Eleanor - Marie-Pierre Nadal - E-Book

Eleanor E-Book

Marie-Pierre Nadal

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Beschreibung

Inverness, capitale des Highlands – Ecosse.

Un tueur en série passe ses nerfs sur la population féminine. Sa dernière victime, Eleanor, laisse une petite fille de six ans, Lucy. La fillette est aussitôt admise dans un orphelinat tenu pas des religieuses sans scrupules.
Un couple va l’adopter et dès lors tout commence.
Rien n’arrête une mère en colère, pas même la mort. Eleanor va faire vivre le pire au couple pourtant aimant, ainsi qu’à ceux et celles qu’elle trouvera sur son chemin.
Un medium athée et un prêtre venus de Chicago vont s’allier pour tenter l’impossible. Convaincre un esprit déchaîné de suivre son destin, et passer de l’autre côté.
La chose ne sera pas aisée car nul ne revient de l’au-delà, mais certains ne veulent pas partir.
En parallèle, les meurtres vont atteindre un point culminant dans l’horreur, dépassant le domaine du concevable.

Qui va pouvoir arrêter ce monstre ?
Comment stopper l’immatériel ?


À PROPOS DE L'AUTEURE

Marie-Pierre Nadal - Artiste Photographe et ancienne journaliste, Je me forme à l’étude des psychopathologies et à la criminologie.
Durant les longues journées laissées libres par un cancer, je décide de me mettre à l’écriture de cette étonnante aventure qu’est la maladie, avec l’humour pour arme complémentaire aux thérapies.

CANCER ASCENDANT CHIMIO voit le jour en 2015.

Inconditionnelle du cinéma noir, je tente, par la suite, l’exercice du récit policier. J’ai pu ainsi appliquer mes connaissances en psychologie criminelle.
Au fil des lignes et contre toute attente, j’ai glissé dans un tourbillon qui m’a menée tout droit vers le roman horrifique. La voie du thriller était tracée.
Découverte hasardeuse et belle surprise comme seule la vie sait vous en apporter.

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À mes frères Marcel et Dominique,

des amours partis bien trop tôt.

Je sais que vous êtes à mes côtés.

Ce livre leur est dédié, ainsi qu'à tous ceux qui croient à un autre chemin...

En ce qui me concerne, je ne crois pas, croire, c’est douter.

Je ne doute pas,

Je tiens à remercier Nelly Topscher, pour sa correction et ses conseils qui ont donné plus de consistance à mon texte.

Merci également à Marie Occhi, pour ses sublimes et puissants dessins de couverture, qui ont donné une existence physique à mon Eleanor.

Et enfin, merci à tous les courageux qui ont supporté mes discours passionnés sur toute la longueur de mon histoire. Je pense à Paul, Marie-Claude, Patricia et Mumu, ou encore Alain, témoins de mes projections verbales, sonores et …imagées ! Je vous embrasse de tout mon cœur.

Pardon pour l’ivresse sonore ! 

Les morts ne reviennent pas.

Mais certains ne veulent pas partir …

« La série macabre continue, le tueur des Highlands vient de commettre son cinquième homicide. En effet, le corps d’une jeune femme a été retrouvé hier soir sur la rive gauche du Loch Ness. Plus de détails dans notr…. »

Eleanor tourna le bouton sur « Off », ne supportant plus les allégations de ces journalistes, heureux finalement d’avoir quelque chose à se mettre sur la langue. L’info du moment était consacrée à la folie humaine. Elle préférait, de loin, regarder sa fille jouer à poursuivre ses chimères dans le jardin.

Elle sortit sur le perron de sa maison, typique demeure de la campagne écossaise faite de pierres et de chaumes. Elle scruta le ciel. L’air était chargé d’eau, et les nuages, comme la radio, annonçaient eux aussi le pire. La journée était promesse de couleurs tristes et des premiers froids, prémisses de la saison automnale.

Eleanor adorait l’automne. Cette saison avait un parfum de liberté. Sa fraîcheur vivifiante posait ses jalons tels des pointillés qui vous menaient vers l’envie de commencer une nouvelle vie.

Elle gonfla ses poumons d’air vif comme on prend une dose de vitamines.

