Orgueil et Préjugés - Jane Austen - E-Book

Orgueil et Préjugés E-Book

Jane Austen.

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Beschreibung

Dans l'Angleterre du début du XIXe siècle, les mariages sont une affaire de classe et de convenance. Elizabeth Bennet, l'une des cinq filles d'une famille modeste, est pleine de vie et d'esprit. Mais lorsqu'elle rencontre le riche et hautain Mr Darcy, elle se trouve confrontée à une énigme complexe. Entre Orgueil et Préjugés, Elizabeth et Mr Darcy vont devoir apprendre à se connaître, à s'accepter, et à surmonter les obstacles sociaux qui se dressent sur leur chemin. "Orgueil et Préjugés" est l'un des plus grands chefs-d'œuvre de la littérature anglaise, un roman subtil et profond qui explore avec humour et ironie les enjeux de la société victorienne. Avec ses personnages inoubliables, ses dialogues spirituels, et ses scènes d'amour et de désespoir, ce livre est une œuvre intemporelle qui a inspiré des générations de lecteurs et de cinéphiles. Laissez-vous entraîner dans l'univers captivant de Jane Austen et découvrez pourquoi "Orgueil et Préjugés" est considéré comme l'un des plus grands romans de tous les temps.

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Table of Contents

Tome I.

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE XIII.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI.

CHAPITRE XVII.

CHAPITRE XVIII.

Tome II.

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE XIII.

CHAPITRE XIV.

CHAPITRE XV.

CHAPITRE XVI.

CHAPITRE XVII.

Tome III.

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

CHAPITRE XIII.

Tome IV.

CHAPITRE PREMIER.

CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

CHAPITRE VI.

CHAPITRE VII.

CHAPITRE VIII.

CHAPITRE IX.

CHAPITRE X.

CHAPITRE XI.

CHAPITRE XII.

Mentions légales

Titre: Orgueil et Préjugé

Auteur: Jane Austen

Éditeur: Pretorian Media GmbH, Ul. Yanaki Bogdanov 11, BG-9010 Varna

Date: 25/03/2023

Tome I.

CHAPITRE PREMIER.

S’il est une idée généralement reçue, c’est qu’un homme fort riche doit penser à se marier.

Quelque peu connues que soient ses habitudes et ses intentions, cette idée est si fortement gravée dans l’esprit de toutes les familles du pays dans lequel il se fixe, qu’il est à l’instant considéré comme la propriété légitime des jeunes personnes qui l’habitent. Il ne s’agit plus que de savoir laquelle fixera son attention.

Mon cher Monsieur Bennet, dit un jour Mistriss Bennet à son mari, avez-vous ouï dire que Netherfield-Parck fût enfin loué ?

Monsieur Bennet répondit qu’il n’en avoit pas entendu parler.

Cela est ainsi cependant, car je le tiens de Mistriss Long, qui sort d’ici.

M. Bennet ne répondit pas.

Mais ne désirez-vous donc point savoir à qui, s’écria sa femme avec impatience ? — Vous désirez me le dire ; et je n’ai aucune raison de vous refuser de l’entendre. — C’étoit un encouragement suffisant pour Mistriss Bennet. Vous saurez donc, mon cher, que Netherfield-Parck vient d’être loué par un jeune seigneur fort riche ; il arriva lundi, en voiture à quatre chevaux, dans l’intention de voir la maison ; il en fut si enchanté que, de suite il convint du prix et des conditions avec M. Morris, qu’il doit en prendre possession avant un mois, et qu’il enverra plusieurs de ses domestiques pour faire les préparatifs nécessaires à la fin de la semaine prochaine.

— Quel est son nom ?

— Bingley.

— Est-il marié ?

— Non, certainement, mon cher ! Un homme qui a une grande fortune, quatre ou cinq mille livres sterlings, peut-être ; quelle bonne affaire pour mes filles !

— Comment, quel rapport a-t-il donc avec elles ? — Mon cher Monsieur Bennet, que vous êtes désagréable ; ne voyez-vous pas que je pense à lui en faire épouser une ?

— Est-ce son intention en venant s’établir ici ?

— Son intention, quelle absurdité ! Comment pouvez-vous parler ainsi ? Il ne les connoît pas ; mais il est très-probable qu’il deviendra fort amoureux de l’une d’elles. Ainsi, vous devez lui faire une visite aussitôt qu’il sera arrivé. — Je ne vois pas que ce soit nécessaire ; vous et vos filles, à la bonne heure, et peut-être même seroit-il encore mieux de les y envoyer seules ; votre beauté pourroit leur faire tort. Il seroit fâcheux que M. Bingley vous donnât la préférence.

— Vous me flattez, mon cher Monsieur Bennet, je n’ai certainement pas à me plaindre ; j’ai été très-belle dans mon temps, mais, à présent, je ne crois pas être fort remarquable. Lorsqu’une femme a cinq grandes filles, elle ne doit plus penser à sa beauté. Il est bien rare alors qu’elle puisse s’en occuper, à moins que ce ne soit pour en déplorer la perte.

Mais, mon cher, vous devez vraiment aller voir M. Bingley dès qu’il sera dans notre voisinage.

— C’est plus que je ne puis promettre.

— Songez donc à vos filles ! Pensez au bel établissement que ce seroit pour l’une d’elles ! Sir Williams et Lady Laws sont décidés à lui faire visite sur ce qu’ils en ont ouï dire seulement ; vous savez qu’en général, ils ne recherchent point les nouveaux venus, et vous devez faire de même, car il nous seroit impossible d’être en relation avec lui, si vous ne commencez pas.

— Vous êtes trop scrupuleuse, je crois que M. Bingley seroit charmé de vous voir, et je pourrais même vous charger de quelques lignes pour l’assurer de mon consentement à son mariage avec celle de mes filles qu’il choisira ; quoique cependant je dusse dire un mot en faveur de ma chère petite Lizzy.

— Je vous prie de ne point le faire. Lizzy n’est pas supérieure aux autres ; elle n’est à beaucoup près ni si belle que Jane, ni si gaie que Lydie ; mais vous lui donnez toujours la préférence.

— On ne peut tirer vanité ni des unes ni des autres, répliqua-t-il, elles sont sottes et ignorantes comme toutes les jeunes filles, mais Lizzy a quelque chose de plus animé que ses sœurs.

— Je ne sais quelle jouissance vous avez à rabaisser ainsi vos enfans, Monsieur Bennet ? Il semble que vous preniez plaisir à me faire de la peine. Vous n’avez aucun égard pour mes pauvres nerfs.

— Pardonnez-moi, ma chère, j’ai beaucoup de respect pour vos nerfs. Ce sont pour moi d’anciennes connaissances. Depuis vingt ans au moins, je vous en entends parler avec considération.

— Vous ne savez pas ce que je souffre !

— J’espère, ma chère, que vous vous guérirez et que vous vivrez encore longtemps pour voir beaucoup de jeunes seigneurs, jouissant de quatre ou cinq mille livres de rentes, venir s’établir dans notre voisinage.

— Il en arriveroit vingt, que cela nous seroit bien inutile, puisque vous ne voulez pas seulement aller leur faire une visite.

— Vous pouvez compter, ma chère, que, lorsqu’il y en aura vingt, j’irai les voir tous.

M. Bennet offroit un mélange si extraordinaire de réparties promptes, d’humeur railleuse, de réserve et de caprices, que vingt-trois ans de mariage n’avoient pas suffi à sa femme pour bien connoître son caractère. Elle étoit moins difficile à définir. C’étoit une femme ignorante, d’une intelligence médiocre, et d’un caractère foible. Lorsqu’elle étoit mécontente, elle se plaignoit de ses nerfs. Son désir le plus ardent étoit de voir ses filles mariées ; sa principale occupation les visites, et son plaisir les nouvelles.

CHAPITRE II.

