Sortie balkanique - Limousheels Limousheels - E-Book

Sortie balkanique E-Book

Limousheels Limousheels

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Beschreibung

Noël 1995. C'est la paix dans les Balkans. Du moins en théorie. Car certains veulent profiter des occasions offertes par cette période incertaine. Un criminel de guerre pour assouvir une vengeance personnelle. D'anciens belligérants pour relancer le conflit. De hautes autorités françaises pour obtenir des contrats douteux, mais lucratifs. Un pilote de chasse pour prendre sa revanche sur un commandant d'escadrille injuste. C'est dans ce contexte que le jeune Sylvie Lachan effectue son premier vol en Transall, le mythique avion de transport militaire. Une mission officiellement humanitaire qui, telle une avalanche, va l'emporter vers une nature rude et hostile, reflet de la noirceur de certains hommes. Mais comment faire face à la haine quand les drames s'enchaînent?

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Les aventures de Sylvie Lachan

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Retrouvez toute l’actualité de Limousheels sur :www.limousheels.fr

À toutes celles qui ont subi, qui subissent et qui subiront… Il existe un chemin difficile qui mène à la lumière, à la survie, à la vie…

À C., pour tout…

Des vues aériennes sont disponibles à la fin de l’ouvrage. Je vous invite à les consulter au rythme de la lecture.

Pour l’ambiance musicale, je vous conseille le Chant des Marais, ou Chant des Déportés, au bon moment.

Personnages

Sylvie Lachan

20 ans. Élève-officier et élève-pilote à l’École de l’Air.

Grande rousse d’un mètre quatre-vingt-un.

Franck Pomarel

16 ans. Frère adoptif de Sylvie.

Zvjezdaninina, « Ina »

5 ans. Orpheline croate.

Dominique Lachan, « Domi »

Dominique Lachan, « Dom »

Parents de Sylvie et Franck.

Coumbala Fofana, « Coucou »

Myriam Belfond, « Mymy »

20 ans. Meilleures amies de Sylvie.

Sergent-chef Luiz Marquez, « Louitch »

29 ans. Commando parachutiste de l’air.

Mathias Frou, « Mathou »

29 ans. Pilote de Mirage F1CR.

Général Bernard de Jorsac

54 ans. Chef d’état-major des armées.

Général Régis Dranleu

50 ans. Adjoint à l’inspecteur de l’armée de l’air.

Adjudant Nora Reda

38 ans. Secrétaire et amante du général de Jorsac.

Capitaine Pichard

37 ans. Commandant de bord du Transall.

Lieutenant Wilhem Dorma, « Dodo »

28 ans. Pilote du Transall.

Aspirant Bastien Lurette, « Bastos »

21 ans. Navigateur du Transall.

Major Esdik, « Testik »

51 ans. Mécanicien navigant du Transall.

Adjudant Marc Fourque, « Marco »

38 ans. Mécanicien navigant du Transall.

Capitaine Dupart

30 ans. Commandant d’escadrille, pilote de Mirage F1CR.

Lieutenant-colonel Virlin

37 ans. Commandant l’escadron de Transall « Anjou ».

Colonel Terron

47 ans. Espion et recruteur de Nora Reda.

Vojislav Vomardžić

36 ans. Militaire, Serbe de Bosnie.

Goran

Boris

Subordonnés de Vojislav Vomardžić.

Patrick

48 ans. Homme d’affaires.

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 4 – Mardi 26 décembre 1995

Chapitre 5 – Mercredi 27 décembre 1995

Chapitre 6 – Jeudi 28 décembre 1995

Chapitre 7 – Vendredi 29 décembre 1995

Chapitre 8 – Samedi 30 décembre 1995

Chapitre 9 – Dimanche 31 décembre 1995

Chapitre 10 – Lundi 1er janvier 1996

Vue générale depuis le départ

Vue générale depuis l’arrivée

1

Samedi 23 décembre 1995

12h30, Salon-de-Provence, Bouches-du-Rhône

— Tu vas où ?

Sylvie Lachan interrompit sa lecture et leva les yeux vers Aude, sa camarade de chambre, qui venait de l’interroger. Tout sourire, elle désigna le papier qu’elle parcourait pour la troisième fois :

— Escadron de transport 2/62 Anjou, base aérienne 105 d’Évreux. Je suis attendue mardi matin huit heures ! T’es toujours sûre de ne pas vouloir y aller ?

— Certaine, je t’assure, répondit Aude en secouant la tête. Avec tous les soucis familiaux que j’ai en ce moment, je ne peux vraiment pas. Et je te remercie encore une fois d’avoir accepté de prendre ma place.

— Avec plaisir !

— En plus, je sais de source sûre que ce ne sera pas un stage de motivation, mais un stage de démotivation ! plaisanta Aude avec un clin d’œil. C’est certain, tu vas t’ennuyer à mourir !

— Je me disais bien qu’une telle générosité était louche ! Ça se paiera très cher, c’est tout !

Elles éclatèrent de rire. Aude ferma sa valise :

— C’est l’heure, je file. Joyeux Noël et… bon stage pourri !

— Merci ! Passe toi aussi de bonnes fêtes, prends bien soin de ta famille et à dans deux semaines.

Les deux jeunes femmes se firent deux bises et Aude quitta la pièce à grandes enjambées. Sylvie boucla tranquillement ses bagages, le train qui devait la ramener en Corrèze devant partir plus d’une heure plus tard.

Lorsqu’elle ferma la porte de leur chambre avec son gros sac sur l’épaule, la clé cliqueta inhabituellement dans la serrure. Pas de manière physique, mais auditive. Et psychologique. Dans le Brocard, l’immense bâtiment jaune pâle d’hébergement des élèves de première année de l’École de l’Air, vidé de ses pensionnaires et étrangement silencieux, ses pas résonnèrent sur le carrelage clair des couloirs.

Un faible soleil et un frais mistral l’accueillirent à la sortie. Les yeux clos, Sylvie prit une grande inspiration pour s’imprégner de cette atmosphère si particulière du sud-est de la France. Sèche, résineuse, un peu maritime. Si différente de celle de son Limousin natal, plus humide, plus proche de la terre et de la forêt, surtout à cette saison, en plein hiver.

Ses courts cheveux roux flottaient dans le vent. Sylvie y passa la main, regrettant à moitié de les avoir coupés en arrivant à Salon-de-Provence en septembre dernier. Mais la vie militaire s’accommodait mal d’une longue chevelure descendant jusqu’au bas du dos.

13h00, Mérignac, Gironde

— Tu vas où ?

Luiz Marquez venait de raccrocher en lâchant un interminable soupir. Ses larges épaules s’affaissèrent, ses yeux se fixèrent sur sa femme qui s’inquiétait. Si belle dans sa robe longue, la main délicatement posée sur son ventre qui s’arrondissait de jour en jour. Mais elle avait raison, il allait devoir la quitter.

— Tchad ? insista-t-elle, le nez plissé, les lèvres pincées.

— Non, pas cette fois, répondit Luiz, fataliste. Italie. Brindisi. Je n’étais que remplaçant sur cette mission, mais hier, Michel s’est cassé la jambe en sautant en parachute. J’y vais à sa place…

— Pas le choix, j’imagine ? sourit-elle tristement.

— Non… Malheureusement… Départ mardi prochain pour deux mois. Je suis désolé.

— C’est ton boulot, je le savais en t’épousant.

— T’es un amour. Il y a quand même deux bonnes nouvelles. La première, on peut passer Noël ensemble. La seconde, je serai là pour l’accouchement en avril.

Sa moue se voulut une excuse :

— C’est égoïste, mais, pour moi, la mission sera intéressante. C’est une expérimentation de recherche et de sauvetage au combat avec les hélicos de Cazaux. Tu sais, c’est aller récupérer les équipages d’avions abattus en territoire ennemi. Nos procédures sont tout juste écrites, nous allons les tester entre l’Italie et la Bosnie où la guerre vient de se terminer.

— Si Mitterrand avait eu des couilles et des notions d’histoire, on n’en serait pas là…

Luiz sourit et serra délicatement sa femme dans ses épais bras musclés. Il l’aimait aussi pour son franc parlé.

