Promenades au pays des hobbits - Jean-Rodolphe Turlin - E-Book

Promenades au pays des hobbits E-Book

Jean-Rodolphe Turlin

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Beschreibung

Quel lecteur du Seigneur des Anneaux n’a pas déjà songé à marcher dans les pas de Bilbon, de Frodon ou de Tom Bombadil sur les chemins de l’aimable pays des Hobbits ?

Souvent traversée et quittée en hâte par des personnages préoccupés par leurs propres quêtes, la Comté de J.R.R. Tolkien (1892-1973) méritait qu’on s’y attarde un peu. Quel lecteur ne s’est pas étonné de l’apparence de réalité qu’offre ce monde rural imaginaire pourtant si familier et si parfaitement cohérent ? En passant par les agréables sentiers de la géographie, de la toponymie, de l’onomastique, à la rencontre de mots exprimés dans des langues historiques ou imaginaires, les Promenades au pays des hobbits offrent au lecteur sept itinéraires à travers la Comté, dans ses villages, ses collines, ses forêts, le long de ses rivières et de ses étangs cernés de joncheraies. Autant de motifs qui se côtoient et se répondent d’un texte à l’autre, de romans en poèmes, en formant les somptueux tableaux campagnards d’un univers secondaire qui évoque fortement une Angleterre rurale chère aux souvenirs de J.R.R. Tolkien, dont on célèbre cette année les 120 ans de sa naissance

Une escapade racontée par Rodolphe Turlin sur les traces de Bilbon et autres Hobbits.

A PROPOS DE L’AUTEUR 

Admirateur de longue date et lecteur attentif de J.R.R. Tolkien et de l’ensemble de son œuvre, Jean-Rodolphe Turlin s’est spécialisé depuis la fin des années quatre-vingt-dix dans l’étude du petit univers des Hobbits auxquels il a consacré plusieurs articles sur internet. Il fait également partie des contributeurs du Dictionnaire Tolkien, publié aux éditions du C.N.R.S

EXTRAIT 

Au hasard d’une promenade champêtre, un vieil orme au feuillage dense surgit devant moi, surplombant le détour du chemin que je m’apprêtais à parcourir. Témoin rare d’un autre temps et survivant de son espèce décimée par la maladie, l’orme centenaire domine l’allée rustique de son houppier royal et presque surnaturel, comme autrefois ses semblables trônaient au coeur de nombreux villages. Ses feuilles bruissent sous un vent à peine perceptible, invitant l’intrus que je suis à apprécier la douce mélodie de la nature. Un couple de racines sort du talus mousseux comme deux accoudoirs d’un confortable fauteuil. Séduit et confiant, je m’installe.

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À Julie et à Pierre

À ce coin de campagne où nous nous promenâmes,

Toi et Moi, un frais matin d’avril…

INTRODUCTION

Au hasard d’une promenade champêtre, un vieil orme au feuillage dense surgit devant moi, surplombant le détour du chemin que je m’apprêtais à parcourir. Témoin rare d’un autre temps et survivant de son espèce décimée par la maladie, l’orme centenaire domine l’allée rustique de son houppier royal et presque surnaturel, comme autrefois ses semblables trônaient au cœur de nombreux villages. Ses feuilles bruissent sous un vent à peine perceptible, invitant l’intrus que je suis à apprécier la douce mélodie de la nature. Un couple de racines sort du talus mousseux comme deux accoudoirs d’un confortable fauteuil. Séduit et confiant, je m’installe.

