Marais mouvant dans le Golfe - Jean-Jacques Égron - E-Book

Marais mouvant dans le Golfe E-Book

Jean-Jacques Égron

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Beschreibung

Gaspard Laine, un retraité alerte, trouve un drôle d’oiseau… mort, dans la réserve ornithologique des marais de Séné : c’est un jeune homme qui a été assassiné.

La recherche de son meurtrier va désormais l’occuper, lui qui s’ennuie un peu aux Bruyères, une maison de retraite. Ne faisant confiance qu’à Clément, son neveu lieutenant de police, il va décider de mener l’enquête, entouré d’une fine équipe : sa femme, Eugénie ; une autre résidante tout aussi dynamique, Zélie Lantoure, surnommée miss Marple, ainsi qu’Émile, un employé de l’établissement. Ces quatre-là, après bien des péripéties, et notamment la découverte d’un nouveau meurtre, vont s’apercevoir qu’on ne s’improvise pas enquêteur si facilement et qu’il faut faire preuve de beaucoup de patience et d’intelligence. Mais une ténacité à toute épreuve palliera leur manque d’expérience et leur permettra de mener à bien cette aventure hors du commun.

Une équipe de choc pour une intrigue haute en couleur ! Découvrez le premier tome des enquêtes de Gaspard Laine !

EXTRAIT

J’ai dit qu’ici, nous nous ennuyons à mourir ; en effet, nous sommes entourés pour la plupart de “vieux croûtons” qui nous polluent la soupe, ajoutons qu’ils sont exigeants et édentés et nous aurons un tableau complet. Ils passent leur temps à embêter le monde des autres, car ils sombrent dans l’oisiveté. Certains sont aussi d’un gâtisme absolu et je passe sous silence les Alzheimer azimutés.
Dès que je le peux, je laisse Eugénie jouer à la belote – elle adore ça – avec trois gâteux qui mélangent les cartes en même temps que leurs neurones et je lève le pied dans ma voiture sans permis – pour ne pas dire voiturette, avec l’art de la périphrase – un superbe méga break Aixam de couleur rouge flashy. Je fonce à 45 kilomètres à l’heure sur les routes autour de Vannes, puis je me gare dans un coin tranquille à l’abri des regards indiscrets, et je pars pour ma randonnée quotidienne dans l’air pur du climat breton.
Ce jour-là, j’avais décidé d’explorer les marais de Séné, vers la réserve d’oiseaux de Falguérec. Et j’y ai découvert… un drôle d’oiseau. Il était bel et bien mort et plus, ça ne faisait pas de doute. Le jeune homme à peine pubère (genre le Grand Meaulnes) gisait sur le dos, tout juste caché par un tas de feuilles, à proximité d’une allée dallée en bois. Je ne pouvais plus rien pour lui. Je l’examinai de plus près et constatai qu’à l’image du Dormeur du Val, il avait deux trous rouges au côté droit. Arthur Rimbaud se rappelait à moi.
Mais à cette différence près… ce n’était pas de la poésie… c’était un mec assassiné !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Paris, Jean-Jacques Égron a passé son enfance dans le Morbihan. Après des études littéraires, il exerce diverses professions ; il est désormais retraité sur la presqu’île de Rhuys. Il a déjà publié 5 romans policiers. Marais mouvant dans le Golfe est son premier roman aux Éditions Alain Bargain...

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

Un merci particulier à Carole David pour ses conseils éclairés.

I

Je m’appelle Gaspard, Gaspard Laine, j’ai soixante-dix-neuf ans, je vis aux “Bruyères”, une maison de retraite, appelons les choses comme il se doit, avec Eugénie, soixante-dix-sept ans et des brouettes – on a mis lourd dedans – née Crocheteux, on n’est en rien responsable de son patronyme, pas vrai ? Les voies de l’onomastique sont impénétrables…

Quand je dis : je vis, faut le dire vite… je m’encroûte plutôt et, en définitive, je me meurs entre ces quatre murs qui vont se transformer inéluctablement en planches, tant des uns aux autres il n’y a qu’un pas. Nos enfants nous ont gentiment conseillé d’habiter ici, depuis un an. Ils avaient besoin de notre maison pour eux et leurs petits, il est vrai qu’il y a la crise du logement et la crise tout court sur le gâteau et qu’il faut bien un lieu de rencontre familial pour les… vacances. Ne seront-ils pas tranquilles sans nous deux dans leurs pattes ? D’autant qu’ils seront bien là-bas, elle est vaste et elle donne sur la mer. Ce fut un déchirement pour Eugénie et moi, car on avait fait corps avec cette demeure, une bonne trentaine d’années, alors ce furent des cris et des larmes quand nous dûmes nous séparer et ce n’est pas elle qui pleurait le moins. Les maisons ont un cœur sous la pierre.