Depuis sa porte d’entrée, elle appela Lucy, sa fillette de six ans, afin qu’elle rentre pour son goûter. En outre, il était inutile d’attraper un mauvais rhume avant la rentrée des classes. La petite fille obéit, apportant une poignée de fleurs sauvages cueillies avec l’amour d’une enfant heureuse qui profitait des derniers jours de vacances en cette fin de mois d’août.

La soirée pointait ses heures et la porte de la chaumière se referma pour une nuit de plus, au creux de la chaleur bienfaitrice de l’âtre.

La maman borda son rejeton après l’inévitable histoire annonciatrice de beaux rêves.

Un baiser frontal ponctua une « bonne nuit, mon bébé, je t’aime ». Eleanor sortit sans bruit de la chambre, ne laissant qu’un filet de lumière rassurant, comme le veilleur d’un bon sommeil.

Elle regagna le salon après s’être servi un scotch pur malt, puis prit place entre les bras accueillants du fauteuil moelleux hérité de son grand-père, un roman d’amour devant ses yeux turquoise et sa longue chevelure rousse étalée par-dessus le dossier. L’idéal, pour une bonne fin de soirée était atteint.

Dehors, les coups de tonnerre rythmaient les illuminations orchestrées par l’orage qui sévissait depuis vingt minutes. Les flashes se déclenchaient çà et là au bon vouloir de mère Nature.

Un homme était figé devant la porte intermédiaire entre le garage et le salon. Nul n’avait pu entendre qu’il venait d’en crocheter la porte, le vacarme de la tempête couvrant tous les bruits d’où qu’ils viennent.

Toujours en silence, il pénétra dans le salon, la lame d’un rasoir prête à s’affairer.

Il s’approcha, doucement, pas à pas, tel un chat prêt à bondir sur une gourmandise.

Il s’arrêta devant le fauteuil, admirant la chevelure dense qui semblait couler le long de son dossier. Elle était si flamboyante qu’il hésita une seconde.

Eleanor prit son verre, et l’amenant à sa bouche, y aperçut le reflet d’une ombre humaine derrière elle, debout devant la clarté du feu de cheminée.

Elle sursauta, se leva brusquement et lâcha le verre qui se fracassa sur le sol de pierre, étalant le reste de whisky sous la table basse.

Elle tenta de courir vers la porte, mais l’homme fut le plus rapide. Il la saisit par les cheveux, et la tirant vers l’arrière, la fit tomber violemment à ses pieds.

Elle hurla, lutta, mais son agresseur était si fort. Il la releva, toujours ses mains agrippant la chevelure de la jeune femme. La tête de sa proie enfin à sa hauteur, il fit glisser la lame affilée sur sa gorge, libérant un flot de sang giclant au rythme des derniers battements de cœur.

Le corps de la malheureuse tomba lourdement.

L’homme sourit tout en essuyant son arme, satisfait de ses pulsions enfin assouvies.

Il tourna soudain la tête vers le couloir.

Lucy était debout devant l’entrée du salon, sa poupée au bout de son bras ballant.

1

Les Highlands. Bijou de l’Écosse profonde, berceau presque irréel de légendes et mystères ancestraux, où le froid pique la lande, livrée au vent de l’hiver. Les paysages semblent sortis de l’imaginaire fertile de sorciers séculaires. Des châteaux se dressent, au détour de chemins ou au bord des rives embrumées du Ness.

Les journées sont courtes en cette période hivernale, comme si la vie usait de ses plaisirs avec parcimonie, en laissant un peu pour le lendemain, éteignant lentement le jour pour une longue nuit.

Février était installé déjà depuis une semaine et comptait bien s’affirmer par sa froideur et ses épisodes pluvieux.

Joyce et Robbie étaient heureux. Ayant quitté l’ambiance par trop animée de Glasgow, ils avaient souhaité se rapprocher d’Inverness, en s’installant à une trentaine de kilomètres de ses abords, dans une ville appelée Nairn.

La bourgade coulait des jours heureux sur les bords de la mer du Nord. Le couple avait repéré puis acquis une petite maison sur la lande, à un ou deux kilomètres du village, entourée de verdure et surtout, de calme.

