Frisson Cognitif - Tome 2 - Eymeric Bihan - E-Book

Frisson Cognitif - Tome 2 E-Book

Eymeric Bihan

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Beschreibung

Une Machination en entraîne une autre…

La justice a tranché. Dennis Brown, le milliardaire PDG d’Ancog S. et créateur de Phobia’s Center, se voit incarcéré. La tension est palpable chez ses détracteurs. La peine annoncée n’égale en rien, les crimes perpétrés par l’homme d’affaires. Jennifer, Manuella Gybson, Mme Bigg, Jeff, Carter, Joe et James Cowl, se préparent au pire. Les mois passent et les indices d’une conspiration se profilent.

Dennis Brown parviendra-t-il une fois encore à échapper à la justice ? Ou bien, la justice tire-t-elle d’insoupçonnées ficelles ?

À PROPOSE DE L'AUTEUR

Eymeric Bihan, 30 ans : je suis actuellement en poste hébergement au sein d’une maison de retraite dans les Pyrénées, à Saint Lary Soulan. Suite à une imagination débordante depuis tout petit et à une succession de soucis personnels, je me suis pour ainsi dire plongé dans l’écriture. Tout a commencé par des chansons en anglais, de part mon attrait à la culture américaine. Puis l'écriture a dévié sur des scénarios, des nouvelles pour enfin toucher la construction d'un roman. Avec Frisson Cognitif, je signe là ma première trilogie, dans le genre littéraire du Cosy Mystery. Avec les paysages Pyrénéens qui m'entourent, j'ai de quoi nourrir mon inspiration. Je suis un féru de randonnées.

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FRISSON

COGNITIF

Tome 2

L’ÉMERGENCE

Eymeric BIHAN

Mystère/Enquête

Illustration graphique : Graph’L

Images : Adobe stock

Éditions Art en mots

Prologue

*

Maman, Papa,

Sachez que je vous aime de tout mon être, plus fort encore, si cela se peut. Dieu lui seul sait par quoi je dois passer sous silence en ce moment et la notion de temps me terrifie. Je ne peux en parler librement sans craindre un retour de bâton d’un juge partial, et cependant non moins extrémiste, car prescrit par les messagers de la voix divine et acté par l’un du clan : toi, papa. Un pesant et débectant secret me taraude et je ne vois aucune autre issue bonne à suivre que celle que je me suis préparé à accueillir, presque à l’aveuglette, et surtout par dépit et grande peur. Je vous écris en ce jour pour vous demander de pardonner mon geste, lâche et malpropre soit-il. Mais quelqu’un sait pour moi, et cette personne va tout révéler.

Jonathan Thompson.

***

Juillet 2018.

— Lieutenant Montgomery, la piste criminelle est-elle privilégiée ?

— Avez-vous recueilli de nouveaux indices susceptibles de faire taire les bruits qui courent ?

— La thèse du suicide est-elle d’ores et déjà écartée ?

— J’ne répondrai à aucune question, décréta le lieutenant en chef d’un air aussi préoccupé que direct à l’encontre des deux journalistes un peu trop insistants qui lui barraient la route.

La dizaine de vautours de chaînes télévisées locales obstruaient l’allée menant jusqu’aux abords du fastueux perron de la vaste demeure de la famille Thompson, domiciliée au 9 Old Trees Avenue à Modesto en Californie du Nord. La dynastie Thompson avait souvent suscité des convoitises tout au long de leurs successives prises de pouvoir. Des gens les haïssaient beaucoup.

— Alméro, remets un peu d’ordre dans c’foutoir n’ayant pas lieu d’être, ordonna le lieutenant Montgomery à son sous-gradé, en désignant de la tête la marée humaine vissée sur place. Les Thompson peuvent, s’ils le veulent, s’en prendre à votre brigade et nous faire fermer boutique d’un claqu’ment d’doigt !

— Ils en ont le pouvoir ? s’intéressa alors Alméro qui emboîtait le pas hâtif de son supérieur en direction de l’entrée du manoir.

— Bien sûr qu’ils en ont l’pouvoir, p’tit malin, répliqua le lieutenant Montgomery d’un ton acerbe, l’œil dur, debout près de la porte en bois massif. Et ils n’se gêneraient pas pour abuser des représentants de la loi ! Tu peux m’croire, j’les connais bien.

— D’accord, très bien. Entendu, lieut’nant.

