Russie : Les cendres de l'empire - Alain Délétroz - E-Book

Russie : Les cendres de l'empire E-Book

Alain Délétroz

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  • Herausgeber: Nevicata
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2014
Beschreibung

Parce que pour connaître les peuples, il faut d’abord les comprendre

Comment être Russe aujourd'hui ? Et comment comprendre une Russie sur laquelle semblent déferler de bien mauvais vents nationalistes ? La meilleure des réponses est d'arpenter son immense territoire, de recueillir les témoignages et de reconstituer, au coin d'un feu réconfortant dans les neiges et le froid de l'hiver, l'histoire extraordinairement tragique de ce grand pays.

Il faut redécouvrir la Russie, marquée de façon indélébile par son immensité géographique. Il faut se glisser dans la tête de ses habitants, sortis à la fois si traumatisés et si fiers de tant de convulsions historiques. La superbe langue de Pouchkine déroule, insatiable, des récits à vous couper le souffle que seuls les toasts portés avec vos petits verres remplis de vodka vous permettront de digérer. Laissez-vous emporter par cette terre d'aventure animée d'une inextinguible soif spirituelle et si riche en drames, en émotions, en grand espaces.

Ce petit livre n'est pas un guide. C'est un décodeur. Il raconte le glacis impérial russe, des portes de l'Europe aux marches de l'Asie. Un voyage amoureux mais lucide dans une Russie toujours à la recherche de son grand dessein.

Un voyage historique, culturel et linguistique pour mieux connaître les passions russes. Et donc mieux les comprendre.

EXTRAIT 

Bien des années plus tard, une image remonte dans ma mémoire, aussi vivante que si tout cela était arrivé hier. Chaque fois que je retrouve les trottoirs d’une grande ville russe en hiver, le même souvenir m’assaille. Chaque fois que je hume l’air froid à pleins poumons, que mes yeux sont attirés par la démarche raffinée de jeunes femmes emmitouflées dans de tendres fourrures sibériennes ou que mes narines sont chatouillées, sur l’escalator d’une station de métro, par les effluves de graisse à moteur typique des chemins de fer russes, c’est ce premier hiver en Russie qui renaît.

Décembre 1991 : j’arrive en Union soviétique pour effectuer un séjour linguistique dans le terrible hiver russe. La famille qui me reçoit a organisé une petite fête en mon honneur pour la Noël catholique, qui se célèbre quinze jours avant la Nativité orthodoxe russe. L’appartement, d’une seule pièce, à la fois chambre à coucher, salon et salle à manger, suffoque sous une épaisse fumée de tabac. Le gel glace les vitres. Les premiers toasts commencent à réchauffer les estomacs et les cœurs. Et voilà qu’apparaît, sur l’écran de la télévision posée dans un coin de la pièce, le visage contracté du président de l’URSS… qui annonce la dissolution de la grande Union .

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

[...] Belle et utile collection petit format chez Nevicata, dont chaque opuscule est dédié à un pays en particulier. Non pas un guide de voyage classique, mais, comme le dit le père de la collection, un «décodeur» des mentalités profondes et de la culture. Des journalistes, excellents connaisseurs des lieux, ont été sollicités [...]. À chaque fois, un récit personnel et cultivé du pays suivi de trois entretiens avec des experts locaux. -  Le Temps

Comment se familiariser avec "l'âme" d'un pays pour dépasser les clichés et déceler ce qu'il y a de juste dans les images, l'héritage historique, les traditions ? Une démarche d'enquête journalistique au service d'un authentique récit de voyage : le livre-compagnon idéal des guides factuels, le roman-vrai des pays et des villes que l'on s'apprête à découvrir. -  Librairie Sciences Po

À PROPOS DE L'AUTEUR

Analyste politique et spécialiste de questions humanitaires, Alain Délétroz travaille en Russie et dans l'espace ex-Soviétique depuis plus de vingt ans. Sa passion russe a, toujours, guidé son écriture.

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L’ÂME DES PEUPLES

Une collection dirigée par Richard Werly

Signés par des journalistes écrivains de renom, fins connaisseurs des pays, des métropoles et des régions sur lesquels ils ont choisi d’écrire, les livres de la collection L’âme des peuples ouvrent grandes les portes de l’histoire, des cultures, des religions et des réalités socio-économiques que les guides touristiques ne font qu’entrouvrir.

