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Michel De Montaigne: Essais E-Book

Michel De Montaigne

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Beschreibung

Les "Essais" de Michel de Montaigne, publiés pour la première fois en 1580, constituent une œuvre fondatrice de la littérature française et de la pensée humaniste. À travers un style personnel et réflexif, Montaigne aborde une multitude de thèmes tels que la nature humaine, l'éducation, la mort et les mœurs de son époque. Son écriture, caractérisée par un mélange d'érudition et de simplicité, reflète une quête introspective où l'auteur n'hésite pas à se livrer et à partager ses incertitudes. L'œuvre s'inscrit dans un contexte de renouveau intellectuel de la Renaissance, marquée par une valorisation de l'individu et de ses expériences personnelles, opposée à la pensée scolastique dominantes des siècles précédents. Michel de Montaigne, né en 1533, est un aristocrate et un homme de lettres dont la formation et les voyages ont grandement influencé ses réflexions. Sa pensée, nourrie par des lectures variées et une ouverture d'esprit, l'a amené à analyser le monde tout en se plaçant en tant qu'"homme du monde". La mélancolie face à la condition humaine et une pratique de la contemplation se ressentent dans son écriture, ce qui fait de lui un précurseur de la pensée moderne. Je recommande vivement les "Essais" à quiconque s'intéresse à la psychologie humaine et à la philosophie de la vie. Montaigne y propose une réflexion profonde sur l'existence, à travers des anecdotes personnelles et des observations pertinentes. Cette œuvre est un miroir de l'âme humaine et un voyage captivant au cœur de la condition humaine, fort pertinent dans le contexte moderne. Dans cette édition enrichie, nous avons soigneusement créé une valeur ajoutée pour votre expérience de lecture : - Une Introduction approfondie décrit les caractéristiques unifiantes, les thèmes ou les évolutions stylistiques de ces œuvres sélectionnées. - La Biographie de l'auteur met en lumière les jalons personnels et les influences littéraires qui marquent l'ensemble de son œuvre. - Une section dédiée au Contexte historique situe les œuvres dans leur époque, évoquant courants sociaux, tendances culturelles и événements clés qui ont influencé leur création. - Un court Synopsis (Sélection) offre un aperçu accessible des textes inclus, aidant le lecteur à comprendre les intrigues et les idées principales sans révéler les retournements cruciaux. - Une Analyse unifiée étudie les motifs récurrents et les marques stylistiques à travers la collection, tout en soulignant les forces propres à chaque texte. - Des questions de réflexion vous invitent à approfondir le message global de l'auteur, à établir des liens entre les différentes œuvres et à les replacer dans des contextes modernes. - Enfin, nos Citations mémorables soigneusement choisies synthétisent les lignes et points critiques, servant de repères pour les thèmes centraux de la collection.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Michel De Montaigne

Michel De Montaigne: Essais

Édition enrichie. Édition mise à jour et corrigée avec sommaire interne actif
Introduction, études et commentaires par Marceau Vasseur
Édité et publié par Good Press, 2023
EAN 8596547771883

Table des matières

Introduction
Biographie de l’auteur
Contexte historique
Synopsis (Sélection)
Michel De Montaigne: Essais
Analyse
Réflexion
Citations mémorables

Introduction

Table des matières

Cette collection, Michel De Montaigne: Essais, rassemble l’ensemble des Essais en leurs trois Livres, précédés de la brève adresse Au Lecteur qui en annonce le projet. De 1580 à la dernière mise au net de 1595, Montaigne compose, augmente et révise un ouvrage unique en son genre, où l’architecture se déploie par chapitres autonomes et pourtant solidaires. L’objectif de cette réunion est de donner accès, d’un seul tenant, à la totalité de l’entreprise intellectuelle et littéraire de l’auteur, dans l’ordre de lecture voulu, afin que le parcours d’essai en essai fasse apparaître la cohérence d’une pensée en mouvement et d’un style en perpétuelle reprise.

Le présent ensemble relève d’un seul genre, l’essai, dont Montaigne fixe la forme moderne: texte en prose, méditatif, expérimental, ouvert à la contradiction. À l’intérieur de cette forme, il multiplie les types de démarches: réflexion morale, note autobiographique, récit exemplaire, analyse historique, observation de mœurs, examen philologique. Le Livre I comprend notamment l’insertion de Vingt et neuf sonnets d’Estienne de la Boëtie, qui manifeste la place de l’amitié dans l’ouvrage. Au total, ce ne sont ni romans ni pièces, mais des essais, parfois brefs, parfois très étendus, unis par un même art de l’enquête personnelle.

La portée de l’ensemble est celle d’une œuvre intégrale: se peindre soi-même pour approcher l’humain. Montaigne revendique une démarche qui prend pour matière première son propre jugement et l’expérience vécue. Le fil directeur est l’examen de soi et du monde, à la fois humble et audacieux, sceptique sans être stérile. L’unité se fait autour d’un travail du doute, d’une attention aux coutumes, d’un refus des certitudes closes, et d’une recherche de mesure. L’essai se conçoit alors comme une conversation continue avec le lecteur, où la vérité se cherche à petites touches, par essais successifs et rectifications.

Le Livre I installe les thèmes fondateurs et la voix singulière. Au Lecteur ouvre la familiarité du ton et la franchise du propos. Les chapitres abordent la mort, l’imagination, la peur, l’oisiveté, l’amitié, l’éducation, la coutume, l’inconstance des jugements. De la punition de la couardise ou De la force de l’imagination interrogent les ressorts moraux et mentaux; Des Cannibales déplace le regard sur l’altérité; De l’institution des enfans formule un art d’apprendre fondé sur l’exercice du jugement. L’ensemble compose un autoportrait en fragments, où l’auteur s’éprouve en éprouvant ses idées.

Le Livre II élargit l’amplitude argumentative et la profondeur critique. Des livres réfléchit à l’usage de la lecture; De la conscience, De la gloire, De la presumption et De juger de la mort d’autruy sondent les moteurs intérieurs du choix. Au centre, l’Apologie de Raimond de Sebonde se distingue par son étendue et par l’examen, nourri d’érudition, des prétentions du savoir humain. L’ouvrage défait les illusions de maîtrise sans renoncer à l’enquête. S’y croisent expériences personnelles, récits antiques et contemporains, notations morales, qui composent une cartographie des limites et des puissances de l’esprit.

Le Livre III dégage une maturité de ton et une liberté accrue de composition. De la vanité et De l’experience embrassent les manières de vivre et de juger, en tirant la pensée vers une éthique du présent, attentive aux occasions et aux limites du corps. Des Coches examine le heurt des mondes et la violence des conquêtes; De l’art de conferer formule une pratique du dialogue, et Des boyteux interroge les procès et croyances de son temps. Ce dernier Livre, plus sinueux et direct, resserre l’alliance de la prudence et de la franchise, et place l’essai au plus près de la vie.

Le style de Montaigne fait sa singularité durable: phrase ample, inflexions orales, goût de la digression maîtrisée. Les chapitres accueillent une mosaïque d’exemples, d’anecdotes et de réminiscences, surtout antiques, qui ne servent pas d’autorités définitives mais d’aiguillons pour penser. La réécriture constante, visible d’un Livre à l’autre, montre une pensée qui se corrige et s’éprouve. L’auteur assume l’incertitude, pèse les mots, rectifie ses allures, avance plus qu’il n’assène, ouvrant un espace où le lecteur est convié à vérifier, comparer et nuancer plutôt qu’à recevoir un dogme.

Les Essais prennent place dans la France des guerres de Religion, dont l’auteur, magistrat et maire de Bordeaux, connaît les déchirements. De la liberté de conscience appelle à la tolérance; De la cruauté condamne les excès; plusieurs chapitres sur la peur, la gloire et la colère explorent les affects politiques. L’engagement de Montaigne n’est ni polémique ni partisan: c’est une politique de la mesure, de la paix civile et de la responsabilité individuelle, cherchant des issues pratiques au milieu des troubles. La réflexion éthique se noue à l’expérience publique, sans sacrifier l’exigence d’humanité.

