Psychostasie - Denis Grienenberger - E-Book

Psychostasie E-Book

Denis Grienenberger

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Beschreibung

Malgré la séparation, Marc et Emmanuelle doivent poursuivre leur mission...

Marc et Emmanuelle sont séparés, contre leur gré, par un Couloir inter-mondes. Quarante années-lumière les éloignent irrémédiablement et, entre eux, un temps qui s’écoule désormais différemment : une vingtaine d’années pour la jeune femme ne représentera, pour Marc, qu’une poignée d’heures…
Sur la planète d’Amon, où siège le conseil de Navigateurs, Marc et Ihem ont la mission cruciale de défendre l’usage des Portes des mondes sur Terre. Marc, sous le choc de la perte brutale de la femme qu’il adore, ne sait pas comment faire son deuil. Une étrange cérémonie le plonge dans une régression hypnotique, grâce à laquelle il revit certains épisodes de sa vie passée, ajoutant encore à sa confusion. Mais cette expérience lui révèle d’incroyables réminiscences et facultés.
Sur Terre, Durieux poursuit sa traque de toute personne susceptible de détenir le savoir des Portes des mondes. En plaçant sous surveillance l’inspecteur Schaffner, il parvient à localiser puis à enlever Sarah, la nièce d’Emmanuelle. La jeune femme n’est pas de taille à affronter un mafieux multimillionnaire et n’a d’autre choix, pour retrouver sa nièce, que de prendre contact avec Suliac, alias la Mâchoire. Ensemble, ils remontent le fil du temps et assistent, impuissants, à la disparition de la petite Sarah à travers une Porte des mondes.
Où la fillette s’est-elle téléportée ? Et comment la retrouver ? À quarante années-lumière de là, Marc, au seuil de la folie, trouvera-t-il les arguments justes pour convaincre le Conseil inter-mondes ? Réussira-t-il, avec l’aide d’Ihem, à les sortir de cette impasse ?

Retrouvez l'univers multiple, entre thriller, science-fiction et histoire, d'Au-delà de l'illusion dans ce quatrième opus !

EXTRAIT

Les yeux noyés de larmes, Emmanuelle avait observé l’accroissement de la luminosité autour de Marc et d’Ihem. Le déchirement était trop fort pour qu’elle assiste jusqu’au bout au processus de leur disparition.
Alors qu’il quittait la pièce souterraine par l’étroit couloir, la puissante lumière dans son dos projetait son ombre, très nettement découpée sur le sol. Mais à mesure qu’elle avançait, la lumière décrut, puis disparut soudainement. Le grondement sonore qui avait débuté par un bruit souterrain, immense, diminua pour ne former plus qu’un bourdonnement.
À présent, dans un silence absolu, elle s’était immobilisée, le temps pour ses yeux de se réhabituer à l’obscurité. Heureusement, deux torches placées plus haut, à l’entrée de la vaste salle, qui avaient été accrochées au mur, étaient encore allumées.
Elle n’osait se retourner, et espérait en fait, tout au fond d’elle, entendre la voix de Marc, suite à un éventuel échec du processus, ou le voir revenir par le même tour de passe-passe qu’ils avaient tant de fois expérimenté avec leurs plans hors du temps, où le témoin ne pouvait pas déceler de décalage entre le départ et l’arrivée d’une personne.
Mais cet espoir était futile : tous avaient clairement mis en avant les limites du voyage hors du système solaire.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire d’un petit village d’Alsace, Denis Grienenberger, informaticien pour le compte d’un grand groupe pharmaceutique suisse, est fasciné par les mondes parallèles. Ce passionné de technologie, de musique et de sports de plein air, continue dans sa lancée avec le quatrième volet des aventures de Marc et Emmanuelle. Plongez avec eux dans un univers où se mêlent enquête policière (pour public averti !), histoire contemporaine, nouvelles technologies, spiritualité et surnaturel.

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Présentation de l'auteur

Originaire d’un petit village d’Alsace, Denis Grienenberger, informaticien pour le compte d’un grand groupe pharmaceutique suisse, est fasciné par les mondes parallèles. Ce passionné de technologie, de musique et de sports de plein air, continue dans sa lancée avec le quatrième volet des aventures de Marc et Emmanuelle. Plongez avec eux dans un univers où se mêlent enquête policière (pour public averti !), histoire contemporaine, nouvelles technologies, spiritualité et surnaturel.

www.audeladelillusion.com

Résumé du tome I

Dans le premier tome de la série Au-delà de l’illusion – Les hommes en habit de lumière, moi, Marc, j’avais mis la main sur une découverte fascinante qui allait bouleverser le cours de mon existence. Mes rêves les plus fous devenaient possibles, même si quelques obstacles restreignaient encore l’utilisation des incroyables Portes des mondes. C’est en décembre 2005 qu’un petit livre d’ésotérisme à l’aspect insignifiant attira mon attention dans une librairie. Un soir, je tentai une des expériences décrites, et ma vie bascula ! L’ouvrage permettait de se déplacer d’un point à l’autre, instantanément, sans limite de distance apparente, et sans aucun support technique : quelques gestes et symboles suffisaient à déclencher le processus. Cependant, la seule matière inerte capable de traverser les Portes était la fibre de lin. Je le découvrirai bien plus tard et cela m’évitera d’arriver nu de « l’autre côté ».

Ma route va croiser celle de Michel Suliac, le plus monstrueux tueur en série que la France ait connu dans toute son histoire criminelle. Ce dernier avait découvert un ouvrage similaire dans le grenier d’une vieille ferme des Alpes-de-Haute-Provence. Il en avait tiré la même faculté de se transporter vers n’importe quel point du globe, mais également une arme terrible : la Mâchoire. En effet, il avait réussi à « concentrer » une Porte des mondes active, tendue au bout de sa main ! Celle-ci agit comme un trou noir sur n’importe quelle matière, vivante ou morte, qu’elle engloutit avec une découpe parfaite.

Pendant que Suliac, alias la Mâchoire, défraie la chronique, terrifie et fascine la population avec ses mises à mort sanglantes, je découvre progressivement les propriétés des Portes des mondes. D’autres dimensions me deviennent accessibles.

Je rencontre Emmanuelle avec qui je vais partager mon secret. Nous allons vivre dans nos deux appartements à la fois : à Strasbourg dans le mien et à Ajaccio dans celui d’Emmanuelle, reliés par une Porte des mondes. Cette vie excitante est bouleversée par la rencontre d’un représentant des gardiens du Dharma, nommé Ihem. Il nous met devant le choix de poursuivre notre initiation avec lui ou de renoncer à notre faculté de passe-muraille. Nous acceptons de continuer, enthousiastes.

Nous apprenons par les médias un brutal revirement dans le comportement de la Mâchoire : de tueur et violeur en série de jeunes femmes, il est devenu sauveur d’enfants kidnappés ! Il semble avoir trouvé un sens à sa vie. Mais c’était sans compter sur la convoitise qu’allaient susciter ses pouvoirs. Il devient une cible de choix, se heurtant au monde du crime organisé qui, tout comme les Renseignements généraux, veut à présent mettre la main sur lui, sur son arme et sa capacité à se transporter en n’importe quel point du globe…

Résumé du tome II

Dans le deuxième tome de la série Au-delà de l’illusion – La traque, Emmanuelle et moi, Marc, avons développé un mode de vie que nous auraient envié même les plus riches de la Terre : nous disposons d’une Porte des mondes entre notre appartement de Strasbourg et celui d’Ajaccio. Nous vivons donc indifféremment dans l’une ou l’autre ville. À cela s’ajoute notre capacité à nous déplacer à notre guise vers les nombreuses Portes que nous avons créées lors de nos voyages. Il nous fallait composer avec cette faculté fantastique et être prudents en donnant toujours le change à notre entourage.

Mais notre situation idyllique ne pouvait durer indéfiniment. Nous rencontrons les gardiens du Dharma, par le biais d’Ihem qui prend l’engagement de nous enseigner l’art des Portes des mondes et bien d’autres aspects des plans parallèles à la Terre. En contrepartie, nous nous engageons à servir et à protéger l’ordre des gardiens du Dharma. Nous prêterons serment sans hésiter.

