MortBihan Show - Partie 2 - Eymeric Bihan - E-Book

MortBihan Show - Partie 2 E-Book

Eymeric Bihan

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Beschreibung

L’industrialisation et la mondialisation dictent ce que nous sommes et ce que nous devenons. Suivez-moi dans les multiples corridors de l’antique Manoir Fougères. De Plaisance à Route ‘Zéro Trafic’, en passant par les sentiers inquiétants de Forêt de Prétendants, je vous propose des montagnes russes émotionnelles. Dans ce bazar étrange, ces différentes histoires feront écho avec vos doutes, vos craintes, vos interrogations, vos opinions, vos croyances...

Un tueur en série nécrophile et cannibale. Un royaume enchanté ? L’idéalisation de l’Enfance. Et le Don empoisonné qu’est l’écriture.

Gardez l’œil et l’esprit ouverts. Rien ne sera jamais pris pour acquis. Quel monde merveilleux qu’est le nôtre…




À PROPOS DE L'AUTEUR




Eymeric Bihan est actuellement en poste hébergement au sein d'une maison de retraite dans les Pyrénées, à Saint Lary Soulan. En raison d'une imagination débordante depuis son enfance et d'une série de soucis personnels, il s'est plongé dans l'écriture. Le parcours a débuté avec des chansons en anglais, influencé par son attrait pour la culture américaine. Par la suite, son écriture a évolué vers des scénarios, des nouvelles, pour finalement aboutir à la construction d'un roman. Avec "Frisson Cognitif", il signe sa première trilogie, s'inscrivant dans le genre littéraire du Cosy Mystery. Entouré des paysages pyrénéens, Eymeric a trouvé une source d'inspiration abondante, étant lui-même un passionné de randonnées.

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MortBihan

Show

 

 

Partie 2

 

 

Eymeric Bihan

 

Recueil

Image : Adobe Stock

Illustration graphique : Graph’L

Éditions Art en Mots

 

 

PLAISANCE

 

 

— Et l’corps a été retrouvé c’matin tu dis ?

— Affirmatif Roderick ! Après le signalement émis par sa mère qui n’avait plus aucune nouvelle de lui depuis sa dernière visite, répondit le secrétaire du commissariat – un certain Ryan Cracks – via la radio du véhicule de fonction de l’agent en chef.

Un silence de messe s’installa. Le véhicule fonçait à présent en sens inverse de la destination souhaitée.

— Dés’lé, mademoiselle Cleenton, s’excusa l’agent Roderick Galler à l’égard de sa passagère, sans réellement y mettre de sa compassion. Mais notre p’tit déj’ devra attendre !

— Ça ne fait rien. Tant que j’obtiens la permission de l’agent en chef de pouvoir l’accompagner sur la scène de crime, rétorqua-t-elle la mine suppliante, une moue flagorneuse afin d’accentuer sa prestation scénique.

— Ah non ! Ne m’faites pas cet air d’chien battu, ça n’marche pas avec moi. Si vous pensez qu’il suffit qu’une charmante demoiselle m’fasse l’coup des yeux doux pour m’faire céder, c’est raté !

— Bah voyons, Roderick, s’amusa le secrétaire Ryan Cracks au travers de grésillements inconstants. Comme si ce coup-là n’avait pas fait ses preuves lors de la dernière enquête, et celle d’avant, et encore celle d’avant…

— Ça va, ça va, inutile d’la ram’ner en m’remémorant ces instants d’faiblesse masculine, Ryan, grommela l’agent Roderick.

Sa moustache de morse frémit soudain comme chaque fois qu’il était amusé de la situation, mais qu’il s’interdisait sciemment de le laisser paraître.

Tenant l’accroche-main, Mlle Cleenton ne put s’empêcher de sourire. Elle en était convaincue : elle avait gagné. L’agent Roderick accepterait qu’elle le seconde sur cette scène de crime, encore une fois, bien que sa prétendue nonchalance veuille lui faire croire le contraire. En dépit de son apparence quelque peu grincheuse, rustique et robuste, l’agent Roderick transpirait la bonhomie avérée.