Une dimension majeure de l’œuvre est anthropologique. Des Cannibales et Des Coches confrontent les normes européennes aux sociétés du Nouveau Monde, et mettent en cause l’ethnocentrisme. La coutume, si décisive pour lui, devient un objet d’examen: De la coustume, et de ne changer aisément une loy receüe montre combien les usages façonnent le jugement. En dégageant la relativité des mœurs, Montaigne ne renonce pas pour autant à évaluer: il oppose la brutalité et la vanité aux vertus de simplicité, de courage ou de modération, invitant le lecteur à démêler les valeurs derrière les habitudes.

Les Essais sont aussi une exploration de la vie sensible et des passions. De la peur, Du dormir, De la cholere, De l’aage et De la force de l’imagination décrivent la manière dont le corps affecte la pensée et l’action. L’auteur y pratique une observation fine de soi, attentive aux micro-variations, pour comprendre ce que peut un homme en situation ordinaire. La psychologie montanienne n’est pas systématique: elle s’élabore à partir de scènes vécues, d’histoires rapportées, de comparaisons prudentes. Ainsi se tisse une sagesse pratique, qui conjugue lucidité et indulgence envers la condition humaine.

Dans l’ordre du savoir, Montaigne dessine une pédagogie. De l’institution des enfans propose une éducation par l’exercice, le jugement et l’expérience plutôt que par la simple mémoire. Des livres précise une manière de lire qui privilégie l’usage personnel, l’appropriation et la conversation silencieuse avec les auteurs. De l’art de conferer règle la discussion: écouter, répondre, éprouver ses raisons. Cette méthode habite tout l’ouvrage: pas de doctrine close, mais un art d’apprendre à vivre, chapitre après chapitre, qui engage le lecteur à s’essayer lui-même.

L’importance durable des Essais tient à l’invention d’une forme et à la naissance d’une voix qui fondent la modernité de l’attention à soi. Ce volume offre la totalité de cette entreprise, depuis la promesse d’Au Lecteur jusqu’à la méditation finale de De l’experience. En réunissant les trois Livres, il permet de suivre la croissance d’une conscience, la flexibilité d’un style et la constance d’un éthos de tolérance, de mesure et de curiosité. L’œuvre ne se clôt pas: elle demeure une invitation à lire, à réfléchir et à éprouver, au présent, la liberté d’un jugement responsable.

Biographie de l’auteur

Table des matières

Michel de Montaigne (1533–1592) est l’une des grandes voix de la Renaissance française. Magistrat, humaniste et moraliste, il transforme une forme brève en genre majeur avec les Essais, ouvrage ouvert où l’examen de soi sert de laboratoire à une enquête sur l’homme. Écrivant au cœur des guerres de Religion, il prône mesure, tolérance et scepticisme, sans renoncer à une foi personnelle. Sa prose sinueuse, volontiers digressive, allie érudition antique et observation vécue. Par sa manière de penser à voix haute, Montaigne a légué à la littérature européenne une méthode d’exploration du jugement, toujours attentive à l’expérience plus qu’aux systèmes.

Formé dans l’humanisme du XVIe siècle, Montaigne reçoit très tôt une éducation centrée sur le latin et les auteurs classiques, puis poursuit des études juridiques avant d’entrer au parlement de Bordeaux comme conseiller. Son horizon intellectuel s’enracine chez Plutarque et Sénèque, dont il lit et médite les Vies et les Lettres, mais aussi chez les historiens et moralistes anciens. La fréquentation des écoles de Bordeaux, réputées pour leur rigueur, affermit son goût pour la langue française, qu’il choisit pour écrire. Dans Au Lecteur, bref prologue qui ouvre les Essais, il annonce son projet: se peindre lui-même pour y lire la condition humaine.

Sa vie publique et ses amitiés nourrissent son œuvre. La rencontre d’Étienne de La Boétie, dont il célébrera l’attachement dans De l’Amitié (I, 27), marque un sommet biographique et intellectuel. Il publie également Vingt et neuf sonnets d’Estienne de la Boëtie (I, 28), témoignage d’admiration et de fidélité. Après des années de magistrature, Montaigne se retire vers 1571 dans sa librairie pour composer les Essais, qu’il considère comme des “essais”, c’est‑à‑dire des tentatives. L’édition de 1580 rassemble deux livres et affirme un ton inédit: autoréflexif, discontinu, mêlant anecdotes, lectures, exemples historiques et méditations morales sur la conduite de la vie.

Le Livre I expose la méthode et la variété de son regard. De la Tristesse (I, 2), Des Menteurs (I, 9) ou De l’Oysiveté (I, 8) sondent les mouvements ordinaires de l’âme. D’autres chapitres, comme Que philosopher, c’est apprendre à mourir (I, 19) et De la force de l’imagination (I, 20), interrogent la mort, la peur et le pouvoir des représentations. Des Cannibales (I, 30) et De la coustume, et de ne changer aisément une loy receüe (I, 22) opposent relativisme des usages et jugement réfléchi. La forme brève, la digression et l’exemple y sont autant d’outils pour éprouver ses propres jugements.

Le Livre II approfondit l’enquête morale et sceptique. De l’inconstance de nos actions (II, 1) et Nous ne goustons rien de pur (II, 20) soulignent la mobilité humaine. Des livres (II, 10) esquisse sa bibliothèque vivante, où la lecture devient dialogue. L’Apologie de Raimond de Sebonde (II, 12), morceau central, pousse le doute méthodique jusqu’à mettre en cause les prétentions de la raison, sans rompre avec la croyance. De la liberté de conscience (II, 19) réfléchit, dans le contexte des conflits religieux, aux limites de la contrainte en matière de foi. Le style s’y fait plus ample, l’argumentation plus serrée.

Montaigne ne cesse pas pour autant d’agir. Élu maire de Bordeaux au début des années 1580, il cherche des voies de conciliation dans une France déchirée. Le Livre III, ajouté en 1588, porte la maturité de sa pensée: De l’art de conferer (III, 8) fait l’éloge du dialogue, De l’incommodité de la grandeur (III, 7) critique les charges excessives, Des Coches (III, 6) interroge la conquête et ses violences. De la vanité (III, 9) et De l’experience (III, 13) rassemblent sa poétique de l’essai: modestie du savoir, primat du vécu, méfiance envers les absolus, attention aux variations de soi et du monde.

Jusqu’à sa mort en 1592, Montaigne révise et augmente ses Essais, peaufinant un livre en mouvement. Le dernier état, préparé de son vivant, sera publié après sa disparition, en 1595, par Marie de Gournay, lectrice et collaboratrice, qui contribue à fixer le texte. Son héritage est considérable: il fonde la tradition de l’essai personnel, inspire les moralistes français et nourrit une lignée d’écrivains et penseurs pour qui la question du jugement prime. Son scepticisme mesuré, son art de la conversation et son exigence d’examen de soi demeurent actuels, offrant une éthique de la lucidité au-delà des systèmes et des dogmes.

Contexte historique

Table des matières

Michel de Montaigne (1533–1592) compose les Essais dans une France traversée par la Renaissance et les guerres de Religion. Retiré en 1571 dans sa tour près de Bordeaux, il entreprend d’examiner l’homme et la société de son temps à la lumière des Anciens et de l’expérience. La collection couvre les décennies 1560–1590, marquées par des violences confessionnelles, des débats théologiques, des mutations politiques et une expansion des horizons géographiques. Les trois livres, publiés en 1580 (I–II) puis 1588 (III), cisèlent un regard historique et moral qui relit l’actualité à l’aune de l’Antiquité et des coutumes contemporaines, sans cesser de questionner la certitude humaine.

La formation humaniste de Montaigne s’inscrit dans l’essor des collèges et du studia humanitatis. Éduqué très tôt en latin, comme il le rapporte lui‑même, il lit Sénèque, Plutarque, Cicéron, Virgile et Lucrèce, sources constantes des Essais. Ce bain des lettres antiques nourrit des chapitres tels que De Democritus et Heraclitus, Consideration sur Ciceron, ou Sur des vers de Virgile, où l’exemple ancien éclaire le présent. L’humanisme français, proche d’Érasme par le goût des auteurs moraux et l’ironie contre la vaine érudition, structure sa critique du pédantisme, son idéal d’une sagesse pratique et sa préférence pour la langue vulgaire sur un latin de pure parade.