13h30, Limoges, Haute-Vienne

— Tu vas où ?

Irritée, Coumbala Fofana émergea du coussin et regarda derrière elle. Sans vraiment y parvenir puisque toujours à genoux, ses fesses nues cambrées et relevées au maximum. Elle put cependant admirer son amant qui venait de lui procurer un immense orgasme en la prenant sauvagement pendant plusieurs minutes dans cette position. Mais, si cette pause lui avait permis de reprendre son souffle, elle en voulait encore. Le pénis raide et horizontal qui se découpait sur le mur blanc lui confirma qu’elle n’était pas la seule.

Coumbala comprit ce qu’il se passait, ou plutôt ce qui allait se passer, au sourire d’Edson et à son application à enduire son sexe viril d’un liquide qu’il faisait couler d’un petit flacon.

— Tu sais que je l’ai jamais fait ?

Une faible protestation, sans conviction, entre beaucoup d’excitation et un peu de crainte.

— Et vu la taille de ta bite…

— Tu vas adorer, je te connais ! s’exclama Edson.

Coumbala replongea la tête dans le coussin lorsqu’elle sentit le fluide froid sur son anus et tenta de se détendre quand un index étala le lubrifiant.

Coumbala serra les poings à mesure que la douleur augmentait avec la pression du membre sur son orifice. Le gémissement se transforma en râle profond quand le gland passa l’obstacle du sphincter et pénétra lentement en elle.

Coumbala se tordit légèrement sur le côté, ses doigts agrippèrent le haut de la cuisse de son homme pour l’inciter à continuer et à aller jusqu’au bout.

Coumbala expira bruyamment en relevant la tête au moment où elle se sentit entièrement remplie, le bas ventre d’Edson collé contre ses fesses. Il appuya ses grandes mains sur ses hanches rondes et commença ses mouvements de va-et-vient, avec lenteur.

Coumbala cria de plaisir.

— T’as raison, j’adore ! parvint-elle à hoqueter après quelques allers-retours.

Deux doigts se posèrent sur son clitoris et le caressèrent avec vigueur. Alors Coumbala lâcha prise. Elle hurla dans les draps, trembla de tout son corps, dégoulina abondamment et jouit intensément en quelques secondes.

14h00, Istrana, Italie

— Tu vas où ?

Le lieutenant Mathias Frou, surnommé Mathou, remonta la dernière fermeture éclair de sa combinaison anti-g, enfila son gilet de sauvetage, récupéra son casque et se tourna vers son collègue qui venait de l’apostropher en entrant dans la salle des opérations.

— Sarajevo et Goražde. Des mouvements de troupes y auraient été aperçus.

— Bon vol alors. À tout à l’heure.

— Une bière fraîche dans deux heures !

Mathias signa le cahier d’ordres, sortit du bâtiment et se dirigea vers le parking des quatre avions de chasse français, fièrement alignés. Après avoir discuté avec les mécaniciens et gribouillé une nouvelle signature pour la prise en compte de l’appareil, il effectua en toute tranquillité le tour de son Mirage F1CR de reconnaissance, accompagné d’un de ces sous-officiers qui veillaient et réparaient amoureusement leurs machines de guerre. Satisfait, il s’installa avec son aide dans l’étroit cockpit, ferma la verrière, fit les vérifications usuelles, mit en route le réacteur et, enfin, roula vers l’entrée de la piste.

Après une dernière inspection visuelle des instruments et l’autorisation de la tour de contrôle, Mathias s’aligna sur les longs pointillés blancs, poussa lentement, mais fermement la manette des gaz, presque en butée. Les accélérations de l’avion et de sa respiration le clouèrent dans son siège. Quelques secondes plus tard, il tira sur le manche et le Mirage s’envola. Mathias rentra le train d’atterrissage et les volets, dit au revoir au contrôleur aérien italien d’Istrana et changea de fréquence radio pour contacter l’AWACS, l’avion-radar de surveillance, qui allait le guider au-dessus du territoire hostile de l’ex-Yougoslavie.

Alors que son appareil de reconnaissance grimpait vers vingt-deux mille pieds, presque sept mille mètres, entre le bleu du ciel et le bleu de la Méditerranée, Mathias se surprit à siffloter. Il en sourit.

— Facile ! cria-t-il dans son masque à oxygène.

Il était toujours partagé pour ce genre de mission. D’un côté, la tranquillité d’un vol presque dépourvu de risque au-dessus de la portée des armes antiaériennes serbes et sans les exigences de devoir être l’équipier d’un autre pilote plus chevronné. D’un autre côté, l’absence d’adrénaline, d’excitation et du plaisir des rushs au ras du sol et à grande vitesse, où tout défilait, où tout se jouait en une fraction de seconde, où il sentait la puissance et l’agilité de sa machine.

— Putain, vivement que j’aie cette qualification de chef de patrouille ! Que j’emmerde tous ces connards !

14h30, Paris

— Tu vas où ?

Après avoir raccroché, le général d’armée aérienne Bernard de Jorsac, chef d’état-major des armées, s’était adressé à l’adjudant Nora Reda, sa secrétaire, qui quittait son bureau après lui avoir apporté un nouveau parapheur rempli de documents à signer.

Il la soupçonnait d’exagérer son déhanché lorsqu’elle lui tournait ainsi le dos. Elle se retourna, la tête légèrement inclinée, un air mutin sur le visage. Il fondit, malgré sa réputation, avérée, de séducteur invétéré :

— Ne serais-je pas amoureux ? Elle est si belle…

Il espéra ne pas avoir parlé à haute voix.

— Besoin d’une pause dans votre dure et longue journée, mon général ?

— Comment pourrais-je refuser ? Il n’y a pas que ma journée qui est dure et longue…

Nora ferma la porte et la verrouilla avec la discrétion de l’habitude.

— J’ai pensé à vous en m’habillant ce matin…

Comme chaque fois, ils se croisèrent dans la pièce, sans se lâcher des yeux. Bernard se dirigea vers le canapé qu’il utilisait pour recevoir d’illustres visiteurs et Nora alla vers le bureau de son supérieur. Elle lui avait dit qu’elle adorait se dévoiler devant la fenêtre, en contre-jour.

Bernard s’installa confortablement, les mains derrière la nuque, et profita du spectacle envoûtant. Car elle savait y faire pour être désirée. Nora avait à peine défait deux boutons de sa chemise qu’une intense érection lui déformait déjà le pantalon et qu’une forte chaleur montait en lui. Il avait une folle envie d’elle. Elle libéra ses cheveux et y passa plusieurs fois les doigts. Puis elle s’adossa au bureau, les bras tendus en arrière pour faire ressortir sa poitrine généreuse.

— J’ai trouvé cette charmante guêpière et je me suis demandé si elle vous plairait… susurra-t-elle de sa voix qu’elle savait rendre si sensuelle.

— J’ai bien peur que ce soit le cas, répondit le général, en transe.

Nora ôta sa chemise, sa jupe et son string, les posa sur la table, puis elle s’avança, avec une extrême lenteur, vers son supérieur, seulement vêtue de sa guêpière noire, de ses bas noirs et de ses hauts escarpins non réglementaires, noirs également.

Le téléphone sonna. Bernard soupira et se leva. Un point vert sur son bureau attira son attention. Celui-ci disparut quand Nora ramassa ses affaires. Il décrocha :

— Monsieur le ministre ?

Sa secrétaire, experte en rhabillage d’urgence, quitta la pièce en quelques secondes.

— Général, il faut qu’on parle. Rendez-vous demain, onze heures.

— Comme d’habitude ?

— Comme d’habitude.

Les deux hommes raccrochèrent.

15h00, Foča, Bosnie-Herzégovine — Tu vas où ?

Vojislav Vomardžić leva les yeux de la carte qu’il était en train d’étudier attentivement et se retourna vers Boris, son adjoint, un ancien fonctionnaire minable, moyen en tout, sauf en cruauté :

— J’ai une petite mission à accomplir. Seul… On se revoit demain après-midi.

Il rassembla des photographies étalées sur la table, ramassa un papier griffonné, plia la carte, empocha le tout et se dirigea vers la sortie. Avant de passer la porte, il pressa l’épaule d’un troisième homme, sympathiquement rond de corps et de visage, mat de peau, sombre d’yeux, de cheveux et d’esprit, figé contre le mur depuis de longues minutes :

— Bon boulot Goran, tu seras remercié.