Ils s’y étaient établis il y a une semaine et aujourd’hui allait être à marquer d’une pierre blanche.

Il pleuvait en ce jeudi 8 février, d’une eau glacée et dense. Cela importait peu au couple de trentenaires. Leur cœur évoluait dans une chaleur estivale et leur tête ne quittait pas le soleil.

Le chemin côtier les amenait vers le bonheur. Ils se rendaient à l’orphelinat d’Inverness. Plus que quelques kilomètres encore les séparaient de leur vœu enfin exaucé.

Leur attente avait été si longue. D’abord, l’abattement d’entendre qu’ils ne pourraient jamais concevoir la vie, comme une gifle que l’on n’a pas méritée. Et puis les démarches pour une adoption. Long parcours semé d’embûches et d’espoirs suivis de déceptions.

Mais aujourd’hui, une porte s’ouvrait. Ils allaient faire la connaissance d’une petite fille que la joie avait oubliée là, laissée seule sans plus de maman pour la protéger et la câliner.

Ils prendraient place, désormais, dans son cœur qu’ils espéraient combler d’un amour sans failles.

C’était comme si deux malheurs se rapprochaient pour sceller un nouveau bonheur, une nouvelle et belle histoire de famille.

Joyce était nerveuse. Elle n’avait de cesse de gesticuler, de parler vite et fort, posant son regard sur la banquette arrière pour vérifier si les cadeaux étaient bien avec eux.

⸺ Calme-toi ! dit Robbie. On dirait que des punaises ont envahi ton siège.

⸺ Je suis si impatiente !

La jeune femme tenait une photo serrée entre ses doigts fébriles. La fillette ne souriait pas, ne souriait plus. Toutefois, elle arborait une chevelure si rousse, ses joues étaient si pleines et ses yeux si verts qu’on aurait pu croire que toute la beauté terrestre s’était déposée délicatement sur sa petite personne.

⸺ Je le suis aussi, confirma le futur papa. Mais nous allons juste faire connaissance. Souviens-toi, elle ne viendra pas encore avec nous. Il faut qu’elle nous adopte avant, on était d’accord.

⸺ Je sais, ne t’inquiète pas. Mais je n’y peux rien, je l’aime déjà.

Robbie sourit de voir son épouse si enjouée. Il y avait si longtemps…

La route n’en finissait pas. La jeune femme tenta de se concentrer sur le paysage pourtant somptueux qui défilait sous ses yeux. La nature les avait gâtés. Elle leur offrait le spectacle de couleurs verdoyantes, passant du gris au doré. La pluie se calmait et laissait apparaître la lande caressée par une brise légère. Un vrai tableau de Maître.

⸺ C’est vraiment magnifique, dit-elle enfin.

⸺ Oui, je ne regrette pas d’avoir déménagé. On sera bien, ici.

Joyce baissa la vitre et combla ses poumons d’un air nouveau.

***

La maison pour enfants d’Inverness ne comptait pas moins de trente-deux pensionnaires de tous âges. Du nouveau-né à l’adolescent boutonneux.

À sa direction, une mère supérieure que le temps n’avait pas épargnée. Sous des airs sévères et stricts, elle cachait tout de même un grand cœur.

Elle était aidée par une brochette de onze autres religieuses, également d’âges confondus.

On ne pouvait pas qualifier l’ambiance de festive, mais il y avait pire comme endroit. La bâtisse était un ancien château médiéval, magnifiquement modernisé et orné de fresques enfantines dans les pièces communes.

Certains murs avaient été abattus pour créer des dortoirs, les chambres étant réservées au personnel qui souhaitait séjourner sur place et aux religieuses, bien évidemment.

Tout autour s’étalait un parc, dérangeant pour certains, mystérieux pour d’autres. Des arbres plusieurs fois centenaires faisaient une haie d’honneur de chaque côté de l’allée depuis le portail jusqu’aux marches du château. Ce dernier semblait régner en maître sur l’immense jardin qui s’étirait telle une toile d’araignée maintenant ses occupants tout près d’elle.

La directrice avait convoqué la petite fille à son bureau pour l’informer de la bonne nouvelle. Elle allait enfin retrouver l’équilibre d’une famille aimante.

