Nouvelles Méditations Poétiques - Alphonse (de) Lamartine - E-Book

Nouvelles Méditations Poétiques E-Book

Alphonse de Lamartine

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Beschreibung

♦ Cet ebook bénéficie d’une mise en page esthétique optimisée pour la lecture numérique. ♦
«  Les anges amoureux se parlent sans paroles,
Comme les yeux aux yeux.  »

Du Passé à la Solitude, de l’Apparition aux Adieux à la poésie, Lamartine nous offre avec ses Nouvelles Méditations Poétiques ses plus beaux poèmes empreints d’une sensibilité si particulière. Il y aborde les thèmes romantiques de la nature, de la mort, et surtout de l'amour, en les sublimant avec son style littéraire hors norme. Ses vers nous racontent une autre époque mais ils nous parlent avant tout de nous-mêmes, de nos sentiments profonds. 
Indiscutablement, Lamartine est l’un des plus grands poètes français, figure majeur du romantisme. Son lyrisme, son expression touchante et son génie poétique vous conduiront vous aussi jusqu’à la méditation. 

TEXTE COMPRENANT DEUX PREFACES ÉCRITES PAR LAMARTINE DONT UNE DÉDIÉE À SON AMI M. DARGAUD.

EXTRAIT LE PAPILLON : « Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté !
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté ! »



 

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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Nouvelles Méditations Poétiques

Lamartine

Alicia Éditions

Table des matières

PRÉFACE GÉNÉRALE DES ŒUVRES COMPLÈTES DE M. DE LAMARTINE

PRÉFACE DES SECONDES MÉDITATIONS

LE PASSÉ

ISCHIA

SAPHO

LA SAGESSE

LE POÈTE MOURANT

L ‘ESPRIT DE DIEU

BONAPARTE

LES ÉTOILES

LE PAPILLON

A EL***

ÉLÉGIE

TRISTESSE

LA SOLITUDE

CONSOLATION

LES PRÉLUDES

LA BRANCHE D’AMANDIER

L’ANGE

L’APPARITION DE L’OMBRE DE SAMUEL À SAÜL

STANCES

LA LIBERTÉ OU UNE NUIT À ROME

ADIEUX À LA MER

LE CRUCIFIX

APPARITION

CHANT D’AMOUR

IMPROVISÉE À LA GRANDE-CHARTREUSE

ADIEUX À LA POÉSIE

À UN CURÉ DE VILLAGE

À ALIX DE V…

Du même auteur

PRÉFACE GÉNÉRALE DES ŒUVRES COMPLÈTES DE M. DE LAMARTINE

Voilà mes œuvres ! Je ne les publie pas par vanité ; je ne dis pas comme Horace : Exegi monumentum. Je suis si loin de me glorifier devant ce monceau de feuilles mortes ou éphémères tombées du rameau de l’arbre de ma vie, dont je sens déjà les racines mourir, que je dis en toute sincérité : Je voudrais n’avoir jamais su écrire.

Virgile lui-même, transplanté de son humble métairie des bords du lac de Garde dans les pompes et dans les tumultes de Rome, ne regrettait-il pas d’avoir jeté loin de lui l’aiguillon de ses bœufs ou la serpette de l’émondeur de ses vignes ? — Ô ! utinàm, etc., etc.

Si j’avais à recommencer la vie, sachant ce que je sais, je n’y chercherais pas le bonheur, parce que je sais qu’il n’y est pas, mais j’y chercherais soigneusement l’obscurité et le silence, ces deux divinités domestiques qui gardent le seuil des moins malheureux.

Si donc je livre encore mon nom presque posthume aux retentissements et aux controverses littéraires de mon temps, si je désire que la critique ou l’indulgence fassent encore un peu de bruit utile autour de ces volumes, ce n’est pas que j’aie le goût de la publicité, c’est que j’y suis condamné comme à mon supplice. Je paye la vaine gloire de ma jeunesse par l’humiliation de mes jours avancés.

Pourquoi ai-je réveillé l’écho qui dormait si bien dans les bois paternels ? Il me poursuit maintenant que je voudrais dormir à mon tour. C’est sa vengeance et c’est mon expiation.

Je le dis sans aucune fausse modestie, je ne crois pas léguer un héritage de chefs-d’œuvre à la plus courte postérité. J’ai trop écrit, trop parlé, trop agi, pour avoir pu concentrer dans une seule œuvre capitale et durable le peu de talent dont la nature m’avait plus ou moins doué. Comme le grand oiseau du désert (qui n’est pas l’aigle), j’ai semé dans le sable çà et là les germes de ma postérité, et je n’ai pas assez couvé pour les voir éclore les œufs dispersés du génie.