Et Vojislav les abandonna, son plus beau sourire machiavélique aux lèvres.

2

Dimanche 24 décembre 1995

07h00, Istrana, Italie

Comme tout le contingent français présent à Istrana, le lieutenant et pilote Mathias Frou avait été réveillé à cinq heures. Et, depuis cette heure trop matinale, la tension ambiante ne faiblissait pas. Il se passait quelque chose, mais personne n’en avait la moindre idée. Ou peut-être que certains le savaient, mais se taisaient.

Une mission imprévue avait germé sur le tableau d’ordres avec, chose rare, les quatre Mirage F1CR de reconnaissance en l’air en même temps. Mathias pesta, il serait le moins qualifié de ce vol, le numéro quatre. Il aimait de moins en moins ce rôle d’équipier. Surtout avec son commandant d’escadrille, le capitaine Dupart, comme leader. Un petit blondinet prétentieux qu’il n’avait jamais apprécié. Il le détestait même franchement depuis qu’il lui avait refusé sa qualification de chef de patrouille. Car Mathias estimait que l’échec à son test ne venait pas de lui, mais d’une erreur de ce capitaine trop imbu de sa personne pour le reconnaître.

— Putain de merde !

Mathias serra les poings, tenta de rabattre sur son crâne ses cheveux bruns un peu longs, car déjà un peu trop rares alors qu’il n’avait pas encore trente ans, arrangea sa combinaison de vol qui le boudinait de plus en plus, et se rendit au briefing tant attendu.

Pour une fois, le chef du détachement français s’était déplacé et se tenait devant le pupitre. Un silence grave ne tarda pas à s’installer quand les chaises cessèrent de grincer. Le lieutenant-colonel se racla la gorge :

— Messieurs, bonjour. Nous avons pour ordre de multiplier les missions de reconnaissance sur Sarajevo et le couloir menant à Goražde. Tout élément suspect devra être identifié et signalé, notamment les matériels de défense sol-air. Il semblerait qu’une opération aérienne de la plus haute importance soit prévue ce soir ou demain. Et votre rôle est d’assurer qu’elle se déroule sans incident. Nous avons tous en mémoire nos deux collègues dont le Mirage 2000N a été abattu cet été et qui ont été libérés il y a moins de deux semaines. Je laisse la parole à votre commandant d’escadrille pour le détail du vol de ce matin.

Mathias sentit la bouffée de haine le submerger quand le capitaine Dupart s’avança, un large et fier sourire aux lèvres.

— Si je pouvais lui faire fermer sa grande gueule de con et lui planter sa mission, fulmina Mathias intérieurement. Et sa putain de carrière par la même occasion !

Il n’écouta que très peu l’exposé de son supérieur. Il n’en avait pas vraiment besoin, connaissant son rôle et ce qu’il devait faire. Suivre et obéir, rien de plus.

Il fut plus attentif à la présentation du jeune officier de renseignement, à la voix hachée et surexcitée, qui s’installa ensuite devant le pupitre :

— Dans la zone d’opérations, nous envisageons deux menaces principales. Le SA-7 Grail, de son nom OTAN, ou 9K32 Strela-2, de son nom russe. Un missile portatif à courte portée, guidé par infrarouge, difficilement détectable avant son lancement. Et le SA-6 Gainful, de son nom OTAN, ou 2K12 Kub, de son nom russe. Un missile à moyenne portée, guidé par radar. Pour mémoire, les missiles SA-6 sont montés par trois sur un châssis à chenilles. Généralement, une unité de tir comprend quatre lanceurs, soit douze missiles disponibles, un radar mobile, également sur chenilles, et quatre camions de soutien. À votre disposition pour toute question.

Devant le silence et toujours souriant, le capitaine Dupart revint et répartit les rôles :

— Avec Mathou, je prendrai la partie très basse altitude.

Mathias sursauta et serra les dents, les muscles de la mâchoire crispés. Quelques visages hilares, connaissant ses sentiments pour le capitaine, se tournèrent vers lui :

— Gentil Mathou va suivre son maître en ronronnant…

Mathias les ignora, leva les yeux au ciel et secoua la tête. L’officier tant haï poursuivait :

— … respectivement en numéros deux et trois, feront de l’imagerie haute altitude, à vingt-cinq mille pieds.

Il désigna un trait noir tracé sur la grande carte accrochée au mur :

— Arrivée par le nord. Passage à l’ouest de Sarajevo. Virage plein est dans le couloir de Goražde. Demi-tour en entourant la ville. Retour par le sud-ouest en territoire des Serbes de Bosnie. A priori, la partie la plus dangereuse de la mission.

Mathias ne retrouva un semblant de sérénité intérieure qu’une fois assis dans son cockpit, les narines remplies des odeurs du vol, mélange de kérosène, de plastique et d’oxygène. Le masque sur le nez, cédant à un besoin urgent d’air pur, il plaça le sélecteur O2 sur cent pour cent. Ses dents et ses mâchoires se desserrèrent enfin. Douloureusement.

Mathias aligna son Mirage F1CR sur la piste, à la suite des trois autres appareils, en quinconce, comme à l’entraînement. Il les regarda décoller, un par un, et se força à se calmer lorsqu’il mit rageusement les gaz en avant.

08h00, Foča, Bosnie-Herzégovine

Contrairement à ce qu’il avait dit, et même pensé, la veille, Vojislav Vomardžić ne s’était pas précipité vers sa vengeance. Il y avait mûrement réfléchi toute la soirée et une bonne partie de la nuit. Mais, en ce triste matin froid, il était prêt. Il vérifia ses armes et monta dans sa voiture.

— La garce va payer ! siffla-t-il en claquant la portière.

Vojislav quitta Foča par le sud, le long de la rivière Drina, et, pour être certain de ne pas flancher en la revoyant, il se força à se remémorer l’humiliation subie.

— Il était une fois…

Avant la guerre. Seulement quelques années auparavant. Un autre monde, une autre époque, une autre vie. Mais si lointains. Lui, Vojislav le Serbe, travaillait pour une société croate de l’industrie chimique à Mostar. Une belle réussite, les échelons gravis un à un, jusqu’à partager le bureau de la fille du patron. Elle lui avait fait miroiter sa main et son père la direction de la compagnie. Le jour de la grande fête annuelle de l’entreprise, il avait une bague dans sa poche et un message poignant d’amour dans sa tête. Vojislav avait pris le micro et commencé sa déclaration à la jeune femme. À ses premiers mots, tout le monde avait explosé de rire, croyant à une plaisanterie. Comprenant immédiatement que quelque chose n’allait pas, il avait alors ri à son tour et transformé son beau discours longuement préparé en blague douteuse.

Vojislav était le seul à ne pas savoir qu’elle allait épouser un Croate. Il était aussi le seul à ne pas savoir que ce fumier devait également devenir le futur patron.

La bague était restée dans sa veste. Elle s’y trouvait encore. Les deux prenaient la poussière dans sa chambre, bien en vue, pour attiser sa haine. Une histoire tristement banale. Mais il s’était promis que la suite ne le serait pas.

Vojislav roulait lentement en ruminant sa honte, toujours en direction du sud, au milieu des reliefs enneigés. La route et la Drina se séparèrent, la vallée fit place à la montagne. Il laissa à nouveau ses souvenirs vagabonder.

Le lendemain de sa déclaration manquée, encore traumatisé, il avait effectué une mauvaise manipulation avec de l’acide. Son visage était devenu comme son cœur, marqué, brûlé et éteint à jamais. Personne n’était venu le voir à l’hôpital. Pourtant il y était resté longtemps, à s’ennuyer, à pleurer et à rager. Le jour de sa sortie, les larmes et les doutes avaient disparu, il s’était engagé dans les forces du général Ratko Mladić. Lorsque la guerre avait éclaté, il avait réussi à se faire muter au front devant Mostar.