J’ai fait le tour du monde – le tour des gens aussi – j’ai été président d’associations et j’ai désormais tout arrêté, car il y a un temps pour tout.

Nos enfants partaient du postulat que, dès qu’on met quelqu’un au monde, on lui doit assistance, tant que besoin, et lui offrir le meilleur de ce que l’on a. Moi, bien sûr, j’ai maugréé par principe, je maugrée toujours pour me laisser le temps de réfléchir, mais Eugénie, qui a l’impression d’avoir pondu les huitième et neuvième merveilles du monde – un garçon Alban et une fille Claire, qui ont proliféré en cinq moutards – elle a moufté que c’était normal, vu que nous, on pouvait maintenant se contenter d’un petit périmètre et ça leur ferait du bien l’iode, aux petits-enfants. Elle est toujours allée franco au-devant de leurs désirs, ce n’était pas maintenant qu’on allait la changer.

C’est vrai que je ne peux la blâmer, elle est bonne comme du pain blanc – même si on a du mal à casser la croûte à nos âges. Je l’affirme, la main sur le cœur, elle a le cœur sur la main. C’est d’ailleurs pour ça que des tas de gens se sont essuyé les pieds dessus comme sur un vulgaire paillasson, il est devenu fripé tel un chiffon nettoyeur et elle en a gardé quelques cicatrices. Notez qu’elle a de beaux restes. Avec ses cheveux d’un blanc argenté, sa face rondouillarde et ses lunettes rondes, qui lui donnent un air ingénu d’adolescente, elle est encore tant tentante…

Eugénie, l’infirmière retraitée, s’est mise à lire comme une gloutonne, ces derniers temps, et elle s’est entichée de poésie, ce qui n’est pas fait pour me déplaire, moi l’ancien éducateur spécialisé. On a même décrété, pour que le temps passe agréablement plus vite, qu’on se lirait un poème tous les soirs, à tour de rôle, tant il est vrai que les vers aiguisent nos sens et ça, à pas d’âge.

J’ai dit qu’ici, nous nous ennuyons à mourir ; en effet, nous sommes entourés pour la plupart de “vieux croûtons” qui nous polluent la soupe, ajoutons qu’ils sont exigeants et édentés et nous aurons un tableau complet. Ils passent leur temps à embêter le monde des autres, car ils sombrent dans l’oisiveté. Certains sont aussi d’un gâtisme absolu et je passe sous silence les Alzheimer azimutés.

Dès que je le peux, je laisse Eugénie jouer à la belote – elle adore ça – avec trois gâteux qui mélangent les cartes en même temps que leurs neurones et je lève le pied dans ma voiture sans permis – pour ne pas dire voiturette, avec l’art de la périphrase – un superbe méga break Aixam de couleur rouge flashy. Je fonce à 45 kilomètres à l’heure sur les routes autour de Vannes, puis je me gare dans un coin tranquille à l’abri des regards indiscrets, et je pars pour ma randonnée quotidienne dans l’air pur du climat breton.

Ce jour-là, j’avais décidé d’explorer les marais de Séné, vers la réserve d’oiseaux de Falguérec. Et j’y ai découvert… un drôle d’oiseau. Il était bel et bien mort et plus, ça ne faisait pas de doute. Le jeune homme à peine pubère (genre le Grand Meaulnes) gisait sur le dos, tout juste caché par un tas de feuilles, à proximité d’une allée dallée en bois. Je ne pouvais plus rien pour lui. Je l’examinai de plus près et constatai qu’à l’image du Dormeur du Val, il avait deux trous rouges au côté droit. Arthur Rimbaud se rappelait à moi.

Mais à cette différence près… ce n’était pas de la poésie… c’était un mec assassiné !