Le vent léger caresse à présent le paysage tranquille qui s’offre à mon regard. L’endroit est pourtant si proche de la ville et de son agitation. Au creux de l’orme, je surprends mon esprit à se laisser saisir par une irrépressible envie de lire. Dans mon sac se trouve, caché sous quelque ravitaillement, un livre volumineux aux pages écornées et jaunies par de nombreuses lectures attentives : Le Seigneur des Anneaux. Je démarre une vagabonde redécouverte qui me conduit à l’intérieur même du roman, au milieu des mots et des paysages de J.R.R. Tolkien, le célèbre écrivain britannique. Entraîné dans un agréable tourbillon féerique, je me retrouve très vite au cœur du pays des Hobbits, la chaleureuse et riante Comté. Et je déambule entre les lignes de ce livre tout comme lorsque je découvre d’agréables lieux de flâneries qui évoquent pour moi cette contrée imaginaire, son harmonie, sa sérénité ou ses mystères. Reviennent alors mes lointains souvenirs des allées tranquilles du bois de Gadancourt et ses petites carrières de pierre abandonnées dans les halliers au-dessus des champs du Vexin français. Puis s’impose à mon esprit la promenade le long d’un nonchalant bras de Seine à Vaux, au pied d’une envoûtante colline boisée percée de cent tunnels oubliés. Aux bords de Seine succèdent les rives ondoyantes et paisibles du jeune Loir en pays de Combray, qui marquèrent Marcel Proust durant son enfance à Illiers. Puis viennent les douces collines de l’Astarac, cernées de bosquets, de petites rivières et d’étangs discrets et au loin la ligne évanescente des Pyrénées qui se laisse confondre avec le ciel. Je repense enfin aux vertes berges du Thouet baignant la colline paisible de Montreuil-Bellay où se côtoient troglodytes, vieilles pierres et arbres centenaires et sur laquelle le flâneur a la surprise de se retrouver par hasard — mais s’agit-il bien d’un hasard ? — sur un joli chemin appelé Promenade J.R.R. Tolkien…

John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) est né à Bloemfontein, dans l’État libre d’Orange (aujourd’hui en Afrique du Sud). Mais c’est en Angleterre, dans les West Midlands, qu’il a passé les années heureuses de son enfance. Les agréables paysages champêtres et les habitants de cette région rurale marquèrent profondément l’homme et l’écrivain, symbolisant pour lui ce que l’Angleterre avait de meilleur. Ainsi, peut-on généralement reconnaître les West Midlands des souvenirs de Tolkien comme le modèle de la Comté décrite dans Bilbo le Hobbit (1937), Le Seigneur des Anneaux (1954-1955) et Les Aventures de Tom Bombadil (1962). Un modèle aujourd’hui disparu sous les routes goudronnées, le béton des aérodromes, les rails des tramways, les briques des usines et des zones pavillonnaires…

Loin de ces désagréments de la vie moderne, j’erre déjà sur ces chemins que Tolkien découvrit autrefois en laissant ses souvenirs, sa plume imaginative et son amour des mots être ses seuls guides. Pour le lecteur, certaines parties de la Comté sont un peu mieux connues que d’autres, et ceci grâce aux aventures dont elles sont le cadre (Cul-de-Sac, Lézeau, Creux de Crique… pour Le Seigneur des Anneaux ; le sud du Pays de Bouc pour Les Aventures de Tom Bombadil). Mais la Comté ne se limite pas à ces seuls endroits. Qu’en est-il d’Oatbarton, de Grand’Cave sur les Hauts Blancs, de Gamwich ou de Longoulet ? Ces lieux se ressemblent-ils tous ? Tolkien les a-t-il imaginés comme étant des copies conformes des paysages idylliques de son enfance à Sarehole, au sud de Birmingham, ou à Rednal, dans les confins du Worcestershire, à l’époque du jubilé de Diamant de la Reine Victoria, comme il se plaisait à l’écrire dans certaines de ses correspondances ? Ou bien a-t-il simplement puisé son inspiration dans les toponymes ruraux des plateaux verdoyants des Cotswolds, ou dans ceux de l’Oxforshire ou du Berkshire, régions qu’il côtoya dans sa vie d’adulte ? Quelles pistes étymologiques cet admirable linguiste a-t-il laissé dans le texte et les cartes de son roman pour nous permettre de mieux visualiser les paysages ?

Ces pistes, votre serviteur s’est attaché à les suivre dès 2002 en publiant les premières Promenades à travers la Comté, telles qu’elles s’appelaient alors, sur le site internet J.R.R.VF de Cédric Fockeu. Ces versions furent écrites avec la maladresse propre à l’enthousiasme des premières découvertes et avec le très orgueilleux sentiment d’être un possible pionnier en la matière en France. La publication ou la réédition d’ouvrages en anglais abordant sous un angle plus expert les indices laissés par Tolkien, tels The Road to Middle-earth de Thomas Alan Shippey en 2003, The Lord of the Rings : A Reader’s Companion de Wayne G. Hammond et Christina Scull en 2005, ou A Tolkienian Mathomium, de Mark. T. Hooker en 2006, ont apporté un éclairage nouveau sur ces sujets. De même les travaux, disponibles sur internet, de Dominique Vigot et de ses collaborateurs sur une proposition de correction de l’adaptation en français du Seigneur des Anneaux, ou de Stéphanie Loubechine et de Damien Bador sur des alternatives de traduction autour du recueil Les Aventures de Tom Bombadil, ont enrichi ma démarche et mes modestes réflexions sur l’aimable manipulation des toponymes anglais par J.R.R. Tolkien et sur l’exploration des parties méconnues du petit monde des Hobbits.