La fillette ne montra pourtant aucune joie, restant placide et d’une froideur déconcertante. Aucun mot, aucun sourire. La directrice en fut déstabilisée, peu coutumière de cette réaction à l’annonce d’un tel événement.

L’enfant opéra un demi-tour et sortit du bureau en courant, comme si la panique l’envahissait soudain.

***

La pluie avait cessé. Le voile brumeux se déchirait enfin devant le véhicule des parents en devenir. Le reste de leur vie s’amorçait comme une pièce de théâtre. L’imposant portail s’ouvrait sur le décor somptueux du manoir écossais.

⸺ On y est ! s’écria Joyce.

Robbie ne dit rien, se satisfaisant d’un sourire.

Le véhicule stoppa sur le parking proche. Ils eurent la plus grande difficulté à se retenir de courir vers l’entrée de la bâtisse.

La directrice était déjà sur le pas de la porte. Elle tendit la main pour les accueillir.

⸺ Monsieur et Madame Stevenson, je présume ? Je suis la mère Marie-Clémence.

Le couple s’approcha.

⸺ Je suis Robbie Stevenson et voici mon épouse, Joyce. Nous sommes enchantés.

⸺ Entrez, je vous en prie. Suivez-moi, mon bureau est par là.

Elle désigna une porte sur laquelle était inscrit « DIRECTRICE » en lettres d’or sur une plaque de plexiglass.

Une fois à l’intérieur, elle les pria de s’asseoir.

Devant elle, un dossier contenait la vie d’une petite fille. Elle tenait en quelques pages. La religieuse prit les documents et les présenta à ses invités.

⸺ Voilà ! dit-elle. Voilà ce que vous devez connaître de la petite. Lisez-le, le temps qu’elle arrive, je vais demander qu’on nous l’amène.

Le couple était fébrile. Joyce saisit le dossier et tous deux commencèrent à le parcourir.

La directrice appela le dortoir pour donner ses ordres.

⸺ Sœur Marie-Espérance, amenez la petite à mon bureau, s’il vous plaît, les adoptants sont arrivés, merci.

Plus formel aurait été superflu. Les paroles de cette femme claquaient les murs comme un fouet. Aucun sentiment ne s’échappait de son cœur. Les « adoptants » n’y firent aucun cas, trop absorbés par la lecture des feuilles volantes.

⸺ Vous avez des questions ? demanda-t-elle.

⸺ Sa vie n’a pas toujours été drôle, ironisa Robbie. On a attrapé le type qui a tué sa mère ?

⸺ Je ne pense pas, il a commis un autre méfait il y a un mois. La mort de sa mère remonte à six mois.

⸺ Elle va bien ? s’enquit Joyce.

⸺ Au mieux qu’on puisse être après une telle horreur.

On frappa à la porte. Sans attendre l’invitation à entrer, une jeune femme l’ouvrit, laissant apparaître devant elle, une petite fille aux cheveux roux et au teint blême.

⸺ Viens, mon enfant, dit la directrice, tendant son bras vers elle.

La fillette s’avança timidement, pour s’arrêter derrière les fauteuils de ses futurs parents.

Ces derniers se levèrent en même temps pour l’entourer et s’accroupir devant elle.

⸺ Je vous présente Lucy, précisa la maîtresse du manoir.

⸺ Bonjour, ma chérie, commença Joyce. Que tu es jolie ! Je m’appelle Joyce et j’espère devenir ta maman.

⸺ Et je suis Robbie, ajouta le papa.

La petite fille ne dit rien. Ses yeux étaient éteints. Elle semblait résignée.

⸺ Il fait beau, allez donc dehors faire une petite promenade, reprit la directrice. Lucy, montre-leur le jardin. Je vais faire préparer un goûter, rendez-vous dans un quart d’heure. Une domestique viendra vous chercher.

C’était entendu, Robbie n’aimait pas cette femme. Il acquiesça de la tête et se releva pour prendre l’enfant dans ses bras. Joyce la regardait déjà comme un bijou sans prix.