II

Me connaissant comme je me connais, ma première réaction fut de prendre mes jambes à mon cou, quoiqu’elles soient moins allantes. Ce que je fis. Puis je me suis dit après coup, peut-être serait-il bon de prendre l’avis d’Eugénie et de la mettre dans la confidence par rapport à ma découverte. En tant qu’ancienne infirmière, elle aurait sans doute des remarques intéressantes à faire. Sur le même coup, j’ai pensé que, depuis le temps que je m’ennuie à regarder le bout de mes godasses, je tenais là une occasion de frissonner à nouveau, de pimenter ma fin de vie pour qu’elle soit moins fadasse, de rajouter des légumes à mon potage ou de tricoter des mailles qui m’habilleraient chaudement pour l’hiver.

Je revins dare-dare à la case maison de retraite et j’expédiai les trois compagnons beloteurs de ma femme en trois temps et quatre mouvements.

— Eugénie, allons dans nos appartements, j’ai à te causer…

Parfois, je phrase riche, ayant eu constamment à cœur de me rapprocher du langage enfant/pré-ado afin de me mettre à leur portée. Je n’avais plus à me préoccuper de la compréhension de mes concitoyens.

D’autres fois, je m’affranchis de toute morale grammaticale ou lexicale en parlant la langue de la rue qui m’a si souvent manqué. Pendant très longtemps, bien droit sur les barreaux de l’échelle sociale, j’ai tenu mon rang. Il était bon, à ce moment-là de mon existence, de me montrer différent, de ne plus avoir de contraintes linguistiques. Se lâcher dans le langage, une jouissance infinie ! Une liberté lénifiante !

J’étais encore tout tremblant de la vue du macchabée et je m’assis sur le lit, à côté de ma moitié qui avait plutôt tendance à devenir mon quart – soyons réalistes – mais c’est le lot de tout humain qui vieillit.

— J’ai trouvé un jeune homme mort pendant ma promenade.

— T’es tombé sur la tête, mon vieux, tu dysfonctionnes de la cafetière, t’allumes plus à tous les étages ? Si on la laisse dire, Eugénie, elle est capable de pondre un dictionnaire de mots grossiers sans qu’on puisse arrêter son moulin. Elle a besoin, elle aussi, de se déchirer le voile du palais pour mieux dégoiser à son aise.

Je la regardai alors dans l’œil, du regard le plus hypnotique possible.

— Non, là, je ne blague pas, c’est du sérieux. À mon avis, le gus a pris du plomb dans l’aile et on a confondu l’emplumé avec un oiseau migrateur, genre palombe, et on l’a farci.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— La vérité, si je mens ! Le mec est devenu extrêmement un cadavre et je t’épargne les détails qui vont avec. Je voudrais que tu viennes avec moi pour me donner ton opinion de professionnelle de la santé, car t’en as vu d’autres…

Quand on la prend par les sentiments, Eugénie, elle succombe souvent à nos raisons. Elle ne dérogea pas à ses règles et accepta de m’accompagner.

— Mais il nous faut des témoins, m’assura-t-elle, ce qui était frappé au coin du bon sens.

Il y avait deux personnes aux Bruyères que j’appréciais particulièrement : Émile, l’ASH, et Zélie Lantoure que je surnommais Miss Marple, eu égard à ses dons de fouine. Elle passait son temps à épier les moindres faits et gestes, à espionner les mouvements divers, urbi et orbi. Elle poursuivait ainsi les investigations de son ancien métier : elle avait été généalogiste.

Je n’eus aucun mal à convaincre les deux zigotos qui se voyaient confier là une mission d’importance et c’est dans le véhicule d’Émile – plus confortable que l’Aixam, une 2 CV verte, avec un volant en peau de mouton – que nous nous rendîmes tous les quatre sur les lieux du crime – ça ne pouvait pas être un suicide. Même de l’écrire après coup, me fait froid dans le dos. Alors imaginez dans quel stress nous étions dans ces dramatiques instants…

* * *

Le mort n’avait pas bougé un cil.

Eugénie le retourna dans tous les sens, aidée en cela par Zélie et Émile. Ils se montrèrent très nerveux, ils envisageaient d’avance les ennuis qu’on pourrait avoir avec les flics en bougeant le cadavre. Elle constata que sa mort remontait sans doute à plusieurs jours et qu’au moins deux balles l’avaient estourbi.

— Il faut prévenir les flics, dit Émile, engoncé dans son accent de paysan breton.

— Je me disais… je fis semblant de réfléchir… qu’on pourrait mener l’enquête tous les quatre, comme des grands. Ne me dites pas que votre vie vous plaît dans ce trou à rats. Même si on a que celle-là, ce n’est pas du grand luxe !