Monsieur Bennet fut un de ceux qui se montrèrent les plus empressés à rechercher M. Bingley. Son intention avoit toujours été d’aller chez lui, quoiqu’il eût assuré sa femme du contraire, mais elle n’eut connoissance de cette visite qu’après qu’elle fut faite, et voici comment : M. Bennet voyant sa seconde fille occupée à garnir un chapeau, lui dit : J’espère Lizzy que ce chapeau plaira à M. Bingley.

— Nous ne saurons point ce qui plaît ou déplaît à M. Bingley, répondit Mistriss Bennet avec aigreur, puisque nous ne le verrons point.

— Vous oubliez, maman, dit Elisabeth, que nous le rencontrerons dans les assemblées, et que Mistriss Long a promis de nous le présenter.

— Je ne crois pas que Mistriss Long fasse jamais rien pour nous ; c’est une femme fausse, intéressée, d’ailleurs elle a deux nièces, et je ne compte point sur elle.

— Ni moi, dit M. Bennet, je suis bien aise de voir que vous ne fondez pas vos espérances sur ses services.

Mistriss Bennet ne daigna pas répondre, mais incapable de se contenir, elle commença à gronder une de ses filles.

— Ne toussez donc pas ainsi Kitty, pour l’amour du Ciel, ayez pitié de moi, vous m’abîmez, les nerfs.

— Kitty n’a aucune discrétion, dit son père, elle ne tousse jamais à propos.

— Je ne tousse pas pour me divertir, répondit Kitty avec humeur.

— Quand aura lieu votre premier, bal, Lizzy ?

— De demain en quinze.

— Est-il bien vrai, s’écria Mistriss Bennet ! Et Mistriss Long ne reviendra que la veille, il lui sera impossible de nous le présenter puisqu’elle ne l’aura point encore vu.

— Alors, ma chère, vous aurez l’avantage sur votre amie, en lui présentant vous-même M. Bingley.

— C’est impossible, M. Bennet, impossible ! comment pouvez-vous parler ainsi ?

— J’admire votre circonspection, une relation qui ne date que de quinze jours est certainement très-peu approfondie ; on ne peut pas bien connoître un homme au bout de si peu de temps ; mais si vous ne hasardez rien, d’autres le feront. Après tout, Mistriss Long et ses nièces désirant tenter l’aventure, ce sera un acte de générosité de votre part de leur en présenter l’occasion. Si vous refusiez de leur rendre ce bon office, je m’en chargerois.

Les jeunes filles regardoient leur père avec étonnement ; Mistriss Bennet se contenta de dire : Quelle absurdité ! — Que signifie cette expression emphatique, s’écria-t-il ? Pensez-vous que la formalité d’une présentation, et l’importance qu’on y attache soient des absurdités ? Je ne puis vraiment être de votre avis sur ce point ; qu’en dites-vous Mary ? Je sais que vous êtes une jeune personne qui a profondément réfléchi, qui a lu des livres très-sérieux et fait beaucoup d’extraits. Mary auroit bien désiré répondre quelque chose de très-judicieux, mais elle n’étoit pas préparée, et pendant qu’elle arrangeoit ses phrases, son père ajouta : Revenons à M. Bingley.

— Je ne puis souffrir d’entendre parler de M. Bingley, cela me rend malade.

— Je suis fâché d’apprendre cela. Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit plutôt ? Si je l’avois su ce matin, je n’aurois sûrement pas été me présenter chez lui. C’est très-fâcheux, mais à présent que je lui ai fait visite, nous ne pouvons plus éviter de faire connoissance avec lui.

L’étonnement de ces dames fut aussi grand que pouvoit le désirer M. Bennet ; celui de sa femme surtout, quoiqu’elle assurât, une fois le premier élan de sa joie passée, qu’elle s’y attendoit dès le premier jour.

— Combien c’est aimable de votre part, mon cher Monsieur Bennet ! Je savois bien que je finirois par vous persuader ; j’étois sûre que vous aimiez trop vos filles pour négliger de faire une telle connoissance ! C’est cependant une singulière idée ; y être allé ce matin, et ne nous en avoir rien dit jusqu’à présent. — Maintenant Kitty vous pouvez tousser tant qu’il vous plaira. En disant ces mots, Monsieur Bennet, fatigué des transports de sa femme, sortit.

— Quel excellent père vous avez, mes enfans, dit Mistriss Bennet, dès qu’il eut fermé la porte. Je ne sais comment vous pourrez lui témoigner, ainsi qu’à moi, toute votre reconnaissance ! Car je puis vous assurer qu’il n’est pas agréable à notre âge de faire chaque jour de nouvelles connoissances ; mais il n’y a rien que nous ne fassions pour vous. Lydie, mon ange, quoique vous soyez la cadette, je parie que M. Bingley dansera avec vous au premier bal. — Oh ! dit Lydie, je ne suis pas inquiète, quoique la plus jeune, je suis la plus grande. Le reste de la soirée se passa en conjectures sur le moment où il rendroit sa visite à M. Bennet, et à calculer quand on pourroit l’inviter à dîner.

CHAPITRE III.

Toutes les questions que Mistriss Bennet, aidée de ses cinq filles, adressa à son mari, ne purent leur faire obtenir une description détaillée de M. Bingley ; on l’attaqua de mille manières, par d’ingénieuses suppositions, des soupçons imaginaires, des questions indirectes ; il éludoit tout, et trompa l’adresse de chacune. Elles furent enfin obligées de s’en rapporter aux récits de leur voisine, Lady Lucas ; sir Williams avoit été enchanté de M. Bingley ; il étoit jeune, beau, fort aimable, et pour comble de perfections, il avoit l’intention d’aller à la prochaine assemblée avec plusieurs personnes de sa société. On ne pouvoit être plus délicieux ! Il aimoit passionnément la danse, il deviendroit donc amoureux. Quel vaste champ d’espérances !

— Si je puis voir une de mes filles heureusement établie à Metterfield, disoit Mistriss Bennet à son mari, et toutes les autres aussi bien mariées, je n’aurai plus rien à désirer.

Peu de jours après, M. Bingley vint rendre sa visite à M. Bennet ; il passa environ dix minutes avec lui dans sa bibliothèque. Il avoit espéré être présenté aux jeunes dames dont il avoit entendu vanter la beauté, mais il ne vit que le père. Les dames furent un peu plus heureuses que lui, car elles eurent le plaisir de voir depuis une fenêtre fort élevée qu’il portoit un habit bleu, et montoit un cheval noir.

On lui envoya bientôt une invitation pour dîner, et Mistriss Bennet avoit déjà tracé tout le plan de ce repas qui devoit lui faire la réputation d’une bonne maîtresse de maison, lorsque la réponse rendit tous ses préparatifs inutiles. M. Bingley étoit forcé de se rendre à la ville le jour suivant, et ne pouvoit en conséquence accepter l’obligeante invitation des dames de Longhouse, etc., etc. Mistriss Bennet fut tout-à-fait déconcertée, et ne pouvoit concevoir quelle affaire l’attiroit à la ville si promptement après son arrivée dans le Hertfordshire. Elle craignoit qu’il ne fût toujours voltigeant d’un endroit à l’autre sans jamais être établi à Metterfield, comme il le devoit. Lady Lucas calma un peu ses craintes, en lui faisant naître l’idée que peut-être il étoit allé à Londres chercher du monde pour le bal, et bientôt le bruit courut que M. Bingley devoit conduire à l’assemblée douze dames et sept messieurs. Quelques personnes s’affligeoient de ce grand nombre de dames ; elles se consolèrent le lendemain lorsqu’elles apprirent qu’il n’en avoit ramené que six, cinq de ses sœurs et une cousine, et lorsqu’enfin cette nombreuse société entra dans la salle du bal elle étoit réduite à cinq personnes, M. Bingley, ses deux sœurs, le mari de l’aînée et un jeune homme.

