cependant, ce fait d’être attaché d’une façon si définitive aux individus formant la colonie, donne à l’individu son caractère particulier. Il ne peut se séparer de l’ensemble, se grouper d’autre manière avec d’autres individus de son espèce ; ses fonctions de relation sont ainsi fixées dans une limite définie; c’est un prisonnier rivé à sa chaîne, confiné en un point donné de la colonie et d’où il ne pourra sortir que par l’anéantissement de son organisme. Ainsi sont groupés l’oozoïte initial et les blastozoïtes associés dans une colonie.

La tendance à la division du travail se manifeste avec une grande intensité, et les blastozoïtes associés tendent à s’adapter aux conditions particulières, pour prendre une part active dans la vie de l’ensemble. Ainsi se créent des catégories distinctes d’individus, préposés à telles ou telles fonctions spéciales. Cette tendance conduit insensiblement à la transformation de l’individu en organe, et par ce fait même la fusion insensible de ces individus transformés tend à faire de la colonie un organisme unique, qui finit par devenir un véritable individu colonial.

L’indépendance relative des blastozoïtes dans les colonies typiques permet de conclure à des consciences multiples à peine susceptibles d’actions combinées; mais à mesure que l’individu perd cette indépendance, la direction de la colonie se localise de plus en plus dans certains individus qui, lorsque la fusion est complète, deviennent des organes chargés de la direction de l’individu colonial. Dès lors les consciences multiples des individus se concentrent en une conscience unique qui donne à l’individualité coloniale son caractère fondamental.

Si chaque individu de la colonie produit à son tour des blastozoïtes, on conçoit que ces rameaux de générations successives, groupés autour de l’axe initial, forment une colonie de colonies plus ou moins complexes. Si ici la tendance à la fusion des individus se manifeste, l’individu colonial issu de cette transformation présente, au point de vue de son origine et de son organisation, une complexité d’autant plus grande que les générations de blastozoïtes, devenues organes, sont plus nombreuses en individus et d’ordre plus élevé dans la continuité des séries successives.

Les êtres formés d’une cellule unique et qu’on nomme Protozoaires n’échappent pas aux données que nous venons d’acquérir en nous adressant plus particulièrement aux animaux formés de cellules nombreuses, les Métazoaires.

L’individu unicellulaire est capable de se multiplier par scission, donnant ainsi deux individus nouveaux ; l’un représente ce qui reste de l’individu mère, l’autre peut être comparé à une sorte de bourgeon, blastozoïte. Si ces divisions successives se produisent sans que les nouvelles cellules formées aient une tendance à s’éloigner les unes des autres, bien mieux, si des filaments protoplasmiques établissent une communication constante entre ces individus, on a de véritables colonies.

Entre ces colonies formées de nombreux individus unicellulaires et un individu métazoaire simple, il est facile d’établir une relation directe. Une fusion plus intime entre les cellules en fait un tissu fondamental, la différenciation des éléments fait sortir de cette matrice commune les tissus préposés aux fonctions diverses, et la colonie de Protozoaires devient ainsi un individu métazoaire simple. Nous aurons, dans le cours de cet ouvrage, à revenir en détail sur la comparaison de l’individu et de la colonie, et nous aurons à rechercher dans les travaux des naturalistes les preuves autorisant ces conclusions ; mais, avant de pousser plus loin ces généralités, nous devons considérer comme établies dans la série animale les étapes suivantes pour la constitution de l’individualité :

1. L’individu protozoaire, cellule unique. — 2. La colonie d’individus protozoaires. — 3. L’individu métazoaire simple formé de cellules nombreuses. — 4. La colonie d’individus métazoaires simples. — 5. Les formes coloniales ou la division du travail transforme peu à peu le blastozoïte en organe. — 6. L’individu colonial.

Individus ou colonies sont capables de former des Sociétés d’un ordre tout différent parce qu’ici ce sont des individus libres, des colonies formant des ensembles libres, qui se rapprochent d’individus et de colonies libres comme elles et forment des sociétés dont nous allons suivre les formes diverses. Dans ce cas, chaque élément associé conserve une complète liberté d’action, il peut, dans une certaine mesure, se séparer de l’ensemble et mener une vie indépendante ou entrer dans de nouvelles combinaisons sociales. Ici, les fonctions de relation prennent un degré de supériorité absolu, c’est grâce à elles que les éléments constitutifs d’une société entretiennent la persistance du lien qui maintient le groupement des individualités indépendantes. On peut réunir ces sociétés spéciales sous le nom d’Associations, sociétés de relation, qui s’opposent d’une façon si précise aux Colonies, sociétés de nutrition.