Alméro G. s’exécuta sans rechigner et brailla de vives remontrances à ses coéquipiers, comme aux vautours armés de micros et de caméras monstrueuses par leurs tailles. Ces derniers obtempérèrent avec condescendance sachant qu’une prime mensuelle à plusieurs chiffres viendrait ou non compléter la brochette numérique de leur compte en banque en fin de mois, selon l’événement relayé.

— Un suicide forcé, donc un meurtre indirect, marmonna le lieutenant Montgomery.

L’air perdu dans le vague, il effleura la poignée de la porte d’entrée.

Le son des sirènes hurlantes s’ajoutait aux contestations violentes de jeunes trépides de la télé qui se refusaient à rebrousser chemin et à laisser en paix la famille endeuillée. Trois d’entre eux furent priés de prendre place sur les banquettes arrière du véhicule de profession d’Alméro G. Stationné en barrage devant les grilles de la forteresse, les voitures de police empêchaient exprès bon nombre de curieux de capturer des clichés précis en lien avec l’affaire en cours.

— Reculez, s’il vous plaît, mesdames et messieurs ! hurlait Alméro en agitant les bras, aidé de ses collègues. Veuillez cesser de filmer ou de photographier ! Hé, vous là-bas, c’la vaut pour vous aussi !

L’excitation plus que déplacée et morbide des voisins et amis des Thompson gagnait en ferveur, à mesure que la poignée de reporters présents voulait croirequ’ils annonceraient en live des vérités sur les circonstances du drame survenu en fin de journée.

***

— Inutile, lieutenant, de nous demander si quelqu’un nous voulait du mal. Je pense que, comme moi, vous connaissez déjà la réponse à cette interrogation, devança, amer, M. Thompson avant d’enquiller son quatrième verre de whisky pur malt et de le remplir aussitôt fait.

— Monsieur Thompson…

— William, ou plutôt lieutenant, rectifia Theodor Thompson après avoir coupé son interlocuteur, les traits de son faciès comme soudain vieillis. Mon fils, Jonathan, a été retrouvé mort, un trou à l’arrière de son lobe crânien. Il s’est a priori glissé le canon de mon revolver à l’intérieur de sa bouche, car je ne sais qui le faisait chanter sur un de ses secrets, à en croire cette lettre de suicide… Alors, ne venez pas nous importuner, mes enfants, ma femme et moi, en essayant de sonder le sombre mystère de notre famille. Il n’y en a simplement pas. Nous vous demandons de tout cœur de retrouver l’assassin de notre fils, lieutenant. Ceci est un homicide indirect, certes, mais cela en reste un meurtre !

L’âtre fumant de l’énorme cheminée à la robe de bois de qualité asticotait avec une once de ruse décomplexée le lieutenant Montgomery qui tentait de reconstituer chaque élément de cette affaire.

— Lieutenant, par pitié, trouver le corbeau qui a fait chanter notre bébé à tel point qu’il choisisse de se donner la… la mort, supplia Mme Thompson avant de s’écrouler au sol, en pleurs.

— Savez-vous quelle information refusait-il de partager, et pourquoi ? D’après notre première analyse des lettres de menace, une calligraphie masculine des phrases en ressort. Hélas, toutes ces lettres restent anonymes et, pour le moment, aucun indice ou détail particulier ne saute aux yeux.

PREMIÈRE PARTIE

ACCORDS CACHÉS

CHAPITRE UN

L’AUDIENCE

*

Dès lors que la porte arrière du tribunal de São Paulo se referma sur l’accusé et son escadron de gardes du corps, les quelques attroupés aux abords de l’opulent bâtiment ne semblaient pas en revenir. Les derniers mots employés par le richissime cinquantenaire leur parurent aussi décontractés et orgueilleux que s’il s’apprêtait à entamer une soirée de gala dans son manoir italien.

« Tenez-vous fin prêts pour la suite des aventures de Dennis Brown », avait-il clamé aux micros des journalistes locaux.

Rebecca Miller s’était congratulée d’en être la précurseuse indirecte, car c’était un de ses interviewers qui avait posé la question à l’homme d’affaires avant qu’il ne s’éclipse enfin. Quelques érudits et vénérateurs du cinquantenaire applaudissaient et saluaient encore son audace.

En ce jour de juillet 2018, la sécurité était sur le qui-vive. Des tireurs d’élite quadrillaient même les environs, postés sur les points stratégiques de la zone.

— Je pressens, Manuel, que ce procès risque de nous révéler toutes ses surprises, déclara Rebecca Miller qui dégageait de l’excitation dans sa robe courte rose bonbon.