M. Bingley avoit l’air d’un homme comme il faut, ses manières étoient pleines de grace et de naturel. Ses sœurs pouvoient passer pour de belles femmes, mais elles avoient le genre affecté et recherché des femmes qu’on nomme à la mode ; son beau frère, M. Hurst paroissoit un bon gentilhomme, mais M. Darcy, son ami, attira bientôt l’attention de toute l’assemblée par la beauté de ses traits, l’élégance de sa taille, la noblesse de son maintien, et l’avantage de jouir de dix mille livres de rente ; circonstance qui fut connue et circula tout autour de la salle, en cinq minutes. Les hommes avouèrent qu’il étoit bien fait, et les femmes déclarèrent qu’il étoit beaucoup plus beau que M. Bingley. On le regarda avec admiration, pendant la moitié de la soirée, jusqu’à ce qu’enfin ses manières, qui déplaisoient généralement, arrêtèrent le cours de ses succès. On découvrit qu’il étoit fier, que rien ne lui convenoit, qu’il se croyoit fort au dessus des autres ; alors toute sa grande fortune ne put le sauver ; on prononça qu’il avoit un abord repoussant, un ton désagréable, et qu’il étoit indigne d’être comparé à son ami.

M. Bingley eut bientôt fait connoissance avec les principales personnes qui se trouvoient à l’assemblée ; il étoit gai et prévenant ; il dansa toujours, et fut très-fâché que le bal finît sitôt. Il parla même d’en donner un à Metterfield. D’aussi aimables qualités préviennent toujours en faveur de celui qui les possède. Quel contraste avec son ami ! M. Darcy ne dansa qu’une fois avec Mistriss Hurst, et une fois avec Miss Bingley ; il refusa d’être présenté aux autres dames, et passa le reste de la soirée à se promener dans la salle, parlant quelquefois, et par hasard, aux personnes de la société. L’opinion fut bientôt établie sur son caractère. Il fut déclaré le plus fier et le plus désagréable des hommes, et chacun espéra qu’il ne reviendroit plus.

Parmi ceux qui étoient les plus irrités contre lui, étoit Mistriss Bennet, dont l’aversion que sa conduite avoit généralement inspirée étoit augmentée par un ressentiment particulier : il avoit dédaigné l’une de ses filles.

Elisabeth Bennet avoit été forcée, par la disette de danseurs, de se reposer ; elle se trouva assez près de M. Darcy pour entendre sa conversation avec M. Bingley qui venoit de quitter sa place pour se rapprocher de son ami. — Venez, Darcy, lui disoit-il, je n’aime pas à vous voir seul, vous ferez beaucoup mieux de danser.

— C’est ce que je ne ferai sûrement pas ; vous savez que je déteste la danse, à moins que je ne connoisse beaucoup mon partner, dans une assemblée comme celle-ci ce seroit au-dessus de mes forces ; vos sœurs sont engagées, et il n’y a pas une personne dans la salle avec laquelle il ne me fût insupportable de danser.

— Ma foi ! je ne serois pas si difficile que vous, s’écria Bingley, je n’ai jamais vu tant de jolies personnes rassemblées, il y en a même qui sont des beautés remarquables.

— Vous dansez avec la seule belle personne qu’il y ait dans toute la salle, dit M. Darcy, en regardant l’ainée des Miss Bennet.

— C’est la plus belle créature que j’aie jamais vue, mais il y a une de ses sœurs (elle est justement assise derrière vous), qui est très-agréable, je puis même dire très-jolie. Permettez-moi de prier ma danseuse de vous présenter à elle. »

— Laquelle dites-vous ; puis se tournant, il regarda Elisabeth, jusqu’à ce que rencontrant ses yeux, il détourna les siens, et dit froidement : Elle est passable, mais point assez belle pour me tenter ; d’ailleurs, je ne suis pas d’humeur dans ce moment à consoler les jeunes dames que les autres hommes dédaignent. Vous feriez mieux de retourner vers votre danseuse, et de vous enivrer de son doux sourire, car vous perdez votre temps avec moi.

M. Bingley suivit ce conseil, et M. Darcy s’éloigna, laissant Elisabeth avec des impressions qui ne lui étoient pas très-favorables ; elle raconta cependant cette conversation à ses amies avec beaucoup de gaieté. Elle avoit un esprit vif et enjoué qui saisissoit promptement les ridicules et s’en amusoit. Cependant la soirée se passa fort agréablement pour toute la famille. Mistriss Bennet avoit vu tous les habitans de Metterfield admirer sa fille aînée ; M. Bingley avoit dansé deux fois avec elle, et ses sœurs l’avoient distinguée. Jane jouissoit aussi de ses succès, mais avec plus de calme que sa mère. Elisabeth partageoit le plaisir de Jane ; Mary avoit entendu qu’on parloit d’elle à Miss Bingley, comme de la personne la plus instruite de tout le voisinage ; Catherine et Lydie avoient eu le bonheur de ne jamais rester sur la banquette, et c’étoit à leurs yeux le plus haut point du plaisir. Elles retournèrent donc toutes de très-bonne humeur à Longhouse (nom du village où elles demeuroient), et trouvèrent M. Bennet encore levé, un livre à la main ; il oublioit les heures, et dans cette occasion, il étoit curieux de savoir comment s’étoit passé la soirée qui avoit fait naître de si brillantes espérances. Il avoit cru que les vues de sa femme sur l’étranger seroient contrariées, mais il vit bientôt sur sa physionomie qu’il avoit toute autre chose à apprendre.

— Oh ! mon cher Monsieur Bennet, dit Mistriss Bennet, en entrant dans la chambre, nous avons eu une soirée délicieuse, un bal charmant, j’aurois voulu que vous y fussiez allé ; Jane a été plus admirée qu’on ne peut le dire ; chacun s’extasioit sur sa figure et M. Bingley l’a trouvée extrêmement belle ; il a dansé deux fois avec elle ! pensez à cela mon cher ! il a dansé deux fois avec elle ; elle est la seule de l’assemblée qu’il ait engagée une seconde fois. D’abord, il a engagé Miss Lucas ; j’étois un peu fâchée de le voir auprès d’elle, cependant il ne l’admiroit point, vous savez qu’elle n’est pas remarquable ; en voyant Jane, il a paru frappé d’étonnement ; il a demandé qui elle étoit, s’est fait présenter et l’a engagée pour les deux contredanses suivantes ; ensuite il a dansé les deux troisièmes avec Miss King, les deux quatrièmes avec Mary Lucas, les deux cinquièmes avec Jane encore, et les deux sixièmes, ainsi que la boulangère, avec Lizzy.

— S’il avoit eu pitié de moi, s’écria M. Bennet avec impatience, il n’auroit pas tant dansé ; pour l’amour de Dieu ne me parlez plus de ses partners. Que ne s’est-il foulé le pied dès le commencement du bal.

— Oh ! mon cher, dit Mistriss Bennet, je suis enchantée de lui ; il est si beau, et ses sœurs sont de si charmantes femmes ! je n’ai jamais rien vu de plus élégant que leur toilette !… Je puis vous assurer que la dentelle de la robe de Mistriss Hurst…

Ici, elle fut encore interrompue. M. Bennet protesta contre toute description de toilette. Elle fut obligée alors de chercher un autre sujet de conversation, et raconta avec beaucoup d’aigreur et d’exagération l’insultante grossièreté de M. Darcy. Au reste, ajouta-t-elle, je vous assure que Lizzy ne perd pas grand’chose à ne pas lui plaire, car c’est l’homme le plus désagréable, le plus horrible ! si haut, si rempli d’amour-propre qu’il est réellement insupportable. Il se promenoit en long et en large, s’imaginant être fort au-dessus des autres… pas assez belle pour danser avec lui ? J’aurois voulu que vous fussiez là, mon cher.

CHAPITRE IV.

Lorsque Jane et Elisabeth furent seules, la première, qui avoit été jusqu’alors fort réservée, dans les éloges qu’elle avoit donnés à M. Bingley, s’en dédommagea, en exprimant à sa sœur combien il lui plaisoit !

— Il est précisément ce que doit être un jeune homme, disoit-elle, bon, gai, aimable, je n’ai jamais vu des manières plus prévenantes, ni autant d’aisance avec un air si comme il faut.