Les deux femmes en convinrent aisément, tout excitées à l’idée, mais l’ASH se montra réticent, il était en activité et il avait peur que madame Matignon, la directrice, lui fasse des ennuis. Peut-être aussi ne se voyait-il pas “fricoter” avec trois vieux déjantés… Il nous gratifia de son soutien officieux, il nous aiderait dans la mesure de ses moyens.

— Je ne veux pas d’ennuis, vous êtes à la retraite – il évita le mot “rebut” – et vous ne risquez pas d’être virés, la mère Matignon a trop besoin de vos pépettes. Quant à mon poste, y’en a quarante qui attendent sur le trottoir pour entrer.

Après tergiversations dont je vous épargne les détails, le pacte fut conclu, chacun étant tenu au secret professionnel sur les éventuelles découvertes.

Il fallait prévenir les poulagas sur l’heure, car le jeune, sans doute bien sous tous rapports, avait une famille et celle-ci devait se morfondre. C’est donc en déguisant ma voix et en mettant un mouchoir sur le combiné téléphonique que j’alertai la police. Quand la voix au bout du fil me demanda de décliner mon identité, naturellement, je ne pipai mot.

C’est ainsi que nous attendîmes, impatients, les jours suivants que l’enquête démarre. Je supputai que les flics, qui ont d’autres chats à fouetter – ils préfèrent contrôler la vitesse que courser les criminels, c’est moins risqué – se casseraient le bec sur cette énigme. Et que tous les quatre, unis dans une saine complicité, en unissant nos forces et nos potentiels, nous nous lancerions sur la piste du ou des malfaiteurs qui avaient fauché un blé en herbe.

III

Les médias régionaux, bientôt relayés par les chaînes et journaux nationaux, relatèrent le fait divers sordide.

La victime, âgée de vingt-trois ans, avait été tuée de deux balles de calibre 22, dont on avait retrouvé les douilles sur le sol, les mêmes que les projectiles extraits du corps de la victime. Il n’existait pas de marques de défense, il apparaissait donc que le jeune homme avait pu avoir rendez-vous avec son meurtrier. Les journalistes donnaient un luxe de détails, obtenus sous le terme vague de « sources proches de l’enquête », sans que personne ne sache exactement quelles étaient ces sources et comment elles étaient alimentées. Ils précisaient qu’on avait pu reconstituer une partie de la journée du défunt. Il avait déjeuné avec ses potes dans un Mac Do de Vannes, puis il était parti seul sur sa moto de 125 cm3 (une Honda Varadero) et ils ne le revirent jamais plus. Le meurtre avait eu lieu dans la nuit du 30 juin, entre deux et quatre heures du matin.

Il se trouva qu’un des résidants lucides des Bruyères, Pierre Lequeux le bien-nommé, connaissait le jeune homme. Il passait son temps à aboyer dans les couloirs que « Jonathan Dalban, c’était pour ainsi dire quelqu’un de sa famille et qu’il trouvait ce crime terrible ; si c’était pas une honte… »

Eugénie l’invita chez nous pour l’apéritif et nous nous retrouvâmes avec Zélie Lantoure (miss Marple), tous les quatre autour d’un verre de porto. Pierre Lequeux était un vieux de quatre-vingt-dix balais écorniflés, avec qui on pouvait avoir des conversations. Il avait toujours été un adepte de la dive bouteille et il fréquentait plus qu’à son tour, le Bar des Chasseurs, à deux pas des Bruyères.

Eugénie lui servit un troisième verre et le mec, pourtant habitué, commençait à avoir le regard vague. Il faut dire que l’hôtesse, connaisseuse de l’âme humaine, lui avait octroyé le traitement de choix et de choc des gens de marque : de bonnes rasades de porto dans des verres à bière. Louons le découvreur lusitanien de cet alcool béni des dieux, qui délie les langues et met le feu au corps. Mon ami Pierrot dit :

— Je connais bien Isabelle et Luc, ce sont ses parents, ils habitent Theix, dans une petite longère. Elle fait des ménages chez les gens et lui est chauffeur routier. J’ai été leur voisin pendant plus de dix ans et y’a jamais eu d’embrouilles, ils m’invitaient souvent à manger. Pour les remercier, j’entretenais leur jardin.

Je questionnai l’aviné qui ne demandait que ça :

— Et alors Pierre, ils avaient des ennemis ou des gens qui leur en voulaient ?

Son esprit embrumé d’alcool avait des absences, aussi dut-il réfléchir un moment.