Car outre la célèbre carte A part of the Shire dessinée en 1954 pour Le Seigneur des Anneaux par Christopher Tolkien, le fils de l’écrivain, il existe peu de cartes détaillées ou d’atlas de la Comté. Ainsi, au milieu de l’abondante littérature inspirée par l’œuvre de Tolkien au cours de ce dernier demi-siècle, on ne pourrait citer que le très bon ouvrage de Karen W. Fonstad, The Atlas of Middle-earth, qui traite comme l’indique son titre de la géographie de l’ensemble de la Terre du Milieu de Tolkien, et Les Voyages de Frodon, l’Atlas du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien par Barbara Strachey qui retrace dans cet ouvrage, publié pour la première fois en Angleterre en 1981, le périple des héros du Seigneur des Anneaux.

À côté de la carte réalisée par son fils, J.R.R. Tolkien reconnaissait, dans une lettre adressée à Dick Plotz en septembre 1965, en avoir dessiné une lui-même qui comportait davantage de toponymes que la célèbre carte publiée dans Le Seigneur des Anneaux. Cette carte servit de base à une grande carte complète de la Comté, établie par Christopher Tolkien en 1943, mais ni l’une ni l’autre n’ont fait à ce jour l’objet d’une publication.

En fin de compte, les rares cartes publiées restent assez peu précises, quand elles ne sont pas, en particulier dans les reproductions en français, parsemées d’erreurs.

La qualité de la traduction de l’œuvre de J.R.R. Tolkien en français a en effet longtemps varié selon les textes et selon les éditions. Avec le recul on peut constater parfois un véritable décalage par rapport à la richesse et la profondeur de l’écriture de l’auteur britannique. Outre certains contresens, il arrive que certains noms de mêmes lieux ou de mêmes personnages soient différents d’une traduction à l’autre, voire au cœur d’un même livre, ce qui a pour net inconvénient de dérouter le lecteur francophone.

Mais d’une manière générale ces traductions « historiques » ont le grand mérite d’exister et ont donné à plusieurs générations de lecteurs non-anglophones l’occasion d’accéder à la féerie de la Terre du Milieu sans forcément la trahir.

Les plus récentes traductions des ouvrages de J.R.R. Tolkien sous la conduite de Vincent Ferré ont pour but de corriger les disparités et d’apporter une cohérence et une qualité de lecture qui à terme ouvriront un peu plus largement au lectorat francophone les portes du vaste monde décrit dans les pages du Seigneur des Anneaux.

Il n’en reste pas moins que pour l’étude en profondeur des romans et des essais de Tolkien, il conviendra toujours de s’imprégner des textes originaux et de se souvenir que cette œuvre extraordinaire, pour reprendre une formule de l’écrivain, « est anglaise, écrite par un Anglais ».

Mais pour l’heure, je ne vous convie pas à une étude. Il s’agit de simples errances au cœur du pays de Bilbon et Frodon, en suivant le chemin des pages et des mots. Et si vous le voulez bien, je serai votre guide. Je tenterai à l’aide de toutes sortes d’indices de compléter modestement les pièces manquantes du délicieux puzzle qu’est la Comté. Je me risquerai à mettre en lumière les jeux des mots et des toponymes anciens et moins anciens, typiques de l’Angleterre rurale et dont le sens nous est peut-être encore connu (pour peu qu’on y regarde de plus près) pour laisser J.R.R. Tolkien nous entraîner avec plus de facilité dans le petit monde des Hobbits, tellement anglais et tellement féerique, et rendre vraisemblable d’insolites rencontres avec des compagnies errantes d’Elfes ou de Nains.

