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L'œuvre complète de Molière est un trésor de la littérature française, rassemblant une multitude de pièces qui explorent les travers de la société du XVIIe siècle. À travers un style racé et un langage riche en nuances, Molière offre des comédies incisives, telles que "Tartuffe", "Le Misanthrope" et "L'Avare", où l'hypocrisie, l'amour et l'argent sont audacieusement analysés. Son talent à mêler la farce aux interrogations morales en fait un pilier du théâtre classique, révélant ainsi le génie du dramaturge en utilisant la satire pour interroger les mœurs de son temps. Né Jean-Baptiste Poquelin en 1622, Molière s'est d'abord tourné vers le théâtre pour fuir une carrière de courtier. Influencé par les comédies italiennes et les idées de son époque, il a utilisé son art pour critiquer les institutions tout en divertissant le public. Son parcours tumultueux, marqué par des censure et des controverses - notamment avec la pièce "Tartuffe" - a façonné son choix de représenter les défis de la condition humaine à travers le prisme du rire. L'œuvre complète de Molière est une lecture incontournable pour quiconque s'intéresse à la comédie et à la critique sociale. Son approche audacieuse, alliée à une maîtrise inégalée des dialogues, séduira les amateurs de théâtre comme les néophytes. En retrouvant les leçons intemporelles que ses personnages véhiculent, le lecteur est invité à réfléchir sur sa propre humanité à travers le miroir déformant de la comédie. Dans cette édition enrichie, nous avons soigneusement créé une valeur ajoutée pour votre expérience de lecture : - Une Introduction approfondie décrit les caractéristiques unifiantes, les thèmes ou les évolutions stylistiques de ces œuvres sélectionnées. - La Biographie de l'auteur met en lumière les jalons personnels et les influences littéraires qui marquent l'ensemble de son œuvre. - Une section dédiée au Contexte historique situe les œuvres dans leur époque, évoquant courants sociaux, tendances culturelles и événements clés qui ont influencé leur création. - Un court Synopsis (Sélection) offre un aperçu accessible des textes inclus, aidant le lecteur à comprendre les intrigues et les idées principales sans révéler les retournements cruciaux. - Une Analyse unifiée étudie les motifs récurrents et les marques stylistiques à travers la collection, tout en soulignant les forces propres à chaque texte. - Des questions de réflexion vous invitent à approfondir le message global de l'auteur, à établir des liens entre les différentes œuvres et à les replacer dans des contextes modernes. - Enfin, nos Citations mémorables soigneusement choisies synthétisent les lignes et points critiques, servant de repères pour les thèmes centraux de la collection.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
Cette édition Molière: Oeuvres complètes rassemble, en un corps continu, la totalité des textes dramatiques de Molière dans leur ordonnance originale: préfaces, prologues, actes, scènes et distributions. Elle offre au lecteur et au praticien du théâtre une vue d’ensemble de l’itinéraire d’un auteur qui a conçu ses pièces pour la scène, et qui les a éprouvées devant des publics variés. Le projet vise à donner accès à l’amplitude d’un art comique qui va de la farce vive aux grandes comédies de caractère, sans dissocier la lecture des œuvres de leur vocation scénique, rythmée par l’architecture du théâtre classique français du XVIIe siècle.
Les textes réunis couvrent plusieurs formes dramatiques: comédies en vers et en prose, farces, comédies-ballets et pastorales, jusqu’à la tragédie-ballet. On y trouve des pièces d’intrigue et de mœurs, des expérimentations métathéâtrales, ainsi que des paratextes indispensables à la compréhension du projet poétique de l’auteur, tels que préfaces, placets, prologues, arguments et intermèdes. De L’Étourdi à Le Malade imaginaire, en passant par Le Bourgeois gentilhomme, L’Avare, Tartuffe, Le Misanthrope, Les Précieuses ridicules, Psyché ou George Dandin, la collection embrasse la variété des dispositifs scéniques et des registres comiques qu’explore Molière.
L’unité de l’ensemble tient à une interrogation constante sur la société, ses usages et ses illusions. Le théâtre de Molière met en jeu les tensions du mariage, la circulation de l’argent, la question de l’autorité domestique, la puissance des apparences et le besoin de reconnaissance. Les premières farces et comédies d’intrigue affûtent un regard qui s’élargit bientôt à des figures plus amples: l’hypocrite dévot, le libertin audacieux, l’ami sévère du vrai, le malade inquiet, l’avare obsédé. Dans chaque cas, la prémisse dramatique permet de déployer un diagnostic de mœurs où le rire devient une manière d’éprouver les comportements collectifs.
Les personnages, d’une lisibilité exemplaire, composent une véritable galerie de types et de tempéraments, sans cesser d’être singuliers. Valets ingénieux et pères soupçonneux, jeunes amoureux et précieuses ambitieuses, docteurs péremptoires et pédants, jaloux et fanfarons, chacun contribue à une mécanique comique où l’emporte la vivacité de la réplique et le choc des désirs. Les Fourberies de Scapin, Sganarelle ou Le Cocu imaginaire, L’École des maris, Les Fâcheux ou La Comtesse d’Escarbagnas en illustrent des variantes, héritières de la farce et attentives à la finesse psychologique, nourries de la tradition comique européenne et d’un sens aigu de la situation.
Sur le plan de l’écriture, l’œuvre marie la clarté de la langue classique à une versification souple, et alterne vers et prose selon les nécessités du ton et de l’action. Les scènes s’organisent autour du quiproquo, de la pointe, de la réplique serrée et de la progression logique des aveux et des résistances. Les grands ensembles dialogués voisinent avec des monologues efficaces, tandis que la dynamique scénique s’appuie sur des entrées et sorties précises. Le style, net et cadencé, privilégie la limpidité argumentative et l’ironie, de sorte que la justesse des mots éclaire les caractères autant qu’elle déclenche le comique.
Le théâtre de Molière est aussi art du spectacle total. Les comédies-ballets et pièces à grand apparat, telles que Le Bourgeois gentilhomme, Monsieur de Pourceaugnac, Les Amants magnifiques, Le Mariage forcé, L’Amour médecin ou Psyché, conjuguent dialogue, danse, musique et entrées chantées. Les intermèdes rythment l’action, amplifient la satire et élargissent la palette des plaisirs scéniques. Cette alliance du verbe et de la fête, conçue pour des auditoires de cour comme de ville, montre combien la dramaturgie moliéresque sait mettre la scène au service d’une jubilation sensuelle qui renforce, et non contredit, l’examen critique des comportements.
Certaines pièces réfléchissent ouvertement sur le théâtre, son public et ses règles. L’Impromptu de Versailles montre une troupe au travail et interroge le rapport entre auteur, comédiens et spectateurs. La Critique de l’École des femmes met en scène un débat de réception qui éclaire les incompréhensions et les attentes suscitées par une comédie nouvelle. Les préfaces et placets rappellent que la comédie, art sérieux du rire, a suscité discussions et oppositions. Ces textes forment un discours de méthode où Molière expose, en situation, la légitimité d’un théâtre qui observe, éprouve et corrige les travers du siècle.