Si l’on recherche de semblables associations dans la série animale, on rencontre déjà chez les protozoaires des groupements de cellules qui, d’abord libres et indépendantes, se rapprochent et forment des associations plus ou moins compactes. L’examen de ces sociétés les montre comme très voisines des colonies, par leur organisation générale ; leur origine seule diffère et c’est là le point capital qui met en relief la distinction qu’il faut établir entre ces deux catégories de sociétés. Dans la colonie, les cellules formées par division, les blastozoïtes, sont restées unies et l’ensemble s’est accru par des divisions cellulaires nouvelles, donnant de nouveaux individus étroitement fixés à la masse coloniale. Dans l’association, au contraire, les cellules, quelle qu’en soit l’origine, ont mené une vie libre et elles se sont rapprochées, pouvant se séparer ou former de nouveau des ensembles de divers ordres.

Les associations d’individus ou de colonies sont très répandues parmi les métazoaires et se présentent avec des caractères correspondants. Il semble que la séparation des sexes sur deux individus distincts soit un premier pas vers la production de ces sociétés. L’hermaphroditisme avec possibilité pour l’individu de féconder ses propres œufs (autofécondation), l’hermaphroditisme entraînant l’action réciproque de deux individus (fécondation croisée), enfin la séparation des sexes marquent les étapes successives de la complexité croissante des dispositions nécessaires à la reproduction de l’espèce.

Mais il est une condition nécessaire qui, à côté de la reproduction, contribue à assurer la persistance de l’espèce ; il faut, avons-nous dit, que les jeunes survivent en nombre suffisant, malgré les causes d’anéantissement qui les assaillent. C’est pour répondre à cette seconde condition que les individus reproducteurs doivent assurer à leurs descendants les conditions les plus favorables, pour leur développement dans le milieu extérieur.

La lutte pour l’existence met en relief les individus les mieux adaptés et l’hérédité fixe les caractères acquis par ces derniers, amenant le perfectionnement de l’espèce et sa transformation graduelle.

Si l’adulte peut, par lui-même, se placer dans les conditions les plus favorables à sa persistance, le jeune doit trouver, du côté de ses générateurs, les conditions lui permettant d’atteindre un semblable but.

La persistance des jeunes est obtenue, soit par la production de germes en quantité immense, soit par des moyens de protection puissants, donnés aux germes.

Dans le premier cas, sur un nombre considérable d’oeufs petits et mal protégés, le plus grand nombre est détruit, avant l’éclosion. Les jeunes qui sortent des œufs ayant échappé aux causes multiples d’anéantissement, subissent, à leur tour, l’action destructive du milieu. Ainsi, quelques-uns arrivent à l’âge adulte. Ici l’espèce lutte contre la mort par la multitude des descendants, dont quelques-uns, plus favorisés, assurent la persistance de l’espèce.

Dans le second cas, l’œuf plus volumineux est souvent enfermé dans une coquille résistante qui forme cuirasse et s’oppose à l’action des agents destructeurs; ailleurs, une provision de matières nutritives accompagne le germe, lui fournissant les moyens d’acquérir un développement plus grand et les forces nécessaires pour la lutte, avant d’abandonner la coquille protectrice.

Ailleurs, l’œuf se développe dans l’organisme maternel, trouvant dans l’organe qui le contient la nourriture et la protection nécessaires.

Dans le cas le plus complexe, les parents interviennent pour prodiguer aux œufs ou aux jeunes des soins assidus. La construction de nids de plus en plus parfaits est une première étape, et peu à peu s’établissent entre les parents et les jeunes des relations plus ou moins longues, qui nous conduisent à la famille, telle qu’on la rencontre chez les vertébrés supérieurs.

