Oeuvres complètes de Molière - Molière Molière - E-Book

Oeuvres complètes de Molière E-Book

Molière Molière

0,0
1,82 €

-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Cet eBook énorme offre aux lecteurs l'occasion unique d'explorer des œuvres complètes de Molière en français. Il s'agit de la meilleure collection de Molière disponible pour le Kindle.Caractéristiques:* Toutes les pièces de théâtre, chacun avec une table des matières* Tous les poèmes* Illustré avec de nombreuses images relatives à la vie de Molière et ses oeuvres* Introduction concise aux pièces de théâtre et poèmes* Textes rares disponibles nulle part ailleurs* Images des première publications donnant un avant goût des textes originaux* Quatre biographies, compris VIE DE MOLIÈRE par Voltaire* Mis à jour avec 2 biographies.TABLE DES MATIERES:Paternité des Oeuvres de MolièreLes Pièces de théâtreLA JALOUSIE DU BARBOUILLÉLE MÉDECIN VOLANTL’ÉTOURDI OU LES CONTRETEMPSLE DÉPIT AMOUREUXLES PRÉCIEUSES RIDICULESSGANARELLE OU LE COCU IMAGINAIREDOM GARCIE DE NAVARRE OU LE PRINCE JALOUXL’ÉCOLE DES MARISLES FÂCHEUXL’ECOLE DES FEMMESLA CRITIQUE DE L’ÉCOLE DES FEMMESL’IMPROMPTU DE VERSAILLESLE MARIAGE FORCÉLA PRINCESSE D’ÉLIDELE TARTUFFE OU L’IMPOSTEURDOM JUAN OU LE FESTIN DE PIERREL’AMOUR MÉDECINLE MISANTHROPE OU L’ATRABILAIRE AMOUREUXLE MÉDECIN MALGRÉ LUIBALLET DES MUSES: MÉLICERTEBALLET DES MUSES: PASTORALE COMIQUEBALLET DES MUSES: LE SICILIEN OU L’AMOUR PEINTREAMPHITRYONGEORGE DANDINL’AVARE OU L’ECOLE DU MENSONGEMONSIEUR DE POURCEAUGNACLES AMANTS MAGNIFIQUESLE BOURGEOIS GENTILHOMMEPSYCHÉLES FOURBERIES DE SCAPINLA COMTESSE D’ESCARBAGNASLES FEMMES SAVANTESLE MALADE IMAGINAIREŒuvres diversesLA GLOIRE DU VAL-DE-GRÂCEREMERCIEMENT AU ROITémoignageLE PALAIS D'ALCINE OU LES PLAISIRS DE L’ILE ENCHANTÉEBiographiesVIE DE MOLIÈRE PAR VOLTAIREVIE DE M. DE MOLIÈRE PAR JEAN-LEONOR LE GALLOIS DE GRIMARESTMOLIÈRE PAR ANATOLE FRANCEPRÉFACE DE L’EDITION DE 1682 DES OEUVRES COMPLETES DE MOLIÈRELES COMMENCEMENTS DE LA VIE DE MOLIÈRE PAR A. BAZINLES DERNIÈRES ANNÉES DE MOLIÈRE par A. Bazin

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB

Seitenzahl: 2488

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



LES OEUVRES COMPLÈTES

MOLIÈRE

(1622 – 1673)

TABLE DES MATIÈRES

Paternité des Oeuvres de Molière

Les Pièces de théâtre

LA JALOUSIE DU BARBOUILLÉ

LE MÉDECIN VOLANT

L’ÉTOURDI OU LES CONTRETEMPS

LE DÉPIT AMOUREUX

LES PRÉCIEUSES RIDICULES

SGANARELLE OU LE COCU IMAGINAIRE

DOM GARCIE DE NAVARRE OU LE PRINCE JALOUX

L’ÉCOLE DES MARIS

LES FÂCHEUX

L’ECOLE DES FEMMES

LA CRITIQUE DE L’ÉCOLE DES FEMMES

L’IMPROMPTU DE VERSAILLES

LE MARIAGE FORCÉ

LA PRINCESSE D’ÉLIDE

LE TARTUFFE OU L’IMPOSTEUR

DOM JUAN OU LE FESTIN DE PIERRE

L’AMOUR MÉDECIN

LE MISANTHROPE

LE MÉDECIN MALGRÉ LUI

BALLET DES MUSES: MÉLICERTE

BALLET DES MUSES: PASTORALE COMIQUE

BALLET DES MUSES: LE SICILIEN OU L’AMOUR PEINTRE

AMPHITRYON

GEORGE DANDIN

L’AVARE OU L’ECOLE DU MENSONGE

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC

LES AMANTS MAGNIFIQUES

LE BOURGEOIS GENTILHOMME

PSYCHÉ

LES FOURBERIES DE SCAPIN

LA COMTESSE D’ESCARBAGNAS

LES FEMMES SAVANTES

LE MALADE IMAGINAIRE

Œuvres diverses

LA GLOIRE DU VAL-DE-GRÂCE

REMERCIEMENT AU ROI

Témoignage

LE PALAIS D'ALCINE ou LES PLAISIRS DE L’ILE ENCHANTÉE

Biographies

VIE DE MOLIÈRE par Voltaire

VIE DE M. DE MOLIÈRE par Jean-Léonor Le Gallois de Grimarest

MOLIÈRE par Anatole France

PRÉFACE DE L’EDITION DE 1682 DES OEUVRES COMPLETES DE MOLIÈRE

LES COMMENCEMENTS DE LA VIE DE MOLIÈRE par A. Bazin

LES DERNIÈRES ANNÉES DE MOLIÈRE par A. Bazin

© Delphi Classics 2012

Version 2

LES OEUVRES COMPLÈTES

MOLIÈRE

Paternité des Oeuvres de Molière

Depuis 1919, la paternité des oeuvres de Molière fait débat. Certains pensent qu’il n’aurait pas lui-même écrit ses piéces et que Pierre Corneille aurait été son « nègre ». Molière n’aurait été qu’un prête-nom comme cela se faisait fréquemment à l’époque.  Cette paternité n’a pas été remise en question par les contemporains de Molière mais lorsque l’on touve au XXème siécle une versification proche de celle de Corneille dans Amphitryon, diverses théories commencent à apparaître, arguant d’une ressemblance lexicale entre les deux auteurs et d’une rencontre entre ces derniers au cours de laquelle Corneille aurait proposé ses services à Molière. Des études très récentes remettent ces théories en cause, et les pièces présentées ici sont aujourd’hui toutes attribuées à Molière, même si le doute subsiste sur la paternité des deux premières.

Pierre Corneille

Les Pièces de théâtre

Notice: les pièces sont ici présentées par date de création originale.

La « fausse » maison natale de Molière, rue du Pont Neuf à Paris

Plaque commémorative de son réel lieu de naissance, rue Saint Honoré à Paris

Molière par Mignard, 1652

Molière incarné à l’écran par Romain Duris en 2007

L’adaptation cinématographique de la vie de Molière en 1978

LA JALOUSIE DU BARBOUILLÉ

La Jalousie du barbouillé est une farce en un acte et en prose. On ignore sa date de création mais elle a été jouée à Paris à partir de 1660. Molière s'est inspiré d'une nouvelle du Décaméron de Boccace, Le Jaloux corrigé, ou d'une histoire de la Commedia dell'arte, le Villano geloso.

Le Barbouillé, mécontent de sa femme Malik, réalise que cette dernière a un amant, Valère. La situation va dégénérer dans le couple.

Plaque commémorative du premier « théâtre » de Molière où il fut engagé en 1644

Une repésentation en 2005

TABLE DES MATIÈRES

PERSONNAGES

Scène première

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Scène XI

Scène XII

Scène dernière

PERSONNAGES

Le barbouillé, mari d’Angélique.

Le docteur.

Angélique, fille de Gorgibus.

Valère, amant d’Angélique.

Cathau, suivante d’Angélique.

Gorgibus, père d’Angélique.

Villebrequin.

La Vallée.

Scène première

LE BARBOUILLÉ, seul

Il faut avouer que je suis le plus malheureux de tous les hommes! J’ai une femme qui me fait enrager: au lieu de me donner du soulagement et de faire les choses à mon souhait, elle me fait donner au diable vingt fois le jour; au lieu de se tenir à la maison, elle aime la promenade, la bonne chère, et fréquente je ne sais quelle sorte de gens. Ah! pauvre Barbouillé, que tu es misérable! Il faut pourtant la punir. Si tu la tuais... L’invention ne vaut rien, car tu serais pendu. Si tu la faisais mettre en prison… La carogne en sortirait avec son passe-partout. Que diable faire donc? Mais voilà monsieur le docteur qui passe par ici, il faut que je lui demande un bon conseil sur ce que je dois faire.

