Pulsions - Marie-Pierre Nadal - E-Book

Pulsions E-Book

Marie-Pierre Nadal

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Beschreibung

Des meurtres sont perpétrés dans les rues de Paris par un tueur aux pratiques particulièrement sauvages.

Deux enquêteurs, deux caractères opposés mais complémentaires, vont avoir la charge d’élucider cette affaire compliquée.

Pas un seul indice, aucune piste. Le tueur ne laisse rien derrière lui qui pourrait les orienter. Pris dans sa spirale pulsionnelle, il va sombrer dans une orgie horrifique totalement hors de contrôle.

Ce dossier exceptionnel va mener les deux acolytes dans les abîmes profonds et insoupçonnés de l’esprit humain. Un voyage dans l’impensable vers un dénouement à couper le souffle.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Marie-Pierre Nadal :
Artiste Photographe et ancienne journaliste, Je me forme à l’étude des psychopathologies et à la criminologie.
Durant les longues journées laissées libres par un cancer, je décide de me mettre à l’écriture de cette étonnante aventure qu’est la maladie, avec l’humour pour arme complémentaire aux thérapies.
Cancer ascendant chimio voit le jour en 2015.
Inconditionnelle du cinéma noir, je tente, par la suite, l’exercice du récit policier. J’ai pu ainsi appliquer mes connaissances en psychologie criminelle.
Au fil des lignes et contre toute attente, j’ai glissé dans un tourbillon qui m’a menée tout droit vers le roman horrifique. La voie du thriller était tracée.
Découverte hasardeuse et belle surprise comme seule la vie sait vous en apporter.

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Marie-P. NADAL

Remerciements :

Henri M. – Inspecteur au 36 - pour ses conseils d’enquêteur

Docteur Isabelle Mezange, Médecin Psychiatre, pour son en(re)cadrement et son soutien

Et mes premières lectrices pour leur avis :

Muriel Conesa-Touguit

Michèle Gayral-Vidal

Elle était étendue sur sa méridienne. Le soleil prenait congé derrière la ligne horizontale.

Le bras de la belle pendait d’une exquise nonchalance, sa main frôlant le sol glacial tel qu’elle glisserait à la surface d’un lac sans vagues.

Au bout des doigts gisait un cœur encore chaud, mais dénué de toute vie.

1

Le son strident du réveil déclara la journée ouverte. Joshua crut à un remake du big bang.

Après quelques difficultés d’ordre physique, il se leva, non sans maudire l’inventeur de cet engin.

Il était sept heures du matin à Paris et le temps aurait déprimé un bouffon. Peu importe, il devait se faire beau pour intégrer sa nouvelle affectation en qualité de lieutenant à la criminelle.

Il s’en voulait encore d’avoir flanqué son poing sur la face lunaire de son commandant.

La vie était belle à Nice et son équipe le portait tout en haut. Mais cette peau de vache n’avait de cesse de l’appeler « blondinet ». Si ce mec avait des vues sur lui, c’était son problème. Un geste accompagnant un mot de trop et c’en était joué. Le coup était parti comme une réponse, un trop-plein qu’on vide et qui soulage.

Et le voici à la capitale. Dans un appartement qui ferait baisser la tête à un nain.

On sonna à la porte.

Eh ben voilà ! pensa-t-il, c’est toujours comme ça, quand on a les fesses à l’air !

Un peignoir sur le dos, il alla ouvrir.

⸺ Bonjour, M’sieur Bennett, vous pensez à mon loyer ?

Il ne manquait plus qu’elle ! Sa logeuse. La générosité faite femme.

⸺ Madame Ulmer ! Je pense à vous dès mon réveil (arrête de mentir, Josh, ton nez va lui taper dans l’œil). Laissez-moi un peu de temps, je vous règle rapidement, pitié !

Il avait arboré son air de chien battu dans l’espoir d’une réponse positive. N’y croyant pas trop, il fut étonné d’entendre :

⸺ Bon. Je veux bien attendre que vous encaissiez votre salaire, mais que ça devienne pas une habitude.

Il la remercia et prit soin de vérifier si son peignoir avait bien été fermé, tant il était surpris. Elle tourna les talons et disparut dans son repaire.

C’est ce qu’il aimait chez cette femme. Jamais un mot de trop. Son vocabulaire assez pauvre, lui, comportait principalement les mots : « Quand, payer, loyer » ou encore « Travaux, votre charge… ».

Il faut dire que pour cet Harpagon en jupe, le toit sous lequel vivait son locataire tenait plus de la niche que de l’appartement. La seule condition pour y vivre était de ne pas avoir peur des murs.

C’est en souriant qu’il termina de se préparer. Le petit déjeuner ne fut pas de trop, il fallait être en forme pour attaquer son premier jour.

Par chance, il n’était qu’à une grosse demi-heure du 36. Il choisit d’emprunter le métro pour s’y rendre plus rapidement.

*****

Il y a New York, la ville qui ne dort jamais et Paris, celle qui court toujours. Une vie existe dans le métro. Elle est odorante et sonore. Vous avez le choix entre les orchestres improvisés, les chanteurs esseulés et les SDF allongés.

Puis une rame longe enfin le quai et ouvre ses portes…sur une masse humaine qui fait sa tête du lundi. Alors, vous remballez votre sourire qui n’est pas au goût du jour et vous fait vite passer pour un demeuré.

Josh imita donc les autres passagers et songea plutôt aux premiers échanges qui allaient se tenir avec son nouveau patron qui était une patronne, Mme Follet. Pas simple d’être à l’aise quand on débarque comme ça, surtout à la suite d’une décision disciplinaire. Le jeu s’annonçait délicat. Ce dernier allait commencer dans quelques instants, le jeune homme venant d’entrer dans le temple policier.