— Dès le début, cette foutue guerre a été moche…

À Mostar, Serbes, Croates et Bosniaques se tiraient les uns sur les autres. Les moins belliqueux, les Bosniaques, furent vite dépassés, laissant aux Serbes et aux Croates le soin de se partager la ville. Vojislav, enragé, s’illustra lors de l’offensive serbe sur les hauteurs de la cité, là où se trouvaient plusieurs entreprises, dont celle de son ancien employeur. Il y pénétra en premier, hurlant comme un dément, massacrant tous les malheureux qui croisaient son chemin, pour la plupart de vieux collègues et amis, achevant d’un morceau de plomb en plein front ceux qui imploraient sa pitié et son pardon. Mais la fortune ne lui fut pas favorable, deux balles croates, l’une dans la cuisse, l’autre dans l’épaule, arrêtèrent net sa vengeance. L’écume aux lèvres, il vit son ancien patron, sa femme, sa fille tant aimée et son gendre tant détesté être emmenés. Vivants.

Lorsque leurs regards se rencontrèrent, ils ne comprirent pas sa haine. Vojislav ne comprit pas leur incompréhension.

Les prisonniers partirent vers l’est alors que leur société commençait déjà à être démontée pour être reconstruite en Serbie.

Lorsqu’il fut remis sur pieds, Vojislav découvrit que la famille entière s’était volatilisée. Le bus les transportant avait eu un accident sur la route tortueuse et la cinquantaine de Croates qui s’y trouvaient avaient disparu.

Pendant les quatre années suivantes, Vojislav n’arrêta jamais de combattre et de chercher. De tuer et de chercher. De massacrer et de chercher. Il exécutait les ordres et les êtres humains, docile et bestial à la fois. Insensible, car son esprit n’avait qu’une seule idée fixe : les chercher et les retrouver. Vojislav œuvra à Bijeljina, à Bijeli Potok, à Zvornik, à Višegrad, à Foča et bien sûr, à Srebrenica, tous ces noms damnés à jamais, du sang plein les mains et la mémoire. Il fouillait même les fosses remplies de cadavres dans l’espoir de revoir ces visages connus et haïs.

Il ne savait pas combien de morts pesaient sur sa conscience. S’il lui en restait une. C’était la guerre, disait-on. Et les trois camps faisaient pareil, disait-on également.

Mais Vojislav n’avait jamais violé. Il gardait ce plaisir pour une personne unique.

Les batailles et la guerre étaient terminées. Les massacres et les tueries avaient cessé. Et sa quête touchait à sa fin d’après les renseignements obtenus par son fidèle Goran, tout aussi sanguinaire et tout aussi dévoué à la haine de son chef. Selon ses sources, la famille en entier aurait été aperçue, photographies à l’appui, dans un hameau des montagnes du parc national de Sutjeska.

Vojislav revint au présent. Il quitta la route pour un chemin carrossable, mais enneigé, serpentant dans le relief. Quelques minutes plus tard, il bascula dans une autre vallée. En bas, au bord de la rivière Sutjeska, il fit une pause pour vérifier son trajet sur la carte. Aucune erreur. Il tourna à droite, puis, un peu plus loin, à gauche sur un nouveau chemin qui grimpait le long de la pente boisée. Sur plusieurs kilomètres, de rares maisons éparpillées, sans aucune logique apparente, parfois isolées, parfois en groupes de trois ou quatre bâtisses. Vojislav roulait au pas devant chacune d’elle, la comparant avec les photographies, même si Goran lui avait dit qu’il devait aller jusqu’aux dernières.

Son cœur bondit lorsqu’il y arriva. Le bout de la route, le bout de sa route. Son point final.

Un ensemble de cinq bâtiments à la sortie d’un bois, sur la droite du chemin, légèrement en retrait. L’excitation, l’adrénaline et la haine déferlèrent. Il sourit sans desserrer les dents et s’arrêta en douceur dans la poudreuse qu’il sentit crisser sous ses pneus. Prudent, il vissa un silencieux au canon de son pistolet automatique, mit sa kalachnikov en bandoulière sur son épaule droite et ferma sa portière sans un bruit.

Vojislav s’avança avec les plus grandes précautions. Seules les cheminées de deux maisons fumaient. Et les rares traces de pas dans la neige les reliaient.

— Un petit nid pour les vieux, un petit nid douillet pour les amoureux, pensa-t-il.

Vojislav ignora les deux premiers bâtiments du hameau, vides et abandonnés sur sa gauche, et poursuivit vers le premier logement occupé, encore sur sa gauche. Il s’accroupit pour passer sous la fenêtre faiblement éclairée. À l’intérieur, quelques bruits, des voix assourdies. Un tour d’horizon. Toujours personne en vue. Seule mauvaise nouvelle, des traces de pattes de chien dans la neige. Sa main gauche tenant fermement son pistolet, sa main droite appuya à peine sur la poignée de la porte. Stupéfait, il secoua la tête lors-qu’elle s’enfonça sans effort.

— La stupidité des gens ne cessera de m’étonner… pensa-t-il en se redressant.

D’un geste maîtrisé par l’habitude, sa kalachnikov passa de son épaule à ses doigts. D’un coup de pied, Vojislav ouvrit violemment la porte, ses armes pointées devant lui.

— Le pistolet en premier, se rappela-t-il.

Un aboiement brisa la quiétude du sombre et étroit couloir. Une masse noire bondit. Vojislav appuya trois fois sur la détente et les trois balles cueillirent en vol l’animal qui retomba dans un couinement. Les trois douilles chutant sur le carrelage firent plus de bruit que les coups de feu assourdis par le silencieux. Elles sonnèrent comme un carillon annonçant sa visite. Elles roulaient encore au sol quand Vojislav s’avança vers la pièce éclairée, sur sa gauche. Au passage, il tira une quatrième fois sur le chien, lui éclatant le sommet du crâne.

Il entra, ses armes toujours pointées devant lui, et découvrit deux personnes dans la cuisine simplement meublée. À droite, une femme, debout. À gauche, à côté de la fenêtre, un homme, assis. Les deux, la bouche ouverte. Surpris. Abasourdis. Puis paniqués.

Vojislav les reconnut sans la moindre hésitation.

Trois nouvelles balles quittèrent le canon de son pistolet. La femme s’écroula, deux trous sombres dans la poitrine, un troisième dans le front. Sans un mot, sans un bruit. Le tintement des douilles heurtant le sol brisa encore une fois le terrible silence de ce tragique film muet.

Le vieil homme se recula, la chaise grinça. Gémissement sinistre et lugubre du bois. Puis il ferma les yeux, baissa la tête et s’accouda à la table, fataliste devant la conclusion évidente de ce froid matin d’hiver.

Une longue seconde fila trop vite. Le Croate rouvrit les paupières, une larme sur chaque joue :

— Mais pourquoi ?

— Tu m’as humilié en me volant tout ce qui était à moi !

Regard dégoulinant de surprise. Encore une fois, son ancien patron ne saisissait pas. Il prit une grande inspiration. Peut-être pour poser une question, peut-être pour essayer de comprendre, peut-être pour gagner quelques secondes, peut-être pour toute autre raison.

La balle entra par son œil gauche et pulvérisa le crâne en le quittant pour la fenêtre. Du sang et des morceaux éclaboussèrent autour du trou rond tout juste créé dans le verre.

Vojislav vida son chargeur.

Lorsque les douilles cessèrent de tomber, de rouler et de résonner sur le sol, le vieux Croate n’avait plus de visage, détruit par tous les impacts reçus. Au ralenti, son corps glissa sur le carrelage dans une position grotesque.

— Match nul, murmura le Serbe.

Vojislav jeta un regard par la fenêtre maculée. Le blanc avait viré au rouge. Toujours aucun mouvement à l’extérieur. Il avait dû être suffisamment discret.

Il remit sa kalachnikov sur son épaule, éjecta le chargeur vide de son pistolet et en inséra un plein.

Satisfait, le Serbe cracha sur le cadavre du Croate et quitta la pièce. Par précaution, il emprunta le couloir vers l’arrière de la maison et sauta par une fenêtre. Il longea le mur et risqua un œil vers le bout du hameau.

Toujours personne, toujours pas de bruit suspect.

