Oeuvres complètes de François Villon
Œuvres complètes de François Villon PRÉFACECLÉMENT MAROT DE CAHORS LE PETIT TESTAMENT DE MAISTRE FRANÇOIS VILLONRONDEAUPOÉSIES DIVERSESLE JARGON OU JOBELINPOÉSIESPage de copyright
Œuvres complètes de François Villon
François Villon
PRÉFACE
On ne sait guère de la vie de François Villon que ce qu'il en
dit lui-même, et l'on en sait trop. J'aurais voulu me dispenser de
décrire, après tant d'autres1, cette existence peu édifiante,
mais je n'ai pas cru pouvoir le faire. Le sujet des poésies de
Villon, c'est Villon lui-même, et sa biographie est la clef de ses
oeuvres.Note 1:() Voir notamment
laVie de François Villon, par
Guillaume Colletet, en tête des oeuvres de Villon, édition de
M.P.L. Jacob, bibliophile (M. Paul Lacroix), Paris, 1854,
in-16;—leMémoirede M.
Prompsault, en tête de son édition de Villon, Paris, 1832,
in-8;—François Villon, Versuch einer kritischen
Darstellung seines Lebens nach seinen Gedichten,
von Dr. S. Nagel.Mulheim an der Ruhr, 1856, in-4, le travail le plus complet et le plus judicieux
qu'on eût fait jusqu'alors sur ce sujet, et la base de ceux qu'on a
faits depuis;—François Villon, sa vie et ses
oeuvres, par Antoine Campeaux,Paris, Durand, 1859, in-8, et la
notice de M. Anatole de Montaiglon, excellente pour le fond comme
pour la forme, dansles Poètes
Français, recueil publié sous la direction de M.
Eugène Crépet, Paris, 1861-62, 4 vol. gr. in-8, t. I, p.
447-455.François Villon naquit à Paris en 1431. Sur la foi d'une
pièce que Fauchet, dans son traitéde l'Origine
des chevaliers, imprimé en 1599, dit avoir
trouvée dans un manuscrit de sa bibliothèque2, on a mis en doute le lieu de la
naissance et jusqu'au nom du poète. On s'est livré à des
conjectures ingénieuses pour concilier les renseignements fournis
par lui-même avec les indications de Fauchet, pour expliquer
comment il pouvait s'appeler à la fois Corbueil et Villon, être à
la fois natif d'Auvers et de Paris. Pour moi, je crois, avec le P.
Du Cerceau, Daunou et beaucoup d'autres, qu'on ne doit tenir aucun
compte de ce huitain, amplification maladroite de l'épitaphe en
quatre vers3. Ce n'est pas
sur une pareille autorité qu'on peut substituer le nom deCorbueilà celui deVillon, que notre poète se donne
lui-même en vingt endroits de ses oeuvres4.Note 2:() Voici cette pièce,
que j'ai cru devoir rejeter des oeuvres de Villon:Je suis Françoys, dont ce me poise,Nommé Corbueil en mon surnom,Natif d'Auvers emprès Pontoise,Et du commun nommé Villon.Or, d'une corde d'une toiseSauroit mon col que mon cul poise,Se ne fut un joli appel.Le jeu ne me sembloit point bel.L'auteur de ce huitain n'a pas compris l'intention comique de
ce vers de Villon:Né de Paris emprès Pontoise;C'est pourquoi il le fait gravement naître à Auvers, qui est
en effet près de Pontoise. Mais une preuve certaine de la
composition tardive de cette pièce, c'est qu'on ne trouverait
probablement pas dans la seconde moitié du XVe siècle, et
certainement pas dans les oeuvres de Villon, un huitain dont les
rimes soient distribuées comme dans celui-là. Dans tous les
huitains de Villon, sans exception, le premier vers rime avec le
troisième, le second avec le quatrième, le cinquième et le
septième, et le sixième avec le huitième. Les faussaires ne pensent
jamais à tout.Note 3:() Voy. p.
