Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Rue Van Swae, c'est l'histoire d'un deuil et d'une rencontre. Le deuil d'un oncle, aimé, mais dont on connait peu la vie, la rencontre avec ce même oncle à sa disparition. Une balade dans une vie, un univers autre, insoupçonné, agrémenté d'anecdotes, des récits de voisins, des traces laissées par des objets, des souvenirs... Une vie qu'on imagine, qu'on découvre au fil des voyages en Belgique. Rue Van Swae, c'est nous avec la mort, c'est lui avec la vie.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 109
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
A mon oncle
A mes sœurs, à leur présence constante,
indispensable et si précieuse
Premiers pas en Belgique
Bruxelles
Tombe la neige
Oncle Adamo et tante Ghislaine
La rue Van Swae
Rue Van Swae
Mariette
Une histoire qui ressemble à la sienne
Un air de comptoir
Nathalie
Le coup du lapin
Bella
Rue Pannenhuis
L’appartement
Une vie à deux
Des livres, encore des livres
Quelques fleurs sur les murs
Et des tableaux
Un bien beau diplôme
Tristesse
Seuls les pantalons rallongent
Allers retours
La vente
Comme un état des lieux
Le roi casqué
Et Rodin
Le vide maison
La femme du diplomate
Petit Boy
Et nous qui pensions …
L’inondation
La vente
Epilogue
Un jour j’irai à Knocke
« L’amour est un trésor de souvenirs »
Honoré de Balzac
« On n’oublie rien de rien, on s’habitue, c’est tout. »
Jacques Brel
Les policiers belges ont téléphoné ce trente décembre. Ils nous ont dit qu’ils avaient trouvé le corps de mon oncle. Dans son lit. Ils ont été alertés par des amis qui ne l’avaient pas vu au rendez-vous fixé la veille. Plus précisément, c’est ma sœur aînée qu’ils ont appelée. C’est à elle qu’on donne chaque fois les mauvaises nouvelles.
C’est dur d’être la plus grande.
Vingt ans plus tôt, c’est elle que la clinique a appelée pour annoncer que notre père allait bientôt partir. Moi je n’ai pas pu y croire. La mort de mon père était inenvisageable, inconcevable. C’est le premier grand deuil. Ma chair a été touchée à vif. Oui il y avait eu des décès auparavant, mais celui-là, c’est comme si une partie de moi avait été amputée.
C’est elle aussi qui était là quand notre mère s’en est allée dans la nuit, neuf ans plus tard. Autre amputation. Cataclysme. Elle m’a appelée avec le plus de tendresse possible pour adoucir le choc. Elle était restée dormir chez elle la nuit, et maman a dû être rassurée de ne pas être seule pour commencer son grand voyage.
C’est à elle que la police a téléphoné ce soir-là C’est elle l’aînée.
Oncle Adamo n’a pas d’enfants. Le numéro de ma sœur était posé là, sur la table. C’est à nous de gérer, à nous d’y aller.
La Belgique ne nous a pas accueillis.
Journées froides, début janvier. Aux abords de la gare du midi, les SDF tentent de se réchauffer comme ils peuvent. Des matelas sont alignés, par terre, sous le tunnel qui jouxte la gare. Première image, glaçante, de Bruxelles, de tous ces êtres malmenés par la vie. Chaque fois je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi, quelles sont les raisons qui les ont fait basculer, comment ils vivent cette errance, quel sens tout ça a de continuer. Mais je n’ai pas le temps de m’attarder sur mes réflexions. Nous allons poser nos bagages à l’hôtel, et aller chez notre Oncle. Mon beau-frère et mon neveu sont avec nous, ça réchauffe le cœur.
Il fait froid, humide. Le Covid s’est invité à ce bref séjour. Les boutiques et de nombreux restaurants sont fermés, même les transports en commun n'affichent pas complet, pandémie ou lendemains de fête…
Ici, à Bruxelles, devant ce commissariat, dans cette humidité qui pénètre nos êtres, on se retrouve comme trois gamines paumées auxquelles on va remettre les clés d’une réalité à laquelle elles ne s’attendaient pas. La porte de l’appartement a été fracturée par les secours, les clés sont là, dans ce bâtiment imposant et froid.
Les clés de notre Oncle Adamo sont peu nombreuses, mais si lourdes. Trouver l’adresse, « ce n’est pas loin, on ira à pied », chacun cherche le GPS sur son portable. Les estomacs se serrent, les mots se font de plus en plus rares.
C’est là.
L’appréhension nous saisit. Nos regards se croisent, nous pénétrons silencieusement dans l’appartement. Nous ne sommes pas chez nous, nous nous sentons comme des étrangères dont le devoir est de prendre possession des lieux et de l’intimité de notre oncle.
