Pologne - Jurek Kuczkiewicz - E-Book

Pologne E-Book

Jurek Kuczkiewicz

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Beschreibung

Accoutumés à s’identifier aux drames de leur histoire, les Polonais ont encore de la peine à saisir que leur pays est devenu un grand d’Europe. Quel chemin parcouru pourtant! À Varsovie, à Cracovie, en Silésie ou dans les coulisses du monastère de la Vierge noire à Czestochowa, la Pologne moderne se conjugue au quotidien avec la nostalgie populaire d’une noblesse rurale, les frustrations nationalistes et religieuses, et un goût effréné de la littérature et des arts.


Ce petit livre n’est pas un guide. C’est un décodeur. Il revisite, d’abord à travers un récit riche en anecdotes, en couleurs et en rencontres, puis à l’écoute de grands intellectuels, les clichés des charges héroïques des Uhlans, le tourbillon des valses de Chopin et l’image d’un peuple irrémédiablement associé à Jean-Paul II, le pape vainqueur du communisme. Un voyage architectural, gastronomique, linguistique et culturel pour mieux connaître les passions polonaises. Et donc mieux les comprendre. Un grand récit suivi d’entretiens avec Jan Sowa (historien), Janusz Czapiński (sociologue) et Ludwik Dorn (homme politique).


À PROPOS DE L'AUTEUR


Anciennement chef du service étranger du Soir (Bruxelles), Jurek Kuczkiewicz (1970) a dirigé plusieurs médias à Varsovie où il a vécu plus de sept ans. Il est actuellement conseiller en communication auprès de la présidence du Conseil européen.

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Couverture

Page de titre

Carte

W pewnym mianowicie znaczeniu odpowiadamy za swoich

(Dans un certain sens, nous sommes responsables de nos ancêtres)przodkówLeszek Kołakowski

AVANT-PROPOSPourquoi la Pologne ?

D’abord, oubliez ce que vous avez lu ou entendu ces dernières années sur la Pologne. Elle est une éternelle rebelle, qui ne se laisse jamais enfermer dans une description univoque.

Vous pensiez à un pays catholique archi-conservateur, une image que le parti populiste de droite Droit et Justice s’est employé à conforter depuis 2015 ? Ne vous y fiez pas. Vous pourriez ne rencontrer en Pologne que des citoyens ouverts sur un monde qu’ils ont sillonné, des enthousiastes pétris d’idéaux de tolérance, attachés au rêve de la construction européenne et à ses valeurs. Ils s’y arc-boutent d’ailleurs d’autant plus, à cette Union européenne et à ces valeurs, lorsque leur gouvernement les met en question par ses réformes bousculant l’État de droit.

En garderez-vous l’impression d’un pays libéral et progressiste, à l’image des gigantesques manifestations de femmes défendant leurs droits, ou de la lame de fond dévoilant les affaires de pédophilie couvertes par l’Église ? Gare aux illusions. Les références fréquentes aux valeurs catholiques traditionnelles, ou les récits, teintés de reproches, des malheurs interminables de ce pays au fil de son histoire, vous feront revoir votre jugement. La bataille culturelle et sociétale y est féroce.

Rien n’arrive en revanche à ôter aux Polonais ce qui les a toujours rendus attachants : leur résilience, leur débrouillardise, et surtout ce mélange de volonté et de fantaisie qui rend tout possible. Le succès n’est jamais assuré pour de bon. Un échec n’est jamais qu’un contretemps. Et l’humour, qui relativisera l’un comme l’autre, sera toujours au rendez-vous.

Le récit qui suit a été écrit en 2013. La réputation de la Pologne était au firmament, marquée par le succès de 25 ans de rattrapage sur l’Occident, de dix ans d’adhésion à l’Union européenne dont elle était devenue un acteur engagé, respecté et écouté. Au moment de la parution de cette nouvelle édition, domine une image bien différente. Avec le conflit en Ukraine, Varsovie a confirmé son statut de capitale européenne de premier plan, avant-poste de la résistance européenne face à la Russie. Mais la méfiance vis-à-vis de l’étranger, auquel est assimilée l’Union européenne, le ressentiment et la crispation ont, dans une large partie de la société polonaise, pris le pas sur l’optimisme et l’ouverture qui avaient marqué les deux décennies précédentes. C’est le ton imprimé par Jaroslaw Kaczynski et son parti Droit et Justice, allié idéologique du Hongrois Viktor Orban jusqu’à leur divorce sur fond de guerre en Ukraine et de relation à la Russie.