101.Note 4:() Voy. leGlossaire-Index, au mot
VILLON.Les parents de Villon étaient pauvres5. Sa mère était illettrée6; son père était vraisemblablement
un homme de métier, et peut-être, ainsi que l'a conjecturé M.
Campeaux, un ouvrier en cuir, uncordouennier7.Note 5:() V. p. 31, huitain
XXXV.Note 6:() «Oncques lettre ne
leuz.» P. 55, v. 22.Note 7:() VoyezNotesPoussé par le désir de s'élever au-dessus de la triste
condition de ses parents, ou plutôt par ce besoin de savoir qui
tourmente les natures comme la sienne, Villon étudia. Il connut les
misères de l'état d'écolier pauvre. On n'a pas de renseignements
certains sur le genre d'études auquel il se livra ni sur les
progrès qu'il y fit. M. Nagel suppose qu'il obtint le grade de
maître ès arts, et se fonde surtout sur le legs qu'il fait plus
tard, de sa «nomination qu'il a de l'Université» (p. 15). Mais ce
legs pourrait bien n'être qu'une plaisanterie, comme tant d'autres.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il n'obtint pas le grade de
maître en théologie, but suprême des études du temps8.Note 8:() Voy.Grand Testament, huitains XXXVII (p.
32) et LXXII (p. 52.)En ce temps-là, comme plus tard, les étudiants étaient
exposés à bien des tentations. Villon n'y sut pas résister. En
contact avec des jeunes gens sans préjugés d'aucune sorte et
dépourvus d'argent comme lui, il adopta leurs moeurs et façons de
vivre. Bientôt il devint leur chef et leur providence9. LesRepues
franches, singulier monument élevé à sa gloire
par quelqu'un de ses disciples, nous font connaître par quelles
combinaisons ingénieuses lui et ses compagnons se procuraient les
moyens de mener joyeuse vie. Leurs friponneries étaient tout à fait
dans les moeurs du temps, et ne dépassaient sans doute pas les
proportions de ce qu'on serait volontiers tenté d'appelerdes bons tours; mais ils étaient sur
une pente glissante, et la justice n'entendait pas
raillerie.Note 9:()C'estoit la mère nourricièreDe ceux qui n'avoient point d'argent;A tromper devant et derrièreEstoit un homme diligent. (P. 190.)Rien ne prouve cependant que Villon ait eu maille à partir
avec elle à cause de ses entreprises sur le bien d'autrui. On a
parlé de ses deux procès: il en eut au moins trois, bien constatés
par ses oeuvres, et le premier, qu'on n'avait pas fait ressortir
jusqu'à présent, est le seul dont le sujet soit indiqué d'une
manière certaine. C'est la suite d'une affaire
d'amour.Avant de tomber dans ces relations honteuses avec des femmes
perdues dont laBallade de la Grosse
Margot10nous donne
l'ignoble tableau, Villon fut amoureux. Il connut l'amour vrai,
l'amour naïf et timide11.
Quel fut l'objet de cette passion, c'est ce qu'il n'est pas facile
de dire. Il l'appelle de divers noms, Denise, Roze, Katherine de
Vauzelles. Que ce fût une femme de moeurs faciles, une gentille
bourgeoise ou une noble damoiselle, il paraît certain que c'était
une coquette. Elle l'écouta d'abord, l'encouragea12et finit par le rebuter. Il s'en
plaignit sans doute à ses compagnons, que les femmes qu'ils
fréquentaient n'avaient pas habitués à de pareilles rigueurs, et
qui se moquèrent de lui13.
Villon s'emporta contre sa belle, lui fit des avanies, lui dit des
injures, composa peut-être contre elle quelque ballade piquante,
quelque rondeau bien méchant. Or, bien que religieux au fond, il
frondait volontiers les choses sacrées14. La belle dame se plaignit; la
juridiction ecclésiastique s'en mêla15, et Villon fut bel et bien
condamné au fouet16.Note 10:() Page
83.Note 11:() Le doux souvenir de
cette passion se montre en maints endroits des oeuvres de Villon,
mêlé à ses regrets et aux reproches qu'il adresse à sa maîtresse
avide et cruelle. Voy. les huitains III, IV, V et X duPetit Testament, LV à LIX duGrand Testament, la ballade de la page
57, le rondeau p. 59, etc.Note 12:()Quoy que je luy voulsisse dire,Elle estoit preste d'escouter, etc.(P.