Entre ces formes multiples, on observe des intermédiaires nombreux et continus, et il est impossible de tracer une limite établissant des catégories tranchées pour une étude systématique. On passe insensiblement des animaux qui pondent leurs œufs, sans se préoccuper de leur avenir, aux animaux qui construisent des nids et président à l’éducation des jeunes, après la naissance. L’indifférence des premiers passe graduellement au tendre attachement des autres pour leur progéniture.

De cette façon, se constitue la famille où les deux parents à la fois jouent le rôle de protecteurs et d’éducateurs pour les jeunes. Mais, de même qu’au-dessous de ce type familial supérieur, se placent des types moins développés où un seul des générateurs intervient dans les soins donnés aux jeunes, ou même où la sollicitude se borne au choix fait d’un emplacement favorable pour recevoir les œufs ; de même peuvent se constituer des associations supérieures à la famille.

C’est à l’étude de ces associations que nous voulons consacrer les développements qui suivent.

Ici, comme pour la famille, l’instinct de la reproduction et l’instinct de la conservation président à la formation des associations.

Chaque fois que l’être se sent faible, contre les attaques de ses ennemis, il recherche ses semblables, pour trouver en eux un appui, et forme avec eux une masse plus résistante, plus forte, plus capable de triompher des dangers présents.

De même pour l’attaque, l’individu, combinant ses efforts et ses ruses à ceux de ses voisins, réduit plus facilement sa proie.

Mais la part que prend chaque individu dans l’association est fort distincte, suivant les types considérés, ce qui permet d’admettre une classification dans ces groupements, basée sur les rapports entre eux des animaux qui les composent.

Dans les associations indifférentes, l’associé apporte sa masse qui, réunie à la masse des autres associés, forme un corps social résistant, dans lequel les animaux conservent leur indépendance absolue, restant indifférents au sort de leurs voisins. Lorsque le besoin se fait sentir, les animaux se rassemblent, pour se séparer aussitôt que le but est atteint.

Dans les associations réciproques, la réunion des associés se fait dans des conditions semblables. L’association est temporaire, mais ici chaque animal met en commun sa force et son intelligence, demandant aux autres, et leur donnant en retour, son activité physique et morale. Il y a échange direct et constant d’impressions, mais il n’y a pas de lien durable assurant la persistance de l’association et chaque associé reprend sa liberté après l’action.

Dans les associations permanentes, l’association devient durable et les individus qui la composent s’unissent par des liens étroits, se prêtant un mutuel concours, et se partageant la garde et la protection de la société. La division du travail s’établit, donnant à chaque membre la faculté de développer ses aptitudes personnelles. Ici, l’association forme un tout homogène, véritable organisme social dont chaque famille représente un organe et dont chaque individu est un membre. Les familles et les individus disparaissent, mais ils produisent, avant de disparaître, une descendance d’êtres qu’ils initient aux travaux communs et qui prennent leur place dans les rangs de l’association. Ainsi, tandis que dans les associations indifférentes ou réciproques, l’individu est la base indispensable de l’association, dans les associations permanentes, l’individu et la famille jouent un rôle secondaire; ce qui est nécessaire, c’est la persistance de la descendance du membre fondateur de l’association; il ne s’agit plus d’un individu pris en particulier, mais des rameaux plus ou moins nombreux, s’élevant de la souche commune.

Les associations que nous venons d’esquisser se font toutes entre individus de la même espèce, mais nous devons réserver une place spéciale à de véritables associations formées par des individus d’espèces différentes. Ici des individus libres se rendent de mutuels services, mutualistes, ailleurs tel individu largement doué pour la capture des proies et les moyens de défense voit se grouper autour de lui des êtres plus faibles, véritables commensaux, qui trouvent la table et la protection dans le voisinage de leur puissant seigneur; ailleurs enfin les petits, abusant des devoirs de l’hospitalité, s’installent définitivement en parasites sur le corps de leur hôte ou dans ses propres viscères. Dans ce dernier cas, il faut reconnaître que la société ainsi établie ne peut être voulue par l’hôte qui se trouve en proie aux déprédations de ses terribles associés, mais le parasitisme se relie d’une façon insensible au commensalisme et permet de rattacher ces associations déviées de leur type fondamental aux sociétés qui se forment entre individus d’espèces distinctes.