Avant son retrait, Montaigne sert comme magistrat au parlement de Bordeaux, expérience décisive pour sa réflexion sur la loi, la coutume et l’autorité. Les Essais scrutent la force des usages dans De la coustume, et de ne changer aisément une loy receüe, sondent les limites des réglementations dans Des loix somptuaires et D’un defaut de nos polices, et confrontent traditions anciennes et pratiques modernes dans Des coustumes anciennes. Ce regard de juriste, attentif aux effets du temps et des lieux sur les normes, nourrit une méfiance envers les certitudes générales et une prudence face aux réformes hâtives de l’ordre civil.

Les guerres de Religion (1562–1598) fournissent un arrière‑plan constant. Montaigne observe la logique des sièges, des négociations et des revirements dans Si le chef d’une place assiegee, doit sortir pour parlementer, L’heure des parlemens dangereuse, ou On est puny pour s’opiniastrer en une place sans raison. La bataille de Dreux, évoquée au chapitre De la battaille de Dreux, témoigne de la brutalité des débuts du conflit. Ces pièces, souvent nourries d’exemples antiques et récents, réfléchissent à la conduite des chefs, au jugement de l’intention (Que l’intention juge nos actions) et à la fragilité de nos décisions en temps de crise.

Le massacre de la Saint‑Barthélemy (août 1572) marque un paroxysme de la violence civile en France, dont l’onde de choc irrigue le climat intellectuel des Essais. Sans narrer l’événement, Montaigne revient sur les excès des factions et l’aveuglement des certitudes dans De la Moderation, De la liberté de conscience (Livre II), ou Qu’il ne faut juger de notre heur qu’apres la mort. Il y interroge la justice des causes et l’impossibilité de se confier aux présomptions, privilégiant la prudence, l’examen de soi et la suspension du jugement plutôt que l’invective confessionnelle ou la rhétorique des victoires providentielles.

Élu maire de Bordeaux pour deux mandats consécutifs (≈1581–1585), Montaigne expérimente la charge urbaine au cœur d’un royaume troublé. Les difficultés d’approvisionnement, les pressions politiques et, à plusieurs reprises, la peste dans la région forment le quotidien des édiles. De l’utile et de l’honeste et De l’incommodité de la grandeur réfléchissent aux risques de l’honneur public et aux limites de l’autorité. Des postes signale l’importance croissante des relais de messagerie pour gouverner et négocier. Cette pratique du gouvernement local aiguise son goût des compromis concrets et sa défiance envers les gestes spectaculaires sans prudence.

L’histoire éditoriale des Essais éclaire leur rapport à l’actualité. Les Livres I et II paraissent à Bordeaux en 1580 chez Simon Millanges, puis augmentés en 1582. En 1588, à Paris, Montaigne publie une version substantiellement enrichie, ajoutant le Livre III. L’« exemplaire de Bordeaux », annoté de sa main, conserve de nombreuses corrections et ajouts qui nourriront l’édition posthume de 1595, préparée par Marie de Gournay. Cette genèse ouverte, au fil des années et des événements, explique le caractère mouvant de l’ouvrage et sa capacité à réviser ses jugements à mesure que l’expérience se transforme.

L’élargissement géographique du XVIe siècle fournit à Montaigne un contrepoint critique. Des Cannibales (I, 30) mobilise des relations de voyage sur le Brésil, notamment celles d’André Thevet (1557) et de Jean de Léry (1578), pour interroger le préjugé européen. Des Coches (III, 6) revient sur la conquête américaine et ses violences. Ces chapitres, écrits depuis la France des guerres civiles, confrontent la barbarie prêtée aux autres avec celle, bien réelle, des Européens. Sans idéaliser, Montaigne fait de ces mondes « nouveaux » un miroir qui décentre la coutume et relativise nos critères de civilisation.

La veine sceptique des Essais s’inscrit dans un renouveau du pyrrhonisme à la Renaissance. La traduction latine de Sextus Empiricus par Gentian Hervet (1569) offrit aux lettrés des arguments pour évaluer la portée de la raison. L’Apologie de Raimond de Sebonde (II, 12) en exploite largement les ressources pour mesurer la faillibilité des sens et de l’entendement, et pour rappeler la dépendance de l’homme. De l’incertitude de nostre jugement (I, 47) et Des boyteux (III, 11), qui aborde les procès de sorcellerie, prolongent cette prudence épistémique, en un siècle où les poursuites pour magie et hérésie s’intensifient par vagues.

Face aux désastres publics, Montaigne puise chez les moralistes anciens des instruments de tenue intérieure. Que Philosopher, c’est apprendre a mourir (I, 19) reprend un thème stoïcien, en dialogue avec Sénèque et Cicéron, pour appr apprivoiser la mortalité. De la constance, De la cholere (II, 31) ou De la vertu (II, 29) sondent les affects et la conduite de soi. La perspective n’est ni héroïque ni dogmatique: il s’agit d’une sagesse praticable, attentive aux limites humaines. Dans De l’experience (III, 13), dernier chapitre, la règle devient l’essai de soi, adapté aux circonstances plutôt qu’asservi aux systèmes.

Les recompositions religieuses du XVIe siècle forment un horizon constant. Le concile de Trente (1545–1563) relance la réforme catholique, tandis que la Réforme protestante s’enracine en terres françaises, suscitant querelles doctrinales et disciplinaires. Montaigne réfléchit à la piété et à l’adoration dans Des prieres (I, 56), à la juste réserve devant les décrets divins dans Qu’il faut sobrement se mesler de juger des ordonnances divines (I, 31), et à la tolérance civile dans De la liberté de conscience (II, 19). L’ensemble plaide pour des mœurs apaisées et un gouvernement qui préfère l’équité des usages aux excitations doctrinaires.

Les débats pédagogiques et linguistiques de la Renaissance sont au cœur des chapitres De l’institution des enfans (I, 25) et Du pedantisme (I, 24). Contre l’érudition sèche, Montaigne promeut l’exercice du jugement, la conversation, l’exemple vécu. Des livres (II, 10) dessine une bibliothèque d’auteurs utiles à la vie. L’essor de l’imprimerie depuis le XVe siècle et la diffusion d’ouvrages en langue vernaculaire élargissent le public des lettres. En choisissant le français pour une prose souple, Montaigne contribue à forger une langue d’essai, distincte de la rhétorique scolaire et proche de l’oral réfléchi.

Les Essais témoignent aussi d’une anthropologie du corps et des habitudes. Dans Des Senteurs (I, 55), Du dormir (I, 44), De l’yvrongnerie (II, 2), De l’exercitation (II, 6) ou De l’aage (I, 57), Montaigne note comment le climat, le régime et l’âge modèlent les humeurs, dans le cadre médical humoral alors dominant. Ses propres maux, notamment la pierre, nourrissent des observations reprises dans De l’experience (III, 13). En un siècle frappé par des vagues de peste, l’attention à la santé, au repos, aux plaisirs mesurés et à la mesure des médecins devient une pièce de sa sagesse de la vie ordinaire.

L’amitié avec Étienne de La Boétie (mort en 1563), collègue au parlement de Bordeaux, imprime sa marque. De l’Amitié (I, 27) érige ce lien exceptionnel en modèle de commerce humain, à rebours des alliances de faction. Montaigne insère Vingt et neuf sonnets d’Estienne de la Boëtie (I, 28), mais n’intègre pas dans les Essais le Discours de la servitude volontaire, texte alors connu par des copies. La disparition de l’ami, au cœur des années d’embrasement religieux, oriente l’écriture vers une mémoire affective et une interrogation sur la fidélité, la constance et les limites du politique.

La culture de la guerre et de l’honneur, omniprésente au XVIe siècle, est constamment évaluée à la lumière des Anciens. Observation sur les moyens de faire la guerre, de Julius Cæsar (II, 34), De la grandeur romaine (II, 24), Des armes des Parthes (II, 9), ou Du jeune Caton (I, 36) confrontent stratégies, vertus et hasards. La fortune se rencontre souvent au train de la raison (I, 33) explore l’enchevêtrement du calcul et de l’imprévu. En comparant exemples romains et campagnes contemporaines, Montaigne souligne l’instabilité des réputations et la nécessité de ramener les faits militaires au jugement civil et humain.