Scène II

Le barbouillé

Je m’en allais vous chercher pour vous faire une prière sur une chose qui m’est d’importance.

Le docteur

Il faut que tu sois bien mal appris, bien lourdaud, et bien mal morigéné, mon ami, puisque tu m’abordes sans ôter ton chapeau, sans observer rationem loci, temporis et personae. Quoi? Débuter d’abord par un discours mal digéré, au lieu de dire: salve, vel salvus sis, doctor, doctorum eruditissime! Hé! Pour qui me prends-tu, mon ami?

Le barbouillé

Ma foi, excusez-moi: c’est que j’avais l’esprit en écharpe, et je ne songeais pas à ce que je faisais; mais je sais bien que vous êtes galant homme.

Le docteur

Sais-tu bien d’où vient le mot de galant homme?

Le barbouillé

Qu’il vienne de Villejuif ou d’Aubervilliers, je ne m’en soucie guère.

Le docteur

Sache que le mot de galant homme vient d’élégant; prenant le g et l’a de la dernière syllabe, cela fa it ga, et puis prenant l, ajoutant un a et les deux dernières lettres, cela fait galant, et puis ajoutant homme, cela fait galant homme. Mais encore pour qui me prends-tu?

Le barbouillé

Je vous prends pour un docteur. Or çà, parlons un peu de l’affaire que je vous veux proposer. Il faut que vous sachiez…

Le docteur

Sache auparavant que je ne suis pas seulement un docteur, mais que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur:

1° parce que, comme l’unité est la base, le fondement, et le premier de tous les nombres, aussi, moi, je suis le premier de tous les docteurs, le docte des doctes.

2° parce qu’il y a deux facultés nécessaires pour la parfaite connaissance de toutes choses: le sens et l’entendement; et comme je suis tout sens et tout entendement, je suis deux fois docteur.

Le barbouillé

D’accord. C’est que…

Le docteur

3° parce que le nombre de trois est celui de la perfection, selon Aristote; et comme je suis parfait, et que toutes mes productions le sont aussi, je suis trois fois docteur.

Le barbouillé

Hé bien! Monsieur le docteur…

Le docteur

4° parce que la philosophie a quatre parties: la logique, morale, physique et métaphysique; et comme je les possède toutes quatre, et que je suis parfaitement versé en icelles, je suis quatre fois docteur.

Le barbouillé

Que diable! Je n’en doute pas. Écoutez-moi donc.

Le docteur

5° parce qu’il y a cinq universelles: le genre, l’espèce, la différence, le propre et l’accident, sans la connaissance desquels il est impossible de faire aucun bon raisonnement; et comme je m’en sers avec avantage, et que j’en connais l’utilité, je suis cinq fois docteur.

Le barbouillé

Il faut que j’aie bonne patience.

Le docteur

6° parce que le nombre de six est le nombre du travail; et comme je travaille incessamment pour ma gloire, je suis six fois docteur.

Le barbouillé

Ho! Parle tant que tu voudras.

Le docteur

7° parce que le nombre de sept est le nombre de la félicité; et comme je possède une parfaite connaissance de tout ce qui peut rendre heureux, et que je le suis en effet par mes talents, je me sens obligé de dire de moi-même: ô ter quatuorque beatum!

8° parce que le nombre de huit est le nombre de la justice, à cause de l’égalité qui se rencontre en lui, et que la justice et la prudence avec laquelle je mesure et pèse toutes mes actions me rendent huit fois docteur.

9° parce qu’il y a neuf muses, et que je suis également chéri d’elles.

10° parce que, comme on ne peut passer le nombre de dix sans faire une répétition des autres nombres, et qu’il est le nombre universel, aussi, aussi, quand on m’a trouvé, on a trouvé le docteur universel: je contiens en moi tous les autres docteurs. Ainsi tu vois par des raisons plausibles, vraies, démonstratives et convaincantes, que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur.

Le barbouillé

Que diable est ceci? Je croyais trouver un homme bien savant, qui me donnerait un bon conseil, et je trouve un ramoneur de cheminée qui, au lieu de me parler, s’amuse à jouer à la mourre. Un, deux, trois, quatre, ha, ha, ha! — oh bien! Ce n’est pas cela: c’est que je vous prie de m’écouter, et croyez que je ne suis pas un homme à vous faire perdre vos peines, et que si vous me satisfaisiez sur ce que je veux de vous, je vous donnerai ce que vous voudrez; de l’argent, si vous en voulez.

Le docteur

Hé! De l’argent.

Le barbouillé

Oui, de l’argent, et toute autre chose que vous pourriez demander.

Le docteur, troussant sa robe derrière son cul.

Tu me prends donc pour un homme à qui l’argent fait tout faire, pour un homme attaché à l’intérêt, pour une âme mercenaire? Sache, mon ami, que quand tu me donnerais une bourse pleine de pistoles, et que cette bourse serait dans une riche boîte, cette boîte dans un étui précieux, cet étui dans un coffret admirable, ce coffret dans un cabinet curieux, ce cabinet dans une chambre magnifique, cette chambre dans un appartement agréable, cet appartement dans un château pompeux, ce château dans une citadelle incomparable, cette citadelle dans une ville célèbre, cette ville dans une île fertile, cette île dans une province opulente, cette province dans une monarchie florissante, cette monarchie dans tout le monde; et que tu me donnerais le monde où serait cette monarchie florissante, où serait cette province opulente, où serait cette île fertile, où serait cette ville célèbre, où serait cette citadelle incomparable, où serait ce château pompeux, où serait cet appartement agréable, où serait cette chambre magnifique, où serait ce cabinet curieux, où serait ce coffret admirable, où serait cet étui précieux, où serait cette riche boîte dans laquelle serait enfermée la bourse pleine de pistoles, que je me soucierais aussi peu de ton argent et de toi que de cela.

Le barbouillé

Ma foi, je m’y suis mépris: à cause qu’il est vêtu comme un médecin, j’ai cru qu’il lui fallait parler d’argent; mais

Scène III

Angélique

Monsieur, je vous assure que vous m’obligez beaucoup de me tenir quelquefois compagnie: mon mari est si mal bâti, si débauché, si ivrogne, que ce m’est un supplice d’être avec lui, et je vous laisse à penser quelle satisfaction on peut avoir d’un rustre comme lui.

Valère

Mademoiselle, vous me faites trop d’honneur de me vouloir souffrir, et je vous promets de contribuer de tout mon pouvoir à votre divertissement; et que, puisque vous témoignez que ma compagnie ne vous est point désagréable, je vous ferai connoître combien j’ai de joie de la bonne nouvelle que vous m’apprenez, par mes empressements.

Cathau

Scène IV

Valère

Mademoiselle, je suis au désespoir de vous apporter de si méchantes nouvelles; mais aussi bien les auriez-vous apprises de quelque autre: et puisque votre frère est fort malade ...

Angélique

Monsieur, ne m’en dites pas davantage; je suis votre servante, et vous rends grâces de la peine que vous avez prise.

Le barbouillé

Ma foi, sans aller chez le notaire, voilà le certificat de mon cocuage. Ha! Ha! Madame la carogne, je vous trouve avec un homme, après toutes les défenses que je vous ai faites, et vous me voulez envoyer de gemini en capricorne!

Angélique

Hé bien! Faut-il gronder pour cela? Ce monsieur vient de m’apprendre que mon frère est bien malade: où est le sujet de querelles?

Cathau

Ah! Le voilà venu: je m’étonnais bien si nous aurions longtemps du repos.

Le barbouillé

Vous vous gâteriez, par ma foi, toutes deux, mesdames les carognes; et toi, Cathau, tu corromps ma femme: depuis que tu la sers, elle ne vaut pas la moitié de ce qu’elle valait.

Cathau

Vraiment oui, vous nous la baillez bonne.

Angélique

Scène V

Gorgibus

Ne voilà pas encore mon maudit gendre qui querelle ma fille?

Villebrequin

Il faut savoir ce que c’est.

Gorgibus

Hé quoi? Toujours se quereller! Vous n’aurez point la paix dans votre ménage?