— Y’a bien un autre voisin, un con, celui-là… Les Dalban lui avaient vendu un bout de terrain et il disait qu’il l’avait payé trop cher. Qu’ils avaient dépassé les bornes ou quelque chose comme ça…

Zélie Lantoure lui demanda d’autres détails sur les Dalban, sans avoir l’air d’y toucher, elle apprit par bribes que c’était un couple banal où la passion des débuts avait fait place à un amour tendresse, comme dans la plupart des cas. Bref, ils vivaient l’un à côté de l’autre mais plus, l’un dans l’autre. Sa façon d’interroger Pierre Lequeux, mine de rien, me complut énormément, me prouvant que j’avais eu raison de l’enrôler.

Eugénie nous fit signe d’arrêter de l’inquisitionner, il était si terne à terme, ce que nous fîmes volontiers car il m’avait donné un début pour tirer la pelote de laine. Et le début, c’était ce qui nous manquait pour vraiment commencer.

Il m’apparut que ce jeune mort n’avait pas croisé ma route par hasard et qu’il me donnait là l’occasion de défroisser mes neurones ankylosés et de trouver un regain d’activité. On s’encroûte vite quand on ne conduit plus que le train-train quotidien.

IV

Avant de me lancer sur la piste du ou des coupables, il se produisit un événement contrariant : en effet, en milieu de matinée, une descente de flics. Ils sont arrivés, discrets comme tout, toutes sirènes hurlantes. Trois sont sortis de la voiture et un autre est resté au volant. On connaît leurs velléités de fuite quand le temps se couvre… Le trio s’est précipité vers le bureau de la dirlo.

Il faut bien en parler. Madame Matignon, Lucienne de son petit nom, dirige sa maison d’hôtes – non labellisée Gîtes de France, faut pas exagérer ! – de main de maîtresse. Ce n’est pas que Lulu soit plus mauvaise qu’une autre, mais pas meilleure non plus. Pour cacher ses faiblesses, elle est rigide comme un morceau de bois et elle nous inflige ses méthodes militaires, disant que les vieux c’est comme des enfants, il faut leur fixer des limites, sinon ils en profitent. C’est une petite bonne femme rondouillarde, aux cheveux courts, qui a toujours eu du mal avec son physique, donc elle compense, imitant par là les roquets qui aboient souvent plus fort que les molosses. Elle a toujours en poche des remontrances qu’elle balance au gré de ses humeurs, tout au long de la journée. Et ne parlons pas du savoir-être envers le personnel ; Émile notamment, aurait mille raisons de l’envoyer promener. Tout le monde se plaint d’elle, mais elle a des accointances avec la mairie, on dit qu’elle “couche” et elle n’a jamais été inquiétée. Son mari, Robert, d’ascendance américaine, que l’on voit peu ici, l’attend à la maison et exerce son autorité, donc Lulu s’écrase devant lui et se venge à l’extérieur.

Bref, trente secondes plus tard, elle a déboulé – chef de meute – avec les trois flics à la mine patibulaire sur les talons et le quatuor infernal s’est dirigé vers Eugénie et moi qui bavardions tranquillement avec Lucette, une aide-soignante sympa comme tout.

— C’est lui ! elle a fait comme ça, la mégère, en me pointant du doigt.

J’ai tout de suite juré mes grands dieux qu’avec ma voiture, une Aixam, je ne peux dépasser les 45 kilomètres à l’heure, voire 50 dans les descentes, mais en aucun cas, commettre un excès de vitesse, juste pour les limitations à 30 et là, j’étais vraiment désolé « d’avoir excédé vos appareils ».

Le commandant de police m’a alors interpellé d’une grosse voix en me demandant de ne pas se moquer des poulets, sinon, il pouvait m’en cuire.

— Je suis le commandant Eugène Lerabeau de Vannes – Je ne me souviens plus des identités des deux autres, un lieutenant et un bleu – Il ne s’agit pas d’un excès de vitesse, mais d’un coup de téléphone.

Je ne savais pas que c’était devenu interdit, on tourne le dos un instant et les politiques nous sortent une nouvelle loi. Tout le monde écoutait dans la salle – ceux, en tout cas, avec des oreilles en état de marche – on n’a pas tous les jours l’occasion d’assister à un spectacle. Le flic a continué son topo :

— Un coup de fil donné de la chambre numéro 20 ; c’est bien la vôtre ?