Si les expressions homogènes et hétérogènes pouvaient exprimer la réunion d’individus de même espèce et d’espèces différentes, nous pourrions opposer les Associations homogènes — indifférentes, réciproques, persistantes — aux Associations hétorogènes qui embrassent l’histoire des mutualistes, des commensaux et des parasites.

Ces considérations générales nous amènent à l’exposé détaillé des faits sociaux observés chez les animaux. Il nous a semblé utile d’aller des formes animales les mieux connues de tout le monde, les Vertébrés, vers les types des Invertébrés, moins familiers à ceux qui abordent l’étude des sciences naturelles. De ce fait, nous abordons l’histoire des Associations avant celle des Colonies.

Nous avons mis à contribution toutes les observations publiées sur cet intéressant sujet, et nous avons pris pour guides les remarquables travaux d’Alfred Espinas et d’Edmond Perrier. Le premier, dans une étude de psychologie comparée, a posé sur des bases solides le problème des Sociétés animales; le second a cherché dans les Colonies animales, l’explication de la formation des organismes. La grande encyclopédie zoologique, les Merveilles de la Nature, dans laquelle Brehm a réuni tant de faits de mœurs et les récits des voyageurs sur les animaux, m’a été d’un grand secours et m’a fourni les figures qui accompagnent le texte.

PREMIÈRE PARTIE

Les Associations chez les Vertébrés

 

CHAPITRE PREMIER

LES ASSOCIATIONS INDIFFÉRENTES

 

I. Les caractères de ces associations.

Pour répondre à l’instinct de la conservation de l’espèce, l’animal se met à la recherche des endroits où l’aliment, la température, les moyens de protection extérieurs, se trouvent réunis, pour donner aux œufs et aux jeunes, les plus grandes chances de réaliser leur developpement complet, et d’échapper aux causes multiples de destruction. D’autre part, l’animal se préoccupe pour lui-même des lieux abondamment fournis des végétaux ou des animaux dont il fait sa nourriture. L’animal ne recule devant aucun obstacle, désireux de trouver la place où les jeunes prospéreront, assurant l’avenir de l’espèce, et pour rechercher les pâturages et les territoires de chasse nécessaires à sa propre existence.

Pour beaucoup d’animaux, le lieu privilégié est où ils ont toujours vécu; mais, pour beaucoup d’autres, il faut des migrations vers des localités plus propices, migrations souvent fort régulières, dictées par les saisons, qu’il s’agisse de noces prochaines ou de fuite devant les frimas.

L’union fait la force, dit un vieil adage, aussi évident pour les animaux que pour l’homme. Aussi l’être faible qui a devant lui les longues routes à parcourir, où abondent les brigands de toutes sortes, recherche ses semblables pour former avec eux des bandes plus capables de résister aux attaques. Mais, dans ces bandes, il n’y a point de chef; ce sont des associations d’êtres poursuivant un même but, se pressant sur une même voie, prêts à se séparer quand le but sera atteint, se réunissant là parce que la nourriture y est abondante, s’arrêtant sur tel rivage parce que tout y est naturellement préparé pour la protection des jeunes. Aucun lien affectueux ne réunit ces individus. Ils vont droit devant eux sans se préoccuper de leurs voisins les plus proches. On s’unit un instant pour entreprendre le voyage et l’on se disperse ensuite sans s’inquiéter de ses compagnons et de leurs destinées.

Les bandes ainsi formées ne sont pas à l’abri des attaques de leurs ennemis, qui font de larges brèches dans les rangs nombreux et serrés, mais, malgré le carnage, beaucoup échappent à la mort. Ils ne songent pas à ceux qui tombent, ils suivent leur route, avec ce sentiment que, s’ils sont épargnés, c’est parce que leurs compagnons moins heureux ont servi de pâture aux carnassiers qui les poursuivent. Ce sentiment les pousse à se serrer plus étroitement encore les uns contre les autres, car le salut est dans la multitude.

 

II. Les poissons migrateurs.

De semblables bandes se rencontrent dans les diverses classes des Vertébrés. Chez les poissons, c’est au moment du frai que s’organisent ces bandes formées de femelles prêtes à pondre, et de mâles chargés de liqueur fécondante, qui vont à la recherche de plages chaudes, favorables à l’éclosion des œufs.