— Ajoutez qu’il est beau, répondit Elisabeth, un jeune homme doit l’être aussi (s’il le peut) ; pour que son portrait soit parfait.

— J’ai été très-flattée qu’il m’ait engagée à danser une seconde fois ; je ne m’attendois pas à cette distinction de sa part.

— Vraiment, moi j’y comptois pour vous ; mais il y a une grande différence entre nous ; les complimens qui vous sont adressés ne me surprennent jamais, et vous toujours. Qu’y avoit-il de plus naturel qu’il vous engageât une seconde fois ? Il ne pouvoit s’empêcher de voir que vous étiez deux fois plus jolie que toutes les autres femmes du bal, ainsi vous ne lui devez pas de reconnoissance. Il est certainement très-aimable, et je vous permets bien d’en être enchantée, vous avez aimé des gens bien moins agréables que lui.

— Chère Lizzy…

— Vous savez bien qu’en général vous êtes trop disposée à aimer tout le monde. Vous ne voyez jamais les défauts d’autrui, chacun paroît bon et aimable à vos yeux, de ma vie je ne vous ai entendue dire du mal d’un être humain.

— Je désire n’être pas trop prompte à dire du mal des autres, mais cependant je dis toujours ce que je pense.

— Je le sais, et c’est précisément ce qui me surprend ; avec autant de jugement que vous en avez, être si aveuglée sur les folies et les ridicules des autres ! L’affectation de la candeur est assez commune, mais être candide par nature, sans intention, voir toujours le bon côté de chaque caractère, y ajouter encore, et ne jamais parler du mal, cela n’appartient qu’à vous seule. Et vous aimez aussi les sœurs de cet homme, n’est-ce pas ? Cependant leurs manières ne sont pas si prévenantes que les siennes ?

— Non pas au premier abord ; mais lorsqu’on leur parle, on voit que ce sont des femmes aimables. Miss Bingley doit demeurer chez son frère et tenir sa maison. Je me serois bien trompée si nous ne trouvons pas en elle une charmante voisine.

Elisabeth écoutoit en silence, mais n’étoit pas persuadée. Avec un esprit plus observateur et moins de douceur que Jane, et n’ayant pas été distraite par ce qui la concernoit elle-même, elle étoit peu disposée à approuver les manières des sœurs de M. Bingley au bal. C’étoient de belles dames, d’une humeur assez douce avec ceux qui leur plaisoient, aimables lorsqu’elles le vouloient, d’une figure agréable, elles avoient été élevées dans une des premières pensions de Londres, ensorte qu’habituées à frayer avec des gens de qualité, et à dépenser plus que ne leur permettoit une fortune de vingt mille livres, elles s’arrogeoient le droit de se croire supérieures aux autres.

Elles étoient d’une bonne famille du nord de l’Angleterre, circonstance plus profondément gravée dans leur mémoire que celle de l’origine de leur fortune, que leur père avoit acquise dans le commerce.

Monsieur Bingley avoit hérité de son père environ cent mille livres ; ce dernier avoit eu l’intention d’acheter une terre ; la mort l’avoit surpris avant l’exécution de ce projet ; son fils avoit aussi le même dessein, mais depuis qu’il avoit loué une charmante habitation, ceux qui connoissoient le laisser aller de son caractère pensoient qu’il pourroit bien y passer le reste des ses jours et laisser à la génération suivante le soin d’acheter. Ses sœurs désiroient ardemment le voir propriétaire ; cependant quoiqu’il ne fût établi à Metterfield que comme locataire, Miss Bingley étoit très disposée à faire les honneurs de sa table, et Mistriss Hurst qui avoit épousé un homme plus à la mode que riche, étoit fort portée à regarder la maison de son frère comme la sienne toutes les fois que cela pourroit lui convenir. Mr. Bingley n’étoit majeur que depuis deux ans, lorsqu’on lui parla de Metterfield, comme d’une jolie habitation à louer ; il alla la voir et après une demi heure d’examen, enchanté de sa situation, de la distribution des principales pièces, et satisfait de l’éloge que lui en faisoit le propriétaire, il la loua.

En dépit de contraste frappant que présentoient les caractères de Bingley et de Darcy, une véritable amitié régnoit entre eux, Bingley se confioit entièrement à l’attachement de son ami et avoit la plus haute opinion de son jugement, il lui étoit cher par sa franchise et sa douceur. Darcy étoit supérieur pour l’esprit, quoique Bingley n’en fût pas dépourvu, il avoit plus de finesse, et étoit en même temps fier, réservé, et dédaigneux ; ses manières quoique polies n’étoient point attrayantes ; sous ce rapport son ami avoit tout l’avantage. Bingley étoit sûr d’être aimé partout où il paraissoit, Darcy au contraire déplaisoit presque généralement.

La manière dont ils parloient du bal de Meryton, auroit suffi pour montrer la différence de leurs caractères. Bingley n’avoit jamais rencontré des gens plus aimables, et de plus jolies personnes ; chacun avoit été plein de prévenance, et de politesse pour lui ; il n’y avoit ni gêne ni cérémonie et il s’étoit bientôt senti à son aise avec tous les gens qui composoient l’assemblée. Quant à Miss Bennet, il ne pouvoit rien se figurer de plus beau. Darcy au contraire, n’avoit vu là qu’un rassemblement fort insipide, dans lequel il y avoit peu de jolies personnes ; point qui eussent l’air vraiment comme il faut ; aucune ne lui avoit inspiré le plus léger intérêt, aucune ne lui avoit donné la plus légère marque d’attention. Il avouoit cependant que Miss Bennet étoit jolie, mais il trouvoit qu’elle sourioit trop.

C’étoit aussi l’avis de Mistriss Hurst et de sa sœur ; malgré cela, Miss Bennet leur plaisoit, et elles, conclurent que c’étoit une douce et charmante personne, avec laquelle il n’y avoit aucun inconvénient à faire connoissance. Ainsi Miss Bennet étant reconnue pour une fort-aimable fille, leur frère se vit autorisé à s’abandonner à son admiration pour elle.

CHAPITRE V.

À une légère distance de Longbourn demeuroit une famille avec laquelle les Bennet étoient fort liés. Sir Williams Lucas, avoit été autrefois dans le commerce à Meryton, et y avoit fait une assez jolie fortune ; il avoit obtenu le rang de chevalier pour avoir en qualité de Maire présenté une adresse au Roi. Il avoit senti peut-être un peu trop vivement cette distinction, car elle lui inspira du dégoût pour le commerce et pour le séjour d’une petite ville de province, et quittant l’un et l’autre, il s’étoit retiré dans une petite maison de campagne à un mille de Meryton, qui fut dès lors appelée Lucas-lodge. Là il pouvoit se pénétrer du degré d’importance qu’il avoit acquis et n’étant plus absorbé par les affaires, sa principale occupation étoit de se montrer extrêmement poli avec tout le monde, car quoique très-fier de son nouveau rang, il n’étoit point devenu dédaigneux ; au contraire, naturellement amical et obligeant, sa présentation à S.t James l’avoit rendu encore plus affable. Lady Lucas étoit une excellente femme, dont l’esprit n’avoit rien d’assez supérieur pour l’empêcher d’être une voisine très-précieuse à Miss Bennet. Elle avoit plusieurs enfans ; l’aînée âgée de vingt-sept ans, bonne et pleine de raison, étoit extrêmement liée avec Elisabeth.

Il étoit indispensable que les miss Lucas et les miss Bennet se rencontrassent pour parler du bal, aussi le lendemain matin vit-on arriver les premières à Longbourn. Elles venoient raconter à leurs amies ce qu’elles avoient vu et entendu, et apprendre en échange ce qui auroit pu leur échapper.

— La soirée commença bien pour vous, Charlotte, dit Mistriss Bennet à Miss Lucas, avec une politesse forcée, vous fûtes le premier objet de l’attention de M. Bingley.

— Oui, mais il a paru cependant donner la préférence au second.