47.)Note 13:()... qui partout m'appelleL'amant remys et renié. (P.
48.)Note 14:() Voir notamment les
huitains CVI à CX duGrand Testament.Note 15:()Quant chicanner me feit Denise,Disant que je l'avoye mauldite. P.
69.Note 16:() La sentence fut
exécutée. LaDouble balladede
la page 45 ne laisse aucun doute à cet égard:J'en fus batu, comme à ru telles,Tout nud...(P. 46, v.
24-25.)C'est à la suite de cette sentence que Villon, décidé à
quitter Paris, composa lesLaysou legs auxquels on a donné depuis le titre dePetit Testament.Dans le huitain VI, page 9, il annonce qu'il s'en va à
Angers. Il est probable qu'il ne fit pas ce voyage. Ses habitudes,
ses relations, sa misère, le retinrent à Paris ou aux environs.
C'était en 1456. Flétri par le châtiment qu'il avait subi, aigri
par l'infortune, il ne connut plus de bornes. L'année qui suivit sa
condamnation fut assurément l'époque la plus honteuse de sa vie. En
1457, il était dans les prisons du Châtelet, et le Parlement, après
lui avoir fait appliquer la question de l'eau17, le condamnait à mort. On ignore
le motif de cette condamnation; on a supposé qu'il s'agissait d'un
crime commis à Rueil par lui et plusieurs de ses compagnons, dont
quelques-uns furent pendus18.
Cette supposition paraît fondée. Quant au crime commis, il n'était
peut-être pas d'une extrême gravité. Les lois étaient sévères, et
les compagnons de Villon devaient avoir, comme lui, des antécédents
fâcheux.Note 17:() C'est ce
qu'indiquent clairement ces deux vers de la page 104:On ne m'eust, parmi ce drapel,Faict boyre à celle escorcherie.Note 18:() Voy. laBelle leçon aux enfans perduz, p. 86,
et leJargon, p.
125.Quoi qu'il en soit, Villon ne partagea pas leur sort. Il est
vrai qu'il ne négligea rien pour se tirer d'affaire: il appela de
la sentence, ce qui lui valut quelque répit; puis, du moins ceci
paraît certain, à l'occasion de la naissance d'une princesse qu'il
appelle Marie, il implora la protection du père de cette princesse.
Cette démarche lui réussit: le prince intercéda pour lui, et le
Parlement commua sa peine en celle du bannissement. Villon se
montra pénétré de reconnaissance. Il adressa une requête au
Parlement, pour lui rendre grâces autant que pour lui demander un
délai de trois jours pour quitter Paris, et il composa pour la
princesse qui venait de naître des vers pleins de sentiment. M.
Prompsault a cru que cette princesse était Marie de Bourgogne,
fille de Charles le Téméraire, née le 13 février 1457; mais c'était
une erreur. M. Auguste Vitu, qui prépare depuis nombre d'années une
édition de Villon, a reconnu qu'il s'agissait de Marie d'Orléans,
fille du poète Charles d'Orléans, née le 19 décembre 1457, et M.
