Sous un ciel égyptien - Tome 1 - Armelle Hanotte - E-Book

Sous un ciel égyptien - Tome 1 E-Book

Armelle Hanotte

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Beschreibung

Son couple est au bord du gouffre, son moral en chute libre. Et si la solution se trouvait au pays des pyramides ?

Passionnée de mythologie égyptienne, Romane rêve de visiter les terres des pharaons depuis une éternité. Alors que son mariage bat de l'aile, elle éprouve plus que jamais le besoin de faire ses valises et de partir en croisière au bord du Nil. Son mari, Christian, trouve cette idée ridicule, mais Romane parvient à le convaincre de l'accompagner. Incapable d'imaginer sa vie sans l'homme qu'elle a épousé, elle compte bien profiter de ce voyage pour raviver l'étincelle qui les avait rapprochés, plusieurs années en arrière. C'est sans compter Ousir, guide touristique beau comme un dieu qui lui fait tourner la tête... ⠀⠀

Découvrez dès maintenant les secrets de l'Egypte ancienne au travers des yeux de Romane, héroïne passionnée partie à la conquête de sa Vérité.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"L'auteure Armelle Hanotte nous plonge dans un fantastique périple au cœur de l'Égypte antique, mêlant à la perfection histoire et romance." - Mjey sur Booknode
"Je suis totalement conquise par ce livre, pour moi, c'est un coup de coeur qui plairait à beaucoup de lecteurs, j'en suis sûre." - Murmures Littéraires sur son blog

À PROPOS DE L'AUTEURE

Armelle Hanotte est une jeune auteure belge. Pour elle, tout a commencé dans une bibliothèque à l’âge de 13 ans. Elle y a découvert son amour de la lecture, mais aussi et surtout son besoin d’écrire, qui ne la quitte plus. Après Calypso et The Beast, elle revient chez So Romance avec sa trilogie Sous un ciel égyptien.

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À la recherche des Anciens…

Ouvrir ce livre, C’est découvrir des mystères, Aussi libres que l’air, C’est grimper les vallées, Et ses profondeurs à traverser, C’est déceler la Vérité, Car en toi elle est.

Ouvre ce livre et évade-toi, mais sache que mystère il y aura.

Partie 1 :L’âme a dit

« Incline ton oreille pour entendre mes paroles. Et applique ton cœur pour leur compréhension. Car c’est une chose profitable de les mettre dans ton cœur. »

Admonition of Amenemope the son of Kha-Nekht

Sable doré

« Viens donc, entre par cette porte de cette salle des deux Maâts, puisque tu nous connais. »

Formule du livre des morts.

J’ouvre les yeux, prise de peur. Ce vacarme m’extirpe de mon sommeil. Il me faut un certain temps avant de me rendre compte que mon corps n’est plus dans le lit ni dans mon appartement. Il est allongé sur le sable chaud, à la recherche d’une explication. Les grains me brûlent la peau tandis que le soleil m’aveugle. Je ne sais pas où je suis ni où je vais. La chaleur m’emprisonne, m’étouffe dans ce que je crois être un désert. Toutefois, le silence m’apaise. Il fait si calme qu’on entendrait une mouche voler. Je ne comprends pas tout de suite pourquoi je suis ici, ni dans quel but et encore moins quel est le bruit qui m’a réveillée. Je me sens tout étourdie. Un sentiment d’inquiétude me traverse. L’angoisse coule dans mes veines. J’observe les alentours, intriguée. Il y a des dunes à perte de vue, et en particulier les trois pyramides de Gizeh qui s’élèvent avec fierté. À part ces trois monuments, rien ne décore le paysage. Le souffle du vent me caresse la peau. Maintenant, je sais. Mes idées se remettent en place. Je suis de retour. Ces songes envahissent mes nuits depuis des mois.

Aucun son ne me parvient aux oreilles, à part celui des bourrasques. Sous cette canicule insoutenable, ma gorge devient sèche. Je peine à avaler ma propre salive. L’envie de boire se fait vite ressentir. Les parois de ma bouche sont desséchées. Je me relève dans l’espoir de comprendre la signification de ce rêve. Cette étrange sensation me possède toujours. Vous savez, celle d’un déjà-vu, celle d’un vécu lointain qui ne me quitte plus ? Je réalise soudain que je suis seule au monde. Cet endroit n’est pas bondé par les touristes, qui habituellement, se ruent sur les pyramides. La ville, qui devrait se trouver assez proche du site archéologique, n’est plus. Le Caire a disparu, laissant place au désert. Je suis l’unique personne présente, alors que je me trouve à quelques mètres à peine de Gizeh. L’Égypte ancienne me passionne depuis toujours, je pourrais m’y rendre et visiter les lieux, voir ce qu’il s’y passe ! Pourtant, la peur me prend aux tripes. Mon estomac se resserre. L’angoisse me prend d’assaut. L’hésitation sème le trouble dans mon esprit.

Ce n’est pas la première fois que je rencontre ce phénomène. Mes rêves sur l’Ancienne Égypte se succèdent et les précisions se font de plus en plus fines. Je ne peux en sortir de mon plein gré, puisque chaque songe amène un message. Néanmoins, l’effroi suffit parfois à me ramener au lit auprès de mon mari.