Les Essais cartographient aussi croyances et hiérarchies sociales de la France moderne. Des Prognostications (I, 11) s’attaque à la crédulité envers astrologues et devins, écho à la diffusion de pronostications imprimées. Des loix somptuaires (I, 43) et De l’inequalité qui est entre nous (I, 42) discutent rangs, dépenses et signes extérieurs du statut dans une monarchie d’ordres. Des noms (I, 46), De l’usage de se vestir (I, 35) et Des coustumes anciennes (I, 49) montrent comment signes, vêtements et mots encadrent la vie collective. En filigrane, Montaigne décrit une société gouvernée par l’opinion, plus que par la raison.

La pratique de la conversation et du jugement partagé s’inscrit dans une sociabilité lettrée élargie. De l’art de conferer (III, 8) réfléchit à l’échange contradictoire, antidote aux certitudes sectaires. Des menteurs (I, 9), Du parler prompt ou tardif (I, 10) et De la vanité des paroles (I, 51) interrogent les usages du langage dans une époque de rumeurs, de libelles et de plaidoyers. Ceremonie de l’entreveuë des Rois (I, 13) et Un traict de quelques Ambassadeurs (I, 16) donnent à voir une diplomatie ritualisée, où l’apparence engage la paix. Cette culture de la parole, marquée par l’imprimerie, modèle les horizons d’attente des lecteurs des Essais et leurs controverses internes, jusqu’à De la vanité (III, 9). Cette collection commente son siècle en s’appuyant sur l’expérience, l’histoire et la lecture; elle déploie un scepticisme méthodique et une morale de la mesure, nées des convulsions religieuses et politiques de la France moderne. Les lecteurs ultérieurs, du XVIIe au XXe siècle, y ont vu tour à tour un antidote à la crédulité, un modèle d’écriture de soi, ou un manifeste de tolérance. La traduction anglaise de John Florio (1603) en a élargi la réception européenne. Relus à chaque crise, les Essais servent de repère pour penser la constance humaine dans le changement des temps.

Synopsis (Sélection)

Table des matières

Au Lecteur

Adresse liminaire où Montaigne présente un projet de portrait de soi, direct et sans apprêts, et prévient le lecteur de la liberté de ton et de l’irrégularité du livre. Le texte instaure un pacte de sincérité et annonce une méthode d’examen de soi plutôt que de doctrine.

Les Essais, Livre I

Premier ensemble d’essais où l’auteur explore les passions, la mort, la coutume, le mensonge, l’amitié, l’éducation et la solitude, en mêlant anecdotes personnelles et exemples antiques. On y voit se former un scepticisme pratique qui invite à suspendre le jugement, à mesurer l’emprise de l’opinion et à corriger les excès de l’imagination. Le ton est vif et varié, passant du conseil moral à la peinture de soi, avec des ouvertures sur l’altérité et un hommage à La Boétie par des sonnets insérés.

Les Essais, Livre II

Recueil central où la réflexion s’élargit à la conscience, à la cruauté, à la gloire, aux livres et aux limites de la raison, jusqu’à une longue défense du savoir naturel au cœur du volume. Montaigne y accentue la critique des certitudes, insiste sur la mixture du bien et du mal dans l’expérience, et pratique une écriture à la fois digressive et architecturée, alternant pièces brèves et développements étendus. Le ton, plus spéculatif, reste ancré dans le vécu, mêlant portrait de soi, lectures et observation des mœurs.

Les Essais, Livre III

Dernier livre, plus resserré et personnel, où dominent l’épreuve de soi, la vanité des ambitions, l’art de converser, le rapport au corps et au vieillissement. La méditation devient plus intime et sinueuse, favorisant une sagesse pragmatique qui s’éprouve dans la diversité des situations plutôt que dans des règles abstraites. Le style atteint une liberté maîtrisée, où l’aveu de l’inconstance accompagne l’attention aux détails du quotidien et aux surprises de l’expérience.

Michel De Montaigne: Essais

Table des Matières Principale
Les Essais, Livre I
Au Lecteur
Chapitre 1 Par divers moyens on arrive à pareille fin
Chapitre 2 De la Tristesse
Chapitre 3 Nos affections s’emportent au delà de nous
Chapitre 4 Comme l’ame descharge ses passions sur des objects faux, quand les vrais luy defaillent
Chapitre 5 Si le chef d’une place assiegee, doit sortir pour parlementer
Chapitre 6 L’heure des parlemens dangereuse
Chapitre 7 Que l’intention juge nos actions
Chapitre 8 De l’Oysiveté
Chapitre 9 Des Menteurs
Chapitre 10 Du parler prompt ou tardif
Chapitre 11 Des Prognostications
Chapitre 12 De la constance
Chapitre 13 Ceremonie de l’entreveuë des Rois
Chapitre 14 On est puny pour s’opiniastrer en une place sans raison
Chapitre 15 De la punition de la couardise
Chapitre 16 Un traict de quelques Ambassadeurs
Chapitre 17 De la peur
Chapitre 18 Qu’il ne faut juger de notre heur qu’apres la mort
Chapitre 19 Que Philosopher, c’est apprendre a mourir
Chapitre 20 De la force de l’imagination
Chapitre 21 Le profit de l’un est dommage de l’autre
Chapitre 22 De la coustume, et de ne changer aisément une loy receüe
Chapitre 23 Divers evenemens de mesme Conseil
Chapitre 24 Du pedantisme
Chapitre 25 De l’institution des enfans
Chapitre 26 C’est folie de rapporter le vray et le faux à nostre suffisance
Chapitre 27 De l’Amitié
Chapitre 28 Vingt et neuf sonnets d’Estienne de la Boëtie
Chapitre 29 De la Moderation
Chapitre 30 Des Cannibales
Chapitre 31 Qu’il faut sobrement se mesler de juger des ordonnances divines
Chapitre 32 De fuir les voluptez au pris de la vie
Chapitre 33 La fortune se rencontre souvent au train de la raison
Chapitre 34 D’un defaut de nos polices
Chapitre 35 De l’usage de se vestir
Chapitre 36 Du jeune Caton
Chapitre 37 Comme nous pleurons et rions d’une mesme chose
Chapitre 38 De la solitude
Chapitre 39 Consideration sur Ciceron
Chapitre 40 Que le goust des biens et des maux despend en bonne partie de l’opinion que nous en avons
Chapitre 41 De ne communiquer sa gloire
Chapitre 42 De l’inequalité qui est entre nous
Chapitre 43 Des loix somptuaires
Chapitre 44 Du dormir
Chapitre 45 De la battaille de Dreux
Chapitre 46 Des noms
Chapitre 47 De l’incertitude de nostre jugement
Chapitre 48 Des destries
Chapitre 49 Des coustumes anciennes
Chapitre 50 De Democritus et Heraclitus
Chapitre 51 De la vanité des paroles
Chapitre 52 De la parsimonie des anciens
Chapitre 53 D’un mot de Cæsar
Chapitre 54 Des vaines subtilitez
Chapitre 55 Des Senteurs
Chapitre 56 Des prieres
Chapitre 57 De l’aage
Les Essais, Livre II
Chapitre 1 De l’inconstance de nos actions
Chapitre 2 De l’yvrongnerie
Chapitre 3 Coustume de l’Isle de Cea
Chapitre 4 A demain les affaires
Chapitre 5 De la conscience
Chapitre 6 De l’exercitation
Chapitre 7 Des recompenses d’honneur
Chapitre 8 De l’affection des peres aux enfans
Chapitre 9 Des armes des Parthes
Chapitre 10 Des livres
Chapitre 11 De la cruauté
Chapitre 12 Apologie de Raimond de Sebonde
Chapitre 13 De juger de la mort d’autruy
Chapitre 14 Comme nostre esprit s’empesche soymesmes
Chapitre 15 Que nostre desir s’accroist par la malaisance
Chapitre 16 De la gloire
Chapitre 17 De la presumption
Chapitre 18 Du desmentir
Chapitre 19 De la liberté de conscience
Chapitre 20 Nous ne goustons rien de pur
Chapitre 21 Contre la faineantise
Chapitre 22 Des postes
Chapitre 23 Des mauvais moyens employez à bonne fin
Chapitre 24 De la grandeur romaine
Chapitre 25 De ne contrefaire le malade
Chapitre 26 Des pouces
Chapitre 27 New Chapter
Chapitre 28 Toutes choses ont leur saison
Chapitre 29 De la vertu
Chapitre 30 D’un enfant monstrueux
Chapitre 31 De la cholere
Chapitre 32 Defence de Seneque et de Plutarque
Chapitre 33 L’histoire de Spurina
Chapitre 34 Observation sur les moyens de faire la guerre, de Julius Cæsar
Chapitre 35 De trois bonnes femmes
Chapitre 36 Des plus excellens hommes
Chapitre 37 De la ressemblance des enfans aux peres
Les Essais, Livre III
Chapitre 1 De l’utile et de l’honeste
Chapitre 2 Du repentir
Chapitre 3 De trois commerces
Chapitre 4 De la diversion
Chapitre 5 Sur des vers de Virgile
Chapitre 6 Des Coches
Chapitre 7 De l’incommodité de la grandeur
Chapitre 8 De l’art de conferer
Chapitre 9 De la vanité
Chapitre 10 De mesnager sa volonté
Chapitre 11 Des boyteux
Chapitre 12 De la Physionomie
Chapitre 13 De l’experience