Devant lui, les deux dernières habitations. À une vingtaine de mètres, la première, petite, semblait inoccupée. Encore vingt mètres plus loin et dans le même axe, la seconde maison avec la cheminée fumante. Vojislav prit une inspiration et courut vers l’angle de cette maison, profitant dans ses premiers pas de l’abri du petit bâtiment.

Comme il l’avait fait quelques minutes auparavant, il s’accroupit sous la fenêtre de la façade pour rejoindre la porte. Malheureusement verrouillée.

— On ne peut pas toujours avoir de la chance, murmura-t-il. Même quand on est cocu !

Vojislav se releva, rangea son pistolet et saisit sa kalachnikov à deux mains. Un coup d’œil par la fenêtre sous laquelle il venait de passer. Personne à l’intérieur. Il leva son arme et, avec la crosse, cassa un des petits carreaux. Du canon, il enleva les bouts de verre restant sur les bords, puis il glissa son bras par le trou, fit jouer le mécanisme. La fenêtre s’ouvrit, il sauta dans la pièce en l’explorant du regard et du fusil.

Du bruit, mais à l’étage, au-dessus de sa tête.

Vojislav changea sa kalachnikov de main et dégaina à nouveau son pistolet. Il bondit dans le couloir, trouva l’escalier et le grimpa quatre à quatre. Il ne devait pas leur laisser le temps de réagir ou de fuir.

Arrivé en haut, il se bloqua, situa l’origine du bruit et se précipita dans cette direction. Une chambre. Une femme recroquevillée sur le lit, les yeux exorbités. La femme.

— Ma femme !

À côté, dans le coin, près de la fenêtre, le beau Croate tant haï, debout et penché sur un fusil de chasse qu’il tentait de charger de ses mains tremblantes.

Vojislav sourit et secoua la tête. Il éclata de rire en le voyant échapper une cartouche. Une absurdité sonore qui le fit lui-même sursauter.

Il tira. Deux fois.

Son ennemi laissa tomber le fusil et agrippa son abdomen où deux taches rouges s’élargissaient sur le tissu clair. De l’incrédulité et de l’horreur plein les yeux.

Sa femme hurla.

Vojislav s’avança vers le lit et la gifla. Puis il interpella son mari, désormais à genoux, plié en deux :

— Tu sais pourquoi je t’ai tiré dans le bide, sale petite merde ?

Aucune réponse. Vojislav enchaîna :

— Pour que je sois la dernière personne que tu voies, pour que mon visage soit inscrit dans ta mémoire éternelle, pour que tu comprennes que je vais reprendre ce qui est à moi, pour que tu partes avec le goût de la défaite, pour que tu sois maudit à jamais pour ce que tu m’as fait !

Le Serbe laissa le temps s’allonger. Un bruit provenant du bas de la maison brisa le silence. Il se crispa. Le Croate commença à tourner la tête vers son épouse. Vojislav ne lui donna pas l’occasion de la regarder une ultime fois, il tira. En plein milieu du front. Le crâne éclaté heurta le mur. La bouche et les yeux restèrent ouverts.

Sa femme, toujours sur le lit, hurla sans un son, les mains devant ses magnifiques lèvres si sensuelles. Vojislav l’admira. Si belle. Encore plus belle et encore plus désirable que dans ses souvenirs. Même terrorisée. Il sentit une érection jaillir dans son pantalon. Intense, violente, douloureuse.

Elle était à lui. Enfin.

Il jeta sa kalachnikov, rangea son pistolet et l’attrapa par les cheveux. Elle cria, il la gifla une nouvelle fois et releva sa chemise de nuit en la déchirant à moitié. Sa peau lisse et blanche l’éblouit. Son excitation implosa. Il déboutonna son pantalon avec fébrilité et s’écroula sur elle.

Vojislav se fit mal en la pénétrant. Il commença à s’activer. Bestialement, avec toute la haine et la rancœur accumulées depuis des années.

Il haletait et grognait.

Mais il n’y arrivait pas.

Car elle le toisait. Sans un mot, sans un gémissement. De ses grands yeux bleus. Un sourire se dessina même sur ses belles lèvres bien pleines.

Vojislav la gifla. Elle revint le fixer. Toujours en silence. Toujours avec le sourire. Toujours fière. Toujours inaccessible. Toujours magnifique.

Il la gifla encore. Par deux fois.

Son profond regard bleu se releva. Encore et toujours.

Il frappa plusieurs fois et accéléra ses mouvements brutaux de son bassin.

Elle ne céda pas. Son sourire et ses yeux bleus ne cédèrent pas davantage.

— Match nul, crut-il entendre.

Un coup de poing partit.

Puis un coup de feu.

Vojislav retrouva ses esprits, prostré contre la portière de sa voiture, le front posé sur le métal froid. Sans savoir ni comment ni quand il était parvenu jusque là. L’âme et le corps vides. Des années de quête frénétique venaient de se terminer. Brusquement. Trop brusquement peut-être. Et sans l’apothéose rêvée.

— Mais comment pouvait-il en être autrement ?

La garce lui avait volé son existence. Elle lui avait aussi volé sa vengeance. Il se sentait comme elle, sans vie.

— Tout ça pour ça… murmura-t-il.

Une revanche au goût amer.

— Plutôt un goût fade…

Vojislav finit par se ressaisir. Il devait nettoyer son œuvre ultime. Par le feu. Deux bidons d’essence l’attendaient dans son coffre. Sa radio crachota. Il posa les jerricans et répondit, sans reconnaître sa voix caverneuse :

— Vomardžić.

— Vojislav, c’est Goran. Le général Mladić te demande, c’est très urgent.

— J’arrive. Je suis là dans une heure.

Vojislav jeta le combiné radio sur le siège et allait reprendre ses bidons quand un grondement sourd enfla. Il leva les yeux et aperçut un point noir approchant à grande vitesse dans le ciel bleu. Un second appareil apparut, légèrement décalé, mais plus proche. Ils le survolèrent, il brandit le poing :

— Enculés de Français !

Le hurlement des deux réacteurs mourut aussi vite qu’il était né. Mais un bourdonnement subsistait.

— Il doit y en avoir d’autres, plus hauts.

Vojislav observa une nouvelle fois le zénith, ne distingua rien, mais jura et remit l’essence dans son coffre.

— Ils vont voir l’incendie… Je reviendrai faire le ménage quand la météo sera mauvaise !

11h00, Paris

Le général d’armée aérienne Bernard de Jorsac, chef d’état-major des armées, entra pile à l’heure dans la petite salle isolée de la cave d’un petit restaurant du septième arrondissement de Paris. Mais, comme chaque fois, seul.

Patrick arriva quelques minutes plus tard. Ils se saluèrent en vieux amis qu’ils étaient. De vieux complices, dans la vie comme en affaires.

Bernard savait qu’il lui devait son poste au sommet de la hiérarchie militaire, à la barbe de l’actuel chef d’état-major de l’armée de l’air qui avait été plus que pressenti pour succéder au célèbre amiral Lanxade. Cette promotion surprise n’était qu’un juste retour de son aide pour quelques opportunités lucratives en Afrique et dans les pays arabes où Bernard avait usé de son influence au nom de la France pour lui ouvrir les bonnes portes. Il avait même organisé quelques missions militaires pour les intérêts de son ami, lui-même ami corrézien de Jacques Chirac. Des échanges de bons procédés sans fin, poursuivis jusqu’au plus haut sommet de l’armée, depuis sa prise de fonction quatre mois plus tôt.

Le ministre de la Défense arriva avec un quart d’heure de retard. Les trois hommes commandèrent un apéritif et patientèrent en parlant de choses futiles. Le nouvel aller-retour du serveur déclencha les sujets sérieux. Le membre du gouvernement se lança :

— Bien… Où en est le contrat des avions Casa ?

— Il va être signé en janvier, répondit Bernard. Un contrat pour sept appareils. J’ai eu du mal à calmer les grincements de dents dans les armées, car personne ne veut de ces avions. Mais c’est fait.

— Parfait, approuva le ministre. En contrepartie, les Espagnols vont nous acheter quinze hélicoptères Cougar. Patrick, ta société aura comme prévu autour de cinq cent mille euros. Et, également comme prévu, chacun a sa… commission… En voilà une partie.