— Oh ! vous parlez de Jane sans doute, parce qu’il a dansé deux fois avec elle ; en effet, il avoit l’air de l’admirer, et je crois bien que c’étoit vrai ! J’ai ouï dire quelque chose là-dessus, je ne me souviens pas fort bien de ce que c’étoit, quelque chose de M. Robinson je crois ?

— Peut-être Madame voulez-vous parler de la conversation que j’ai entendue entre M. Robinson et lui. Ne vous l’ai-je pas racontée ? M. Robinson lui demandoit comment il trouvoit nos assemblées de Meryton, s’il ne pensoit pas qu’il y avoit beaucoup de jolies femmes dans la salle et laquelle il trouvoit la plus belle. Il répondit vivement à cette dernière question : Oh ! l’aînée des Miss Bennet, sans aucun doute ! Il ne peut y avoir deux opinions là-dessus.

— En vérité ! hé bien, c’étoit positif cela. Il semble alors que… cependant, cela pourroit peut-être encore ne mener à rien.

— J’ai été plus heureuse que vous, Lizzy, dit Charlotte en souriant, M. Darcy n’est pas si aimable que son ami, n’est-ce pas ? Pauvre Lizzy ! être passable seulement.

— Je vous prie de ne point mettre dans la tête à Lizzy d’être piquée de ce mauvais compliment, car c’est un homme si désagréable, qu’on seroit vraiment fâchée d’être distinguée par lui. Mistriss Long m’a dit qu’il a été assis pendant plus d’une demi-heure à côté d’elle sans lui ouvrir la bouche.

— En êtes-vous sûre, Madame, dit Jane, il y a peut-être quelqu’erreur, car j’ai bien certainement vu M. Darcy lui parler.

— Oh ! oui, parce qu’elle lui demanda si Metherfield lui plaisoit, il ne put faire autrement que de lui répondre ; car elle dit qu’il avoit l’air très-fâché qu’on eût osé lui adresser la parole.

— Miss Bingley m’a assuré qu’il ne parle jamais qu’à ses plus intimes connoissances, et qu’alors il est extrêmement aimable, dit Jane.

— Je n’en crois pas un mot, ma chère, s’il avoit été si aimable, il auroit certainement parlé à Mistriss Long. Mais je devine pourquoi il ne l’a pas fait. On dit qu’il est dévoré d’orgueil, et je suis sûre qu’il aura su que Mistriss Long n’avoit point d’équipage, et qu’elle étoit venue au bal dans une voiture de louage.

— Je ne lui en veux point de n’avoir pas parlé à Mistriss Long, dit Charlotte, mais j’aurois voulu qu’il dansât avec Lizzy.

— Une autre fois, Lizzy, dit Mistriss Bennet, si j’étois vous, je ne voudrois pas danser avec lui.

— L’orgueil chez lui, dit Miss Lucas, ne me paroît pas si offensant qu’il l’est quelquefois chez d’autres, il a une excuse. On ne sauroit s’étonner qu’un jeune homme si beau, d’une bonne famille, avec beaucoup de fortune, ayant tout enfin en sa faveur, ait bonne opinion de lui-même.

— C’est très-vrai, répliqua Elisabeth, et je lui pardonnerois facilement son orgueil s’il n’avoit pas blessé le mien.

— L’orgueil, observa Mary, qui se piquoit de beaucoup de profondeur dans ses réflexions, est un défaut très-ordinaire ; d’après tout ce que j’ai lu, je suis persuadée qu’il est très-commun, que la nature humaine y est particulièrement disposée, et qu’il y a bien peu de gens qui ne nourrissent en sentiment de satisfaction d’eux-mêmes, fondé sur quelques qualités réelles ou imaginaires. La vanité et l’orgueil sont deux choses très-différentes, quoiqu’on les emploie quelquefois comme synonymes. On peut être fier sans être vain. L’orgueil se rapporte davantage à l’opinion que nous avons de nous-même, et la vanité à celle que nous voulons que les autres en aient.

— Si j’étois aussi riche que M. Darcy, s’écria un jeune Lucas qui avoit accompagné ses sœurs, je ne m’embarrasserais pas d’être fier ou vain, j’aurois une meute de chiens courrans, et je boirois une bouteille de vin par jour.

— Alors vous boiriez beaucoup trop, dit Mistriss Bennet, et si je vous voyois, je vous ôterois tout de suite la bouteille.

L’enfant soutint qu’elle ne le pourroit pas ; elle persista à dire qu’elle le feroit, et la discussion ne finit qu’avec la visite.

CHAPITRE VI.

Les dames de Longbourn se présentèrent chez celles de Metherfield, qui ne tardèrent pas à rendre la visite dans toutes les formes. Les manières attrayantes des Miss Bennet charmèrent de plus en plus Mist. Hurst et Miss Bingley, et quoiqu’on trouvât que la mère étoit intolérable, et qu’on ne pouvoit faire la conversation avec les sœurs cadettes, on exprima cependant le désir de faire plus ample connoissance avec les deux aînées. Elisabeth, qui leur trouvoit toujours beaucoup de hauteur, ne pouvoit les goûter. La préférence qu’elles accordoient à Jane, venoit du sentiment qu’elle avoit inspiré à leur frère ; ce sentiment étoit évident pour tout le monde, et il étoit évident aussi pour Elisabeth que Jane cédoit à l’attrait qu’elle avoit senti pour lui au premier abord ; qu’elle étoit par conséquent au commencement d’une inclination ; mais Elisabeth espéroit que l’on ne s’en doutoit pas, parce que Jane avoit une grande force d’âme, un caractère égal et une constante sérénité qui la garantiroit des soupçons des médisans ; elle en parla à son amie Miss Lucas.

— C’est très-bien, répondit Charlotte, de pouvoir en imposer au public, mais c’est quelquefois un désavantage d’être si réservée. Si une femme cache son affection avec le même soin à celui qui en est l’objet, elle peut perdre l’occasion de le fixer, et ce sera alors une bien légère consolation pour elle de penser que le monde est dans la même ignorance que lui. Il entre tant de reconnoissance ou d’amour-propre dans presque tous les attachemens, qu’il n’est pas prudent d’en abandonner un à lui-même, c’est-à-dire au seul pouvoir de l’amour. Une légère préférence est assez naturelle, mais il y a peu de gens capables d’aimer vivement sans être payés de retour. Sur dix exemples, il y en a neuf où une femme réussit mieux, en montrant plus de sentiment encore qu’elle n’en éprouve. Bingley distingue votre sœur, il n’y a pas de doute, mais il n’ira pas au-delà de la simple préférence, si elle ne l’encourage pas, en lui laissant voir ce qu’elle éprouve pour lui.

— Mais elle l’encouragera autant que son caractère peut le lui permettre, et d’ailleurs, si moi je vois le sentiment qu’elle a pour lui, il faudroit qu’il fût bien simple pour ne pas le découvrir aussi.

— Souvenez-vous, Elisa, qu’il ne connoît pas le caractère de votre sœur aussi bien que vous.

— Cependant si une femme qui a de l’amour pour un homme ne fait pas tous ses efforts pour le lui cacher, il doit bien enfin s’en apercevoir. — Peut-être s’en apercevra-t-il s’il la voit assez souvent pour pouvoir l’étudier. Mais quoique Jane et M. Bingley se rencontrent fréquemment, ce n’est jamais longtemps de suite, et comme c’est en société, ils ne peuvent pas s’entretenir toujours ensemble. Plus Jane pourra attirer son attention, mieux elle réussira. Lorsqu’elle sera sûre de lui, elle pourra alors l’aimer tant qu’elle voudra.

— Votre plan seroit bon, s’écria Elisabeth, s’il ne s’agissoit que d’avoir envie de se marier, et je vous assure que je l’adopterois si je ne voulois qu’épouser un homme riche, ou enfin avoir un mari quelconque. Mais ces idées là n’occupent point Jane. Elle n’a aucun dessein, elle n’est pas même certaine du degré de préférence qu’elle lui accorde, et s’il est fondé. Elle ne le connoît que depuis quinze jours ; elle a dansé à Meryton avec lui ; elle l’a vu en visite à Metherfield, et a dîné trois ou quatre fois avec lui ; ce n’est réellement pas assez pour qu’elle puisse connoître et juger son caractère.