Il se présenta à l’accueil où une femme aux cheveux rouges officiait derrière un comptoir.

⸺ Bonjour, j’ai rendez-vous avec la commissaire Follet, je suis le lieutenant Bennett.

Elle leva le nez de son magazine et épingla un grand sourire à son visage.

⸺ Bonjour lieutenant, dit-elle d’une voix plus chaude qu’un fer à friser. Je l’appelle. Vous pouvez vous asseoir dans la salle d’attente, derrière vous.

⸺ Merci.

Le jeune lieutenant fit demi-tour et s’exécuta. Ladite salle regorgeait d’individus plus ou moins louches. Il prit une revue et s’assit bien sagement.

L’attente ne fut pas longue. Son interlocutrice vint à sa rencontre, main tendue.

⸺ Bonjour, lieutenant Bennett, je suis la commissaire Cécile Follet, suivez-moi dans mon bureau.

Après avoir récupéré les quelques phalanges qu’elle avait épargnées, Joshua la suivit dans son antre.

Un bureau situé au dernier étage, une pièce dont la surface était inversement proportionnelle à celle de son appartement. Au mur, un portrait sans doute peint dans un état avancé d’ébriété, car rien n’y était à sa place.

⸺ Asseyez-vous, je vous en prie, proposa-t-elle. Voulez-vous boire quelque chose ?

⸺ Merci, non.

Elle saisit un dossier, chaussa ses lunettes et s’assit sur le rebord de son bureau, prenant une pose que certains magazines spécialisés auraient payé cher. Le portrait semblait faire un clin d’œil au petit nouveau, pour autant que ce fût un œil !

⸺ Bien. Monsieur Bennett. J’ai vos états de services devant les yeux et je dois dire qu’ils sont excellents. Tant d’affaires résolues, c’est rare à vingt-six ans. Votre hiérarchie ne tarit pas d’éloges.

⸺ Je fais de mon mieux, Madame. Mais, ma hiérarchie ?

— Vos supérieurs, oui. Tous vos supérieurs, je le précise.

Devant le visage étonné du jeune homme, elle ajouta :

⸺ Les premières appréciations émanent de votre supérieur direct, le commandant Gorand. Dites-moi, vous pouvez m’expliquer de vive voix ce qui vous a amené ici ?

⸺ Gorand me collait au cul, pardonnez-moi l’expression. Je ne pouvais pas entrer dans une pièce sans qu’il me suive. J’avais droit à blondinet par-ci, biquet par-là, jusqu’à ce qu’il finisse par joindre le geste à la parole en me mettant la main aux fesses. J’ai eu un mauvais réflexe et j’ai frappé. Heureusement pour moi qu’il y avait des témoins. J’aurais pu être viré.

⸺ Je savais tout ça, mais je voulais vous l’entendre dire. Bien.

Elle se leva et se posta devant le jeune officier.

⸺ Ici, mon ami, nous ne sommes pas sur un ring. Même si je comprends votre ressenti, je n’admettrai aucun écart de ce style. Est-ce que je me fais bien comprendre ?

⸺ Oui, Madame.

⸺ Alors, d’abord, on va commencer par en finir avec les « Madame ». On s’appelle tous par nos prénoms sous ce toit.

⸺ OK, Mad...Cécile.

⸺ À la bonne heure ! Soyez le bienvenu, Joshua. Vous pouvez rentrer chez vous, vous revenez demain. Je vous présenterai à tous et surtout à votre co-équipière avec laquelle vous partagerez un bureau. D’ici là, profitez bien de vos dernières heures de bonheur.

Le ton était ironique et légèrement moqueur. Joshua, à la fois inquiet et intrigué, termina l’entretien en serrant la main de sa commissaire. Ce fut la fin de ses dernières phalanges.

*****

Six heures du matin, nouveau coup de massue. Joshua voulait être en forme pour son premier jour et un petit jogging matinal allait y contribuer.

Il se prépara donc et prit un café comme support technique.

La pluie s’était une nouvelle fois invitée, quelle surprise ! Peu importe, ça ne l’empêcherait pas d’aller de l’avant, en courant, cela va sans dire.

Les rues étaient encore endormies, seul un chien levait la patte sur un lampadaire.

Une heure était passée lorsque le jeune homme regagna son pseudo appartement, tout requinqué.

Une douche bienfaisante et un bon café plus tard, il était paré pour entreprendre la rencontre avec ses collègues.

Les rues connaissaient, cette fois, l’agitation des débuts de journée. Les gens espérant les transports en commun paraissaient plantés là depuis des années et attendaient qu’on vienne les replanter ailleurs. Leurs mines moroses semblaient toucher terre. Cela fit sourire la jeune recrue qui se trouvait déjà devant son nouvel établissement.

Il pénétra pour la seconde fois dans ce qui allait devenir l’annexe de son domicile pour plusieurs années.

L’accueil fut très … accueillant. La jeune femme de la veille, toujours à la même place derrière son comptoir.

⸺ Bonjour, je peux monter chez Mme Follet ?

⸺ Salut ! Tu connais le chemin. Au fait, je m’appelle Véro.

⸺ Enchanté, Véro. J’y vais.

Il s’empressa de rejoindre l’escalier qui le mena direct au bureau de sa patronne. Pas grand monde sur les lieux, l’heure ne devait pas être à la grande effervescence. Il frappa à la porte. Un « Entrez ! » ferme se fit entendre.

⸺ Ah ! Lieutenant ! Asseyez-vous.

Il prit place et faillit disparaître au creux d’un fauteuil trop moelleux.