Campeaux a clairement démontré que cette opinion était
fondée.A partir du moment où Villon quitte Paris, en exécution de
l'arrêt du Parlement, nous perdons sa trace jusqu'en 1461. A cette
époque nous le trouvons dans les prisons de Meung-sur-Loire, où le
détient Thibault d'Aussigny, évêque d'Orléans. Quel nouveau méfait
lui reprochait-on? Ceux qui supposent qu'il avait fabriqué de la
fausse monnaie n'ont pas pris garde que la punition de ce crime
était exclusivement du ressort des juges séculiers. Dans leDébat du coeur et du corps de Villon,
composé dans sa prison, le poète attribue sa détention à safolle plaisance.Ce qu'on lui reprochait, c'était peut-être quelque propos ou
quelque écrit peu orthodoxe, quelqueplaisanteriesentant le sacrilège,
quelque aventure galante par trop scandaleuse, toutes choses dont
il était bien capable et dont la répression regardait la justice
ecclésiastique. Il y a lieu de croire que le délit n'était pas en
rapport avec la punition, car Villon, qui n'a jamais protesté
contre sa condamnation au fouet, qui se contente d'indiquer
vaguement que le Parlement l'avait jugépar
fausserie, fit preuve de la plus violente
rancune contre Thibault d'Aussigny. Il paraît même certain que
cette mauvaise affaire ne lui fit pas perdre la faveur de ses
protecteurs, Charles d'Orléans et le duc de Bourbon.Quoi qu'il en soit, Villon languit longtemps dans la prison
de Meung, plongé dans un cul de basse-fosse, nourri au pain et à
l'eau. Rien n'indique qu'une sentence quelconque ait été rendue
contre lui mais le traitement qu'on lui faisait subir devait le
conduire lentement à une mort certaine. Heureusement Louis XI, qui
venait de succéder à Charles VII, alla à Meung dans l'automne de
1461, et Villon lui dut sa délivrance. Fut-ce, ainsi que le dit M.
Campeaux, par suite «du don de joyeux avènement qui remettait leur
peine à tous les prisonniers d'une ville où le roi entrait après
son sacre?» Je serais plutôt porté à croire, malgré l'absence de
preuves, que Villon fut personnellement l'objet d'une mesure de
clémence de la part du roi; la façon dont il en témoigne sa
reconnaissance me paraît justifier cette supposition19.Note 19:() On a dit récemment
que le roi qui délivra Villon était Charles VII. Je ne puis adopter
cette opinion. Sans examiner ici la valeur du document sur lequel
elle est basée, je me bornerai à faire remarquer que Charles VII
mourut à Mehun-sur-Yèvre, près de Bourges, le 22 juillet 1461,
précisément au moment où Villon était dans la prison de
Meung-sur-Loire, près d'Orléans, où il passatout
un été(p. 21, v. 14), c'est-à-dire tout l'été de
la même année 1461.En sortant des prisons de Meung, Villon composa, du moins en
partie, leGrand Testament,
dans lequel sont intercalées des pièces qui se rapportent à
diverses époques de sa vie, et dont quelques-unes ont dû être
composées beaucoup plus tard.Il est probable, en effet, que Villon vécut encore longtemps;
mais on ne sait rien de précis à cet égard. Les conjectures sur
lesquelles on se fonde pour placer la date de sa mort entre 1480 et
1489 ne sont, en définitive, que des conjectures. Quant aux voyages
qu'on lui fait faire à Saint-Omer, Lille, Douai, Salins, Angers,
Saint-Genoux, et jusque dans le Roussillon, rien ne prouve qu'ils
ont eu lieu. Villon nomme ces localités dans ses oeuvres, il est
vrai, mais nulle part il ne dit qu'il les a visitées. Son voyage à
Bruxelles, son séjour en Angleterre, avec la réponse hardie qu'il
aurait faite au roi Edouard V, ne me semblent pas beaucoup plus
certains, malgré mon respect pour celui qui s'en est fait
l'historien20. Ce qui me
semble hors de doute, c'est sa retraite dans le centre de la
France, où semblait l'attirer quelque chose qui nous est inconnu,
peut-être quelque relation de famille. Dans lePetit Testament, il annonce qu'il va à
Angers21; il en revenait
peut-être lorsqu'il fut arrêté à Meung. Dans leGrand Testament, il dit qu'il «parle
un peu poictevin22.»