Suliac, le tueur qui avait défrayé la chronique par ses terribles assassinats qui lui valurent le surnom de la Mâchoire, est confronté à une facette profondément enfouie de sa personnalité. Incapable d’éprouver la moindre empathie pour un adulte, il ressent, au contraire, une sensibilité exacerbée lorsque l’on fait du mal à un enfant. Il connaît un soudain revirement de comportement qu’aucun psychologue n’aurait songé à prédire. En apprenant l’enlèvement d’une petite fille, kidnappée pour un réseau de pédophiles, il a l’idée de faire un usage rédempteur de son arme. Il se met en quête des ravisseurs, les extermine, sauve l’enfant, mais croise ainsi le chemin de Durieux, un puissant mafieux de la Côte d’Azur, commanditaire du rapt.

À plusieurs reprises, il fera échouer des enlèvements ordonnés par Durieux. Ce dernier n’aura de cesse de mettre la main sur celui qui a osé le défier sur son terrain ; il dispose de moyens puissants, et mettra tout en œuvre pour capturer Suliac et lui soutirer son savoir. Les traces de déplacements et les impacts de son arme représentent autant d’indices que le mafieux, la police et les Services secrets suivent dans l’espoir de capturer le tueur.

Suliac tombe amoureux de Cécile qu’il avait rencontrée par hasard. Lui qui pensait que sa double identité de tueur-fermier l’empêcherait définitivement d’éprouver des sentiments pour une femme, est profondément épris, au point d’avouer sa face sombre et de chercher à se racheter. Le choc est doublement immense pour Cécile qui découvre, en la personne de son sympathique ermite, le pire tueur que l’histoire ait connu, mais également un passe-muraille dont les capacités défient les lois de la physique.

Le général Duparc, des Services secrets, ainsi que l’inspecteur Schaffner, suivent les faits de Suliac à la trace. Mais la hiérarchie des deux agents de l’Etat semble avoir un intérêt malsain pour le cas de la Mâchoire. Le général Duparc, trop intègre, se fait mettre à l’écart lors d’une tentative de capture du tueur en série, qui se solde par l’extermination de tout un commando du RAID. Suliac disparaît dans la clandestinité.

Cécile se fait enlever par Durieux qui espère ainsi lui soutirer des informations, et également se servir d’elle comme appât. Mal lui en prend : Suliac la libère et massacre les hommes chargés de la garder. Lors de la traque du tueur, Durieux parvient à injecter un mouchard à Suliac, qui devient repérable en moins de deux heures, apparemment en n’importe quel point du globe. Suliac fuit avec Cécile, se terre dans une grotte où il n’est pas détectable. Mais ce n’est qu’un sursis avant qu’il ne se fasse capturer par quelqu’un qui fera un usage désastreux de ses connaissances.

Nous intervenons, Ihem et moi, pour le soustraire au plan terrestre. Il accepte finalement de nous accompagner, Cécile et moi pour nous éviter d’être capturés par Durieux ou les Services secrets.

Résumé du tome III

Dans le troisième tome de la série Au-delà de l’illusion – L’échelle d’Amon-Kardashev, Emmanuelle et moi, Marc, avons subi une terrible traque de la part de Durieux, le mafieux de la Côte d’Azur. Nous avons été confrontés à une série d’enlèvements qui ont tourné, pour la plupart à la tragédie. Parallèlement à la traque de Durieux, nous avons dû nous téléporter à Cuba et au fin fond du Mali, sur les traces d’un secret jusqu’à présent inviolé et transmis depuis des millénaires par l’ordre des gardiens du Dharma.

Lorsque Suliac, le tueur en série surnommé la Mâchoire, est banni par l’ordre des Gardiens à cause des terribles connaissances dont il a abusé, la disparition brutale des voyageurs des Portes s’intensifie : Durieux n’a de cesse d’enlever des personnalités supposées appartenir à cet ordre obscur pour leur soutirer les secrets de la téléportation. Mais ses prisonniers se suicident sous ses yeux d’une bien étrange façon.

Il s’en prend finalement au Dalaï-Lama en personne, le maître de l’ordre des gardiens du Dharma, nous contraignant, Emmanuelle et moi, à demander l’aide de Suliac, exilé depuis des semaines dans un plan hors du temps en compagnie de Cécile.

Le tueur, sans action, déprimant dans sa prison dorée, accepte. Après un long périple semé de rebondissements et d’embûches, nous parvenons enfin à libérer le maître, agonisant. Il meurt peu après, nous laissant un dernier message.

Le mafieux est resté bredouille ; le Dalaï-Lama a emporté ses secrets dans la tombe, insensible aux tortures infligées grâce à l’auto-hypnose. Il a eu juste le temps de nous guider vers ceux qui nous mettront en contact avec des êtres vivant dans un autre monde… dans un autre système solaire.

Durieux, dont les moyens considérables permettent de glaner ses informations même au sein des services secrets, nous repère. Il s’en prend à la famille d’Emmanuelle, tue son grand-père et sa grand-mère, qui, en se suicidant, ampute plusieurs doigts de la main gauche du mafieux. Sarah et sa mère Isabelle, la sœur d’Emmanuelle parviennent à s’enfuir.

Quelques jours plus tard, le monstre sans scrupule s’en prend à ma famille : ma mère, mon père et ma sœur sont assassinés. Nous sommes tous les deux orphelins. Plus rien de nous retient sur Terre. À l’aide de Fua, qui nous hypnotise, nous parvenons à retrouver un semblant d’équilibre.

Une seule Porte, un Couloir inter-mondes est utilisable sur Terre ; ce sont les clefs de cette unique Porte de sortie du globe qui ont été protégées durant des siècles par les gardiens du Dharma. À travers ce couloir unique, Emmanuelle, Ihem et moi, projetons de nous rendre sur la planète d’Amon – notre contact, représentant du Conseil inter-mondes – située à vingt années-lumière, avec les terribles conséquences qu’impliquent les voyages à des vitesses relativistes : un écoulement du temps différent de celui que subissent ceux qui ne se déplacent pas.

Au dernier moment, le Couloir inter-mondes ne fonctionne pas comme prévu : seuls Ihem et moi pouvons l’emprunter ! Emmanuelle reste en 2009, sur Terre, alors que je dois me plier à notre lourde mission : me séparer d’elle et quitter son époque. À mon arrivée sur la planète d’Amon, j’aurai vieilli de quelques heures, et Emmanuelle de vingt ans…

Le but de l’ouvrage est de montrer que la nature n’est pas un « concours fortuit d’atomes », et assigner à l’homme sa place réelle dans le plan de l’univers ; sauver de la dégradation des vérités archaïques qui sont à la base de toutes les religions ; découvrir, jusqu’à un certain point, l’unité fondamentale dont toutes ont jailli ; et finalement montrer que le côté occulte de la Nature n’a jamais été considéré par la Science de la civilisation moderne.

La Doctrine secrète,Helena Petrovna Blavatsky

Un tel travail ne doit pas être introduit avec une simple Préface, mais plutôt avec un volume entier ; un volume qui donnerait des faits, et pas des approximations, puisque La Doctrine secrète n’est pas un traité, ou une série de vagues théories, mais contient tout ce qui peut être donné au monde de ce siècle.

La Doctrine secrète,Helena Petrovna Blavatsky

Une danse exécutée avec perfection peut générer ou détruire un Univers.

Thot

Il est des découvertes scientifiques qui en devancent naturellement d’autres. L’évidence s’impose sur le chemin de la découverte. Les Portes des mondes devancèrent ainsi les voyages supra-luminiques dans toutes les civilisations évoluées.

Extrait des Dialogues avec les Terriens, AmonNagada, 2099 de l’ère terrienne

PrologueDans le Naos, empire du pharaon Sémerkhet, Égypte2965 av. J.-C.

Le faucon s’était posé au bord d’une des petites fenêtres du temple, pour s’abriter de la chaleur écrasante de l’après-midi. Un courant d’air ascendant amenait une odeur d’encens de l’intérieur de l’édifice. Une quinzaine de mètres plus bas, un cortège avançait vers le Naos : le cœur du Temple, le saint des saints. L’oiseau portait une cartouche de cuivre accrochée à la patte.

Il repéra son maître dans le cortège, lança un cri avant de se jeter dans le vide et de planer vers lui. L’homme grand et maigre leva le bras gauche couvert d’un large bracelet de cuir et le rapace se posa sur ce perchoir improvisé. Il se laissa faire, alors que son maître détachait le message qu’il portait à la patte. « Ils sont prêts, nous pouvons les rejoindre », disait le texte méticuleusement tracé sur une fine bandelette de papyrus.

