Ramdam à Damgan - Jean-Jacques Égron - E-Book

Ramdam à Damgan E-Book

Jean-Jacques Égron

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Beschreibung

Une cousinade est organisée au centre de vacances de Damgan pour l’anniversaire de l’aïeule Constance Plantar. La fête bat son plein jusqu’à ce qu’Apolline, la belle-fille, soit poignardée. Auprès de son cadavre, on découvre d’étranges cartes postales. S’agit-il d’une histoire de famille ou de tout autre chose ?

Le commandant Rosko va mener l’enquête, aidé de son fidèle lieutenant et de Marine, petite-fille de Constance et détective privée. Les soupçons se porteront rapidement sur le mari, la famille, le directeur du centre et même sur le traiteur !

Mais lors d’investigations dans toute la Bretagne sud, Rosko et son équipe feront face à un deuxième homicide.

Après de multiples rebondissements, parviendront-ils à résoudre cette terrible énigme ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Paris, Jean-Jacques Égron a passé son enfance dans le Morbihan. Après des études littéraires, il a exercé diverses professions ; il est désormais retraité sur la presqu’île de Rhuys. Il a déjà publié quinze romans policiers, "Ramdam à Damgan" est son dixième titre aux Éditions Alain Bargain.

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Couverture

Page de titre

DÉDICACES

Merci à Josiane, Carole et Michèle pour leur relecture attentive.

Une mention particulière pour Bernard qui m’a fourni d’utiles documents sur sa ville et ses habitants.

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

I

Zélie Lantoure, ancienne généalogiste s’ennuyant ferme aux Bruyères, une maison de retraite vannetaise, avait décidé sur les conseils d’une partie de sa famille – les Plantar – d’organiser une gigantesque cousinade. La préparation lui avait pris environ six mois. En plus des cousines et des cousins, elle en avait profité pour réunir plusieurs membres de sa famille autour de l’aïeule qui allait fêter ses quatre-vingts ans.

— Je crois Constance capable d’atteindre les cent ans et pourtant ce n’est pas une bonne sœur.

— Pourquoi dis-tu ça ? avait demandé Eugénie – la femme de Gaspard Laine ; le couple et leur amie Zélie avaient mené à bien une enquête dans les marais de Séné*.

— En général, ces femmes unies à Dieu flirtent avec le siècle ou le dépassent, car elles n’ont connu aucune scène de ménage, aucun stress, puisque leur amant ne les a jamais déçues ni trompées. Il reste silencieux comme un cure-dents sur leurs frasques éventuelles, ne faisant aucun commentaire, ce qui facilite la vie. Elles n’ont pas à vivre les tracas quotidiens de toute épouse, qui finissent par user le couple. Bref, elles vivent dans des conditions idéales et n’ont pas du tout à subir les tensions de la vie en société. CQFD.

Et Zélie Lantoure ajouta de façon insolemment perfide :

— Pourtant c’est peut-être une des dernières fois que la famille la voit… vivante. Je veux parler de Constance. Une maladie ou un accident est si vite arrivé. Je peux me tromper sur sa capacité à atteindre le siècle.

Zélie ne se rendait pas compte de son propre âge avancé – elle avait dépassé les soixante-quinze ans –, dans le genre « ça n’arrive qu’aux autres ».

Ce disant, le rose lui était monté aux joues, consciente après coup de sa gaffe, mais elle ne tarda pas à passer à autre chose.

Avec cette histoire et ces préparatifs, elle bassina tous les pensionnaires des Bruyères qui la regardèrent pérorer avec des yeux ronds de curiosité, n’hésitant pas à entreprendre les entendants comme les mal embouchés. Bientôt plus personne ne fut censé ignorer sa loi. Même Marthe Matignon, la directrice, fut obligée de se plier à ses commentaires et elle dut s’y soumettre avec la mauvaise grâce dont elle était capable.

Zélie avait prévu la fête à l’extérieur de la maison de retraite. Elle avait détaillé le scénario en long, en large et en travers, l’affichant même dans le hall d’accueil, alors qu’aucun des résidents n’était invité.