Épaule contre épaule avec le co-animateur de l’émission spéciale qu’elle présentait, Rebecca Miller comptait tirer le meilleur de toute cette mise en avant dont elle jouissait dans l’instant.

— Je crois, ma chère Rebecca, que l’audience nous en apprendra un paquet sur les multiples zones d’ombres du centre thérapeutique, avança Manuel Guiterez sans réaliser la magnitude de cette lapalissade formulée.

Le journaliste s’épongea le front, le dos quelque peu voûté, dans une stature interrogatrice pour beaucoup.

***

À l’arrière-plan, l’écran géant diffusait les images d’une salle poussiéreuse engloutie par un flot discontinu de cinq ou six personnes à la fois. Les bancs d’assises se remplissaient au fur et à mesure, de même que ceux des futurs jurés. La rumeur des conversations s’agita de plus en plus. Confortablement installé dans le canapé du salon de sa mère, Jeff Gybson se remémora sa stupéfaction coléreuse lors des obsèques de son défunt père : Richard Gybson.

— Des désaccords injuriant surviendront, comme en c’jour d’mise en terre, dit-il en fronçant les sourcils tandis que le bracelet électronique à sa cheville le démangeait. M’man n’va pas réussir à garder son calme… ça va partir loin, comme lors d’l’enterr’ment.

Une émulsion quelconque entre les deux côtés de sa famille avait éclaté, créant une scène effarante de honte. On reprochait à la mère de Jeff son inexistant soutien, mais aussi son déshonneur impardonnable envers l’arbre généalogique du défunt. Chose selon eux qu’elle s’appliquait encore aujourd’hui à perpétrer en ne daignant pas vouloir débattre sur le fâcheux sujet de leur rupture. Manuella Gybson, quant à elle, s’était retrouvée seule pour dire un dernier au revoir à son ex-époux et père de leur unique enfant. Depuis aussi loin qu’il s’en souvint, Jeff n’avait jamais rencontré les membres de l’entourage proche de sa mère.

— J’ne sais rien d’eux. J’ne les connais pas, et pourtant ils sont d’ma famille. M’man nous aurons une p’tite discussion à ton retour… Nous n’avons jamais abordé l’sujet.

Jeff monta le son de la télévision, accapara le paquet de chips et jeta un bref coup d’œil à son smartphone dans l’espoir vain d’un quelconque message de la part de ses camarades de l’aventure « Phobia’s Center ». Même s’il a été mis de côté, à la suite de son attaque à l’encontre du sale pré-mort Dennis Brown, Jeff sentait qu’un fossé se creusait entre lui, Jennifer, Carter, et les enfants.

— J’n’ai pas beaucoup échangé avec eux, mais, pendant les trois nuits passées dans l’même hôtel de Manaus, on s’est quand même pas mal rapprochés, marmonna Jeff, confus, entre deux bouchées de chips et son grand verre de soda. J’aurais cru qu’après ça, nous aurions gardé contact… Apparemment, j’avais tout faux.

***

Toute l’assemblée regroupée pour l’audience s’affairait à arranger les modalités de dernière minute. L’entrée en scène de l’accusé du jour, de son avocat et du juge du barreau, Goléo Rantès, entretenait l’impatience et le suspens. Les familles des victimes se confortaient ou ne prononçaient pas le moindre mot. Seuls les sons étouffés de personnes larmoyantes parvenaient à fendre le formalisme de l’endroit. Les jurés s’échangeaient des messes basses tout en promenant d’un air entendu leurs regards sur le cercle rapproché de chaque victime disparue.

— Ils en font tout un cinoche, railla l’infirmière qui pénétra dans la chambre de sa patiente, semblant aussi dépassée par cette affaire outrageante que par l’accumulation d’heures supplémentaires. Si ça avait été moi à l’origine de tout ça…

L’infirmière se tut aussitôt. Elle réalisa la stupidité de ce qu’allaient être ses propres pensées par un surmenage sensible.

— J’n’ai rien dit, bafouilla-t-elle, les yeux fuyants, tout en remplissant un gobelet en plastique d’eau, avant de poser un cachet dans la main de la jeune femme allongée. Mad’moiselle Gabe, une fois le médicament pris, j’vous rappelle votre rendez-vous avec le docteur Phrinen dans une demi-heure… Je sais, je sais, rien qu’de lui dire bonjour est une corvée des plus ingrates, et j’n’ose pas imaginer c’que c’est de passer une heure en sa compagnie… eurk !