Les gyrophares appuyés par la sirène stridente attestaient l’urgence de la réalité de ce début de matinée ensoleillée. Le 4x4 de police filait droit devant sans se préoccuper d’un éventuel danger piéton. Sur Main Street, les locaux suivaient du regard l’engin tout terrain, décontenancés, ébahis, peu accoutumés à cette zizanie fédérale.

— Et c’est l’aide à domicile qui est tombée sur l’corps en premier ? quémanda l’agent Roderick qui ne se soucia pas de la gestuelle d’indignation de sa passagère.

— Affirmatif ! Elle prenait son poste à huit heures ce matin au domicile de la victime, quand elle a trouvé étrange que le propriétaire des lieux ne réponde pas à ses sonneries, lui qui vient toujours lui ouvrir dans la joie et la bonne humeur, selon elle.

— Elle devait forcément avoir un double des clés, ou du moins le code de la boîte à clés pour qu’elle puisse entrer comme ça, toute seule, intervint derechef Vanessa Cleenton en devançant, satisfaite, la question qu’allait à coup sûr poser le chauffeur.

L’agent Roderick Galler lui lança alors un air de reproche teinté de jalousie. Pour toute réponse, Vanessa Cleenton élargit sitôt son si magnifique sourire. Pour une femme de la quarantaine, elle n’avait rien du tout à envier aux midinettes de cette génération d’aujourd’hui. Ses cheveux auburn flottaient au gré du vent qui s’engouffrait par sa fenêtre ouverte.

— Affirmatif, mademoiselle Cleenton ! acquiesça Ryan Cracks qui se retint de glousser, tant il imaginait le visage exaspéré et contrarié de son adjudant-chef. Elle avait mémorisé le code d’accès de la boîte à clés !

Vanessa Cleenton détourna la tête vers le paysage qui défilait, un sourire en coin, sous l’œil renfrogné de Roderick. Les commerces aux devantures colorées et vintages de l’artère principale du bourg de Plaisance l’égayèrent crescendo. L’air parfumé des pins environnants n’avait d’égal que les senteurs florales printanières de cette partie du Nord californien.

— Et en pénétrant dans l’appartement, cette aide à domicile tombe nez à nez avec son client étouffé mort, lâcha sans aucune forme de tact l’agent en chef, une main sur le volant, le coude posé sur le rebord de sa vitre ouverte.

— Euh, oui.

— Mort par empoisonnement, ou bien y a-t-il une autre cause probable ? s’interrogea Vanessa Cleenton qui ne prêta pas d’intérêt aux paroles que marmonnait l’agent Roderick.

— Excellente question, mademoiselle Cleenton. Les médecins légistes sont sur place en ce moment et, avec un peu de chance, quand vous arriverez sur les lieux, ils vous donneront leurs impressions ! Après, comme mentionné tout à l’heure, du cyanure a été retrouvé dans le bol de corn-flakes que la victime semblait avoir entamé.

— Très bien, Ryan. Mademoiselle Cleenton et moi-même arrivons dans à peu près vingt minutes à l’adresse donnée, indiqua Roderick moins rébarbatif qu’orgueilleux et indulgent.

Roderick coupa la radio et, le temps d’une fraction de seconde, Vanessa Cleenton et lui échangèrent un regard complice. Ils se connaissaient à présent depuis plus de vingt ans. Il avait connu ce petit bout de femme à ses débuts lorsqu’elle étudiait encore en criminologie et qu’elle rêvait de pouvoir combiner en symbiose avec son amour pour l’écriture. Lors de leur rencontre, Mlle Cleenton cherchait à atténuer ses doutes en rapport avec sa toute première expérience sur le terrain criminel aux côtés du célèbre tueur d’enfants en série : Peter Shaw. Marquée par cet entretien scolaire malaisant et très peu protocolaire, la jeune aspirante au métier de profileuse se questionnait à cette période sur son réel désir de persévérer. Surtout qu’à un moment, le tueur d’enfants s’en était pris à elle en raison de son manquement professionnel et son émotivité. Dieu soit loué, Mlle Cleenton fut secourue par une horde d’agents fédéraux. À présent, Peter Shaw appartenait aux enfers et Mlle Cleenton sortit diplômée de son cursus universitaire, parée à poursuivre sa voie.