*

Les festivités devaient durer plus de trois jours : du vendredi soir au mardi matin, afin de laisser à tout le monde – certains venaient de très loin – un laps de temps suffisant pour profiter des retrouvailles.

L’organisateur approché avait loué un centre de vacances, à l’ombre des conifères, à Kervoyal – avec sa plage protégée des vents d’ouest, où l’on voit les dernières cabines de bain –, sur la presqu’île de Damgan – enclose par la rivière de Pénerf et l’océan Atlantique –, afin de profiter de la proximité des plages et de ses différentes activités. Zélie Lantoure avait approuvé l’initiative d’Henri Lemaître des deux mains. Elle connaissait un peu l’histoire du coin : l’essor des “bains de mer”, le chemin de fer à Ambon avant la Première Guerre mondiale avaient modifié Kervoyal et les alentours.

Ker an Diaoul, « la maison du diable » en breton, se trouvait près du bourg de Kervoyal – la perle de Bretagne dit-on –, face à l’estuaire de la Vilaine et à la ville de Piriac-sur-Mer, avec au large l’île Dumet. Ce village fait partie de Damgan devenue une commune à part entière après sa séparation avec celle d’Ambon. Le centre de vacances se situait dans un cadre de verdure et de pins propice à la méditation et surtout aux… rencontres. La résidence était composée de mobile homes, de bungalows pouvant héberger jusqu’à huit personnes, ainsi que des gîtes bretons en dur de trois pièces pour six personnes environ. Elle disposait aussi de jeux pour enfants, d’une piscine, d’un bar-restaurant et de diverses commodités offertes aux vacanciers. Ils n’avaient que peu de distance à parcourir pour humer le parfum si particulier de l’Atlantique, s’y faire bronzer ou y piquer une tête.

En parcourant les environs et notamment la cale donnant sur la plage avec ses cabines caractéristiques de style 1930, dont certaines peintes, Zélie Lantoure avait apprécié l’étang du Loch. Elle avait également été intéressée par le moulin à vent – restauré par l’association “Les Amis de Kervoyal” – édifié en 1705 et où Georges Cadoudal s’était réfugié. Son œil exercé avait lorgné jalousement sur l’habitat : des chaumières bretonnes du XVIIe, des villas du XIXe et du XXe siècle. Notamment la villa Kerfleuret, bâtie par un célèbre escrimeur, où séjourna Hervé Bazin pendant quelque temps, il l’évoqua dans son livre La mort du petit cheval ; aujourd’hui, elle est habitée par des particuliers qui y apprécient une certaine douceur de vivre. Quant à la villa Toul-Menez, elle compte un hôte célèbre, Guillaume Apollinaire, pendant l’été 1918.

Lors de sa visite au centre, Zélie avait tout de suite apprécié l’ambiance familiale et festive des lieux. Elle avait partagé son enthousiasme avec ses copains, les Laine, et elle en avait profité pour leur détailler le programme. Ils se trouvaient alors dans la chapelle des Bruyères qui leur servait de quartier général pour fomenter leurs révolutions.

— Vendredi, en soirée : accueil des convives avec un apéritif géant, accompagné d’amuse-gueule…

— On dit “amuse-bouche”, intervint Gaspard Laine, mais je préfère apéro dînatoire.

— Si tu veux, en tout cas on accueille, on boit et on mange, puis discussions débridées et retrouvailles entre ceux qui le veulent, les autres au dodo pour être en forme le lendemain. Je dispatche les familles entre les mobile homes, les bungalows et les gîtes.

— Je préfère que tu dises : « je répartis », vive la langue française ! Ne cédons pas à la facilité et aux anglicismes, insista l’amoureux de la langue de Molière.

— Et le lendemain ? questionna Eugénie.

— Pêche à pied, longe-côte, paddle, dériveur ou toute activité aquatique pour ceux qui le désirent, certains pourront même faire une croisière sur le golfe ou sur la Vilaine, moi j’accompagnerai ma cousine Constance et nous marcherons le long du rivage pour nous aérer la tête et nous vider des miasmes qu’on respire ici. Le midi, pique-nique auprès de la chapelle de Saint-Tugdual, à quelques kilomètres, et le soir, repas léger : moules-frites.