La composition des œuvres révèle une science de l’architecture dramatique. Des actes équilibrés, une distribution des scènes ajustée, la circulation des confidences et des apartés, la montée des obstacles et la détente finale forment une mécanique d’horloger. Les intrigues, souvent propulsées par l’inventivité des domestiques ou par la logique des passions, laissent place à l’examen patient des caractères. L’École des femmes, L’Avare, Le Misanthrope, Don Juan, Tartuffe ou Les Femmes savantes témoignent d’une dramaturgie qui articule l’élan de l’intrigue à la constance d’une observation morale, sans sacrifier la vivacité comique.
L’espace scénique embrasse une diversité de milieux et d’imaginaires. Salons, maisons bourgeoises, places publiques, domaines rustiques ou cadres mythologiques servent de révélateurs aux ambitions, peurs et impostures. George Dandin expose les frottements entre noblesse et richesse; Les Fourberies de Scapin déploient l’énergie d’une ville portuaire; Amphitryon et Psyché dialoguent avec l’Antiquité pour renouveler la satire des identités et des illusions. Partout, la situation sociale, loin d’être décorative, devient l’agent discret d’un portrait global des mœurs, sensible aux hiérarchies, aux langages et aux rituels de la vie collective.
La langue de Molière tire sa force d’un mélange maîtrisé des registres. Elle accueille le jargon des médecins, les raffinements précieux, la véhémence des jaloux, la sécheresse des avares, la volubilité des valets. L’oreille gouverne la phrase: rythme, symétrie, reprises, antithèses et images concrètes organisent l’argumentation comique. Sans s’éloigner de la clarté, l’auteur sait densifier la nuance ou faire entendre l’absurde, selon qu’il peint la sincérité blessée, l’ambition ridicule ou la mauvaise foi triomphante. De là cette impression de précision et de mobilité qui rend chaque scène immédiatement intelligible et scéniquement efficace.
L’importance durable de cette œuvre tient à l’alliance du plaisir et du discernement. Parce qu’elle fait rire, elle fait voir; parce qu’elle observe, elle enseigne sans dogmatisme. Le répertoire de Molière n’a cessé d’être joué, traduit, commenté et réinventé sur les scènes et dans les salles d’étude. Sa galerie de figures, ses intrigues nettes, ses questions toujours actuelles sur la sincérité, l’autorité, la croyance, l’argent et le corps, lui assurent une présence constante. Les metteurs en scène y trouvent une grammaire dramatique éprouvée; les lecteurs, une langue qui garde son pouvoir d’évidence et de surprise.
Le présent volume invite à lire ces pièces comme un théâtre vivant. On peut suivre la chronologie des expérimentations, ou entrer par thèmes et formes: farces, comédies de caractère, comédies-ballets, pastorales, tragédie-ballet, métathéâtre. Les prologues et arguments orientent; les listes de personnages préparent la lecture; les intermèdes offrent des respirations musicales. L’ensemble, fidèle aux découpages en actes et scènes, permet d’entendre la logique d’un art dramatique où chaque élément est à sa place. Que l’on aborde l’œuvre pour l’étude, la mise en scène ou le simple plaisir, elle se donne ici dans la plénitude de ses voix et de ses formes.
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622–1673), est l’auteur et comédien qui a donné à la comédie française ses formes majeures au Grand Siècle. Chef de troupe, metteur en scène et acteur, il allie observation des mœurs et efficacité scénique, du canevas farcesque aux comédies de caractère et de situation. À Paris comme à la cour, il invente la comédie-ballet et perfectionne un théâtre qui conjugue prose, vers et musique. Ses pièces, de L’Étourdi à Le Malade imaginaire, composent un ensemble cohérent où l’on scrute passions, ridicules et illusions sociales, avec une langue vive dont la précision dramatique reste exemplaire.
Né à Paris et formé au collège de Clermont, Molière reçoit une solide culture humaniste et une pratique du latin, de la rhétorique et des arts du spectacle. En 1643, il s’associe à Madeleine Béjart et fonde L’Illustre Théâtre. L’entreprise peine à s’imposer à Paris, mais pose les bases d’un travail de troupe qui restera sa marque. Très tôt, il s’exerce à la farce et au burlesque, comme en témoignent La Jalousie du Barbouillé et des canevas proches de la commedia dell’arte. Ce double héritage, savant et populaire, façonne une dramaturgie attentive au jeu, au rythme et à la scène.
Après l’échec initial à Paris, Molière parcourt les provinces pendant plus d’une décennie, jouant et perfectionnant son répertoire au contact d’un public varié. C’est là qu’émergent ses premiers succès d’auteur, dont L’Étourdi ou les Contretemps et Le Dépit amoureux, qui affirment son goût pour l’intrigue vive, les quiproquos et l’architecture comique. Il y approfondit les types qui nourriront toute son œuvre — valet ingénieux, amant impulsif, père autoritaire — et forge un sens aigu du plateau. Cette maturation provinciale prépare son retour dans la capitale et la conquête d’un public mondain sans renier l’énergie de la farce.
De retour à Paris, sa troupe joue devant la cour puis s’installe durablement. Les Précieuses ridicules le révèle d’emblée comme satiriste des modes et du langage. Suivent Les Fâcheux, Sganarelle ou le Cocu imaginaire, L’École des maris et L’École des femmes, bientôt défendue par La Critique de l’École des femmes et L’Impromptu de Versailles. Molière explore les codes de la galanterie, la comédie d’éducation et la mise en abyme du théâtre. Une tentative héroïco-comique, Don Garcie de Navarre, reçoit un accueil réservé, confirmant que sa veine maîtresse réside dans la comédie vive, ancrée dans les usages contemporains.
Au cœur des années 1660, Molière affronte les controverses. Tartuffe, d’abord interdit, le contraint à plaider sa cause auprès du pouvoir, comme en témoignent ses placets au roi. Don Juan ou Le Festin de pierre, pièce audacieuse, nourrit à son tour la polémique. En contrepoint, Le Misanthrope offre une comédie de caractère d’une grande profondeur morale. Ces œuvres, sans déclarer de programme doctrinal, interrogent l’hypocrisie, la posture libertine, le conformisme de salon et la fragilité du jugement. Elles fixent un équilibre singulier entre satire sociale, peinture des passions et réflexion sur la responsabilité individuelle.