Deux grosses enveloppes passèrent du porte-documents ministériel à deux mains reconnaissantes. Le général de Jorsac échangea son sourire contre un nouveau sujet :

— Pour l’affaire en cours, l’opération cadeaux de Noël en Bosnie, c’est loin d’être simple. Rassembler autant d’avions et autant de colis en aussi peu de temps et en cette période de fête est plus difficile qu’il n’y paraît.

— Il faut que tu comprennes les enjeux, intervint Patrick. Les accords de Dayton ont imposé la paix en Bosnie-Herzégovine. Les destructions sont immenses, d’énormes marchés de reconstruction sont lancés, ou vont l’être. Mes contacts sur place sont en bonne position, mais un geste de la France ferait pencher la balance. Le général bosniaque que tu as rencontré il y a quelques jours lorsque tu es allé récupérer les pilotes prisonniers des Serbes y est très sensible et appuiera nos projets.

— Vous avez l’aval du gouvernement, bien entendu, ajouta le ministre.

— Je comprends tout cela. Mais, d’après les dernières informations que je viens de recevoir, cela va être compliqué pour aujourd’hui. Comme je vous l’ai dit, autant pour les avions que pour le chargement. Ce sera plutôt pour demain. Qui, en plus, est le jour de Noël.

— À propos de chargement, mes colis spéciaux pour les autorités locales sont arrivés à Istres, précisa Patrick. Elles sont maintenant à toi, prends-en soin.

— J’ai appelé moi-même le commandant de la base aérienne. Tu peux être rassuré, ils sont sous bonne garde et il a bien compris qu’il ne devait pas les oublier. Un homme que je connais bien les placera au bon endroit, comme prévu.

— Il ne nous reste donc plus qu’à déjeuner ! conclut le ministre.

14h00, Paris

L’adjudant Nora Reda se renversa dans son fauteuil et s’étira. Une pause dans son travail dominical au bureau. En petite partie pour répondre au besoin de son supérieur et amant, le général Bernard de Jorsac. En grande partie pour répondre au message trouvé la veille, juste avant de partir, sous le couvercle de la chasse d’eau de la seconde cabine des toilettes. Elle y glissait la main chaque fois qu’elle s’y rendait. Comme convenu. Elle se le rappela :

Il se passe quelque chose, une mission importante se prépare, essayez d’en apprendre davantage.

Nora l’avait consciencieusement broyé dans la déchiqueteuse, sans savoir qui l’avait écrit et placé là. Peut-être l’officier qui l’avait recrutée, le colonel Terron. Sa réponse n’avait été qu’un bref accusé de réception.

Habituellement, elle déposait le soir ce qu’elle avait enregistré dans la journée et récupérait les supports électroniques vides le lendemain matin. Dans son bureau, le premier dispositif, un appareil photographique miniature, s’accrochait dans l’abat-jour en métal de sa lampe, un minuscule bouton dépassant des fentes d’aération. Elle photographiait ainsi tous les documents qui passaient par elle, c’est-à-dire quasiment tout ce que traitait le chef d’état-major des armées françaises. Dans le bureau du général, le second dispositif avait besoin du boîtier multifonction muni de toutes sortes de prises que Nora avait fait installer. Elle lui avait affirmé qu’il s’agissait d’un conseil des informaticiens. Pour lui simplifier la vie et lui éviter de chercher le bon connecteur derrière la tour de son ordinateur posée sous l’imposante table. Ces détails n’intéressaient pas son supérieur, il se servait d’ailleurs assez peu de sa machine et encore moins d’autres outils modernes. Malheureusement, il était consciencieux et éteignait systématiquement son appareil le soir ou quand il s’absentait longtemps. Comme ce matin.

Nora avait trouvé une solution. Pratique, mais risquée, et la vraie raison de son effeuillage sexy devant le bureau. Elle profitait de la distraction du général pour insérer le second dispositif électronique dans cette multiprise et pour le recouvrir ensuite de sa chemise et de sa jupe. Cet ingénieux et minuscule appareil, argenté, s’adaptait dans plusieurs de ses boucles d’oreille et de ses barrettes. Elle savait juste qu’il copiait le disque dur du général ainsi que toutes les conversations enregistrées par le micro intégré à l’ordinateur.

Nora tira sur le collier qui ne la quittait jamais, une chaîne dorée avec deux anneaux, l’un plus grand et plus large que l’autre. Elle les caressa du bout des doigts et joua avec eux. Une vieille habitude. Son alliance et celle de son mari.

Un jour, l’homme de sa vie, membre des forces spéciales, était parti en mission en Afrique. Un autre jour, il en était revenu, plus tôt que prévu et allongé dans un cercueil. Un cercueil plombé. Elle n’avait pas cru à la version alambiquée fournie par l’armée : un banal accident de la route avec des complications tordues. Alors elle avait essayé de faire parler la grande muette. Sans succès jusqu’à la proposition d’un colonel. Un rendez-vous discret pour lui révéler le secret de l’histoire. Elle y était allée, persuadée qu’il ne s’agissait que de drague. Mais Nora s’était trompée. Le colonel Terron ne l’avait pas draguée, mais lui avait annoncé que son mari avait succombé aux coups, aux balles et à l’essence d’un proche d’un chef d’état africain. Et que le gouvernement français avait fait le choix d’étouffer l’incident.

— Incident… Joli mot pour un mort. Pour un meurtre…

Les raisons de la politique. De la diplomatie. Des affaires.

Nora avait beaucoup pleuré. Puis ses larmes s’étaient transformées en colère. Et enfin en haine. Elle ne se rappelait plus comment le colonel avait fait, mais il avait converti toutes ces émotions en vengeance et en espionnage.

Pour compenser la perte tragique de son mari, l’armée avait promu Nora à un grade qu’elle n’aurait jamais pu obtenir avec son passé de militaire du rang et l’avait nommée au poste de secrétaire d’un jeune général. Général qu’elle avait suivi lors de ses mutations jusqu’à la fonction suprême.

Nora ne connaissait même pas son employeur. Un jour, elle avait posé la question au colonel Terron qui était resté évasif. Certainement une puissance étrangère. Mais cela importait peu à sa haine. Et puis ils payaient bien. D’ici peu, elle pensait pouvoir réaliser le rêve dont ils parlaient tant avec son mari : une seconde vie au soleil. Pour elle, la quarantaine approchait. Mais lui ne vieillirait jamais.

Sa relation avec le général durait depuis des années. Nora ne savait pas ce qu’elle représentait pour lui. Pour elle, il était un agréable fournisseur de plaisir. Du sexe, de la jouissance, mais pas de sentiment amoureux. Elle l’appréciait, comme des amis ou des hobbies. Mais le véritable amour ne renaîtrait jamais dans son cœur, elle en avait la certitude.

Le général n’était jamais venu chez elle et elle n’était jamais allée chez lui. Si elle avait eu mauvaise conscience au départ, elle profitait maintenant pleinement de cet excellent amant, attentionné et prévenant. Ils couchaient ensemble presque tous les jours, principalement au bureau, parfois à l’hôtel.

Nora consulta sa montre, le général Bernard de Jorsac revenait. Presque quinze heures. Amusée, elle remarqua qu’il avait bu. Il lui sourit en retour. Son agréable tâche s’annonçait facile. Un peu de patience et il serait à point.

16h00, Foča, Bosnie-Herzégovine

Affalé, vautré, le regard vide, l’esprit dans le brouillard depuis le matin, Vojislav Vomardžić ressentait l’inquiétude de ses hommes. Jusqu’à la sonnerie du téléphone.

— Vomardžić.

— Ahhhh bonjour Vojislav !

— Bonjour mon général.

— Alors cette quête vengeresse ? Terminée ?

— Euhhhh… Oui mon général.

Pas vraiment une surprise. Pour commander une telle armée dans une telle période aussi troublée depuis aussi longtemps, le général Ratko Mladić possédait forcément tous les renseignements sur tout et tout le monde. Vojislav ne lui en voulait pas, il n’en voulait pas plus au baveur.

— Le ménage a été fait ? demanda le général Mladić.

— Pas encore. Mais ce sera fait. Bientôt. Proprement.