Debout, face aux dunes qui n’en finissent plus, j’observe l’horizon à la recherche d’une échappatoire. Aucun dromadaire ne se promène sur les lieux, pas même une voiture abandonnée comme on le voit si souvent dans les films hollywoodiens. L’inquiétude s’intensifie au creux de mon ventre. Impossible de fuir. Je suis au cœur du désert, de cette masse de sable et au fond de moi, je sais. La seule façon de revenir à Mons, dans mon petit appartement bien douillet, est de découvrir la Vérité. Vous savez, celle qui gît au fond de nous, de notre âme… M’échapper, comme j’ai l’habitude de le faire, ne me sert à rien. Les rayons du soleil enflamment mon corps pendant que l’affolement me consume. J’en ai presque le souffle coupé.

Mes pieds s’enfoncent dans le sol qui enflamme chaque parcelle de ma peau. Les grains de sable me piquent sous la force de la brise, telles des aiguilles qui se plantent dans mon épiderme. Toutefois, cela ne suffit pas à me déplacer. Je ne bouge pas, comme paralysée. Je reste debout comme un piquet. Mes yeux sont rivés sur ces pyramides et le sphinx. Ils semblent si réels, si vrais. Ils se tiennent là, devant moi, s’étendant à plusieurs mètres de haut. Il m’est impossible d’imaginer leur taille de là où je me trouve. L’histoire d’une seconde, j’ai l’impression que ce sphinx se déplace, qu’il vient à ma rencontre, mais cela ne doit être qu’une pure illusion. Un mirage, rien de plus. C’est fort commun dans ces endroits si arides, en pleine sécheresse. Ce phénomène d’optique pourrait me rassurer dans l’idée que ce songe n’a aucun sens, cependant, la terre tremble sous chacun de mes pas.

Cette sensation persiste. Je ressens vraiment la présence de cet environnement, de ce vent chaud, de cette douceur dans l’atmosphère, comme si j’y vivais depuis des années, comme si ce rêve n’en était pas un… Cependant, le désir de rentrer à la maison se fait de plus en plus fort. Mon esprit ne souhaite pas se frotter au danger. Petite nature que je suis… Néanmoins, quelque chose, quelqu’un m’attend là-bas, sur place. Je le sais, j’en suis sûre, et pourtant, je ne me sens pas prête à le rencontrer, ni à l’affronter. Peut-être est-ce un Dieu ou un guide spirituel ? Peut-être veut-il me montrer le chemin à prendre ? Mais ai-je seulement le courage de l’écouter et de le suivre ?

Pendant que je rumine, troublée, ce sphinx paraît de plus en plus près. Mes yeux se ferment. Il faut me calmer, retrouver ma sérénité. Tous mes sens sont en éveil. La frayeur m’alarme. M’évader, partir, M’échapper, voilà ce que je désire. J’inspire et expire à de multiples reprises. Ma respiration se calme et reprend un rythme normal. Je m’imagine dans mon lit, sous les draps, dans les bras de Christian, mon mari. Tout semble s’arrêter autour de moi, autant le vent que les tremblements. Les grains de sable ont cessé de me briser.

Soudain, je perds l’équilibre et me sens aspirée d’un coup sec. La chaleur me quitte aussitôt, la fraîcheur de ma chambre me colle à la peau. Ce trou noir m’engloutit, me dévore avant que je ne reprenne mes esprits. En deux secondes, j’abandonne ce songe. Il ne me faut pas plus longtemps pour me redresser. Il est trois heures trente-trois du matin. La nuit entraîne les pièces de l’appartement dans les ténèbres. Un silence de mort règne. Des sueurs froides perlent sur mon front. Je m’arrache du matelas, tremblante, afin de boire un verre d’eau frais. Tout cela n’est pas réel, Romane, ce n’est qu’une illusion, qu’un fantasme. Tout le monde sait que les rêves proviennent de refoulements, de ce que l’on voit la journée. Ton cerveau travaille, te joue des tours, c’est tout. Bien que j’essaye de me rassurer, les membres de mon corps continuent de trembloter.

Christian dort toujours d’un air paisible. Sur la pointe des pieds, mon corps se dirige vers la cuisine. Ma main cherche l’interrupteur à tâtons. Mes yeux se plissent lorsque la lumière m’éblouit avant qu’ils ne s’habituent à son intensité. J’attrape un verre pour me servir au robinet.

Le liquide rafraîchit ma gorge. Ça me fait un bien fou. Le temps de me ressaisir, puis je retourne au lit. Il faut que ces insomnies cessent, que mon sommeil soit réparateur, toutefois, il est hors de question d’en toucher un mot à Christian. Mon mari a horreur de ce pays, de ses mœurs et de son climat. Il supporte très mal la chaleur et les hautes températures. Ce dernier déteste cette admiration que beaucoup trop de personnes vouent à l’Égypte ancienne. Il a toujours été très catégorique là-dessus, ne souhaitant pas ressembler à ces fanatiques. C’est dommage, car ces terres et leur histoire ont tellement à nous apprendre ! Christian aurait aimé me voir transportée par la Révolution française ou la révolution belge pour son indépendance. Toutes ces guerres de pouvoir dans lesquelles il est spécialisé, étant historien. Cependant, mon cœur en a décidé autrement.