Parallèlement, Molière invente et déploie la comédie-ballet, en étroite collaboration avec les musiciens et les danseurs de la cour. Le Mariage forcé, La Princesse d’Élide, Monsieur de Pourceaugnac, George Dandin, Le Bourgeois gentilhomme, Les Amants magnifiques, Le Sicilien ou l’Amour peintre et Psyché associent scènes dialoguées, divertissements, intermèdes et ballets. Dans le même temps, il compose des chefs-d’œuvre de pure comédie comme L’Avare et Les Fourberies de Scapin, et affine la satire des milieux lettrés avec Les Femmes savantes. Jeux de langue, mélange de prose et d’alexandrins, science du comique de situation assurent l’éclat scénique.
Ses dernières années culminent avec Le Malade imaginaire, comédie-ballet médicale qui prolonge une veine déjà explorée dans L’Amour Médecin et Le Médecin malgré lui. Créée peu avant sa mort en 1673, la pièce résume son art du comique et de l’observation. Sa troupe, soutenue par la faveur royale, consolide l’idée d’un théâtre permanent qui mènera, après lui, à la Comédie-Française. Personnages et types — Alceste, Harpagon, Scapin, Argan — sont devenus des repères de la culture européenne. Par l’acuité de la réplique et l’exigence du jeu d’ensemble, Molière demeure un classique vivant, constamment rejoué, étudié et adapté.
Cette collection couvre l’itinéraire complet de Molière (Jean-Baptiste Poquelin, 1622-1673), depuis ses farces de troupe itinérante jusqu’aux grandes comédies parisiennes et aux comédies-ballets de cour. Entre la fin de la Fronde (1648-1653) et l’affermissement de la monarchie absolue sous Louis XIV, son théâtre observe et réplique aux tensions d’un siècle qui codifie l’art, discipline la ville et contrôle les consciences. Des premiers succès comme L’Étourdi (vers 1655) et Les Précieuses ridicules (1659) au Malade imaginaire (1673), les pièces s’inscrivent dans des débats contemporains sur la religion, la langue, les savoirs, la hiérarchie sociale et le divertissement monarchique.
L’essor de Molière est indissociable des institutions théâtrales parisiennes. Après l’échec de l’Illustre Théâtre (fondé en 1643), sa troupe joue devant Louis XIV à l’automne 1658 et obtient la salle du Petit-Bourbon. La démolition de ce lieu en 1660 entraîne son installation au Palais-Royal, ancien théâtre de Richelieu. Elle affronte la concurrence de l’Hôtel de Bourgogne et des Comédiens-Italiens. En 1665, la troupe devient « du Roi », avec pension et protection. Cet ancrage institutionnel conditionne la création et la diffusion d’œuvres comme L’École des femmes, Le Misanthrope, Tartuffe et les comédies-ballets destinées aux fêtes royales.
La dramaturgie de Molière est nourrie par la commedia dell’arte et par la comédie espagnole. Des canevas italiens irriguent L’Étourdi ou les Contretemps et Le Dépit amoureux, avec valets ingénieux, quiproquos et intrigues à ressorts. Les Fourberies de Scapin prolongent cette veine en stylisant des lazzi et un art de la ruse scénique. Parallèlement, la tradition ibérique des comédies d’intrigue, transmise en France dès le premier XVIIe siècle, inspire structures et masques sociaux. Le métissage des formes — improvisions italiennes, vers français, procédés espagnols — aboutit à un comique original, ajusté aux attentes du public parisien et aux règles naissantes du classicisme.
Les débats mondains sur la conversation, la galanterie et le « bel usage » forment l’arrière-plan des Précieuses ridicules (1659). La mode des salons, de l’Hôtel de Rambouillet à l’entourage de Madeleine de Scudéry, promeut une sociabilité lettrée et un raffinement du langage. Molière vise moins ces salons que leurs imitateurs provinciaux et l’affectation qui accompagne la distinction sociale. La pièce marque son premier grand succès parisien, au moment où l’Académie française consolide la norme linguistique et où l’imprimé diffuse manuels de civilité et romans fleuves. Le théâtre devient ainsi un observatoire des excès d’une culture de politesse triomphante.
Le droit coutumier, la puissance paternelle et les mariages arrangés structurent la société urbaine des années 1660. L’École des maris (1661) et L’École des femmes (1662) interrogent l’autorité masculine, l’éducation des jeunes filles et le consentement. La « Querelle de L’École des femmes » (1662-1663) mobilise pamphlets, lettres et ripostes scéniques. La Critique de L’École des femmes (1663) et L’Impromptu de Versailles (1663) situent la dispute sur le terrain esthétique, entre bienséance, vraisemblance et goût. Cette controverse illustre la vigueur d’un espace public de discussion, encadré par privilèges d’impression et par les usages de cour.
Les tensions religieuses de la France post-tridentine irriguent Tartuffe. Jouée en 1664 à Versailles, la pièce est interdite par l’archevêque de Paris et fait l’objet de placets au roi, reproduits dans la tradition éditoriale. Une version de 1667 reste encore frappée d’interdiction. L’autorisation définitive n’intervient qu’en 1669. La satire de l’hypocrisie dévote se heurte aux réseaux de piété qui pèsent sur la censure, notamment ceux qu’incarnait la Compagnie du Saint-Sacrement, dissoute au milieu des années 1660. Don Juan (1665), d’un autre côté, suscite des critiques d’impiété et est rapidement retiré de l’affiche.
La stabilisation de la monarchie après la mort de Mazarin (1661) transforme le spectacle en instrument politique. Les Fâcheux, présentés chez Fouquet à Vaux en août 1661, précèdent l’arrestation du surintendant et signalent l’alignement de la troupe sur la faveur royale. Les fêtes de Versailles (mai 1664) associent comédie, danse et musique, consacrant la comédie-ballet que Molière développe avec Lully et Beauchamp. La Princesse d’Élide, Le Mariage forcé, puis L’Amour médecin témoignent de cette culture du divertissement qui exalte l’ordre monarchique, met en scène la magnificence et impose des standards techniques de plus en plus ambitieux.
Les mutations sociales du règne — enrichissement des officiers, mobilité bourgeoise, prestige controversé de la noblesse — nourrissent plusieurs comédies. Le Bourgeois gentilhomme (1670) caricature l’ambition d’ascension culturelle par l’imitation des codes aristocratiques. George Dandin (1668) met en scène l’inégalité d’un mariage entre riche paysan et petite noblesse, dans un monde d’alliances intéressées. L’Avare (1668) observe la circulation de l’argent, les dots et les logiques de crédit qui structurent le quotidien urbain. Monsieur de Pourceaugnac (1669) ridiculise la suffisance provinciale face aux corps constitués de la capitale.
La croissance de Paris et l’affirmation d’une police moderne (la lieutenance générale confiée à La Reynie en 1667) encadrent étroitement les spectacles publics. Les auteurs écrivent sous privilège, les troupes jouent sous licence et les autorités ecclésiastiques exercent un droit de regard. Dans cette cité procédurière, Molière tourne en dérision praticiens et auxiliaires de justice, médecins, pédants et entremetteurs. Les Fourberies de Scapin (1671) exploitent les marges du droit familial par les ruses d’un valet. La Comtesse d’Escarbagnas ou Monsieur de Pourceaugnac satirisent le prestige social revendiqué et l’arbitraire de labels honorifiques.