Kem, le jeune initié, qui avait attiré sur lui tous les regards des prêtres de Louxor, avait franchi le dernier cercle quelques heures plus tôt. Il avait surmonté avec succès l’épreuve des trois jours de jeûne, enfermé dans un sarcophage de pierre, subissant la cérémonie « de la petite mort ». Il s’était lui-même plongé dans un état hypnotique, diminuant ainsi son métabolisme pour supporter ces longues heures d’enfermement, sans boire, sans manger, sans pouvoir satisfaire aucun besoin naturel. À présent, il attendait son maître, qui allait l’amener dans la pièce la plus sacrée du Temple. Ceux qui y pénétraient en sortaient définitivement changés.

Le crâne nu, entièrement épilé, sans sourcils, il quitta le groupe de ses frères initiés. Son corps était encore faible, il se déplaçait lentement, l’équilibre lui manquait.

Une silhouette apparut dans l’embrasement de l’ouverture qui menait au temple dans le Temple : le Naos. Cette pièce, dans laquelle résidait la statue du dieu Horus, n’était accessible qu’au Grand Prêtre, le seul humain représentant le dieu vivant, le Pharaon.

— Suis-moi, dit simplement le prêtre.

Kem marqua une hésitation. Le suivre ? Dans le lieu sacré interdit aux profanes ? Mais l’ordre avait été clairement exprimé. Il emboîta le pas à son maître, qui s’agenouilla devant la statue d’Horus placée au centre de la pièce sacrée. Il appliqua les mains sur la base, et le socle glissa, dévoilant une petite ouverture. Kem s’attendait à devoir le suivre, mais le prêtre lui montra une simple échelle de bambous dont seuls les deux barreaux supérieurs étaient visibles dans l’ombre, lui faisant comprendre qu’il devait descendre dans la pièce souterraine.

Une bouffée de chaleur et un air terriblement sec s’élevèrent de l’ouverture. Allait-il subir une nouvelle initiation ? Aurait-il encore une fois à plonger son corps dans un mode ralenti pour survivre ? Kem descendit prudemment la longue échelle ; la minuscule ouverture devint de plus en plus petite. Il progressa précautionneusement, évitant de provoquer un balancement trop important.

Arrivé au bas de la pièce, un frottement grave se fit entendre : l’ouverture fut refermée. Emprisonné ! Une fois de plus ! Mais cette fois-ci dans une pièce très vaste, contrairement au sarcophage de pierre dans lequel il venait de passer trois jours en léthargie.

La situation fut bien plus angoissante que dans le tombeau dont il avait ressenti les parois, semblable à un utérus de pierre, l’enfermant et le protégeant à la fois. Dans cette pièce noire, dont il n’avait pu percevoir les limites, son imagination s’emballa en même temps que son cœur et sa respiration qui s’accélérèrent. Il avait l’impression d’étouffer, alors qu’il avait un vaste espace à sa disposition. Le silence absolu le confronta une fois de plus à son essence. Devait-il tenter d’explorer les lieux ? Il était totalement aveugle. Qu’attendait-on de lui ?

Trop affaibli par ses trois jours de réclusion, il s’assit en tailleur, et calma sa respiration. Alors qu’il était sur le point d’opter pour une nouvelle plongée dans un état léthargique, un léger bourdonnement se fit entendre. Et une lueur, tout d’abord très faible et légèrement bleutée, apparut au loin, lui permettant pour la première fois de prendre conscience des dimensions titanesques du lieu dans lequel il se trouvait. De nombreuses colonnes s’étendaient devant lui. Il se tenait sur une forme d’estrade, qu’il avait atteinte par l’échelle, une dizaine de mètres plus bas que la toute petite ouverture sous la statue, mais la partie la plus vaste du temple s’étendait encore une vingtaine de mètres en contrebas, déployant un volume souterrain totalement inconnu pour lui. La lueur provenait du fond de ce temple.

Il se leva doucement et s’approcha de la bordure de la plate-forme, se félicitant de ne pas avoir cherché à explorer les lieux dans l’obscurité. Une chute de cette hauteur lui aurait été fatale !

Deux escaliers, composés de pierres fichées dans le mur, présentaient à peine plus de prises que des barreaux très éloignés les uns des autres. Il choisit de descendre à reculons, s’agrippant aux marches supérieures de ses mains.

La lueur bleutée devenait plus intense au fur et à mesure qu’il s’en approchait. Il admira la qualité des gravures sur les colonnes qui étaient préservées de la lumière naturelle, sans doute depuis des siècles.

Malgré l’invitation qu’il sentait au fond du temple, il s’arrêta pour observer les gravures de plus près. Les symboles lui étaient familiers, pourtant il eut du mal à les déchiffrer, alors qu’il avait bénéficié de l’initiation des prêtres. En s’approchant d’une colonne, il réalisa que des symboles cunéiformes étaient mêlés à ceux qui lui étaient familiers. Leur emploi semblait suivre des règles différentes… plus anciennes.

Le bourdonnement et la lueur s’intensifièrent, l’arrachant à ses réflexions.

Tout au fond du temple, une nouvelle ouverture se dessinait, une ouverture aux dimensions humaines cette fois-ci. La lumière bleutée s’en échappait bien plus intense. Quelques marches menaient au seuil de cette porte, dans laquelle il s’engagea sans hésiter. Kem se demandait s’il était encore éveillé, ou s’il avait perdu connaissance en descendant l’échelle, et rêvait.

Il pénétra dans un couloir, qui débouchait sur une dernière pièce sans ouverture. Au centre, un cône de la taille d’un enfant, dressé au milieu de la salle, irisait d’une lueur bleue intense. Toute la pièce brillait ; les parois semblaient revêtues d’un métal sombre.

Kem fit encore un pas en avant, et le bourdonnement s’intensifia. À gauche du cône, une silhouette brumeuse apparut soudain, prit de la consistance, et quelques instants plus tard un homme vêtu d’une robe bleue se tenait devant lui. Le vêtement scintillait, comme parcouru d’une multitude d’éclairs minuscules, et le phénomène s’estompa.

L’homme avait la même taille que lui, le teint mat et était entièrement épilé au niveau du visage. Il observait intensément Kem. Ses yeux d’un noir profond semblaient sonder son âme. Mais Kem, qui s’attendait à rencontrer le dieu Seth en personne, fut rassuré par cette apparition humaine.

— Jeune initié, dans ces lieux sont placés les arcanes les plus anciens de notre civilisation. Jures-tu d’en garder le secret, fût-ce au péril de ta vie, ou de ceux qui te sont les plus chers ? Ou alors, fais immédiatement demi-tour.

— Oui, je le jure.

— Bien. Lorsque tu sortiras de ce temple, tu parleras d’un voyage en compagnie des dieux dans l’au-delà ; tu pourras reprendre les éléments de votre enseignement, sans rien ajouter.

Kem était dérouté : ce que cet homme lui demandait, dans les entrailles du Temple, dans le lieu le plus sacré d’Égypte, c’était de mentir à ceux qui l’avaient formé, à ses maîtres.

Se trouvait-il finalement face à Seth malgré tout, sous une forme inattendue, plus innocente ? Comme s’il avait lu ses pensées, l’inconnu, dont l’apparence et l’habit étaient devenus à présent totalement normaux, ajouta :

— Je comprends tes doutes. La raison est toute simple : les secrets que je vais te révéler ne sont destinés qu’à un tout petit groupe dans le dernier cercle d’initiés. Nous allons les rencontrer ensemble. Avant de quitter ces lieux, j’ai encore quelques instructions à te donner. Tout d’abord, permets que je te nomme par ton nom véritable, celui de ton essence profonde. Ton nom est Maïr, et je suis honoré de te rencontrer en ces lieux.

L’homme posa ses deux mains sur les épaules de Kem-Maïr, qui éprouva des frissons d’émotion et de bonheur comme jamais il n’en avait ressentis de sa vie. Maïr, ce nom, c’était le sien, il l’éprouvait au plus profond de lui-même. Il avait l’impression de rencontrer un frère qu’il savait exister quelque part, et qu’il retrouvait enfin après d’interminables années de recherches.

Jamais il n’aurait pensé qu’un simple mot, son nom, sa vibration, son essence profonde, aurait un tel pouvoir sur lui. Mais ses maîtres ne disaient-ils pas que tout était vibration, et que par la vibration tout pouvait être créé ?

Des larmes de bonheur avaient jailli de ses yeux et, malgré la chaleur, il frissonnait. Son nom continuait à résonner en lui comme un écho perpétuel.

L’étranger relâcha la pression sur ses épaules. Il souriait.

— À présent, nous allons quitter ces lieux. Je vais te demander de t’approcher de moi, et de ne plus bouger jusqu’à ce que je t’en donne l’ordre. Nous allons faire un voyage ensemble.