Mon corps, mon esprit, mon âme ont choisi l’Égypte, et peu importe ce que l’on me dira, je sais au fond de moi ce qu’il me reste à faire — voyager sur le Nil pour calmer l’essence de mes songes.

Un matin parmi tant d’autres

« Que ton intelligence comprenne mes paroles et que ton cœur les mette en pratique, car celui qui les néglige ne connaît plus la paix intérieure. »

Aménémopé

Je me réveille difficilement avec un mal de crâne carabiné, ce qui ne m’étonne pas avec une nuit si mouvementée. Mes membres sont lourds ainsi que mes paupières. C’est une calamité de sortir de ce lit si doux et moelleux. Il y a des matins comme ça où on aimerait rester sous la couette et ne pas travailler. Toutefois, on n’a pas vraiment le choix. Les rideaux ouverts, la lumière illumine la chambre. C’est donc à contrecœur et d’un pas nonchalant que je me lève pour rejoindre Christian dans la salle à manger.

Je remets mes idées en place autour d’un petit déjeuner, un tendre croissant chaud et une tasse de thé. Mon homme a pris l’habitude de me déposer le plat sur la table avant de partir au boulot. Il travaille à l’université de Mons en tant que professeur d’histoire, pendant que j’exerce mon métier de psychologue clinicienne dans mon cabinet. J’ai quitté l’hôpital, fatiguée par ma collègue secrétaire, incapable d’organiser un horaire correct avec mes rendez-vous. Les coups bas m’ont épuisée, la jalousie et l’hypocrisie aussi. Cette atmosphère n’était plus tolérable. Depuis, je travaille comme indépendante. Cela m’apporte beaucoup plus de liberté dans mes heures, je suis bien plus en accord avec moi-même.

Tandis que mes papilles dégustent le croissant, l’horloge au-dessus de ma tête affiche huit heures vingt. Entre la passion de Christian pour les livres sur la Révolution française et ses objets de valeurs, et la mienne pour les statuettes de Dieux égyptiens, notre appartement a un style très vintage. Je vous laisse imaginer le choc historique du salon à la cuisine.

Après avoir dévoré mon petit déjeuner, je file enfiler ma tenue. Le boulot à la maison a ses avantages, mais ça ne m’empêche pas d’être en retard. Dans une petite demi-heure, ma patiente sera là et je ne suis pas encore prête. Le rêve de cette nuit me turlupine. Il occupe mes nuits et envahit mes pensées le jour. Ce sphinx s’était bien détaché du sol pour venir à moi. Que souhaitait-il me dévoiler ? Aucune explication ne semble plausible. La psychologue en moi placerait tout son raisonnement sur les pensées déréelles typiques lors du sommeil, cependant, mon âme me chuchote que c’est faux. Ce songe possède bien une signification. Toutefois, à qui puis-je en discuter ? Ma propre thérapeute me parlera de refoulements profonds, de mécanismes de défense et du blabla que je connais très bien, puisque je souhaite tant visiter ce pays de cœur. Elle me dénichera une raison qui semblera logique pour tout le monde, excepté moi. Je n’en parle que très peu à Christian, car il ne supporte pas les conversations sur l’Égypte. Selon lui, la visite sur le Nil n’est qu’une histoire d’argent, de business. Cela me déçoit. Non, cela m’offusque, car je crains de ne jamais voir de mes propres yeux ces merveilles — les temples, les sites archéologiques, les hautes statues symbolisant les Dieux.

Une fois vêtue, je descends pour accueillir ma patiente. Mon tatouage sur l’avant-bras est dissimulé par ma chemise blanche. L’œil d’Horus signifie beaucoup à mon égard. Il représente ma connexion à l’Ancienne Égypte et ses trésors. Il désigne la protection que les Dieux m’accordent. Leur bienveillance m’enveloppe, rien qu’à y penser. Évidemment, personne de mon entourage ne connaît la dévotion que je loue à ces croyances. Ils me traiteraient tous de femme insensée, de psychologue devenue folle à force de côtoyer des fous, des clichés bien présents dans une société dite ouverte d’esprit.

La sonnette retentit à l’entrée. La porte s’ouvre et je découvre Madame Dubois en piteux état. Ses yeux sont rougis par des pleurs. Ne parlons pas de ses énormes cernes et de son teint aussi pâle qu’un cachet d’aspirine. Je devine aussitôt le tournant que prendra la consultation aujourd’hui. Le travail m’attend…

La nuit tombe sur la Belgique. La ville de Mons est en grande partie habitée par une population estudiantine, encore dehors à cette heure tardive, fêtant je-ne-sais-quoi. La musique dans les ruelles apporte une ambiance de jeunesse oubliée. Je ferme à double tour mon cabinet avant de me rendre dans l’appartement. Les récits de mes patients m’ont exténuée, l’un reste bloqué sur les paroles de sa femme quand l’autre angoisse au détail près. Je ne remarque aucune évolution dans leur comportement. Il va me falloir changer de méthodes. Ces derniers se mentent à eux-mêmes à dire qu’ils essayent les solutions proposées, qu’ils les mettent en place. Je vois bien que non et que leur état se dégrade. Ce métier est bien plus compliqué qu’on ne le croirait. Madame Dubois semble, par ailleurs, anéantie par la vie depuis que son homme l’a quittée pour une autre, pendant que Monsieur Guy n’avance à rien. Il tourne en rond autour de sa bien-aimée qui le trompe depuis bientôt cinq ans. Les personnes ont toujours le choix : celui d’avancer, de progresser, ou de stagner. Bien sûr, tant de mécanismes rentrent en compte, tout est plus complexe qu’une décision à prendre, mais il faut apprendre à faire le pas.