 Ils sortirent à la faible lueur de l’hiver. Le soleil rasait le sol. Les branches des arbres s’étiraient vers le ciel comme en prière. Il faisait froid. La neige ne tarderait certainement plus à saupoudrer ses flocons pour ajouter une note supplémentaire au paysage féerique qui s’étalait à perte de vue.

Le jardin affichait complet. Des enfants jouaient, criaient et se poursuivaient. Leurs joues étaient écarlates et leurs yeux rieurs.

Robbie déposa la fillette qui resta figée. Il tenta la balançoire.

⸺ Viens, montre-moi comment tu joues à ce jeu, dit-il, plein d’espoir.

Lucy s’exécuta, pour être gentille, toujours sans la moindre expression sur son visage.

Sans parler, elle s’assit sur la planche en bois de l’engin et se balança.

Joyce se plaça derrière elle pour la pousser légèrement. Lucy ne dit toujours rien. Elle leva les yeux vers une fenêtre. Joyce fit de même, sans comprendre.

⸺ Tu vois quelque chose, chérie ? questionna-t-elle.

Lucy répondit par la négative, d’un hochement de tête.

Robbie tenta de monter, lui aussi, sur la balançoire voisine, faisant mine de tomber en arrière, au risque de se blesser.

Ses jambes en l’air illuminèrent enfin la petite fille. Joyce en pleura presque, voyant cette enfant rire à gorge déployée. L’émotion la submergeait.

À l’aplomb du jardin, au deuxième étage, quelques fenêtres étroites étaient alignées sur l’immense façade aux murs épais. Quatre d’entre elles faisaient partie de la bibliothèque.

Lucy riait sans pouvoir s’arrêter. Elle regarda à nouveau vers le haut en direction d’une des fenêtres de la salle de lecture, et stoppa net.

⸺ Tu vas bien, mon cœur ? s’inquiéta Joyce.

L’enfant acquiesça d’un nouveau hochement de tête.

Le regard de Joyce se posa, à son tour, sur la fenêtre.

Cette dernière se teinta d’un blanc laiteux, gelée par un souffle glacial venu de nulle part.

La jeune femme resta pantoise. Son époux vint la rejoindre après s’être relevé de sa chute spectaculairement drôle.

⸺ Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle le regarda pour lui répondre :

⸺ C’est la vitre là… on dirait qu’elle est gelée…

Ils regardèrent ensemble la fenêtre, pour remarquer qu’elle était aussi limpide que les autres.

⸺ Mais… je te jure, elle était quasiment blanche.

On va rentrer chérie, se moqua Robbie. Le froid te donne des visions.

La jeune femme n’insista pas. Le couple prit le chemin du retour au manoir, tenant chacun de son côté, la petite main de leur fille.

Une femme vint à leur rencontre. Elle n’était pas religieuse, ses vêtements n’étaient visiblement pas ceux du clergé. Elle les invita à la suivre. Un goûter avait été concocté spécialement pour eux, dans un salon où seules les personnes extérieures étaient conviées.

Les yeux inhabités de la domestique ne pouvaient se détacher de la fillette. Joyce s’en inquiéta.

⸺ Quelque chose ne va pas ?

Le goûter est servi, se contenta-t-elle de répondre, apeurée.

La table ne manquait de rien, le buffet était ouvert. La directrice les pria de s’installer. La fillette était bien à l’abri entre ses parents qu’elle regardait tour à tour. La confiance s’établissait enfin.

⸺ Alors, commença la maîtresse de maison. Vous avez fait plus ample connaissance ? C’est une gentille petite fille, n’est-ce pas ?

⸺ C’est le début, enchaîna Joyce, ça se fera petit à petit, dit-elle en caressant les cheveux de Lucy.

Celle-ci relevait enfin sa jolie tête et sourit à la jeune femme qui en rosit de plaisir.

⸺ Je vous laisse profiter de ces instants entre vous. Prenez votre temps.

Joyce hocha la tête en guise de remerciement. La directrice s’éloigna, un dernier regard pour la fillette.

⸺ Bien ! Et si on faisait honneur à ces bonnes choses ? lança Robbie, les yeux débordant d’envies gourmandes.

Les futurs parents se disputèrent presque pour savoir qui donnerait son premier gâteau, servirait le jus de fruits ou le lait. Lucy s’en amusa et son rire enveloppa le couple d’une onde merveilleuse.