Jennifer Gabe fixa son interlocutrice, se demandant si elle se devait de rire ou plutôt faire mine de trouver choquant qu’une collègue peste sur une autre. Elle se redressa sur son lit médical, posa le cachet sur sa langue, puis l’avala avec une gorgée d’eau. Cela fait, Jennifer reporta son attention sur l’infirmière qui se grattait le nez, absorbée par l’audience que l’écran de télé retranscrivait. Le chant des perruches perchées sur le palmier tout près de la fenêtre résonnait aux oreilles et amplifiait l’impression d’être opprimé.

— Merci pour le rappel du rendez-vous avec la psychiatre. Néanmoins, je me sens pas très bien, mentit Jennifer, les doigts entrelacés, rosissant. Pourrais-je rester dans ma chambre ou simplement aller prendre l’air dans le parc de la clinique ?

L’infirmière la toisa d’un regard suspicieux. Elle donnait le sentiment d’être en conflit intérieur avant qu’un sourire rusé ne se dessine sur son visage osseux.

— C’est ça, mad’moiselle Gabe, prenez-moi pour plus cruche que je n’suis, ricana l’infirmière, les mains sur les hanches, hochant la tête. Comme ça vous pourrez bavasser en secret avec Maureen, n’est-ce pas ? Si vous croyez que vous êtes discrètes, c’est raté. Depuis quelque temps, c’est devenu une habitude chez vous !

— Je… je ne vois pas à quoi vous faites allusion…

— S’il vous plaît, pas d’ça avec moi, mad’moiselle Gabe, la coupa l’infirmière sur un ton calculateur, éloigné de toute bonhomie honnête.

— J’ignorais qu’ici, à Beaux Airs, bavasser dans le parc ou ailleurs avec un membre du personnel était prohibé par le règlement intérieur ? ironisa Jennifer en souriant jaune.

— Pas de telles calembredaines avec moi, mad’moiselle Gabe. Nous… je dis just’ que c’est assez curieux tout de même que les endroits choisis pour discuter sont toujours ceux qui échappent aux caméras de surveillance… Le hasard fait bien les choses.

Jennifer cligna des yeux, la bouche entrouverte, avant de se rendre compte de ce que son expression faciale traduisait. Elle lissa le drap qui recouvrait ses jambes endolories, toussota, puis sourit sans ajouter un mot. Comprenant qu’il était temps pour elle de se retirer, l’infirmière rajusta sa tunique de travail, replaça la plaquette d’antidépresseurs dans une des poches de sa veste, puis se dirigea vers la sortie et déclara :

— Nous vous avons à l’œil. Nous avons l’ordre de…

Laissant sa phrase en suspens, l’infirmière disparut dans le couloir et ferma la porte d’un coup sec. De nouveau seule, Jennifer souffla, soulagée, toutefois bien plus troublée et septique.

— Il faut que je me débrouille pour parler à Maureen au plus vite, murmura Jennifer, sans prêter un intérêt quelconque aux images diffusées par les médias qui patientaient aux pieds de la cour de justice de São Paulo. Elle avait raison. J’avais raison. Il y a eu corruption dans les rangs. M. Dennis Brown est derrière tout ça, dans l’objectif premier de protéger ses arrières en nous discréditant et en nous écartant de son chemin. Nous sommes tous séparés les uns des autres depuis notre retour.

Jennifer ne cessait de repasser en revue tous les impératifs, de même que les imprévus survenus depuis Phobia’s Center. Pour dire vrai, ceci l’épuisait au plus haut point et ne la divertissait plus autant qu’au tout début de son internat entre ces murs.

— Après tout, Dennis Brown a gagné, reprit-elle, la mine abattue, tremblante. Il s’en sortira encore. Pas grand-chose ne sera retenu contre lui. Toutes les preuves glanées par Carter ont été subtilisées…

***

— Tout comme c’est dans ton intérêt que je gagne ce combat aujourd’hui, répliqua Dennis Brown en soulignant son regard d’un menaçant sourire. Je n’aime pas perdre, tu sais. J’ai une fâcheuse tendance à m’emporter lorsque je pressens que la situation m’échappe.

— Je vous certifie, monsieur Brown, que nous remporterons ce procès, assura l’avocat d’une voix ampoulée et bourrée d’orgueil tandis que son front suait à n’en plus finir. Avec la défense que nous avons parfaite ensemble, c’est presque improbable que cette manche ne soit pas en notre faveur.