LaBallade Villon(p. 109) et
laDouble ballade(p. 107)
prouvent qu'il séjourna quelque temps à Blois, à la cour de Charles
d'Orléans, et le vers de la page 111:Que fais-je plus? Quoi? Les gaiges
ravoir.autorise à penser qu'il avait obtenu auprès du prince une de
ces charges qu'on donnait aux poètes de cour. Ainsi, par leDit de la naissance Marie, Villon
n'avait pas seulement échappé au dernier supplice; il s'était de
plus acquis la faveur de Charles d'Orléans, et il sut la conserver,
du moins pendant quelque temps, et peut-être jusqu'à la mort du
duc, arrivée en 1465.Note 20:() Rabelais, livre IV,
chap. LXVII. M. Nagel a relevé deux erreurs dans ce passage de
Rabelais. Villon n'aurait pu se trouver à la cour d'Edouard V, qui
ne monta sur le trône qu'en 1483, et le médecin Thomas Linacre, né
vers 1460, ne fut célèbre que sous les règnes de Henri VII et de
Henri VIII.Note 21:() Page 9. —Le Franc
archer de Bagnolet dit, p. 157, v. 12: «Ma mère fut née d'Anjou;»
mais cela ne prouverait rien, même quand il serait démontré que ce
monologue est de Villon.Note 22:() Page
62.Il eut un autre protecteur en la personne du duc de Bourbon,
qui lui faisait de «gracieux prêts23.»Enfin, Rabelais, livre IV, chapitre XIII, nous apprend que
«maistre François Villon, sus ses vieux jours, se retira à
Saint-Maixent en Poictou, sous la faveur d'un homme de bien, abbé
dudit lieu. Là, pour donner passe-temps au peuple, entreprit faire
jouer la Passion en gestes et langage poictevin24.» Ce témoignage n'est pas
irrécusable; mais pourquoi ne pas l'accepter? Après une vie aussi
agitée, on aime à se représenter le pauvre poète enfin tranquille,
à l'abri du besoin, s'occupant, pour son plaisir, de jeux
dramatiques, auxquels il avait dû probablement, dans d'autres
temps, demander son pain25.Note 23:() P. 115, v.
6.Note 24:()oeuvres de Rabelais, édition Burgaud
des Marets et Ratnery, t. II, p. 92. On voit ensuite un tour joué
au sacristain des cordeliers, Estienne Tapecoue, qui sent bien son
Villon, mais dont le dénoûment cruel a pu être inventé par
Rabelais, qui n'aimait pas les moines.Note 25:() On croit que Villon
donna des représentations dramatiques à Paris et ailleurs, et c'est
comme directeur de troupe qu'on lui fait parcourir une partie de la
France et des Pays-Bas.En pénétrant dans les mystères de cette existence misérable,
on est frappé de deux choses: D'abord, on remarque qu'elle n'exerça
pas sur le coeur de Villon toute l'action corruptrice qu'il y avait
lieu de redouter. Au milieu de son abjection, Villon conserve des
sentiments élevés. Il est plein d'amour et de respect pour sa
mère26, de reconnaissance
pour quiconque l'a secouru27,
de vénération pour ceux qui ont fait de grandes choses; il aime son
pays, chose d'autant plus honorable qu'elle était rare en ce
temps-là28; il regrette les
erreurs de sa jeunesse, et le temps qu'il a si mal employé29; voilà qui doit lui faire
pardonner bien des choses.Note 26:() Voy. p. 32, huit.
XXXVIII; p. 54, huit. LXXIX; p. 55, Ballade.Note 27:() Guillaume Villon,
p. 9, 53; Jean Cotard, p. 22, 58; Louis XI, p. 23, 24; le Parlement, P.
103; Marie d'Orléans, p. 105, 107; le duc de Bourbon, p.