Eugénie a voulu s’en mêler pour me défendre, mais l’autre lui a cloué le bec, net. En voulant faire un acte citoyen, je m’étais découvert. Il a sentencié :

— Vous avez trouvé un cadavre.

— Je le confesse. C’est pour ça que je vous ai prévenus.

— Oui, mais vous êtes resté anonyme.

— Et alors ?

— Je vous accuse de recel de cadavre et entrave à une enquête criminelle. Vous nous avez fait perdre un temps fou avec vos cachotteries.

— Comment ça ?

— Combien de temps s’est-il écoulé entre votre découverte et l’appel à nos services ?

— Une heure… Une heure et demie… Moins de deux heures, en tout cas.

— C’est bien ça, vous avez tardé à nous prévenir, pendant ce temps, vous avez gardé le corps du délit pour vous.

— Il fallait que je revienne pour téléphoner !

— Et le portable, vous ne connaissez pas ?

Nos enfants avaient voulu nous en offrir deux, mais je n’ai jamais eu de fil à la patte et, avec cet engin, j’aurais eu l’impression d’être prisonnier. Ce n’est pas à mon âge que je vais m’envoyer volontairement en prison. Et puis ça peut donner le cancer, m’a affirmé Eugénie qui l’a entendu direct de la télé : « Ce sont des ondes maléfiques etc. etc. » Donc, pas d’oreille artificielle qui nous isole des autres !

— J’en ai pas, j’ai dit, pour couper court aux insinuations.

Il m’a cuisiné pendant de longues minutes, je lui ai affirmé que je n’en savais pas davantage, qu’ils s’en prenaient plus facilement aux victimes qu’aux coupables – Normal, ils les ont sous la main, les autres courent toujours ! – mais il était entêté comme une bourrique bretonne, jusqu’à ce que le quatrième larron qui avait garé la voiture, fasse irruption.

Et là, j’eus un choc : c’était mon neveu Clément !

Dès qu’il m’a vu, il s’est jeté dans mes bras avec émotion et il est allé embrasser Eugénie. Dame ! On ne l’avait pas revu depuis des années. Il était parti bosser à Paris et il venait d’obtenir sa mutation à Vannes. On a toujours eu tous les deux une réelle complicité. Ça a toujours été mon neveu préféré, y’a des sentiments comme ça qu’on ne peut pas expliquer – Eugénie me fait des gros yeux quand je dis ça, mais ça n’y change rien. Il venait régulièrement nous voir, on se promenait ensemble et je lui ai expliqué un tas de trucs nécessaires. À chaque fois qu’il avait une décision à prendre, il venait consulter Tonton. C’est le fils de ma sœur qui n’est pas une lumière, mais au moins, elle a réussi à pondre – avec son benêt de mari – un garçon en or.

Je ne vous explique pas la tronche que tirait notre commandant quand il a assisté à nos effusions, hésitant entre la chèvre et le chou. Clément lui a balancé sur un ton inimitable :

— C’est mon oncle ! Il n’a rien fait. Je m’en porte garant.

Un peu comme si de connaître quelqu’un de la police faisait de vous un innocent ou de croire qu’un docteur ne tombe jamais malade. L’interpellé a maugréé et il a beuglé pour ne pas perdre la face :

— Tenons-nous-en à votre découverte ! J’aurais encore des questions à vous poser. Vous viendrez déposer officiellement dans nos bureaux.

— Je sais ce qu’est la torture, j’ai fait l’Algérie, alors ça me connaît.

Je n’aurais pas dû répondre ça, mais c’est plus fort que moi, parfois les mots me sortent sans que je les invite. Il m’a fusillé du regard, signifiant que j’avais intérêt à me surveiller. Puis ils ont tourné les talons, suivis de la mère Matignon, raide comme un premier ministre qui vous annonce un plan de rigueur. Elle aussi m’a jeté un regard tueur et j’ai bien failli mourir sous les coups de ses yeux.

Je me suis dit : « C’est peut-être elle la tueuse, après tout ! »

J’aurais aimé qu’elle le soit pour que le CCAS fasse appel à d’autres candidatures, mais il y avait peu de chances à cela, malgré tout, trop occupée qu’elle était à garder son troupeau. Ce n’est pas parce qu’on souhaite une chose qu’elle se produit obligatoirement et vice versa.