— On en arrive au dimanche, risqua Émile – l’ASH – qui venait aux nouvelles.

— Ah ! te voilà toi… Le jour du Seigneur – elle se signa en regardant le plafond – sera le clou du spectacle. Messe à 10 heures, apéro-party vers midi, repas à 13 heures et après-midi libre pour les différentes affaires à régler.

— Les comptes surtout, je suppose, comme dans toute famille qui se respecte, intervint Gaspard qui commençait à trouver le temps long.

Zélie haussa les épaules.

— Lundi, nouvelle croisière pour certains, liberté totale et absolue pour d’autres, et le soir : dîner d’adieu ou d’au revoir. Les larmes couleront sans doute à flots.

Les bons copains, voire les amis, la félicitèrent pour ce programme alléchant et ils la laissèrent aller se préparer. Il y avait du boulot !

*

Afin d’huiler les rouages – surtout pour faire ses recommandations – Zélie Lantoure avait rencontré à maintes reprises celui qu’elle appelait le Grand Organisateur d’événements : Henri Lemaître. Il s’agissait d’un quarantenaire bien planté sur un corps robuste, affublé d’un tarin impressionnant qui devait lui libérer les voies respiratoires. Il se dégageait de sa personne une impression de force et de sérénité, on lui faisait confiance d’emblée. Il avait déjà officié pour la famille à l’occasion de divers événements et on s’était toujours félicité de l’avoir choisi. Tout le monde mit volontiers son sort entre ses mains. Il fit lui-même appel à tous les professionnels nécessités par une telle fête.

Il avait notamment loué les services du traiteur “Au Buffet garni”, affable mais compétent, basé à Vannes non loin de l’hôtel de ville, qui prendrait en charge la cuisine et le service. Cet établissement était connu sur la préfecture comme le loup blanc et on le sollicitait de tout le Morbihan, même au-delà sur les quatre départements bretons. On louait son personnel discret et stylé qui s’affairait en gênant peu les clients.

Zélie, avec l’aide de quelques personnes triées sur le volet, s’occuperait de la décoration des tables et de la salle, elle se gardait le discours d’accueil qu’elle montra pour corrections éventuelles à Gaspard Laine, ainsi qu’à l’une des cousines, correctrice justement dans une maison d’édition cotée.

D’autre part, il avait été stipulé que l’aspect mercantile serait laissé de côté dans la mesure où chacun apporterait sa contribution aux différentes agapes. On avait ainsi fixé l’écot participatif à cent euros par personne, ce qui n’était pas exagéré compte tenu de l’importance des activités et bombances lors du long week-end à venir.

Le directeur du centre, André Loric, un homme à l’embonpoint important, les cheveux coupés en brosse casquant un visage couperosé, avait eu du mal à suivre Zélie pendant la visite, il soufflait comme un phoque. Mais, flairant l’aubaine, il avait accepté de quasiment privatiser le centre pour les jours que durerait la fête. Il n’y aurait que quelques habitués, ayant effectué leur réservation d’une année sur l’autre, en plus des invités.

Zélie Lantoure avait effectué plusieurs fois la visite des lieux et elle avait trouvé les équipements et les services fournis tout à fait pertinents. Elle avait demandé quelques aménagements supplémentaires à André Loric qui y avait accédé de bonne grâce, à charge pour elle, en contrepartie, de se porter garante des bonnes dispositions de ses hôtes.

Tout semblait ainsi borné et semblait se présenter sous les meilleurs auspices.

Tout ?

Eh bien, non ! Un événement imprévu et tragique, pour le moins inhabituel dans ce genre de festivités, vint ternir la fête : un homicide !

* Voir Marais mouvant dans le Golfe, même collection.

II

Reprenons le fil des événements dans leur chronologie.