114.Note 28:() Ces deux vers de la
page 34:Et Jehanne, la bonne Lorraine,Qu'Anglois brulèrent à Rouen,lui font d'autant plus d'honneur qu'à l'époque où il les
écrivit des gens éclairés regardaient Jeanne d'Arc comme sorcière,
et les Anglais avaient en France de nombreux
partisans.Note 29:()Grand Testament, huitain XXVI et
suiv.Puis, quelle influence n'eut-elle pas sur le talent du
poète30! Formé, comme on dit
aujourd'hui, à l'école du malheur, il vit les choses sous leur vrai
jour, et il entra dans une voie tout à fait nouvelle. Il rompit en
visière à l'Allégorie, qui régnait alors en souveraine, à toutes
les afféteries de la poésie rhétoricienne cultivée par les beaux
esprits du temps. Il fut le premier poèteréaliste. Que l'on compare avec ses
autres oeuvres les quelques pièces qu'il a composées selon la
poétique de ses contemporains, laBallade
Villon(p. 109), laRequeste au
Parlement(p. 103), et d'autres, et l'on ne sera
point tenté de «regretter, avec Clément Marot, qu'il n'ait pas été
«nourry en la court des rois et princes, où les jugemens s'amendent
et les langaiges se pollissent,» car il y eût certainement plus
perdu que gagné.Note 30:()Travail mes lubres sentemens,Esguisez comme une pelote,M'ouvrist plus que tous les CommensD'Averroys sur Aristote. (P. 25.)M. A. de Montaiglon a parfaitement caractérisé le rôle de
Villon dans la poésie française. Je ne puis mieux faire que de lui
emprunter ces quelques lignes:«... Au moment où parut Villon, la littérature française en
était précisément à cette période de transformation; de la poésie
générale elle passait à la poésie personnelle; ses contemporains,
subissant à leur insu cette phase littéraire, s'essayaient à
l'individualité avec plus d'effort que de bonheur; Villon
l'atteignit du premier coup. Sa force est là, et sa valeur
s'augmente de l'intérêt que, sous ce rapport, offraient ses
oeuvres. Elle est tellement saisissante qu'elle a été reconnue de
tous, et le succès qui l'accueillit ne s'arrêta pas. François Ier
lui fit l'honneur d«faire faire une édition de ses poésies par
Clément Marot, qui le combla de ses louanges. Un peu plus tard, il
est vrai, l'école de Ronsard protesta. Pasquier condamne Villon, et
Du Verdier s'émerveille que Marot ait osé «louer un sigoffeouvrier et faire cas de ce qui ne
vaut rien.» Cela marque moins un manque de goût que la force
partiale du préjugé; la Pléiade, qui est en réalité aussi
aristocratique que savante, ne pouvait admirer Villon sans se
condamner elle-même; mais, ce moment passé, le charme recommence:
Regnier est un disciple de Villon; Patru le loue; Boileau a senti
quel était son rang; La Fontaine l'admire; Voltaire l'imite; les
érudits littéraires du XVIIe et du XVIIIe siècle, Colletet, le P.
Du Cerceau, l'abbé Massieu, l'abbé Goujet, parlent de lui comme il
convient, en même temps que Coustelier et Formey le réimpriment,
que La Monnoye l'annote, et que Lenglet-Dufresnoy prépare une
nouvelle édition. De nos jours, une justice encore plus éclatante
lui a été rendue. L'édition de Prompsault, à laquelle M. Lacroix
est venu ajouter, pourrait être acceptée comme définitive, au moins
quant au texte, si M. Vitu n'en promettait une, qui, en profitant
des précédentes, donnera sans doute le dernier mot. Tous ceux qui
ont parlé incidemment de Villon, MM. Sainte-Beuve, Saint-Marc
Girardin, Chasles, Nisard, Geruzez, Demogeot, Génin, et d'autres
encore, l'ont bien caractérisé. En même temps qu'eux, M. Daunou a
écrit sur notre poète une longue étude, insérée dans leJournal des Savants, et M. Théophile
Gautier, dans l'ancienneRevue
française, des pages vives, aussi justes que
pleines de verve, qui ont été recueillies dans sesGrotesques. Enfin, en 1850 M.
Profillet, et en 1856 un professeur allemand, M. Nagel, ont pris
Villon pour sujet d'un travail spécial; l'année dernière (1859), M.