* * *

Clément – lieutenant de police – est revenu nous voir dans la soirée, quand la mer s’était calmée après la tempête. Il s’amena après le repas : jardinière de légumes, saucisse-purée, à cause des crocs qui se délitent, bientôt, ils vont nous refiler des pailles pour qu’on aspire les aliments ; pour finir, un flan vacillant aux reflets bleus de gélatine, qui n’incitait pas à la gourmandise et, cerise sur le gâteau, du mixé pour les édentés. Le compréhensif nous avait ramené des kouign-amann à étouffer les chrétiens et les autres, dont on s’est beurré la lampe. Ça au moins c’était du « qui tient au corps », du solide, du breton, quoi ! C’est un prévenant, mon neveu, il connaissait nos nouvelles conditions de travail, notre maigre salaire, et il essayait d’améliorer notre situation de bagnard.

Je lui ai présenté Zélie Lantoure – minaudant – qui se montra impressionnée, et Émile, l’ASH, qui avait terminé son service. Nous nous sommes regroupés dans la chapelle pour ne pas être dérangés. S’il avait pu, il nous aurait traités de cinglés, mais il s’est retenu pour ne pas se montrer désagréable ; bien élevé, le petit ! On a partagé la pâtisserie.

Je lui ai tout retracé depuis la découverte, je lui ai aussi parlé de mon envie pressante de mener l’enquête pour me dégourdir les neurones, mais il était peu convaincu, voire perplexe.

— On a moins de fourmis dans les jambes à nos âges et il faut bien trouver des palliatifs à notre angoisse, abonnés que nous sommes aux dernières pages de Chronique d’une mort annoncée.

Eugénie m’a foudroyé net du regard, à étaler comme ça mes réflexions sur la mort devant un jeune qui ne demandait qu’à vivre. Les poteaux se sont marrés en sourdine.

Par solidarité masculine, Clément nommé Chicoine, en a convenu, mais il ne voyait pas d’un très bon œil qu’on intervienne ainsi dans le domaine privé des flics, à cause surtout des retombées radioactives collatérales.

— Y’a un assassin qui rôde et on ne connaît pas ses mobiles ni ses intentions, il pourrait bien s’en prendre à n’importe qui, surtout à ceux qui le cherchent. Si vous approchiez trop près, il aurait peut-être envie d’éliminer des témoins gênants…

J’ai quand même réussi à le convaincre, en partie, et il nous a assuré qu’il nous aiderait de son mieux, vu que notre décision était prise dans le béton. Pour commencer, il nous a donné ce qu’avaient recueilli ses collègues.

Le Jonathan Dalban, un jeune homme de bonne famille ouvrière, était un garçon discret, voire taciturne, sans antécédents judiciaires. On ne savait pas comment il avait pu se fourrer dans une histoire tordue. Il fréquentait quelques potes et faisait des études normales en terminale – qu’il redoublait – au lycée Dubuc. Ses proches n’avaient pas plus de problèmes que la moyenne. D’ailleurs, dans cette affaire, tout était moyen et pas moyen de beaucoup avancer. Ce qui laissait des chances aux apprentis enquêteurs.

Clément m’a dit que je pouvais commencer par la bande qu’il fréquentait, un “vieux” les effaroucherait peut-être moins que les policiers. Il me chargea donc en quelque sorte d’une mission de reconnaissance, tout en me demandant instamment de laisser “tante Eugénie” et Zélie en dehors de ce premier coup.

— Je veux, mon n’veu ! l’ai-je blagué, tandis qu’il quittait les lieux qu’un jour, peut-être, il rejoindrait en tant que pensionnaire, mais il avait bien le temps d’y penser. C’est tellement beau, la jeunesse !

V

Lettre de Zélie Lantoure à une amie.

« Chère Louise,

Après tout ce temps, je viens te donner de mes nouvelles. Mais il faut dire pour me faire pardonner que je n’avais rien à dire et encore moins à écrire. Je suis toujours aux Bruyères, Lucienne Matignon aussi, ce qui te donne une idée…

Figure-toi que je me suis fait un couple d’amis et nous venons d’entamer une aventure extraordinaire, aidés en cela par Émile, l’ASH, une bonne pâte qui donne son temps et ses soins sans compter. Tu sais que j’ai lu tous les bouquins d’Agatha Christie et qu’en général, je trouve l’assassin avant l’auteure elle-même, sans me vanter. C’est pour ça que Gaspard (Laine, l’ami dont je t’ai parlé) m’appelle miss Marple et qu’il a pensé à moi pour l’aider dans son enquête. Il me traite souvent d’adorable fouineuse, ce qui me fait rougir de plaisir.