Le vendredi soir, tout le monde s’était retrouvé avec une joie évidente, certains ne s’étaient vus que de loin en loin et d’autres quasiment jamais, seulement à l’occasion de quelque mariage ou quelque enterrement. Un couple arrivait d’outre-Atlantique – de Floride précisément –, mais la plupart s’étaient arrêtés aux frontières européennes. Naturellement la majorité résidait en France et le plus gros contingent n’avait pas franchi la limite des “cinq” départements bretons.

Zélie Lantoure, en maîtresse de cérémonie, avait accueilli chacun avec le sourire et avec quelques mots de bienvenue. Constance, la doyenne, était arrivée tard dans la soirée en compagnie de sa fille Abigail qui était venue seule, non accompagnée de son amie Mirta avec qui elle vivait. Constance Plantar était encore relativement alerte, avec un sens aigu de la repartie, et la résidente des Bruyères fut partagée entre l’admiration et la jalousie. Mais tout vent contraire rentra rapidement dans l’ordre ; l’aïeule se montra charmée d’être là, elle remercia chaleureusement Zélie de l’initiative et, à ce qu’elle constatait, des préparatifs pour l’occasion.

— Vous nous avez préparé une belle fête à ce que je vois…

— C’est votre fils Vivien qui m’a soufflé cette cousinade, en accord je crois avec sa sœur et son frère.

Le cocktail d’accueil s’était passé sans incident notable. Le directeur du centre, André Loric, se frotta les mains et prononça un petit laïus de bienvenue qu’il bafouilla quelque peu. Certains avaient veillé tard dans la nuit, évoquant des souvenirs familiaux qui réchauffent le cœur et l’esprit. Beaucoup, semblait-il, étaient heureux de se voir ou de se revoir.

Le lendemain, samedi, d’aucuns avaient profité de l’ambiance marine suivant ses aptitudes et possibilités. Mais tous avaient apprécié les joies de la plage, des rochers ou de la mer. Un pique-nique démesuré avait été organisé sur la plage, le traiteur ayant fait des miracles en diversifiant au maximum denrées et boissons. Le soir, ses équipes avaient eu le temps de tout remballer et de réinstaller des tables pour un banquet essentiellement constitué de moules-frites.

Le dimanche matin, idem, tout s’était déroulé de la meilleure façon qui soit. La journée avait commencé par l’inévitable messe à l’église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle à Damgan, et Zélie avait appelé Eugénie pour en narrer certaines péripéties.

— Et l’après-midi, on a eu droit à un deuxième édifice – et non des moindres. Le curé, un progressiste, pas l’un de ces rats de sacristie qui disent amen à tout et à tout le monde, a appelé un de ses potes qui nous a autorisé exceptionnellement l’entrée de l’ancienne chapelle de Pénerf, devenue l’église Saint-Pierre. Celle-ci ne s’ouvre que dans les grandes occasions : la période de Noël avec les crèches des autochtones et le pardon de Notre-Dame-de-la-Mer. On y a admiré le chœur décoré d’une superbe mosaïque. Le vicaire nous a balancé des paroles encourageantes et il a béni notre assistance, nous citant en exemple – félicitant cette communion solennelle qui élève les âmes, etc. Tu vois le tableau…

— Je vois.

— Le premier homme d’Église était venu nous voir vers midi…

— Pour l’apéro ?

— Exact et il a de nouveau proféré des paroles réconfortantes, jusqu’à ce qu’il s’emmêle dans ces mots, le pastis aidant, mais on a compris qu’il nous souhaitait bonne chance.

— Un curé progressiste au nez creux et aux lèvres délicates, pourvu d’après ce que tu me dis d’un solide estomac. Exactement comme je les aime !

Elle rappela Eugénie le lendemain.

— … Après, tout le monde a vaqué à ses affaires jusqu’au lundi et cet affreux après-midi. Une bonne escouade était partie en croisière sur la Vilaine jusqu’à La Roche-Bernard, si bien qu’il restait moins d’une vingtaine de personnes dans le centre. Les préparatifs pour le repas d’adieu allaient bon train.

— Tu ne m’as pas parlé de ton discours.