— Le compte à rebours est lancé. L’avenir de mon bébé ne repose donc plus que sur la défense d’un grand requin d’avocat. Que je sois béni des dieux !

— Quand je dis que nous remporterons l’audience, je veux dire par là, monsieur Brown, qu’au vu des chefs d’accusation dont on vous incombe, il serait malchanceux que la sentence finale soit allégée à une poignée d’années d’incarcération sans sursis, observa maître Ewing qui croisa ses doigts en pyramide, la mine plus sérieuse que jamais, en mâchant bien ses mots.

Dennis Brown, assis sur un fauteuil aux côtés de son avocat, n’écoutait qu’à moitié. Il ressassait encore son échange en tout petit comité avec les conseillers politiques trois mois en arrière. L’accord avait été signé. Ainsi, selon toute logique, les choses iraient dans son sens.

Le cinquantenaire zyeuta la pièce prêtée pour l’intimité entre son avocat et lui, et perdit son regard sur un tableau orné d’or qui représentait un personnage d’importance, ayant berné son peuple. Dennis Brown assimilait cette œuvre peinte à l’huile à l’accord tacite avec les hommes de pouvoir du pays. Le public, ou du moins certains civils, se voyaient victimes d’un leurre conséquent sans qu’ils n’en sachent rien.

— Monsieur Brown ? Monsieur Brown, est-ce que vous allez bien ? insista maître Ewing qui, en dépit des apparences, s’inquiétait de son devenir.

— Je songeais simplement à l’après-audience, déclara Dennis Brown d’un ton désinvolte, l’œil à présent attentif à la pendule coiffant la porte. L’heure approche, tout comme la sentence de clôture. J’ai hâte que tout soit terminé. Tout.

L’avocat détailla, incrédule, son client du moment. Il ne côtoyait Dennis Brown que depuis quelques mois. Néanmoins, jamais il n’aurait cru ce personnage orgueilleux, arrogant et impitoyable, capable d’envisager de tout abandonner.

Sans préambule, la porte du petit bureau s’ouvrit sur Edgard, le conseiller personnel de Dennis Brown. Sans permettre à maître Ewing de ruminer ce qu’il pensait naïvement être la signification de la dernière phrase de son client, Edgard prit la parole :

— Excusez-moi de vous déranger, messieurs, mais il est temps pour vous d’aller prendre place dans la salle. L’audience va commencer, monsieur Brown. Le Juge Rantès est prêt.

L’avocat et son client échangèrent des airs que très peu accordés entre eux. Avant de refermer la marche dans un corridor plutôt court, Edgard s’autorisa une intervention orientée :

— Monsieur Brown, puis-je me permettre une petite chose ? Très bien, je fais vite, monsieur Brown. Je voulais vous faire part d’une nouvelle toute fraîche que je viens d’entendre en papotant dans la salle. Il s’agit de votre frère, il est présent pour l’audience et sera a priori appeler à la barre par la partie adverse. D’après ce que j’ai perçu, il aurait de quoi faire pencher la balance de leur côté.

Le visage de Dennis Brown devint rouge vif. Maître Ewing qui maintenait la porte ouverte toisa son client avec grand intérêt, toutefois nerveux. Dennis Brown se tourna vers son avocat.

— Avais-tu connaissance de ce point embêtant pour ma défense, Ewing ?

— Non, je n’en savais rien, monsieur Brown…, balbutia-t-il, les yeux écarquillés.

— Réponse conne. Ils ont gardé cette info sous scellés de leur propre chef. L’effet de surprise est bien là. Je ne m’y attendais pas.

— Ils espéraient déstabiliser notre partie…

— Et ils ont réussi, ces abrutis ! s’emporta le cinquantenaire en envoyant balader la paperasse en sa possession. Nous avons été bernés comme de piètres débutants ! Bon sang !

Apeuré, Edgar se précipita à ramasser les feuillets éparpillés ici et là, sans que les deux autres hommes s’en préoccupent. L’avocat cherchait, semble-t-il, des mots réconfortants à proférer à l’encontre de M. Brown qui se frottait le front, tiraillé par ses réflexions. Finalement, après plusieurs minutes, les trois hommes allèrent gagner leurs places au cœur de cette maudite salle.

***

— Bien, l’audience peut commencer, affirma le juge d’un air mi-impassible mi-rébarbatif, une fois avoir demandé le silence dans les rangs. Nous sommes présents en ce jour afin d’étudier le dossier Dennis Brown.