La satire médicale occupe une place centrale dans les années 1665-1673. La Faculté de médecine de Paris, fidèle pour l’essentiel à la tradition galénique et au latin professionnel, se trouve en porte-à-faux face à des curiosités nouvelles. L’Amour médecin (1665) et Le Médecin malgré lui (1666) accentuent le comique de jargon et de rivalité corporative. Le Malade imaginaire (1673), comédie-ballet avec cérémonial parodique, cristallise ce regard critique sur le pédantisme thérapeutique et les intérêts de corps. Sans proposer un programme scientifique, Molière observe la distance entre savoirs officiels, marché de la santé et expérience des malades.
Les relations extérieures de la France s’invitent aussi sur scène. La mode des « turqueries » gagne Paris après la venue d’un envoyé ottoman en 1669, et Le Bourgeois gentilhomme intègre un cérémonial exotique de fantaisie. Les Amants magnifiques (1670) et plusieurs comédies-ballets exaltent la puissance et la magnificence royales à travers ballets, machines et allégories. Ces spectacles accompagnent une politique d’image alors que le royaume mène, par épisodes, des conflits en Europe. Le théâtre, sans traiter directement des guerres, participe à l’affirmation d’un art de cour qui diffuse symboles d’ordre, de richesse et de rayonnement international.
La normalisation linguistique du siècle classique renforce l’autorité du « bon usage ». L’Académie française (fondée en 1635) et les remarques de Vaugelas favorisent une correction de la prose et du vers. Les Femmes savantes (1672) brocardent pédanterie et faux savoir, dans un moment où les querelles érudites s’exposent en société. Molière alterne alexandrins et prose, selon les genres et les effets comiques recherchés, tout en respectant de plus en plus la bienséance scénique. La diffusion imprimée des pièces et des libelles de querelle montre l’essor d’un espace critique élargi, malgré l’existence des privilèges et des interdits.
Don Juan ou Le Festin de pierre (1665) s’inscrit dans la tradition européenne issue de Tirso de Molina. L’actualisation française confronte libertinage de mœurs, casuistique et peur du scandale. Après quelques semaines, la pièce disparaît de l’affiche sous pression morale et politique. Le texte ne paraît pas du vivant de Molière; il est publié en 1682 dans l’édition de ses œuvres, avec des remaniements destinés à l’impression. Cette trajectoire éditoriale rappelle les contraintes qui pesaient sur certains thèmes — impiété perçue, moquerie de la dévotion — et la nécessité d’arbitrages entre geste théâtral et survivance du texte.
La carrière provinciale de Molière (années 1646-1658) constitue un laboratoire esthétique. Soutenue un temps par le prince de Conti, la troupe sillonne le Midi et s’imprègne des pratiques italiennes et espagnoles. Des farces comme La Jalousie du Barbouillé et des comédies d’intrigue comme Le Dépit amoureux appartiennent à ce répertoire façonné en tournée. Lorsque le prince de Conti devient figure de la piété militante, il combat le théâtre et écrira plus tard contre les spectacles. Ce retournement illustre l’instabilité des patronages d’Ancien Régime et explique, en partie, la prudence et l’ironie de Molière à l’égard des dévots.
La révolution scénique du règne tient à la machinerie et à l’intégration des arts. Avec Lully et des architectes de théâtre comme Vigarani, la cour dispose d’outils pour des métamorphoses rapides, voleries et apparitions. Psyché (1671), réalisée avec Quinault et Corneille, est exemplaire de cette convergence théâtre-musique-ballet assortie d’effets spectaculaires. En 1672, Lully obtient un privilège sur l’Académie royale de musique, ce qui met fin à sa collaboration avec la troupe de Molière. Dès lors, Marc-Antoine Charpentier fournit la musique de plusieurs pièces, jusqu’au Malade imaginaire, qui combine encore comique, chant et danse.
La fin de la vie de Molière concentre succès et fragilité. Il meurt en février 1673, peu après une représentation du Malade imaginaire. Sa troupe survit, et l’autorité royale organise le paysage théâtral. En 1680, un édit réunit la troupe du Palais-Royal et celle de l’Hôtel de Bourgogne, fondant la Comédie-Française, dépositaire de son répertoire. Dans l’immédiat après-Molière, la scène reste soumise aux mêmes contrôles religieux et policiers, mais la vitalité des reprises atteste l’inscription durable de ses personnages — d’Arnolphe à Harpagon, de Sganarelle à Alceste — dans la mémoire dramatique française.
Les pièces réagissent aux forces sociales du temps par une comédie d’observation plutôt que par manifeste. Elles accompagnent la consolidation de l’absolutisme, la politisation du divertissement, la normalisation du langage et l’emprise des corps constitués. En même temps, elles mettent en crise les signes — titres, latin, dévotion, noblesse — par le rire. Aux siècles suivants, l’édition de 1682 fixera un canon rejoué, commenté par la critique des Lumières et par l’école républicaine. Du plateau de la Comédie-Française aux compagnies contemporaines, la réception n’a cessé de recontextualiser ces œuvres, en y cherchant des clés pour comprendre l’Ancien Régime et ses héritages.
L’Étourdi ou les Contretemps, Le Dépit amoureux, La Jalousie du Barbouillé, Sganarelle ou Le Cocu imaginaire et Les Précieuses ridicules multiplient quiproquos, mensonges de circonstance et accès de jalousie. Les intrigues y sont emportées par l’impulsivité des jeunes gens et l’entêtement des maris, tandis que la satire vise aussi bien l’autorité domestique que les affections mondaines. Le ton est vif, farcesque, et installe déjà l’art du portrait social à travers le rire.
L’École des maris et L’École des femmes opposent des tuteurs jaloux à des amours qui échappent au contrôle, dévoilant les angles morts de l’autorité et de la méfiance. La Critique de l’École des femmes commente ces enjeux en les rejouant sur le mode comique, tandis que Don Garcie de Navarre pousse la passion jalouse vers une noblesse inquiète, où le soupçon dévore la promesse du lien. Ensemble, ces pièces questionnent l’apprentissage du désir et la légitimité de la surveillance.
Don Juan ou Le Festin de pierre et L’imposteur ou Le Tartuffe dressent deux figures de transgression verbale — séduction sans frein et dévotion feinte — capables de charmer et de dominer. Les intrigues observent la résistance précaire de l’entourage et de la société face à ces emprises, oscillant entre ironie et gravité morale. La mise en cause de l’aveuglement collectif s’y fait aussi satire des crédulités et des intérêts.