— Je crois m’en être bien sortie, les gens ont applaudi et ensuite ils ont passé leur temps à me féliciter. Il faut dire que j’ai piqué certaines expressions à Gaspard, il en a de bonnes, tu es la première à le savoir ! Merci aussi pour ton aide.

Le dimanche soir, Zélie s’était couchée, complètement vannée, comme les autres et elle fit de beaux rêves. La famille paraissait avoir été très heureuse de se retrouver et chacun se promit de remettre le couvert un de ces jours, avant que l’aïeule…

*

Abordons maintenant la funeste journée du lundi.

Gaspard Laine se promenait en forêt d’Arradon, après avoir laissé son Aixam à l’orée, il examinait les différentes essences d’arbres auxquelles il avait bien du mal à mettre un nom, admirait les voûtes de ces géants et écoutait le silence seulement percuté par des feulements ou des chants d’oiseaux. La cathédrale végétale l’impressionnait toujours autant et il se mit à prier Dieu sait qui, faisant fi pour un temps de son athéisme chronique. Son téléphone portable – il s’était finalement laissé tenter, grâce ou à cause d’Eugénie qui aimait savoir où il était – se mit à sonner.

« Zélie Lantoure » s’afficha sur l’écran.

— Gaspard ?

— Oui, c’est moi, qui veux-tu que ce soit ?

— Gaspard…

— Je suis tout ouï.

Elle semblait affolée comme une libellule portée par le vent mauvais d’une bourrasque tempétueuse et ne sachant pas très bien où il allait la faire valdinguer.

— Que t’arrive-t-il ?

— Ah ! Gaspard, tu ne devineras jamais… Tout se passait si bien, nous avons eu une si belle fête comme Eugénie a dû te raconter… Je ne te raconte pas.

Et elle raconta avec un luxe de détails. Gaspard perdait patience. Elle laissa tomber au bout d’un temps :

— J’aurais dû me méfier, dès que ça va bien en ce bas monde, ça ne va plus, il faut toujours une ornière pour t’empêcher d’aller droit.

— Arrête de philosopher à dix balles et raconte-moi plutôt ton histoire… enfin. Je n’y tiens plus. Viens-en au fait !

— Excuse, Gaspard, c’est l’émotion, elle m’étreint. L’heure est particulièrement grave.

— Que t’arrive-t-il à la fin ?

— À moi, rien.

— C’est déjà ça ! Alors à qui ?

— Une de mes cousines, la femme de Vivien Plantar, l’un des fils de Constance dont je t’ai déjà parlé. Nous avons organisé l’événement autour d’elle.

— Je sais, avant qu’elle ne casse sa pipe, tu me l’as raconté. N’oublie pas que j’ai corrigé ton discours d’accueil.

— Elle s’appelle Apolline Plantar.

— Que lui est-il arrivé ?

— Elle est morte.

— Comment ?

— Assassinée. Il faut que tu viennes !

— J’arrive !

*

Gaspard Laine vint réconforter sa copine Zélie Lantoure, mais il ne pouvait mener l’enquête, un nouveau policier était arrivé à Vannes depuis quelque temps – le commandant Rosko – et celui-là ce n’était pas un professionnel à moitié. Clément, le neveu, avait été muté à Rennes et, qui plus est, la famille Plantar comptait dans ses rangs une détective privée. Gaspard ne resta donc pas très longtemps sur les lieux. Il s’était naturellement assuré que sa copine digérait bien le fait extrêmement tragique qui s’était déroulé à son nez et à sa “barbe”.

— Tu me tiens au courant des avancées de l’enquête et surtout, reste sur tes gardes, on ne sait pas de quoi un tel meurtrier est capable, on parlera d’assassin plus tard si les faits s’avèrent prémédités.

Il l’assura de son affection.

— On espère te récupérer au plus vite, Les Bruyères apparaissent bien vides sans toi.

Et il l’embrassa dans une effusion qu’elle ne lui connaissait pas.