Le barbouillé

Cette coquine-là m’appelle ivrogne. Tiens, je suis bien tenté de te bailler une quinte major, en présence de tes parents.

Gorgibus

Je dédonne au diable l’escarcelle, si vous l’aviez fait.

Angélique

Mais aussi c’est lui qui commence toujours à ...

Cathau

Scène VI

Le docteur

Qu’est ceci? Quel désordre! Quelle querelle! Quel grabuge! Quel vacarme! Quel bruit! Quel différend! Quelle combustion!

 Qu’y a-t-il, messieurs? Qu’y a-t-il? Qu’y a-t-il? çà, çà, voyons un peu s’il n’y a pas moyen de vous mettre d’accord, que je sois votre pacificateur, que j’apporte l’union chez vous.

Gorgibus

C’est mon gendre et ma fille qui ont eu bruit ensemble.

Le docteur

Et qu’est-ce que c’est? Voyons, dites-moi un peu la cause de leur différend.

Gorgibus

Monsieur ...

Le docteur

Mais en peu de paroles.

Gorgibus

Oui-da. Mettez donc votre bonnet.

Le docteur

Savez-vous d’où vient le mot bonnet?

Gorgibus

Nenni.

Le docteur

Cela vient de bonum est, « bon est, voilà qui est bon, » parce qu’il garantit des catarrhes et fluxions.

Gorgibus

Ma foi, je ne savais pas cela.

Le docteur

Dites donc vite cette querelle.

Gorgibus

Voici ce qui est arrivé ...

Le docteur

Je ne crois pas que vous soyez homme à me tenir longtemps, puisque je vous en prie. J’ai quelques affaires pressantes qui m’appellent à la ville; mais pour remettre la paix dans votre famille, je veux bien m’arrêter un moment.

Gorgibus

J’aurai fait en un moment.

Le docteur

Soyez donc bref.

Gorgibus

Voilà qui est fait incontinent.

Le docteur

Il faut avouer, monsieur Gorgibus, que c’est une belle qualité que de dire les choses en peu de paroles, et que les

grands parleurs, au lieu de se faire écouter, se rendent le plus souvent si importuns, qu’on ne les entend point: virtutem primam esse puta compescere linguam. Oui, la plus belle qualité d’un honnête homme, c’est de parler peu.

Gorgibus

Vous saurez donc ...

Le docteur

Socrates recommandait trois choses fort soigneusement à ses disciples: la retenue dans les actions, la sobriété dans le manger, et de dire les choses en peu de paroles. Commencez donc, monsieur Gorgibus.

Gorgibus

C’est ce que je veux faire.

Le docteur

En peu de mots, sans façon, sans vous amuser à beaucoup de discours, tranchez-moi d’un apophthegme, vite, vite, monsieur Gorgibus, dépêchons, évitez la prolixité.

Gorgibus

Laissez-moi donc parler.

Le docteur

Monsieur Gorgibus, touchez là: vous parlez trop; il faut que quelque autre me dise la cause de leur querelle.

Villebrequin

Monsieur le docteur, vous saurez que ...

Le docteur

Vous êtes un ignorant, un indocte, un homme ignare de toutes les bonnes disciplines, un âne en bon français. Hé quoi? Vous commencez la narration sans avoir fait un mot d’exorde? Il faut que quelque autre me conte le désordre. Mademoiselle, contez-moi un peu le détail de ce vacarme.

Angélique

Voyez-vous bien là mon gros coquin, mon sac à vin de mari?

Le docteur

Doucement, s’il vous plaît: parlez avec respect de votre époux, quand vous êtes devant la moustache d’un docteur comme moi.

Angélique

Ah vraiment oui, docteur! Je me moque bien de vous et de votre doctrine, et je suis docteur quand je veux.

Le docteur

Tu es docteur quand tu veux, mais je pense que tu es un plaisant docteur. Tu as la mine de suivre fort ton caprice: des parties d’oraison, tu n’aimes que la conjonction; des genres, le masculin; des déclinaisons, le génitif; de la syntaxe, mobile cum fixo; et enfin de la quantité, tu n’aimes que le dactyle, quia constat ex una longa et duabus brevibus. Venez çà, vous, dites-moi un peu quelle est la cause, le sujet de votre combustion.

Le barbouillé

Monsieur le docteur ...

Le docteur

Voilà qui est bien commencé: « monsieur le docteur! » ce mot de docteur a quelque chose de doux à l’oreille, quelque chose plein d’emphase: « monsieur le docteur! »

le barbouillé

à la mienne volonté ...

Le docteur

Voilà qui est bien: « à la mienne volonté! » la volonté présuppose le souhait, le souhait présuppose des moyens pour arriver à ses fins, et la fin présuppose un objet: voilà qui est bien: « à la mienne volonté! »

Le barbouillé

J’enrage.

Le docteur

Ôtez-moi ce mot: « j’enrage »; voilà un terme bas et populaire.

Le barbouillé

Hé! Monsieur le docteur, écoutez-moi, de grâce.

Le docteur

Audi, quaeso, aurait dit Ciceron.

Le barbouillé

Oh! Ma foi, si se rompt, si se casse, ou si se brise, je ne m’en mets guère en peine; mais tu m’écouteras, ou je te vais casser ton museau doctoral; et que diable donc est ceci?

Le barbouillé, Angélique, Gorgibus, Cathau, Villebrequin parlent tous à la fois, voulant dire la cause de la querelle, et le docteur aussi, disant que la paix est une belle chose, et font un bruit confus de leurs voix; et pendant tout le bruit, le barbouillé attache le docteur par le pied, et le fait tomber; le docteur se doit laisser tomber

sur le dos; le barbouillé l’entraîne par la corde qu’il lui a attachée au pied, et, en l’entraînant, le docteur doit toujours parler, et compte par ses doigts toutes ses raisons, comme s’il n’était point à terre, alors qu’il ne paroît plus.

Gorgibus

Scène VII

Valère

Monsieur, je vous suis obligé du soin que vous avez pris, et je vous promets de me rendre à l’assignation que vous me donnez, dans une heure.

La Vallée

Cela ne peut se différer; et si vous tardez un quart d’heure, le bal sera fini dans un moment, et vous n’aurez pas le bien d’y voir celle que vous aimez, si vous n’y venez tout présentement.

Valère

Scène VIII

Angélique

Cependant que mon mari n’y est pas, je vais faire un tour à un bal que donne une de mes voisines. Je serai revenue auparavant lui, car il est quelque part au cabaret: il ne s’apercevra pas que je suis sortie. Ce maroufle-là me laisse toute seule à la maison, comme si j’étais son chien.

Scène IX

Le barbouillé

Scène X

Angélique

Que je suis malheureuse! J’ai été trop tard, l’assemblée

Scène XI

Le barbouillé

Cathau, Cathau! Hé bien! Qu’a-t-elle fait, Cathau? Et d’ où venez-vous, madame la carogne, à l’heure qu’il est, et par le temps qu’il fait?

Angélique

D’où je viens? Ouvre-moi seulement, et je te le dirai après.

Le barbouillé

Oui? Ah! Ma foi, tu peux aller coucher d’où tu viens, ou, si tu l’aimes mieux, dans la rue: je n’ouvre point à une coureuse comme toi. Comment, diable! être toute seule à l’heure qu’il est! Je ne sais si c’est imagination, mais mon front m’ en paroît plus rude de moitié.

Angélique

Hé bien! Pour être toute seule, qu’en veux-tu dire? Tu me querelles quand je suis en compagnie: comment faut-il donc faire?

Le barbouillé

Il faut être retirée à la maison, donner ordre au souper, avoir soin du ménage, des enfants; mais sans tant de discours inutiles, adieu, bonsoir, va-t’en au diable et me laisse en repos.

Angélique

Tu ne veux pas m’ouvrir?

Le barbouillé

Non, je n’ouvrirai pas.

Angélique

Hé! Mon pauvre petit mari, je t’en prie, ouvre-moi, mon cher petit cœur.

Le barbouillé

Ah, crocodile! Ah, serpent dangereux! Tu me caresses pour me trahir.

Angélique

Ouvre, ouvre donc.

Le barbouillé

Adieu! Vade retro, Satanas.

Angélique

Quoi? Tu ne m’ouvriras point?

Le barbouillé

Non.

Angélique

Tu n’as point de pitié de ta femme, qui t’aime tant?