J’ai eu de l’âme, c’est vrai ; voilà tout. J’ai jeté quelques cris justes du cœur. Mais si l’âme suffit pour sentir, elle ne suffit pas pour exprimer. Le temps m’a manqué pour une œuvre parfaite, parce que j’ai dilapidé le temps, ce capital du génie.

Prodigue du temps, il est juste que l’avenir me manque. Je m’en afflige, mais ne m’en plains pas.

Le seul mérite de cet immense recueil de mes œuvres, ce sera d’être une faible partie de l’histoire intellectuelle, poétique, littéraire, philosophique, politique, des années qui se sont écoulées de 1820 à 1860, presque un demi-siècle. Ces volumes ne sont pas un monument, ce sont des traces, des pierres milliaires marquées de mon nom et laissées sur la route du temps pour mesurer les pas de la pensée. Ce demi-siècle a passé par les mêmes traces que moi ; j’ai noté les miennes en vers, en prose, en harangues, en actions plus ou moins mémorables ; les autres n’ont pas noté leur passage dans la vie. Voilà toute la différence.

Puisse le public ne pas se tromper au mobile qui me fait revenir sur ces traces de mes sentiments ou de mes idées ; c’est un sacrifice du devoir, très-pénible, mais très-obligatoire.

Ne pouvant pas vendre de la terre, je vends de l’amour-propre : car je ne prétends pas me glorifier de ces œuvres.

Certes j’aimerais mille fois mieux prendre toutes ces pages sans les relire et sans provoquer personne à les relire ; j’aimerais mieux en faire un bûcher de papier noirci, et en livrer au vent du soir la vaine fumée !

Mais la conscience est là qui me dit : « Arrête ! Tu dois du pain à des centaines de bouches ; tes œuvres ont un prix matériel avec lequel s’achète l’aliment de ces familles envers qui tu es redevable de leur existence. Prie les hommes d’acheter de toi ces vanités de plume ; ces vanités deviendront saintes en devenant du pain quotidien. » Encore une fois, aucun autre motif que celui-là ne me contraint à cette publication.

Il y a longtemps que la dernière racine de toute vanité littéraire ou politique est séchée en moi, comme si elle n’y avait jamais germé. Je ne me crois ni classique en poésie, ni infaillible en histoire, ni toujours irréprochable en politique. Quand je repasse mes œuvres ou ma vie, je me juge moi-même avec plus de justice, mais avec autant de sévérité que peuvent le faire mes ennemis. Pourquoi ? Parce que je me juge non devant les hommes, mais devant Dieu, dont la lumière éclatante fait ressortir toutes les taches. À quoi servirait donc la conscience, si ce n’était à se frapper la poitrine avant l’heure où le dernier soupir doit, à défaut d’innocence, emporter du moins toutes les honnêtetés de l’âme au Juge miséricordieux de nos faiblesses. Cette confession publique que les premiers chrétiens faisaient aux portes du temple doit se faite par l’honnête homme, à haute voix, devant les portes de la postérité. Ce sera une des étrangetés spéciales de cette édition finale et unique que ces jugements que j’y porterai, en notes, sans pitié pour moi-même, à chaque page de mes œuvres et de mes actes.

Je trouve à cette sévérité même un plaisir amer : le plaisir que fait à l’âme la justice exercée même contre soi.

Il faut être impitoyable envers ses passions, ses faiblesses ou ses fautes, pour mériter d’être pardonné ici-bas et absous là-haut.

La mort est l’amnistie de la vie.

LAMARTINE.

16 avril 1860.

PRÉFACE DES SECONDES MÉDITATIONS

À UN AMI : M. DARGAUD

Dans l’un des innombrables entretiens que nous avons ensemble depuis vingt ans, et dans lesquels je vous ai ouvert péripatétiquement toute mon âme, vous m’avez demandé pourquoi les secondes Méditations n’avaient pas excité d’abord le même enthousiasme que les premières, et pourquoi ensuite elles avaient repris leur rang à côté des autres. Je vous ai répondu : « C’est que les premières étaient les premières, et que les secondes étaient les secondes. »

