Lord Northcliffe - Andrée Viollis - E-Book

Lord Northcliffe E-Book

Andrée Viollis

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— Mais qui est donc ce lord Northcliffe ?
— Northcliffe ? répondit laconiquement un Américain, c'est la puissance de l'Angleterre... !
Homme d'affaires, homme d'action, homme de pensée, le tout à un degré éminent, exerçant une profonde influence sur l'opinion du monde par les nombreux et puissants journaux qu'il dirige, ayant refusé plusieurs portefeuilles pour garder son indépendance, et résolu de mener la guerre jusqu'à la victoire indiscutable et totale, veillant maintenant sur la paix en vigie impérieuse et tenace, lord Northcliffe occupe, en effet, une situation unique.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Andrée Viollis, née le 9 décembre 1870 aux Mées et morte le 10 août 1950 à Paris, est une journaliste et écrivaine française. Figure marquante du journalisme d'information et du grand reportage, militante antifasciste et féministe, elle a été plusieurs fois primée et s’est vu attribuer la Légion d’honneur. De nationalité française, Andrée Viollis est née au sein d’une famille bourgeoise cultivée. En 1890, après l’obtention de son baccalauréat, elle passe trois ans en Angleterre en tant que préceptrice, tout en suivant des cours à Oxford. Elle poursuit des études supérieures en France et obtient une licence ès-lettres. Elle s’oriente vers le journalisme et fait ses débuts au sein du journal féministe La Fronde de Marguerite Durand où elle découvre le journalisme d’investigation et d’idée. À partir de 1914, elle s'engage sur le front en tant qu'infirmière. Le Petit Parisien publie ses reportages auprès des blessés et l'envoie en 1917, à Londres interviewer le Premier ministre anglais. Ensuite, elle s’oriente vers le grand reportage et couvre les domaines les plus divers : manifestations sportives, grands procès, interviews politiques, correspondance de guerre.

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ANDRÉE VIOLLIS

Lord Northcliffe

– 1919 –

 

PARIS

LIBRAIRIE BERNARD GRASSET

61, RUE DES SAINTS-PÈRES,

MCMXIX

 

LORD NORTHCLIFFE

Une force de la nature... ou de la science

Dans un salon où se trouvaient réunis plusieurs représentants des Alliés, un Français, rare survivant de cette faune aujourd'hui disparue qui ne voulait rien connaître en dehors de l'enceinte des fortifications parisiennes, demandait tout à coup :

— Mais qui est donc ce lord Northcliffe ?

— Northcliffe ? répondit laconiquement un Américain, c'est la puissance de l'Angleterre... !

Homme d'affaires, homme d'action, homme de pensée, le tout à un degré éminent, exerçant une profonde influence sur l'opinion du monde par les nombreux et puissants journaux qu'il dirige, ayant refusé plusieurs portefeuilles pour garder son indépendance, et résolu de mener la guerre jusqu'à la victoire indiscutable et totale, veillant maintenant sur la paix en vigie impérieuse et tenace, lord Northcliffe occupe, en effet, une situation unique.

Il est non seulement une des personnalités les plus connues de notre temps, mais une des plus discutées. Il emplit l'Empire britannique de son nom. Qu'on ouvre un journal, une revue, il est question de lui ; qu'on assiste aux débats de la Chambre, à un meeting, à un congrès, encore lui ; qu'on entre même dans un théâtre, toujours lui. Dans une pièce du populaire Barrie, jouée l'autre hiver, un certain lord Times apparaît de temps à autre, comme un diable sort d'une boîte, et crie d'un ton impérieux : « It must be done ! Il faut que cela se fasse !... » Un beau jour, Horatio Bottomley, directeur d'une revue tapageuse, le John Bull, faisait promener à travers Londres de grands placards sur lesquels on lisait : « Northclidfe sends for the king. Northcliffe envoie chercher le roi... » Si on cause paisiblement entre amis et qu'on cite son nom, le débat se passionne, s'enflamme, on attaque et on défend, on exalte et on injurie, on se lance à la tête épithètes et arguments : — « C'est un ambitieux sans scrupules, un dictateur ! — Les forts doivent gouverner ! — C'est un esprit changeant, une imagination déréglée ! — Un admirable prophète, un génie constructeur ! — Un jaune ! — Le courage le plus indomptable ! — Le plus impudent ! — Un patriote, en tous cas !... » A ces mots, la dispute s'apaise, l'accord s'établit. Amis et ennemis s'entendent sur ce point : « C'est un patriote, c'est l'homme qui a prédit la guerre, l'homme qui a voulu la victoire et l'a eue... »

Il faut le connaître pour comprendre le secret de l'empire qu'il exerce, de l'agitation qu'il soulève.

Vous avez vu des tanks ? Quand une de ces machines formidables en même temps que. prodigieusement intelligentes s'en va droit son chemin, sûrement, inéluctablement, qu'elle broie les réseaux de fil de fer, écrase les sacs de terre, déracine les arbres, enjambe les fossés et les tranchées, renverse tous les obstacles avec un paisible, un effroyable dédain, on sent que rien ne pourra l'arrêter. Telle est à peu près l'impression que donne à première vue lord Northcliffe. C'est une force de la nature — ou de la science.

Quand il est présent, on ne voit, on n'entend que lui. Il semble, sans effort et comme naturellement, absorber tout l'air respirable. Je le revois tel qu'il m'apparut pour la première fois dans son cabinet du Times, debout devant la monumentale cheminée aux flammes vives, la tête rejetée en arrière sur son cou de lutteur, les épaules carrées, les poings derrière le dos, sa haute taille solide tendue dans une attitude de défi. De profil, les traits sont nets, dessinés d'un seul jet pur et hardi ; de face, ils se ramassent en un ovale d'une structure massive, à la mâchoire puissante et obstinée : le profil de Napoléon dans la face de John Bull. Ses yeux gris bleu, au regard vif qui parcourt, note et saisit, se fixent parfois violemment avec l'éclat dur d'un trait d'acier.