— Contente de vous superviser sur cette nouvelle affaire, déclara Vanessa Cleenton d’une doucereuse voix, après avoir rajusté sa robe brodée et flottant au gré des bourrasques occasionnées par l’allure du véhicule. L’équipe gagnante est de nouveau réunie.

— Vous êtes sûre d’n’pas vouloir qu’j’vous dépose chez vous ou à la gare ? demanda à la fois insistant et amusé Roderick Galler, qui prit l’embranchement à droite au carrefour, tandis que les automobilistes proches se rabattaient sur le bas-côté en panique. Vous n’avez pas un nouveau roman à écrire sur l’sujet des tueurs en série, ou tiens, une d’mande d’assistance auprès d’un collègue d’une autre ville ou d’un autre État ?

— Très bonne question, c’est agréable de voir à quel point mes activités hebdomadaires suscitent l’intérêt chez un personnage de votre envergure, fomenta la profileuse et écrivaine, qui s’agrippait plus fort encore à l’accroche-main, tant les virages serrés se succédaient à une allure folle. J’ai effectivement terminé le premier jet d’un roman de fiction tournant autour du sous-genre du « Cosy Mystery », et ayant pour enquêteur un duo choc entre un agent en chef un tantinet grincheux et aigri, et une jeune femme romancière dans la quarantaine, qui plus est resplendissante, éduquée et intelligente… Cela ne vous rappelle rien ?

Devant l’air taquin de sa passagère, Roderick se renfrogna de plus belle, tout en inspirant et en expirant de façon exagérée. Il se redressa sur son siège et gonfla son poitrail, puis reprit la parole.

— Hélas non, c’la ne m’rappelle rien d’chez rien. Encore des personnages tirés par les ch’veux qu’seuls ces extravagants d’écrivains sont en capacité d’pondre sans prendre en compte la crédibilité d’la vie réelle. La vraisemblance, mademoiselle Cleenton, n’est semble-t-il pas l’mantra primaire d’votre premier jet ? Heureus’ment pour moi, j’n’ai jamais eu l’malheur d’croiser d’tels individus !

Vanessa réprima une punchline bien tournée, ce qui pouvait compromettre sa présence sur les lieux du potentiel meurtre découvert aux aurores, puis poursuivit son petit monologue en réponse au pic, envoyé par l’agent en chef. La journée promettait d’être plus chaude que les trente degrés prévus aujourd’hui.

— Ça va sans dire, Galler. Pour ce qui est de l’allusion à une probable requête d’un supposé collègue à vous, je dirais que ce charmant Ryan Cracks me l’a clairement exprimé de manière tout au moins explicite lors de son appel radio, je brûle ou je refroidis ?

— Balivernes, mademoiselle Cleenton, râla, allègre, l’agent Roderick qui balaya d’un geste de sa main ces mots dits, vainqueur. Fruit d’une imagination d’artiste d’la plume, que ces dires abracadabrantesques.

Vanessa Cleenton ricana. Elle appréciait lorsque Roderick prenait cette attitude de l’ancien temps. Il s’enrôlait dans cette interprétation romanesque dès lors qu’il se savait à court de répliques mordantes. C’était gagné.

— Bon, donc, si je comprends bien, l’agent en chef ne voit aucun inconvénient à ce qu’une élégante demoiselle proche de l’âge de la ménopause assiste à…

— Nous sommes arrivés à destination on dirait, la coupa Roderick qui venait de bifurquer sur la droite et d’atteindre Westwood Road, là où d’innombrables fourgonnettes de chaînes locales barricadaient déjà le périmètre. C’est quoi c’cirque ? Qu’est-ce qu’ces vautours purulents font d’jà ici ? C’est pas vrai, où est la patrouille trois pour gérer c’merdier ?

— Quelque chose me dit que les différents numéros dudit cirque ont un rapport avec la fuite des derniers éléments recueillis par les médecins légistes, annonça Vanessa qui détaillait l’actualité locale sur son smartphone. Regardez par vous-même !