Personne ne nous a enseigné que la vie était facile. Au contraire, sortir de sa zone de confort est plus compliqué qu’on ne le laisse croire. Il faut faire plus d’efforts… Notre bonheur en dépend. Christian me dit souvent que je tiens trop à eux. Il y a juste une nuance à ce qu’il pense : je m’inquiète pour la santé mentale de ces personnes.

En parlant du loup, ce dernier rentre d’une humeur fracassante. Il jette sa sacoche au travers de la pièce. Elle atterrit dans un coin et, la cerise sur le gâteau, touche au passage mon vase qui se brise en mille morceaux. Sans excuse, il s’enferme dans la chambre. Je n’ai ni bonjour ni baiser. Notre communication s’effrite au fil des jours. Pendant qu’il fait sa crise de colère, je ne cherche pas à le rejoindre. Mon mari a besoin de solitude dans ces moments-là. Il a certainement passé une mauvaise journée, ou reçu une nouvelle désagréable. La tension dans l’appartement m’oppresse. Cet air glacial entre nous me refroidit. Comment réagir face à un homme aussi fermé ? Il ne se confie plus à moi depuis plusieurs semaines. Tu n’es pas ma psy, répète Christian sans arrêt…

Caressant ma nuque douloureuse, après avoir passé des heures sur mes fichiers, je me redresse. Il ne reste plus qu’à ramasser les dégâts et ranger une seconde fois le salon. Comme si je n’avais que ça à faire… Passer derrière ce fourbi. Chaque soir, je passe des heures de mon côté, dans la cuisine pour préparer le souper ou à lire sur le canapé. Mon cœur est persuadé que mon mari viendra s’excuser, justifier son comportement. Néanmoins, cela devient de plus en plus difficile de supporter ses excès de violence. Je n’ai pas trop la tête à ça après une journée à écouter les plaintes et les problèmes des gens.

Le bruit des morceaux de verres brise le silence dans l’appartement. Un autre vase de cassé… Si j’avais osé briser un de ses objets de valeur, il m’aurait tué. Moi, je n’ai pas un mot à dire. C’est de la camelote… Mes pensées, tourmentées, sont troublées. Mon couple part en vrille sans que je ne puisse agir. Mes cauchemars s’enchaînent, ma santé s’épuise. Quand on y réfléchit, je suis une copie de mes propres patients. Une pause s’impose, dans la nature ou dans un endroit qui me ferait du bien. Il faut que je trouve mes bases, les origines de mon âme. J’ai besoin d’air frais. Beaucoup de connaissances me conseillent de faire le plein d’énergies vives, réconfortantes, de faire ce qu’il me plaît. En réalité, je sais ce qu’il me manque… J’ai besoin de l’Égypte.

À présent que le sol est nettoyé, je ramasse la sacoche, qui par malheur, se renverse. Je soupire, exténuée. Des centaines de copies de ses élèves s’étalent sur le carrelage. Je ferme les yeux et ravale mes larmes. Ne craque pas, la journée a été assez difficile comme ça. La tristesse va se dissiper, il suffit juste d’inspirer et d’expirer. Respire. Cependant, je sens sa présence dans mon dos. Christian n’a émis aucun bruit en quittant la chambre. Je ne l’ai pas entendu tant je suis préoccupée. Ce dernier pose sa main sur mon épaule en guise de soutien, puis récolte les feuilles à terre.

— Désolé, je suis fatigué. Le travail m’a tué aujourd’hui.

Je hausse les épaules. Nous avons tous des difficultés dans la vie, certains choisissent juste de ne pas l’exprimer avec tant de colère. D’ailleurs, Christian a toujours attendu de moi la compréhension, l’écoute, la patience, puisque je suis psychologue. Le monde a tendance à oublier que je suis une humaine avant tout. Il m’arrive de perdre le contrôle, mon calme et d’à mon tour, râler sur tout ce qui bouge.

— Pas de soucis. Tu m’aides à préparer le souper ? demandé-je d’une voix pâteuse.

Je n’ai plus la force de cuisiner, en particulier seule. Il y a des jours où j’aimerais tant retrouver mon Christian, cet homme doux qui partageait les tâches ménagères avec moi. Le temps semble avoir changé la donne.

Mon mari sort son téléphone de sa poche avant de répondre :

— On commande une pizza ?