Campeaux lui a consacré un excellent travail, auquel, pour être
meilleur, il ne manque peut-être qu'une plus ancienne et plus
familière connaissance des alentours. Tous sont, avec raison,
unanimes à reconnaître l'originalité, la valeur aisée et puissante,
la force etl'humanitéde la
poésie de Villon. Pour eux tous, et ce jugement est aujourd'hui
sans appel, Villon n'est pas seulement le poète supérieur du XVe
siècle, mais il est aussi le premier poète, dans le vrai sens du
mot, qu'ait eu la France moderne, et il s'est écoulé un long temps
avant que d'autres fussent dignes d'être mis à côté de lui.
L'appréciation est maintenant juste et complète; d'autres viendront
qui le loueront avec plus ou moins d'éclat et de talent, qui le
jugeront avec une critique plus ou moins solide ou brillante; mais
désormais les traits de la figure de Villon sont arrêtés de façon à
ne plus changer, et ceux qui entreprendront d'y revenir ne pourront
rester dans la vérité qu'à la condition de s'en tenir aux mêmes
contours.»Plus loin, M. A. de Montaiglon, passant légèrement sur
lePetit Testament, «qui n'est
que spirituel, » et sur quelques pièces qu'il regrette de trouver
dans leGrand Testament,
ajoute:«Ce n'est pas là qu'il faut chercher Villon, mais dans la
partie populaire et humaine de son oeuvre. On ne dira jamais assez
à quel point le mérite de la pensée et de la forme y est
inestimable. Le sentiment en est étrange, et aussi touchant que
pittoresque dans sa sincérité; Villon peint presque sans le savoir,
et en peignant il ne pallie, il n'excuse rien; il a même des
regrets, et ses torts, qu'il reconnaît en se blâmant, mais dont il
ne peut se défendre, il ne les montre que pour en détourner. Je
connais même peu de leçons plus fortes que la ballade:Tout aux tavernes et aux filles. La
bouffonnerie, dans ses vers, se mêle à la gravité, l'émotion à la
raillerie, la tristesse à la débauche; le trait piquant se termine
avec mélancolie; le sentiment du néant des choses et des êtres est
mêlé d'un burlesque soudain qui en augmente l'effet. Et tout cela
est si naturel, si net, si franc, si spirituel; le style suit la
pensée avec une justesse si vive, que vous n'avez pas le temps
d'admirer comment le corps qu'il revêt est habillé par le vêtement.
C'est bien mieux que l'esprit bourgeois, toujours un peu mesquin,
c'est l'esprit populaire que cet enfant des Halles, qui
écrivait:Il n'est bon bec que de
Paris, a recueilli dans les rues et qu'il épure
en l'aiguisant. Il en a le sentiment, il en prend les mots, mais il
les encadre, il les incruste dans une phrase si vive, si nette, si
bien construite, si énergique ou si légère, que cette langue
colorée reçoit de son génie l'élégance et même le goût, sans rien
perdre de sa force. Il a tout: la vigueur et le charme, la clarté
et l'éclat, la variété et l'unité, la gravité et l'esprit, la
brièveté incisive du trait et la plénitude du sens, la souplesse
capricieuse et la fougue violente, la qualité contemporaine et
l'éternelle humanité. Il faut aller jusqu'à Rabelais pour trouver
un maître qu'on puisse lui comparer, et qui écrive le français avec
la science et l'instinct, avec la pureté et la fantaisie, avec la
grâce délicate et la rudesse souveraine que l'on admire dans
Villon, et qu'il a seul parmi les gens de son
temps...»On ne connaît certainement pas la totalité des oeuvres de
Villon, du moins sous son nom. Il est évident que lePetit Testamentn'est pas son coup
d'essai. Lors de son second procès, en 1457, il était probablement
connu par d'autres compositions. Sans cela, il est douteux que
Charles d'Orléans fût intervenu en sa faveur, et que le Parlement
lui eût fait grâce de la vie. Lorsqu'il composa leGrand Testament