Le barbouillé

Non, je suis inflexible: tu m’as offensé, je suis vindicatif comme tous les diables, c’est-à-dire bien fort; je suis inexorable.

Angélique

Sais-tu bien que si tu me pousses à bout, et que tu me mettes en colère, je ferai quelque chose dont tu te repentiras?

Le barbouillé

Et que feras-tu, bonne chienne?

Angélique

Tiens, si tu ne m’ouvres, je m’en vais me tuer devant la porte; mes parents, qui sans doute viendront ici auparavant de se coucher, pour savoir si nous sommes bien ensemble, me trouveront morte, et tu seras pendu.

Le barbouillé

Ah, ah, ah, ah, la bonne bête! Et qui y perdra le plus de nous deux? Va, va, tu n’es pas si sotte que de faire ce coup-là .

Angélique

Tu ne le crois donc pas? Tiens, tiens, voilà mon couteau tout prêt: si tu ne m’ouvres, je m’en vais tout à cette heure m’en donner dans le cœur.

Le barbouillé

Prends garde, voilà qui est bien pointu.

Angélique

Tu ne veux donc pas m’ouvrir?

Le barbouillé

Je t’ai déjà dit vingt fois que je n’ouvrirai point; tue-toi, crève, va-t’en au diable, je ne m’en soucie pas.

Angélique, faisant semblant de se frapper.

Adieu donc! ... Ay! Je suis morte.

Le barbouillé

Serait-elle bien assez sotte pour avoir fait ce coup-là? Il faut que je descende avec la chandelle pour aller voir.

Angélique

Il faut que je t’attrape. Si je peux entrer dans la maison subtilement, cependant que tu me chercheras, chacun aura bien son tour.

Le barbouillé

Hé bien! Ne savais-je pas bien qu’elle n’était pas si sotte? Elle est morte, et si elle court comme le cheval de Pacolet. Ma foi, elle m’avait fait peur tout de bon. Elle a bien fait de gagner au pied; car si je l’eusse trouvée en vie, après m’ avoir fait cette frayeur-là, je lui aurais apostrophé cinq ou six clystères de coups de pied dans le cul, pour lui apprendre à faire la bête. Je m’en vais me coucher cependant. Oh! Oh! Je pense que le vent a fermé la porte. Hé! Cathau, Cathau, ouvre-moi.

Angélique

Scène XII

Gorgibus

Qu’est ceci? Toujours de la dispute, de la querelle et de la dissension!

Villebrequin

Hé quoi? Vous ne serez jamais d’accord?

Angélique

Mais voyez un peu, le voilà qui est soûl, et revient, à l’heure qu’il est, faire un vacarme horrible; il me menace.

Gorgibus

Mais aussi ce n’est pas là l’heure de revenir. Ne devriez-

vous pas, comme un bon père de famille, vous retirer de bonne heure, et bien vivre avec votre femme?

Le barbouillé

Je me donne au diable, si j’ai sorti de la maison, et demandez plutôt à ces messieurs qui sont là-bas dans le parterre; c’est elle qui ne fait que de revenir. Ah! Que l’innocence est opprimée!

Villebrequin

Çà, çà; allons, accordez-vous; demandez-lui pardon.

Le barbouillé

Moi, pardon! J’aimerais mieux que le diable l’eût emportée. Je suis dans une colère que je ne me sens pas.

Gorgibus

Scène dernière

Le docteur

Hé quoi? Toujours du bruit, du désordre, de la dissension, des querelles, des débats, des différends, des combustions, des altercations éternelles. Qu’est-ce? Qu’y a-t-il donc? On ne saurait avoir du repos.

Villebrequin

Ce n’est rien, monsieur le docteur: tout le monde est d’accord .

Le docteur

À propos d’accord, voulez-vous que je vous lise un chapitre d’Aristote, où il prouve que toutes les parties de l’univers ne subsistent que par l’accord qui est entre elles?

Villebrequin

Cela est-il bien long?

Le docteur.

Non, cela n’est pas long: cela contient environ soixante ou quatre-vingts pages.

Villebrequin

Adieu, bonsoir! Nous vous remercions.

Gorgibus

Il n’en est pas de besoin.

LE MÉDECIN VOLANT

Le Médecin volant est une pièce de 1645. Molière s'est inspiré d'une comédie italienne, Il medico volante. On ignore si cette pièce est de la main de Molière, mais on sait qu’elle était au répertoire de la troupe, puisqu'elle a été jouée devant le roi, le 24 octobre 1658, puis seize fois de 1659 à 1664.

Sganarelle s’introduit chez le bourgeois Gorgibus, et se fait passer pour un médecin. Comme Gorgibus le rencontre par hasard un peu plus tard sans son habit de médecin, il s’invente un frère jumeau et doit par la suite jouer les deux personnages devant le bourgeois, en passant rapidement d’un rôle à l’autre.

Les séjours de la troupe de Molière en province de 1645 à 1658

L’édition de 2006

TABLE DES MATIÈRES

PERSONNAGES

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Scène XI

Scène XII

Scène XIII

Scène XIV

Scène XV

Scène dernière

Une représentation de 2011

PERSONNAGES

Gorgibus, père de Lucile.Lucile, fille de Gorgibus.Valère, amant de Lucile.Sabine, cousine de Lucile.Sganarelle, valet de Valère.Gros-René, valet de Gorgibus.Un avocat.

Scène I

Valère, Sabine

Valère

Hé bien! Sabine, quel conseil me donnes-tu?

Sabine

Vraiment, il y a bien des nouvelles. Mon oncle veut résolument que ma cousine épouse Villebrequin, et les affaires sont tellement avancées, que je crois qu’ils eussent été mariés dès aujourd’hui, si vous n’étiez aimé; mais, comme ma cousine m’a confié le secret de l’amour qu’elle vous porte, et que nous nous sommes vues à l’extrémité par l’avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisées d’une bonne invention pour différer le mariage. C’est que ma cousine, dès l’heure que je vous parle, contrefait la malade; et le bon vieillard, qui est assez crédule, m’envoie querir un médecin. Si vous en pouviez envoyer quelqu’un qui fût de vos bons amis, et qui fût de notre intelligence, il conseilleroit à la malade de prendre l’air à la campagne. Le bonhomme ne manquera pas de faire loger ma cousine à ce pavillon qui est au bout de notre jardin, et, par ce moyen, vous pourriez l’entretenir à l’insu de notre vieillard, l’épouser, et le laisser pester tout son soûl avec Villebrequin.

Valère

Mais le moyen de trouver sitôt un médecin à ma poste, et qui voulût tant hasarder pour mon service! Je te le dis franchement, je n’en connois pas un.

Sabine

Je songe une chose; si vous faisiez habiller votre valet en médecin: il n’y a rien de si facile à duper que le bonhomme.

Valère

C’est un lourdaud qui gâtera tout; mais il faut s’en servir, faute d’autre. Adieu, je le vais chercher. Où diable trouver ce maroufle à présent? mais le voici tout à propos.

Scène II

Valère, Sganarelle

Valère

Ah! mon pauvre Sganarelle, que j’ai de joie de te voir! J’ai besoin de toi dans une affaire de conséquence; mais, comme que je ne sais pas ce que tu sais faire…

Sganarelle

Ce que je sais faire, monsieur? employez-moi seulement en vos affaires de conséquence, ou pour quelque chose d’importance: par exemple, envoyez-moi voir quelle heure il est à une horloge, voir combien le beurre vaut au marché, abreuver un cheval, c’est alors que vous connoîtrez ce que je sais faire.

Valère

Ce n’est pas cela; c’est qu’il faut que tu contrefasses le médecin.

Sganarelle

Moi, médecin, monsieur! Je suis prêt à faire tout ce qu’il vous plaira: mais, pour faire le médecin, je suis assez votre serviteur pour n’en rien faire du tout; et par quel bout m’y prendre, bon Dieu? Ma foi! monsieur, vous vous moquez de moi.

Valère

Si tu veux entreprendre cela, va, je te donnerai dix pistoles.

Sganarelle

Ah! pour dix pistoles, je ne dis pas que je ne sois médecin; car, voyez-vous bien, monsieur, je n’ai pas l’esprit tant, tant subtil, pour vous dire la vérité. Mais, quand je serai médecin, où irai-je?