⸺ Tenez, j’ai déjà reçu votre arrêté d’affectation, le voici. Rangez-le précieusement. Votre bureau se trouve au premier. Vous le partagerez avec votre co-équipière, la capitaine Audrey Laroche. Elle n’arrive qu’à neuf heures, on aura le temps de faire le tour de l’immeuble.

⸺ Elle sera ma supérieure directe ?

⸺ C’est ça. Vous avez une réclamation ?

⸺ Non, voyons. Mais elle n’a pas de collègue attitré ?

⸺ Vous lui succédez. C’était le lieutenant Barthes.

⸺ Parti à la retraite ?

⸺ Pas du tout, il ne la supportait plus. Pour tout vous dire, personne ne veut travailler avec elle.

La curiosité empreinte de doutes l’envahit.

⸺ Pourquoi ?

⸺ Depuis la mort de son compagnon qui était aussi son co-équipier, elle est infernale. Elle est rongée par la culpabilité.

⸺ Que s’est-il passé ?

⸺ Elle vous l’expliquera elle-même. Allez, venez que je vous présente à tout le monde. Nous commencerons par mon étage, avec les filles de l’administration. Allons-y.

⸺ Je vous suis.

Ils se dirigèrent donc vers le fond du couloir où quatre secrétaires exerçaient leurs talents administratifs dans une grande pièce aux bureaux agencés en open space.

⸺ Bonjour, les filles, je vous présente Joshua, le nouveau lieutenant. Il va remplacer Barthes. Soyez gentilles avec lui. Je sais, il est trop mignon, ne lui sautez pas dessus tout de suite, dit-elle sur un ton moqueur.

Huit paires d’yeux fixèrent le nouveau venu et un « Bonjour » collectif se fit entendre.

⸺ Alors, dans le coin, vous avez Justine, puis Cathy à sa droite, Françoise et Manon.

⸺ Bonjour mesdames, tenta timidement l’officier devenu petit garçon devant la pression féminine.

⸺ Méfie-toi, elles sont en rut, chuchota l’officier supérieur.

Justine se leva et vint à la rencontre de son nouveau collègue, abasourdi par l’info. Elle le rassura.

⸺ Salut, Josh ! Ne fais pas attention, elle essaie d’être drôle.

⸺ Ah ! répondit simplement le jeune homme.

⸺ On se voit plus tard ? ajouta-t-elle.

⸺ Tu l’amèneras déjeuner chez Titi, précisa la commissaire. En attendant, on continue les présentations.

S’ensuivirent la visite du service financier et le second étage où se trouvaient les stupéfiants et la brigade des mineurs. Plus bas, l’étage de la criminelle avec le bureau de l’intéressé.

Plutôt sympas, les nouvelles collègues. Surtout à l’annonce du nom de sa co-équipière. Il avait décelé une note de compassion. Ça ne présageait rien de bon. Bah, il verrait bien. Après tout, avait-il le choix ?

La commissaire n’avait plus le temps d’attendre. Elle laissa donc le jeune lieutenant seul. Ce dernier prit ses marques en rangeant ses affaires sur le bureau de son prédécesseur.

Un homme frappa sur le chambranle de la porte. Barbu à souhait, dodu et le cheveu fou, il tenait plus du grizzly que du colibri.

⸺ Salut ! T’es le nouveau ?

Le lieutenant leva son nez de ses dossiers et salua son collègue.

⸺ Bonjour ! Oui, je suis le lieutenant Bennett, dit-il en lui serrant la main. Je m’installe, je jette un œil sur les dossiers en instance.

⸺ Je suis Robert, mais on m’appelle Bob. J’habite le bureau d’à côté.

Josh sourit devant la bonhommie de son désormais voisin. Les débuts s’annonçaient sous les meilleurs auspices.

⸺ Tu vas être copain de chambre de la murène ? dit-il alors, d’un ton ironique.

⸺ Tu parles du capitaine Laroche ? Pourquoi ce surnom ? Elle mord ses collègues ?

⸺ Elle va te bouffer tout cru, gamin ! C’est une vraie harpie. Le pauvre Barthes n’a pas tenu. C’est vrai qu’il lui a fait du gringue et qu’il était un peu lourd.

⸺ Et alors ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

⸺ Elle a pris les choses en main, rétorqua Bob, d’un rire soutenu.

⸺ Hein ?

⸺ Elle lui a pétri les boules, p’tit gars ! On l’a entendu jusqu’au second, rit-il de plus belle. Si t’as des idées en dessous de la ceinture, demande d’abord à la dame ! Je te laisse, elle va pas tarder. ‘C'huis à côté si besoin, fais gaffe à tes miches !

Josh eut quelques difficultés à avaler sa salive et posa instinctivement ses mains sur ses attributs masculins.

Ayant repris ses esprits et après réflexion, il en conclut qu’elle n’aurait aucune raison d’agir de la sorte avec lui, leur relation se limitant au boulot et à rien d’autre. L’affaire était entendue.

Il se remit au travail de rangement. Toutefois, son trouble était tel qu’il fit tomber une pile de dossiers. Il entreprit bien évidemment de ramasser le tout.

Une jeune femme était postée à l’entrée de la pièce. Magnifique blonde, cheveux longs et yeux bleu océan. Cela dit, elle avait plus de classe en visuel qu’en verbal.

⸺ C’est quoi ce bordel ? hurla-t-elle en voyant les dégâts et le postérieur de son nouveau collègue.

Ce dernier eut un sursaut et se releva brusquement, non sans se cogner la tête sur le coin du bureau.

⸺ Ahh ! cria-t-il, portant la main à son crâne.

Un flot de pensées horrifiques envahit la tête déjà endolorie du jeune homme.

⸺ Qui tu es, toi ? Et qu’est-ce que tu fous ici ? s’écria la jeune femme, ignorant visiblement l’objet de cette présence.

