Lever de soleil - Noémie Wiorek - E-Book

Lever de soleil E-Book

Noémie Wiorek

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Beschreibung

Que peut bien cacher ce tombeau ? Izia va le découvrir à ses dépens…

2071. Sous le soleil égyptien, les archéologues d'Incop Transgene découvrent un mystérieux sarcophage. Izia, rivée à son ordinateur, suit cette exhumation avec attention. Qu'est-ce que cette multinationale tentaculaire, qui contrôle le monde dans l'ombre, manigance encore ? Engagée dans une lutte désespérée contre la dictature d'Incop, Izia se voit confier la mission de sa vie : récupérer le contenu de ce sarcophage. Malheureusement, rien ne se passe comme prévu... [Pour public averti]

Un thriller psychologique intime, porté par le style poignant et immersif de Noémie Wiorek.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Née peu ou prou au moment de la chute de l’URSS – les deux évènements ne sont pas liés –, Noémie Wiorek exerce depuis quelques années le métier de professeure-documentaliste pour tenter tant bien que mal de communiquer le goût de la lecture aux jeunes générations. Elle a commencé à écrire à l’adolescence et n’a jamais arrêté, voyageant entre des contrées merveilleuses, robotisées ou étranges selon l’humeur de sa plume. Les chats, ces petits dieux domestiques, l’inspirent tout particulièrement. Son premier roman, « Les Chats des neiges ne sont plus blancs en hiver », est sorti en 2020 aux Éditions de l’Homme Sans Nom.

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Avertissement relatif au contenu

Cette œuvre comporte des contenus ou passages pouvant heurter la sensibilité du public.

– Principaux : abus de faiblesse, dépression, usage de drogue et dépendance.

– Ponctuels : automutilation, mort, séques­tration, violence.

– Mentions : horreur, relations sexuelles.

PROLOGUE

On ne pouvait pas réellement compren­­dre le poids du soleil avant d’avoir foulé du pied le sable du désert égyptien. Surtout en l’an 2071. Henry McMarty le comprenait mieux que quiconque, à présent, cruellement agressé par des rayons triomphants. Il épongea son front luisant de sueur. Au-dessus de la mégalopole de Parisia, l’astre restait timide derrière le brouillard de pollution et les cumulonimbus de pluies acides. Ici, il régnait sans partage, despote mégalomane. Cela agaçait prodigieusement le jeune archéologue, mais toujours moins que les scarabées qui se posaient parfois sur ses avant-bras. Pourtant, il ne se lassait pas d’obser­ver l’immense étendue de sable qui se contractait sous les caresses du vent et formait des nuages de poussière vaguement menaçants au loin. Henry se serait presque imaginé être l’un de ces explorateurs zélés des anciens siècles, partis sur des chameaux vers l’inconnu pour déranger les pharaons dans leur éternité. Mais c’était à Indiana Jones, un archéologue pourtant imaginaire, qu’allait sa préférence. Inspiré, il avait acheté un fédora pour l’occasion.

Jamais Henry n’aurait pensé pouvoir découvrir ces terres tant fantasmées, tant étudiées, tant arpentées en esprit et par simulation virtuelle. Hélas, cet instant de contemplation se trouvait légèrement assombri par la fourmilière ­d’ouvri­ers évoluant autour de lui. Depuis des années, il traînait avec peine son diplôme d’archéo­logie, et cette fantaisie de parcours lui avait finalement valu d’être recruté par Incop Transgene. Ce que les dirigeants de cette multinationale tentaculaire, perchés au sommet de leurs buildings aux vitres à intelligence solaire, pouvaient bien vouloir aux derniers vestiges de l’Histoire, il l’ignorait. Un projet d’une telle envergure – pharaonique, pour ainsi dire – le rendait méfiant, mais il n’allait pas cracher sur ce travail ; sa langue était trop sèche, de toute façon. Son œil d’expert embrassait la masse qui s’élevait de terre au fil des jours et qui retrouvait enfin la lumière. Malgré ses vêtements s’adaptant à la température ambiante, Henry commençait sérieusement à cuire. Cependant, ce contact avec la nature lui faisait du bien, contrairement à tous ces bureaucrates endiman­chés qui attendaient des résultats. Les gens ne prenaient plus la peine de sortir des grandes villes pour contempler le monde ; a fortiorice monde perdu.