Un murmure désapprobateur parcourut l’assemblée. Certains sifflèrent, d’autres huèrent. Le juge grommela quelque chose tout en tapant du marteau sur son socle. Le brouhaha s’estompa soudain. Les quelques caméras autorisées à filmer le déroulé zoomèrent sur l’accusé du jour qui souriait en coin.

— Je vais maintenant présenter les chefs d’accusation émis à l’encontre de l’homme d’affaires, Dennis Brown, annonça le juge en lisant un papier sur lequel tout y était résumé.

Il toisa l’inculpé par-dessus ses petites lunettes rondes, avant de poursuivre :

— Monsieur Dennis Brown, né le 21 octobre 1965 à Pine Trees Town, Maine, États-Unis, a été convié à comparaître devant la cour de justice suite aux dénonciations suivantes… Homicide volontaire contre la personne de Luis Ramoso, ayant perdu la vie sous forme de suicide forcé. Homicide volontaire contre la personne de Paul Jones…

Hébété, voire désarçonné par la tournure que prenait le procès, Dennis Brown échangea avec son avocat, l’air plus que concerné par ce qu’il se passait séance tenante.

— Monsieur Brown, Maître Ewing, j’aimerais un peu de silence, les coupa sèchement le juge, suite à un nouveau coup de marteau effectué. J’exige de ne pas être interrompu lorsque je fais étalage des méfaits étant attribués à l’accusé ! Dorénavant, veuillez discuter à voix basse afin de ne pas perturber l’audience, messieurs !

— Oui, votre honneur. Mon client et moi nous excusons, assura l’avocat de la défense qui se renfrognait à mesure que ses homologues de la partie civile exultaient avec discrétion.

Dennis Brown, quant à lui, chercha du regard un individu en particulier : son frère. Nulle trace de lui d’après ce qu’il percevait depuis le premier rang à gauche. Son œil rencontra toutefois celui du représentant du président qui traduisait une incompréhension et une sidération totales.

— En suivant, homicide involontaire à l’encontre d’Ashley Kame, ayant reçu une balle perdue dans son cœur, reprit le juge de la cour, tandis qu’une multitude de protestations indignées fusèrent d’un groupe mirifique de proches. Je demande le silence dans la salle ! Si nouvelle interruption de ce genre il y a, je serai dans l’obligeance de vous faire sortir de là. Ai-je été assez clair ?

La famille Kame se calma, pleurant et maudissant l’accusé sans mot dire. Les caméras ne manquaient aucune miette du « spectacle » qui se jouait sous leurs yeux. À en croire leur rapidité d’action, les cameramans donnaient la sensation de se complaire dans cette débâcle, tout en étant friands de plus. Les jurés ne cessaient de lancer des regards de reproches, voire de haine au cinquantenaire milliardaire et assassin.

— Pouvons-nous poursuivre ? demanda, exaspéré, le juge sans pour autant se départir de son professionnalisme reconnu dans tout le Brésil. Bien. Reprenons. Où en étais-je ? Ah oui. Homicide involontaire à l’encontre du présumé Howard Phillips, décédé suite à la blessure par balle que l’accusé lui aurait infligée…

Des messes basses succédèrent à cette fin de phrase. Dennis Brown entendit la stupéfaction parmi les proches des victimes, en raison du choix des mots employés par le juge. Les chuchotements se turent. Un silence de plomb retomba dans la salle. Dennis Brown chercha à nouveau l’attention du représentant du président qui hocha la tête en guise d’incertitude vis-à-vis du cheminement emprunté par le juge de la cour. Dennis Brown se demandait ce qui pouvait expliquer ces imprévus de dernière minute. L’accord passé entre le juge, quelques politiciens et lui-même ne mentionnait guère la divulgation de certains faits pénaux, jusqu’alors secrets. Quelqu’un trahissait-il en cet instant l’accord ?

— L’alliance entre le disparu Raphaël Gardilho, propriétaire de la compagnie forestière du même nom, et l’accusé ici présent prête aux interrogations sur la légalité de la construction du centre thérapeutique Phobia’s Center, annonça le juge qui décryptait le dossier du jour. Inutile de rappeler les pratiques douteuses de cette compagnie forestière en Amazonie brésilienne ainsi que chez nos voisins. En raison, la construction du centre est remise en question par les partis politiques du vert et de la gauche. De plus, je lis que la communauté scientifique, même si elle ne remet pas en cause le bon procédé des méthodes TCC… Thérapies Comportementales Cognitives et émotionnelles, n’est pas moins réticente concernant le traitement expérimental censé être pris en addition de ces méthodes, ce qui attise l’inquiétude et la consternation dans la profession.