Écrits avec soin et ponctués d’entretiens avec de grands intellectuels rencontrés sur place, ces riches récits de voyage se veulent le compagnon idéal du lecteur désireux de dépasser les clichés et de se faire une idée juste des destinations visitées.

Une rencontre littéraire intime, enrichissante et remplie d’informations inédites. Parce que pour connaître les peuples, il faut d’abord les comprendre.

Richard Werly (1966) est le correspondant permanent à Paris du quotidien suisse Le Temps. Précédemment basé à Bruxelles, Genève, Tokyo et Bangkok, il s’est lancé dans l’aventure éditoriale de L’âme des peuples après avoir réalisé combien, dans une Europe en crise, la compréhension mutuelle et la connaissance des racines culturelles et religieuses ne cessent de reculer sous la pression d’une économie toujours plus rapide et globalisée.

AVANT-PROPOS

Pourquoi la Russie ?

Bien des années plus tard, une image remonte dans ma mémoire, aussi vivante que si tout cela était arrivé hier. Chaque fois que je retrouve les trottoirs d’une grande ville russe en hiver, le même souvenir m’assaille. Chaque fois que je hume l’air froid à pleins poumons, que mes yeux sont attirés par la démarche raffinée de jeunes femmes emmitouflées dans de tendres fourrures sibériennes ou que mes narines sont chatouillées, sur l’escalator d’une station de métro, par les effluves de graisse à moteur typique des chemins de fer russes, c’est ce premier hiver en Russie qui renaît.

Décembre 1991 : j’arrive en Union soviétique pour effectuer un séjour linguistique dans le terrible hiver russe. La famille qui me reçoit a organisé une petite fête en mon honneur pour la Noël catholique, qui se célèbre quinze jours avant la Nativité orthodoxe russe. L’appartement, d’une seule pièce, à la fois chambre à coucher, salon et salle à manger, suffoque sous une épaisse fumée de tabac. Le gel glace les vitres. Les premiers toasts commencent à réchauffer les estomacs et les cœurs. Et voilà qu’apparaît, sur l’écran de la télévision posée dans un coin de la pièce, le visage contracté du président de l’URSS… qui annonce la dissolution de la grande Union.

Les insultes pleuvent. « Idiot, traître, tu as détruit notre pays ! Dégage ! » Puis, devant mes supplications, le silence finit par s’installer, ponctué encore de quelques exclamations de mépris, mais à mi-voix. La piètre allure de Gorbatchev, qui semble au bord des larmes, finit par faire son effet. Un lourd silence suit l’intervention présidentielle. Puis, un convive fait le plein des verres de vodka, lève le sien et s’exclame : « Allons, buvons à notre avenir radieux sans l’Union soviétique ! »

Les visages et les itinéraires des convives de cette soirée continuent à m’habiter. La plupart d’entre eux allaient sombrer dans la misère. Le jeune adolescent frêle, au bord des larmes tant l’émotion lui étreignait la gorge lorsqu’il me parlait des fleurs et des baies rouges dans le jardin de sa datcha au printemps, serait, trois ans plus tard, condamné à dix ans de camp à régime sévère pour association de malfaiteurs : l’une des fameuses « mafias russes » l’avait recruté… La violence économique, structurelle et criminelle dans laquelle allaient basculer la plupart des sociétés issues de l’Union soviétique ne nous apparaissait absolument pas, ce soir-là, comme l’horizon immédiat de la chute du communisme.

À la fin de cette soirée, je décide de me rendre sur la place Rouge en compagnie d’Olga, une jeune fille de mon âge, aussi discrète que belle. C’est la nuit, il neigeote. Le drapeau tricolore russe a déjà remplacé le drapeau rouge de l’ex-URSS sur la coupole du Kremlin. La place étale ses pavés blanchis, désespérément vide. Idem pour les rues adjacentes ou la place du Manège, en contrebas. Qu’importe la fin de l’empire !