Le petit nouveau resta figé, mais tenta quand même une explication.

⸺ Je suis le lieutenant Joshua Bennett, je remplace Monsieur Barthes. Je rangeais.

⸺ C’est comme ça que tu ranges ? Je suis Audrey Laroche, capitaine Laroche.

Elle lui tendit, malgré tout, la main pour le saluer avant d’aller s’asseoir à son bureau.

⸺ Je vais être claire, Joshua Bennett. On est là pour bosser, pas pour flirter. Tu es mignon, même très mignon, mais pas question d’aller plus loin que le boulot. Je suis ton équipière et ta supérieure. Ça s’arrête là. Est-ce que tu as compris où il faut que j’insiste ?

Les yeux verts du jeune policier clignèrent pour acquiescer, laissant un petit « Oui » s’échapper de ses cordes vocales.

Le téléphone signala sa présence par une sonnerie stridente. Audrey prit l’appel.

⸺ Laroche.

On pouvait remarquer, sans être un grand détective, que la loquacité ne faisait pas partie intégrale de sa personnalité.

⸺ Où ça ? On arrive.

Le ton de sa voix n’augurait rien de très frivole. Elle se leva et sans plus d’explications, entraîna son subordonné.

⸺ Grouille, on a du boulot.

⸺ C’est quoi ?

⸺ C’est un truc que tu fais et pour lequel on te paie, magne-toi, se moqua la belle.

Sortant du bureau, les deux nouveaux partenaires ne s’attendaient certainement pas à voir leurs prochaines heures virer à l’horreur.

*****

La sirène du véhicule qui les amenait vers ce lieu connu d’elle seule comblait le silence qui y régnait. La capitaine s’interrogeait sur la nouvelle affaire qui l’attendait d’ici quelques minutes et Joshua se demandait qui pouvait bien être la personne à ses côtés, pilote pressé du bolide policier.

Il lança un début de conversation.

⸺ On vous a dit quelque chose ? C’est un cambriolage ?

⸺ Un homicide. Une femme agressée chez elle, j’en sais pas plus, on m’a dit simplement qu’il valait mieux faire fissa.

⸺ Pourquoi se grouiller, si elle est morte ?

⸺ T’es un rigolo, toi ! Peut-être pour évacuer le macchabée au plus vite, non ? T’as déjà enquêté sur un meurtre ?

⸺ Oui, deux. Un crime passionnel et une légitime défense, du moins, c’est ce que le juge en a conclu.

⸺ OK t’as déjà vu un mort, donc ? Tu vas pas dégobiller ton p’tit déj’ sur le tapis ? Je te préviens, je suis pas une nounou.

Le jeune homme commençait à en avoir assez des moqueries et de la suffisance de sa collègue. Il fallait redresser la barre avant de se faire phagocyter.

⸺ Bon. Entendons-nous bien, capitaine. Je n’ai ni besoin d’une nounou ni d’une copine. Je suis pas là pour vous emmerder et encore moins pour vous draguer, j’en ai rien à foutre de vos états d’âme. Je veux juste faire mon job et être traité comme n’importe quel collègue. Je ne suis pas lieutenant par hasard. J’aime mon boulot et je le fais bien. Oui je suis blond, oui je suis jeune. Mais ça ne vous donne pas le droit de me dévaloriser ou de m’appeler blondinet. Vous avez pigé où il faut que j’insiste ?

Il ne trouva plus rien à dire et attendit le verdict. Il venait peut-être de jouer sa carrière.

Le visage de son interlocutrice se figea un court instant, pour devenir, finalement, souriant. S’ensuivit un rire franc, déchirant le silence qui venait de se rétablir.

Elle tendit la main et ajouta :

⸺ Appelle-moi Audrey.

Joshua n’avait jamais serré une main avec autant de plaisir.

Le véhicule arriva à destination. Le couple d’enquêteurs gagna l’étage et l’appartement qui renfermait le cadavre.

Il y avait là « la scientifique » qui faisait ses prélèvements et quelques agents de police secours. La substitute du procureur était déjà sur place, avant ses officiers, chose rare et à l’encontre des procédures.

Plus livide qu’un linceul, elle vint saluer les nouveaux venus.

⸺ Bonjour, Audrey, je te préviens, c’est du lourd !

⸺ Salut, Annie, tu es déjà là ?

⸺ Oui, j’habite pas loin et en passant, j’ai remarqué les véhicules de police. J’ai devancé l’appel en quelque sorte.

⸺ Bon. Je te présente mon nouvel équipier, Joshua Bennett. Joshua, voici Annie Dupret, substitute du procureur.

⸺ Madame, salua le lieutenant.

⸺ Enchantée ! Je m’en vais, j’en ai assez vu. Tenez-moi au courant.

Elle sortit précipitamment, pour fuir l’insoutenable.

Un homme de la scientifique interpella la jeune enquêtrice depuis le couloir de l’entrée.

⸺ Capitaine !! C’est par ici ! s’écria-t-il, un mouchoir sur le nez.

Les deux policiers se dirigèrent donc vers la pièce en question, le salon en l’occurrence.

Audrey y pénétra la première et stoppa net devant la vision d’horreur qui se présentait à ses yeux.

Joshua, en grand seigneur qu’il était, passa devant elle comme pour la protéger d’un danger quelconque. Il ressortit aussitôt, main sur la bouche, pour s’engouffrer dans les toilettes proches, sous les regards amusés de ses collègues.

Le corps éventré d’une femme gisait sur une méridienne, vidée littéralement de son sang qui imbibait le tapis sur toute sa surface et au-delà. Selon toute vraisemblance, elle avait été égorgée et éviscérée.

Ses intestins pendaient et s’étalaient sur le sol comme une coulée de lave ensanglantée.