L’homme entoura le jeune initié, qui venait d’apprendre son nom d’esprit, d’une cordelette qu’il déposa à terre en les encerclant tous les deux…

Un vieux guideChâteau de Trakai, LituanieMercredi 20 mai 2009, 5 h 45

La brume couvrait totalement le lac de Galve, dans la région de Trakai en Lituanie. Un froid mordant et inhabituel pesait sur la province depuis plusieurs jours, à un mois de l’été. Les gens étaient confinés dans leurs petites datchas bardées de planches, peintes de couleurs vives. Les bouleaux étaient couverts d’humidité, donnant au paysage, dans la faible lueur matinale, une atmosphère rougeoyante féerique.

Une Range Rover, équipée d’un puissant moteur supercharged, s’engagea sur le petit ponton menant au château de Trakai, l’ancienne capitale de la Lituanie jusqu’au XIVe siècle – avant que le grand-duc Gediminas décide de s’établir à Vilnius, laissant la ville à son fils, le duc de Kestutis, qui entreprit l’édification du château sur une des îles, une forteresse de quatorze tours dont seules cinq subsistaient à présent.

Durieux était à l’arrière du véhicule. Un de ses homologues russes, un chef mafieux, Dmitri Milinkievitch, dont le territoire d’action couvrait une partie de la Lituanie et de la Biélorussie, lui avait donné l’information concernant un maître d’une société secrète travaillant au château de Trakai. Le vieil homme faisait visiter la forteresse aux touristes en été.

Milinkievitch avait été confronté à ce personnage au milieu des années quatre-vingt-dix. Avec la chute de l’Union soviétique fin 1991, les mafias avaient pris leur essor en même temps que le capitalisme. Et le chef mafieux russe avait compris très vite qu’il y avait des organisations plus secrètes qui tiraient les ficelles du pouvoir, des organisations auxquelles il lui serait très utile d’adhérer… Sagement, il avait gravi les premiers échelons jusqu’à rencontrer le vieil homme. Qui avait mis sa convoitise à nu.

La confrontation du vieux sage et de l’impétrant avait été assez brève. Elle avait eu lieu le 30 décembre 1998 ; Milinkievitch avait été invité à se rendre dans une datcha, au bord du lac de Galve. Il n’oublierait jamais cette rencontre, qui laissa en lui un goût amer d’échec, teinté d’angoisse. Une angoisse qui ne l’avait jamais vraiment quitté depuis ces événements.

Le chemin qui menait à la datcha serpentait entre les bouleaux d’une forêt assez dense. Aucune route ne permettait l’accès à la cabane bâtie sur les rives du Lac. Il avait dû laisser sa voiture à un demi-kilomètre au bord du chemin. Milinkievitch était tout sauf peureux ; il avait une réputation de caïd, mais à l’époque, du haut de sa quarantaine, il s’était senti tout de même dans la peau d’un gamin qui avait peur du noir. Cette terrible impression d’être suivi par de nombreux regards sur le chemin de la cabane l’avait harcelé dans ses cauchemars des années après la rencontre.

Lorsqu’il avait aperçu une lueur au fond des bois, le chalet du vieux Maître, il aurait dû se sentir soulagé, mais la sensation de peur n’avait fait que s’accentuer. Tout au long du chemin, il s’était maudit intérieurement de son comportement inhabituel, mais rien n’y faisait : il n’arrivait plus à se contrôler, au point de se demander s’il n’avait pas été drogué à son insu. Lorsqu’il avait posé la main sur la poignée glacée de la porte, il avait dû lutter pour ne pas faire demi-tour ni prendre ses jambes à son cou. Jamais de toute sa vie il n’avait ressenti une telle terreur.

Le vieil homme l’avait attendu dos à la porte dans un fauteuil, devant un feu de cheminée.

Il avait tremblé de tous ses membres, craignant que le Maître ne se levât et se retournât. Il ne lui restait plus qu’une étape à franchir pour arriver au grade ultime de l’organisation. Tout cela fut balayé en un instant… Il avait eu la sensation d’être dans la peau d’une fourmi face à un dragon ! Il avait bien compris que tout n’était qu’imagination, malgré tout, il n’avait plus eu aucun contrôle de lui-même.

Le Maître n’avait pas daigné se lever. Il avait serré les accoudoirs de ses mains, et se tournant très légèrement vers son visiteur, il lui avait juste jeté un mot, un ordre rempli de mépris, claquant comme un coup de fouet en plein visage : « Disparais ! » Cela avait été le déclic pour Dmitri qui, titubant, avait rebroussé chemin, la forêt bruissant sous les assauts d’un vent d’ouest violent, venant de la mer ; il avait eu l’impression de fuir sous les clameurs d’une foule moqueuse. Il avait été rejeté non seulement d’une organisation qu’il convoitait, mais aussi au plus profond de lui-même, en tant qu’imposteur. Des semaines durant, il avait dû lutter contre l’envie de se suicider ! L’ordre de disparaître s’était imprimé en lui comme marqué au fer rouge. C’est au sens propre du terme qu’il avait eu envie de disparaître.

Grâce à la demande de Durieux, il tenait une occasion unique de se venger sans prendre de risques lui-même. Onze ans après, il n’avait pas encore le courage de retourner en personne face au Maître, mais il allait lui envoyer un puissant criminel, réputé dans tout le sud de la France et en Italie. Ce dernier allait être le bras armé de sa vengeance.

Durieux allait de surprise en surprise dans sa quête des téléporteurs ; c’est ainsi qu’il nommait les gardiens du Dharma, n’ayant été confronté qu’à un petit aspect de leurs facultés inhabituelles. Ce qu’il espérait être une formalité dans son quotidien de criminel, allait s’avérer bien plus difficile que prévu. Cela commença alors qu’ils étaient engagés au milieu de la seconde passerelle de bois reliant la première île à la deuxième, sur laquelle se trouvait le château qui commençait à peine à se dessiner dans la brume matinale.

Alors que l’aube ne pointait que très faiblement, son chauffeur poussa un cri et se plia en deux, pilant, allant presque jusqu’à perdre le contrôle du lourd véhicule qui se mit à glisser sur les planches humides. L’ABS émettait ses claquements caractéristiques, mais n’était plus d’un grand secours vu la patinoire sur laquelle ils avançaient.

La voiture rebondit littéralement sur les poutres massives qui bordaient la rampe, telle une boule de billard contre les bandes de la table. Le rétroviseur droit fut brutalement rabattu par un poteau puis le véhicule termina sa lente glissade sans dégâts.

— Putain, mais qu’est-ce qui t’arrive ?

Incapable de répondre, le chauffeur se tenait le ventre, transpirant, pâle comme la mort, tordu de douleur.

— Ahhhh, crampes…

— Prends sa place ! ordonna-t-il au second homme de main qui sortit et fit le tour du véhicule pour se mettre au volant. Au moment d’ouvrir la porte il sursauta, inquiet. Le ponton disparaissait dans la brume devant et derrière la Range Rover au bout de quelques mètres à peine.

Il poussa son acolyte sur le siège passager et se précipita à l’intérieur, claqua violemment la porte et appuya sur le bouton de verrouillage centralisé, visiblement effrayé.

— Qu’est-ce qui te prend ? Toi aussi ? !

— Il y a quelque chose dehors, souffla-t-il, réalisant le ridicule de la situation.

— Quoi ? Tu délires ? T’as entendu quelque chose ?

— Non… c’est juste une impression…

L’angoisse du type était évidente ; pour des hommes de main habitués aux pires exactions c’était étonnant, mais la colère de Durieux l’empêcha de tenir compte de ces signes. Il explosa :

— Une impression, et tu crois que je vais me contenter d’impressions ? On ne voit rien dans cette purée de pois ! Allez, avance, on n’a pas fait des milliers de kilomètres pour s’arrêter à cent mètres de notre but. Je me suis emmerdé pendant deux jours à subir l’hospitalité biélorusse de Dmitri, à voir sa jolie petite famille le jour, ses putes la nuit, sa bande d’amis incultes et ivrognes, juste parce qu’on a fait affaire une fois en Espagne ! Il y a, dans ce château, un type qui a les connaissances que nous cherchons, donc on y va et sans discuter !

L’homme ne se le fit pas répéter : les ordres de Durieux étaient à exécuter, en dépit de quoi c’est sa propre exécution que l’on risquait. Il redémarra prudemment le puissant véhicule. Les 500 CV du V8 étaient à présent un handicap sur ce ponton verglacé. Il devait faire preuve de doigté pour avancer au pas.