À l’évidence, les Russes préfèrent rester blottis dans la chaleur de leurs appartements plutôt que d’aller manifester sous les murs du Kremlin. Pas d’émotion. Pas de joie libératrice. Pas de désespoir non plus, face à un avenir plus qu’incertain.

Je suis fasciné. La rapidité avec laquelle il a été mis fin à l’Union soviétique et le fatalisme des Russes m’impressionnent. La majorité d’entre eux semblent fort bien s’accommoder de la disparition de ce pays si puissant sur la scène mondiale, mais qui a fonctionné comme une véritable machine destructrice des cultures et des individus à l’intérieur de ses frontières. Je me souviens, sur cette place Rouge vide et glaciale, de l’émotion qui me saisit alors. Nous restons là, prostrés, à regarder la relève de la garde du mausolée de Lénine, à scruter ces soldats élancés dans leurs uniformes impeccables, jambe à angle droit dans un pas de l’oie au ralenti, en un dernier hommage au fondateur de l’URSS dont le tombeau ne serait bientôt plus gardé que par de simples miliciens. Les funérailles de la deuxième grande puissance du monde sont aussi tristes que glaciales. Olga, s’appuyant contre moi, murmure la voix tremblante : « C’en est fait de l’Union soviétique ».

Ce pays où les corps sont choyés ou broyés et les âmes pures ou damnées, où la rudesse d’un pas de l’oie stalinien sur un marbre glacial côtoie la douceur inattendue d’une jeune fille qui se love contre vous, ce pays qui semble se complaire à passer de la gloire au drame, vient de me saisir. La force de ces contrastes me suggère intuitivement que je ne trouverais guère ici cet espace intermédiaire, ces nuances de noir, de gris, si chers aux Européens postmodernes. En Russie, ce serait tout ou rien !

Ce soir-là, pourtant, l’immense pays de Pouchkine, Dostoïevski et Sakharov venait de sauter dans l’inconnu et semblait vouloir tourner le dos à son terrible passé de soumission et de souffrances. Il se lançait corps et âme dans un long baiser inattendu avec la liberté, une étreinte dans laquelle il se donnerait en entier et découvrirait, à ses dépens, que la liberté peut se révéler rapidement une maîtresse bien cruelle pour qui s’offre à elle sans garde-fous.

Peut-on rêver de liberté dans le plus grand pays du monde sans prendre le risque que se désintègre un territoire conquis au prix de tant d’efforts et de sang ? « Non ! » répondirent la plupart des gouvernements russes, justifiant ainsi les pires tyrannies. À l’exception notoire du gouvernement de Boris Eltsine dans les années 1990 qui permit aux Russes de goûter aux délices de la liberté d’expression, alors qu’ils étaient plongés dans une misère noire au nom de réformes libérales. Cette unique expérience de la liberté a donc laissé sur les langues le goût amer de la misère. Ce « non » à la liberté, synonyme de désordre et de pauvreté, domine aujourd’hui. Aimer la Russie, c’est souffrir avec elle de cette réalité. Accepter que l’objet de cet amour nous échappe. Et, parfois, nous déçoive…

Les cendres de l’empire

La Russie ne laisse pas de surprendre le voyageur occidental. Partageant des frontières tant avec la Norvège que la Corée du Nord, la Pologne et les États-Unis, cet immense pays déboussole. Son territoire, la beauté de ses vastes plaines sauvages et peu habitées, la puissance de ses fleuves et la hauteur de ses montagnes, la longueur de ses voies de chemin de fer et le kilométrage surréaliste de ses routes invitent l’étranger à l’humilité. Et le Russe à l’action de grâce.

Étalée sur dix fuseaux horaires entre l’enclave de Kaliningrad et la Tchoukotkie sur le détroit de Behring, la mère Russie a façonné des âmes pétries par les longs hivers, la nécessité de contrôler le territoire et un sentiment naturel de grandeur. Les horaires des compagnies d’aviation nationales défient l’entendement de l’Européen habitué à traverser la France ou l’Allemagne en voiture. Près de neuf heures de vol entre Moscou et Vladivostok ! Près de onze heures pour atteindre Magadan ! Les horaires du Transsibérien se donnent d’ailleurs en jours et non en heures en gare de Vladivostok : une grosse nuit pour rejoindre Khabarovsk, sur les rives du fleuve Amour, depuis la côte pacifique, trois jours pour Tchita en Sibérie, sept pour Moscou !