Entre deux bouchées, les futurs parents se renseignèrent sur les activités de leur fille, ses jeux et ses rapports avec les autres enfants. Lucy se fit loquace, pour leur plus grand plaisir.

Ils sentaient le courant passer et voyaient leur avenir dans une parfaite harmonie. Leurs regards entendus traduisaient des espoirs enfin récompensés.

La Mère Supérieure refit surface, souriante à la vue du désordre laissant deviner le bon déroulement de la collation.

⸺ Je vois que tout se passe bien, j’en suis heureuse, c’est un bon départ, se félicita-t-elle, enchantée. 

Ses convives se levèrent de table.

⸺ Nous ferons tout pour que ça marche, ajouta Robbie.

⸺ Très bien ! reprit la religieuse. Ce sera tout pour aujourd’hui. Il y a eu assez d’émotions et trop point n’en faut, comme on dit.

⸺ Dites au revoir à Lucy, je vous attends dans mon bureau, termina-t-elle.

Elle fit volte-face et s’enfuit presque, comme pressée d’en finir.

C’était sans importance. Les futurs parents s’accroupirent une nouvelle fois auprès de la fillette, la tenant par la main, et l’embrassant avec leur cœur au bout des lèvres.

⸺ On revient bientôt ma chérie, murmura Joyce. On te le promet.

⸺ Et tu rentreras avec nous cette fois, enchérit Robbie.

La petite fille sourit.

Soudain, elle se jeta sur eux et les entoura de ses petits bras maigrichons.

⸺ Non ! dit-elle, à la stupéfaction du couple.

⸺ Non ? questionna Joyce, pourquoi ?

⸺ Maman ne voudra pas, répondit l’enfant, elle va être colère.

Le couple n’en revenait pas. Ils avaient été propulsés, en l’espace d’un instant, dans un arc-en-ciel de bonheur inespéré, et le voilà dubitatif, sans réponse à se donner. Ils prirent la petite fille entre leurs bras et l’embrassèrent sans tenir compte de ses paroles, pensant à une imagination débordante.

C’est en silence qu’ils retrouvèrent la directrice pour leur rapporter l’étrange conversation et l’affirmation de Lucy.

La religieuse n’en fut pas plus étonnée que ça. Elle ne put cacher l’inquiétude qui s’affichait sur son visage.

⸺ Ne vous en faites pas, ce n’est qu’une enfant. Elle est sûrement un peu craintive de quitter la maison. Ça lui passera.

⸺ Mais, elle sait que sa maman est morte ? demanda Robbie.

⸺ Oui, ne vous inquiétez pas. Elle l’imagine encore avec elle, c’est tout. Une fois chez vous, elle changera d’attitude.

Le couple acquiesça sans trop de conviction, mais avec grand espoir.

La justice ayant déjà statué, ne restait plus qu’à parachever les dernières formalités. Ils sortirent très vite de l’orphelinat, le laissant derrière eux avec la certitude d’y revenir rapidement récupérer leur fillette.

***

Alors que les autres pensionnaires jouaient aux jeux de leur âge, Lucy emprunta le couloir menant à la bibliothèque. L’endroit n’avait rien à envier aux plus renommées, renfermant des secrets jamais révélés, des ouvrages jamais feuilletés. La pièce était sombre. Certaines fenêtres ne laissaient qu’un mince filet de lumière la traverser, se posant sur une table comme pour inviter le lecteur à profiter de ses merveilles.

La fillette s’y sentait bien, entourée du passé et protégée de l’ignorance. Elle aimait prendre un livre au hasard, s’asseoir sur un fauteuil confortable, et lire ce qu’elle pouvait, peu importait, jusqu’à la tombée du soir. Peu fréquenté, le lieu était silencieux et propice à l’évasion imaginaire.

Une religieuse l’avait suivie. Toujours la même. Toujours celle qui lui rendait la vie difficile, décalquant ses frustrations sur sa jeune personne. Elle agissait sans aucune raison si ce n’était celle de ne pas vivre sa vie de femme, cloîtrée à vie, au service de ces gamins imbuvables. Alors elle frappait, quand ça lui chantait, avec sa main, une règle ou une ceinture. Elle frappait la petite fille.