Valère

Chez le bonhomme Gorgibus, voir sa fille qui est malade; mais tu es un lourdaud qui, au lieu de bien faire, pourrois bien…

Sganarelle

Hé! mon Dieu, monsieur, ne soyez point en peine; je vous réponds que je ferai aussi bien mourir une personne qu’aucun médecin qui soit dans la ville. On dit un proverbe, d’ordinaire: après la mort le médecin; mais vous verrez que, si je m’en mêle, on dira: après le médecin gare la mort! Mais, néanmoins, quand je songe, cela est bien difficile de faire le médecin; et si je ne fais rien qui vaille?

Valère

Il n’y a rien de si facile en cette rencontre; Gorgibus est un homme simple, grossier, qui se laissera étourdir de ton discours, pourvu que tu parles d’Hippocrate et de Galien, et que tu sois un peu effronté.

Sganarelle

C’est-à-dire qu’il lui faudra parler philosophie, mathématique. Laissez-moi faire, s’il est un homme facile, comme vous le dites, je vous réponds de tout; venez seulement me faire avoir un habit de médecin, et m’instruire de ce qu’il me faut faire, et me donner mes licences, qui sont les dix pistoles promises.

(Valère et Sganarelle s’en vont.)

Scène III

Gorgibus, Gros-René

Gorgibus

Allez vitement chercher un médecin, car ma fille est bien malade, et dépêchez-vous.

Gros-René

Que diable aussi! pourquoi vouloir donner votre fille à un vieillard? Croyez-vous que ce ne soit pas le desir qu’elle a d’avoir un jeune homme qui la travaille? Voyez-vous la connexité qu’il y a, etc. (galimatias).

Gorgibus

Va-t’en vite; je vois bien que cette maladie-là reculera bien les noces.

Gros-René

Et c’est ce qui me fait enrager; je croyois refaire mon ventre d’une bonne carrelure, et m’en voilà sevré. Je m’en vais chercher un médecin pour moi, aussi bien que pour votre fille; je suis désespéré. (Il sort.)

Scène IV

Sabine, Gorgibus, Sganarelle

Sabine

Je vous trouve à propos, mon oncle, pour vous apprendre une bonne nouvelle. Je vous amène le plus habile médecin du monde, un homme qui vient des pays étrangers, qui sait les plus beaux secrets, et qui sans doute guérira ma cousine. On me l’a indiqué par bonheur, et je vous l’amène. Il est si savant, que je voudrois de bon cœur être malade, afin qu’il me guérît.

Gorgibus

Où est-il donc?

Sabine

Le voilà qui me suit; tenez, le voilà.

Gorgibus

Très-humble serviteur à monsieur le médecin. Je vous envoie querir pour voir ma fille qui est malade; je mets toute mon espérance en vous.

Sganarelle

Hippocrate dit, et Galien, par vives raisons, persuade qu’une personne ne se porte pas bien quand elle est malade. Vous avez raison de mettre votre espérance en moi; car je suis le plus grand, le plus habile, le plus docte médecin qui soit dans la Faculté végétable, sensitive et minérale.

Gorgibus

J’en suis fort ravi.

Sganarelle

Ne vous imaginez pas que je sois un médecin ordinaire, un médecin du commun. Tous les autres médecins ne sont, à mon égard, que des avortons de médecins. J’ai des talents particuliers, j’ai des secrets. Salamalec, salamalec. Rodrigue, as-tu du cœur? signor, si; signor, no. Per omnia sæcula sæculorum. Mais encore voyons un peu.

Sabine

Eh! ce n’est pas lui qui est malade, c’est sa fille.

Sganarelle

Il n’importe: le sang du père et de la fille ne sont qu’une même chose; et par l’altération de celui du père, je puis connoître la maladie de la fille. Monsieur Gorgibus, y auroit-il moyen de voir de l’urine de l’égrotante?

Gorgibus

Oui-dà; Sabine, vite allez querir de l’urine de ma fille. (Sabine sort.) Monsieur le médecin, j’ai grand’peur qu’elle ne meure.

Sganarelle

Ah! qu’elle s’en garde bien! il ne faut pas qu’elle s’amuse à se laisser mourir sans l’ordonnance de la médecine. (Sabine rentre.) Voilà de l’urine qui marque grande chaleur, grande inflammation dans les intestins; elle n’est pas tant mauvaise pourtant.

Gorgibus

Eh quoi! monsieur, vous l’avalez?

Sganarelle

Ne vous étonnez pas de cela: les médecins, d’ordinaire, se contentent de la regarder; mais moi, qui suis un médecin hors du commun, je l’avale, parce qu’avec le goût je discerne bien mieux la cause et les suites de la maladie; mais, à vous dire la vérité, il y en avoit trop peu pour asseoir un bon jugement: qu’on la fasse encore pisser.

Sabine, sort et revient.

J’ai bien eu de la peine à la faire pisser.

Sganarelle

Que cela? voilà bien de quoi! Faites-la pisser copieusement, copieusement. Si tous les malades pissent de la sorte, je veux être médecin toute ma vie.

Sabine

Voilà tout ce qu’on peut avoir; elle ne peut pas pisser davantage.

Sganarelle

Quoi? Monsieur Gorgibus, votre fille ne pisse que des gouttes? voilà une pauvre pisseuse que votre fille; je vois bien qu’il faudra que je lui ordonne une potion pissatrice. N’y auroit-il pas moyen de voir la malade?

Sabine

Elle est levée; si vous voulez, je la ferai venir.

Scène V

Lucile, Sabine, Gorgibus, Sganarelle

Sganarelle

Hé bien! mademoiselle, vous êtes malade?

Lucile

Oui, monsieur.

Sganarelle

Tant pis! c’est une marque que vous ne vous portez pas bien. Sentez-vous de grandes douleurs à la tête, aux reins?

Lucile

Oui, monsieur.

Sganarelle

C’est fort bien fait. Oui, ce grand médecin, au chapitre qu’il a fait de la nature des animaux, dit… cent belles choses; et comme les humeurs qui ont de la connexité ont beaucoup de rapport; car, par exemple, comme la mélancolie est ennemie de la joie, et que la bile qui se répand par le corps nous fait devenir jaunes, et qu’il n’est rien plus contraire à la santé que la maladie, nous pouvons dire, avec ce grand homme, que votre fille est fort malade. Il faut que je vous fasse une ordonnance.

Gorgibus

Vite une table, du papier, de l’encre.

Sganarelle

Y a-t-il quelqu’un qui sache écrire?

Gorgibus

Est-ce que vous ne le savez point?

Sganarelle

Ah! je ne m’en souvenois pas; j’ai tant d’affaires dans la tête, que j’oublie la moitié… Je crois qu’il seroit nécessaire que votre fille prît un peu l’air, qu’elle se divertît à la campagne.

Gorgibus

Nous avons un fort beau jardin, et quelques chambres qui y répondent; si vous le trouvez à propos, je l’y ferai loger.

Sganarelle

Allons visiter les lieux. (Ils sortent tous.)

Scène VI

L’Avocat, seul

J’ai ouï dire que la fille de monsieur Gorgibus étoit malade; il faut que je m’informe de sa santé, et que je lui offre mes services comme ami de toute sa famille. Holà, holà! monsieur Gorgibus y est-il?

Scène VII

Gorgibus, L’Avocat

Gorgibus

Monsieur, votre très-humble, etc.

L’Avocat

Ayant appris la maladie de mademoiselle votre fille, je vous suis venu témoigner la part que j’y prends, et vous faire offre de tout ce qui dépend de moi.

Gorgibus

J’étois là dedans avec le plus savant homme.

L’Avocat

Scène VIII

Gorgibus, L’Avocat, Sganarelle

Gorgibus

Monsieur, voilà un fort habile homme de mes amis, qui souhaiteroit de vous parler et vous entretenir.

Sganarelle

Je n’ai pas le loisir, monsieur Gorgibus: il faut aller à mes malades. Je ne prendrai pas la droite avec vous, monsieur.

L’Avocat

Monsieur, après ce que m’a dit monsieur Gorgibus de votre mérite et de votre savoir, j’ai eu la plus grande passion du monde d’avoir l’honneur de votre connoissance, et j’ai pris la liberté de vous saluer à ce dessein: je crois que vous ne le trouverez pas mauvais. Il faut avouer que tous ceux qui excellent en quelque science sont dignes de grande louange, et particulièrement ceux qui font profession de la médecine, tant à cause de son utilité, que parce qu’elle contient en elle plusieurs autres sciences, ce qui rend sa parfaite connoissance fort difficile; et c’est fort à propos qu’Hippocrate dit dans son premier aphorisme: Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praeceps, experimentum periculosum, judicium difficile.