Le Misanthrope, L’Avare et Les Femmes savantes présentent des personnages saisis par une idée fixe — franchise absolue, passion de l’argent, culte du savoir — qui reconfigure leurs relations. Ces comédies exhibent les mécanismes du paraître et les compromis sociaux, à travers salons, familles et rivalités. L’analyse des caractères se double d’une critique du langage, entre précision, pédantisme et faux-semblants.
Le Médecin malgré lui, Les Fourberies de Scapin et Le Sicilien ou l’Amour peintre font triompher l’invention pragmatique et les stratagèmes de coulisse. Du docteur improvisé aux duperies spectaculaires d’un valet, en passant par une intrigue galante menée à la baguette, ces pièces célèbrent l’adresse et la parole efficace. Le rythme enlevé et la mécanique du gag y produisent un comique d’action verbale.
Les Fâcheux, Le Mariage forcé, L’Amour Médecin, Monsieur de Pourceaugnac, Le Bourgeois gentilhomme, Les Amants magnifiques et La Comtesse d’Escarbagnas mêlent musique, danse et comédie pour peindre l’art de plaire et de paraître. Importuns, parvenus, médecins cabotins et provinciaux révèlent une sociabilité gouvernée par l’étiquette, la mode et les calculs d’alliance. La verve satirique reste légère, portée par l’éclat du divertissement.
La Princesse d’Élide, Mélicerte, Pastorale comique, Psyché et Amphitryon transportent l’amour vers des cadres idéalisés où s’entrelacent badinage, merveilleux et illusions. Pastorales et légendes deviennent laboratoires d’identité, de désir et de métamorphose, entre prologues, entrées et effets scéniques. La grâce ornementale y cohabite avec une réflexion plus rêveuse sur le double et la tromperie.
George Dandin ou Le Mari confondu suit un mari qui croit acheter l’honneur par alliance et se heurte à la logique impitoyable des apparences. Ses tentatives de faire reconnaître ses droits sont sans cesse neutralisées par les codes mondains. Le comique y prend une teinte amère, où la lucidité naît de l’humiliation.
L’Impromptu de Versailles met une troupe en scène alors qu’elle élabore son spectacle, exhibant répétitions, hésitations et rivalités. Les procédés du théâtre deviennent la matière même de la comédie, qui interroge le rapport entre auteur, acteurs et public. Le ton est vif, autoréflexif et joue sur l’attente du spectateur.
Le Malade imaginaire observe comment la peur de la maladie installe traitements, jargon et rituels au cœur de la maison. La pièce associe satire médicale, numéros chantés et conflits familiaux pour montrer la crédulité et la quête de sécurité. Sous le burlesque affleure une inquiétude intime face au corps et à la finitude.
De la farce à la comédie de mœurs, et des intrigues à quiproquos aux portraits de grands caractères, l’ensemble déploie une critique des apparences, du langage et des pouvoirs domestiques. La variété des formes — comédie en prose, comédie-ballet, pastorale ou mythologie — révèle un art de conjuguer rythme scénique, satire sociale et réflexion morale. Se dessinent des thèmes récurrents: abus d’autorité, séduction du discours, illusion sociale et désir d’émancipation.
Gorgibus, père de Lucile.Lucile, fille de Gorgibus.Valère, amant de Lucile.Sabine, cousine de Lucile.Sganarelle, valet de Valère.Gros-René, valet de Gorgibus.Un avocat.
Valère, Sabine
Valère Hé bien! Sabine, quel conseil me donnes-tu?
Sabine Vraiment, il y a bien des nouvelles. Mon oncle veut résolument que ma cousine épouse Villebrequin, et les affaires sont tellement avancées, que je crois qu’ils eussent été mariés dès aujourd’hui, si vous n’étiez aimé; mais, comme ma cousine m’a confié le secret de l’amour qu’elle vous porte, et que nous nous sommes vues à l’extrémité par l’avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisées d’une bonne invention pour différer le mariage. C’est que ma cousine, dès l’heure que je vous parle, contrefait la malade; et le bon vieillard, qui est assez crédule, m’envoie querir un médecin. Si vous en pouviez envoyer quelqu’un qui fût de vos bons amis, et qui fût de notre intelligence, il conseilleroit à la malade de prendre l’air à la campagne. Le bonhomme ne manquera pas de faire loger ma cousine à ce pavillon qui est au bout de notre jardin, et, par ce moyen, vous pourriez l’entretenir à l’insu de notre vieillard, l’épouser, et le laisser pester tout son soûl avec Villebrequin.
Valère Mais le moyen de trouver sitôt un médecin à ma poste, et qui voulût tant hasarder pour mon service! Je te le dis franchement, je n’en connois pas un.
Sabine Je songe une chose; si vous faisiez habiller votre valet en médecin: il n’y a rien de si facile à duper que le bonhomme.
Valère C’est un lourdaud qui gâtera tout; mais il faut s’en servir, faute d’autre. Adieu, je le vais chercher. Où diable trouver ce maroufle à présent? mais le voici tout à propos;
Valère, Sganarelle
Valère Ah! mon pauvre Sganarelle, que j’ai de joie de te voir! J’ai besoin de toi dans une affaire de conséquence; mais, comme que je ne sais pas ce que tu sais faire…
Sganarelle Ce que je sais faire, monsieur? Employez-moi seulement en vos affaires de conséquence, ou pour quelque chose d’importance: par exemple, envoyez-moi voir quelle heure il est à une horloge, voir combien le beurre vaut au marché, abreuver un cheval, c’est alors que vous connoîtrez ce que je sais faire.
Valère Ce n’est pas cela; c’est qu’il faut que tu contrefasses le médecin.
Sganarelle Moi, médecin, monsieur! Je suis prêt à faire tout ce qu’il vous plaira: mais, pour faire le médecin, je suis assez votre serviteur pour n’en rien faire du tout; et par quel bout m’y prendre, bon Dieu? Ma foi! monsieur, vous vous moquez de moi.
Valère Si tu veux entreprendre cela, va, je te donnerai dix pistoles.
Sganarelle Ah! pour dix pistoles, je ne dis pas que je ne sois médecin; car, voyez-vous bien, monsieur, je n’ai pas l’esprit tant, tant subtil, pour vous dire la vérité. Mais, quand je serai médecin, où irai-je?
Valère Chez le bonhomme Gorgibus, voir sa fille qui est malade; mais tu es un lourdaud qui, au lieu de bien faire, pourrois bien…
Sganarelle Hé! mon Dieu, monsieur, ne soyez point en peine; je vous réponds que je ferai aussi bien mourir une personne qu’aucun médecin qui soit dans la ville. On dit un proverbe, d’ordinaire: après la mort le médecin; mais vous verrez que, si je m’en mêle, on dira: après le médecin gare la mort! Mais, néanmoins, quand je songe, cela est bien difficile de faire le médecin; et si je ne fais rien qui vaille?