Il n’y a pas eu d’autre raison ; mais cette raison en est une, bien qu’elle paraisse une puérilité. En effet, la nouveauté en tout est un immense élément de succès. L’étonnement fait partie du plaisir à l’apparition d’une beauté de l’art comme d’une beauté de la création, comme d’une beauté vivante. Une fois ce premier étonnement épuisé ou émoussé, la chose reste aussi belle, mais elle n’est plus aussi admirée. Le ravissement même devient une habitude ; et l’habitude, comme dit Montaigne, « enlève sa primeur à toute saveur. » Croyez-vous que le premier rayon de soleil qui inonde le matin les yeux de l’homme qui s’éveille, soit plus pur et plus éblouissant que les rayons qui le suivent, et dont on ne s’aperçoit plus ? Non ; mais il est le premier. Croyez-vous que les milliards de coups de canon qui se tirent par an dans le monde, frappent l’oreille et l’imagination de l’homme de la même impression dont son oreille et son imagination furent frappées la première fois que, par l’invention de la poudre foulée dans le bronze, il crut voir et entendre le tonnerre descendre des nuages, s’allumer et retentir sous sa main ? Croyez-vous que les milliers d’aérostats qui s’élèvent tous les ans au-dessus des dômes illuminés de nos capitales, dans leurs jours de fêtes, attirent, fascinent et éblouissent autant les yeux de la foule, que ce premier globe aérien emportant au ciel sa nacelle pliante sous le poids de ces deux pilotes que nos pères virent naviguer pour la première fois dans les cieux ? Non : le phénomène est le même, l’admiration s’est usée. L’invention vieillit comme toute chose ici-bas. S’il en était autrement, la vie se passerait en extases devant les merveilles du génie humain inventées par ceux qui nous ont précédés, et que nous foulons aux pieds. La nouveauté est une des conditions de l’enthousiasme.

En descendant du grand au petit, je l’éprouvai tout de suite à l’apparition de ce second volume de mes poésies. J’étais le même homme ; j’avais le même âge ou un an de plus, la fleur de la jeunesse, vingt-six ans ; je n’avais ni gagné ni perdu une fibre de mon cœur ; ces fibres avaient les mêmes palpitations ; la plupart même des Méditations qui composaient ce second recueil avaient été écrites aux mêmes dates et sous le feu ou sous les larmes des mêmes impressions que les premières. C’étaient des feuilles du même arbre, de la même sève, de la même tige, de la même saison ; et cependant le public n’y trouva pas au premier moment la même fraîcheur, la même couleur, la même saveur. « Ce n’est plus cela, s’écriait-on de toutes parts ; ce n’est plus le même homme, ce ne sont plus les mêmes vers ! » C’est que si mes vers étaient encore aussi neufs pour ce public, ce public n’était plus aussi neuf pour mes vers.

C’est aussi que l’envie littéraire, éveillée par un premier grand succès surpris à l’étonnement des lecteurs, avait eu le temps de s’armer contre une récidive d’admiration et s’arma en effet de mon premier volume contre le second.

C’est enfin que mes admirateurs, même les plus bienveillants, étaient eux-mêmes en quelque sorte avares et jaloux de la vivacité d’impression qu’ils avaient éprouvée à la lecture de mes premières poésies, et que cette impression était si forte et si personnelle en eux, qu’elle les empêchait réellement d’éprouver une seconde fois une impression semblable ; comme une première odeur, respirée jusqu’à l’enivrement, empêche l’odorat de sentir une corbeille des mêmes fleurs.

Je compris cela du premier coup. Je ne suis pas né impatient, parce que je ne suis pas né ambitieux, bien que je sois né très-actif. J’attendis.

Il me fallut attendre à peu près quinze ans. Pourquoi quinze ans ? me dites-vous. Parce qu’il me fallut attendre une génération de lecteurs nouveaux, et qu’il faut à peu près quinze ans chez nous pour qu’une nouvelle génération en politique, en littérature, en idées, en goût, remplace une autre génération, ou s’y mêle du moins en proportions suffisantes pour en modifier les sentiments. Les générations d’hommes ont trente-trois ans, les générations d’esprits ont quinze ans.

Or, du moment où une génération d’esprits nouveaux, d’enfants, de jeunes gens, de jeunes femmes, eurent lu, non pas mon premier volume seulement comme la génération lisante de 1821, mais mes deux volumes à la fois, sans acception de date, sans préférence d’impressions reçues, sans privilège d’âge, sans comparaison de souvenirs, ces nouveaux lecteurs impartiaux trouvèrent (ce qui était vrai) mes premiers et mes seconds vers parfaitement semblables d’âme, d’inspiration, de défauts ou de qualités. Les deux volumes ne furent plus qu’une seule œuvre dans leur esprit, et furent les Méditations poétiques.