Sganarelle, à Gorgibus.

Ficile tantina pota baril cambustibus.

L’Avocat

Vous n’êtes pas de ces médecins qui ne vous appliquent qu’à la médecine qu’on appelle rationale ou dogmatique, et je crois que vous l’exercez tous les jours avec beaucoup de succès: experientia magistra rerum. Les premiers hommes qui firent profession de la médecine furent tellement estimés d’avoir cette belle science, qu’on les mit au nombre des Dieux pour les belles cures qu’ils faisoient tous les jours. Ce n’est pas qu’on doive mépriser un médecin qui n’auroit pas rendu la santé à son malade, parce qu’elle ne dépend pas absolument de ses remèdes, ni de son savoir: interdum docta plus valet arte malum. Monsieur, j’ai peur de vous être importun: je prends congé de vous, dans l’espérance que j’ai qu’à la première vue j’aurai l’honneur de converser avec vous avec plus de loisir. Vos heures vous sont précieuses, etc. (L’avocat sort).

Gorgibus

Que vous semble de cet homme-là?

Sganarelle

Il sait quelque petite chose. S’il fût demeuré tant soit peu davantage, je l’allois mettre sur une matière sublime et relevée. Cependant, je prends congé de vous. (Gorgibus lui donne de l’argent). Hé! que voulez-vous faire?

Gorgibus

Je sais bien ce que je vous dois.

Sganarelle

Vous moquez-vous, monsieur Gorgibus? Je n’en prendrai pas, je ne suis pas un homme mercenaire. (Il prend l’argent). Votre très-humble serviteur. (Sganarelle sort et Gorgibus rentre dans sa maison).

Scène IX

Valère, seul.

Je ne sais ce qu’aura fait Sganarelle: je n’ai point eu de ses nouvelles, et je suis fort en peine où je le pourrois rencontrer. (Sganarelle revient en habit de valet)

Scène X

Sganarelle, Valère

Sganarelle

Merveille sur merveille: j’ai si bien fait, que Gorgibus me prend pour un habile médecin. Je me suis introduit chez lui; je lui ai conseillé de faire prendre l’air à sa fille, laquelle est à présent dans un appartement qui est au bout de leur jardin, tellement qu’elle est fort éloignée du vieillard, et que vous pourrez l’aller voir commodément.

Valère

Ah! que tu me donnes de joie! Sans perdre de temps, je la vais trouver de ce pas. (Il sort.)

Sganarelle

Il faut avouer que ce bon homme de Gorgibus est un vrai lourdaud de se laisser tromper de la sorte. (Apercevant Gorgibus) Ah! ma foi, tout est perdu: c’est à ce coup que voilà la médecine renversée; mais il faut que je le trompe.

Scène XI

Sganarelle, Gorgibus

Gorgibus

Bonjour, monsieur.

Sganarelle

Monsieur, votre serviteur; vous voyez un pauvre garçon au désespoir: ne connoissez-vous pas un médecin qui est arrivé depuis peu en cette ville, qui fait des cures admirables?

Gorgibus

Oui, je le connois; il vient de sortir de chez moi.

Sganarelle

Je suis son frère, monsieur; nous sommes jumeaux; et, comme nous nous ressemblons fort, on nous prend quelquefois l’un pour l’autre.

Gorgibus

Je me donne au diable si je n’y ai été trompé. Et comme vous nommez-vous?

Sganarelle

Narcisse, Monsieur, pour vous rendre service. Il faut que vous sachiez qu’étant dans son cabinet j’ai répandu deux fioles d’essence qui étoient sur le bord de sa table; aussitôt il s’est mis dans une colère si étrange contre moi, qu’il m’a mis hors du logis; il ne me veut plus jamais voir, tellement que je suis un pauvre garçon à présent, sans appui, sans support, sans aucune connoissance.

Gorgibus

Allez, je ferai votre paix; je suis de ses amis, et je vous promets de vous remettre avec lui; je lui parlerai d’abord que je le verrai.

Sganarelle

Je vous serai bien obligé, monsieur Gorgibus. (Sganarelle sort et rentre aussitôt avec sa robe de médecin).

Scène XII

Sganarelle, Gorgibus

Sganarelle

Il faut avouer que, quand les malades ne veulent pas suivre l’avis du médecin, et qu’ils s’abandonnent à la débauche…

Gorgibus

Monsieur le médecin, très humble serviteur. Je vous demande une grace.

Sganarelle

Qu’y a-t-il, monsieur? est-il question de vous rendre service?

Gorgibus

Monsieur, je viens de rencontrer monsieur votre frère qui est tout à fait fâché de…

Sganarelle

C’est un coquin, monsieur Gorgibus.

Gorgibus

Je vous réponds qu’il est tellement contrit de vous avoir mis en colère…

Sganarelle

C’est un ivrogne, monsieur Gorgibus.

Gorgibus

Eh! monsieur, voulez-vous désespérer ce pauvre garçon?

Sganarelle

Qu’on ne m’en parle plus; mais voyez l’impudence de ce coquin-là, de vous aller trouver pour faire son accord; je vous prie de ne m’en pas parler.

Gorgibus

Au nom de Dieu, monsieur le médecin, faites cela pour l’amour de moi. Si je suis capable de vous obliger en autre chose, je le ferai de bon cœur. Je m’y suis engagé, et…

Sganarelle

Vous m’en priez avec tant d’instance… Quoique j’eusse fait serment de ne lui pardonner jamais: allez, touchez là, je lui pardonne. Je vous assure que je me fais grande violence, et qu’il faut que j’aie bien de la complaisance pour vous. Adieu, monsieur Gorgibus. (Gorgibus rentre dans sa maison et Sganarelle s'en va.)

Gorgibus

Monsieur, votre très-humble serviteur; je m’en vais chercher ce pauvre garçon pour lui apprendre cette bonne nouvelle.

Scène XIII

Valère, Sganarelle

Valère

Il faut que j’avoue que je n’eusse jamais cru que Sganarelle se fût si bien acquitté de son devoir. (Sganarelle rentre avec ses habits de valet) Ah! mon pauvre garçon, que je t’ai d’obligation! que j’ai de joie! et que…

Sganarelle

Ma foi, vous parlez fort à votre aise. Gorgibus m’a rencontré; et sans une invention que j’ai trouvée, toute la mèche étoit découverte. (Apercevant Gorgibus.) Mais fuyez-vous-en, le voici.

Scène XIV

Gorgibus, Sganarelle

Gorgibus

Je vous cherchois partout pour vous dire que j’ai parlé à votre frère: il m’a assuré qu’il vous pardonnoit; mais, pour en être plus assuré, je veux qu’il vous embrasse en ma présence; entrez dans mon logis, et je l’irai chercher.

Sganarelle

Eh! monsieur Gorgibus, je ne crois pas que vous le trouviez à présent; et puis je ne resterai pas chez vous: je crains trop sa colère.

Gorgibus

Ah! vous y demeurerez, car je vous enfermerai. Je m’en vais à présent chercher votre frère; ne craignez rien, je vous réponds qu’il n’est plus fâché. (Gorgibus sort.)

Sganarelle, de la fenêtre.

Ma foi, me voilà attrapé ce coup-là; il n’y a plus moyen de m’en échapper. Le nuage est fort épais, et j’ai bien peur que, s’il vient à crever, il ne grêle sur mon dos force coups de bâton, ou que par quelque ordonnance plus forte que toutes celles des médecins, on ne m’applique tout au moins un cautère royal sur les épaules. Mes affaires vont mal: mais pourquoi se désespérer? puisque j’ai tant fait, poussons la fourbe jusqu’au bout. Oui, oui, il en faut encore sortir, et faire voir que Sganarelle est le roi des fourbes. (Sganarelle saute par la fenêtre et s’en va.)

Scène XV

Gros-René, Gorgibus, Sganarelle

Gros-René

Ah! ma foi, voilà qui est drôle! comme diable on saute ici par les fenêtres! Il faut que je demeure ici, et que je voie à quoi tout cela aboutira.

Gorgibus

Je ne saurois trouver ce médecin; je ne sais où diable il s’est caché. (Apercevant Sganarelle qui revient en habit de médecin.) Mais le voici. Monsieur, ce n’est pas assez d’avoir pardonné à votre frère; je vous prie, pour ma satisfaction, de l’embrasser: il est chez moi, et je vous cherchois partout pour vous prier de faire cet accord en ma présence.