Les Essais, Livre I

Table des matières
Publication: 1595
(Version Intégrale)

Au Lecteur

Table des matières

C‘EST icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t’advertit dés l’entree, que je ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique et privee : je n’y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire : mes forces ne sont pas capables d’un tel dessein. Je l’ay voüé à la commodité particuliere de mes parens et amis : à ce que m’ayans perdu (ce qu’ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve, la connoissance qu’ils ont eu de moy. Si c’eust esté pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautez empruntees. Je veux qu’on m’y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice : car c’est moy que je peins. Mes defauts s’y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l’a permis. Que si j’eusse esté parmy ces nations qu’on dit vivre encore souz la douce liberté des premieres loix de nature, je t’asseure que je m’y fusse tres-volontiers peint tout entier, Et tout nud. Ainsi, Lecteur, je suis moymesme la matiere de mon livre : ce n’est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq.

De Montaigne, ce 12 de juin 1580.

Chapitre 1 Par divers moyens on arrive à pareille fin

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LA plus commune façon d’amollir les coeurs de ceux qu’on a offencez, lors qu’ayans la vengeance en main, ils nous tiennent à leur mercy, c’est de les esmouvoir par submission, à commiseration et à pitié : Toutesfois la braverie, la constance, et la resolution, moyens tous contraires, ont quelquesfois servy à ce mesme effect.

Edouard Prince de Galles, celuy qui regenta si long temps nostre Guienne : personnage duquel les conditions et la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur ; ayant esté bien fort offencé par les Limosins, et prenant leur ville par force, ne peut estre arresté par les cris du peuple, et des femmes, et enfans abandonnez à la boucherie, luy criants mercy, et se jettans à ses pieds : jusqu’à ce que passant tousjours outre dans la ville, il apperçeut trois gentilshommes François, qui d’une hardiesse incroyable soustenoient seuls l’effort de son armee victorieuse. La consideration et le respect d’une si notable vertu, reboucha premierement la pointe de sa cholere : et commença par ces trois, à faire misericorde à tous les autres habitans de la ville.

Scanderberch, Prince de l’Epire, suyvant un soldat des siens pour le tuer, et ce soldat ayant essayé par toute espece d’humilité et de supplication de l’appaiser, se resolut à toute extremité de l’attendre l’espee au poing : cette sienne resolution arresta sus bout la furie de son maistre, qui pour luy avoir veu prendre un si honorable party, le reçeut en grace. Cet exemple pourra souffrir autre interpretation de ceux, qui n’auront leu la prodigieuse force et vaillance de ce Prince là.

L’Empereur Conrad troisiesme, ayant assiegé Guelphe Duc de Bavieres, ne voulut condescendre à plus douces conditions, quelques viles et lasches satisfactions qu’on luy offrist, que de permettre seulement aux gentils-femmes qui estoient assiegees avec le Duc, de sortir leur honneur sauve, à pied, avec ce qu’elles pourroient emporter sur elles. Elles d’un coeur magnanime, s’adviserent de charger sur leurs espaules leurs maris, leurs enfans, et le Duc mesme. L’Empereur print si grand plaisir à voir la gentillesse de leur courage, qu’il en pleura d’aise, et amortit toute cette aigreur d’inimitié mortelle et capitale qu’il avoit portee contre ce Duc : et dés lors en avant traita humainement luy et les siens. L’un et l’autre de ces deux moyens m’emporteroit aysement : car j’ay une merveilleuse lascheté vers la miséricorde et mansuetude : Tant y a, qu’à mon advis, je serois pour me rendre plus naturellement à la compassion, qu’à l’estimation. Si est la pitié passion vitieuse aux Stoiques : Ils veulent qu’on secoure les affligez, mais non pas qu’on flechisse et compatisse avec eux.

Or ces exemples me semblent plus à propos, d’autant qu’on voit ces ames assaillies et essayees par ces deux moyens, en soustenir l’un sans s’esbranler, et courber sous l’autre. Il se peut dire, que de rompre son coeur à la commiseration, c’est l’effet de la facilité, debonnaireté, et mollesse : d’où il advient que les natures plus foibles, comme celles des femmes, des enfans, et du vulgaire, y sont plus subjettes. Mais (ayant eu à desdaing les larmes et les pleurs) de se rendre à la seule reverence de la saincte image de la vertu, que c’est l’effect d’une ame forte et imployable, ayant en affection et en honneur une vigueur masle, et obstinee. Toutesfois és ames moins genereuses, l’estonnement et l’admiration peuvent faire naistre un pareil effect : Tesmoin le peuple Thebain, lequel ayant mis en Justice d’accusation capitale, ses capitaines, pour avoir continué leur charge outre le temps qui leur avoit esté prescript et preordonné, absolut à toute peine Pelopidas, qui plioit sous le faix de telles objections, et n’employoit à se garantir que requestes et supplications : et au contraire Epaminondas, qui vint à raconter magnifiquement les choses par luy faites, et à les reprocher au peuple d’une façon fiere et arrogante, il n’eut pas le coeur de prendre seulement les balotes en main, et se departit : l’assemblee louant grandement la hautesse du courage de ce personnage.

Dionysius le vieil, apres des longueurs et difficultés extremes, ayant prins la ville de Rege, et en icelle le Capitaine Phyton, grand homme de bien, qui l’avoit si obstinéement defendue, voulut en tirer un tragique exemple de vengeance. Il luy dict premierement, comment le jour avant, il avoit faict noyer son fils, et tous ceux de sa parenté. A quoy Phyton respondit seulement, qu’ils en estoient d’un jour plus heureux que luy. Apres il le fit despouiller, et saisir à des Bourreaux, et le trainer par la ville, en le fouëttant tres ignominieusement et cruellement : et en outre le chargeant de felonnes parolles et contumelieuses. Mais il eut le courage tousjours constant, sans se perdre. Et d’un visage ferme, alloit au contraire ramentevant à haute voix, l’honorable et glorieuse cause de sa mort, pour n’avoir voulu rendre son païs entre les mains d’un tyran : le menaçant d’une prochaine punition des dieux. Dionysius, lisant dans les yeux de la commune de son armee, qu’au lieu de s’animer des bravades de cet ennemy vaincu, au mespris de leur chef, et de son triomphe : elle alloit s’amollissant par l’estonnement d’une si rare vertu, et marchandoit de se mutiner, et mesmes d’arracher Phyton d’entre les mains de ses sergens, feit cesser ce martyre : et à cachettes l’envoya noyer en la mer.

Certes c’est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l’homme : il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforrme. Voyla Pompeius qui pardonna à toute la ville des Mamertins, contre laquelle il estoit fort animé, en consideration de la vertu et magnanimité du citoyen Zenon, qui se chargeoit seul de la faute publique, et ne requeroit autre grace que d’en porter seul la peine. Et l’hoste de Sylla, ayant usé en la ville de Peruse de semblable vertu, n’y gaigna rien, ny pour soy, ny pour les autres.