— Non pas comme vous présentez la chose, si elle n’avoit fait que dîner avec lui, elle auroit pu seulement découvrir s’il avoit un bon appétit, mais vous oubliez qu’ils ont aussi passé trois ou quatre soirées ensemble, et cela fait beaucoup.

— Oui, les quatre soirées les ont mis à même de savoir réciproquement s’ils aiment mieux le commerce que le vingt-et-un ; mais pour ce qui est des traits caractéristiques de l’un et de l’autre, je ne crois pas qu’ils aient été fort développés.

— Je souhaite de tout mon cœur, dit Charlotte, que Jane soit heureuse, mais je crois qu’elle auroit autant de chances de bonheur si elle l’épousoit demain que si elle étudioit son caractère pendant un an. Le bonheur dans le mariage est absolument une chose du hasard. Que les deux parties connaissent parfaitement leurs défauts réciproques, et que même d’avance elles soient parfaitement d’accord, cela n’assure pas le moins du monde leur félicité. Les défauts, qui ne sont souvent que de légères différences, vont toujours en augmentant, et deviennent par la suite si opposés qu’ils peuvent occasionner mille désagrémens aux deux époux. Le mieux seroit encore de connoître aussi peu que possible les défauts de la personne avec laquelle on doit passer sa vie.

— Vous me faites rire, Charlotte, mais vous ne me persuadez point, vous ne voudriez pas vous-même agir ainsi. »

Toute occupée à observer les soins de M. Bingley pour sa sœur, Elisabeth étoit loin de soupçonner qu’elle fût elle-même devenue un objet d’intérêt pour son ami. M. Darcy avoit d’abord eu de la peine à convenir qu’elle fût jolie ; il l’avoit considérée avec indifférence au bal ; depuis lors, il ne l’avoit regardée que pour la critiquer, mais il n’eût pas plutôt prouvé à ses amis qu’il n’y avoit pas un trait de sa physionomie de remarquable, qu’il commença à trouver que la belle expression de ses yeux noirs lui donnoit l’air fort spirituelle ; à cette découverte en succédèrent plusieurs autres également mortifiantes. Quoique l’œil de la critique lui eût fait voir plus d’un défaut dans la parfaite régularité de sa taille, il étoit forcé de reconnoître que sa tournure étoit svelte et agréable, et en dépit de la décision qu’il avoit prise que ses manières n’étoient pas celles du grand monde, leur grace et leur enjouement le séduisoient. Elle ignoroit complètement tout cela, et il n’étoit encore à ses yeux qu’un homme qui ne se faisoit aimer nulle part, et qui ne l’avoit pas trouvée assez jolie pour la faire danser.

Il commença à désirer de la connoître davantage, et afin de parvenir à lui parler, il prenoit part à la conversation qu’elle avoit avec les autres. Ces avances attirèrent enfin son attention, c’étoit chez sir Williams Lucas où il y avoit beaucoup de monde. « À quoi pensoit M. Darcy, disoit-elle à Charlotte, d’écouter ainsi ma conversation avec le colonel Forster ?

— C’est une question à laquelle M. Darcy peut seul répondre.

— S’il recommence encore, je lui laisserai voir ce que je pense. Il a un regard très-satyrique, si je ne commence par être impertinente moi-même, je finirois par avoir peur de lui.

Il se rapprocha d’elle peu de momens après, sans paroître avoir l’intention d’entrer en conversation. Miss Lucas défia alors son amie d’oser lui parler, ce qui provoqua Elisabeth, elle se retourna, et lui dit : — Ne pensez-vous pas, Monsieur Darcy, que je parlois fort bien lorsque je tourmentois le colonel Forster pour qu’il nous donnât un bal à Meryton ?

— Du moins, avec beaucoup de chaleur, c’est un sujet sur lequel les jeunes dames sont toujours très-pressantes.

— Vous êtes sévère pour nous.

Ce sera bientôt son tour d’être attaquée, pensa Miss Lucas. — Je vais ouvrir le piano, Elisa, et vous savez ce qui en arrivera.

— Vous êtes une singulière créature, sous l’apparence d’une amie ! toujours me faire jouer et chanter devant tout le monde ! si ma vanité s’étoit tournée du côté de la musique, vous auriez été inappréciable ! mais j’aimerois mieux ne pas en faire devant des gens qui sont accoutumés à entendre les artistes les plus distingués. Cependant Miss Lucas persistant, elle ajouta : Allons, puisque vous le voulez, il le faut.

Son exécution étoit agréable quoique peu brillante ; après un ou deux morceaux de chant, et avant qu’elle eût eu le temps de répondre aux sollicitations des personnes qui désiroient l’entendre encore, elle fut remplacée au piano avec empressement par sa sœur Mary, qui ayant le plus travaillé pour acquérir des talens et de l’instruction, étoit toujours impatiente de les montrer. Mary n’avoit ni dispositions, ni génie, et la vanité qui lui avoit donné beaucoup d’application, lui avoit donné aussi un air pédant et satisfait qui auroit nui à de plus grands talens que les siens. Elisabeth, sans affectation, sans prétentions, avoit été écoutée avec beaucoup de plaisir, quoiqu’elle fût loin d’être aussi forte que sa sœur. Après un long concerto, Mary fut charmée d’avoir à mériter de nouveaux éloges, et joua des airs irlandais et écossais à la demande de ses sœurs cadettes, qui avec les Miss Lucas et quelques officiers, se mirent à danser dans le fond du salon.

M. Darcy étoit dans une muette indignation de cette manière de passer la soirée qui excluoit toute espèce de conversation. Il étoit trop occupé par ses réflexions pour faire attention à sir Williams Lucas qui étoit près de lui ; jusqu’à ce qu’enfin ce dernier lui adressa la parole.

— Quel charmant amusement pour les jeunes gens, Monsieur Darcy ! Après tout, il n’y a rien comme la danse ; je la considère comme un des premiers degrés de la civilisation dans les sociétés policées.

— Certainement, Monsieur, elle a aussi l’avantage d’être fort en usage dans les sociétés les moins policées. Les sauvages dansent aussi.

Sir Williams sourit légèrement. — Vos amis dansent à ravir. Après une courte pause, voyant Bingley se joindre au groupe des danseurs : je ne doute pas, M. Darcy, que vous ne soyez vous-même adepte dans cet art ?

— Vous m’avez vu danser à Meryton, je crois, Monsieur.

— Oui, en vérité, et ce spectacle m’a procuré un plaisir infini ! Vous dansiez souvent à St.-James sûrement ?

— Jamais, Monsieur.

— Ne pensez-vous cependant pas que ce seroit honorer à la cour ?

— C’est un honneur que je ne fais nulle part, lorsque je puis m’en dispenser.

— Vous avez une maison à Londres, je suppose ? M. Darcy s’inclina.

— J’avois eu une fois l’idée de m’établir à Londres ; j’aime passionément la bonne société, mais je n’étois pas sûr que cet air-là convînt à la santé de Lady Lucas.

Il s’arrêta pour attendre une réponse, mais son interlocuteur n’étois pas disposé à lui en faire une. Dans ce moment, Elisabeth passoit près d’eux. Sir Williams, enchanté de l’idée de faire une chose qu’il croyoit très-polie, l’arrêta, et lui dit : ma chère Miss Elisa, pourquoi ne dansez-vous pas ? M. Darcy, vous me permettrez de vous présenter cette jeune dame, comme un partner fort agréable ; vous ne pouvez me refuser de danser, quand la beauté est devant vous ; et prenant la main d’Elisabeth, il vouloit la donner à Darcy, qui quoiqu’extrêmement surpris, ne la recevoit pas sans plaisir, lorsqu’elle la retira brusquement et dit à sir Williams : En vérité, Monsieur, je n’ai pas le moindre désir de danser, et je ne venois point vous demander un partner.