Notre voyage aux détours de « l’âme polonaise » est précisément un slalom entre ces deux facettes et leurs ressorts historiques. Deux faces d’une Janus polonaise, ou deux tendances qui ont cohabité et alterné dans le récit national dominant, depuis bien avant la chute du communisme ? Et si cette Pologne éternellement paradoxale, façonnée aujourd’hui par la guerre idéologique et culturelle en cours, dans ses colorations locales forcément pittoresques, n’était pas une réminiscence du passé ? Et si elle annonçait, en réalité, une tendance structurante de nos sociétés, à l’œuvre dans bien d’autres pays occidentaux ?

Toujours est-il que la Pologne est beaucoup plus ouverte, généreuse et diversifiée que l’image vindicative que lui ont accolée les dirigeants nationalo-conservateurs depuis 2015.

Peut-on ne pas aimer les Polonais ? Ce serait ne pas aimer un pouls qui bat, un muscle qui se tend, et une pensée qui tourbillonne. Vous aimez ce qui a du caractère ? Vous adorerez la Pologne, un pays qui en a.

La noblesse de la terre

Quand on voyage en Pologne, impossible de ne pas les remarquer : les ganki. Qu’ils soient de brique, de bois, voire de béton pour les plus récents, ce sont des petits porches ou portiques appuyés sur deux colonnes, surmontés parfois d’un fronton et accessibles par deux ou trois marches. Les ganki (pluriel de ganek) agrémentent aussi bien la maison paysanne en bois, la somptueuse demeure patricienne que des pavillons dans des lotissements. Le ganek est le clin d’œil, le « mot code », le signe de reconnaissance parfois inconscient, la référence au style architectural qui incarne la polonité : celui du dwór ou, dans sa version plus modeste, du dworek.

Quand un Polonais pense à la maison de ses rêves dans un monde idéal, c’est presque immanquablement l’image du dwór qui lui viendra à l’esprit. Une bâtisse rectangulaire avec un toit pentu pour ne coiffer, souvent, qu’un seul étage de plain-pied. Des fenêtres régulièrement alignées ceinturent les façades, dont l’emblématique porche constitue la boucle. Le dworek rêvé du Polonais s’élève au milieu d’une propriété – elle peut être modeste – ceinturée d’une ligne visible : la clairière d’un bois, ou un simple enclos de ferme.

Le dwór ne prétend pas être un château. Il se contente d’enfermer la quintessence culturelle de la petite noblesse terrienne à laquelle le Polonais, de lignée aristocratique ou non, aime s’identifier.

La noblesse, un esprit plus qu’un état

Tout Polonais ne possède pas son dworek, loin s’en faut. Posséder une « parcelle » de terre est en revanche très répandu. Passer le week-end sur sa parcelle ne signifie pas, comme je l’ai longtemps cru, planter une tente ou dormir dans une vague cabane. La « parcelle » polonaise accueille en général une maison bien plus sophistiquée que les chalets rudimentaires qui faisaient la joie de leurs heureux propriétaires à l’époque communiste. Mais qu’importe le type de construction. Le Polonais évoquera toujours sa « parcelle », sa terre !

Ce culte de la terre se décline, aujourd’hui comme autrefois, en loisirs de plein air. Selon sa région d’origine, chaque Polonais a « son » lac de prédilection, « sa » rivière, « son » coin de montagne, ou encore « son » bois secret où il part cueillir les champignons, un passe-temps national.

Cet attachement à la nature n’est pas propre au Polonais. Mais chez lui, ce trait de caractère est intimement lié à la mythologie de la noblesse terrienne, symbolisée par le maître en son dwór. Une mythologie qui a façonné l’âme polonaise bien au-delà du goût pour les balades champêtres. Vu de l’Occident, il est malaisé de comprendre que la noblesse puisse constituer un univers de référence par-delà les classes sociales actuelles. En Pologne, la kultura szlachecka (culture de la noblesse) est restée un univers de référence. Mythifié, mais universel.

Cela tient certainement, d’abord, à une réalité historique très différente de l’Europe occidentale. À la fin du dix-huitième siècle, la noblesse représentait dans le royaume unifié polono-lituanien quelque 9 % de la population et plus encore au siècle suivant. Un noble sur dix, contre 5 % en Espagne et en Hongrie, 2 % en Angleterre et à peine 1 % en France ! Cette noblesse polonaise n’était pas une caste infime. C’était un groupe social, minoritaire il est vrai, mais significatif. Et la szlachta (noblesse) n’était pas constituée que de grandes familles aristocratiques. La petite noblesse prédominait, constituant un maillage et une domination extrêmement serrés du territoire et de la société.