La capitaine reprit ses esprits et s’adressa au médecin légiste.

⸺ Qu’est-ce qu’on a, docteur ?

⸺ Elle doit avoir une quarantaine d’années. On l’a égorgée et on lui a ôté le cœur pour le déposer à côté de sa main. Je ne peux être précis, mais il n’y a pas longtemps. Je dirais vers quatre heures du matin. Vous en saurez plus après l’autopsie. C’est le docteur Constant qui va s’en charger.

Un agent fit son entrée.

⸺ J’ai les papiers de la victime, dit-il en confiant un portefeuille à l’enquêtrice.

Cette dernière examina l’objet et en sortit une carte d’identité.

⸺ Carole Dumont. Elle a trente-six ans. C’est curieux, ça me dit quelque chose.

⸺ C’est un nom fréquent, répondit le médecin.

⸺ Je vais faire des recherches.

Joshua refit son apparition. Son équipière ne manqua pas l’occasion de le charrier.

⸺ Ah te revoilà ! Le vert te va bien au visage, se moqua-t-elle. Ça va aller ?

⸺ Désolé. Mais…J’ai jamais vu un truc pareil.

⸺ Ça va. On oublie. Elle s’appelle Carole Dumont. Son nom ne m’est pas inconnu. En rentrant, j’interrogerai nos fichiers.

⸺ Je peux pas t’aider, je viens d’arriver à Paris. Ça me dit rien. Faut être un sauvage ou un grand malade pour faire ça. On s’est acharné.

⸺ C’est le mot, oui, reprit le médecin. L’assassin savait pourquoi il était là. Il a prémédité son geste. On ne fait pas ça sur un coup de tête. C’est réfléchi et ordonné.

⸺ J’attends votre rapport, docteur. Merci, continua la jeune femme.

Puis se tournant vers son équipier :

⸺ Bon. On va interroger les voisins. Tu fais les étages supérieurs, moi les deux au-dessous.

⸺ Ça marche ! termina le lieutenant.

Il fallait savoir si quelqu’un avait entendu quelque chose. Un cri, un corps qui tombe, bref, du remue-ménage. Peut-être qu’avec un peu de chance, un locataire aurait pu croiser le meurtrier et ainsi le décrire. L’enquête commençait réellement, maintenant.

Les minutes avaient défilé à toute vitesse et les deux policiers se retrouvèrent à l’appartement de la victime.

⸺ Alors ? questionna la capitaine.

⸺ J’ai interrogé les deux propriétaires du dessus, le dernier est absent depuis des mois.

Puis prenant les pages de son calepin, il commença son compte rendu.

⸺ Cette femme n’était pas très appréciée. Ils sont unanimes. Je cite : « Cette salope n’a que ce qu’elle mérite » ou encore « J’espère qu’elle brûlera en enfer ».

⸺ Tu sais pourquoi ?

⸺ Une histoire de maltraitance. Il paraît qu’elle a brûlé son fils avec un fer à repasser avant de l’enfermer dans le placard de sa chambre. Elle venait tout juste de sortir de prison. Ils n’ont pas été tendres, les voisins !

— Elle était loin d’être une mère parfaite. Ils n’ont rien entendu ou vu ? Le moindre détail peut avoir son importance.

⸺ Rien de rien. Et de ton côté ?

⸺ Pas grand-chose, les deux petites vieilles des étages inférieurs sont terrorisées. Une avait pris des somnifères et l’autre est sourde comme un pot. Elles ne m’ont rien dit à son sujet à part qu’elle avait un ami qui venait la voir.

⸺ Génial ! On n’en sait pas plus qu’en arrivant, râla Josh.

⸺ On sait qu’elle a un copain. On va à la prison interroger le directeur. Ce type devait venir la voir. Son nom doit être sur le registre des visites.

⸺ Bonne idée ! Et puis le gosse a un père, je me renseignerai auprès des services sociaux, ils doivent savoir quelque chose. L’enfant a dû être placé en foyer.

⸺ T’as oublié d’être con, sourit enfin la belle Audrey.

⸺ J’essaie de faire bonne impression devant ma capitaine, répliqua le jeune policier.

⸺ Fayot ! termina la belle.

La visite de l’appartement n’ayant révélé aucun indice exploitable, les deux enquêteurs regagnèrent leur véhicule.

⸺ Qui pourrait en vouloir à cette femme au point de s’acharner sur elle de cette façon ? questionna Joshua.

⸺ Il y en a plus que tu crois. D’abord le père de l’enfant, les grands-parents, pourquoi pas ? Tous ceux qui ont souffert de savoir le gosse maltraité, qui sait ?

⸺ À ce point ? s’étonna le jeune homme.

⸺ Ta naïveté est touchante. Tu sais, à la longue, tu connaîtras l’esprit humain et ses pires agissements. Tu es jeune, tu en verras d’autres !

La jeune femme était loin d’estimer la véracité de ses paroles.

⸺ J’ai la dalle, on s’arrête prendre un p’tit déj ? proposa-t-elle.

⸺ T’as la dalle ? Après ce qu’on vient de voir ? J’aurais plutôt envie de gerber.

⸺ Petite nature. Tu t’y feras. Moi j’ai faim.

⸺ Ben, allons-y, ce que femme veut…

Le véhicule fit étape dans un petit bistrot non loin de l’immeuble. Les nouveaux arrivants prirent place au fond de la salle. Le serveur ne perdit pas une minute et se présenta à la table.

⸺ Bonjour.

⸺ Tu veux pas de croissant, t’es sûr ? demanda la belle affamée à son subalterne.

⸺ Juste un café.

⸺ Bonjour, alors ce sera deux croissants, un crème et un café. Merci.

Joshua ne put s’empêcher de sourire.