Un premier tour dans l’appartement. Il fait froid, l’humidité nous surprend. On se demande comment notre oncle se chauffait… Bon, l’appartement, plus tard, là, il faut organiser les funérailles.
Oncle Adamo nous l’avait dit, tout est prévu pour les obsèques. Pour sa dernière tenue, il ne nous a rien dit. Trouver des vêtements. Penser qu’il est enveloppé, là-bas aux pompes funèbres, dans une « blouse » qui ne lui appartient pas est insupportable.
- Comment on l’habille ?
Des dizaines de costumes confectionnés par Tante Ghislaine, dans des housses de protection, sont alignés dans l’armoire…
- Plutôt noir, marron, bleu ?
- Waouh, toutes ces cravates !
La tristesse laisse place à la surprise.
- Et ces chemises…
- Bon on va le faire tout beau pour qu’il aille rejoindre sa douce.
- On lui met des chaussettes ?
- Regarde dans le placard, je crois qu’il y en a…
- Heu…
- Mais non !
- Mais si !
Quelques sourires devant cette quantité de chaussettes, propres, neuves, encore emballées.
Ce sera ainsi pour tout.
On est perdues, penser à tout, ne rien oublier, parce qu’on habite bien trop loin pour revenir souvent. Réparer la porte d’entrée fracturée par les pompiers pour entrer, et puis, trouver un notaire. Il faut bien y penser. Un trois janvier, à Bruxelles, pendant le Covid… fouiller les papiers de notre oncle pour ça… Quelle épreuve ! Se dire qu’on est obligées, que de toutes façons il faudra bien le faire. Qui d’autre ?
Par où commencer….
Quand on a vidé l’appartement de papa et maman, quelques années auparavant, ici, en France, près de chez nous, on l’a fait, avec amour. Le moindre papier a été lu et relu, le moindre objet a été caressé, sauvé, nous avons humé leurs vêtements pour retrouver ces odeurs qui avaient bercé nos vies, nous avons versé des larmes et ri aux souvenirs qui venaient adoucir ces terribles moments, ou qui les rendaient plus difficiles encore. Nous étions trois, trois sœurs, trois sœurs blessées, anéanties, et proches, tellement proches, et chacune, et toutes, soutenues par les familles des unes et des autres. La douleur, le chagrin, étaient enveloppés dans une bulle bienveillante qui s’était formée autour de l’appartement de nos parents.
Bruxelles, c’est différent. Oui, il y a la tristesse, oui, nous sommes ensemble, mais écrasées par ces responsabilités, par le temps qui nous manque, par une organisation qui nous perd, par ces souvenirs qui envahissent l’appartement et ne nous appartiennent pas. Et puis, cette mort si soudaine, inattendue… Jamais nous n’avions pensé que ce serait à nous de tout gérer.
Pleurer Oncle Adamo ? Pas le temps. Pas tout de suite. Pourtant, on l’aimait tant.
Nous nous trouvons une fois de plus plongées dans le monde des aînées. Celles qui doivent prendre des décisions, organiser. Celles qui n’ont plus, au-dessus d’elles, d’autres aînés pour leur indiquer le chemin. Ne rien oublier. Vêtements, pompes funèbres, fleurs, parution journal, la voisine, Simone, peut-elle aussi, avertir d’autres personnes… de sa vie nous connaissons si peu de choses.
Simone nous a suggéré de lui mettre un chapeau « Il ne sortait jamais sans, vous savez, je crois qu’il aurait voulu ».
Nous choisissons celui qui est sur le vestiaire à l’entrée, c’est probablement le dernier qu’il aimait porter.
L’appartement d’oncle Adamo est si froid. Une pudeur nous empêche de toucher quelque objet que ce soit. Par curiosité, l’un de nous ouvre le frigo. Il déborde de nourriture. Une sauce tomate est prête dans une casserole. Notre oncle avait pour habitude de préparer sa sauce tomate pour deux ou trois jours, et de la conserver au frais. Une tomme de fromage, encore emballée, des fruits, des légumes, son fromage pour ses fameuses tartines du matin. De quoi passer les fêtes dans l’abondance, mais toujours dans la simplicité. Nous ne pouvons pas toucher à cette nourriture qui semble pourtant nous attendre. Ce dernier repas que notre oncle pourrait nous offrir, nous ne parvenons pas à l’accepter. A peine osons-nous regarder une liste de contacts téléphoniques posés sur la table. Quelques prénoms nous sont connus, il nous faut annoncer la triste nouvelle.
Un dictionnaire de médecine est posé là. Il est ouvert à la lettre C, comme cœur. Oncle Adamo n’a pas pris la peine de remettre la chaise correctement, elle est un peu de biais contrairement aux autres. Cela ne lui ressemble pas.