Elle se laissa aller, bouleversée par l’homicide qui venait de se produire. « Ah, l’émotion quand tu nous tiens ! »

*

Marine Robic exerçait ce métier connoté de mauvaise réputation depuis environ six ans et elle commençait à compter une clientèle importante. C’était la petite-fille de Constance Plantar et la fille de Gontran, le deuxième fils de la doyenne. La détective privée avait été mariée à un marginal, Donatien Robic, qui l’avait quittée sans états d’âme, et volontairement, sans doute par bravade ou par lassitude administrative, elle avait préféré conserver son nom. C’était une libre-penseuse qui ne se laissait influencer par rien ni personne. Son caractère bien trempé lui avait valu des désillusions, surtout auprès des hommes qui n’acceptaient pas qu’on se hisse à leur niveau. Elle avait son idée sur tout et s’intéressait de près à l’actualité. Cependant elle posait un œil critique sur la politique et les politiciens qu’elle considérait comme des profiteurs des faibles d’esprit et des abuseurs de pouvoir. Les différentes affaires les concernant apportaient de l’eau à son moulin. Sinon elle appréciait la littérature et les arts sous toutes ses formes, ses goûts éclectiques l’amenaient à passer de Rabelais à San Antonio, de Rodin à Léonard de Vinci, de Tal Coat à des peintres inconnus, de Petula Clark à Twenty One Pilots, etc. C’était aussi une gourmande qui croquait la vie à pleines dents : carpe diem faisait partie de son vocabulaire usuel.

La morte s’appelait donc Apolline Plantar, femme de l’aîné des fils : Vivien. Marine Robic consola son oncle comme elle put, mais sans trop insister, elle n’appréciait pas particulièrement le bonhomme ni le couple ; ils avaient toujours considéré son père comme un raté et ils ne manquaient pas une occasion de le rabaisser. Elle défendait « papa » contre vents et marées. À la trentaine approchante, Marine ne s’en laissait plus conter et elle avait une fâcheuse tendance à la franchise, ce qui ne plaisait pas à tout le monde.

Les deux frères étaient deux pôles opposés du même globe, aux tempéraments totalement différents, autant Gontran était chaleur et empathie, tourné vers autrui, timide et réservé de nature, autant l’aîné était froid, distant, expansif, peu regardant des autres et s’exprimant par de grands gestes servant à ameuter ceux qui passaient à sa portée. Elle trouvait son oncle infatué de lui-même, l’égocentrique parfait, exerçant sur sa femme et ses enfants une domination sans pareil.

Marine Robic frissonna en pensant à la mort de sa tante, lui évoquant celle possible de sa mère par association de pensée malsaine, du moins s’en ouvrit-elle de cette façon à sa tante Abigail qu’elle affectionnait particulièrement. Elle assura en effet que le meurtrier, ayant fait une première victime, allait pouvoir s’en prendre à d’autres membres de la famille Plantar et que sa mère, une autre pièce rapportée, pourrait être la prochaine sur la liste. De par son métier – où elle cherchait souvent la petite bête –, elle essaya, devant Abigail, d’imaginer le tueur. Sans doute un être froid, dénué de scrupules, qui avait tué sa tante comme on saigne un poulet. Des images épouvantables s’amoncelèrent dans sa tête et elle eut bien du mal, pendant un temps lui semblant très long, à les en faire sortir. Fouineuse, c’était ainsi qu’on la définissait la plupart du temps. Et cet homicide, commis dans sa famille, n’allait pas lui faire changer ses façons de penser.

III

Quand son mari, Vivien, découvrit le cadavre d’Apolline, il fit naturellement appel à la détective privée, avant même d’appeler la gendarmerie. Marine examina le corps, en partie recouvert par un oreiller qu’elle souleva avec précaution avant de l’enlever, une tache de sang étoilait sa poitrine. Elle trouva très étrange qu’on ait pris soin de poser un oreiller sur la victime après avoir porté le coup de lame ; elle émit ses réflexions à haute voix. Peut-être était-ce pour éviter la projection de sang ? Elle avait vu sa tante au repas de midi et elle s’était plainte d’une forte migraine, elle avait juste picoré quelques biscuits apéritifs.

— Je vais aller me reposer. À tout à l’heure…

Le « tout à l’heure », lancé à la cantonade, revêtait après les tristes circonstances un relief particulier.