L’esturgeon, observé par Pallas dans la mer Caspienne, remonte au mois de mai, par grandes troupes dans les fleuves, souvent à de grandes distances de leur embouchure.

Ces poissons, extrêmement nombreux dans l’océan Pacifique et dans les eaux septentrionales de l’Atlantique, gagnent surtout les eaux douces au moment du frai. Duméril rapporte plusieurs faits de captures d’esturgeons dans nos rivières françaises. On en a pris dans la Moselle, à Sierck, au-dessous de Metz, à Pont-à-Mousson et dans la Loire, au Pont-de-Cé, près d’Angers. En 1800 pareilles captures furent faites à Neuilly-sur-Seine, près de Paris.

Le saumon mène, comme l’esturgeon, une vie partagée entre l’eau douce et l’eau salée. La première semble nécessaire au développement des œufs, le séjour à la mer est indispensable pour que le saumon acquière son développement. De là les migrations observées partout où le saumon se multiplie. Dans nos régions, c’est au printemps que le saumon gagne l’embouchure des fleuves, il se laisse porter par le flot dans la zone des eaux saumâtres, comme pour s’habituer au contact de l’eau douce; alors les rassemblements se forment et les groupes se dirigent vers les sources fraîches des rivières. D’après certains observateurs, les plus vieux saumons tiennent la tête de la bande, les jeunes suivant. Ils vont ainsi, renversant tous les obstacles, franchissant les barrages et les écluses en se servant de leur queue comme d’un ressort qui leur fait exécuter des bonds considérables, et ils atteignent les fonds frais, couverts de sable fin où ils enfouissent leurs œufs. C’est là que les jeunes éclosent et se développent et, au bout d’un ou deux ans, ils changent de teinte et se réunissent en bandes pour descendre vers la mer.

 

Des troupes plus considérables sont formées par les harengs, les sardines, les morues et de nombreuses espèces de poissons.

L’histoire si complète, donnée par Anderson, de la migration du hareng (fig. 1), et qui a conservé parmi les pêcheurs une certaine faveur, doit être abandonnée. Suivant cet auteur, ces poissons, massés pendant l’hiver sous les glaces polaires, descendent en janvier vers les mers tempérées en bandes compactes qui se séparent pour gagner les côtes septentrionales de l’Amérique et de l’Europe ; ces immenses voyages sont de pure imagination. En effet, le hareng émigre des régions profondes de la mer vers les côtes voisines et retourne après le frai à la haute mer où il s’enfonce, semblant disparaître. C’est dans la Manche que l’on observe, sur les côtes de France, avec le plus de netteté, l’arrivée des harengs. Au moment de la ponte ces poissons forment de véritables lits ou bancs de 5 à 6 kilomètres de long sur 3 ou 4 de large; ils se pressent, bondissent, agitant la mer et se disposent sur une telle épaisseur qu’une rame a peine à pénétrer dans cette surface continue.

Fig 1. — Le hareng commun.

Ils recherchent les endroits garnis de pierres et de plantes, et y laissent les œufs qu’inonde la laitance des mâles. On a compté 63656 œufs dans une femelle de moyenne grosseur et l’on peut concevoir que le nombre de ces poissons ne puisse diminuer malgré les poursuites des poissons carnassiers, des cétacés, des oiseaux et de l’homme lui-même !

Les sardines et les anchois se comportent comme les harengs, et, comme eux, quittent les profondeurs pour gagner les côtes, au moment du frai.

 

La morue recherche, de la même façon, les bancs superficiels : « Les poissons, dit Brehm, apparaissent en quantités innombrables, par montagnes, suivant l’expression des Norvégiens, c’est-à-dire en troupes serrées et pressées, qui nagent les unes au-dessus des autres sur une épaisseur de plusieurs mètres et parfois sur une longueur de plusieurs milles : ils se dirigent vers les côtes ou sur les bancs de sable, pondent, puis disparaissent. »

 

III. Les montagnes d’oiseaux.

Les associations de nombreux oiseaux ont aussi pour but la reproduction. De là ces réunions souvent considérables d’individus observées sur des falaises, que les voyageurs ont pu dénommer des « montagnes d’oiseaux ». Dans son voyage aux îles Fœrœer, le docteur Labonne a observé ces associations, et je lui emprunte les détails suivants :