Un mouvement de tête et voilà sa proposition confirmée. Tout ce que je désire, c’est de manger et de me doucher pour enfin filer sous la couette. Toutefois, l’idée d’être une nouvelle fois face aux pyramides m’effraie. Je revois, ressens ces images, chaque scène dans les moindres détails — Gizeh, le sphinx et ce sable brûlant. Je n’en touche pas un mot à Christian qui paraît assez agacé par son boulot. Je trouverai bien une occasion pour en discuter avec lui un jour.

— Parfait, je reviens tout de suite. Je passe aux toilettes.

Je l’abandonne là avec son sac. Après tout, c’est lui qui l’a balancée dans le vide sans réfléchir. Je refuse de me reprocher cet acte. La vessie pleine, je fais ma petite commission. Mes paupières sont si lourdes. Ça va être difficile de tenir debout d’ici la livraison. Qu’est-ce que j’ai hâte de me mettre au lit et d’apaiser mon esprit !

Des paroles dans le vent

« Ne passe pas la nuit à te soucier du lendemain. Quand le jour se lèvera, que sera demain ? »

Amenope

Cette soirée pizza tourne au fiasco. L’ambiance est pesante, l’atmosphère tendue et le silence m’oppressent. Je mâchouille mes parts dans le calme. Un malaise s’impose entre nous. Il m’est impossible d’amener plus de gaieté ou de chaleur dans ce salon qui me paraît soudain si froid. Quel effort y a-t-il à faire face à un mari distant et renfermé ? Je ne retirerai rien de lui… Mes pensées se bousculent et je me torture l’esprit sans trouver de sujet de conversation. Mon couple tire sur sa fin, ça sent à plein nez, cette odeur d’amertume et de rupture. J’ai l’impression que plus rien n’est comme avant. Où est passé ce temps où il riait à mes côtés ? Où nous échangions nos secrets les plus profonds ? Où s’est envolée cette connexion de nos deux âmes ?

Trois mois se sont écoulés depuis qu’il a changé de comportement. Mon cœur se brise un peu plus chaque jour, mais je refuse de voir la réalité en face. Si nous ne nous bougeons pas, dans un an, ma bague au doigt ne sera plus. Je ne sais dire pourquoi, cependant, mon intuition me chuchote qu’une épreuve se trace sur ma route, qu’une autre âme m’attend. Nous ne partageons plus autant de choses qu’auparavant. Christian ne me raconte plus ses journées, il n’écoute plus les miennes. Une distance s’est créée dans notre couple sans même que je m’en rende compte. J’ai fermé les yeux trop longtemps, je le sais. Dès qu’il a cessé de me toucher et de m’embrasser, j’ai pris du recul. Chaque soir, le train-train quotidien se répète. Tandis qu’il se plonge dans son livre — Que demande le peuple ? de Pierre Serna — je partage mes craintes avec ma meilleure amie. La douleur me traverse et pourtant, mon cœur n’a pas envie de réparer les choses.

— Comment s’est passée ta journée ? me demande Christian, faussement intéressé.

Ses yeux ne quittent pas l’écran de son téléphone. De ce que j’en distingue, on devine une conversation de sa messagerie. Pour me changer les idées, j’allume la radio. La musique résonne en fond sonore. La timidité prend possession de moi, à croire que plus rien ne sera comme avant. Puis-je lui en parler sans être critiquée ? Puis-je retrouver ce bonheur que nous connaissions dans le passé ?

— Bien, même si j’aimerais une petite pause.

Il lève son regard sur moi, m’examine de la tête aux pieds avant de revenir à mon visage. Sa langue passe sur ses lèvres. Je le connais par cœur… Quand il les lèche, cela signifie qu’il est agacé. Je fixe le sol, ne sachant plus où me mettre. Tant de questions se percutent en moi. À quoi pense-t-il ? Pourquoi est-ce qu’il est distant ce moment ? Peut-être devrais-je lui parler ? Mais si je le fais, Christian me traitera de psychologue qui ne sait pas rester à sa place. Peu de possibilités s’offrent à moi, mais il a toujours été plus facile de conseiller mes patients sur leurs décisions que d’en prendre moi-même.

La communication dans un couple est l’une des choses les plus importantes, avec les valeurs et la confiance. Et si la communication n’existe plus, comment se termine l’histoire ?

— Une pause ? En quoi ton métier est si épuisant ? Enfin… Je peux aussi m’asseoir dans le fauteuil et écouter des personnes raconter leur vie. C’est facile, comme job.

Je serre les dents. La colère me pénètre, me transperce le cœur. Ne t’énerve pas, Romane, tu sais très bien comment ça finit, ces remarques-là. Cependant, c’est plus fort que moi. Impossible de garder mes pensées. J’en ai assez de ces rumeurs et de ces préjugés sur mon travail, qui sont faux et infondés. La psychologie est une science comme une autre, et, entre le boulot et la maison, je donne deux fois plus d’énergie qu’il peut en donner !

— Super ! Pourquoi tu ne prends pas ma place, dans ce cas-là ? Car j’aimerais vraiment voir comment tu aiderais une adolescente violée ou un dépressif suicidaire ! Ce n’est pas parce que je passe huit heures par jour dans mon cabinet que je me tourne les pouces ! Qu’est-ce que tu ferais, toi, face à un gosse battu ou une femme en plein trouble obsessionnel compulsif ?!