 

***

— Nom d’un coyote ! C’est qui l’arriéré qui a laissé fuiter une telle info, bon sang ? aboya Roderick Galler à l’assemblée de professionnels regroupés dans la cuisine. Qu’est-ce qui s’est passé, putain ! Où est la patrouille trois ? C’est donc bien un meurtre d’après l’net ?

— Agent Galler, nous nous excusons pour ce malentendu qui n’aurait pas dû être, s’évertua à dire l’un des médecins légistes que Roderick avait déjà croisé sur une vieille enquête ayant eu cours dans un État voisin. Jason Fletcher, un jeune bleu tout juste admis dans nos équipes, s’est bêtement laissé convaincre, ou plutôt soudoyé par un quelconque individu proche de la trentaine, afin que ce dernier puisse divulguer sous peu la vérité sur le drame survenu…

— Pardonnez-moi cette intrusion dans la conversation, monsieur ?... Monsieur Vahalen. Mais à tout hasard, aucun de vous ne s’est interrogé sur cet individu de la trentaine prêt à tout pour connaître la vérité sur un décès jusqu’alors inconnu des citoyens mis à part les forces de l’ordre ? s’alarma un tant soit peu Vanessa Cleenton, abasourdie par ce manque de jugeote de la part de personnes du milieu criminologique.

— J’allais poser la même question, s’irrita Roderick les mains sur les hanches, l’œil noir. C’la n’a intrigué personne ici ? Bande d’incapables que vous faites, il s’agissait sur’ment du suspect numéro un pour notre d’meurtre et maint’nant le v’là dans la nature ! Bon boulot les gars ! Quelle équipe de choc !

— Je… je n’avais… nous n’avions pas…

— Je crois, monsieur Vahalen, ne pas trop m’avancer en disant que l’agent en chef Roderick Galler n’insulte pas ni ne remet en doute vos capacités quelles qu’elles soient, le rassura Vanessa afin d’essayer d’apaiser les tensions naissantes, tandis que Roderick marmonnait dans sa moustache de morse vibrant avec cadence. Ce qu’il faudrait entreprendre dans l’immédiat est de retrouver ce prénommé Jason Fletcher, votre nouvelle recrue, et ainsi permettre à l’agent Galler de procéder à un interrogatoire d’urgence.

— J’vous r’mercie, mademoiselle Cleenton, pour c’p’tit topo qu’je cautionne, mais j’pense pouvoir reprendre mon rôle d’agent en chef sans encombre du moins, si vous m’le permettez, affirma, le sourire jaune, le haut représentant de la loi de la ville de Plaisance. Hé vous ! Allez m’dégoter Jason Fletcher, ajouta-t-il à l’adresse d’un homme en combinaison blanche.

Vanessa Cleenton fit sa révérence orale en inclinant sa tête, avant de s’écarter d’un pas dans le but de rester en retrait. Le médecin Vahalen parut gêné pour deux, car Mlle Cleenton demeurait impassible et forcée d’être là. Roderick roula des yeux et soupira sans s’en cacher, puis incita l’homme de la médecine à lui résumer dans les grandes lignes le drame survenu. Vanessa Cleenton tendit l’oreille, mais prêta plutôt attention à l’ajustement des meubles et à la disposition d’objets divers.

— Le propriétaire de l’appartement, du nom d’Iyed Holmer, a semble-t-il succombé à une ingurgitation importante de cyanure mélangé au lait de cette bouteille, fit le médecin légiste qui pointait du doigt l’objet visé apposé sur l’îlot central de la kitchenette.

— Cela ressemble fort’ment à une gourde d’randonnée, observa l’agent en chef, tandis que le va-et-vient des équipes de la Scientifique le rendait fou.

— Et pourtant, il n’avait pas l’air d’être un mordu de randonnées en quoi que ce soit, objecta Vanessa dont les yeux balayaient toujours au peigne fin la pièce servant à la fois de cuisine et de salon. Aucune photographie le montrant en balade ici ou là, il a l’air d’être un fervent supporter de l’équipe de football américain locale, les « Starving Plaisancers », dont le maître mot selon leurs scores récents en plus du slogan de ce poster paraît être la paresse dans toute sa splendeur. On ne peut pas être un adepte d’un sport comme la randonnée et soutenir une équipe aussi feignasse que celle-ci…

L’agent Roderick échangea à mi-voix des commentaires rabat-joie avec le prénommé Vahalen.