Dennis Brown s’arma d’un sourire narquois, ce qui ne passa pas inaperçu chez les jurés. L’un d’eux explosa :

— Non, mais vous n’avez pas honte de sourire ainsi ! À votre place, cher monsieur…

— Silence dans la salle ! tonitrua le juge qui en perdit ses lunettes, rougeaud. Sortez !

La mine déconfite, le juré se leva, titubant, puis disparu. Outrés ou peinés, les gens massés sur les bancs restaient cois. Seuls, Dennis Brown, son conseiller Edgard et l’avocat de la défense échangeaient sans se soucier de la scène survenue.

— Le chef d’accusation suivant n’est autre qu’un accord illicite signé par l’accusé ici présent, Raphaël Gardilho ainsi que différents acteurs, dont le regretté Richard Gybson, cita le juge en jouant son rôle à la perfection. Cet accord aurait eu vocation à déboiser une vallée dans son intégralité pour y bâtir le centre thérapeutique. Ce déboisement a conduit une tribu indienne locale à l’exil. Des pertes humaines sont à déplorer…

Dennis Brown fulminait intérieurement. Comment l’audience pouvait avoir pris ce tournant imprévu ? Quelque chose clochait dans ce déroulé, mais quoi ? Les politiciens l’auraient-ils trahi ? Le juge ne laissait rien paraître, mais il devait bien savoir ce qu’il se tramait. Et Bastian Brown, où était-il ?

— Monsieur Brown, c’est quoi c’cirque, murmura déconfit, l’avocat à l’oreille de son client. C’est quoi ces accusations ? D’où sortent-elles ? Je n’en avais pas connaissance, comment c’la se fait-il, dites-moi ! J’ai passé ces derniers mois à peaufiner votre défense en me basant sur les deux seuls chefs d’accusation d’homicide involontaire ! Je croyais pouvoir vous sauver et vous empêcher la prison pour de très longues années, mais là, tout notre dossier est remis en cause… j’n’ai aucun élément sur ces nouvelles dénonciations, comment suis-je censé vous défendre, sans avoir à ma disposition tous les tenants et aboutissants ? ajouta-t-il paniqué, tandis que Dennis Brown capitulait dans la précipitation, de plus en plus en alerte.

— Il va falloir demander une suspension d’audience au plus vite, décréta l’accusé d’une voix à peine audible pendant que le juge débitait toujours sa tirade. Je dois absolument parler au juge en privé, c’est important ! Mon avenir dépendra de la conclusion de cette audience et je n’ai pas envie de passer mes prochaines années derrière les barreaux !

— Une suspension, maint’nant ? Vous devez tout me dire, monsieur Brown, et ne rien me cacher. Si vous avez des infos que je n’ai pas, et je commence à croire qu’c’est le cas…

— Bon sang, fais ce que je te dis, Ewing, il y va de ma carrière !

Ewing se leva, hésitant un peu, héla le juge avec courtoisie et droiture. Ce dernier s’interrompit, irrité, puis le jaugea avec méfiance. Ses homologues de la partie civile attendaient, avides et suspicieux, ce que la partie adverse préparait.

— Oui, maître Ewing, l’incita à parler le juge, qui se contenait manifestement à réagir avec impulsion, l’œil noir apparent au-dessus de ses verres.

— Votre honneur, nous aimerions une suspension d’audience, c’est nécessaire pour le bien de mon client, exagéra l’avocat, sans toutefois savoir si cette requête demandée à ce stade nuirait à leur défaite.

Un tumulte envahit sitôt l’endroit. Des exclamations en tous genres fusaient de tous côtés. Trois coups de marteau résonnèrent dans la salle. Les protestations des avocats de la partie civile et les indignations des familles des victimes cessèrent. Les cameramans ne chômaient pas. Les caméras allaient d’un bout à l’autre de la pièce. Le juge savoura un moment de réflexion impartiale, s’éclaircit la gorge, puis donna sa réponse :

— Requête refusée ! Vous rendez-vous compte du temps que vous nous faites perdre à tous avec vos sornettes ? L’audience n’a débuté qu’il y a vingt minutes à peine, je n’ai pas eu l’occasion d’énoncer les chefs d’accusation avec toute la conformité requise, et voilà que vous osez demander une suspension d’audience ?