Je perds le contrôle. Ma voix, aigüe, envahit tout l’espace de la pièce. Je crie tant la colère fulmine dans mon corps. L’ambiance devient bien plus oppressante. On n’entend même plus la musique, camouflée par mes hurlements. Le regard de Christian se noircit de ténèbres.

— Il faut toujours que tu gâches tout, n’est-ce pas ? Toujours que tu fasses ta psy effondrée ! hausse-t-il le ton.

Sa voix, pleine de reproches, me glace le sang. Le voir baigner dans cette haine m’intimide. Je ne sais plus où est ma place dans ce couple chaotique. Les flammes qui nous maintenaient auparavant, qui embrasaient nos cœurs, sont en train de nous brûler. Pourvu que ça ne se termine pas en incendie d’ici deux minutes.

— Pardon ? Je te signale que ça fait trois mois que tu m’évites ! Trois mois qu’on ne baise plus et tu te plains de ma fatigue ?

Il ouvre la bouche mais la referme aussitôt. Il ne peut pas nier mes paroles. C’est à peine si mon mari me prend dans ses bras la nuit pour dormir. Chacun se tourne de son côté, dos à dos, comme si on ne se connaissait pas. Christian passe sa main dans sa chevelure brune, puis se gratte la barbe. Le carton sur la table est vide. Nous avons mangé toute la pizza, il ne reste plus une part. Mon estomac ne va pas digérer le plat si je ne me calme pas. Je bois mon verre d’eau plate, les mains tremblantes. Dès que la conversation tourne en dispute, je perds tous mes moyens, effrayée par sa colère. Au début de notre relation, mon mari ressemblait au prince charmant, parfait. Aujourd’hui, il joue à l’adolescent affalé dans le canapé après le souper. C’est à peine s’il lance une machine à laver, ou s’il lave la vaisselle sale.

— Tu as d’autres choses à me reprocher ? peste celui-ci, les mâchoires serrées.

Je réponds d’un signe de tête négatif. Subitement, la musique Lose you to love me de Selena Gomez se répand dans le salon. Quelle coïncidence ! L’univers tenterait-il de m’envoyer un message ? Je laisse de côté ces mauvaises pensées pour répliquer.

— Non, je vais me coucher.

Sur ces mots, la discussion est close. Je quitte la pièce dans l’espoir de me rendre dans la salle de bain. Il ne me suit pas en criant. Non, mon mari préfère marmonner entre ses dents. Une bonne douche me fera du bien. Cela fait des heures que je rêve de me glisser sous les couettes au chaud. De toute façon, nous n’avions plus rien à nous dire. Il a été suffisamment clair sur ce qu’il pensait de mon travail.

Alors que je passe dans la chambre afin de prendre des vêtements propres, Christian me rattrape par le bras d’une manière brutale. Il a eu le temps de se faufiler dans le couloir sans que je ne le voie. Mes yeux évitent de croiser son regard. Cette technique, je la connais par cœur. Christian va tenter de se faire pardonner en faisant le ménage, ou en m’amenant une pâtisserie. Il me fera cette promesse et ainsi, on aura tout oublié demain. Sauf que je ne réussis plus à oublier…

— Attends, pardonne-moi. Notre couple bat de l’aile en ce moment, je suis désolé. Tu as peut-être raison… Nous devrions prendre des vacances comme tu le proposes.

Une lueur d’espoir me traverse. L’Égypte. C’est mon unique chance de le convaincre et de ranimer notre flamme. C’est aussi la seule excuse que je possède pour m’y rendre sans qu’il ne soupçonne des croyances fanatiques.

— Est-ce qu’il y aurait une opportunité pour que l’on parte où tu sais ?

C’est à peine si j’ose prononcer son nom. Ma voix tremble. J’aimerais tellement qu’il me prenne dans ses bras à cet instant précis, qu’il embrasse me front, me rassure, qu’il me dise que tout se passera bien. J’ai besoin de sa chaleur, de son amour, de son soutien pour progresser. J’ai besoin de raviver le feu qui fait battre notre amour. Le divorce n’est pas une solution, pas la mienne. Je suis amoureuse de lui, de sa personnalité, son caractère et en particulier, de cet homme passionné par l’histoire.

— On verra. Je crois qu’on a besoin d’une bonne nuit de sommeil. Elle porte conseil, non ?

Je hoche la tête. Après être passé sous l’eau, mon corps se sèche en deux temps trois mouvements. Nous décidons de nous coucher tôt. Il se fait déjà tard et demain, je dois voir Inès, ma meilleure amie. Elle est la seule personne qui comprendra ce que je vis et qui m’écoutera vraiment. L’étincelle entre Christian et moi n’attend qu’à être ravivée.

Les cupcakes, un péché mignon

« Que ton cœur ne soit pas vaniteux à cause de ce que tu sais... Prends conseil auprès de l’ignorant comme du savant car on n’atteint pas les limites de l’art et il n’existe pas d’artisan ayant atteint la perfection. »

Ptah-hotep

Je marche calmement en direction de Milypat. C’est un petit salon de thé au thème d’Alice au pays des merveilles. Il est très prisé à Mons par les étudiants et les fans de Disney. Il faut avouer que ses cupcakes sont un délice. Inès en est folle. Elle raffole de leurs spécialités et de leur thé glacé. Nous avons d’ailleurs prévu ce rendez-vous la semaine dernière pour profiter ensemble de la nouvelle sélection de gâteaux. J’ai pris soin de prévenir Christian afin qu’il ne s’inquiète pas de mon absence à son retour. Pendant que je passe ma journée avec ma meilleure amie, il va à la salle de sport se dépenser.