Dans le présent ouvrage, j’utiliserai pour plus de commodité, de lisibilité et d’accessibilité, la traduction française de la toponymie de la Comté par Francis Ledoux. Le nom sera suivi par le terme anglais original entre parenthèses. Il en sera de même pour les nombreux patronymes, y compris pour ceux dont l’adaptation en français est l’objet de débats. À d’autres occasions, en particulier celles concernant les lieux évoqués dans Les Aventures de Tom Bombadil, certaines des traductions proposées seront celles de Dashiell Hedayat ou de Céline Leroy. Dans tous les cas, les travaux d’autres traducteurs pourront éclairer au passage notre déambulation.

Pas question ici d’avoir l’audace de se substituer à J.R.R. Tolkien et de prétendre apporter des réponses définitives aux zones d’ombres que le formidable auteur du Seigneur des Anneaux a pu laisser de-ci de-là. Aussi est-il évident qu’au long de ces Promenades, rien de ce que je pourrai proposer — en dehors de ce qui est avéré dans les écrits de J.R.R. Tolkien — ne sera gravé dans le marbre. Chacun aura alors le soin et la liberté d’y voir autre chose s’il lui plaît de le voir. Et ces visions, aussi différentes soient-elles, reconstitueront toujours des bouts de la Comté, comme autant de feuilles dissemblables et pourtant si semblables qui sont des parties du vieil orme au-dessus du chemin.

Dictionnaires et livres de Tolkien en poche, ces Promenades, réunies pour la première fois en un seul volume, nous mèneront tout d’abord à travers les chemins humides du Maresque. Nous flânerons ensuite du côté des collines qui dominent le bourg de Scary. Puis nos pas nous mèneront le long des rives de l’Eau jusqu’aux Hauts Blancs. Nous continuerons vers le Quartier Sud, puis à l’opposé vers le Quartier Nord. Le Pays de Bouc et l’étrange Vieille Forêt qui bordent les frontières orientales de la Comté seront les étapes ultimes de notre longue escapade au cours de laquelle nous garderons en mémoire, bien que lecteurs dans la langue de Molière, la volonté de Tolkien d’imprimer à ce pays les marques de la campagne anglaise qu’il a bien connue.

NOTES SUR LES ABRÉVIATIONS

La fréquence des références aux œuvres de J.R.R. Tolkien dans les notes de bas de page des Promenades implique le recours à un certain nombre d’abréviations. Celles-ci se veulent les plus claires et les plus lisibles possibles.

Les éditions utilisées ne sont certes pas les plus récentes, mais elles sont celles qui m’accompagnent depuis de nombreuses années et pour lesquelles je cultive un certain attachement.

Le Hobbit : Bilbo le Hobbit, traduction par Francis LEDOUX, Paris, Livre de Poche, 1993 (Hachette, 1980) ;

Lord : The Lord of the Rings, Londres, BCA, 1991 (HarperCollins Publishers, 1991) ;

La Communauté de l’Anneau : Le Seigneur des Anneaux, tome I : La Communauté de l’Anneau, traduction par Francis LEDOUX, Paris, Presses Pocket, 1986 (Christian Bourgois Éditeur, 1972) ;

Les Deux Tours : Le Seigneur des Anneaux, tome II : Les Deux Tours, traduction par Francis LEDOUX, Paris, Presses Pocket, 1986 (Christian Bourgois Éditeur, 1972) ;

Le Retour du Roi : Le Seigneur des Anneaux, tome III : Le Retour du Roi, traduction par Francis LEDOUX, Paris, Presses Pocket, 1986 (Christian Bourgois Éditeur, 1972) ;

Appendice A, B, C, D ou F : Le Seigneur des Anneaux : Appendices et index, traduction par Tina JOLAS et Alain LEFÈVRE, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1986 ;

TB : Les Aventures de Tom Bombadil, traduction par Dashiell HEDAYAT et Céline LEROY, dans Faërie et autres Textes (dir. Vincent FERRÉ), Paris, Christian Bourgois éditeur, 2003 ;

CLI3 : Contes et Légendes inachevés, Le Troisième Age, édité par Christopher TOLKIEN, traduction par Tina JOLAS, Paris, Presse-pocket, 1988 (Christian Bourgois éditeur, 1982) ;

Return of the Shadow : The History of Middle-earth, vol. VI : The Return of the Shadow, édité par Christopher TOLKIEN, Boston, Houghton Mifflin Company, 1988 ;

Treason of Isengard : The History of Middle-earth, vol. VII : The Treason of isengard, édité par Christopher TOLKIEN, Londres, Unwin Hyman, 1989 ;

Sauron Defeated : The History of Middle-earth, vol. IX : Sauron Defeated, édité par Christopher TOLKIEN, Londres, HarperCollins Publishers, 1992 ;

Peoples of Middle-earth : The History of Middle-earth, vol. XII : Peoples of Middle-earth, édité par Christopher TOLKIEN, Londres, HarperCollins Publishers, 1996 ;

L : Lettres, sous la direction de Humphrey CARPENTER et Christopher TOLKIEN, traduction par Delphine MARTIN et Vincent FERRÉ, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2005.