Un des responsables techniques s’appro­cha soudain de lui. Sa combinaison blanche et ses lunettes bleues détonnaient un peu dans le paysage ocre. Henry pensa aussitôt aux films de science-fiction des décennies passées.

— Nous avons presque atteint la porte. Vous feriez mieux de venir.

Ce n’était pas de refus. En se retournant, il sentit une morsure brûlante sur sa nuque découverte. Non, on ne pouvait pas comprendre la nature du soleil avant d’avoir foulé ce pays. C’était un roc en fusion, implacable, maintenant vicieux, qui l’attaquait par-derrière tandis qu’il descendait dans le souterrain creusé par les ouvriers avec leurs scies laser.

Empilement de blocs de pierre grossi­ère, la structure dégagée du sable accumulé là depuis des millénaires présentait une forme cubique assez quelconque. Henry était un peu déçu par sa taille moyenne et par son aspect ­primitif. Manifestement, aucun pharaon ou roi antique ne l’attendait à l’intérieur ; tout laissait présager un bâtiment funéraire plus classique, quoique très ancien. Toutefois, l’isolement total de cette sépulture, située au plus profond du désert, demeurait un mystère.

À présent, la porte principale était presque entièrement excavée, et des techniciens en combinaison blanche se concentraient sur les deux statues qui encadraient avec rigidité l’entrée. Henry aurait aimé qu’elles lui en apprennent plus sur les occupants des lieux, mais leurs têtes manquaient à l’appel.

Le soleil ne faiblissait toujours pas dans le ciel, tandis que Henry prenait son repas de pilules protéinées à l’écart de l’équipe. Il lui sembla apercevoir au loin la petite ombre d’un fennec. Les capteurs se mirent soudain à s’affoler, et chacun se dirigea vers l’entrée du mastaba. Un expert observa un instant sa machine et déclara :

— La structure de cette tombe n’est pas conforme aux prévisions ni aux constructions de l’époque.

Cela, Henry aurait pu l’affirmer après un simple coup d’œil. Néanmoins, les spécialistes s’appuyaient aveuglément sur leurs appareils pour travailler. Henry avait rarement contemplé des mains aussi pâles dans de telles expéditions. Collaborer avec des ingénieurs n’était certainement pas dans ses habitudes, surtout s’ils venaient d’une boîte de cette envergure. Ils échangeaient des regards entendus, opinaient discrètement du chef, comme si toutes ces informations d’apparence anodine confirmaient un pressentiment. Ou le but même de cette prospection. Quelle générosité de la part de cette entreprise ! railla-t-il intérieure­ment. Tout le monde semble obsédé par la course au futur. On abandonne le passé comme autant de pierres dans le désert… Que croient-ils ?

Le responsable du projet intima alors d’un geste à son équipe, dont Henry, de s’approcher de la porte d’entrée obstruée. Ils se mirent à découper minutieusement les blocs à l’aide de scies laser qui éclairaient leurs visages comme ceux de chirurgiens. L’opération dura très peu de temps, et, bientôt, une bouche béante de ténèbres ancestrales s’ouvrit devant eux. Équipé d’un masque filtrant, Henry aurait voulu apprécier l’émotion de ce moment, respirer l’air qui s’envolait de la crypte comme une fragrance rare et exotique, mais le chef des opérations, un homme très grand aux petites lunettes fantaisistes, se détacha aussitôt du groupe.

— Voilà, mon vieux, vous allez pouvoir arrêter de vous tourner les pouces et enfin vous mettre au boulot, au lieu de regarder béatement le paysage.

Piqué au vif, Henry se contenta de serrer les poings et de s’engager à la suite de ses collègues. À la place de torches enflammées, ou même de simples lampes, ils allumèrent des plaques de néons qui illuminèrent leur chemin jusqu’au plafond. Cela rompit le charme de l’endroit pendant un court instant.

Sensation immédiatement balayée.