Valère Il n’y a rien de si facile en cette rencontre; Gorgibus est un homme simple, grossier, qui se laissera étourdir de ton discours, pourvu que tu parles d’Hippocrate et de Galien, et que tu sois un peu effronté.
Sganarelle C’est-à-dire qu’il lui faudra parler philosophie, mathématique. Laissez-moi faire, s’il est un homme facile, comme vous le dites, je vous réponds de tout; venez seulement me faire avoir un habit de médecin, et m’instruire de ce qu’il me faut faire, et me donner mes licences, qui sont les dix pistoles promises.
(Valère et Sganarelle s’en vont. )
Gorgibus, Gros-René Gorgibus Allez vitement chercher un médecin, car ma fille est bien malade, et dépêchez-vous.
Gros-René Que diable aussi! pourquoi vouloir donner votre fille à un vieillard? Croyez-vous que ce ne soit pas le désir qu’elle a d’avoir un jeune homme qui la travaille? Voyez-vous la connexité qu’il y a, etc.(galimatias).
Gorgibus Va-t’en vite; je vois bien que cette maladie-là reculera bien les noces.
Gros-René Et c’est ce qui me fait enrager; je croyois refaire mon ventre d’une bonne carrelure, et m’en voilà sevré. Je m’en vais chercher un médecin pour moi, aussi bien que pour votre fille; je suis désespéré. (Il sort. )
Sabine, Gorgibus, Sganarelle Sabine Je vous trouve à propos, mon oncle, pour vous apprendre une bonne nouvelle. Je vous amène le plus habile médecin du monde, un homme qui vient des pays étrangers, qui sait les plus beaux secrets, et qui sans doute guérira ma cousine. On me l’a indiqué par bonheur, et je vous l’amène. Il est si savant, que je voudrois de bon coeur être malade, afin qu’il me guérît.
Gorgibus Où est-il donc?
Sabine Le voilà qui me suit; tenez, le voilà.
Gorgibus Très-humble serviteur à monsieur le médecin. Je vous envoie querir pour voir ma fille qui est malade; je mets toute mon espérance en vous.
Sganarelle Hippocrate dit, et Galien, par vives raisons, persuade qu’une personne ne se porte pas bien quand elle est malade. Vous avez raison de mettre votre espérance en moi; car je suis le plus grand, le plus habile, le plus docte médecin qui soit dans la Faculté végétable, sensitive et minérale.
Gorgibus J’en suis fort ravi.
Sganarelle Ne vous imaginez pas que je sois un médecin ordinaire, un médecin du commun. Tous les autres médecins ne sont, à mon égard, que des avortons de médecins. J’ai des talents particuliers, j’ai des secrets. Salamalec, salamalec. Rodrigue, as-tu du coeur? signor, si; signor, no. Per omnia saecula saeculorum. Mais encore voyons un peu.
Sabine Eh! ce n’est pas lui qui est malade, c’est sa fille.
Sganarelle Il n’importe: le sang du père et de la fille ne sont qu’une même chose; et par l’altération de celui du père, je puis connoître la maladie de la fille. Monsieur Gorgibus, y auroit-il moyen de voir de l’urine de l’égrotante?
Gorgibus Oui-da; Sabine, vite allez querir de l’urine de ma fille. (Sabine sort. ) Monsieur le médecin, j’ai grand’peur qu’elle ne meure.
Sganarelle Ah! qu’elle s’en garde bien! il ne faut pas qu’elle s’amuse à se laisser mourir sans l’ordonnance de la médecine. (Sabine rentre. ) Voilà de l’urine qui marque grande chaleur, grande inflammation dans les intestins; elle n’est pas tant mauvaise pourtant.
Gorgibus Eh quoi! monsieur, vous l’avalez?
Sganarelle Ne vous étonnez pas de cela: les médecins, d’ordinaire, se contentent de la regarder; mais moi, qui suis un médecin hors du commun, je l’avale, parce qu’avec le goût je discerne bien mieux la cause et les suites de la maladie; mais, à vous dire la vérité, il y en avoit trop peu pour asseoir un bon jugement: qu’on la fasse encore pisser.
Sabine, sort et revient. J’ai bien eu de la peine à la faire pisser.
Sganarelle Que cela? voilà bien de quoi! Faites-la pisser copieusement, copieusement. Si tous les malades pissent de la sorte, je veux être médecin toute ma vie.
Sabine Voilà tout ce qu’on peut avoir; elle ne peut pas pisser davantage.
Sganarelle Quoi? Monsieur Gorgibus, votre fille ne pisse que des gouttes? voilà une pauvre pisseuse que votre fille; je vois bien qu’il faudra que je lui ordonne une potion pissatrice. N’y auroit-il pas moyen de voir la malade?
Sabine Elle est levée; si vous voulez, je la ferai venir.
Lucile, Sabine, Gorgibus, Sganarelle Sganarelle Hé bien! mademoiselle, vous êtes malade?
Lucile Oui, monsieur.
Sganarelle Tant pis! c’est une marque que vous ne vous portez pas bien. Sentez-vous de grandes douleurs à la tête, aux reins?
Lucile Oui, monsieur.
Sganarelle C’est fort bien fait. Oui, ce grand médecin, au chapitre qu’il a fait de la nature des animaux, dit… cent belles choses; et comme les humeurs qui ont de la connexité ont beaucoup de rapport; car, par exemple, comme la mélancolie est ennemie de la joie, et que la bile qui se répand par le corps nous fait devenir jaunes, et qu’il n’est rien plus contraire à la santé que la maladie, nous pouvons dire, avec ce grand homme, que votre fille est fort malade. Il faut que je vous fasse une ordonnance.
Gorgibus Vite une table, du papier, de l’encre.
Sganarelle Y a-t-il quelqu’un qui sache écrire?
Gorgibus Est-ce que vous ne le savez point?
Sganarelle Ah! je ne m’en souvenois pas; j’ai tant d’affaires dans la tête, que j’oublie la moitié… Je crois qu’il seroit nécessaire que votre fille prît un peu l’air, qu’elle se divertît à la campagne.
Gorgibus Nous avons un fort beau jardin, et quelques chambres qui y répondent; si vous le trouvez à propos, je l’y ferai loger.
Sganarelle Allons visiter les lieux. (Ils sortent tous. )
L’Avocat, seul J’ai ouï dire que la fille de monsieur Gorgibus étoit malade; il faut que je m’informe de sa santé, et que je lui offre mes services comme ami de toute sa famille. Holà, holà! monsieur Gorgibus y est-il?
Gorgibus, L’Avocat
Gorgibus Monsieur, votre très-humble, etc.
L’Avocat Ayant appris la maladie de mademoiselle votre fille, je vous suis venu témoigner la part que j’y prends, et vous faire offre de tout ce qui dépend de moi.
Gorgibus J’étois là dedans avec le plus savant homme.
L’Avocat N’y auroit-il pas moyen de l’entretenir un moment?