« La faune ornithologique est d’une telle richesse dans le nord de Stromœ et de d’Osterœ que c’est par millions que l’on voit les oiseaux couvrir les falaises ou les rochers. Puffins, pingouins, guillemots, goélands, tétrels, plongeons, cormorans, se donnent rendez-vous sur ces rivages, et, au premier coup de fusil que je tirai, l’air fut littéralement obscurci par la bande s’envolant effarouchée. Avec cela c’était un tapage, un bruissement d’ailes, des cris si assourdissants que nous ne nous entendions plus parler. L’effroi dura peu... et les oiseaux reprirent leurs places respectives.

« Tous ces oiseaux. se réunissent pour confier leurs nids aux falaises et pour y couver leurs œufs. Les rochers sont sans doute choisis parmi ceux qui surplombent les petits golfes où abondent les poissons et les mollusques dont ces oiseaux font leur nourriture, et qui présentent des corniches, des crevasses, des grottes pour recevoir les nids. Bientôt la falaise devient une véritable ruche où tous ces oiseaux entrent et sortent, apportant la nourriture ou allant en quête d’une proie. Les nids sont fort simples chez ces oiseaux : quelques débris d’algues, quelques herbes desséchées forment un lit qui reçoit les œufs quand ils ne sont pas déposés directement sur la pierre nue.

« C’est à la recherche de ces œufs que les naturels du pays consacrent la belle saison. Pour arriver aux oiseaux, sur ces falaises abruptes, il faut que le chasseur, suspendu à une cordé, se fasse descendre sur la paroi verticale du rocher ; là il lutte contre les oiseaux qui l’entourent et leur arrache leurs oeufs et leurs jeunes.

« Après la ponte, ces oiseaux se dispersent et reprennent leurs habitudes pélagiques. »

 

IV. Les voyages de l’hirondelle et de l’ectopiste.

Beaucoup d’oiseaux qui, comme les hirondelles, quittent notre pays en automne pour y revenir au printemps, obéissent, en réalité, à une semblable impulsion. Ils se réunissent en associations plus ou moins compactes, et leur bandes viennent nicher sur notre sol; puis ils retournent passer l’hiver dans les régions chaudes du Midi, remettant pour l’année suivante leurs migrations nouvelles vers nos climats favorables au développement des jeunes. Ici, un long voyage est nécessaire pour gagner les lieux choisis pour l’hivernage et revenir aux nids pour la ponte. Dans quelles conditions s’organisent et s’effectuent ces migrations lointaines?

Les hirondelles (fig. 2) sont les mieux connus des oiseaux migrateurs :

Fig.2. — L’Hirondelle rustique.

« Le départ des Hirundinidés, dit M. Gerbe, se fait ordinairement en société. Lorsque les individus d’un même canton sont sollicités par le besoin de changer de climat, on les voit plus agités que de coutume, leurs cris d’appel sont plus fréquents; ils ont plus de tendance à s’attrouper et à s’ébattre dans les airs; ils se rassemblent plusieurs fois dans la journée sur les toits, sur les corniches des maisons, sur les branches desséchées qui couronnent les arbres. Leur agitation, leurs cris, leurs exercices journaliers, sont l’indice certain de leur disparition prochaine ; enfin, lorsque le jour de leur départ est arrivé, tous ensemble s’élèvent lentement dans les hautes régions de l’air, en poussant des cris et en tournoyant. Les Hirundinidés ont probablement pour but, en s’élevant ainsi, d’agrandir leur horizon, afin de découvrir plus aisément le point où ils doivent tendre.

» Les Hirundinidés entreprennent leur voyage à toute heure de la journée, si le temps et les vents sont favorables ; mais ils choisissent de préférence les heures du soir. Ils ont cela de commun avec la plupart des oiseaux qui émigrent en société, qu’ils partent lorsque le soleil tombe à l’horizon. Ceux qui n’ont pu suivre la masse voyagent seuls ou en petit nombre et suivent la même route...