Dans la mesure du possible, les notes renvoient aux pages des éditions référencées ci-dessus mais aussi à des citations précises. Toutefois, en ce qui concerne Le Seigneur des Anneaux, le lecteur trouvera également un renvoi aux livres et aux chapitres qui composent cette œuvre majeure de J.R.R. Tolkien. Ainsi, chaque passage et chaque citation auxquels il sera fait référence pourront être retrouvés, quelle que soit l’édition en français ou en anglais. Dans le même esprit, l’abréviation L des Lettres sera suivie de la page de l’édition française et du numéro de la correspondance évoquée.

Bien entendu, les règles ci-dessus bénéficieront de quelques exceptions qui se laisseront découvrir le moment voulu, au détour d’un sentier de lecture.

À PROPOS DES CARTES

J.R.R. Tolkien considérait comme essentielles les cartes qui accompagnaient ses romans. Au travers de différentes allusions dans ses essais ou ses correspondances, on comprend qu’il envisageait les cartes comme un outil permettant au lecteur de rentrer plus facilement dans l’univers secondaire qui forme l’écrin du récit. Dans une de ses correspondances à son éditeur Allen & Unwin, en octobre 1953, il précisait que les cartes du Seigneur des Anneaux devaient être « attrayantes » et constituer « plus qu’un simple guide de ce qui est dit dans le texte ».

C’est ce même principe qui m’invite à modestement proposer une carte d’ensemble de la Comté et sept cartes locales représentant les parcours des Promenades, afin de rendre plus aisé le suivi de nos errances et faciliter au lecteur un peu de repérage géographique. J’ai choisi d’y conserver les toponymes anglais originaux de la carte de la Comté par Christopher Tolkien, complétés par ceux évoqués dans les textes de son père. Bien entendu, tous les noms des lieux géographiques inscrits dans les cartes pourront être facilement retrouvés (dans leur version originale, comme dans leur adaptation en français) dans nos Promenades, mais aussi grâce à l’index en fin d’ouvrage.

Le choix du style de la carte d’ensemble s’est porté sur une imitation très perfectible des cartes anglaises du XVIIIe siècle, à mi-chemin entre John Seller (1630-1697) et Thomas Kitchin (1719-1784) à qui j’ai emprunté quelques motifs. Je me suis permis d’ajouter un discret hommage à la talentueuse Pauline Baynes (1922-2008).

Les sept cartes régionales, dessinées avec des angles de plongée et des orientations variées, complétées par de légères extrapolations, ont plutôt puisé leur inspiration à la fois dans une respectueuse parodie des cartes de Guillaume Delisle (1675-1726) et dans celles dites de Cassini (1ère édition de 1779).

Du fait des inclinaisons des cartes régionales, seule la carte d’ensemble présente une échelle (en miles).

Quoi qu’il en soit, on ne saura jamais assez insister sur le fait que la seule et unique carte de référence pour le promeneur restera bien évidemment celle de Christopher Tolkien, disponible dans toutes les bonnes éditions en anglais du Seigneur des Anneaux.

LÉGENDES DES CARTES

• CARTE GÉNÉRALE DE LA COMTÉ •

• PREMIÈRE PROMENADE •

LES CHEMINS DU MARESQUE

Pour notre première promenade dans la Comté (the Shire, dans la version originale), le ciel est chargé de nuages. Le temps ne semble cependant pas vouloir tourner à la pluie. C’est une matinée idéale pour une plaisante randonnée sur les chemins du Maresque (the Marish), cette riche contrée du Quartier de l’Est. Il conviendra cependant de faire attention aux flaques d’eau et aux ornières boueuses, car le Maresque est un pays humide. Nous prenons soin d’emporter nos bottes de Nains1 qui pourraient se révéler fort utiles.