Elle n’était jamais sortie de son sommeil, celui-ci s’était transformé en repos éternel. Marine Robic se plut à penser que certaines prémonitions posent un tas d’interrogations. Elle pensa aussi que sa tante avait dû s’endormir sans fermer la porte à clef. Il est vrai que son mari était parti au travail et qu’il ne rentrerait que vers 18 heures, ce qui lui laissait le temps d’une bonne sieste. Peut-être avait-elle ouvert à quelqu’un ?

Au meurtrier ou à la meurtrière…

*

En attendant la police judiciaire de Vannes, la gendarmerie de Muzillac arriva sur les lieux la première ; l’un des cousins, Aymeric Digabel, en bon samaritain, avait pris soin de prévenir leurs services. Il s’agissait d’un ancien militaire ; à cinquante ans il s’était reconverti dans le transport et il ne manquait jamais une occasion de se mettre en avant. Il avait sécurisé les lieux et demandé à tout le monde de s’éloigner. Même, et surtout, à Marine Robic, la fouineuse. Il n’avait pas vu d’un très bon œil son intrusion sur la scène de crime.

— Ne vous inquiétez pas, dit-il, je prends les choses en main, j’ai l’habitude. Je me trouvais à Paris quand eurent lieu les attentats djihadistes et je vous prie de croire que rien n’a été laissé au hasard. J’ai fait appel aux “collègues”.

— Ce jour-là, précisément, les interventions n’ont-elles pas tardé un peu ? laissa tomber Marine Robic, qui trouvait ce cousin encombrant, limite gonflant… Moi aussi je suis habituée, si tu veux savoir j’ai déjà traité un crime dans les lavoirs de Vannes. Même s’il est resté inexpliqué et que le coupable court toujours, j’ai eu l’occasion de mener diverses investigations en collaboration totale avec les instances policières et judiciaires officielles.

Ils continuèrent leur joute verbale et ce fut Zélie Lantoure qui dut intervenir. Non seulement les circonstances étaient dramatiques, mais il semblait que désormais la famille, qui avait montré jusque-là de la réserve, se déchirait ouvertement. Chacun avait des choses à reprocher aux autres.

Elle constata ainsi, même si elle le supposait fortement, que cette famille, comme beaucoup, sous des dehors d’entente cordiale se reprochait mille et un petits riens qui n’apparaissent qu’à l’occasion d’événements atypiques, en tout cas très saillants.

*

Pour parvenir au centre Ker an Diaoul à Kervoyal en venant de Vannes, ils empruntèrent la quatre-voies jusqu’à Muzillac, passèrent le lieu-dit Poulho.

— Un champ de pâquerettes ! s’exclama Julien Destrac un peu poète.

Mais en y regardant bien, c’était un champ parsemé de mouettes, il avait été labouré récemment et les volatiles étaient attirés par les découvertes dans la couche arable.

Ils traversèrent Quelescouit, prirent la direction de Kervoyal, leur destination se trouvait près de la rue du Clos-Colas.

*

Le commandant Rosko de la police de Vannes repéra rapidement ces discordes familiales en reniflant les lieux et les personnes. Johnny Rosko était originaire de Roscoff, il avait eu sa première affectation dans le Périgord et était revenu sur Vannes depuis quelque temps après un passage à Rennes. D’aucuns louaient son caractère bien trempé, d’autres ne supportaient pas son franc-parler – celui-là même qu’il affirmait inspiré de Talleyrand, son idole ; de Grand Corps Malade, un slameur qu’il tenait en haute estime, il avait à peu près la même claudication. Sa tête avait heurté le bord d’une piscine et il était resté très longtemps dans le coma. Il ne devait son prompt rétablissement qu’à une constitution robuste de sportif de haut niveau. Il avait commencé une carrière prometteuse de marathonien qu’il avait dû interrompre sine die. Ses subordonnés reconnaissaient en lui un grand professionnalisme et un sens des responsabilités qui l’amenaient à prendre à son compte certains errements de son service. Il n’hésitait pas à couvrir les siens quand ils commettaient des erreurs, erreurs bien pardonnables quand on connaît les difficiles conditions de travail policières.