— De plus, n’oublions pas que ce défunt monsieur était assisté par l’aide à domicile, poursuivit la profileuse et écrivaine, comme pour faire taire ces indignations marmonnées pour défendre les soi-disant exploits de leur équipe favorite. Quelle était la raison de ce besoin d’assistance ?

— Euh oui, c’était pour un quelconque problème de coordination entre ses jambes, conséquence d’une maladie de la moelle osseuse qui lui causait des douleurs insurmontables, d’après ce que nous a révélé le carnet tenu par l’infirmière posé sur la commode là-bas.

— J’vois qu’la théorie du randonneur aguerri tombe à l’eau…

— Ça ne paraît pas être cohérent effectivement, agent Roderick, reprit le médecin légiste qui alla s’emparer du petit carnet dans lequel un tas de petits Post-it venaient se greffer aux feuilles reliées.

— V’là qui d’vrait être intéressant, conclut Roderick en plaçant l’objet dans une pochette plastifiée après avoir mis des gants spécifiques. À présent, c’carnet est une pièce à conviction.

***

— J’vous dit qu’je n’connais pas c’gars-là ! J’ai merdé, c’est tout !

— C’est tout ? aboya l’agent Roderick qui jeta presque le document qu’il maintenait fermement jusqu’alors sur la table rudimentaire de la salle d’interrogatoire. Un mec s’pointe vers toi avec l’intention de t’payer cinq cents dollars cash pour qu’tu lui craches la cause d’la mort d’ce pauvre monsieur, et toi c’la n’t’interpelle pas, même un tout p’tit peu ?

Le jeune James Fletcher se braqua soudain et croisa ses bras en secouant la tête de colère, puis de dépit. Il jaugea la vitre trompeuse de la salle derrière laquelle il devait être critiqué et étudié, avant de reporter son attention sur la surface abîmée de la table. Après un temps d’hésitation, il se força à reprendre la parole, car les ennuis allaient probablement empirer pour lui s’il s’entêtait à ne rien dire de plus pour sa défense.

— J’avais b’soin d’tunes, vous savez ? J’suis à la dèche en c’moment ! J’suis grave dans la merde… Si j’lui rends pas son blé, j’suis foutu moi…

— Je vois que tu accumules les conn’ries, releva l’agent Roderick qui retrouva son calme. Tu t’es fourré dans une galère, c’est bien ça ?

— Et maint’nant si j’rembourse pas mes dettes, j’risque d’le sentir passer, confirma le jeune homme qui se tortillait d’angoisse sur sa chaise. Quand c’mec est v’nu m’accoster pendant ma pause clope pour m’proposer ce fric, j’y ai vu l’occasion d’renflouer un peu cette somme, qu’j’avais commencé à rembourser p’tit à p’tit. J’étais juste parti m’balader, j’ai souvent b’soin de marcher pour mon bien-être, et c’est là qu’j’suis tombé sur c’mec !

— Combien tu dois à cette personne ?

— Huit mille dollars…

— Je vois.

Roderick se passa une main sur le front, lorgna la vitre trompeuse, puis s’assit enfin, les mains entremêlées, la mine sombre.

— Les choses n’se présentent pas bien pour toi, James, pour tout t’dire, confessa Roderick sans se soucier d’en rajouter un peu dans le but de déstabiliser l’interrogé. Tu as entravé les r’cherches sur une scène où se trouvait un corps sans vie en dévoilant son origine criminelle à échelle régionale…

— Mais c’n’est pas moi qui ai…

— C’est tout comme, James, l’interrompit à son tour l’agent Roderick d’un ton sans réplique. Sans parler d’tes magouilles apparemment conséquentes et sérieuses, vu la somme qu’tu dois au bandit t’ayant engrené là-dedans. C’est pas bon pour toi à c’stade, si tu veux tout savoir…

James Fletcher s’agita, blafard et apeuré. Ses yeux fuyaient son interlocuteur pour aller se poser sur la vitre trompeuse, puis sur la porte de la salle. Les sons lointains, qui parvenaient à son ouïe étrangement affûtée dans l’instant, rendaient plus intense encore le silence instauré à présent par l’agent. L’angoisse croissait, s’épandait. Le temps semblait suspendu.