Joyeuse compagnie de Hobbits aimant les randonnées, nous partons de la Grande Route de l’Est (The Great East Road) en direction du sud, par une voie que les gens du pays appellent certainement le Chemin de Stock. Ce chemin est régulièrement fréquenté par les voyageurs et les marchandises. Il est longé par des fossés et, tout comme la Grande Route, c’est un itinéraire probablement pavé. La chaussée sur laquelle il file se trouve sur un épais remblai2 qui domine la campagne avoisinante. Le paysage autour du chemin est verdoyant, policé et aéré. Les champs cultivés occupent la majeure partie de la surface depuis la rivière sur notre gauche jusqu’à la ligne d’horizon sur notre droite, vers l’ouest. Parfois dépassent une grange ou une petite fermette perdue à laquelle on accède par un chemin secondaire bordé de courtes haies.

Cette région aux paysages ordonnés qui se prolonge jusqu’au pays du Val (the Yale)3 aurait pu être selon J.R.R. Tolkien, et d’après les premiers brouillons de ce qui allait devenir Le Seigneur des Anneaux, la patrie de la famille Bophin (Boffin)4. C’est un pays heureux, aimable et riant, et dans un de ses ouvrages consacrés à Tolkien, Edouard Kloczko nous rappelle que le nom hobbitais original de Bophîn pourrait signifier « qui rit à gorge déployée »5. Mark T. Hooker, de son côté, suggère que ce nom pourrait être rapproché du gallois baugh « petit, court »6, un qualificatif justifié par la petite taille des Hobbits.

Les bords de la rivière Brandevin (Brandywine) qui se trouvent sur notre gauche à quelques furlongs à peine de la route, c’est-à-dire à quelques centaines de mètres, sont recouverts d’une herbe grasse et de bouquets de roseaux. Des bosquets plantés de vergnes, d’aulnes et de saules, agrémentent ce paysage tranquille, à peine dérangé par le clapotis des poissons jouant dans les eaux de la rivière, ou par le déplacement d’oiseaux aquatiques. En face, sur l’autre rive, un talus élevé sort des eaux et domine la rivière. C’est le Pays de Bouc (Buckland), que nous aurons l’occasion de découvrir un peu plus tard.

Nous arrivons en vue de Stock, un bourg imposant et sans doute un des plus importants de la Comté. Ici, le terrain est plat et la terre est lourde. On ne trouve pas de smials creusés dans la terre, les demeures typiques des Hobbits, comme dans d’autres régions de la Comté, mais plutôt des habitations en bois, en briques, parfois en pierre7.

L’étymologie du nom Stock permet de relever plusieurs indices qui vont nous permettre de décrire un peu mieux ce bourg. En anglais stock signifie « réserve, remise », ce mot vient du vieil anglais stocc signifiant « rondin, bûche, billot » voire « arbre ». Le mot allemand stock signifie également, entre autres, « bâton » et suggère un étymon germanique commun lié au travail du bois. Le village aurait alors probablement pu être à l’origine une communauté de bûcherons, de mérandiers, de charpentiers et autres menuisiers. Peut-être une remise boisée se trouve-t-elle encore dans les proches environs du bourg ? À quelques milles vers l’ouest, l’ombre verte de la forêt du Bout des Bois (Woody End) et le village de Castelbois (Woodhall) pourraient rappeler la connivence entre le bourg et les métiers du bois8. Un peu à l’est de Castelbois se trouve également un bois de grands chênes, d’ormes et de frênes9. Mark T. Hooker rappelle que le toponyme Stock, très répandu en Angleterre, peut évoquer souvent la présence d’anciens arbres sacrés10. Mais sans aller aussi loin, soulignons au passage que le vieil anglais stoc, autre étymologie possible du nom de ce bourg, signifie simplement « hameau, habitation »11.

À Stock se trouve aussi la célèbre auberge du Perchoir Doré (the Golden Perch) dont le nom original, si on se fie à la traduction de Francis Ledoux, pourrait évoquer lui aussi le bois domestiqué (en anglais, perch signifie « perchoir », mais aussi « perche, gaule »). Cependant, J.R.R. Tolkien précise lui-même dans un texte consacré aux problèmes de traductions du Seigneur des Anneaux que le mot perch, parfait homonyme du précédent, désigne en fait un poisson d’eau douce12 dont le nom dérive du latin perça. Cette explication aidant, le sens du nom de l’auberge s’en trouve ainsi quelque peu modifié.