Gorgibus, L’Avocat, Sganarelle Gorgibus Monsieur, voilà un fort habile homme de mes amis, qui souhaiteroit de vous parler et vous entretenir.
Sganarelle Je n’ai pas le loisir, monsieur Gorgibus: il faut aller à mes malades. Je ne prendrai pas la droite avec vous, monsieur.
L’Avocat Monsieur, après ce que m’a dit monsieur Gorgibus de votre mérite et de votre savoir, j’ai eu la plus grande passion du monde d’avoir l’honneur de votre connoissance, et j’ai pris la liberté de vous saluer à ce dessein: je crois que vous ne le trouverez pas mauvais. Il faut avouer que tous ceux qui excellent en quelque science sont dignes de grande louange, et particulièrement ceux qui font profession de la médecine, tant à cause de son utilité, que parce qu’elle contient en elle plusieurs autres sciences, ce qui rend sa parfaite connoissance fort difficile; et c’est fort à propos qu’Hippocrate dit dans son premier aphorisme: Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praeceps, experimentum periculosum, judicium difficile.
Sganarelle, à Gorgibus. Ficile tantina pota baril cambustibus.
L’Avocat Vous n’êtes pas de ces médecins qui ne vous appliquent qu’à la médecine qu’on appelle rationale ou dogmatique, et je crois que vous l’exercez tous les jours avec beaucoup de succès: experientia magistra rerum. Les premiers hommes qui firent profession de la médecine furent tellement estimés d’avoir cette belle science, qu’on les mit au nombre des Dieux pour les belles cures qu’ils faisoient tous les jours. Ce n’est pas qu’on doive mépriser un médecin qui n’auroit pas rendu la santé à son malade, parce qu’elle ne dépend pas absolument de ses remèdes, ni de son savoir: interdum docta plus valet arte malum. Monsieur, j’ai peur de vous être importun: je prends congé de vous, dans l’espérance que j’ai qu’à la première vue j’aurai l’honneur de converser avec vous avec plus de loisir. Vos heures vous sont précieuses, etc.(L’avocat sort).
Gorgibus Que vous semble de cet homme-là?
Sganarelle Il sait quelque petite chose. S’il fût demeuré tant soit peu davantage, je l’allois mettre sur une matière sublime et relevée. Cependant, je prends congé de vous. (Gorgibus lui donne de l’argent). Hé! que voulez-vous faire?
Gorgibus Je sais bien ce que je vous dois.
Sganarelle Vous moquez-vous, monsieur Gorgibus? Je n’en prendrai pas, je ne suis pas un homme mercenaire. (Il prend l’argent). Votre très-humble serviteur. (Sganarelle sort et Gorgibus rentre dans sa maison).
Valère, seul. Je ne sais ce qu’aura fait Sganarelle: je n’ai point eu de ses nouvelles, et je suis fort en peine où je le pourrois rencontrer. (Sganarelle revient en habit de valet) Mais bon, le voici. Hé bien! Sganarelle, qu’as-tu fait depuis que je ne t’ai pas vu?
Sganarelle, Valère
Sganarelle Merveille sur merveille: j’ai si bien fait, que Gorgibus me prend pour un habile médecin. Je me suis introduit chez lui; je lui ai conseillé de faire prendre l’air à sa fille, laquelle est à présent dans un appartement qui est au bout de leur jardin, tellement qu’elle est fort éloignée du vieillard, et que vous pourrez l’aller voir commodément.
Valère Ah! que tu me donnes de joie! Sans perdre de temps, je la vais trouver de ce pas. (Il sort. )Sganarelle Il faut avouer que ce bon homme de Gorgibus est un vrai lourdaud de se laisser tromper de la sorte. (Apercevant Gorgibus) Ah! ma foi, tout est perdu: c’est à ce coup que voilà la médecine renversée; mais il faut que je le trompe.
Sganarelle, Gorgibus
Gorgibus Bonjour, monsieur.
Sganarelle Monsieur, votre serviteur; vous voyez un pauvre garçon au désespoir: ne connoissez-vous pas un médecin qui est arrivé depuis peu en cette ville, qui fait des cures admirables?
Gorgibus Oui, je le connois; il vient de sortir de chez moi.
Sganarelle Je suis son frère, monsieur; nous sommes jumeaux; et, comme nous nous ressemblons fort, on nous prend quelquefois l’un pour l’autre.
Gorgibus Je me donne au diable si je n’y ai été trompé. Et comme vous nommez-vous?
Sganarelle Narcisse, Monsieur, pour vous rendre service. Il faut que vous sachiez qu’étant dans son cabinet j’ai répandu deux fioles d’essence qui étoient sur le bord de sa table; aussitôt il s’est mis dans une colère si étrange contre moi, qu’il m’a mis hors du logis; il ne me veut plus jamais voir, tellement que je suis un pauvre garçon à présent, sans appui, sans support, sans aucune connoissance.
Gorgibus Allez, je ferai votre paix; je suis de ses amis, et je vous promets de vous remettre avec lui; je lui parlerai d’abord que je le verrai.
Sganarelle Je vous serai bien obligé, monsieur Gorgibus. (Sganarelle sort et rentre aussitôt avec sa robe de médecin).
Sganarelle, Gorgibus Sganarelle Il faut avouer que, quand les malades ne veulent pas suivre l’avis du médecin, et qu’ils s’abandonnent à la débauche…
Gorgibus Monsieur le médecin, très humble serviteur. Je vous demande une grâce.
Sganarelle Qu’y a-t-il, monsieur? est-il question de vous rendre service?
Gorgibus Monsieur, je viens de rencontrer monsieur votre frère qui est tout à fait fâché de…
Sganarelle C’est un coquin, monsieur Gorgibus.
Gorgibus Je vous réponds qu’il est tellement contrit de vous avoir mis en colère…
Sganarelle C’est un ivrogne, monsieur Gorgibus.
Gorgibus Eh! monsieur, voulez-vous désespérer ce pauvre garçon?
Sganarelle Qu’on ne m’en parle plus; mais voyez l’impudence de ce coquin-là, de vous aller trouver pour faire son accord; je vous prie de ne m’en pas parler.
Gorgibus Au nom de Dieu, monsieur le médecin, faites cela pour l’amour de moi. Si je suis capable de vous obliger en autre chose, je le ferai de bon coeur. Je m’y suis engagé, et…
Sganarelle Vous m’en priez avec tant d’instance… Quoique j’eusse fait serment de ne lui pardonner jamais: allez, touchez là, je lui pardonne. Je vous assure que je me fais grande violence, et qu’il faut que j’aie bien de la complaisance pour vous. Adieu, monsieur Gorgibus. (Gorgibus rentre dans sa maison et Sganarelle s’en va. )Gorgibus Monsieur, votre très-humble serviteur; je m’en vais chercher ce pauvre garçon pour lui apprendre cette bonne nouvelle.