Ils arrivèrent sur l’île. Le chemin empierré de galets lisses présentait à peine plus d’adhérence au 4x4 que le pont en bois. Ils passèrent sous l’antique herse qui pointait ses lourdes piques de fer de façon menaçante vers le bas. S’ils l’abaissent, on est pris, pensa Durieux, se maudissant, avec un chauffeur crispé sur ce qui ressemblait à une crise soudaine d’appendicite, et un autre en pleine crise d’angoisse, d’avoir sous-estimé la situation. « Il vit seul dans le château, et sert de guide en été aux touristes, tu n’as rien à craindre », lui avait promis Dmitri. Il espérait de tout cœur que ce fût exact.

Le véhicule s’arrêta dans un soubresaut au milieu de la cour. Le nouveau chauffeur venait de s’évanouir. « C’est pas vrai, il y a un truc qui cloche ici », murmura Durieux entre ses dents. Ses deux hommes de main étaient hors-service, l’un crispé sur son ventre, à moitié agonisant, l’autre totalement inconscient. Il dégaina son pistolet et sortit du véhicule.

Trois faibles ampoules éclairaient la cour à l’intérieur des remparts. Une tour massive et carrée, dont les étages supérieurs disparaissaient dans la brume, se dressait devant lui. Une lampe s’alluma au-dessus d’une lourde porte de bois à la base du donjon, alors qu’il s’en approchait.

Dans les mêmes circonstances, en France, il aurait fait demi-tour pour revenir avec des renforts, mais là, après avoir perdu près de trois jours, il n’avait pas envie de renoncer si près du but.

Il réalisa qu’il n’avait aucun éclairage. Il fit demi-tour vers la voiture, sortit une lourde lampe torche Maglite de la boîte à gants. Elle lui servirait de matraque si nécessaire. L’entrée du donjon était faiblement éclairée, il avança donc prudemment. L’architecture était surprenante. Au centre de la pièce s’élevait une tour dans la tour. Un interminable escalier en colimaçon, habillé d’une structure gothique en grès rouge, telle une dentelle de pierre, s’enfonçait dans la noirceur des étages supérieurs. Des premiers niveaux il vit des passerelles rejoignant des pièces sur le pourtour de la tour. Cet étonnant espace vide au centre de la cour était angoissant, inutilement complexe.

Je vais perdre un temps fou à explorer ce château, se dit Durieux. Mais au même instant, une lumière s’alluma de nombreux étages plus haut, au bout d’une passerelle, dévoilant un invraisemblable enchevêtrement de ponts intermédiaires. On m’a entendu venir, on m’attend.

Lentement, il entreprit d’escalader l’interminable escalier. Il put estimer sa progression à travers les nombreuses ouvertures dans la dentelle de pierre. Une dizaine de minutes plus tard, essoufflé, il arriva au niveau de la passerelle éclairée. Elle était différente des autres : entièrement en verre, avec, pour garde-fous, deux simples filins d’acier. Une surprenante touche de modernisme dans ces lieux ancestraux.

Il fit une pause, reprenant son souffle, exhalant un nuage de buée devant lui à chaque expiration. L’air était glacial. Une lourde pression comprimait ses tempes, un début de migraine… Il n’avait vraiment pas besoin de ça. Il franchit la passerelle. Le souvenir de Luc Skywalker marchant à la rencontre de Dark Vador dans l’Étoile de la mort s’imposa soudain à son esprit. La passerelle de verre, aérienne, tout comme dans le film, devait être la cause de cette réminiscence qu’il balaya, agacé par son manque de concentration.

Un couloir sombre débouchait sur une pièce avec un nouvel escalier, en bois cette fois, où l’air était encore plus froid. Il s’y engagea et une bourrasque le frappa de face. Le château lui soufflait son haleine glacée dans la figure. Au bout d’une quarantaine de marches, il arriva sur une vaste plate-forme surmontée d’un toit pointu à quatre pans. Une masse fascinante de poutres centenaires constituait ce monumental chapeau. Tout autour, un océan de brume, rougi par le soleil qui se levait à l’est. La tour semblait en lévitation au-dessus des nuages.

Soudain, surgie de nulle part, une silhouette se découpa à contre-jour, comme l’aigle qui se met entre le soleil et sa proie, se dit Durieux. Il s’exhorta intérieurement à la prudence. Mais à part se précipiter lâchement vers l’escalier, il n’avait aucune échappatoire. Il ne bougea pas.

— Que cherchez-vous ? dit une voix de basse en Anglais.

La migraine de Durieux s’accentua brutalement, il avait l’impression que la voix de l’homme lui écrasait le crâne, l’empêchant de répondre. La voix poursuivit :

— Tu es fort, mais tu es mauvais… Tu t’es lancé dans une quête destructrice sans savoir à quoi tu t’attaquais. Tu nous retrouveras sur ton chemin, et tu regretteras ce que tu as entamé.

La silhouette disparut dans un claquement et un éclair de lumière, et la migraine de Durieux s’évapora tout aussi soudainement.

Il se surprit à éprouver du soulagement, même si sa proie venait de lui échapper. Il fit le tour de la plate-forme, tout en sentant qu’il était seul. Ses deux hommes montèrent à sa rencontre, affolés, en courant. Leur malaise respectif avait disparu en même temps que leur cible.

« Rentrons, on n’a plus rien à faire ici », lâcha Durieux, à la fois déçu et soulagé. Mais au fond de lui, il réalisa qu’il venait de mettre le doigt sur quelque chose de bien plus important qu’un simple criminel, puisque l’individu disposait d’une arme fantastique et d’une faculté de télépor-tation. Il y avait d’autres forces qui disposaient de pouvoirs similaires et même bien plus puissants. Jusqu’à présent, il pensait avoir affaire à des pacifistes, car leurs suicides sans combat avaient été leurs seuls actes de violence. Mais la neutralisation à distance de ses hommes de main avait été une preuve troublante pour lui qu’il y avait d’autres forces en jeu. Il ne parla plus jusqu’à l’aéroport. Perdu dans ses songes et la certitude de vouloir creuser plus loin.

De l’air !Quelque part hors du système solaire…Mercredi 20 mai 2009, 2010, 2011, 2012…

J’étais complètement sonné. Emmanuelle avait quitté la pièce souterraine d’où nous étions partis vers un monde extraterrestre. Le profil de son visage noyé de larmes était la dernière image que j’emportais en m’éloignant d’elle à la vitesse de la lumière, vers un futur sans retour !

Amon nous avait prévenus que le voyage prendrait plusieurs heures. Plusieurs interminables heures, sans doute les plus longues de ma vie, pendant lesquelles nous n’étions entourés que d’un tourbillon de couleurs insensées, laissant transparaître, comme en filigrane, un fond étoilé figé. Tout le contraire des vertigineux défilements des films de science-fiction.

Ihem était à mes côtés, mais il ne pouvait pas me parler : le son n’existait pas. Mes paroles étaient absorbées à peine les avais-je émises. En essayant de m’exprimer, je sentais le son dans ma tête, un peu comme si nous étions sous l’eau ; rien ne sortait de ma bouche. Nous avions rapidement dû renoncer à communiquer. Ce qui ne fit qu’accentuer mon désespoir d’avoir perdu Emmanuelle. Je ne cessais de ressasser ses derniers propos, l’atroce surprise de la voir m’annoncer qu’elle ne pourrait pas m’accompagner dans ce saut inter-mondes de plus de vingt années-lumière, qui, effectué à la vitesse relativiste, aurait impliqué pour nous un bond dans l’avenir équivalent en durée.

Si jamais nous faisions un voyage retour sur Terre, le temps se sera écoulé de quelques heures pour nous, alors que pour Emmanuelle, quarante années seront passées. Je retrouverais alors une vieille femme, si tant est qu’elle soit encore en vie !

Je lui en voulais, et je l’admirais à la fois, oscillant entre la colère, l’amour et la tristesse la plus profonde. Je comprenais à présent ses sautes d’humeur, sa distance depuis notre retour du Mali. Elle avait su garder ce terrible secret pour elle. Ensuite, les violents événements, l’extermination de nos familles respectives, avaient mis le voyage inter-mondes, et sa limitation à deux personnes, en sommeil.

Je réalisais à présent qu’elle avait pris sa décision de nombreux jours avant que, accompagnés d’Ihem, nous nous enfoncions dans les souterrains de Paris, où se trouvait une pièce étrange aux murs tapissés de métal, dans laquelle nous attendait, d’après les dires de nos frères gardiens des Portes des mondes, la seule Porte permettant de quitter le puits gravitationnel de notre planète. Nous allions nous rendre dans un monde extraterrestre afin de plaider la cause de la Terre auprès d’un conseil de gardiens des mondes ! La situation aurait été incroyablement grisante pour moi, si je n’avais pas été confronté à la mort de mes proches, et finalement à la perte, suite au décalage temporel, de ma bien-aimée.