Arrêtons-nous quelques instants dans ce célèbre établissement qui semble être fort apprécié des pêcheurs des environs et goûtons la fameuse bière dont Pippin Touque nous disait qu’elle est la meilleure du Quartier de l’Est13. Sans doute y rencontrerons-nous le père Barbotteux (Puddifoot, de puddle « flaque » et de foot « pied ») une figure du pays qui a toujours de bonnes histoires à raconter. Peut-être nous parlera-t-il du mémorable hiver de 1311 et des impressionnantes inondations de l’année suivante dont l’histoire a marqué sa tendre jeunesse14, ou bien évoquera-t-il les parties de pêche sur les bords du ruisseau de Stock qui coule au cœur du Maresque15 et qui file à la sortie du bourg pour se jeter tranquillement au milieu des joncs et des remous poissonneux dans le Brandevin16. Bref, autant d’histoires dans lesquelles on finit toujours les pieds dans l’eau…

Une fois repus par une bonne collation parfaitement arrosée (c’est vrai qu’elle est bonne cette bière !), nous pouvons reprendre notre promenade vers le sud.

Après Stock, nous entrons dans le Maresque proprement dit. C’est là l’occasion de présenter quelques remarques étymologiques qui vont nous permettre de mieux comprendre la nature du pays que nous allons traverser.

Le nom Marish choisi par J.R.R. Tolkien pour désigner le pays est un mot dialectal synonyme de marsh qui veut dire « marais » en anglais. Tous deux viennent du moyen anglais mareis. Ce mot d’origine germanique est un cousin du mot francique marisk, qui a donné le mot dialectal normand maresc, qui a inspiré à Ledoux le nom Maresque. Tous signifient « marais, marécage ».

Nous voilà donc dans un pays de basses terres humides. De nombreux autres indices laissés par Tolkien dans la toponymie locale vont nous permettre de le confirmer.

Quoi qu’il en soit, l’opiniâtre peuple des Hobbits du Maresque a su domestiquer cette terre, drainer les zones inondées et cultiver les terres ainsi rendues propres à diverses activités agricoles.

Au sud de Stock nous pouvons ainsi rencontrer quelques domaines fermiers dirigés par de fortes personnalités locales dont la plus célèbre est sans conteste le père Maggotte (Farmer Maggot). On pourrait se demander quel étrange jeu de mot est passé dans la tête de Tolkien pour baptiser son personnage — pourtant vraisemblablement important17 si on en croit Merry Brandebouc et Tom Bombadil18 — d’un nom si réducteur (maggot signifie en effet « asticot » en anglais) ? Tolkien a-t-il songé à établir ici un rapport avec l’activité des pêcheurs de Stock dont l’asticot est l’auxiliaire favori ? Mais peut-être faut-il songer que ce nom, d’un point de vue hobbit, a simplement perdu depuis longtemps sa signification réelle19.

Le père Maggotte possède la ferme de la Haricotière (Bamfurlong). L’origine du nom Bamfurlong est une sorte d’énigme philologique que nous pouvons tenter de résoudre. La seconde partie du mot ne présente pas de difficulté particulière : un furlong est une mesure de distance correspondant à 201,16 de nos mètres. Il vient du moyen anglais furlang « longueur » qui était lui-même issu de furrow « sillon, ligne » et de lang « longueur ».

La première partie du mot est plus délicate, bam ne signifiant à première vue pas grand-chose en anglais. Faut-il la rattacher à une forme dialectale et ancienne de bean « haricot », comme le suggère J.R.R. Tolkien lui-même20? Ou bien peut-on s’autoriser à aller chercher plus loin l’origine de ce bout de mot ? Nous savons que l’écrivain maîtrisait des éléments de gotique21, et dans cette langue autrefois parlée par les Wisigoths et les Ostrogoths, il existait le mot bagms qui voulait dire « poutre, potence ». Le mot anglais beam « faisceau, poutre » évoque un lointain cousinage avec ce mot gotique et une homophonie lointaine avec le mot bam. Pourrions-nous en déduire un lien fragile entre le nom de Bamfurlong et les puissantes poutres sur lesquelles les anciens installaient la charpente des toits de leurs fermes ? Devrait-on aussi y voir une connivence avec l’idée que Stock aurait pu être un village de charpentiers ?