La tortionnaire ouvrit la lourde porte de bois et pénétra à son tour dans la semi-pénombre de la pièce.

⸺ Mais c’est l’idiote ! Qu’est-ce que tu fiches là, encore à traîner comme une mauvaise odeur ? Il paraît que tu vas nous quitter ? Ils changeront d’avis quand ils te connaîtront. Tu es un démon. Tu reviendras et tu resteras ici toute ta vie, pauvre tache !

La petite fille restait recroquevillée sur le fauteuil sans répondre. Elle s’attendait à voir le bras de cette femme s’abattre sur elle une fois de plus.

L’infâme s’approcha, s’étant munie d’un gros dictionnaire oublié sur une table. La fillette s’arc-bouta de plus belle, s’apprêtant à subir le courroux dénué de sens.

La religieuse qui n’en avait que la dénomination, leva ses bras pour agir, lorsque la directrice pénétra dans la pièce.

⸺ Sœur Bénédicte ? Que faites-vous ?

Cette dernière, gênée, reposa l’ouvrage sur la lourde table de chêne.

⸺ Rien, ma Mère. J’allais expliquer un mot à Lucy.

⸺ Tout va bien, chère enfant ? s’enquit-elle.

Lucy hocha la tête dans l’affirmative.

La directrice tendit sa main.

⸺ Viens avec moi, chérie, on va au jardin. Tu as besoin d’air.

Le regard de la Mère Supérieure se posa sur sa religieuse tel un doigt réprobateur.

⸺ Je vous prierai de ne plus avoir aucun contact avec cette petite, vous me comprenez bien ? Plus aucun contact, c’est compris ?

La religieuse acquiesça en silence.

***

Les services de l’ordre avaient investi l’orphelinat depuis la découverte d’un corps lardé de lances.

La nuit s’était pourtant passée sans troubles, du moins, pour la majorité des occupants du château. Seule une religieuse avait eu l’infortune de faire une rencontre mortelle.

Certaines sœurs se rendant à la bibliothèque, avaient pu constater l’horreur de la scène. Les signes de croix fusèrent et les cris s’intensifièrent au fil de l’attroupement.

La directrice ne fut pas en reste. Cependant, elle eut la présence d’esprit de faire sortir les curieuses et de refermer la porte à double tour avant d’alerter la police.

Cette dernière ne tarda pas, suivie de près par les services de la médecine légale.

L’inspectrice Megan Fergusson et le sergent Eliott Douglas furent dépêchés sur place. Ils avaient étudié la scène, leurs regards s’étaient croisés, stupéfiés par la violence qui s’était abattue dans ce lieu inaccoutumé à ce genre de forfaits.

La religieuse, coupable récurrente de mauvais traitements infligés à la petite Lucy, avait été retrouvée littéralement clouée sur la porte d’une large armoire de bois, trois lances médiévales plantées sur l’abdomen.

Après avoir posé des questions aux unes et aux autres, les enquêteurs étaient revenus en lieu et place de l’étrange homicide.

⸺ T’en penses quoi ? commença Megan.

⸺ Il est sacrément balaise, celui qui a fait ça ! Ils étaient peut-être plusieurs, avança le sergent.

⸺ En tout cas, c’est pas notre tueur des Highlands, il ne procède pas comme ça. D’après ce que j’ai vu, il y a du personnel, et quelques ados bien charpentés. On va chercher dans cette direction.

⸺ J’ai déjà interrogé le personnel et les autres bonnes sœurs, sans résultat. Oui, on devrait parler aux enfants, acquiesça Eliott.

⸺ Je vais voir les plus âgés, tu t’occupes des plus jeunes. On se retrouve ici dans une heure.

Le duo d’enquêteurs n’avait plus rien à faire dans la pièce. Ils sortirent et passèrent devant Lucy, assise sur une chaise dans le couloir, qui coiffait sa poupée tout en chantonnant un vieil air populaire.

La petite fille leva les yeux à leur passage. Des yeux profonds, saturés de colère.

Megan baissa les siens à sa hauteur et un frisson la parcourut.