⸺ Quoi ?! s’enquit Audrey.

⸺ Deux croissants ? T'y vas pas de main morte.

⸺ Tu sais que tu es un grand comique ? Parler de main morte après ce qu’on vient de voir, bravo !

Le jeune homme sentit qu’il avait fait une bourde. Le rose prit place sur les joues du gaffeur. Audrey ne souligna pas la chose.

⸺ Je t’invite à dîner chez moi, ce soir. On pourra faire connaissance et parler de l’affaire, tranquillement.

Devant l’aplomb de sa supérieure, Josh ne put qu’accepter l’invitation.

⸺ C’est sympa, merci. Tu me donneras ton adresse.

⸺ Mieux que ça, on ira chez moi directement après le boulot. Je te ramènerai après la soirée.

⸺ Ah, mais je veux pas abuser…

⸺ Fais pas chier. C’est bon.

Décidément, l’élégance de cette femme se situait visiblement et définitivement, dans un autre domaine que celui de l’éloquence. Elle avait le mérite de se faire comprendre d’une manière concise, sans détour et sans chichis. Finalement, ça lui convenait bien et même l’amusait.

La journée ne connut pas d’évènements notables entre recherches et comparaisons. La soirée allait peut-être apporter une lueur d’intérêt dans l’esprit des nouveaux collègues.

Ces derniers étaient bien sagement attablés à leurs bureaux respectifs, l’un s’occupant de tâches administratives, l’autre cogitant sur l’affaire en cours.

Audrey sonna l’heure de battre en retraite, il était dix-huit heures trente.

⸺ Bon ! Ça suffit pour aujourd’hui. J’ai envie d’un bon verre. Allez, on y va.

Elle se leva et fit signe à Josh de la suivre. Ce dernier s’empressa de ranger ses dossiers sans mot dire et eut juste le temps de prendre sa veste.

La voiture de la capitaine sortit du parking. Surgit, est le mot juste. Joshua se pensa au départ d’un rallye.

⸺ Hé ! T'inquiète pas, tu vas arriver la première ! hurla le jeune homme.

⸺ T’as peur ?

⸺ Non, mais on n’est pas en retard.

⸺ Y’a un bourbon qui nous attend et je n’aime pas faire attendre.

⸺ N’importe quoi ! A cette allure, c’est une potence de perfusion qui va nous accueillir.

La jeune conductrice rit de bon cœur alors que son co-pilote s’enfonçait dans le fauteuil de l’Alfa Roméo.

Il profita d’un feu rouge pour se redresser.

⸺ Arrête-toi devant cette cave à vin sur la droite, je vais prendre une bonne bouteille.

⸺ Pas la peine, j’ai ce qu’il faut.

⸺ Un bouquet de fleurs, alors ?

La capitaine le regarda comme s’il venait de dire la plus grosse blague jamais contée.

⸺ Sérieux ?

Le jeune homme n’insista pas. Le véhicule s’engouffra dans un nouveau parking souterrain, celui d’une résidence.

⸺ On est arrivés, annonça la femme pressée.

Joshua poussa un « ouf » mental qui transpira, malgré tout. Audrey le remarqua et esquissa un sourire moqueur.

⸺ T’es en forme ? demanda-t-elle.

Une ribambelle de questions s’entrechoqua en l’espace d’une seconde dans le joli crâne du lieutenant.

⸺ Pour quoi faire ? répondit-il, sa dernière pensée s’arrêtant en dessous de la ceinture.

⸺ Efface ce sourire béat, tu veux ? J’habite au septième et l’ascenseur est en panne.

⸺ C’est pas ce que j’appellerais « aller au septième ciel ».

⸺ Han, très drôle ! N’y pense même pas !

⸺ Jamais, je tiens à mon trois-pièces !

⸺ J’aime les gens qui comprennent vite, dit-elle en riant. Allez, go, c’est parti pour les étages !

Les deux collègues entreprirent l’ascension de l’immeuble après avoir traversé un immense hall d’entrée.

Audrey atteignit le sommet la première et ne manqua pas de le signifier par un saut et des bras levés bien haut.

Josh faillit ne pas remarquer l’exploit, étant un demi-étage plus bas. Il n’entendit que le cri de la victoire. Sa langue ne demandait qu’à sortir prendre l’air, mais il fit bonne figure devant sa supérieure.

⸺ Ben alors ? dit-elle, ça va aller ? Tu aurais besoin d’un peu d’entraînement, toi ! Je vais y veiller. Quelques heures de gym seront les bienvenues.

⸺ Putain, mais qu’est-ce que je t’ai fait, rétorqua le jeune officier, entre deux reprises de souffle.

Audrey ouvrit la porte, non sans un rire sonnant.

⸺ Allez, entre et va t’asseoir avant de dégueuler tes poumons, petite nature.

Josh ne pipa mot. Il s’exécuta après avoir repéré un canapé moelleux.

⸺ Je te sers un verre ? Une tisane ou un anti-inflammatoire ? se moqua la jeune femme.

⸺ Un whisky sec suffira, merci.

Ce qui fut servi.

Audrey prit place aux côtés de son invité pour siroter son verre.

⸺ Au fait, commença Josh, merci pour l’invitation, c’est sympa.

⸺ J’aime bien connaître mon coéquipier et rien de tel que de le voir en dehors du boulot. C’était l’occasion. Et puis on est mieux pour parler de notre affaire.

⸺ Oui. Quand j’y pense, je me dis qu’il faut être bien barré pour faire ça. Ce mec a des papillons dans l’abat-jour. Il l’a carrément éventrée.

⸺ Et pourquoi un mec ? Une femme en colère peut faire autant de ravages, tu sais, avec un bon couteau. Il faut pas sous-estimer la force d’une femme lorsqu’elle a la rage.