Le voici qui se promène de long en large ; il s'assied, il se lève, se penche vers une table, consulte une carte, un livre, saisit son téléphone, lance un ordre, prend une note, le tout en une minute. Et il parle. Des phrases pressées, explosives, chargées de faits et d'idées, se succèdent en brefs éclairs. Mais plus souvent il écoute, se bornant à diriger l'entretien par des questions rapides, brusques qui précisent la pensée, la pressent, en font jaillir le suc essentiel. Parfois quand il s'anime ou s'irrite — cela lui arrive ! — ses lèvres se tordent sur les mots et les lancent brusquement avec cette crispation de la main qui jette une bombe. Les yeux noircissent. La figure rougit. Mais tout à coup il se laisse tomber dans un fauteuil avec une aisance abandonnée, il rit, il plaisante, — humour britannique ou boutade celte — et ses traits prennent une expression presque enfantine de gaîté, d'amicale confiance. Il peut être dur, il sait être bon. Mais c'est par dessus tout un combatif, une volonté inspiratrice, un semeur de pensées et d'action, — un animateur, comme on dit en Italie. Et sa vie, — la vie d'un homme qui s'est fait lui-même, — constitue une leçon unique de travail, de persévérance, d'énergie.

La famille Harsmworth

Alfred, Charles, William Harmsworth, vicomte Northcliffe, naquit en Irlande, en 1865, d'un père anglais, avocat du Middle Temple à Londres, mais à cette époque inscrit au barreau de Dublin, lettré délicat dont il tient ses dons d'orateur et ses aptitudes littéraires, et d'une mère irlandaise qui avait dans les veines du sang écossais Il doit à l'élément celte sa fougue audacieuse, son caractère généreux et violent par saccades, son bel optimisme rebondissant ; à l'élément anglo-saxon, sa lucidité réfléchie, sa redoutable et inflexible ténacité.

Une photographie le représente à l'âge d'un an sur les genoux de sa mère. La tête posée droite et fière sur les épaules menues, le front bombé, étonnamment large et haut, mais surtout le regard des prunelles limpidement ouvertes sur le monde, avec une expression à la fois pensive et ravie, sont étrangement suggestifs. De la mère, on ne voit sous des cheveux en bandeaux que le front au beau modelé, le profil tendrement incliné et le geste de deux mains qui enveloppent d'une caresse protectrice le corps allongé et nu de son premier-né. On sent qu'elle n'est là que pour lui. S'aperçoit-elle même qu'elle s'efface ? C'est qu'elle fut mère avant tout, une mère admirable.

Elle eut treize enfants, que, restée veuve de bonne heure elle sut élever avec une énergie pleine de douceur et qui entourent maintenant sa vieillesse d'un culte fait d'amour et de gratitude. Elle est la seule femme au monde qui ait quatre fils au Parlement : deux à la Chambre des Lords, Lord Northcliffe et Lord Rothermere qui, ministre de l'Aviation, organisa si brillamment l’État-major de l'air et effectua la délicate fusion de l'aviation militaire et navale ; deux à la Chambre des Communes, dont l'un, Sir Leicester Harmsworth, recevait dernièrement le titre de baron et, tandis que l'autre, Cecil Hamsworth, secrétaire parlementaire de M. Lloyd George, fut chargé de diriger pendant la guerre l'industrie de la pèche, si importante en Angleterre.

Lord Northcliffe, parlant de sa mère, décrivait cette vie d'ordre équilibré, de simple activité et tout l'intérêt, toute la part que, malgré son âge, elle prend à la guerre et aux œuvres de guerre.

— Elle est aussi intellectuellement active qu'une femme de trente ans, my very wonderful mother! concluait-il avec émotion.

Où qu'il se trouve, et Dieu sait s'il a voyagé, lord Northcliffe écrit ou télégraphie chaque jour à sa mère. Quand il est en Angleterre, malgré la tâche écrasante à laquelle il doit suffire, il s'efforce de lui consacrer au moins une journée par semaine. Elle est restée le lien vivant et l'âme de cette famille où frères et sœurs s'aiment et s'épaulent avec une solidarité dans l'affection plus rare en Angleterre que chez nous, car le cercle du foyer y est moins étroit. Quand on étudie la vie d'un homme célèbre : « Cherchez la mère », devrait-on dire. Dans le cas de lord Northcliffe, on cherche et on trouve.

Un journaliste de 15 ans

Il quitta l'Irlande dès sa première enfance, son père étant venu s'installer à Londres, dans un de ces , grands faubourgs où des kilomètres de cottages vêtus de lierre et de vigne vierge s'alignent au milieu de jardins verts. Il y a encore des gens à Hampstead qui se souviennent des jeunes Harmsworth, garçons robustes, joyeux, bruyants, très sportifs, qui, jouaient au football et à la raquette, vagabondaient à travers la campagne et fréquentaient une école secondaire du voisinage, analogue à nos lycées. Alfred Harmsworth n'a rien du fort en thème et devait étouffer dans l'atmosphère confinée d'une classe. C'est la vie qu'il fallait comme livre à ce jeune esprit curieux, impatient, avide d'émotions et d'action. Mais comme il avait également le goût de penser et d'écrire, le journalisme lui sembla réaliser ce double idéal. Ce fut une vocation précoce, irrésistible, à laquelle il sut rester fidèle. Il aima toujours passionnément son métier. Peut-être est-ce le secret profond de sa force et de son succès.