M. Darcy lui demanda alors d’un air fort sérieux de lui faire l’honneur de danser avec lui, mais ce fut en vain ; Elisabeth étoit décidée, et Sir Williams, malgré tous ses efforts, ne put parvenir à ébranler sa résolution.

— Vous dansez si bien, miss Elisa ! il est cruel de me refuser le plaisir de vous voir ! Quoique M. Darcy n’aime pas cet exercice, il ne feroit aucune difficulté de nous obliger pendant une demi heure.

— M. Darcy est rempli de politesse, dit Elisabeth en souriant.

— C’est vrai, mais en reconnoissant le motif qui le feroit agir, nous ne pourrions pas nous étonner de sa complaisance ; car, qui pourroit refuser une telle danseuse !

Elisabeth lança un regard malin sur M. Darcy, et s’en fut. Sa résistance ne lui avoit point fait de tort dans l’esprit de M. Darcy, il pensoit à elle avec complaisance, lorsqu’il fut abordé par Miss Bingley.

— Je parie que j’ai deviné le sujet de votre rêverie ?

— Je ne le crois pas.

— Vous pensez combien il seroit insupportable de passer plusieurs soirées de cette manière, et dans une pareille société. Je suis tout-à-fait de votre avis, jamais je n’ai été plus fatiguée, plus ennuyée, du bruit, de la nullité, et cependant de l’importance de tous les gens. Combien je donnerois pour entendre vos observations sur eux !

— Votre conjecture est entièrement fausse, je vous assure ; mon esprit étoit plus agréablement occupé. Je réfléchissois sur le plaisir que peuvent faire deux beaux yeux qui parent la figure d’une jolie femme.

Miss Bingley fixa les siens sur lui et le pria de vouloir bien lui dire qu’elle étoit la dame qui avoit le bonheur de lui inspirer de telles réflexions.

— Miss Elisabeth Bennet.

— Miss Elisabeth Bennet ! s’écria Miss Bingley, je suis stupéfaite. Y a-t-il longtemps qu’elle est votre favorite ? Quand pourrai-je vous faire mon compliment, je vous prie ?

— C’est absolument la question que je pensois que vous me feriez. L’imagination des femmes est si prompte ; qu’elle s’élance de l’admiration à l’amour, et de l’amour au mariage ; en un instant ; je savois que vous me féliciteriez.

— Mais vraiment si vous parliez sérieusement je regarderois la chose comme arrangée. Vous aurez une charmante belle-mère ! Je pense qu’elle demeurera toujours à Pimberley avec vous ?

Il l’écoutoit avec une parfaite indifférence, pendant qu’elle s’amusoit à parler ainsi : tranquilisée par son air calme qui lui persuadoit qu’il n’y avoit rien de réel dans cette plaisanterie, elle continua à déployer son esprit sur ce sujet.

CHAPITRE VII.

La fortune de M. Bennet consistoit presqu’entièrement en une propriété de deux mille livres de rentes, qui malheureusement pour ses filles, étoit à défaut d’enfans mâles, substituée à un parent fort éloigné. La fortune de leur mère, quoiqu’assez considérable pour leur position actuelle, ne pouvoit pas suppléer à celle de leur père.

Mistriss Bennet avoit hérité de son père, qui étoit avocat à Mérytion, quatre mille livres ; elle avoit une sœur mariée à M. Phillips, autrefois clerc de leur père, qui lui avoit succédé ; et un frère établi à Londres qui faisoit un commerce honorable. Le village de Longbourn n’étoit qu’à un mille de Méryton ; distance fort agréable pour les jeunes dames qui y alloient ordinairement trois ou quatre fois par semaine visiter leur tante et un magasin de modes qui se trouvoit précisément sur la route. Les deux cadettes étoient particulièrement assidues à ces devoirs ; leur esprit étoit plus oisif que celui de leurs sœurs, et lorsqu’il ne se présentoit rien de mieux, une promenade à Méryton devenoit nécessaire pour charmer les loisirs de la matinée, et fournir à la conversation de la soirée.

Quelque peu d’événemens qu’il dût y avoir dans le pays, elles espéroient toujours d’apprendre de leur tante quelques nouvelles. L’arrivée d’un régiment de milice, qui devoit passer l’hiver dans le voisinage, et dont le quartier général étoit à Méryton, leur causa une grande joie. Les visites à Mrs. Phillips devenoient maintenant du plus grand intérêt, chaque jour ajoutoit quelque chose à ce qu’elles savoient déjà du nom et de l’histoire de chaque officier. Elles n’ignorèrent pas long-temps leurs logemens, et enfin elles eurent le bonheur de faire connoissance avec les officiers eux-mêmes, Mr. Phillips leur fit visite à tous, et ouvrit ainsi à ses nièces une source de félicités, auparavant inconnue. Elles ne s’entretenoient plus que des officiers ; et la grande fortune de Mr. Bingley, dont la seule idée suffisoit pour animer leur mère, disparoissoit à leurs yeux devant l’uniforme d’un simple enseigne.

Un matin après avoir été témoin de leurs transports sur ce sujet-là, Mr. Bennet dit froidement :

— D’après tout ce que je viens d’entendre, vous devez être les jeunes filles les plus ridicules de tout le pays. Je le soupçonnois, maintenant j’en suis convaincu.

Catherine fut déconcertée et ne répondit rien, mais Lydie continua avec la plus complète indifférence à parler avec admiration du capitaine Carter, et de ses espérances de le voir dans le courant de la journée, parce qu’il devoit partir le lendemain pour Londres.

— Je suis surprise, mon cher, dit Mistriss Bennet, de vous voir toujours porté à croire que vos enfans sont ridicules ! Si je pensois ainsi des enfans de quelqu’un, à coup sûr ce ne seroit pas des miens.

— Si mes enfans sont ridicules, j’espère que je m’en apercevrai toujours.

— Mais s’ils ne le sont pas ? Si au contraire ils sont remplis d’esprit ?

— C’est le seul point sur lequel nous ne soyons pas d’accord. J’avois espéré que nous penserions toujours de même ; mais je suis si éloigné de votre manière de voir, que je crois au contraire que nos filles cadettes sont extraordinairement ridicules.

— Mon cher Mr. Bennet, vous ne pouvez raisonnablement espérer, que de si jeunes filles aient autant de bon sens que leur père et leur mère ; lorsqu’elles seront à notre âge, j’ose vous assurer qu’elles ne penseront pas plus aux officiers que nous. Je me souviens très-bien moi-même, du temps ou j’aimois beaucoup les habits rouges[1] ; et en vérité, dans le fond de mon cœur, je les aime encore. Si un jeune et brillant colonel de vingt-six ans, avec mille livres de rente, me demandoit une de mes filles, je ne la lui refuserois point. Je trouvois que le colonel Forster, avoit très bonne façon dans son uniforme, l’autre jour chez Sir Williams.

— Maman, s’écria Lydie, ma tante dit que maintenant le colonel Forster et le capitaine Carter, ne vont plus si souvent chez Mistriss Watson ; elle les voit beaucoup dans le cabinet de lecture de Clarke.

L’arrivée d’un laquais empêcha Mistriss Bennet de répondre, il apportoit un billet pour Miss Bennet, et venoit de Netherfield ; il demandoit une réponse. Les yeux de Mistriss Bennet brilloient de plaisir, et ne laissant pas le temps à sa fille de lire, elle lui demandoit : — Eh bien, Jane, de qui est-ce ? Que dit-il ? Allons Jane, dépêchez-vous et dites-nous ?… dépêchez-vous donc mon ange !

— C’est de Miss Bingley, et elle lut à haute voix, ce qui suit :

Ma chère amie.

« Si vous n’êtes pas assez complaisante pour venir dîner aujourd’hui avec nous, nous courons le risque, Louisa et moi, de nous haïr le reste de notre vie ; car un jour entier passé en tête à tête entre deux femmes, ne peut pas finir sans une querelle. Venez donc aussitôt que vous aurez lu ce billet ; mon frère et nos Messieurs sont allés dîner avec les officiers. »

Votre affectionnée,

Caroline Bingley.