En un pas, Henry sentit qu’il foulait une autre époque. Son esprit rationnel ne croyait pas aux malédictions ou aux phénomènes ridicules affectant les anciens explorateurs – des ignorants fol­lement superstitieux. Le lieu souffrait peu des marques du temps, et aucun insecte ou animal ne vint se précipiter vers la vive lumière du jour, ni aucune bête terrifique et ténébreuse née dans ce cocon rocheux. Le soleil entrait pour la première fois depuis des siècles et léchait avec timidité les vieilles pierres. Toutefois, c’était un endroit étrange que cette première pièce, normalement constituée d’une chapelle en l’honneur du mort ; ici reposaient déjà deux imposants sarcophages minéraux. Pas de salle d’offrandes pour garantir un sommeil apaisé.

Henry n’eut pas besoin de plisser les yeux pour constater l’absence totale d’orne­ments et de hiéroglyphes : il s’agissait d’une chambre nue. Pas de photos à poster sur le Flux. Plus déçu qu’intrigué, il se demanda sur quelle sépulture il venait de tomber. Avant même l’âge archaïque, l’hommage aux morts s’avérait fondamental pour la renaissancedes âmes. Les Égyptiens n’échappaient pas à ces croyances d’un autre temps, et l’absence totale de marques de respect témoignait dans tous les cas d’une relation complexe avec les momies. Il fit mollement part de ses premières remarques à ses collègues, qui notèrent sans tarder ses conclusions, ce qui le mit fort mal à l’aise. Néanmoins, frissonnant d’excitation, il se concentra sur le principal : ce trésor sans or qu’était le contenu de ces sarcophages. Sans attendre, des ingénieurs posèrent leur matériel autour des tombes et analy­sèrent la pierre. Rien d’étonnant, sauf une exceptionnelle ancienneté. Henry aurait aimé un moment plus solennel, plus silencieux, mais les scies laser commen­cèrent à découper impitoyablement la roche, et il se dit qu’il ferait mieux de réfléchir à la manière de romancer cette prise de contact avec les morts. Les scientifiques scannèrent le tombeau et enregistrèrent toutes les informations nécessaires dans leurs bases de données portatives. La nostalgie, couplée à la chaleur, provoquait chez Henry d’assom­mants battements aux tempes.

Avec l’émotion froide des grands explorateurs, ils soulevèrent le premier couvercle de pierre grâce à des leviers magné­tiques. Henry retint son souffle. Une coque de bois, non anthropo­morphique, se révéla à leur regard. Cette fois, des inscriptions apparaissaient sur la surface polie ; pas exactement des hiéroglyphes. Elles dataient visiblement d’avant ­l’Ancien Empire, mais l’écriture restait incompré­hensible. À présent, Henry trépignait d’impa­tience à l’idée d’ouvrir le tombeau. Il essuya une goutte de sueur qui dévalait l’arête de son nez. Les techniciens prirent leur temps pour exécuter de nouveaux clichés détaillés. Aucun vase canope. Henry commençait à se demander pourquoi on avait clairement enfoui avec précaution des personnes qui ne méritaient pas de tels honneurs, des roturiers. Pendant ce temps, il observa le fond de la salle et distingua les contours d’un puits : d’autres pièces s’offrai­ent à eux, peut-être plus intéressantes.

Enfin, l’intérieur révéla une momie soigneusement enveloppée. Une belle dans son habit d’éternité, songea-t-il. Un expert fit jouer l’un de ses appareils avec sérieux et déclara, au bout d’un certain nombre de bips excités :

— Femelle, siècle inconnu.

L’ouverture du second sarcophage se fit avec plus de fébrilité encore ; plus rapidement,aussi. Une momie en tout point identique apparut. Sans attendre, les ingénieurs se penchèrent vers le puits. Cette tâche durerait un moment, et Henry s’assit au bord du tombeau de pierre, au-dessus du premier corps. Son expertise paraissait être de la poudre aux yeux, à présent. Amer, il se demanda dans quelle mesure Incop avait menti en prétendant avoir découvert ce site par accident lors de l’exploitation des sous-sols miniers.