Le vent est glacial aujourd’hui. Ses bourrasques me frappent le visage. Des frissons me parcourent de la tête aux pieds. Je referme ma veste, les bras croisés tandis que ma chevelure virevolte. Ma coiffure n’aura pas tenu plus de cinq minutes à l’extérieur. La joie d’être une femme…

Le sourire plaqué sur mes lèvres, je rentre à l’intérieur de la boutique. L’odeur du gâteau chaud au chocolat me fouette en plein nez. La chaleur m’enveloppe. Ce parfum me chatouille les narines. J’adore cet endroit rien que pour ce détail. Ça sent si bon… Mes babines en salivent.

Le stand s’étend sous mes yeux avec ses multiples cupcakes, ses cookies et ses cakes pops. En exclusivité, je découvre son brownie aux Oréos. Mon ventre crie famine, en attente d’une de ces délicieuses merveilles. Mon téléphone vibre. Ma meilleure amie m’a envoyé un message. Je suis à l’étage. Aussitôt, je m’aventure dans les escaliers en saluant la serveuse. Toute l’équipe est toujours souriante et prête à nous servir. Peut-être est-ce la magie de Disney qui agit sur elle ? J’entre dans un autre univers à chaque fois que je me rends ici. Du carrelage en damier parsème le plafond, où est collée une table accompagnée de son service à thé. Un arbre à l’entrée relie le sol à l’étage. Les pieds d’Alice pendent auprès du stand. Les murs roses sont envahis par des objets de cuisine vintage. À l’étage, des bibliothèques décorent les parois de la pièce.

Ma meilleure amie me saute dessus, la gorge déployée. Son rire adoucit l’atmosphère.

— Alors ? Comment ça va ?!

Je m’assieds à ses côtés, puis pose mon sac à main avant de retirer ma veste et l’énorme écharpe qui me protégeait du vent froid.

— J’ai connu mieux, et toi ? Tu as survécu à ta nuit ?

Inès est infirmière à l’alise. Elle apporte les soins aux personnes qui en nécessitent. Pendant une semaine, elle a travaillé la nuit avec un salaire doublé. Toutefois, cette dernière m’avait partagé une mauvaise expérience avec l’homme de la chambre 324, un bipolaire qui a poussé les bornes en l’étranglant. Heureusement, la sécurité et les psychiatres sont intervenus à temps. Maintenant, ma meilleure amie se méfie quand elle bosse la nuit. Elle ne se promène plus dans les couloirs et suit une thérapie à la suite de cet accident. Je pense que ça l’a choquée, même si elle s’y était préparée. C’est le risque quand on travaille en psychiatrie.

— Tu l’as dit… Alexandre, le psychiatre, ne souhaite plus que je m’occupe de cette partie de l’asile. Je suis descendue d’un étage, chez les dépressifs. Une autre infirmière a pris le relais.

J’approuve d’un mouvement de tête, puis la serveuse nous interrompt dans notre conversation.

— Bonjour, que puis-je vous servir ?

Je prends la carte en main et visionne à la hâte les cupcakes de la semaine. Je choisis mon favori, Dina, au parfum violette, que j’assortis avec un thé à la menthe. Quant à mon amie, elle préfère le Jabberwocky avec son délicieux goût au cookie. La commande passée, je reprends ma discussion. Mes paroles s’enchaînent, tandis que j’explique ce qu’il s’est produit la veille au soir avec Christian. La culpabilité me colle toujours à la peau après notre dispute. Je ne sais plus comment réagir pour qu’il se bouge, pour qu’on reprenne en main notre relation.

— Il t’a dit quoi ? répond Inès, surprise.

Mes lèvres se crispent avant de riposter.

— Je gâche toujours nos soirées, toujours tout en fait…

Je baisse la tête, honteuse. Est-ce que j’ai vraiment fauté ? Me plaindre et parler de ma relation amoureuse n’est pas ma spécialité. Cependant, je suis perdue. J’ai l’impression d’être coincée dans un désert où aucun touareg ne viendra me sauver, où seul le soleil me réchauffe, où dans ma quête pour réapprendre à me connaître, j’aurais été abandonnée à moi-même.

Après tant d’années de relation, je ne me vois plus sans Christian. Nous sommes mariés et nos familles se côtoient souvent.

— Il est dans une mauvaise phase ? Laisse-lui le temps de reprendre ses forces. C’est un homme.

À l’instant même où elle prononce cette phrase, la serveuse arrive avec nos pâtisseries et ma boisson sur le plateau. Je la remercie et nous réglons tout de suite l’addition. Je n’ai plus envie d’être dérangée pendant notre échange. À cette heure-ci, il n’y a personne dans la boutique alors que l’après-midi, il n’y a plus une seule confiserie sur le stand ni une place sur les chaises. En cette triste matinée, je ne risque pas de croiser un ami proche de mon mari ou ses collègues.