Dans les moments où j’étais ravagé par l’émotion, Ihem m’adressait tout son soutien par un regard intense et profond. Nous ne pouvions ni nous parler ni nous toucher, comme englués dans un couloir infini de couleurs tourbillonnantes qui nous emportait vers les étoiles.

Notre voyage fut long, bien plus qu’un passage classique par les Portes, et je crois que je perdis plusieurs fois conscience, désorienté par le manque de repères. Le son grave avait rapidement disparu, mais ensuite mes sens furent tiraillés dans de nombreuses directions. Je dois dire que je n’en étais pas mécontent. J’étais si désespéré par la séparation imposée d’avec Emmanuelle, que toute distraction était la bienvenue.

Je venais de vivre un moment atroce. J’étais parfaitement conscient que je ne la reverrais probablement plus, ou alors au mieux d’ici une quarantaine d’années ; elle aurait vieilli et moi non ! Si jamais nous trouvions un moyen de retourner sur Terre.

Après ce qui me parut une éternité, le défilement ralentit. La luminosité s’intensifia progressivement puis diminua d’un coup. Nous étions dans une pièce entièrement grise, où une faible lueur omniprésente semblait diffusée uniformément.

Je fus soudain pris d’une quinte de toux. L’air était piquant et trop léger ! J’étouffais ! Il n’y avait pas assez d’oxygène !

— Assieds-toi, Leton ! m’ordonna Ihem, retenant lui aussi tant bien que mal sa toux. Il faut te calmer, respirer lentement. Nos hôtes ne vont pas nous laisser étouffer.

— Je n’y arrive pas !

Je toussais de plus en plus fort, sans trouver d’air et ma tête tournait déjà… Ihem était assis en tailleur ; il insista d’un geste, m’invitant à m’abaisser, car il était affaibli lui aussi. Néanmoins, il parvenait à maîtriser ses haut-le-cœur. Il avait fermé les yeux et semblait dormir profondément. Je tentais de l’imiter, et en réduisant mon besoin d’oxygène je parvins effectivement à trouver un soupçon de calme.

Désespérante remontéeParisMercredi 20 mai 2009

Les yeux noyés de larmes, Emmanuelle avait observé l’accroissement de la luminosité autour de Marc et d’Ihem. Le déchirement était trop fort pour qu’elle assiste jusqu’au bout au processus de leur disparition.

Alors qu’il quittait la pièce souterraine par l’étroit couloir, la puissante lumière dans son dos projetait son ombre, très nettement découpée sur le sol. Mais à mesure qu’elle avançait, la lumière décrut, puis disparut soudainement. Le grondement sonore qui avait débuté par un bruit souterrain, immense, diminua pour ne former plus qu’un bourdonnement.

À présent, dans un silence absolu, elle s’était immobilisée, le temps pour ses yeux de se réhabituer à l’obscurité. Heureusement, deux torches placées plus haut, à l’entrée de la vaste salle, qui avaient été accrochées au mur, étaient encore allumées.

Elle n’osait se retourner, et espérait en fait, tout au fond d’elle, entendre la voix de Marc, suite à un éventuel échec du processus, ou le voir revenir par le même tour de passe-passe qu’ils avaient tant de fois expérimenté avec leurs plans hors du temps, où le témoin ne pouvait pas déceler de décalage entre le départ et l’arrivée d’une personne.

Mais cet espoir était futile : tous avaient clairement mis en avant les limites du voyage hors du système solaire. Même à la vitesse de la lumière, le périple prendrait plus de vingt ans à Marc et Ihem, alors que ces derniers ne percevraient qu’un voyage durant une dizaine d’heures, tout au plus. Et s’ils revenaient sur Terre par le même moyen, Emmanuelle aurait plus de soixante-dix ans alors que Marc n’aurait pas vieilli ! Cette perspective la terrifiait. Autant considérer sa disparition comme définitive. Elle était pratiquement certaine qu’elle ne souhaiterait plus le rencontrer après tant d’années.

La remontée vers la fontaine Cuvier fut laborieuse. Les restes de torche ne lui donnaient que très peu de lumière, elle eut donc beaucoup de mal à retrouver les signes qu’Ihem leur avait montrés lors de leur descente vers la salle de la Porte. À peine eut-elle le temps de parvenir dans la pièce circulaire à deux niveaux, percée de nombreuses ouvertures, que sa torche s’éteignit… Elle était dans le noir, désorientée, et se souvenait juste de devoir remonter le raide escalier en bois de l’autre côté. Mais plusieurs galeries débouchaient en face d’elle, dans l’axe de celle qu’elle venait de quitter. Elle ne savait absolument plus laquelle ils avaient empruntée en descendant et surtout, ne pas paniquer, se dit-elle en inspirant profondément. Les galeries des catacombes étaient interminables ; elle pourrait y errer jusqu’à s’effondrer d’inanition. Il fallait garder son calme.

Elle tentait de se remémorer le chemin qu’ils avaient emprunté depuis la galerie supérieure, lorsque le silence fut soudain rompu par des bruits de pas d’abord lointains, puis de plus en plus proches. Son cœur se mit à battre rapidement dans sa poitrine. Elle hésitait : devait-elle signaler sa présence ? Étaient-ce des ennemis, ou pourrait-elle bénéficier de leur aide pour sortir ?

« Ils sont passés par là ! » cria l’un des hommes. Ils n’étaient pas loin, et le ton de sa voix acheva de convaincre Emmanuelle qu’il valait mieux pour elle qu’elle ne se manifestât pas.

Mais les pas se rapprochaient. Ils étaient plusieurs, et une lueur, dévoilant le tunnel par lequel ils étaient arrivés plus tôt, augmentait également. Emmanuelle finit de monter l’escalier, provoquant des grincements qui lui parurent extrêmement bruyants. Ils étaient tout proches ! Elle se précipita juste à temps dans le tunnel, à droite de celui d’où les inconnus sortaient, pour explorer la grande salle. Elle tenta de calmer ses palpitations. Un coup de projecteur à l’entrée de la galerie faillit lui arracher un cri. Mais elle s’était plaquée contre la paroi et l’homme s’éloigna rapidement pour rejoindre les autres. « Là, en bas, la même marque discrète sur le mur et plusieurs traces dans la poussière sur le sol ! Ils sont passés par là ! »

Emmanuelle attendit que tous fussent descendus, engagés dans la galerie d’où elle était venue. Le cœur battant, elle se glissa dans le tunnel d’où ils étaient arrivés. Elle avait hâte de quitter ces lieux, et d’un autre côté, elle prit conscience que ces intrus risquaient de s’enfoncer plus profondément sous terre, débusquant ainsi la salle qui permettait de voyager au-delà du système solaire !

Elle réalisa soudain qu’elle n’avait pas un seul instant songé à quitter les souterrains par une Porte des mondes ! Était-ce parce que, en compagnie d’Ihem, ils avaient marché plusieurs heures dans ces galeries ? À aucun moment il n’avait affirmé que ce n’était pas possible ! Le chagrin d’avoir perdu Marc y avait certainement contribué. La décision s’imposait : elle avait le devoir de protéger le secret caché au fond de ce dédale de galeries.

Une torche presque consumée, encore accrochée au mur, jetait une faible clarté, elle s’en empara et descendit l’escalier. Ses poursuivants n’étaient pas loin ; ils cherchaient leur chemin. Elle se souvenait qu’Ihem lui-même avait longuement hésité en ces lieux pour trouver les marques discrètes sur les murs. Elle s’engagea dans une autre galerie au hasard, en faisant beaucoup de bruit, afin d’attirer l’attention… L’effet fut instantané. Un « chef ! » retentit… L’un des hommes l’avait entendue, et en fit part à son supérieur.

Elle se précipita en courant plus avant, ne cherchant plus à être discrète, tout en prenant soin de protéger d’une main les faibles flammèches de sa torche qui menaçait de s’éteindre…

Des bruits de pas s’éloignèrent tout d’abord, puis le silence, et quelques secondes plus tard, ils se rapprochèrent. Ils avaient trouvé dans quelle galerie elle s’était engagée ! La poussière au sol était un bon révélateur de son passage. Elle accéléra, car le passage n’était plus du tout étayé. Plus haut, en partant de la salle, les murs étaient en pierre taillée, alors qu’ici, les boyaux étaient creusés à même le roc, très étroits, et le sol était irrégulier. Elle faillit tomber plusieurs fois en trébuchant. Sa torche ne lui permettait de distinguer que quelques mètres devant elle.