Valère, Sganarelle
Valère Il faut que j’avoue que je n’eusse jamais cru que Sganarelle se fût si bien acquitté de son devoir. (Sganarelle rentre avec ses habits de valet) Ah! mon pauvre garçon, que je t’ai d’obligation! que j’ai de joie! et que…
Sganarelle Ma foi, vous parlez fort à votre aise. Gorgibus m’a rencontré; et sans une invention que j’ai trouvée, toute la mèche étoit découverte. (Apercevant Gorgibus. ) Mais fuyez-vous-en, le voici.
Gorgibus, Sganarelle Gorgibus Je vous cherchois partout pour vous dire que j’ai parlé à votre frère: il m’a assuré qu’il vous pardonnoit; mais, pour en être plus assuré, je veux qu’il vous embrasse en ma présence; entrez dans mon logis, et je l’irai chercher.
Sganarelle Eh! monsieur Gorgibus, je ne crois pas que vous le trouviez à présent; et puis je ne resterai pas chez vous: je crains trop sa colère.
Gorgibus Ah! vous y demeurerez, car je vous enfermerai. Je m’en vais à présent chercher votre frère; ne craignez rien, je vous réponds qu’il n’est plus fâché. (Gorgibus sort. )
Sganarelle, de la fenêtre. Ma foi, me voilà attrapé ce coup-là; il n’y a plus moyen de m’en échapper. Le nuage est fort épais, et j’ai bien peur que, s’il vient à crever, il ne grêle sur mon dos force coups de bâton, ou que par quelque ordonnance plus forte que toutes celles des médecins, on ne m’applique tout au moins un cautère royal sur les épaules. Mes affaires vont mal: mais pourquoi se désespérer? puisque j’ai tant fait, poussons la fourbe jusqu’au bout. Oui, oui, il en faut encore sortir, et faire voir que Sganarelle est le roi des fourbes. (Sganarelle saute par la fenêtre et s’en va. )
Gros-René, Gorgibus, SganarelleGros-René Ah! ma foi, voilà qui est drôle! comme diable on saute ici par les fenêtres! Il faut que je demeure ici, et que je voie à quoi tout cela aboutira.
Gorgibus Je ne saurois trouver ce médecin; je ne sais où diable il s’est caché. (Apercevant Sganarelle qui revient en habit de médecin. ) Mais le voici. Monsieur, ce n’est pas assez d’avoir pardonné à votre frère; je vous prie, pour ma satisfaction, de l’embrasser: il est chez moi, et je vous cherchois partout pour vous prier de faire cet accord en ma présence.
Sganarelle Vous vous moquez, monsieur Gorgibus; n’est-ce pas assez que je lui pardonne? je ne le veux jamais voir.
Gorgibus Mais, monsieur, pour l’amour de moi.
Sganarelle Je ne vous saurois rien refuser: dites-lui qu’il descende.
(Pendant que Gorgibus rentre dans sa maison par la porte, Sganarelle y rentre par la fenêtre. )Gorgibus, à la fenêtre. Voilà votre frère qui vous attend là-bas: il m’a promis qu’il fera tout ce que vous voudrez.
Sganarelle, à la fenêtre. Monsieur Gorgibus, je vous prie de le faire venir ici; je vous conjure que ce soit en particulier que je lui demande pardon, parce que sans doute il me feroit cent hontes, cent opprobres devant tout le monde. (Gorgibus sort de sa maison par la porte, et Sganarelle par la fenêtre. )Gorgibus Oui-dà, je m’en vais lui dire… Monsieur, il dit qu’il est honteux, et qu’il vous prie d’entrer, afin qu’il vous demande pardon en particulier. Voilà la clef, vous pouvez entrer; je vous supplie de ne me pas refuser, et de me donner ce contentement.
Sganarelle Il n’y a rien que je ne fasse pour votre satisfaction: vous allez entendre de quelle manière je le vais traiter. (À la fenêtre). Ah! te voilà, coquin. — Monsieur mon frère, je vous demande pardon, je vous promets qu’il n’y a pas de ma faute. — Pilier de débauche, coquin, va, je t’apprendrai à venir avoir la hardiesse d’importuner monsieur Gorgibus, de lui rompre la tête de tes sottises! — Monsieur mon frère… — Tais-toi, te dis-je. — Je ne vous désoblig… — Tais-toi, coquin.
Gros-René Qui diable pensez-vous qui soit chez vous à présent?
Gorgibus C’est le médecin et Narcisse son frère; ils avoient quelque différend, et ils font leur accord.
Gros-René Le diable emporte! ils ne sont qu’un.
Sganarelle, à la fenêtre. Ivrogne que tu es, je t’apprendrai à vivre. Comme il baisse la vue! il voit bien qu’il a failli, le pendard. Ah! l’hypocrite, comme il fait le bon apôtre!
Gros-René Monsieur, dites-lui un peu par plaisir qu’il fasse mettre son frère à la fenêtre.
Gorgibus Oui-dà, Monsieur le médecin, je vous prie de faire paroître votre frère à la fenêtre.
Sganarelle, de la fenêtre.
Il est indigne de la vue des gens d’honneur, et puis je ne le saurois souffrir auprès de moi.
Gorgibus Monsieur, ne me refusez pas cette grace, après toutes celles que vous m’avez faites.
Sganarelle, de la fenêtre. En vérité, monsieur Gorgibus, vous avez un tel pouvoir sur moi, que je ne vous puis rien refuser. Montre-toi, coquin. (Après avoir disparu un moment, il se remontre en habit de valet). — Monsieur Gorgibus, je suis votre obligé. (Il disparaît encore, et reparaît aussitôt en robe de médecin. ) Hé bien! avez-vous vu cette image de la débauche?
Gros-René Ma foi, ils ne sont qu’un; et, pour vous le prouver, dites-lui un peu que vous les voulez voir ensemble.
Gorgibus Mais faites-moi la grace de le faire paroître avec vous, et de l’embrasser devant moi à la fenêtre.
Sganarelle, de la fenêtre. C’est une chose que je refuserois à tout autre qu’à vous; mais, pour vous montrer que je veux tout faire pour l’amour de vous, je m’y résous, quoique avec peine, et veux auparavant qu’il vous demande pardon de toutes les peines qu’il vous a données. — Oui, monsieur Gorgibus, je vous demande pardon de vous avoir tant importuné, et vous promets, mon frère, en présence de monsieur Gorgibus que voilà, de faire si bien désormais, que vous n’aurez plus lieu de vous plaindre, vous priant de ne plus songer à ce qui s’est passé. (Il embrasse son chapeau et sa fraise, qu’il a mis au bout de son coude. )Gorgibus Hé bien! ne les voilà pas tous deux?
Gros-René Ah! par ma foi, il est sorcier.
Sganarelle, sortant de la maison, en médecin