⸺ Cet endroit me fait flipper, souffla-t-elle à son collègue.

⸺ Chochotte ! répondit ce dernier, taquin.

Ils partirent chacun de leur côté à la recherche de réponses. Les enfants avaient reçu l’ordre de rester dans leur chambre. Il fut donc aisé de les trouver. Megan se rendit dans l’aile des adolescents.

Il y en avait onze, de treize à seize ans. Elle commença par les plus jeunes, sans grande conviction et sans résultats. Ils dormaient comme des anges au moment du meurtre. Les trois dernières chambres abritaient les plus âgés. Trois garçons de quinze à seize ans.

Elle les entendit séparément. Tous trois avaient un point commun. Ils détestaient les bonnes sœurs, et une en particulier. Sœur Bénédicte, qui, loin de les maltraiter comme elle le faisait pour la petite Lucy, leur portait un intérêt déplacé. Des trois, le jeune Alan, seize ans, avait sa préférence. Des trois, il fut le plus prolixe.

Il parla sans la moindre honte, trop heureux de vider cet abcès qui enflait depuis longtemps et pouvait enfin éclater au grand jour. Elle était morte, et plus aucune menace pour retenir son ressenti. Elle n’était plus là, il était enfin libre de parler et de dénoncer.

Megan l’écoutait, attentive à son désarroi. La confiance s’était installée en un instant.

Il révéla comment « Cette pourriture l’avait dépucelé », il avait à peine treize ans et comment, deux à trois fois par semaine, elle venait se vautrer dans son lit et en ressortait en réitérant la même menace de le tuer s’il ne gardait pas le silence. Au fil du temps, il s’était résigné.

L’adolescent affichait un air dégoûté et les larmes firent leur apparition.

Megan en fut désarçonnée. Elle ne s’attendait pas à un tel témoignage. Malgré sa compassion, elle demanda de but en blanc et sans transition, s’il n’était pas l’auteur du carnage. Le jeune garçon en fut horrifié. Lui ne s’attendait certainement pas à cette question.

⸺ Je me confie à vous et vous m’accusez ? C’est dégueulasse ! Non, je l’ai pas tuée. Si j’avais voulu la descendre, il y a longtemps que cette salope aurait rejoint son patron.

Il se recroquevilla sur son lit et n’ajouta plus rien. Megan prit sa réponse pour argent comptant. Ce gosse était innocent. Malgré sa corpulence qui aurait pu aisément agencer cette mise en scène macabre, il n’avait pas la force mentale de le faire. Elle était assez coutumière des dissimulations pour être capable de repérer le moindre indice sur un visage. Ici, rien de condamnable. Seule la détresse émergeait de cet enfant qui n’en était plus un depuis bien longtemps.

Elle s’assit près de lui et prit sa main.

⸺ Je sais que tu n’as rien fait. Je suis désolée. Je te donne ma carte. Si tu veux simplement parler, je suis là.

Alan releva la tête et lui sourit, les larmes coulant de plus belle.

Le bureau de la directrice était ouvert. Cette dernière était debout devant la fenêtre.

Megan frappa pour s’annoncer et entra, suivie de son sergent.

La patronne des lieux se retourna. Son visage déjà abîmé par les années montrait une inquiétude, pour ne pas dire une angoisse.

⸺ Ah ! Asseyez-vous, je vous prie, proposa-t-elle.

Les visiteurs prirent les lourds fauteuils à l’habillage vert bouteille et aux dorures apparentes.

⸺ Vous avez quelque chose à me dire ? demanda la directrice.

⸺ Non, madame, répondit Megan. Et vous ?

⸺ Moi ?

⸺ Personne n’a rien vu, à ce qu’il semble. Vous n’avez reçu personne ? Aucun étranger à l’établissement ? Plombier, réparateur ? Visiteur ?

⸺ Deux couples sont passés voir trois enfants. Deux frères et une petite fille. Mais je doute qu’ils soient pour quelque chose, dans ce…

La religieuse prit un mouchoir et le porta à son nez.

⸺ Désolée, reprit-elle.

⸺ Je vous en prie, dit Megan. Ces couples, vous les connaissiez déjà ?