Elle déboucha dans une grande cavité naturelle au fond de laquelle un ruisseau serpentait doucement… Mais aucune sortie visible, il lui faudrait donc explorer toute la salle pour éventuellement trouver un nouveau couloir.

Elle n’avait pas le temps de chercher ; elle devait quitter les lieux. Elle eut l’idée de monter sur une pierre plate au milieu du cours d’eau, ainsi seraient-ils déroutés par la disparition de ses traces au bord de la rivière. Et lorsqu’elle quitterait l’endroit par une Porte des mondes sa torche tomberait dans l’eau, et serait emportée par le courant. Elle avait juste le temps d’activer une Porte et de se téléporter ! Mais pour aller où ? En rejoignant la fontaine, elle savait déjà, comme le lui avait dit le Hogon1, qu’elle ne pourrait accompagner Marc, mais elle n’y avait cru qu’à moitié. Même si tous les deux étaient habitués au surnaturel depuis leurs expériences avec les Portes des mondes, elle n’avait pas trop pris au sérieux les propos du vieil homme. Elle avait été mise face à l’incontournable réalité, devant ce couloir qui n’avait fonctionné que pour deux personnes.

1. Hogon : plus haute autorité spirituelle parmi les Dogons au Mali, rencontré par Marc et Emmanuelle dans le tome précédent.

Le Livre des morts égyptienLe Caire, ÉgypteFin octobre 1848

La jeune fille de dix-sept ans, pleine d’entrain, transpirait abondamment dans sa robe beige. Elle avait troqué l’ombrelle contre le chapeau à bords larges pour avoir les mains libres, afin de reproduire les gravures du temple de Thot d’Hermopolis sur son carnet de notes. Dans sa sacoche, la grammaire égyptienne de Champollion ne la quittait plus depuis des semaines. L’ouvrage portait de nombreuses annotations de son fait, et de son grand-père maternel Andreï Mikhaïlovich de Fadeïev, qui l’avait initiée à l’égyptologie après la mort de sa mère – alors qu’elle n’avait que onze ans –, Helena Andreïev, une romancière dont elle avait hérité l’amour des livres. Elle écrivait régulièrement à son aïeul pour le tenir informé de ses recherches. C’est dans sa bibliothèque de Saratov en Ukraine qu’elle avait dévoré avec fascination des ouvrages sur la franc-maçonnerie et les sciences occultes.

Malgré son jeune âge, elle s’était mariée sur un coup de tête en juillet 1848, avec un homme de quarante ans, alors qu’elle n’en avait que dix-sept. Très vite, à peine trois mois plus tard, elle le quittait pour entreprendre son interminable série de voyages, soutenue financièrement par son père.

Elle avait eu en Ukraine une enfance heureuse, que même le décès de sa mère n’assombrit pas définitivement. Son père, de par son engagement militaire, ne pouvait être présent pour l’éducation de sa fille, et elle bénéficia d’une formation très libertaire de son grand-père. Grâce à l’aide de plusieurs gouvernantes, dont une Anglaise et une Française, elle apprit à parler couramment le russe, l’allemand, le français et l’anglais.

Elle déambulait entre les colonnes partiellement effondrées, escaladait les murs, les blocs, rien n’arrêtait sa curiosité. Asif, le guide qu’elle avait engagé pour toute la durée de son voyage en Égypte, la suivait à portée de voix. Son turban bleu nuit dépassait sporadiquement des blocs de calcaire. Il patrouillait autour d’elle comme un chien de berger surveillant son troupeau. Trois autres adolescents accompagnaient le guide. Leur mission consistait à maintenir à l’écart les enfants trop curieux, qui voulaient tous observer la jeune fille blanche d’Europe.

Ce n’est que bien après avoir vidé la dernière gourde du guide qu’ils chevauchèrent en direction de la ville. Elle y avait rendez-vous avec un prêtre copte qui avait appris la présence d’une chercheuse égyptologue. Asif la guida à travers les ruelles étroites, la fit entrer dans un tout petit restaurant où n’étaient attablés que des hommes. Il salua le serveur, et traversa la salle pour se rendre dans une pièce qui donnait sur une arrière-cour, entraînant avec lui la jeune fille.

Assis à une table de bois, un vieil homme à la barbe blanche et vêtu d’une soutane noire poussiéreuse, les attendait. Il fronça les sourcils, sans doute en raison du jeune âge d’Helena.

À la surprise de la jeune fille, il s’adressa à elle en russe :

— Bonsoir, mademoiselle, pardonnez mon impolitesse, mais vous me semblez bien innocente pour vous aventurer seule en ces contrées.

— Bonsoir, père… ?

Elle marqua volontairement une hésitation pour signifier au prêtre qu’elle souhaitait connaître son identité. Elle s’assit face à lui sans y avoir été invitée. Son guide s’éloigna, puis s’installa à une autre table, les laissant en tête-à-tête.

— Paulos Metamon, mademoiselle Blavatsky, car vous avez bien repris votre nom après votre bref mariage, n’est-ce pas ?

Helena marqua une courte hésitation, sourit, sans cesser de fixer le vieil homme au fond des yeux. Et acquiesça. Il s’était bien renseigné sur son compte, son divorce était tout récent.

— Et vous êtes venue étudier le temple de Thot…

Ce n’était pas une question.

Les deux personnes se détaillèrent longuement. Le contraste entre le regard délavé, tellement troublant d’Helena, et les yeux d’un noir d’encre du moine, dont on ne distinguait presque pas les pupilles, était frappant. Aucune animosité ne marqua leur examen, ils étaient tous deux curieux, et semblaient mettre en œuvre d’autres sens pour prendre connaissance de l’autre. Fidèle à sa réputation de jeune femme entreprenante et énergique, et pour répondre au ton tout aussi direct et inquisiteur de son interlocuteur, elle posa sur la table une médaille marquée d’un étrange symbole en spirale et doté de quatre arcs de cercle.

Le pope eut un léger sursaut, presque imperceptible. Son regard se fit encore plus pénétrant. Il laissa Helena s’expliquer.

— Il m’a été remis par mon grand-père, qui l’a reçu des mains d’un grand Maître à Bombay bien avant la naissance de mes parents. Il me l’a offert pour mon anniversaire en plus du Bardo Thödol.

— Le Livre des morts tibétain… Jeune femme, l’au-delà vous intéresse-t-il tant, pour que vous veniez risquer votre vie dans ces contrées inhospitalières ?

Helena se contenta de sourire, et reprit sans hésiter :

— Posez-moi les trois questions de Sa Majesté Anubis.

— Est-ce vraiment le lieu approprié, mademoiselle Blavatsky ? ou peut-être devrais-je vous appeler Khenthepou ?

Helena se redressa ; un long frisson lui parcourut la colonne vertébrale à l’évocation de ce nom. Il lui semblait tellement familier. Depuis sa plus jeune adolescence, dans de très nombreux rêves, elle avait été projetée dans l’Égypte antique. Mais alors que tous ses autres songes revêtaient d’une grande clarté, les rêves égyptiens lui laissaient un étrange sentiment, comme si elle avait été droguée. Les images, les sensations étaient très fortes, mais elles lui parvenaient voilées, troublées. Et le nom que le moine venait de formuler l’avait amenée à vivre quasiment un songe éveillé, une transe, dans cette lointaine époque.

— Vous le pouvez.

En prononçant ces mots, elle eut l’impression d’entrer dans un autre endroit. La petite bougie placée sur leur table sembla faiblir, et une enveloppe, comme un voile sombre, escamota le couple aux yeux des autres personnes présentes.

Le vieil homme plaça ses deux mains paumes ouvertes vers le haut, sur la table. L’invitation sembla évidente à Helena, elle posa ses mains dessus. Il resserra sa prise. Un violent choc, comme un coup de canon, retentit dans le crâne d’Helena, mais elle ne lâcha pas les mains du pope.

Il bougea imperceptiblement les lèvres, et des mots d’une netteté absolue apparurent directement dans l’esprit d’Helena. Il lui posa les questions qu’Anubis posa jadis à Osiris, comme il était écrit dans le Livre des morts égyptien.

— Connais-tu le nom de cette porte ?

Elle répondit de la même façon par la pensée :

— « Tu écartes Chou » est le nom de cette porte.