Et directement contre mes premiers exemples, le plus hardy des hommes et si gratieux aux vaincus Alexandre, forçant apres beaucoup de grandes difficultez la ville de Gaza, rencontra Betis qui y commandoit, de la valeur duquel il avoit, pendant ce siege, senty des preuves merveilleuses, lors seul, abandonné des siens, ses armes despecees, tout couvert de sang et de playes, combatant encores au milieu de plusieurs Macedoniens, qui le chamailloient de toutes parts : et luy dit, tout piqué d’une si chere victoire (car entre autres dommages, il avoit receu deux fresches blessures sur sa personne) Tu ne mourras pas comme tu as voulu, Betis : fais estat qu’il te faut souffrir toutes les sortes de tourmens qui se pourront inventer contre un captif. L’autre, d’une mine non seulement asseuree, mais rogue et altiere, se tint sans mot dire à ces menaces. Lors Alexandre voyant l’obstination à se taire : A il flechy un genouil ? luy est-il eschappé quelque voix suppliante ? Vrayement je vainqueray ce silence : et si je n’en puis arracher parole, j’en arracheray au moins du gemissement. Et tournant sa cholere en rage, commanda qu’on luy perçast les talons, et le fit ainsi trainer tout vif, deschirer et desmembrer au cul d’une charrette.

Seroit-ce que la force de courage luy fust si naturelle et commune, que pour ne l’admirer point, il la respectast moins ? ou qu’il l’estimast si proprement sienne, qu’en cette hauteur il ne peust souffrir de la veoir en un autre, sans le despit d’une passion envieuse ? ou que l’impetuosité naturelle de sa cholere fust incapable d’opposition ?

De vray, si elle eust receu bride, il est à croire, qu’en la prinse et desolation de la ville de Thebes elle l’eust receue : à veoir cruellement mettre au fil de l’espee tant de vaillans hommes, perdus, et n’ayans plus moyen de defence publique. Car il en fut tué bien six mille, desquels nul ne fut veu ny fuiant, ny demandant mercy. Au rebours cerchans, qui çà, qui là, par les rues, à affronter les ennemis victorieux : les provoquans à les faire mourir d’une mort honorable. Nul ne fut veu, qui n’essaiast en son dernier souspir, de se venger encores : et à tout les armes du desespoir consoler sa mort en la mort de quelque ennemy. Si ne trouva l’affliction de leur vertu aucune pitié et ne suffit la longueur d’un jour à assouvir sa vengeance. Ce carnage dura jusques à la derniere goute de sang espandable : et ne s’arresta qu’aux personnes desarmées, vieillards, femmes et enfants, pour en tirer trente mille esclaves.

Chapitre 2 De la Tristesse

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JE suis des plus exempts de cette passion, et ne l’ayme ny l’estime : quoy que le monde ayt entrepris, comme à prix faict, de l’honorer de faveur particuliere. Ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience. Sot et vilain ornement. Les Italiens ont plus sortablement baptisé de son nom la malignité. Car c’est une qualité tousjours nuisible, tousjours folle : et comme tousjours couarde et basse, les Stoïciens en defendent le sentiment à leurs sages.

Mais le conte dit que Psammenitus Roy d’Ægypte, ayant esté deffait et pris par Cambysez Roy de Perse, voyant passer devant luy sa fille prisonniere habillee en servante, qu’on envoyoit puiser de l’eau, tous ses amis pleurans et lamentans autour de luy, se tint coy sans mot dire, les yeux fichez en terre : et voyant encore tantost qu’on menoit son fils à la mort, se maintint en cette mesme contenance : mais qu’ayant apperçeu un de ses domestiques conduit entre les captifs, il se mit à battre sa teste, et mener un dueil extreme.

Cecy se pourroit apparier à ce qu’on vid dernierement d’un Prince des nostres, qui ayant ouy à Trente, où il estoit, nouvelles de la mort de son frere aisné, mais un frere en qui consistoit l’appuy et l’honneur de toute sa maison, et bien tost apres d’un puisné, sa seconde esperance, et ayant soustenu ces deux charges d’une constance exemplaire, comme quelques jours apres un de ses gens vint à mourir, il se laissa emporter à ce dernier accident ; et quitant sa resolution, s’abandonna au dueil et aux regrets ; en maniere qu’aucuns en prindrent argument, qu’il n’avoit esté touché au vif que de cette derniere secousse : mais à la verité ce fut, qu’estant d’ailleurs plein et comblé de tristesse, la moindre surcharge brisa les barrieres de la patience. Il s’en pourroit (di-je) autant juger de nostre histoire, n’estoit qu’elle adjouste, que Cambyses s’enquerant à Psammenitus, pourquoy ne s’estant esmeu au malheur de son filz et de sa fille, il portoit si impatiemment celuy de ses amis : C’est, respondit-il, que ce seul dernier desplaisir se peut signifier par larmes, les deux premiers surpassans de bien loin tout moyen de se pouvoir exprimer.

A l’aventure reviendroit à ce propos l’invention de cet ancien peintre, lequel ayant à representer au sacrifice de Iphigenia le dueil des assistans, selon les degrez de l’interest que chacun apportoit à la mort de cette belle fille innocente : ayant espuisé les derniers efforts de son art, quand ce vint au pere de la vierge, il le peignit le visage couvert, comme si nulle contenance ne pouvoit rapporter ce degré de dueil. Voyla pourquoy les Poëtes feignent cette miserable mere Niobé, ayant perdu premierement sept filz, et puis de suite autant de filles, sur-chargee de pertes, avoir esté en fin transmuee en rocher,

diriguisse malis,

pour exprimer cette morne, muette et sourde stupidité, qui nous transsit, lors que les accidens nous accablent surpassans nostre portee.

De vray, l’effort d’un desplaisir, pour estre extreme, doit estonner toute l’ame, et luy empescher la liberté de ses actions : Comme il nous advient à la chaude alarme d’une bien mauvaise nouvelle, de nous sentir saisis, transsis, et comme perclus de tous mouvemens : de façon que l’ame se relaschant apres aux larmes et aux plaintes, semble se desprendre, se desmeller, et se mettre plus au large, et à son aise,

Et via vix tandem voci laxata dolore est.

En la guerre que le Roy Ferdinand mena contre la veufve du Roy Jean de Hongrie, autour de Bude, un gendarme fut particulierement remerqué de chacun, pour avoir excessivement bien faict de sa personne, en certaine meslee : et incognu, hautement loué, et plaint y estant demeuré. Mais de nul tant que de Raiscïac seigneur Allemand, esprins d’une si rare vertu : le corps estant rapporté, cetuicy d’une commune curiosité, s’approcha pour voir qui c’estoit : et les armes ostees au trespassé, il reconut son fils. Cela augmenta la compassion aux assistans : luy seul, sans rien dire, sans siller les yeux, se tint debout, contemplant fixement le corps de son fils : jusques à ce que la vehemence de la tristesse, aiant accablé ses esprits vitaux, le porta roide mort par terre.

Chi puo dir com’egli arde è in picciol fuoco,

disent les amoureux, qui veulent representer une passion insupportable :

misero quod omnesEripit sensus mihi. Nam simul teLesbia aspexi, nihil est super miQuod loquar amens.Lingua sed torpet, tenuis sub artusFlamma dimanat, sonitu suopteTinniunt aures, gemina tegunturLumina nocte.

Aussi n’est ce pas en la vive, et plus cuysante chaleur de l’accés, que nous sommes propres à desployer nos plaintes et nos persuasions : l’ame est lors aggravee de profondes pensees, et le corps abbatu et languissant d’amour.

Et de là s’engendre par fois la defaillance fortuite, qui surprent les amoureux si hors de saison ; et cette glace qui les saisit par la force d’une ardeur extreme, au giron mesme de la jouïssance. Toutes passions qui se laissent gouster, et digerer, ne sont que mediocres,

Curæ leves loquuntur, ingentes stupent.

La surprise d’un plaisir inesperé nous estonne de mesme,

Ut me conspexit venientem, Et Troïa circumArma amens vidit, magnis exterrita monstris,Diriguit visu in medio, calor ossa reliquit,Labitur, et longo vix tandem tempore fatur.