Sganarelle

Vous vous moquez, monsieur Gorgibus; n’est-ce pas assez que je lui pardonne? je ne le veux jamais voir.

Gorgibus

Mais, monsieur, pour l’amour de moi.

Sganarelle

Je ne vous saurois rien refuser: dites-lui qu’il descende.

(Pendant que Gorgibus rentre dans sa maison par la porte, Sganarelle y rentre par la fenêtre.)

Gorgibus, à la fenêtre.

Voilà votre frère qui vous attend là-bas: il m’a promis qu’il fera tout ce que vous voudrez.

Sganarelle, à la fenêtre.

Monsieur Gorgibus, je vous prie de le faire venir ici; je vous conjure que ce soit en particulier que je lui demande pardon, parce que sans doute il me feroit cent hontes, cent opprobres devant tout le monde. (Gorgibus sort de sa maison par la porte, et Sganarelle par la fenêtre.)

Gorgibus

Oui-dà, je m’en vais lui dire… Monsieur, il dit qu’il est honteux, et qu’il vous prie d’entrer, afin qu’il vous demande pardon en particulier. Voilà la clef, vous pouvez entrer; je vous supplie de ne me pas refuser, et de me donner ce contentement.

Sganarelle

Il n’y a rien que je ne fasse pour votre satisfaction: vous allez entendre de quelle manière je le vais traiter. (À la fenêtre). Ah! te voilà, coquin. — Monsieur mon frère, je vous demande pardon, je vous promets qu’il n’y a pas de ma faute. — Pilier de débauche, coquin, va, je t’apprendrai à venir avoir la hardiesse d’importuner monsieur Gorgibus, de lui rompre la tête de tes sottises! — Monsieur mon frère… — Tais-toi, te dis-je. — Je ne vous désoblig… — Tais-toi, coquin.

Gros-René

Qui diable pensez-vous qui soit chez vous à présent?

Gorgibus

C’est le médecin et Narcisse son frère; ils avoient quelque différend, et ils font leur accord.

Gros-René

Le diable emporte! ils ne sont qu’un.

Sganarelle, à la fenêtre.

Ivrogne que tu es, je t’apprendrai à vivre. Comme il baisse la vue! il voit bien qu’il a failli, le pendard. Ah! l’hypocrite, comme il fait le bon apôtre!

Gros-René

Monsieur, dites-lui un peu par plaisir qu’il fasse mettre son frère à la fenêtre.

Gorgibus

Oui-dà, Monsieur le médecin, je vous prie de faire paroître votre frère à la fenêtre.

Sganarelle, de la fenêtre.

Il est indigne de la vue des gens d’honneur, et puis je ne le saurois souffrir auprès de moi.

Gorgibus

Monsieur, ne me refusez pas cette grace, après toutes celles que vous m’avez faites.

Sganarelle, de la fenêtre.

En vérité, monsieur Gorgibus, vous avez un tel pouvoir sur moi, que je ne vous puis rien refuser. Montre-toi, coquin. (Après avoir disparu un moment, il se remontre en habit de valet). — Monsieur Gorgibus, je suis votre obligé. (Il disparaît encore, et reparaît aussitôt en robe de médecin.) Hé bien! avez-vous vu cette image de la débauche?

Gros-René

Ma foi, ils ne sont qu’un; et, pour vous le prouver, dites-lui un peu que vous les voulez voir ensemble.

Gorgibus

Mais faites-moi la grace de le faire paroître avec vous, et de l’embrasser devant moi à la fenêtre.

Sganarelle, de la fenêtre.

C’est une chose que je refuserois à tout autre qu’à vous; mais, pour vous montrer que je veux tout faire pour l’amour de vous, je m’y résous, quoique avec peine, et veux auparavant qu’il vous demande pardon de toutes les peines qu’il vous a données. — Oui, monsieur Gorgibus, je vous demande pardon de vous avoir tant importuné, et vous promets, mon frère, en présence de monsieur Gorgibus que voilà, de faire si bien désormais, que vous n’aurez plus lieu de vous plaindre, vous priant de ne plus songer à ce qui s’est passé. (Il embrasse son chapeau et sa fraise, qu’il a mis au bout de son coude.)

Gorgibus

Hé bien! ne les voilà pas tous deux?

Gros-René

Ah! par ma foi, il est sorcier.

Sganarelle, sortant de la maison, en médecin

Monsieur, voilà la clef de votre maison que je vous rends; je n’ai pas voulu que ce coquin soit descendu avec moi, parce qu’il me fait honte; je ne voudrois pas qu’on le vît en ma compagnie, dans la ville où je suis en quelque réputation. Vous irez le faire sortir quand bon vous semblera. Je vous donne le bonjour, et suis votre serviteur, etc. (Il feint de s’en aller, et, après avoir mis bas sa robe, rentre dans la maison par la fenêtre).

Gorgibus

Il faut que j’aille délivrer ce pauvre garçon; en vérité, s’il lui a pardonné, ce n’a pas été sans le bien maltraiter. (Il entre dans sa maison, et en sort avec Sganarelle en habit de valet).

Sganarelle

Monsieur, je vous remercie de la peine que vous avez prise, et de la bonté que vous avez eue, je vous en serai obligé toute ma vie.

Gros-René

Où pensez-vous que soit à présent le médecin?

Gorgibus

Il s’en est allé.

Gros-René, qui a ramassé la robe de Sganarelle.

Je le tiens sous mon bras. Voilà le coquin qui faisoit le médecin, et qui vous trompe. Cependant qu’il vous trompe et joue la farce chez vous, Valère et votre fille sont ensemble, qui s’en vont à tous les diables.

Gorgibus

Oh! que je suis malheureux! mais tu seras pendu, fourbe, coquin!

Sganarelle

Monsieur, qu’allez-vous faire de me pendre? Écoutez un mot, s’il vous plaît; il est vrai que c’est par mon invention que mon maître est avec votre fille; mais, en le servant, je ne vous ai point désobligé: c’est un parti sortable pour elle, tant pour la naissance que pour les biens. Croyez-moi, ne faites point un vacarme qui tourneroit à votre confusion, et envoyez à tous les diables ce coquin-là avec Villebrequin. Mais voici nos amants.

Scène dernière

Valère, Lucile, Gorgibus, Sganarelle

Valère

Nous nous jetons à vos pieds.

Gorgibus

Je vous pardonne, et suis heureusement trompé par Sganarelle, ayant un si brave gendre. Allons tous faire noces, et boire à la santé de toute la compagnie.

L’ÉTOURDI OU LES CONTRETEMPS

Il s’agit d’une comédie en cinq actes en vers représentée pour la première fois en 1653.  Lélie fait échouer les machinations de son serviteur Mascarille, à la fois par étourderie et par maladresse. Ce dernier veut conquérir Célie, la jeune esclave que Trufaldin garde chez lui sans savoir qu’elle est sa propre fille.

Illustration originale de 1850

Une représentation de 2007

TABLE DES MATIÈRES

PERSONNAGES

Acte I

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Acte II

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Scène XI

Acte III

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Acte IV

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Acte V

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Scène XI

PERSONNAGES

Lélie, fils de Pandolfe.

Mascarille, valet de Lélie.

Anselme, vieillard.

Trufaldin, vieillard.

Pandolfe, vieillard.

Léandre, fils de famille.

Andrès, cru égyptien.

Ergaste, valet.

Célie, esclave de Trufaldin.

Hippolyte, fille d’Anselme.

Un courrier

Deux troupes de masques

La scène est à Messine.

Acte I

Scène I

Lélie

Hé bien! Léandre, hé bien! il faudra contester:

Nous verrons de nous deux qui pourra l’emporter,

Qui dans nos soins communs pour ce jeune miracle,

Aux vœux de son rival portera plus d’obstacle.

Préparez vos efforts, et vous défendez bien,

Sûr que de mon côté je n’épargnerai rien.

Scène II

Lélie, Mascarille

Lélie

Ah! Mascarille.

Mascarille

Quoi?

Lélie

Voici bien des affaires;

J’ai dans ma passion toutes choses contraires:

Léandre aime Célie, et par un trait fatal,

Malgré mon changement, est toujours mon rival.

Mascarille

Léandre aime Célie!

Lélie

Il l’adore, te dis-je.

Mascarille

Tant pis.

Lélie

Hé! oui, tant pis, c’est là ce qui m’afflige.