⸺ Peut-être, mais quand même.

Puis buvant une rasade, il lança :

⸺ Tu crois que le meurtrier connaissait la victime ou c’est un malencontreux hasard ? Pourquoi elle a ouvert sa porte en pleine nuit ?

⸺ Elle devait le connaître. Elle avait confiance. Peut-être que le mec avait passé la nuit avec elle et que la relation a mal tourné.

⸺ Je sais pas, conclut-il. Ça sent la préméditation, la haine. Il lui a fallu vraiment une sacrée haine pour faire ça. Une femme n’en serait pas capable. J’y crois pas.

⸺ Tu veux rire ? J’ai vu une mère soulever l’agresseur de sa fille…crois-moi, tout est possible. Ce qui me turlupine, c’est l’agencement du corps, et ce cœur au bout du bras. Ce n’est pas un crime au hasard. Le corps est un symbole à lui seul.

⸺ Un symbole ?

⸺ Oui, insista la jeune femme, tu sais quoi ? Ça sent le tueur en série.

⸺ On parle dans le vide. On verra quand on aura plus de précisions.

⸺ OK ! s’écria la jeune femme. Pour le moment, tu vas m’aider à cuisiner.

⸺ Hein ?

Elle se leva subitement, prit les verres pour les remplir à nouveau. Josh la suivit.

⸺ C'huis pas très doué pour la cuisine, dit-il, inquiet.

⸺ Tu pèleras les légumes.

⸺ Ça, je sais faire !

Ce furent les premiers échanges domestiques du lieutenant et de sa capitaine.

Une fois attablés, nos amis dégustèrent leur repas honnêtement gagné. Audrey engagea la conversation, entre deux bouchées.

⸺ Alors ? Qui est Joshua Bennett ?

⸺ Qui ? demanda l’intéressé.

⸺ Idiot, parle-moi de toi.

⸺ Y’a rien d’excitant à dire. Je suis flic depuis presque quatre ans, je suis né à Nice où j’ai vécu avec ma mère et mon frère jumeau. Mon père nous a quittés on avait cinq ans. Il était Américain.

⸺ Ah ? T’as un frère jumeau ? C’est sympa. Il s’appelle comment ? Il est où ?

⸺ Il s’appelait Logan. Il est mort nous venions de fêter nos six ans.

Le visage du jeune homme, jusqu’ici souriant, se ferma comme si tout le malheur de la terre était de son fait. Audrey comprit qu’il n’avait pas l’intention d’en dire davantage. Elle tenta malgré tout de le faire parler.

⸺ Je suis désolée. Si tu veux en discuter, je peux t’écouter.

⸺ C’est gentil, mais non. C’est du passé et ça ne ferait que réveiller ma douleur.

⸺ Je comprends. Si un jour tu changes d’avis, n’hésite pas, OK ?

⸺ Merci.

Son sourire refit surface alors qu’il dégustait la viande exquise du ragoût.

⸺ Tu as l’air d’aimer, remarqua Audrey.

⸺ C’est délicieux. Je peux en reprendre ?

L’hôtesse esquissa un sourire.

⸺ Fais-toi plaisir, dit-elle. On aurait dû en faire plus.

Josh fut un peu gêné, mais sourit à son tour.

Le dessert ne démérita nullement. Il y avait longtemps qu’il n’avait mangé aussi bien. Ça le changeait des repas industriels ou autres cuisines rapides. Son estomac se mit au rouge, la poche était pleine.

Il se leva pour débarrasser, sous les yeux étonnés de la maîtresse de maison.

⸺ Qu’est-ce que tu fais ? dit-elle.

⸺ Ben, je débarrasse.

⸺ Ça va pas ? Laisse ça, je le ferai demain. Viens, on va prendre le café et le digestif dans le coin salon. Va t’asseoir.

⸺ Prépare le café, proposa-t-il, je mets le tout dans l’évier. Ça me dérange pas, tu sais, je l’ai toujours fait.

⸺ Bon, si tu veux.

Elle rendit les armes devant l’insistance du jeune homme. Après tout, si ça lui faisait plaisir.

Les choses faites et servies, les deux compères s’installèrent dans le confort du canapé.

Joshua se renseigna à son tour sur la vie de son hôtesse.

⸺ Et pour toi ? Ça s’est passé comment, jusqu’ici ?

⸺ Après un master en psycho je me suis tournée vers la criminologie. J’ai passé un concours et me voilà ta supérieure.

⸺ Tu es une sorte de profiler ?

⸺ On peut dire ça. Même si la dénomination n’est pas la même en France, oui, j’analyse le profil des criminels.

⸺ Tu dis quoi sur le nôtre ?

⸺ On dirait une sorte de rituel. Ce cœur qu’on a déposé au bout de la main, c’est comme si l’on ôtait tout sentiment à sa victime qu’on lui enlevait son âme, pour la punir. Je pense qu’il y aura d’autres meurtres. Ça sent le crime en séries, comme je l’ai déjà dit.

⸺ Ah merde.

⸺ Si je me goure pas, d’autres sont mortes ou mourront de la même manière. J’espère me tromper. Si c’est la première de la série, il y a eu un évènement qui a déclenché l’acte. Mais il faut chercher d’abord s’il y a eu d’autres victimes.

⸺ Ce seraient toujours des nanas ?

⸺ Je sais pas encore. J’ai pas assez d’éléments.

⸺ Sinon, t’as un copain ? demanda-t-il, sans transition.

La jeune femme fit mine de chercher quelqu’un.

⸺ T’as vu un mec, toi ?

⸺ T’es pas obligée de vivre avec. Alors ?

Le visage de la jeune capitaine s’assombrit brusquement.