Ces interrogations nous ramènent à ce qu’évoquait J.R.R. Tolkien dans une lettre à Dick Plotz22 en 1965 : « Les noms propres […] sont en réalité conçus d’après le style, les origines et le mode de formation des toponymes anglais (en particulier dans les Midlands) ». Elles nous rappellent qu’il convient aussi de se garder des « théories et fantasmes relatifs aux significations cachées […] sans valeur pour élucider ou interpréter [la] fiction » pour reprendre ce que soulignait l’écrivain dans le brouillon d’une lettre en 196723.

La part de mystère que comportent parfois les origines des noms de lieux tel Bamfurlong, toponyme devenu obscur car issu d’un passé linguistique dont la compréhension se perd dans les formes modernes du langage, laisse de fait le lecteur, et en particulier le lecteur francophone, plein d’interrogations. Mais qu’il évoque des rangées de haricots ou des longueurs de charpente, le nom immotivé garde autant de charme à laisser le lecteur dans le doute qu’à le flatter en se laissant percer à jour après une fiévreuse prospection, à condition de ne pas s’égarer en spéculations abusives. À l’inverse, la méthode déclinée avec humour par Thomas Alan Shippey qui consiste à relever en cinq minutes les toponymes anglais correspondants à ceux de la Comté dans des dictionnaires spécialisés24 reviendrait à briser ce charme et à fermer au lecteur les portes entrouvertes de la féerie.

Nous pourrions en effet simplement noter que le toponyme Bamfurlong, est attesté dans les West Midlands (c’est un village près de Gloucester), mais nous préférerons imaginer que Tolkien a longuement réfléchi aux différents sens possibles de ce nom et qu’il n’a décidé de l’associer définitivement à la ferme des Maggotte qu’à l’occasion de la réédition du Seigneur des Anneaux en 196625.

La propriété du père Maggotte semble assez vaste. Ses champs sont séparés par des haies basses et des barrières entre lesquelles passent des chemins de terre et sont alimentés en eau par des fossés d’irrigation. Le fermier cultive divers légumes, dont des navets26 et très probablement ces fameux haricots, certainement accompagnés de mongettes et de fèves, mais aussi des céréales, comme l’orge (pour la bière qu’il brasse lui-même) ou le blé (pour le pain). On peut trouver aussi, selon les saisons, des cultures diverses allant du houblon (pour la saveur de la bière, encore) aux fameux champignons dont le jeune Frodon Sacquet (Frodo Baggins) était autrefois un grand amateur… Le père Maggotte possède certainement quelques bêtes, des poneys, des canards27, mais aussi des porcs, puisque sa femme prépare parfois pour les invités une délicieuse recette aux lardons et aux champignons28. De nombreuses personnes travaillent à la ferme, en plus des propres filles et fils de Maggotte. Ce qui indique que l’exploitation est importante et ajoute à l’impression de vaste propriété que nous avons déjà soulignée.

Cependant, il y a probablement d’autres fermes de cette taille, et le paysage du sud de Stock pourrait ainsi être émaillé de bâtiments isolés en briques et aux toits de chaume, accompagnés de granges et de hangars en bois, et souvent entourés d’une palissade ou d’un mur épais29. Après tout, nous ne sommes pas si loin des marches orientales de la Comté et de la mystérieuse Vieille Forêt. En plissant les yeux et en regardant attentivement au-dessus des champs, des marais et de la rivière vers le sud-est, on peut en effet presque apercevoir les sinistres brouillards qui s’échappent de ses lugubres frondaisons… Et c’est pour cette raison que les fermiers du coin, s’entourent de bons gros chiens aux noms évocateurs, comme Etau (Grip), Croc (Fang) et Loup (Wolf) chez le père Maggotte.

Nous resterons donc bien sur le chemin et nous ne nous aventurerons pas plus loin sur les allées privées pour éviter de se faire vilainement tancer par de rageurs aboiements, voire pire… Les chiens d’ici sont comme leurs maîtres finalement : ils n’aiment pas beaucoup les curieux et les étrangers30.

Au milieu de ces terres coule la rivière de Stock (Stockbrook). Ce qu’indiquent les cartes traduites en français peut induire en erreur. En effet, brook