— Je n’en doute pas, Vojislav. Mais il y a plus urgent. Les Russes nous ont avertis que les Français, et seulement les Français, préparaient une grande opération aérienne sur Sarajevo et Goražde. A priori, ce serait pour demain. Je ne sais pas quel type d’opération. D’ailleurs, je ne sais rien de plus. Mais, comme la guerre est terminée, j’ai du mal à croire que ce soit un bombardement. Surtout de manière aussi unilatérale. Bon, ce sont les Français, ils sont capables de tout…

— Que dois-je faire mon général ?

— Nous devons être prêts, au cas où une opportunité surgirait. Un pari diplomatique, une envie de coup de pied dans la fourmilière européenne, un peu comme avec les pilotes français de cet été. Pas d’inquiétude, si ça se passe mal sur la scène internationale, on sortira quelques officiers de leur tombe. De parfaits responsables ayant échappé à notre contrôle !

— Bien mon général. Je vous écoute.

Ce qu’il fit. Attentivement.

Puis Vojislav se leva. Enfin. Il rassembla ses hommes et, comme avant, aboya une flopée d’ordres.

3

Lundi 25 décembre 1995

09h00, Foča, Bosnie-Herzégovine

Après une courte nuit et pour oublier son vide intérieur, Vojislav Vomardžić s’était jeté à corps perdu dans l’exécution de l’ordre donné la veille par le général Ratko Mladić.

Il se doucha rapidement et appela son supérieur. Son compte-rendu dura quelques minutes.

— Très bien Vojislav, merci, répondit le général. Je savais que je pouvais compter sur toi. J’ai eu de nouvelles informations dans la nuit. La mission des Français serait humanitaire et lancée aujourd’hui. Du largage de vivres et de médicaments. Une quinzaine d’avions sur Sarajevo et Goražde. Poursuis ce que je t’ai demandé hier.

— Bien mon général.

10h00, Paris

Le général Bernard de Jorsac trépignait depuis la veille au soir. Avec l’espoir d’une bonne nouvelle, il décrocha son téléphone et composa le numéro du chef du transport aérien militaire. La force aérienne de projection, comme il fallait l’appeler.

— Mon général, mes respects, répondit son interlocuteur.

Au ton utilisé, Bernard soupira, grimaça et serra le poing :

— Bonjour. Alors ? Où en sommes-nous ?

— Eh bien… Je suis désolé mon général, mais nous n’aurons pas vos quinze Transall aujourd’hui. La moitié de ceux qui étaient en mission hier sont revenus en panne. Actuellement, je n’en ai que sept à vous proposer. Demain, nous pouvons en espérer une douzaine. Aucun C-130 Hercules, ni aujourd’hui ni demain. Je ne pourrai pas faire mieux. À vous de choisir. Et je ne vous cache pas les difficultés en personnel à cette période de l’année.

Bernard ferma les yeux, soupira une nouvelle fois et s’accorda quelques secondes pour digérer ces informations. C’était son boulot de décider, mais pas dans cette affaire.

— J’y réfléchis et je vous rappelle en début d’après-midi. On ne sait jamais, un miracle…

— J’avoue ne pas y croire, mon général. Un dernier élément, après-demain, la météo sera contre nous, et pour plusieurs jours.

— Très bien, merci.

Bernard raccrocha et composa un nouveau numéro :

— Monsieur le ministre, de Jorsac.

— Général. Où en est-on ?

— Les choses se présentent mal… Une nouvelle preuve que certains pans de notre armée ne sont pas au mieux…

— C’est bien amené, bien placé et bien tenté ! Mais vous le savez aussi bien que moi, la rallonge budgétaire n’est pas dans l’air du temps.

— J’aurais essayé… Deux possibilités pour les cadeaux de Noël. Aujourd’hui avec la moitié des avions et donc du chargement. Ou demain avec les trois-quarts.

— Je vois… Nous avons peut-être été trop ambitieux…

— C’est une opération peu commune que peu d’armées ont réalisée ces dernières décennies. Et que peu d’armées sont capables de réaliser.

Silence. Le ministre le rompit :

— Voilà ce que nous allons faire. La situation à Goražde est la plus problématique du point de vue humanitaire. Tous les avions iront donc là-bas demain. Pour Sarajevo, organisez un ravitaillement par camion, également pour demain. Je sais que c’est court. Faites ce que vous pouvez, l’aspect symbolique est plus important que l’aspect quantitatif. L’essentiel est notre colis spécial. Il doit arriver rapidement. Dernière chose, je m’occupe de la communication.

— Pour des raisons de sécurité, je préférerais que l’information ne soit transmise aux médias qu’une fois l’opération effectuée… Et réussie !

— Je comprends, c’est plus sage.

15h00, Paris

En ce jour de Noël, Nora Reda travaillait. Encore. Elle avait compris l’importance, ou la gravité, ou les deux, de la mission secrète. Depuis l’aube, elle entendait vociférer le général Bernard de Jorsac, surexcité, malgré la porte fermée. Le nombre de messages qu’elle recevait et qu’elle devait envoyer était gigantesque. Pour la première fois, elle se demanda si l’appareil photographique caché dans sa lampe disposait d’une capacité de mémoire suffisante.

Nora savait qu’elle devait aller récupérer les informations contenues dans l’ordinateur du général. Elle tendit l’oreille. Retour d’un semblant de calme, volume sonore en nette baisse. Elle ne pouvait pas attendre trop longtemps, son chef pouvait à tout moment décider de partir. Elle se leva et toqua à la porte de son supérieur. Il l’autorisa à entrer, renversé dans son fauteuil, les mains derrière la nuque, à moitié orienté vers la fenêtre. Elle sourit, aguicheuse et enjouée :

— Quelle journée mon général ! Il va bien me falloir une semaine entière de récupération pour me remettre de tous ces messages. Au moins !

— C’est vrai que je te fais beaucoup travailler, week-end et jours fériés compris, reconnut Bernard. Tu mérites amplement cette semaine de repos. Je te l’accorde quand tu veux. Même si j’ai d’autres idées pour te détendre…

Nora ne répondit pas. Elle ferma la porte à clé et commença à déboutonner sa chemise. Elle la jeta sur le bureau. Le général se leva et vint l’embrasser. Elle réagit fougueusement à ses lèvres et à sa langue, les doigts sur son entrejambes qui durcissait déjà.

Après ce long baiser passionné, elle s’agenouilla et en quelques mouvements experts, fit glisser le pantalon de son supérieur. Une belle bosse déformait le caleçon qui rejoignit à son tour les chevilles de son propriétaire. Nora prit immédiatement le sexe raide dans sa bouche, masturbant sa base d’une main, caressant les testicules de l’autre. Bernard gémit de plaisir. Elle savait ce qu’il aimait.

Nora s’activa ainsi quelques instants, se délectant des réactions et des râles bruyants de son amant. Puis elle se releva et l’embrassa à nouveau. Ses doigts parcouraient son corps. Après lui avoir ôté sa cravate et sa chemise, Nora le poussa vers le canapé. Bernard sourit et manqua de tomber à cause de son pantalon qui entravait ses pieds. Il s’en débarrassa. Son caleçon, ses chaussures et ses chaussettes suivirent le même chemin. Nu, il s’installa sur le divan en caressant doucement son appareil.

Pendant ce temps, Nora avait enlevé le dispositif électronique de sa boucle d’oreille et l’avait inséré dans le bloc. Elle les recouvrit de sa chemise, de sa jupe et de son string. Puis elle rejoignit le général sur le canapé et s’allongea sur lui, les jambes bien écartées au-dessus de son visage. Elle reprit la fellation et gémit quand la langue experte de son amant s’affaira sur son clitoris. Elle sentit qu’elle était trempée et appuya fortement son sexe sur la bouche qui lui procurait tant de plaisir. Dès le début, Nora avait remarqué que son activité d’espionne l’excitait davantage.

N’y tenant plus, elle se retourna et s’empala sur le pénis dégoulinant de bave. Elle se mordit les lèvres pour modérer ses cris, accélérant ses mouvements, glissant et se frottant furieusement sur lui. L’orgasme arriva en quelques instants.