⸺ J’avais un compagnon qui était également mon coéquipier. Il est mort en service.

⸺ Ah merde, je suis désolé. Tu peux m’expliquer ?

⸺ On était en intervention au domicile d’un tueur de vieilles dames. Cette ordure les ligotait et les torturait pour son plus grand plaisir. Tout s’est passé très vite. Ce fumier a pris une machette et s’est jeté sur mon équipier. J’étais derrière, je venais de pénétrer dans l’appartement. Je n’ai rien pu faire, il lui avait déjà sectionné la carotide. J’avais mon arme au poing et j’ai vidé mon chargeur sur ce salopard. Une balle aurait suffi, mais j’étais tellement hors de moi que je l’ai mitraillé.

⸺ C’est moche. Je sais pas quoi te dire, s’excusa presque Josh, éberlué. Tu as été inquiétée après ça ?

⸺ Non, mais j’ai dû faire un petit séjour en hôpital psychiatrique.

⸺ T’as été internée ?

⸺ Je ne supportais plus les jérémiades et les propos dégoulinants de compassion que me tartinaient mes collègues.

⸺ T’as pété un plomb ?

⸺ J’étais très agressive avec tout le monde et dans un moment d’égarement, j’ai pris mon arme de service et l’ai collée contre ma tempe. Ça m’a valu deux mois d’internement.

⸺ Y’a combien de temps de ça ?

⸺ Pas loin d’une année. Mais ne t’inquiète pas, je vais bien à présent, ne crois pas que je vais me suicider tout de suite, dit la jeune femme en riant.

⸺ Ah non ! Attends que je sois à la retraite ! plaisanta le lieutenant.

⸺ Et pour répondre à ta question, non. Je n’ai pas de petit copain. Et toi ?

⸺ J’ai pas de copain non plus, rétorqua Josh.

⸺ Très drôle. Je suppose que ça veut dire que tu es célibataire ?

⸺ Tu supposes bien. Je viens de débarquer, j’ai pas la tête à ça. J’ai une ex à Nice, mais c’est une ex.

⸺ Une seule ? T’es super mignon, ça m’étonne.

⸺ Je te parlais de la dernière qui a compté.

⸺ OK j’ai pigé. Tu en as une à chaque coin de rue.

Le jeune homme se mit à rire.

⸺ Qu’est-ce que tu crois ? Je suis pas un obsédé. J’aime les filles, mais ça va pas jusqu’à la collection.

Audrey hocha la tête et arbora un sourire entendu.

⸺ Mouais. Je te sers une liqueur ?

⸺ Ça fera la troisième, mais on compte plus, rétorqua le lieutenant. Tu veux me saouler, ou quoi ?!

⸺ Tu as deviné, après j’abuserai de toi comme une sauvage.

⸺ Et je t’arrêterai pour viol aggravé.

⸺ J’adore les menottes, on commence quand ?

Le jeune Joshua ne savait pas si la plaisanterie continuait ou si on parlait sérieux. Son visage ne put cacher son questionnement et sa crainte, ce qui fit pouffer Audrey d’un rire franc et sonore.

⸺ T’y a cru hein ? se moqua-t-elle.

⸺ Pas du tout. N’importe quoi !

La capitaine ne résista pas à se jeter sur son subalterne pour lui administrer une salve de chatouilles. Ce dernier, très sensible, se défendit corps et âme, mais capitula sous l’assaut expérimenté de sa supérieure.

⸺ Je me rends, je me rends, supplia-t-il, totalement à la merci de sa tortionnaire.

Cette dernière le libéra enfin.

⸺ Je vais t’inscrire au close-combat, tu as des lacunes, dit-elle en riant.

⸺ Je me bats pas contre les femmes, répondit Joshua.

⸺ J’y crois pas, un macho ! Je pensais qu’il n’y en avait plus, rit la jeune femme. On est à armes égales, mon ami. Moi, pauvre petite femme, je peux t’envoyer valdinguer et tu me dis que tu ne frappes pas les femmes. Il faudrait que t’y arrives !

Ce fut une nouvelle rasade…de rires. Elle lui resservit une liqueur pour le coup.

⸺ Je te hais ! conclut Josh.

Ce qui rendit son adversaire encore plus hilare.

L’heure avançait à grande vitesse, vers le départ. Joshua le signifia à son hôtesse. Il s’extirpa du canapé tout confort.

⸺ Bon, c’est pas tout ça, mais faudrait que tu me ramènes.

La jeune femme fit la moue et ne bougea pas d’un poil.

⸺ J’ai pas envie de sortir. Ça gèle dehors, répondit-elle.

⸺ Y’a un métro pas loin ?

⸺ J’ai mieux que ça ! Un bon lit dans une jolie chambre. Tu restes ici.

Il la regarda avec les yeux arrondis d’un lémurien. Si la scène avait illustré une bande dessinée, on aurait pu voir un gros point d’interrogation s’afficher au-dessus de son crâne.

⸺ Tu veux qu’on ? ? demanda-t-il.

La policière se leva à son tour et prit son hôte par la main, sans dire un mot.

Elle l’entraîna effectivement dans une chambre. Le sourire béat du jeune lieutenant illuminait son visage poupin.

⸺ Tadam !! Tu t’attendais pas à ça, hein ?

La pièce était décorée façon rêve d’enfant. Des peluches partout, une tapisserie rose pâle et une armoire « hello Kity », fuchsia.

Le point d’interrogation connut une croissance exponentielle. Joshua lança les hostilités.

⸺ Tu as un gosse ?

⸺ Une nièce. Elle vient de temps en temps et tu vas dormir dans sa chambre. T’as eu peur, hein ?

⸺ Pas vraiment. Et c’est sympa les enfants. Je les aime bien, ils sont si vrais.