— Avec les officiers ! s’écria Lydie, je suis surprise que ma tante ne nous l’ait pas dit.

— Il dîne dehors, dit Mistriss Bennet, c’est très-fâcheux.

— Puis-je avoir la voiture ? dit Jane.

— Non, ma chère, il vaut mieux que vous alliez à cheval ; il paroît vraisemblable qu’il pleuvra, et alors vous y resterez ce soir.

— Ce seroit un assez bon plan, dit Elisabeth, si vous étiez sûre qu’on n’offrît pas de la ramener en voiture.

— Oh ! ces Messieurs ont sûrement pris la voiture de Mr. Bingley, pour aller dîner à Méryton, et les Hurst n’ont point de chevaux.

— Mais je préférerois aller en voiture.

— Je suis sûre ma chère, que votre père ne peut pas vous donner les chevaux, ils sont employés à la ferme, n’est ce pas, Mr. Bennet ?

— Je les donne bien souvent, lors-même qu’ils sont employés à la ferme.

— Mais si vous les donniez aujourd’hui, dit Elisabeth, le plan de ma mère seroit manqué.

Elle parvint ainsi, à faire prononcer à son père que les chevaux étoient occupés ; par conséquent Jane fut obligée d’aller à cheval ; sa mère l’accompagna jusqu’à la porte en prédisant gaiement le mauvais temps. Ses espérances furent bientôt réalisées. Jane venoit de partir, lorsqu’une grosse pluie commença à tomber ; ses sœurs étoient inquiètes, mais sa mère étoit ravie. La pluie continua sans interruption toute la soirée, certainement Jane ne pouvoit pas revenir !

— Il faut avouer que j’ai eu une heureuse idée ! répéta plusieurs fois Mistriss Bennet, comme si c’etoit elle qui avoit pu déterminer la pluie à tomber ; et jusqu’au lendemain matin, elle ne douta pas que son plan, n’eût les suites les plus heureuses. Le déjeuner étoit à peine fini, qu’un domestique de Netherfield arriva, apportant le billet suivant pour Elisabeth.

Ma chère Lizzy,

« Je suis très-incommodée ce matin, et je dois l’attribuer à ce que j’ai été mouillée hier. Mes bons amis ne veulent pas entendre parler de me laisser retourner à la maison, avant que je sois mieux, ils insistent aussi pour que je voie Mr. Jones, ainsi vous ne serez pas inquiets si vous apprenez qu’il est venu me voir, je n’ai absolument que mal à la gorge et mal à la tête. »

Votre, etc.

— Eh bien ! ma chère, dit Mr. Bennet, lorsqu’Elisabeth eut fini de lire ce billet, si votre fille a une maladie dangereuse, et si elle en meurt, ce sera une consolation pour vous de savoir, qu’elle l’a prise en courant après Mr. Bingley, et par vos ordres.

— Oh ! je ne crains pas qu’elle en meure, on ne meurt pas pour un petit coup de froid. Elle sera soignée, tout ira bien tant qu’elle restera là ; j’irai la voir si je puis avoir la voiture.

Elisabeth qui étoit réellement inquiète de sa sœur, étoit décidée à aller la voir, quoiqu’elle ne pût pas avoir la voiture, et comme elle ne savoit pas monter à cheval, elle n’avoit d’autre parti à prendre que celui d’y aller à pied. Elle déclara son intention.

— Comment pouvez-vous avoir cette idée, s’écria sa mère : avec une telle boue ! Vous ne serez pas en état de vous montrer lorsque vous arriverez.

— Mais je serai bien en état de voir c’est tout ce que je veux.

— Est-ce une manière de m’insinuer que je dois vous prêter les chevaux, Lizzy ? dit son père.

— Non en vérité, je ne crains point de faire cette promenade ; la distance n’est rien, lorsqu’on a un but ; il n’y a que trois milles, je serai de retour pour dîner.

— J’admire l’activité de votre amitié, dit Mary, mais l’impulsion de votre sentiment, devroit être guidée par la raison, et il me semble qu’il ne doit agir qu’autant que c’est nécessaire.

— Nous irons avec vous, jusqu’à Méryton, s’écrièrent Catherine et Lydie ; Elisabeth accepta leur compagnie, et les trois jeunes personnes partirent ensemble.

— Si nous allons vite, disoit Lydie, tout en marchant, nous pourrons peut-être encore voir le capitaine Carter, avant qu’il parte.

À Méryton, elles se séparèrent ; les deux plus jeunes allèrent chez la femme d’un officier, dont elles s’étoient déjà fait une amie, et Elisabeth continua seule sa route, traversant les champs d’un pas précipité, sautant par dessus les haies et les ruisseaux avec une impatiente vivacité ; elle arriva enfin très-fatiguée, ses bas crottés, et avec un teint animé par l’exercice.

On l’introduisit dans la chambre du déjeuner, où tout le monde excepté Jane, étoit déjà rassemblé, et où son arrivée produisit la plus grande surprise. Mistriss Hurst et miss Bingley pouvoient à peine croire, que de si bonne heure, elle eût déjà fait trois milles, par un si mauvais temps, et toute seule ! Elisabeth étoit bien persuadée que ces deux dames voyoient cela avec dédain ; elle en fut cependant reçue très-poliment ; il y avoit quelque chose de plus que de la politesse, dans l’accueil de leur frère ; c’étoit de la bonté et de la prévenance. Mr. Darcy parla peu, et Mr. Hurst point du tout. Le premier étoit partagé entre l’admiration que lui causoit l’éclat et la vivacité que l’exercice avoit donnés à la figure d’Elisabeth, et le doute où il étoit que la raison qui l’avoit amenée la justifiât entièrement d’être venue d’aussi loin toute seule. Le dernier ne pensoit qu’à son déjeuner.

Les réponses qu’on lui fit sur l’état de sa sœur n’étoient pas très-satisfaisantes. Miss Bennet avoit mal dormi, et quoiqu’elle fut levée, elle avoit cependant trop de fièvre pour pouvoir descendre.

Elisabeth insista pour être conduite auprès d’elle, et Jane que la crainte de donner de l’inquiétude ou de l’embarras à sa sœur, avoit empêchée de témoigner dans son billet le plaisir qu’elle auroit de l’avoir auprès d’elle fut ravie de la voir entrer. Elle n’étoit cependant pas en état de supporter la conversation, et lorsque Miss Bingley les eut laissées seules, et qu’elle eut essayé de remercier sa sœur de sa tendre sollicitude, elle se tut ; Elisabeth resta en silence auprès d’elle.

Lorsque le déjeuner fut fini, les deux sœurs les rejoignirent, Elisabeth commença à les aimer un peu plus, lorsqu’elle vit combien de tendresse et d’attention elles témoignoient à Jane. Le médecin arriva, et ayant interrogé la malade, il prononça, comme on l’avoit bien supposé, qu’elle avoit un violent coup de froid. Il lui conseilla de se remettre au lit, et promit de lui envoyer quelques potions. Son conseil fut promptement suivi, car la fièvre augmentant, elle souffroit beaucoup de la tête. Elisabeth ne quitta pas sa chambre un seul instant, les deux autres dames s’absentèrent aussi fort peu, les Messieurs étant sortis, elles n’avoient rien qui les rappellât ailleurs.

Quand trois heures sonnèrent, Elisabeth pensa qu’elle devoit partir et le dit avec chagrin. Miss Bingley lui offrit la voiture, mais la pressa faiblement de l’accepter. Alors Jane témoigna tant de peine de voir partir sa sœur, que Miss Bingley fut obligée de changer l’offre de la voiture en une invitation de rester à Netherfield ; Elisabeth l’accepta avec reconnoissance, et un domestique fut envoyé à Longbourn, pour dire qu’elle n’y retournoit pas, et pour lui rapporter les vêtemens qui lui étoient nécessaires.

CHAPITRE VIII.