Alors qu’elle reprenait ses esprits et son souffle, Bernard réussit à la soulever du canapé et à la déposer sur le bureau, les fesses sur le bord. Il passa ses bras sous ses genoux et s’activa sauvagement en elle. Le grand meuble en bois bougeait et grinçait. Le téléphone tomba. Malgré le plaisir qui déferlait dans son corps, Nora posa ses doigts sur ses affaires pour les immobiliser et éviter une chute du bloc.

Bernard accéléra encore et Nora ne put retenir ses cris. Elle ferma les yeux lorsqu’elle perçut la crispation des muscles de son amant, les jets en elle et son grognement guttural.

— Que c’est bon… murmura-t-elle.

Bernard ne répondit pas, mais s’étendit sur elle, la tête posée entre ses seins, la respiration saccadée. De la main droite, elle caressa ses cheveux grisonnants. Pour gagner quelques secondes, le temps pour sa main gauche d’enlever son mouchard du bloc. Sans y parvenir, à cause de ses habits.

Bernard se releva, la dévisagea, l’embrassa longuement, se retira en douceur d’elle et se tourna vers ses vêtements éparpillés. Au bord de la panique, Nora put enfin ôter son appareil d’espionnage et le remettre à sa place dans sa boucle d’oreille. Le soulagement remplaça l’affolement. Elle prit un mouchoir en papier, s’essuya l’entre-jambes qui commençait à dégouliner du sperme reçu et se rhabilla à son tour. Bernard lui déposa un baiser dans le cou.

— Merci… souffla-t-il.

Il ramassa le téléphone et tout ce qui était tombé.

— Tu sais ce que c’est, ce voyant vert sur ce truc, là ? demanda-t-il en désignant le bloc.

La peur rebondit dans ses veines et ses joues rougirent. Nora s’aéra le visage de la main en tentant de sourire :

— Vous me donnez chaud mon général. Et puis non, je ne sais pas du tout ce qu’est ce voyant. Pourquoi ?

— Simple curiosité. Je l’ai vu allumé quand je t’ai posée sur le bureau. D’habitude, il est éteint. Enfin je crois… J’espère juste que personne n’enregistre nos ébats !

Nora se força à rire :

— Je l’espère aussi ! Car il serait jaloux de votre performance et de vos attributs.

— Surtout de ma chance et de ta beauté.

— Je demanderai au service informatique. Pour le voyant, bien sûr… ajouta Nora avec un clin d’œil coquin.

Elle l’embrassa encore une fois, puis le recoiffa et réajusta sa cravate.

16h00, Bosnie-Herzégovine

Mathias Frou jeta un dernier coup d’œil aux deux appareils qui allaient rester en haute altitude. Puis il balança son avion sur la gauche et passa sur le dos tout en réduisant les gaz au minimum. À la suite de son leader, il se précipita vers la terre à une vitesse démentielle.

Pour la quatrième fois en deux jours, les quatre Mirage F1CR étaient partis en mission de reconnaissance. Pour la deuxième fois en deux jours, Mathias assurait la partie basse altitude comme équipier du détesté capitaine Dupart. Une présence qui gâchait tout le plaisir du vol au ras du sol.

Sarajevo apparut au loin et se rapprocha très vite. La Bosnie-Herzégovine était un petit pays et les Mirage filaient à grande vitesse. Les caméras enregistraient tout ce que l’œil ne parvenait pas à saisir.

Les deux appareils déboulèrent en très basse altitude juste au nord de la capitale. Ils en firent le tour par l’ouest, poursuivirent vers le sud pendant moins d’une minute et virèrent à l’est dans le couloir de Goražde. Trois minutes plus tard, ils entouraient la cité martyre.

Mathias jeta un regard sur la carte. Une vallée à la perpendiculaire, une ville sur la gauche. Foča. À peine visible, elle disparut dans la seconde.

Son leader, le capitaine Dupart, légèrement en avant, plus bas et sur sa gauche, s’inclina sur sa droite. Mathias laissa son Mirage F1CR défiler devant lui. Il caressa la détente. Son canon de trente millimètres était prêt à balancer plus de mille obus à la minute. Un infernal déferlement de métal, de feu et de destruction.

— Quelle tentation ! murmura Mathias. Un seul coup au but suffirait à débarrasser la terre de ce putain de connard d’enfoiré de merde… Et qui le saura ?

L’appareil du capitaine Dupart approchait du point de visée de son collimateur tête haute. Mathias enleva la sécurité de la détente et baissa imperceptiblement le nez de son Mirage. Un léger mouvement de l’index et son canon crachait la mort en morceaux de près d’un demi-kilo. Un appui et moins d’une seconde plus tard, l’odieux officier serait éparpillé façon puzzle. Son doigt caressa la détente, le point de visée centré sur l’avant du fuselage du Mirage F1CR du capitaine Dupart. Mathias inspira longuement.

— Position !

Mathias sursauta. Par réflexe au rappel radio de son leader, il bascula immédiatement son Mirage pour rejoindre sa place. Dans son viseur, seulement du ciel. Mathias remit la sécurité.

— Aurais-je tiré ? se demanda-t-il, indécis et effrayé.

— Position ! grinça à nouveau la radio.

— Oui, connard ! hurla Mathias, mais pas à la radio.

Une nouvelle vallée passa sous les deux Mirage. En virage sur la droite pour obéir à son chef, Mathias découvrit un convoi de véhicules militaires sur la route au fond de cette vallée. Et, à cause de son inclinaison, hors du champ de ses caméras et trop loin de celles de l’autre appareil. En une fraction de seconde, grâce à son entraînement, il les identifia et les compta. Huit blindés sur chenille, soit six SA-6 Gainful et deux radars, ainsi que sept camions. Un coup d’œil sur sa carte lui apprit qu’ils se dirigeaient vers le village de Trnovo, juste au sud de la frontière interne entre les zones serbe et bosniaque.

Mathias posa le doigt sur le bouton de la radio. Mais, encore une fois, il n’appuya pas.

— Tiens, ça c’est pour ta carrière, connard ! cria-t-il dans son masque à oxygène, le majeur bien dressé.

17h00, Foča, Bosnie-Herzégovine

Nuit et épuisement. Vojislav se laissa tomber dans un fauteuil. Malgré le manque de sommeil, il avait couru toute la journée autour de la frontière interne de la Bosnie-Herzégovine, entre la fédération de Bosnie-et-Herzégovine, majoritairement bosniaque, et la république serbe de Bosnie, principalement serbe. Une frontière aux allures de ligne de front.

Vojislav composa le numéro du général Ratko Mladić :

— Mon général, Vomardžić. Nous sommes prêts. Mais nous n’avons vu que les avions de reconnaissance français.

— Aux dernières nouvelles, c’est encore décalé à demain. Une douzaine de Transall va larguer sur Goražde. Je fais le point avec Milošević et Karadžić dans la soirée.

Vojislav raccrocha, songeur. Les choses se décidaient en haut lieu. Slobodan Milošević, président de la Serbie. Radovan Karadžić, président de la République serbe de Bosnie.

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Mardi 26 décembre 1995

07h00, Évreux, Eure

Sylvie Lachan quitta le bâtiment d’hébergement de la base aérienne d’Évreux où elle avait passé la nuit. Une bien triste soirée pour un jour de Noël, malgré son envie de commencer son stage. Elle leva son petit nez moucheté de taches de rousseur et huma l’air humide, partagée entre appréhension et excitation. Excitation de découvrir la vie d’un escadron opérationnel et, peut-être, de pouvoir voler. Appréhension de mettre les pieds dans un monde nouveau et inconnu, avec l’éventualité de devoir subir un bizutage, comme certaines rumeurs l’évoquaient si souvent.

La base aérienne étant immense, une marche conséquente l’attendait jusqu’à l’escadron de transport Anjou. Elle s’y lança à longues enjambées.

— Un des avantages à avoir de grandes pattes…

Après quelques minutes, une voiture stoppa à son niveau. Par la fenêtre ouverte, elle vit des galons de lieutenant-colonel sur un blouson de vol. Par réflexe, elle s’arrêta et salua. Deux yeux cernés la détaillaient de haut en bas :

— Bonjour. Tu vas à l’Anjou ?

— Bonjour mon colonel. Oui mon colonel.

— OK. Monte.