Pourquoi n’a-t-il pas appelé les secours, lui qui a senti sa poitrine se serrer dans la journée ? Pour ne pas déranger sans doute. Il y a quelques temps, il avait pris le tram pour se rendre à l’hôpital pour une opération, à l’aller et au retour. Oncle Adamo ne demandait rien, à personne, jamais.
Oncle Adamo, comme c’est étrange de s’emparer de cet univers qui est le tien...
En ce petit matin de janvier, des personnes se pressent devant l’église aux briques rouges de la place de la gare à Jette.
De la famille d’oncle Adamo nous ne sommes que cinq. Mes deux sœurs, mon beau-frère, mon neveu et moimême.
Nous nous apprêtons à rendre un dernier hommage à notre oncle, à lui adresser un dernier au revoir. Aucun d’entre nous n’est en mesure de dire s’il y aura du monde ou pas.
Nous connaissons si peu sa vie, ici.
Petit à petit l’église se remplit. Un homme des pompes funèbres nous explique comment va se dérouler la cérémonie. Attendre que tous soient rentrés.
Nous regardons ces visages tristes. Tous ces gens que nous ne connaissons pas. Qui sont-ils ? Sans doute beaucoup sont de la famille de Tante Ghislaine, l’épouse de notre oncle, mais lesquels ? Parfois certains viennent se présenter. Il y a ses amis du boulodrome, certainement les derniers à l’avoir vu. Ce sont eux qui ont téléphoné aux pompiers. C’est grâce à eux que le corps de notre oncle a été découvert au bout de quelques heures seulement. Ils sont inconsolables. Tous parlent de sa gentillesse. A travers leurs mots, j’entends mon oncle me raconter le boulodrome.
C’est bien de mettre des visages sur des personnes dont je connais l’existence, mais dont j’ignorais jusqu’au prénom.
Nous pénétrons dans l’église à la suite du cercueil, comme voulu par le monsieur guide des pompes funèbres, sous le regard de tous, tristes, mais heureuses et fières à la fois, de pouvoir offrir ce dernier cadeau, ce dernier hommage à notre oncle. Il est tellement important pour nous d’être là pour lui. Il aurait été heureux aussi sans doute de nous savoir ici, présentes. Les larmes abondent sur mon visage, sur celui de mes sœurs, mon beau-frère et mon neveu sans doute aussi, mais je ne les vois pas. Je m’enferme dans ma bulle de chagrin.
La crèche de Noël est encore sur l’autel. C’est une crèche imposante. Marie, de taille presque humaine, semble attendre mon oncle, sereinement. Une poésie et une communion se sont installées dans ce lieu quelque peu austère et froid. Jusqu’à ce que l’orgue résonne.
Les fausses notes qui s’échappent de ces grands tubes et la voix qui entonne les chants religieux que je ne reconnais pas, tant ils sont mal chantés, sont autant de sons qui viennent distraire ce moment solennel. Regards furtifs avec mes sœurs, mais pas trop, par peur de nos propres réactions.
Une dernière blague d’Oncle Adamo, sans doute, un ultime clin d’œil.
Cette église, c’est celle dans laquelle nous étions pour tante Ghislaine.
- Mon épouse est décédée, les funérailles auront lieu le quatorze Juillet.
- Mon épouse est décédée, les funérailles auront lieu le quatorze Juillet.
- Mon épouse est décédée, les funérailles auront lieu le quatorze Juillet.
Cette phrase semble avoir été apprise par cœur, répétée, encore et encore pour mieux intégrer la violence de la réalité.
Il s’est entraîné à la dire, c’est certain, pour s’en convaincre. Il essaie d’y mettre le moins d’émotion, le plus de distance possible, pour ne pas fondre en sanglots.
Mon épouse est décédée, pas votre tante, ni votre sœur, ni votre cousine, ni même Ghislaine.
Oncle Adamo a pris son téléphone, il a appelé toutes les personnes qu’il connaissait : les frères et sœurs encore en vie de Tante Ghislaine, le nombre infini des neveux de Tante Ghislaine, tous les voisins qu’il apprécie, et il y en a, et pour finir, sa famille à lui, plus réduite, si réduite, que les seuls touchés se comptent sur les doigts de la main.
Oncle Adamo est tellement préoccupé par l’organisation, par le dernier hommage à Tante Ghislaine, qu’il veut beau et digne, qu’il a du mal laisser paraître sa tristesse et à nous laisser exprimer la nôtre. Sans doute a-t-il peur de ne pas parvenir au bout de cette mission qu’il s’est fixée.
Oncle Adamo et Tante Ghislaine… Les inséparables.
C’est ainsi que certaines personnes se plaisent à les nommer dans le quartier.