Les immensités russes n’ont pas seulement façonné l’État qui doit gérer un trésor de cette ampleur, le faire fructifier, le développer et dresser toutes les barrières possibles pour endiguer la menace ancestrale de voir un ennemi fondre par ces plaines immenses, ou empêcher le délitement des pièces de ce puzzle géographique unique. Cette obsession territoriale a aussi profondément marqué l’âme des peuples de la Russie, leur façon de voir le monde et leur contrat social.

Quelques jours après la fin de l’Union soviétique, en janvier 1992, je participe à une discussion animée avec des intellectuels moscovites, chez eux, place du Soulèvement. La table est bien garnie en cette période de pénurie : harengs marinés de la Baltique, boulettes de viande, champignons, caviar et surtout une énorme bouteille de vodka Stolitchnaya, ramenée à table après un séjour sérieux dans les frimas du balcon donnant sur le grand monument sombre à la gloire du soulèvement de 1905. Le verre de la bouteille suinte d’une blancheur gelée. La vodka, rendue visqueuse par les morsures du gel, coule dans nos verres avec l’onctuosité d’un nectar huilé.

Les premiers toasts, rites obligatoires avant chaque verre du brûlant breuvage national, peinent à trouver le chemin de la gaîté, tant la fin de l’Union soviétique semble une catastrophe irréparable pour ces amis profondément soviétiques et communistes convaincus. Face à leurs louanges interminables sur la supériorité de l’ex-URSS, je ne peux m’empêcher de lancer une remarque d’une bassesse toute bourgeoise. « À quoi cela sert-il donc à un pays d’envoyer des hommes dans l’espace si, en 1992 à Moscou, on en est encore, comme vous autres ici, à laver le linge de toute sa famille à la main dans sa baignoire ? Quelle peut donc bien être la supériorité d’un système dans lequel, malgré les discours officiels sur l’égalité, la femme soviétique est rivée à ce travail harassant sur une planche à laver hors du temps ? »

La grandeur de Gagarine

Les visages désarmés et désarmants de mes amis me font sentir que j’ai probablement sorti la plus grosse énormité jamais prononcée aux abords de la place du Soulèvement, au moins depuis la révolution d’Octobre ! Et leur réponse est inattendue : ni soviétique, ni marxiste, mais bien russe. « Mais enfin, répliquent-ils en chœur, tu compares la machine à laver à Gagarine ! Sais-tu ce que c’est d’être citoyen d’un grand pays respecté ? Le premier pays à avoir envoyé un homme dans l’espace ? Le pays vainqueur du fascisme ? Le pays dont les sous-marins nucléaires, sous la calotte polaire, peuvent frapper n’importe quel point du globe sur un simple ordre du Kremlin ? Le seul pays au monde à la fois frontalier de l’Union européenne, des États-Unis et du Japon ? Et tu nous parles d’une machine à laver le linge ! Nous, les Russes, arrivés à Yakoutsk à dos de cheval à travers toute cette Sibérie sauvage en 1632, sommes prêts à sacrifier bien plus que cela pour cette grandeur ! »

La grandeur de l’espace aurait-elle façonné celle des âmes ? Les Récits d’un pèlerin russe1 nous porteraient à le croire. Cet ouvrage rédigé par un illustre anonyme durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle met en scène le voyage à pied d’un pèlerin qui parcourut tout au long de sa vie les immensités de l’empire des tsars, dans le plus grand dénuement, et l’aventure spirituelle d’un marcheur qui s’élève en une relation exclusive avec son Dieu. Le vaste corps offert de la grande Russie devient un lieu sanctifié où l’horizontalité infinie d’un pèlerin se déplaçant à pied, de Kiev à Irkoutsk, finit par projeter le lecteur dans une verticalité éblouissante, aux sources de l’amour et de la véritable humanité.

Durant mes périples à travers les régions russes et les nouveaux États issus de l’Union soviétique, ces Récits d’un pèlerin russe