Figure-toi encore, et je te demande de rester discrète là-dessus, qu’il a trouvé le cadavre d’un jeune homme et qu’il a décidé que nous allions mener l’enquête avec sa femme, Eugénie. Émile nous aidera de loin. Donc, pour en revenir à nos moutons (dontun mort), le gamin, Jonathan, gisait dans les marais de Séné, plombé de deux balles dans le corps. On s’est tout de suite posé toutes les questions d’usage : qui a fait le coup et pourquoi ? Pendant que Gaspard va interroger sa bande de copains, moi je suis chargée de fouiner, de laisser traîner mes oreilles et d’enquêter discrètement sur la famille du défunt et ses proches, pour voir si quelqu’un avait intérêt à cette mort.

C’est excitant déjà, même si on n’en est qu’au début, ça change du quotidien, et je ne manquerai pas de te tenir informée de l’évolution des événements. Je pense que ça te fera du bien et que ça te changera les idées, toi qui, hélas, maintenant, ne peux plus te déplacer qu’en fauteuil roulant.

À très bientôt.

Zélie, ton amie »

VI

C’est fort des renseignements clémentissimes de première main qu’en fin d’après-midi du lendemain, j’allais à la rencontre des jeunes sinagots. Émile, l’ASH, devait m’accompagner, mais un changement imprévu de planning l’en avait empêché. Les jeunes ne sont pas des lève-tôt, il faut leur laisser le temps d’ouvrir leurs portugaises ensablées par de la musique, de se décrocher d’avec Internet et d’avoir envoyé leur trente-six SMS quotidiens en gardant leur portable à portée de main. Grosso modo, ils se mettent en branle pour la société des autres vers 16 heures, avant, inutile de les solliciter, ce serait peine perdue.

Ils vaquaient à leurs occupations dans un bâtiment de tôle, un hangar “désinfecté”, comme ils disent, car hormis le confort de papa-maman, ils apprécient les endroits glauques où pas un chat ne mettrait la queue. Cette oasis dans le désert des jeunes était sise dans une zone artisanale entre Vannes et Séné, laissée presque à l’abandon ; les villes fluctuent au gré des modes et surtout des subventions, et celle-ci n’avait plus la cote. Devant, le terrain s’étalait en friches et la luzerne et les ronces étaient propices, me dis-je, à écarter les importuns. C’est là que je devais trouver la bande qui, selon Clément, squattait les lieux très souvent. En effet, j’entendis de la musique et des sons sortis d’un gros bidon, genre Tambours du Bronx. Ils refont le monde rien que pour eux, et ils fument du chichon pour s’aider dans cette entreprise de réfection. Ils agissent dans les bas-fonds et non en pleine lumière, c’est pourquoi les adultes croient qu’ils sont contents de leur sort, car ils cachent leur spleen dans les poubelles.

Un guetteur, la jambe repliée contre le pilier d’entrée, sifflotait et faisait semblant de rien, mais dès que je pointai le museau, il ouvrit la paume de la main pour m’entraver, sans dire un mot.

— Y’a pas quelqu’un là-dedans à qui je pourrais parler ? demandai-je en jetant un œil à l’intérieur.

J’entrevis qu’ils étaient une bonne quinzaine, certains assis, d’autres allongés, des filles et des gars au regard torve, vêtus comme l’as de pique de jeans troués, les lacets dénoués, les cheveux courts, d’autres longs, des blacks, des blancs, des beurs, comme on mélange maintenant, apparemment tous unis dans le même ennui.

Un des mecs fit signe à celui de l’entrée de me laisser passer, puis il s’avança vers moi. Il portait des boucles aux oreilles, des bagouses plein les doigts et un piercing dans le nez. Sans doute le boss de la bande, tant les hordes ont besoin d’un chef de meute.

— Qu’est-ce que tu veux, le vieux ? C’est défendu d’entrer ici si on n’est pas invité…

J’essayai de me laisser impressionner le moins possible, en tout cas, je m’efforçai de ne pas le montrer, mais il avait l’air assez menaçant. J’ai dit :

— Je viens pour Jonathan.

— Qu’est-ce que tu lui veux, à Jonathan ?

On avançait pas à pas et peu à peu ; une mouette chieuse a pouffé dans le ciel, son cri a résonné au-dessus des tôles disjointes.

— Je voudrais savoir pourquoi il est mort.

— Les flics s’en occupent.