— Connais-tu le nom du seuil ?

— « Maître de rectitude, qui est sur ses deux jambes. »

— Connais-tu le nom du linteau ?

— « Maître de force, qui introduit le bétail. »

— Passe, puisque tu as donné les trois réponses…

Helena ne garda aucun souvenir de la façon dont elle s’était séparée du pope.

Asif, son guide, jetait vers elle des coups d’œil inquiets, mais ne pipa mot sur tout le chemin du retour, respectant le silence de sa jeune cliente.

Une poignée de main historiqueSur un monde extraterrestre20 mai 2029 ?

De nouvelles vibrations, graves, un peu comme celles d’un navire qui inverse ses machines pour freiner, traversèrent mes os. La bulle grise qui nous entourait changea soudain de luminosité. En partant du haut, les parois s’estompèrent pour s’ouvrir sur un ciel bleu, d’aspect terrien. Je réalisai que l’air était bien plus riche, tout à fait agréable à respirer, presque piquant tant il était oxygéné. En outre, la température glaciale et le vent qui nous transperça les os nous firent l’effet d’une gifle. Le soulagement après l’étouffement était tel que j’éprouvais le besoin de me lever et de me déplacer. Mes premiers pas se firent en titubant, la suroxygénation sans doute.

Un désert de pierres, qui ressemblait un peu à celui dans lequel Amon avait téléporté nos consciences lors de notre premier contact intermondes, s’étendait autour de nous, en bien plus froid. La bulle grise qui nous avait entourés faisait-elle partie de la Porte par laquelle nous étions passés, ou s’agissait-il d’une protection, comme une brève mise en quarantaine pour tout arrivant d’un autre monde ? L’enveloppe grise avait complètement disparu. Nous n’étions que très légèrement vêtus avec nos chemises et pantalons de lin, et mes dents claquaient malgré moi. Mais je n’eus pas le temps de m’inquiéter de l’effet du froid.

Un son sec comme un claquement de fouet retentit, et trois silhouettes humanoïdes apparurent. Leur surface n’était pas stable : tantôt miroir, tantôt transparente. La lumière ne semblait pas décidée quant à l’attitude à adopter sur ces êtres. Étaient-ils vivants ? Était-ce des machines ? J’étais dans un état second. J’arrivais de moins en moins à faire abstraction du vertige d’avoir franchi un abîme de plus de vingt années-lumière en quelques heures, et je n’étais qu’au début de mes surprises.

Le premier contact télépathique m’arracha une grimace de douleur, comme si quelqu’un avait hurlé dans ma tête, mais avec la puissance d’un réacteur d’avion ! Je m’effondrai, sonné. La deuxième « phrase » fut émise avec plus de mesure, néanmoins toujours très forte. Ihem se tenait encore les tempes. Un rictus déformait son visage.

Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous arrivés ? Que voulez-vous ? Comment avez-vous réussi à synchroniser ce Couloir ?

Nous étions surpris, Ihem et moi. N’étions-nous pas attendus ? Nous étions-nous trompés de destination ? Une angoisse sourde forma une boule au creux de mon estomac. Trompés et perdus dans le temps ? Si nous avions fait un saut vers un point de chute plus lointain de quelques années-lumière, Emmanuelle était peut-être déjà morte sur Terre à cause du décalage temporel ! Depuis que nous étions partis, je me maudissais à chaque instant davantage d’avoir pris cette décision. Quelle impudence de ma part de croire que nous avions une telle importance pour la destinée de l’humanité !

Je pris la parole, utilisant ma voix. Ce qui fit sursauter les trois silhouettes, qui n’étaient probablement pas habituées à entendre une voix humaine.

— Nous venons de la Terre, du système solaire… (Je réalisai soudain ce que ma réponse avait d’anthropocentrique, et corrigeai le tir.) Nous sommes humains. Nous avons été en contact avec Amon très récemment. Ce nom est-il connu sur ce monde ?

Un long silence et les trois silhouettes basculèrent à nouveau d’un aspect transparent comme du verre à une apparence miroir, mais elles ne réagirent plus, même après que j’eus répété ma question. Enfin, au bout de quelques minutes, à mon grand soulagement, la silhouette familière d’Amon fit son apparition. Nous étions arrivés à bon port. Notre décalage avec la Terre n’était « que » de vingt années-lumière.

— Mes chers amis, Ihem, Leton, pardonnez cet accueil quelque peu cavalier, s’excusa Amon en nous serrant chaleureusement la main. Le Couloir antique entre la Terre et notre monde n’est pas très précis. En fait, pour éviter tout accident de transport, il cale son point de chute sur un endroit vide de toute présence vivante sur notre planète… C’est un automatisme destiné à garder le passage sûr au-delà des siècles.

D’un geste en direction des trois silhouettes-miroir, il congédia nos premiers hôtes, pas très aimables. Il hésita sur les termes à employer, et lâcha juste : « des programmes… », comme pour s’excuser. Apparemment, les trois êtres n’étaient pas véritablement vivants.

Départs précipitésAjaccio, StrasbourgVendredi 22 mai 2009

— Tu as quelque chose ?

— Rien de particulier, à part un ordinateur vidé de son disque dur. Bizarre alors qu’il s’agit d’un portable, ils auraient pu l’emmener ! Dans la chambre, l’armoire à linge était ouverte et de nombreux habits étaient étalés sur le lit, apparemment il a fait le tri et a emporté quelques affaires. Il y a une dizaine de cintres vides sur le lit…

— Pareil ici pour les fringues, et l’ordinateur, répondit Schaffner qui se trouvait dans l’appartement de Marc Strasbourg. (Un blanc, le temps de passer dans le salon du logement d’Emmanuelle.) Attends, il manque des bouquins sur une étagère, il y a des traces de poussière marquées, effacées devant une place vide de la largeur d’une main. Un classeur peut-être…

La fouille était illégale des deux côtés, mais avec le dossier la Mâchoire, Schaffner et ses hommes naviguaient depuis longtemps à la frontière de la légalité. Il voulait comprendre. C’était l’enquête la plus frustrante de toute sa carrière. Non seulement elle avait débuté par une confrontation avec le plus terrible tueur en série que l’Europe ait connu, mais les nombreuses inconnues et incohérences, ainsi que les interventions discrètes des « huiles », avaient achevé de le frustrer. Et quand il était frustré, plus rien ne pouvait se mettre en travers de sa détermination à élucider une affaire. Marc Kunegel et Emmanuelle Nico avaient fui sans rien emporter. Ils avaient suivi son ordre. Mais d’après les flics d’Ajaccio, ils avaient été sommairement interrogés dans les locaux mêmes de la banque.

— Pierre, tu es encore là ?

— Oui, je réfléchissais. Ils ont ouvert un coffre à la Banque populaire d’Ajaccio… Vérifie si Marc Kunegel a fait la même chose à Strasbourg. Mais tant qu’on n’aura pas plus d’éléments, on n’aura pas d’autorisation pour le faire ouvrir.

— Oui, aucune chance, le JDL (Juge des libertés et de la détention) ne nous suivra pas. Est-ce que tu peux jeter un œil à la penderie ?

— C’est déjà fait, je n’ai rien trouvé de spécial, pourquoi ?

— Quelle est la composition de leurs habits ? reprit Pinarci, concentré.

Schaffner était surpris par la demande de son binôme, mais il s’exécuta. Il posa le téléphone et entreprit de chercher les étiquettes blanches… Il constata tout d’abord que la grande armoire avait été clairement scindée en un côté homme et un côté femme alors qu’Emmanuelle Nico et Marc Kunegel vivaient, pour l’une, à Ajaccio, et pour l’autre, à Strasbourg. Il trouva de nombreux chemisiers, chemises, pantalons, 100 % lin. Les sous-vêtements, pas spécialement sexy, étaient en lin eux aussi… Les chaussettes étaient bizarres, mais aucune étiquette n’en donnait la matière. À part, dans la penderie, deux jeans et deux chemises plus classiques étaient suspendus sur le côté. Tout le reste était en lin.

Il continua à fouiller et fut tout aussi surpris de voir des chaussures, ou plutôt des espadrilles, de différentes formes. Et seules une paire de chaussures classique en cuir pour homme et quelques-unes de plus pour femme avaient un aspect plus « normal ». Il trouva également des vêtements de sport, les seuls en fibre synthétique. Il reprit le combiné pour livrer ses constatations à Pinarci.

— Bon, je suppose que toi aussi tu as trouvé des armoires d’habits homme et femme en quantité similaire, et tout en lin ?

— Oui…