J’espère qu’elles ne me maudiront pas pour les avoir dérangées, se moqua-t-il. Les momies devaient sommeiller depuis si longtemps, confortablement enroulées dans ces bandes presque propres… Il n’arrivait pas à voir autre chose en elles que des endormies. Pour calmer son impatience, qu’il ne pouvait assouvir à cause de l’agitation des techniciens, il se mit à observer le plafond de la première salle en réfléchissant : aimait-il réellement ce métier, et cela avait-il encore un sens de s’acharner ?

La descente vers la deuxième pièce s’effectua en début de soirée, car il fallait attendre que la roche découpée soit évacuée. Le soleil brillait un peu moins, certainement épuisé par les efforts déployés pour rôtir l’équipe d’archéologues. Cette fois, plusieurs tombeaux s’alignaient dans la salle : une demi-­douzaine, dans le même dénuement. Henry sentait à présent une irritation chez ses collègues, mais aussi une fébrilité dépassant le simple intérêt scientifique. Il hésitait maintenant à ouvrir les tombes. Un étrange pressentiment le saisit, lui qui se prenait pour un esprit tout à fait rationnel. Le soleil devait lui avoir grillé la peau, ses capteurs géraient mal la chaleur. Plus personne ne s’aventurait si loin dans le désert.

Le premier sarcophage résista. Cette fois, la pierre grinçait de mécontentement. Des fissures strièrent les côtés du tombeau, de la poussière de roche se détacha. Henry soupira intérieurement devant un tel gâchis, mais ses puissants mécènes ne s’intéressaient qu’au contenu. Qui ne tarda pas à rencontrer l’aveuglante lueur artificielle des néons. Elle martyrisait aussi les nerfs de Henry. De petits points noirs parasitèrent son champ de vision. La coque du tombeau paraissait étrange, déformée. La chaleur le prit à la gorge, nourrie par ce trop-plein d’excitation. Il lui sembla que le soleil venait de s’inviter dans la pièce, comme un ami qu’on attendait depuis longtemps. Et qu’une présence s’incrustait également dans son crâne. Un regard, de la colère. De la haine. On saisit le corps, on le révéla. Sacrilège. Le sang de Henry bouillait maintenant dans ses veines, mais cette chaleur le rendit plus vivant que jamais, dans cette tombe si fraîche. Des gouttes perlèrent de ses paumes ravagées par ses ongles. Des crocs apparurent sur le couvercle et rirent narquoisement face à leurs efforts. Devant leur crime. Tout prenait un sens qui ne devait pas être perverti. Le bois chuchotait, suppliait. Oui, Henry écouta, tandis que tout son être se consumait sous le soleil intérieur. La voix de l’astre lui murmura de suivre la voie du sang, pour que puissent encore dormir une éternité durant les secrets de ce lieu.

Pour faire cesser cette mascarade, ses doigts trouvèrent le cou du technicien le plus proche.

« En raison d’une fort mauvaise préparation, notre estimé archéologue, Henry McMarty, souffre d’une insolation aiguë de type hallucinatoire dont il peine encore à se débarrasser aujourd’hui. Toutefois, Incop Transgene tient à rassurer tout le monde : les recherches ont été un véritable succès, et notre firme sera ravie de vous présenter le fruit de ses explorations lors d’une prochaine exposition. Nul doute qu’il s’agira d’un évènement sensationnel, exceptionnel. Unique, à bien des égards. Retrouvons maintenant… »

— Izia, est-ce que tu pourrais m’écouter une seconde, s’il te plaît ?

La voix lointaine, habituelle, perça sa bulle de tranquille concentration, flèche cruelle.

Difficile pour Izia de ne pas sursauter : l’aigreur du ton ne cachait pas des notes désespérées. Elle détestait quand Alice parlait ainsi. Cela annonçait de la douleur, des ennuis. Des disputes, surtout. Agacée, Izia arracha avec regret son regard de l’écran cathodique, quasi antique, qu’elle fixait depuis plusieurs heures. Une crampe à la main à force d’avoir pianoté, elle délaissa la passionnante interview d’un archéologue d’Incop Transgene qui promettait l’organisation d’une exposition incomparable. Des mensonges qu’elle prétendait boire comme du petit lait et que ses amis virtuels lui relayaient avec force ironie.

— Je t’entends, Alice, soupira-t-elle. Mais arrête de crier, ce n’est pas comme ça que je vais m’intéresser à ce que tu me dis…