» L’hirondelle de cheminée et l’hirondelle de fenêtre se reposent très certainement pendant leur voyage. Il n’est pas rare, en septembre et en octobre, lors de leurs migrations, de surprendre de très grand matin ces espèces dans les bois où elles ont passé la nuit. Au reste, tous les voyageurs qui traversent la Méditerranée, à l’époque des départs, savent qu’il est assez commun de voir des hirondelles fatiguées venir s’abattre sur les navires.

» Ces oiseaux, comme tous ceux qui entreprennent des courses lointaines, paraissent donc voyager par étapes, s’il est permis d’ainsi dire; comme eux aussi, loin de se tenir constamment dans les hautes régions, ils en descendent. Le matin, au lever du soleil, leur vol est toujours bas : il l’est aussi, lorsque, durant le jour, des besoins de nourriture les ramènent vers la terre. Lorsque leur appétit est satisfait, ils s’élèvent de nouveau dans les airs et reprennent la direction qu’un moment ils avaient abandonnée. »

Nous nous trouvons bien ici en présence de véritables bandes; si les jeunes profitent de l’expérience des aînés, les faibles trouvent l’entraînement qui décuple ses forces. Tous ces oiseaux partent poussés par le même besoin. Il n’y a pas de chef et l’on ne voit pas se manifester de sentiments affectueux amenant les plus forts à protéger les faibles. Ceux qui tombent épuisés sont laissés en arrière par la bande, qui poursuit sa route, vers le midi de l’Afrique.

Ce sont les martinets qui nous quittent les premiers, au commencement d’août; ils sont bientôt suivis par les loriots, les coucous, les gorges-bleues, les pies-grièches, les cailles. En septembre, les oiseaux chanteurs, rossignols et fauvettes, nous quittent à leur tour. Les hirondelles se rassemblent et donnent le signal du départ aux retardataires, hoche-queues, rouges-gorges, alouettes, grives, merles, éperviers, buses, bécasses, poules d’eau et oies qui fuient devant les froids d’octobre.

L’ectopiste migrateur (fig. 3), pigeon de l’Amérique du Nord, semble présenter au maximum ce besoin de s’unir en bandes compactes pour changer de lieu. Le nombre incalculable des individus qui se groupent pour ces migrations, entraîne l’anéantissement rapide de tout ce qui, dans une région déterminée, peut servir à l’alimentation ; de là le déplacement continuel de ces nuées d’oiseaux qui s’abattent pour tout dévorer et reprendre leur vol, vers des pays abondants en graines de toutes sortes.

Audubon, dans un récit fort exact, confirmé par les descriptions de tous les voyageurs, nous peint ces migrations dont l’imagination a peine à concevoir l’étendue

« Pendant l’automne de 1813, je partis de Henderson où j’habitais, sur les bords de l’Ohio, me dirigeant vers Louisville... Plus j’avançais, plus je rencontrais de pigeons. L’air en était littéralement rempli, la lumière du jour, en plein midi, s’en trouvait obscurcie, comme par une éclipse; la fiente tombait semblable aux flocons de neige fondante, et le bourdonnement continu des ailes m’étourdissait et me donnait envie de dormir. Avant le coucher du soleil, j’atteignis Louisville; les pigeons passaient toujours en nombre et continuèrent ainsi pendant trois jours sans cesser...

» Il ne sera peut-être pas hors de propos de donner ici un aperçu du nombre des pigeons contenus dans l’une de ces puissantes agglomérations et de la quantité de nourriture journellement consommée par les oiseaux qui la composent... Prenons une colonne d’un mille de large, ce qui est bien au-dessous de la réalité, et concevons-la passant au-dessus de nous, sans interruption pendant trois heures, à raison également d’un mille par minute, nous aurons ainsi un parallèlogramme de 180 milles de long sur un mille de large. Supposons deux pigeons par mètre carré, le tout donnera un billion cent quinze millions cent cinquante six mille pigeons par chaque troupe, et comme chaque pigeon consomme journellement une bonne demi-pinte de nourriture, la quantité nécessaire pour subvenir à cette immense multitude devra être de huit millions sept cent douze mille boisseaux par jour... »

Fig. 3. —L’ectopiste migrateur.