La plupart des sociétés européennes ont été façonnées par la bourgeoisie urbaine. Les marchands, les commerçants, les hommes de loi ont peu ou prou contribué à forger le modèle économique et culturel dominant. La société polonaise, au contraire, doit beaucoup à la campagne et à la petite noblesse. Le szlachcic (le noble) d’hier luttait pour préserver ses privilèges face aux rois ? Le Polonais d’aujourd’hui n’aime pas qu’on lui dicte ce qu’il fera pousser sur sa terre. En chaque Polonais sommeille ce seigneur, seul maître chez lui…

L’ultime bastion de l’Occident

Cette culture prédominante de la noblesse a produit aussi un concept tout à fait unique à l’influence majeure sur le subconscient national, le sarmatisme. Formulé à la fin du seizième siècle et vivace jusqu’au milieu du dix-huitième, le sarmatisme fut une idéologie aux origines confuses, destinée à justifier le caractère unique et supérieur de la civilisation polonaise en Europe. La noblesse polonaise descendait, selon cette théorie, du peuple antique des Sarmates1 qui lui aurait transmis l’amour inconditionnel de la liberté, la générosité, et le courage au combat.

Le sarmatisme, version polonaise du baroque, contribua énormément à la diffusion en Europe de l’image du noble polonais excentrique, bon vivant, épris de liberté mais querelleur et surtout politiquement irresponsable. À la limite du fanatisme. En magnifiant au dix-septième et au dix-huitième siècles le caractère prétendument unique de la civilisation polonaise, le sarmatisme a aussi beaucoup contribué à ancrer dans l’inconscient national polonais le sentiment d’occuper une place particulière qui s’avérera dans l’histoire peu confortable : entre l’Est et l’Ouest.

La Pologne s’est toujours présentée, sur le flan oriental, comme le dernier bastion de l’Occident chrétien. Les Polonais se sont toujours revendiqués du côté occidental. Et ils souffrent profondément chaque fois que cette appartenance est mise en doute ou, pire encore, ignorée à l’Ouest. Ce syndrome de la périphérie vaut pour un territoire délimité à l’ouest par l’Elbe, au sud par le Danube et à l’est par le Dniepr, comme l’explique dans son livre le sociologue Jan Sowa.

« Cette région est habitée par des sociétés qui ne parviennent pas à définir leur identité de façon autonome, sans se retourner sur un autre, qui serait pour elles un point d’idéalisation, positive ou négative : ‘on veut être comme les Allemands, les Autrichiens, les Italiens, les Français, soit l’Occident’, ou ‘nous ne sommes pas comme les Russes, les Ukrainiens, les Turcs, les Asiatiques, soit l’Orient.’ […] On retrouve évidemment partout la tendance à la concurrence et à la comparaison. Pourtant aucun Allemand n’a jamais pensé si obsessionnellement qu’il voudrait ressembler au Hollandais plutôt qu’au Suisse, et aucun Français ne s’est jamais tant obstiné à prouver qu’il ressemble plus à l’Anglais qu’à l’Espagnol, comme les Polonais ont voulu s’assimiler aux Européens occidentaux plutôt qu’aux Russes, et les Hongrois aux Autrichiens, plutôt qu’aux Roumains2. »

Fiers d’être Polonais

Dire des Polonais qu’ils sont patriotes, ce n’est jamais qu’énoncer une banalité. D’autres nations affichent un patriotisme prononcé. Né de parents qui avaient dû quitter leur pays – et qui avaient fait le choix de ne pas y retourner – j’ai été baigné dans un patriotisme relativement débonnaire, dépourvu du moindre élément de supériorité. Installé en Pologne, j’en ai découvert un autre, beaucoup plus assertif. Une anecdote m’a particulièrement marqué.

En 1997, je vis et travaille à Varsovie. Une décennie ne s’est pas encore écoulée depuis la chute du communisme. Qu’il paraît loin pourtant ce régime disparu et son atmosphère glauque, dans ce pays et cette société qui se sont engouffrés avec enthousiasme sur le chemin de la prospérité et de la liberté ! Mon amie Teresa m’invite à l’accompagner dans un atelier d’éducation citoyenne pour adolescents de seize à dix-huit ans. Activiste, Teresa a aidé, dans les années 1980, les prisonniers politiques du régime communiste. Elle a été ensuite, en 1989–1990, assistante du groupe parlementaire issu du syndicat Solidarność lors de l’accession au pouvoir de ce dernier, transformé en parti politique3