Outre la femme Romaine, qui mourut surprise d’aise de voir son fils revenu de la routte de Cannes : Sophocles et Denis le Tyran, qui trespasserent d’aise : et Talva qui mourut en Corsegue, lisant les nouvelles des honneurs que le Senat de Rome luy avoit decernez. Nous tenons en nostre siecle, que le Pape Leon dixiesme ayant esté adverty de la prinse de Milan, qu’il avoit extremement souhaittee, entra en tel excez de joye, que la fievre l’en print, et en mourut. Et pour un plus notable tesmoignage de l’imbecillité humaine, il a esté remerqué par les anciens, que Diodorus le Dialecticien mourut sur le champ, espris d’une extreme passion de honte, pour en son escole, et en public, ne se pouvoir desvelopper d’un argument qu’on luy avoit faict.

Je suis peu en prise de ces violentes passions : J’ay l’apprehension naturellement dure ; et l’encrouste et espessis tous les jours par discours.

Chapitre 3 Nos affections s’emportent au delà de nous

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CEUX qui accusent les hommes d’aller tousjours beant apres les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presens, et nous rassoir en ceux-là : comme n’ayants aucune prise sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n’avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs : s’ils osent appeller erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine, pour le service de la continuation de son ouvrage, nous imprimant, comme assez d’autres, cette imagination fausse, plus jalouse de nostre action, que de nostre science. Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes tousjours au delà. La crainte, le desir, l’esperance, nous eslancent vers l’advenir : et nous desrobent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. Calamitosus est animus futuri anxius.

Ce grand precepte est souvent allegué en Platon, « Fay ton faict, et te congnoy. » Chascun de ces deux membres enveloppe generallement tout nostre devoir : et semblablement enveloppe son compagnon. Qui auroit à faire son faict, verroit que sa premiere leçon, c’est cognoistre ce qu’il est, et ce qui luy est propre. Et qui se cognoist, ne prend plus l’estranger faict pour le sien : s’ayme, et se cultive avant toute autre chose : refuse les occupations superflues, et les pensees, et propositions inutiles. Comme la folie quand on luy octroyera ce qu’elle desire, ne sera pas contente : aussi est la sagesse contente de ce qui est present, ne se desplait jamais de soy.

Epicurus dispense son sage de la prevoyance et soucy de l’advenir.

Entre les loix qui regardent les trespassez, celle icy me semble autant solide, qui oblige les actions des Princes à estre examinees apres leur mort : Ils sont compagnons, sinon maistres des loix : ce que la Justice n’a peu sur leurs testes, c’est raison qu’elle l’ayt sur leur reputation, et biens de leurs successeurs : choses que souvent nous preferons à la vie. C’est une usance qui apporte des commoditez singulieres aux nations où elle est observee, et desirable à tous bons Princes : qui ont à se plaindre de ce, qu’on traitte la memoire des meschants comme la leur. Nous devons la subjection et obeïssance egalement à tous Rois : car elle regarde leur office : mais l’estimation, non plus que l’affection, nous ne la devons qu’à leur vertu. Donnons à l’ordre politique de les souffrir patiemment, indignes : de celer leurs vices : d’aider de nostre recommandation leurs actions indifferentes, pendant que leur auctorité a besoin de nostre appuy. Mais nostre commerce finy, ce n’est pas raison de refuser à la justice, et à nostre liberté, l’expression de noz vrays ressentiments. Et nommément de refuser aux bons subjects, la gloire d’avoir reveremment et fidellement servi un maistre, les imperfections duquel leur estoient si bien cognues : frustrant la posterité d’un si utile exemple. Et ceux, qui, par respect de quelque obligation privee, espousent iniquement la memoire d’un Prince mesloüable, font justice particuliere aux despends de la justice publique. Titus Livius dict vray, que le langage des hommes nourris sous la Royauté, est tousjours plein de vaines ostentations et faux tesmoignages : chascun eslevant indifferemment son Roy, à l’extreme ligne de valeur et grandeur souveraine.

On peult reprouver la magnanimité de ces deux soldats, qui respondirent à Neron, à sa barbe, l’un enquis de luy, pourquoy il luy vouloit mal : Je t’aimoy quand tu le valois : mais despuis que tu és devenu parricide, boutefeu, basteleur, cochier, je te hay, comme tu merites. L’autre, pourquoy il le vouloit tuer ; Par ce que je ne trouve autre remede à tes continuels malefices. Mais les publics et universels tesmoignages, qui apres sa mort ont esté rendus, et le seront à tout jamais, à luy, et à tous meschans comme luy, de ses tiranniques et vilains deportements, qui de sain entendement les peut reprouver ?

Il me desplaist, qu’en une si saincte police que la Lacedemonienne, se fust meslée une si feinte ceremonie à la mort des Roys. Tous les confederez et voysins, et tous les Ilotes, hommes, femmes, pesle-mesle, se descoupoient le front, pour tesmoignage de deuil : et disoient en leurs cris et lamentations, que celuy la, quel qu’il eust esté, estoit le meilleur Roy de tous les leurs : attribuants au reng, le los qui appartenoit au merite ; et, qui appartient au premier merite, au postreme et dernier reng. Aristote, qui remue toutes choses, s’enquiert sur le mot de Solon, Que nul avant mourir ne peut estre dict heureux, Si celuy la mesme, qui a vescu, et qui est mort à souhait, peut estre dict heureux, si sa renommee va mal, si sa posterité est miserable. Pendant que nous nous remuons, nous nous portons par preoccupation où il nous plaist : mais estant hors de l’estre, nous n’avons aucune communication avec ce qui est. Et seroit meilleur de dire à Solon, que jamais homme n’est donc heureux, puis qu’il ne l’est qu’apres qu’il n’est plus.

QuisquamVix radicitus è vita se tollit, et ejicit :Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse,Nec removet satis à projecto corpore sese, etVindicat.

Bertrand du Glesquin mourut au siege du chasteau de Rancon, pres du Puy en Auvergne : les assiegez s’estans rendus apres, furent obligez de porter les clefs de la place sur le corps du trespassé.

Barthelemy d’Alviane, General de l’armee des Venitiens, estant mort au service de leurs guerres en la Bresse, et son corps ayant esté rapporté à Venise par le Veronois, terre ennemie la pluspart de ceux de l’armee estoient d’advis, qu’on demandast sauf-conduit pour le passage à ceux de Veronne : mais Theodore Trivulce y contredit ; et choisit plustost de le passer par vive force, au hazard du combat : n’estant convenable, disoit-il, que celuy qui en sa vie n’avoit jamais eu peur de ses ennemis, estant mort fist demonstration de les craindre.

De vray, en chose voisine, par les loix Grecques, celuy qui demandoit à l’ennemy un corps pour l’inhumer, renonçoit à la victoire, et ne luy estoit plus loisible d’en dresser trophee : à celuy qui en estoit requis, c’estoit tiltre de gain. Ainsi perdit Nicias l’avantage qu’il avoit nettement gaigné sur les Corinthiens : et au rebours, Agesilaus asseura celuy qui luy estoit bien doubteusement acquis sur les Bæotiens.

Ces traits se pourroient trouver estranges, s’il n’estoit receu de tout temps, non seulement d’estendre le soing de nous, au delà cette vie, mais encore de croire, que bien souvent les faveurs celestes nous accompaignent au tombeau, et continuent à nos reliques. Dequoy il y a tant d’exemples anciens, laissant à part les nostres, qu’il n’est besoing que je m’y estende. Edouard premier Roy d’Angleterre, ayant essayé aux longues guerres d’entre luy et Robert Roy d’Escosse, combien sa presence donnoit d’advantage à ses affaires, rapportant tousjours la victoire de ce qu’il entreprenoit en personne ; mourant, obligea son fils par solennel serment, à ce qu’estant trespassé, il fist bouillir son corps pour desprendre sa chair d’avec les os, laquelle il fit enterrer : et quant aux os, qu’il les reservast pour les porter avec luy, et en son armee, toutes les fois qu’il luy adviendroit d’avoir guerre contre les Escossois : comme si la destinee avoit fatalement attaché la victoire à ses membres.