Ces bandes immenses s’abattent sur les forêts, sur les plantations, anéantissant les récoltes, brisant les arbres sous leur poids. L’homme leur fait une chasse acharnée. Lorsque les pigeons s’apprêtent à descendre, les fermiers du voisinage, avec chevaux, charrettes, fusils et munitions s’installent à la lisière de la forêt et le carnage commence :

« Déjà des milliers étaient abattus par des hommes armés de perches, mais il continuait d’en arriver sans relâche... C’était une scène lamentable de tumulte et de confusion. C’est à grand’peine si l’on entendait les coups de fusil et je ne m’apercevais qu’on eût tiré qu’en voyant recharger les armes... Les pigeons furent entassés par monceaux, chacun en prit ce qu’il voulut: puis on lâcha les cochons pour se rassassier du reste. »

 

V. Les migrations des rats et des lemmings.

Beaucoup de mammifères se réunissent pour former des bandes analogues à celles des oiseaux entreprenant de longs voyages pour rechercher l’aliment ou les conditions de température plus favorables.

Le surmulot (Mus decumanus) est le migrateur indigène le plus répandu. Ce rat semble avoir pénétré en Europe vers 1727. Pallas, le célèbre naturaliste russe, le décrit comme ayant fait irruption sur les bords de la mer Caspienne et dans les steppes de Koumanie dans l’automne de 1727, à la suite d’un tremblement de terre. En 1750 il atteignait la Prusse orientale et arrivait à Paris en 1753, après avoir couvert l’Allemagne. Il ne pénétra en Danemark que vers 1800; en Suisse, vers 1809. Des vaisseaux le transportèrent dès 1732 dans les Indes orientales et en 1775 dans l’Amérique du Nord. Le rat gris a maintenant envahi le monde entier. Il a trouvé sur notre sol et répandu déjà dans les deux mondes le rat noir (Mus rattus) qui, moins fort, a été peu à peu repoussé par l’envahisseur, traqué, détruit, forcé de se cacher dans des retraites écartées. Le rat noir qui jadis était un fléau, couvrant de ses bandes les villages et les villes est relégué maintenant dans les moulins déserts, dans les cabanes abandonnées.

Ces deux rats ont du reste les mêmes habitudes ; ils se réunissent en bandes pour envahir les lieux où règne l’abondance des provisions ou pour fuir devant le danger. C’est, au dire de Mission qui écrivait au XVIIe siècle, à la suite d’un tremblement de terre, que la ville de Ceretto fut attaquée par des bandes innombrables de rats noirs : « Les habitants durent opposer le fer et le feu à ces légions furieuses : on fit de bons retranchements et l’on exerça pendant plusieurs nuits une surveillance active, crainte de surprise : jamais alarme ne fut plus chaude. »

Depuis, ces invasions de rats ont été suivies dans toute l’Europe par de nombreux observateurs ; il me suffit de rappeler les cohortes qui traversèrent Paris, lorsqu’on construisit le boulevard Saint-Michel et le nouvel Hôtel-Dieu. Les démolitions et les transports de terrain qui furent faits alors déterminèrent cette émigration qui mit en émoi les quartiers voisins. Partout où des raisons majeures, destruction d’un domicile préféré ou disette d’aliments, se manifestent, on voit les rats se réunir pour aller à la recherche de lieux plus cléments. Si l’on se base sur ce fait qu’à Paris on tua, en quatre semaines, dans un seul abattoir seize mille rats, on peut se faire une idée du nombre incalculable de rats qui se trouvent répandus dans les égouts, dans les caves, dans les maisons, partout où se rencontre une parcelle de nourriture et l’on peut concevoir la formation de ces armées avec lesquelles les animaux de toutes espèces ont à compter.

 

Le lemming de Norvège (Myodes lemmus) se livre à de semblables voyages (fig. 4). Olaüs Magnus, évêque d’Upsal, le décrit pour la première fois en 1513. « Ces animaux dit-il, apparaissent comme les sauterelles, en bandes innombrables, ils dévorent tout ce qui est vert, et ce qu’ils ont mordu périt comme empoisonné... Lorsqu’ils veulent partir, ils se réunissent comme les hirondelles. » Ces animaux apparaissent subitement; de là la légende qui persista jusqu’en 1740, où Linné publia sa description du lemming, que ces rats naissent dans les nuages et tombent à terre.