J’ai éprouvé ensuite, dans tout le cours de ma vie littéraire, politique, oratoire ou poétique, le même phénomène. Toujours, et par une sorte d’intermittence aussi régulière que le flux et le reflux de l’Océan, le flux ou le reflux de l’opinion et du goût s’est caractérisé envers moi par une faveur ou par une défaveur alternative. Toujours on s’est armé d’un volume contre un autre volume, d’un premier genre de mes poésies contre un nouveau genre, de l’approbation donnée à un de mes actes contre un second, de l’applaudissement soulevé par un de mes discours contre le discours qui suivait. Ainsi est faite l’opinion publique : elle ne veut pas reconnaître longtemps même son plaisir. Il faut qu’elle construise et qu’elle démolisse sans fin, pour reconstruire après, même les plus insignifiantes renommées. Elle finit par une suprême raison quand ses jouets sont morts, et qu’elle s’appelle la postérité ; mais, pendant qu’ils vivent, elle n’est réellement pas encore l’opinion : elle est le caprice de la multitude.

Voilà ce que je vous disais un jour en descendant, nos fusils sous le bras, nos chiens sur nos talons, les pentes ravinées de sable rouge des hautes montagnes semées de châtaigniers qui font la toile peinte de la scène entre Saint-Point et le mont Blanc.

Où sont ces jours maintenant ? Où sont ces pensées nonchalantes qui s’échangeaient entre nous alors en conversations interrompues, comme les bruissements des saules et des chênes alternaient doucement, sous les premières ombres des soirées, avec les babillages des eaux filtrant à nos pieds dans les rigoles de la montagne ? Le rapide sillage du temps, qui court en changeant la scène et les spectateurs, nous a emportés tous deux sous d’autres latitudes de la pensée. Que d’autres entretiens aussi n’avons-nous pas eus depuis sur d’autres théâtres et sur de plus importants sujets ? Nous avons vu s’agiter les peuples, crouler les trônes, surgir les républiques, bouillonner les factions, et l’esprit des sociétés désorientées chercher à tâtons la route vers l’avenir entre des ruines et des chimères, jusqu’à ce qu’il trouve le vrai chemin que Dieu seul peut lui éclairer. Ces méditations d’un autre âge ne s’écrivent ni en vers ni en prose. Aucune langue ne contiendrait les actes de foi, les frissons de doute, les élans de courage, les abattements de tristesse, les cris de joie, les gémissements d’angoisses intérieures, les conjectures, les aspirations, les invocations que les hommes préoccupés du sort des peuples, et mêlés à ce mouvement des choses humaines, se révèlent dans l’intimité de leurs âmes pendant cette traversée des révolutions. Ce sont des mots, des syllabes, des points de vue, des horizons qui s’ouvrent et qui se referment devant l’esprit en un clin d’œil. Cela ne se note pas dans les livres, mais dans l’intelligence et dans le cœur d’un ami. Votre cœur et votre intelligence ont été, depuis vingt ans, les pages où j’ai jeté en courant ce que je ne me dis qu’à moi-même, et ce qui n’a été feuilleté que par vous. Quand j’aurai cessé de causer, et que vous vous souviendrez encore ; quand vous reviendrez en automne visiter cette vallée de Saint-Point où j’ai laissé tomber plus de rêveries dans votre oreille que les peupliers de mon pré ne laissent tomber de feuilles sur le grand chemin ; le ravin desséché, le châtaignier creux, la source entre ses quatre pierres de granit grises, le tronc d’arbre couché à terre et servant de banc aux mendiants de la vallée, le tombeau peut-être où un lierre de plus rampera sur les moulures de l’arche sépulcrale, à l’extrémité des jardins, sur les confins de la vie et de la mort, vous rappelleront ce que nous nous sommes dit, ici ou là, assis ou debout, sous telle inclinaison de l’ombre, sous tel rayon du soleil, au chant de tel oiseau dans les branches sur nos têtes, aux aboiements de tel chien, au hennissement de tel cheval de prédilection dans l’enclos ; vous vous arrêterez pour écouter encore et pour répondre, et vous serez, mieux que ce livre mort et muet, un souvenir vivant de ma vie écoulée. Cela m’est doux à penser. Ce n’est pas la postérité, c’est encore un crépuscule de la vie humaine après que notre court soleil est déjà éteint. L’homme n’est bien mort que quand tous ceux qui l’ont connu et aimé sur la terre se sont couchés à leur tour dans le tombeau qui ne parle plus d’eux aux nouvelles générations. Jusque-là l’homme vit encore un peu dans la vie de ceux qui survivent. C’est l’aurore boréale du tombeau.