— J’pourrais faire quelqu’chose pour toi si tu coopères un peu avec moi, déclara soudain Roderick au vu de l’attitude désemparée, même presque dépitée, du jeune homme qu’il avait assis face à lui.

— D’acc’. Mais qu’est-ce que j’dois faire ? s’inquiéta James Fletcher, recroquevillé sur sa chaise.

— En dehors d’me faire un portrait-robot d’ton donneur d’argent miraculeux, j’aim’rais l’nom d’ton bourreau !

***

19h30 chez Vanessa Cleenton.

— Et donc elle n’a rien r’marqué d’anormal ou d’changé chez son client ?

— Non, Roderick. Comme je vous l’ai stipulé tout à l’heure à la fin de votre interrogatoire avec ce prénommé James Fletcher, Mlle Rolland n’a rien décelé d’alarmant chez le défunt Iyed Holmer.

— Pour une infirmière personnelle, elle n’donnait pas l’impression d’parfaire à ses attributions, commenta contrarié l’agent en chef en prenant une bonne poignée de cacahuètes du bol apposé sur la table basse du salon.

— Elle n’était pas sa psychologue, mais uniquement son infirmière, Roderick, le rappela un peu à l’ordre de sa manière apaisée l’hôte de la maison, un verre de pinot rouge pour ponctuer ses mots.

Au-dehors, le soleil se couchait et commençait à disparaître derrière la cime des chênes et palmiers alentour. La propriété s’étendait sur plusieurs hectares. Un ranch luxueux, typique de cette région rurale du Nord californien. La haie de cyprès qui délimitait l’allée menant à la demeure jouait de ses ombres longilignes, pareil à un avertissement d’un mauvais présage. Les coyotes chantaient l’heure du festin. Aucun voisinage à la ronde, ils s’exerçaient à ratisser les coteaux desséchés du pourtour à la recherche d’une proie convenable.

— Du coup, vous n’avez rien appris d’plus avec votre interrogatoire, broncha Roderick qui affirmait plus qu’il ne s’interrogeait, avant de piocher à nouveau une bonne poignée de cacahuètes qu’il plaça aussitôt dans sa bouche.

Vanessa lui jeta un regard de reproches alors qu’elle déposait sur la table basse une assiettée de petits fours alléchants et faits maison. Le fumet délectable qui s’en émanait mettait à rude épreuve la courtoisie et le respect attendu du représentant de la loi. Patienter n’était pas son fort et Vanessa s’en amusait de bonne gaieté de cœur.

— C’est regrettable tout ça…

— Quoi donc, mademoiselle Cleenton ? interrogea l’agent Roderick, qui mettait un temps fou à choisir le petit four parfait.

— Votre opinion sous-estimée de mon professionnalisme invétéré, déclara l’hôte de la soirée, qui remplissait à nouveau le verre de son invité, mais cette fois d’un bon porto. Vous croyez véritablement que je me suis cantonné à ce que j’ai appris de ma conversation avec Mlle Rolland ? Je suis tout de même profileuse, et reconnue dans la profession par-dessus tout, ainsi cela aurait été indigne de ma renommée américaine, si je n’avais guère utilisé mes petites cellules grises à bon escient, n’est-ce pas ?

— Vous n’m’avez donc pas tout dit, si j’comprends bien, grommela Roderick.

Sur ces mots, il termina encore une fois son verre d’un cul sec honorable, avant de retendre son verre à la manière d’un gosse qui ne comptait pas se servir tout seul.

— Vous savez qu’c’est contraire à la loi d’garder des infos pour soi, dans une enquête criminelle ! J’pourrais d’ce pas vous mettre en garde à vue, si j’me doutais pas que l’élément nouveau que vous allez m’apporter s’avérait important ! Allez-y, mademoiselle Cleenton, vous mourez d’envie d’me faire part d’votre trouvaille… j’le vois à votre comportement.