Maître Ewing se décomposa et Dennis Brown s’empourpra. À quoi cela rimait-il ? Pourquoi le juge, qui était lui-même dans le coup, répugnait-il à consentir à suspendre l’audience ? Craignait-il une confrontation avec lui ? Que lui dissimulait-il ?

Dennis Brown revint à ses esprits, un peu plus chamboulé qu’avant. De nouveau, il croisa le regard du représentant de la présidence qui écarquillait les yeux tout en secouant la tête de gauche à droite. Dennis Brown se recentra sur le déroulé de l’audience. Jamais auparavant, ce sentiment d’être faible et délaissé de ses alliés ne l’avait autant impacté, atteint.

Son entreprise Ancog S., de plus que son bébé Phobia’s Center risquaient-ils un coup bas venant de nulle part ? L’accord avait été vu, signé et se devait d’être acté, alors que se passait-il ? Une immunité entourait normalement la société et le centre. De surcroît, il en allait de même de sa personne alors d’où provenaient tous ces nouveaux chefs d’accusation ? Et qui en était l’instigateur ? Pour connaître tous ces méfaits, un seul individu ayant découvert son journal de bord aurait pu arriver avec autant de preuves à son encontre. Seul Carter Briss s’était emparé de ce journal, sans toutefois avoir arraché les pages charnières, alors l’hypothèse de prises de photos ressortait.

— Carter, ce déchet sur pattes, doit être derrière tout ça, marmonna Dennis Brown, bouillonnant, sans prêter un quelconque intérêt au discours du juge. Le reconduire tous les quinze jours au poste de police de Manaus n’a pas suffi. J’aurais dû faire en sorte de l’évincer pour de bon quand j’en avais l’opportunité…

Edgar, le conseiller, et son avocat échangèrent un regard. La situation, ils le pressentaient, puait le désavantage le plus complet. Rien de tout ça n’était prévu au programme. La défense de Dennis Brown avait été consolidée sur de fausses croyances. Ceci rendait les choses plus compliquées et contrebalançait la donne.

— La partie civile appelle à la barre leur premier témoin, informa le juge, la mine fermée.

Manuella Gybson fit son entrée, l’air réticente, se forçant à dévier son regard à l’opposé de l’accusé qu’elle connaissait personnellement. Elle chemina le long du couloir qui délimitait les bancs de la partie de la défense de ceux de la partie adverse. Triturant son petit sac à main, Manuella Gybson se contentait à présent de fixer un point droit devant elle. Des murmures s’élevèrent ici ou là sur son passage. Elle alla rejoindre son assise, nerveuse, au côté du juge sans plus de cérémonie. Avant qu’elle ne s’assît, le juge l’interpella :

— Madame Gybson, attendez avant de prendre place ! Vous devez avant toute chose prêter serment sur l’honneur de la Bible, en confirmant que vous direz la vérité, rien que la vérité.

Manuella Gybson s’exécuta, puis s’installa aussitôt fait. Elle n’osait croiser le regard de ce monstre de Dennis Brown. Une haine viscérale envers ce dernier la consumait depuis des années entières. L’écho avec son passé lui revenait à l’esprit.

— Madame Gybson, pouvez-vous nous en dire plus sur votre première rencontre avec M. Brown et ce que cela a généré sur votre famille ? interrogea l’avocate de la partie civile, d’une manière qui était censée mettre à l’aise la témoin.

Manuella Gybson prit une profonde inspiration avant de répondre, les yeux fixés sur l’avocate, comme cette dernière le lui avait conseillé :

— J’ai rencontré M. Brown pour la première fois en décembre 2015, balbutia Manuella en se frottant les mains l’une à l’autre. Il nous avait conviés à un dîner dans son manoir, sous prétexte qu’il fallait fêter un événement quelconque, disait-il…

Dennis Brown se tortillait sur son banc. Contenir sa rage l’obligeait à faire preuve d’efforts importants. Les cameramans braquaient probablement leurs objectifs sur sa personne. S’il souhaitait gagner un peu la faveur des jurés, voire du public, cela requérait le contrôle de ses émotions dans l’instant. Qu’est-ce qu’il désirait s’en prendre à Manuella Gybson, lui faire regretter son témoignage !

— … Et c’est à ce moment-là que M. Brown a dévoilé ce que la signature de ce document signifiait.

— Et que signifiait-elle, madame Gybson ? insista l’avocate de la partie civile qui jeta un regard fier à l’accusé.