Le brigadier Imbert, gendarme de son état et peu versé dans la psychologie, lui fournit les premiers éléments nécessaires à une meilleure compréhension du dossier. Le substitut du procureur de Vannes avait ouvert une information judiciaire pour homicide volontaire – qualifié de meurtre en l’état – et l’équipe du commandant avait été chargée de l’enquête, en collaboration avec la gendarmerie de Muzillac, aidée de celle de Theix-Noyalo. Il avait même été précisé par le représentant de l’État que cette coopération devrait être « étroite »… « Y’en a marre de la guerre des polices, désormais on travaille ensemble, mais quand on dit ensemble, c’est vraiment ensemble », tendent à répéter les pontes judiciaires et policiers, assénant les mots pour qu’ils entrent dans la caboche de leurs subordonnés.

*

Marine Robic fut chargée de recevoir les policiers en compagnie de Zélie Lantoure, Aymeric Digabel ayant renoncé pour un temps à ses fonctions, préférant roucouler auprès de la fille des gérants de la résidence de loisirs ; craignait-il les questions ? La détective privée allait être l’interlocutrice privilégiée du commandant Rosko, même s’il n’y voyait pas que du bénéfice. Zélie, quant à elle, devrait regagner rapidement la maison de retraite Les Bruyères, car elle animait de plus en plus d’activités et les résidents la réclamaient.

Rosko interrogea donc tout d’abord l’ex-généalogiste sur la famille Plantar qu’elle connaissait bien, et pour cause. Elle fournit un luxe de détails concernant plusieurs cousins et elle en arriva tout naturellement aux enfants de Constance, l’aïeule.

— Je peux vous parler de ses trois enfants, j’ai suivi leur évolution. Quand ils étaient tout jeunes, c’étaient les doigts de la main – elle mima le geste –, on ne voyait jamais l’un sans l’autre ; jusqu’à l’adolescence, il en alla ainsi avec des hauts et des bas naturellement. Ils revendiquèrent longtemps les slogans habituels, dont « Un pour tous, tous pour un. » Quand ils devinrent adultes, ça se gâta, on ne sait pas trop pourquoi, peut-être les pièces rapportées en étaient-elles la cause. Et maintenant, ils ne sont pas loin de se détester. Ce que le monde change tout de même… Vous découvrirez leur personnalité en les interrogeant.

— Pensez-vous qu’ils puissent avoir un lien quelconque avec la mort de la victime ?

— Je n’ai pas appris grand-chose au cours de ma vie, mais au moins une : on doit se méfier de tout le monde et en premier lieu de ceux qui paraissent le moins crédibles. Mais quand je dis ça, je ne dis rien, car je ne vois aucun d’eux trucider la belle Apolline.

— Des rivalités, des jalousies…

— Vous découvrirez cela au fur et à mesure des interrogatoires. Je ne voudrais influer en rien sur votre jugement.

Rosko ne lui répondit pas qu’il était bien difficile à quiconque d’influencer son jugement. Il la remercia pour les informations fournies et lui dit qu’il ne manquerait pas de passer la voir à la maison de retraite s’il avait besoin de compléments. Zélie s’en montra ravie, Rosko pourrait à cette occasion, rencontrer ses amis Eugénie et Gaspard Laine avec lesquels elle avait mené une enquête difficile à son terme. Cette dernière remarque fit sourire le commandant, sans qu’elle sache ce que ça signifiait exactement…

Il interrogea également Aymeric Digabel qui montra un profil bas dont les autres n’avaient pas l’habitude venant de sa part.

— Quand j’ai vu que Marine voulait s’occuper de tout, j’ai laissé tomber. Je n’aime pas perdre mon temps.

— Où étiez-vous pendant l’homicide d’Apolline ?

— Avec…

Il hésita quelques secondes et lui livra le pedigree de la fille du directeur avec qui il avait passé tout l’après-midi, ce qui fut facile à vérifier.

Rosko s’attacha du regard à une mouette qui émettait des petits rires dans l’espace multipliant l’écho.