Les Orientaux, qui ont tout dit, parce qu’ils ont tout senti les premiers, ont un proverbe plein de ce sens exquis de l’amitié. « Pourquoi Dieu, disent-ils, a-t-il donné une ombre au corps de l’homme ? C’est pour qu’en traversant le désert l’homme puisse reposer ses regards sur cette ombre, et que le sable ne lui brûle pas les yeux. » Vous avez été souvent pour moi comme une ombre de rafraîchissement, umbra refrigerii, et vous le serez encore pour ma mémoire, quand j’aurai passé.

LAMARTINE.

1848

LE PASSÉ

A M. A. de V***.

Arrêtons-nous sur la colline

À l'heure où, partageant les jours,

L'astre du matin qui décline

Semble précipiter son cours !

En avançant dans sa carrière,

Plus faible il rejette en arrière

L'ombre terrestre qui le suit,

Et de l'horizon qu'il colore

Une moitié le voit encore,

L'autre se plonge dans la nuit !

C'est l'heure où, sous l'ombre inclinée,

Le laboureur dans le vallon

Suspend un moment sa journée,

Et s'assied au bord du sillon !

C'est l'heure où, près de la fontaine,

Le voyageur reprend haleine

Après sa course du matin

Et c'est l'heure où l'âme qui pense

Se retourne et voit l'espérance

Qui l'abandonne en son chemin !

Ainsi notre étoile pâlie,

Jetant de mourantes lueurs

Sur le midi de notre vie,

Brille à peine à travers nos pleurs.

De notre rapide existence

L'ombre de la mort qui s'avance

Obscurcit déjà la moitié !

Et, près de ce terme funeste,

Comme à l'aurore, il ne nous reste

Que l'espérance et l'amitié !

Ami qu'un même jour vit naître,

Compagnon depuis le berceau,

Et qu'un même jour doit peut-être

Endormir au même tombeau !

Voici la borne qui partage

Ce douloureux pèlerinage

Qu'un même sort nous a tracé !

De ce sommet qui nous rassemble,

Viens, jetons un regard ensemble

Sur l'avenir et le passé !

Repassons nos jours, si tu l'oses !

Jamais l'espoir des matelots

Couronna-t-il d'autant de roses

Le navire qu'on lance aux flots ?

Jamais d'une teinte plus belle

L'aube en riant colora-t-elle

Le front rayonnant du matin ?

Jamais, d'un oeil perçant d'audace,

L'aigle embrassa-t-il plus d'espace

Que nous en ouvrait le destin ?

En vain sur la route fatale,

Dont les cyprès tracent le bord,

Quelques tombeaux par intervalle

Nous avertissaient de la mort !

Ces monuments mélancoliques

Nous semblaient, comme aux jours antiques,

Un vain ornement du chemin !

Nous nous asseyions sous leur ombre,

Et nous rêvions des jours sans nombre,

Hélas ! entre hier et demain !

Combien de fois, près du rivage

Où Nisida dort sur les mers,

La beauté crédule ou volage

Accourut à nos doux concerts !

Combien de fois la barque errante

Berça sur l'onde transparente

Deux couples par l'Amour conduits !

Tandis qu'une déesse amie 

Jetait sur la vague endormie

Le voile parfumé des nuits !

Combien de fois, dans le délire

Qui succédait à nos festins,

Aux sons antiques de la lyre,

J'évoquai des songes divins !

Aux parfums des roses mourantes,

Aux vapeurs des coupes fumantes,

Ils volaient à nous tour à tour !

Et sur leurs ailes nuancées,

Egaraient nos molles pensées

Dans les dédales de l'Amour !

Mais dans leur insensible pente,

Les jours qui succédaient aux jours

Entraînaient comme une eau courante

Et nos songes et nos amours;

Pareil à la fleur fugitive

Qui du front joyeux d'un convive

Tombe avant l'heure du festin,

Ce bonheur que l'ivresse cueille,

De nos fronts tombant feuille à feuille,

Jonchait le lugubre chemin !

Et maintenant, sur cet espace

Que nos pas ont déjà quitté,

Retourne-toi ! cherchons la trace

De l'amour, de la volupté !

En foulant leurs rives fanées,

Remontons le cours des années,

Tandis qu'un souvenir glacé,

Comme l'astre adouci des ombres,

Eclaire encor de teintes sombres

La scène vide du passé !

Ici, sur la scène du monde,

Se leva ton premier soleil !

Regarde ! quelle nuit profonde