— Très bien, si vous insistez, agent Roderick, minauda-t-elle en remplissant le verre tendu de son invité pour la dixième fois de la soirée. Mais avant toute chose, je pense qu’il va falloir arrêter là la consommation d’alcool pour aujourd’hui, si vous voulez mon avis.

L’agent Roderick se toisa dans le grand miroir planté au-dessus de l’énorme cheminée à la robe de bois, aperçut ses joues et son nez rougis, puis concéda à écouter sa comparse, en finissant quand même ce dernier verre d’une traite.

Au vu de la sonorité des hurlements des coyotes, Roderick songea qu’ils ne devaient pas être loin des limites de la propriété. La nuit était tombée. Les jappements du labrador blanc de Mlle Cleenton annoncèrent qu’il avait lui aussi faim, ou alors, qu’il s’angoissait à l’idée de devoir affronter une meute de coyotes affamés…

— Je vais nourrir le fauve et je vous dis tout ! affirma Vanessa avant de se volatiliser presque par magie.

Roderick contempla avide le tout dernier petit four qui ne cessait de l’asticoter pour être mangé, puis reporta son intérêt sur les portraits parsemés ici ou là qui représentaient l’hôte de cette charmante soirée en compagnie de chaque tueur en série avec lequel elle avait partagé un bout de son chemin professionnel. Sur chaque portrait, ils souriaient autant qu’une photo prise entre amis et s’en était perturbant.

J’ai toujours du mal à consentir l’engouement autour du processus de contact intimiste et psychologique pour comprendre quel est le catalyseur qui pousse un être humain à commettre l’impensable de façon si dérangée, et ce à plusieurs reprises, dans un espace-temps assez étendu…Le devoir professionnel de Mlle Cleenton l’oblige en un sens à tenter de se lier avec les tueurs en série en s’autorisant à penser comme eux, à envisager les choses sous un angle nouveau et contraire au formatage social éducatif pour les gens dépourvus de maladies mentales.

— Ces photographies reflètent l’épopée qu’est une carrière de profileuse-écrivaine, confessa Vanessa Cleenton qui fit sursauter son invité visiblement absorbé par tous ces cadres. Je dirais même que tous ces personnages démoniaques, par leurs histoires personnelles, m’ont appris sur les injustices de la vie qui touchent les minorités sociales et raciales, de même que sur ma personne…

— Très touchant, réplique l’agent Roderick sans en croire un traître mot. Voulez-vous le dernier petit four ?

— Allez-y, servez-vous, puisque ce que je dis n’a aucune valeur à vos yeux, peut-être dois-je me tourner vers Ryan Cracks, ce sympathique secrétaire de police, afin de pouvoir partager mes connaissances nouvelles avec une oreille attentive ?

— Vous savez que le chantage affectif n’a aucun impact sur moi, lui rappelle l’agent Roderick, la bouche pleine du petit four encore chaud, la mine intouchable. Or, dois-je vous souligner qu’les infos qu’vous détenez pourraient nous faire gagner un temps fou sur c’meurtre perpétré ? Et j’ne cesserais d’vous rappeler qu’le chef de la police d’la ville de Plaisance s’trouve dans votre salon en ce moment même, installé confortablement sur un canapé en angle, prêt à tendre une oreille attentive !

Vanessa Cleenton alla s’asseoir aux côtés de son invité, le sourire aux lèvres, en rajustant quelque peu le placement de sa jupe en jean assortie à son gilet à manches déchirées. Vanessa posa une main amicale sur celle de l’agent Roderick Galler et planta son regard de biche dans celui borné de son invité. Chaque fois que ce franc contact oculaire se créait, l’agent Roderick se tétanisait sur place, avant de s’avouer vaincu, le teint cramoisi.

— Très bien, monsieur je-ronchonne-à-tout-va, si vous vous sentez apte à entendre ce que j’ai à dire, je ne rechignerais guère à extérioriser ce que d’autres ne savent pas et que moi, je sais !