Jean Vischa, qui troubla la Boheme pour la deffence des erreurs de VViclef, voulut qu’on l’escorchast apres sa mort, et de sa peau qu’on fist un tabourin à porter à la guerre contre ses ennemis : estimant que cela ayderoit à continuer les advantages qu’il avoit eux aux guerres, par luy conduictes contre eux. Certains Indiens portoient ainsi au combat contre les Espagnols ; les ossemens d’un de leurs Capitaines, en consideration de l’heur qu’il avoit eu en vivant. Et d’autres peuples en ce mesme monde, trainent à la guerre les corps des vaillans hommes, qui sont morts en leurs batailles, pour leur servir de bonne fortune et d’encouragement.

Les premiers exemples ne reservent au tombeau, que la reputation acquise par leurs actions passees : mais ceux-cy y veulent encore mesler la puissance d’agir. Le faict du Capitaine Bayard est de meilleure composition, lequel se sentant blessé à mort d’une harquebusade dans le corps, conseillé de se retirer de la meslee, respondit qu’il ne commenceroit point sur sa fin à tourner le dos à l’ennemy : et ayant combatu autant qu’il eut de force, se sentant defaillir, et eschapper du cheval, commanda à son maistre d’hostel, de le coucher au pied d’un arbre : mais que ce fust en façon qu’il mourust le visage tourné vers l’ennemy : comme il fit.

Il me faut adjouster cet autre exemple aussi remarquable pour cette consideration, que nul des precedens. L’Empereur Maximilian bisayeul du Roy Philippes, qui est à present, estoit Prince doué de tout plein de grandes qualitez, et entre autres d’une beauté de corps singuliere : mais parmy ces humeurs, il avoit ceste cy bien contraire à celle des Princes, qui pour despescher les plus importants affaires, font leur throsne de leur chaire percee : c’est qu’il n’eut jamais valet de chambre, si privé, à qui il permist de le voir en sa garderobbe : Il se desroboit pour tomber de l’eau, aussi religieux qu’une pucelle à ne descouvrir ny à Medecin ny à qui que ce fust les parties qu’on a accoustumé de tenir cachees. Moy qui ay la bouche si effrontee, suis pourtant par complexion touché de cette honte : Si ce n’est à une grande suasion de la necessité ou de la volupté, je ne communique gueres aux yeux de personne, les membres et actions, que nostre coustume ordonne estre couvertes : J’y souffre plus de contrainte que je n’estime bien seant à un homme, et sur tout à un homme de ma profession : Mais luy en vint à telle superstition, qu’il ordonna par parolles expresses de son testament, qu’on luy attachast des calessons, quand il seroit mort. Il devoit adjouster par codicille, que celuy qui les luy monteroit eust les yeux bandez. L’ordonnance que Cyrus faict à ses enfans, que ny eux, ny autre, ne voye et touche son corps, apres que l’ame en sera separee : je l’attribue à quelque siene devotion : Car et son Historien et luy, entre leurs grandes qualitez, ont semé par tout le cours de leur vie, un singulier soin et reverence à la religion.

Ce conte me despleut, qu’un grand me fit d’un mien allié, homme assez cogneu et en paix et en guerre. C’est que mourant bien vieil en sa cour, tourmenté de douleurs extremes de la pierre, il amusa toutes ses heures dernieres avec un soing vehement, à disposer l’honneur et la ceremonie de son enterrement : et somma toute la noblesse qui le visitoit, de luy donner parolle d’assister à son convoy. A ce Prince mesme, qui le vid sur ces derniers traits, il fit une instante supplication que sa maison fust commandee de s’y trouver ; employant plusieurs exemples et raisons, à prouver que c’estoit chose qui appartenoit à un homme de sa sorte : et sembla expirer content ayant retiré cette promesse, et ordonné à son gré la distribution, et ordre de sa montre. Je n’ay guere veu de vanité si perseverante.

Cette autre curiosité contraire, en laquelle je n’ay point aussi faute d’exemple domestique, me semble germaine à ceste-cy : d’aller se soignant et passionnant à ce dernier poinct, à regler son convoy, à quelque particuliere et inusitee parsimonie, à un serviteur et une lanterne. Je voy louer cett’humeur, et l’ordonnance de Marcus Æmylius Lepidus, qui deffendit à ses heritiers d’employer pour luy les ceremonies qu’on avoit accoustumé en telles choses. Est-ce encore temperance et frugalité, d’eviter la despence et la volupté, desquelles l’usage et la cognoissance nous est imperceptible ? Voila une aisee reformation et de peu de coust. S’il estoit besoin d’en ordonner, je seroy d’advis, qu’en celle là, comme en toutes actions de la vie, chascun en rapportast la regle, au degré de sa fortune. Et le Philosophe Lycon prescrit sagement à ses amis, de mettre son corps où ils adviseront pour le mieux : et quant aux funerailles, de les faire ny superflues ny mechaniques. Je lairrois purement la coustume ordonner de cette ceremonie, et m’en remettray à la discretion des premiers à qui je tomberay en charge. Totus hic locus est contemnendus in nobis, non negligendus in nostris. Et est sainctement dict à un sainct : Curatio funeris, conditio sepulturæ, pompa exequiarum, magis sunt vivorum solatia, quàm subsidia mortuorum. Pourtant Socrates à Criton, qui sur l’heure de sa fin luy demande, comment il veut estre enterré : Comme vous voudrez, respond-il. Si j’avois à m’en empescher plus avant, je trouverois plus galand, d’imiter ceux qui entreprennent vivans et respirans, jouyr de l’ordre et honneur de leur sepulture : et qui se plaisent de voir en marbre leur morte contenance. Heureux qui sachent resjouyr et gratifier leur sens par l’insensibilité, et vivre de leur mort !

A peu, que je n’entre en haine irreconciliable contre toute domination populaire : quoy qu’elle me semble la plus naturelle et equitable : quand il me souvient de cette inhumaine injustice du peuple Athenien : de faire mourir sans remission, et sans les vouloir seulement ouïr en leurs defenses, ces braves capitaines, venants de gaigner contre les Lacedemoniens la bataille navalle pres les Isles Arginenses : la plus contestee, la plus forte bataille, que les Grecs aient onques donnee en mer de leurs forces : par ce qu’apres la victoire, ils avoient suivy les occasions que la loy de la guerre leur presentoit, plustost que de s’arrester à recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette execution plus odieuse, le faict de Diomedon. Cettuy cy est l’un des condamnez, homme de notable vertu, et militaire et politique : lequel se tirant avant pour parler, apres avoir ouy l’arrest de leur condemnation, et trouvant seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s’en servir au bien de sa cause, et à descouvrir l’evidente iniquité d’une si cruelle conclusion, ne representa qu’un soin de la conservation de ses juges : priant les Dieux de tourner ce jugement à leur bien, et à fin que, par faute de rendre les voeux que luy et ses compagnons avoient voué, en recognoissance d’une si illustre fortune, ils n’attirassent l’ire des Dieux sur eux : les advertissant quels voeux c’estoient. Et sans dire autre chose, et sans marchander, s’achemina de ce pas courageusement au supplice. La fortune quelques annees apres les punit de mesme pain souppe. Car Chabrias capitaine general de leur armee de mer, ayant eu le dessus du combat contre Pollis Admiral de Sparte, en l’isle de Naxe, perdit le fruict tout net et content de sa victoire, tres-important à leurs affaires, pour n’encourir le malheur de cet exemple, et pour ne perdre peu de corps morts de ses amis, qui flottoyent en mer ; laissa voguer en sauveté un monde d’ennemis vivants, qui depuis leur feirent bien acheter cette importune superstition.

Quoeris, quo jaceas, post obitum, loco ?Quo non nata jacent.

Cet autre redonne le sentiment du repos, à un corps sans ame,

Neque sepulcrum, quo recipiat, habeat portum corporis :Ubi, remissa humana vita, corpus requiescat à malis.

Tout ainsi que nature nous faict voir, que plusieurs choses mortes ont encore des relations occultes à la vie. Le vin s’altere aux caves, selon aucunes mutations des saisons de sa vigne. Et la chair de venaison change d’estat aux saloirs et de goust, selon les loix de la chair vive, à ce qu’on dit.