Toutefois aurais tort de me désespérer;

Puisque j’ai ton secours, je puis me rassurer:

Je sais que ton esprit, en intrigues fertile,

N’a jamais rien trouvé qui lui fût difficile,

Qu’on te peut appeler le roi des serviteurs,

Et qu’en toute la terre…

Mascarille

Hé! trêve de douceurs.

Quand nous faisons besoin, nous autres misérables,

Nous sommes les chéris et les incomparables;

Et dans un autre temps, dès le moindre courroux,

Nous sommes les coquins, qu’il faut rouer de coups.

Lélie

Ma foi, tu me fais tort avec cette invective.

Mais enfin discourons un peu de ma captive;

Dis si les plus cruels et plus durs sentiments

Ont rien d’impénétrable à des traits si charmants:

Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage,

Je vois pour sa naissance un noble témoignage,

Et je crois que le Ciel dedans un rang si bas

Cache son origine, et ne l’en tire pas.

Mascarille

Vous êtes romanesque avecque vos chimères.

Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires?

C’est, Monsieur, votre père, au moins à ce qu’il dit;

Vous savez que sa bile assez souvent s’aigrit,

Qu’il peste contre vous d’une belle manière,

Quand vos déportements lui blessent la visière.

Il est avec Anselme en parole pour vous

Que de son Hippolyte on vous fera l’époux,

S’imaginant que c’est dans le seul mariage

Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage;

Et s’il vient à savoir que, rebutant son choix,

D’un objet inconnu vous recevez les lois,

Que de ce fol amour la fatale puissance

Vous soustrait au devoir de votre obéissance,

Dieu sait quelle tempête alors éclatera,

Et de quels beaux sermons on vous régalera.

Lélie

Ah! trêve, je vous prie, à votre rhétorique.

Mascarille

Mais vous, trêve plutôt à votre politique:

Elle n’est pas fort bonne, et vous devriez tâcher…

Lélie

Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon à me fâcher?

Que chez moi les avis ont de tristes salaires?

Qu’un valet conseiller y fait mal ses affaires?

Mascarille

Il se met en courroux! Tout ce que j’en ai dit

Était rien que pour rire et vous sonder l’esprit:

D’un censeur de plaisirs ai-je fort l’encolure,

Et Mascarille est-il ennemi de nature?

Vous savez le contraire, et qu’il est très-certain

Qu’on ne peut me taxer que d’être trop humain.

Moquez-vous des sermons d’un vieux barbon de père,

Poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire.

Ma foi, j’en suis d’avis, que ces penards chagrins

Nous viennent étourdir de leurs contes badins,

Et vertueux par force, espèrent par envie

Ôter aux jeunes gens les plaisirs de la vie!

Vous savez mon talent: je m’offre à vous servir.

Lélie

Ah! c’est par ces discours que tu peux me ravir.

Au reste, mon amour, quand je l’ai fait paraître,

N’a point été mal vu des yeux qui l’ont fait naître;

Mais Léandre à l’instant vient de me déclarer

Qu’à me ravir Célie il se va préparer.

C’est pourquoi dépêchons, et cherche dans ta tête

Les moyens les plus prompts d’en faire ma conquête;

Trouve ruses, détours, fourbes, inventions,

Pour frustrer un rival de ses prétentions.

Mascarille

Laissez-moi quelque temps rêver à cette affaire.

Que pourrais inventer pour ce coup nécessaire?

Lélie

Hé bien! le stratagème?

Mascarille

Ah! comme vous courez!

Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.

J’ai trouvé votre fait: il faut… Non, je m’abuse.

Mais si vous alliez…

Lélie

Où?

Mascarille

C’est une faible ruse.

J’en songeais une.

Lélie

Et quelle?

Mascarille

Elle n’irait pas bien.

Mais ne pourriez-vous pas…?

Lélie

Quoi?

Mascarille

Vous ne pourriez rien.

Parlez avec Anselme.

Lélie

Et que lui puis-je dire?

Mascarille

Il est vrai, c’est tomber d’un mal dedans un pire.

Il faut pourtant l’avoir. Allez chez Trufaldin.

Lélie

Que faire?

Mascarille

Je ne sais.

Lélie

C’en est trop, à la fin;

Et tu me mets à bout par ces contes frivoles.

Mascarille

Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,

Nous n’aurions pas besoin maintenant de rêver

À chercher les biais que nous devons trouver,

Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,

Empêcher qu’un rival vous prévienne et vous brave.

De ces égyptiens qui la mirent ici

Trufaldin, qui la garde, est en quelque souci;

Et trouvant son argent, qu’ils lui font trop attendre,

Je sais bien qu’il serait très-ravi de la vendre;

Car enfin en vrai ladre il a toujours vécu:

Il se ferait fesser pour moins d’un quart d’écu,

Et l’argent est le Dieu que sur tout il révère;

Mais le mal, c’est…

Lélie

Quoi? c’est?

Mascarille

Que Monsieur votre père

Est un autre vilain qui ne vous laisse pas,

Comme vous voudriez bien, manier ses ducats;

Qu’il n’est point de ressort qui pour votre ressource

Pût faire maintenant ouvrir la moindre bourse.

Mais tâchons de parler à Célie un moment.

Pour savoir là-dessus quel est son sentiment.

La fenêtre est ici.

Lélie

Mais Trufaldin pour elle

Fait de nuit et de jour exacte sentinelle:

Scène III

Lélie, Célie, Mascarille

Lélie

Ah! que le Ciel m’oblige en offrant à ma vue

Les célestes attraits dont vous êtes pourvue!

Et quelque mal cuisant que m’aient causé vos yeux,

Que je prends de plaisir à les voir en ces lieux!

Célie

Mon cœur, qu’avec raison votre discours étonne,

N’entend pas que mes yeux fassent mal à personne;

Et si dans quelque chose ils vous ont outragé,

Je puis vous assurer que c’est sans mon congé.

Lélie

Ah! leurs coups sont trop beaux pour me faire une injure;

Je mets toute ma gloire à chérir ma blessure,

Et…

Mascarille

Vous le prenez là d’un ton un peu trop haut:

Ce style maintenant n’est pas ce qu’il nous faut.

Profitons mieux du temps, et sachons vite d’elle

Ce que…

Trufaldin, dans la maison.

Célie!

Mascarille

Hé bien!

Lélie

Oh! rencontre cruelle!

Ce malheureux vieillard devait-il nous troubler?

Mascarille

Scène IV

Trufaldin, Célie, Mascarille, et Lélie, retiré dans un coin.

Trufaldin, à Célie.

Que faites-vous dehors? et quel soin vous talonne,

Vous à qui je défends de parler à personne?

Célie

Autrefois j’ai connu cet honnête garçon,

Et vous n’avez pas lieu d’en prendre aucun soupçon.

Mascarille

Est-ce là le seigneur Trufaldin?

Célie

Oui, lui-même.

Mascarille

Monsieur, je suis tout vôtre, et ma joie est extrême

De pouvoir saluer en toute humilité

Un homme dont le nom est partout si vanté.

Trufaldin

Très-humble serviteur.

Mascarille

J’incommode peut-être;

Mais je l’ai vue ailleurs, où m’ayant fait connaître

Les grands talents qu’elle a pour savoir l’avenir,

Je voulais sur un point un peu l’entretenir.

Trufaldin

Quoi? te mêlerais-tu d’un peu de diablerie?

Célie

Non, tout ce que je sais n’est que blanche magie.

Mascarille

Voici donc ce que c’est. Le maître que je sers

Languit pour un objet qui le tient dans ses fers.

Il aurait bien voulu du feu qui le dévore

Pouvoir entretenir la beauté qu’il adore;

Mais un dragon veillant sur ce rare trésor

N’a pu, quoi qu’il ait fait, le lui permettre encor,

Et ce qui plus le gêne et le rend misérable,

Il vient de découvrir un rival redoutable:

Si bien que pour savoir si ses soins amoureux

Ont sujet d’espérer quelque succès heureux,

Je viens vous consulter, sûr que de votre bouche

Je puis apprendre au vrai le secret qui nous touche.

Célie

Sous quel astre ton maître a-t-il reçu le jour?

Mascarille

Sous un astre à jamais ne changer son amour.

Célie

Sans me nommer l’objet pour qui son cœur soupire,

La science que j’ai m’en peut assez instruire.

Cette fille a du cœur, et dans l’adversité

Elle sait conserver une noble fierté;

Elle n’est pas d’humeur à trop faire connaître