— Et après ça, je suis allée me coucher. Je vais prendre des vacances dans quelques semaines, le temps de prévenir mes patients de mon absence. Je prie pour que cette escapade renforce notre lien.

— Tu penses à ce que je pense ? dit Inès avant de croquer dans son cupcake.

Je le dévore à mon tour, puis bois une gorgée de ma boisson chaude. Je hoche la tête en signe d’approbation. Bien sûr que nos pensées sont connectées ! Ma meilleure amie ne me connaît que trop bien. L’Égypte me passionne autant que la Grèce l’obnubile. Ces terres, ces origines, vivent en nous, vibrent dans notre corps et notre âme. Il n’y a nul doute sur ça. Elle se spécialise dans la mythologie grecque et est imbattable sur le sujet. J’aimerais pouvoir en dire autant sur l’Égypte Ancienne.

— Je lui en ai parlé, il va peut-être l’envisager. Si on part là-bas, ce serait un énorme effort de sa part ! J’en serais comblée !

Mes lèvres trahissent un sourire. Ce serait si merveilleux ! Je ne pourrais que tomber dans ses bras. Si Christian m’y emmène, ce serait le signe qu’enfin, il respecte ma passion et ce pour quoi je vis.

— Tu me préviendras hein ? Je veux tout savoir dans les moindres détails ! J’adore les potins !

Son petit rire envahit l’espace. Je vide ma tasse avant de la piquer un peu sur sa propre relation. Pas question que la conversation ne tourne qu’autour de mon couple. Elle ne m’en dit que très peu, voire rien du tout. Il faut avouer qu’elle a beaucoup de difficultés aussi de son côté. Travailler la nuit dégrade le lien qui l’unit à Michael. Il ne supporte pas de dormir seul tandis qu’elle surveille les chambres et l’entrée avec ses collègues, des hommes pour la plupart. La jalousie empire de jour en jour, en particulier quand elle rentre plus tard.

— Et Michael ? Qu’est-ce qu’il a prévu pour votre anniversaire de mariage ?

Le silence s’impose entre nous. Elle feint de ne pas avoir entendu, cependant, quand elle lève son regard sur moi, celle-ci réalise que j’attends bien une réponse. Inès se lance enfin dans une explication qui semble même être une confession. Elle me ressemble beaucoup sur cet aspect-là. Nous n’aimons pas en partager trop sur nos couples, ceci étant un sujet intime.

— Nous sommes sur la fin… J’en ai assez de ses remarques sur ce que j’aime. Je ne vais pas changer de job car Monsieur n’aime pas mon métier ni mes amis. Je fais des efforts à chaque fois qu’il sort en soirée, qu’il invite ses propres collègues à la maison. Je mets les petits plats dans les grands. J’ai tout fait pour qu’il soit fier de moi ! Je pense que je me suis perdue sur mon chemin.

J’ouvre grand la bouche en forme de O. Je suis surprise par ce qu’elle me raconte. Ma meilleure amie ne m’avait rien dit de tout ça auparavant. À chaque coup de fil, elle se retient de discuter. Elle ne me transmet que du positif en ce qui concerne son foyer.

— Tu en as discuté avec lui ? demandé-je, curieuse.

Évite de jouer ta psy, c’est ce que dirait Christian avec nos amis. Néanmoins, il a beau le nier, ma formation me permet de l’aider. Je trouve même cela normal de lui apporter mon aide et mon savoir en la matière. Si j’avais un frère ostéopathe, est-ce que je l’empêcherais de me décoincer le dos ?

— Non. Ça reste entre nous, d’accord ? J’ai rencontré quelqu’un en passant à pied devant le site de Nimy le mois dernier, près de l’université. Cette relation est si excitante ! Briser l’interdit, vivre d’une manière aussi passionnelle, dans le secret ! C’est ce piment, cette étincelle qui manquait à ma vie, ou à mon couple.

Je ne réplique pas sur l’adultère, ignore ses remarques et le détail de son infidélité. Je ne sais pas sur quel pied danser face à cette situation. Autant l’infidélité me fait grincer des dents, autant je me vois mal l’insulter pour ce qu’elle fait endurer à son mari. Mentir sur ses sentiments, le laisser croire que tout va bien… Après tout, qui suis-je pour donner des leçons, alors que ma propre relation part en vrille ? Je me penche donc sur son souci, celui qu’un jour, elle devra faire un choix. Je ravale ma fierté et mon opinion. Heureusement, il n’y a aucun enfant en jeu dans son couple, car je n’aurais pas pu me contenir. Mon père a trompé ma mère le jour de ma naissance. Dans les années qui ont suivi, en particulier mon adolescence, la tristesse m’a consumée.

— Comment est cet homme ? Tu l’as trouvé comme ça ? Par hasard ? Au bord d’un amphithéâtre ? dis-je sur un ton ironique.

Elle se raidit à ma réponse. Je ne désirais pas être trop froide dans mes propos. D’ailleurs, peut-être que Christian pourrait m’en dire plus, puisqu’il travaille là. Je vais enquêter de mon côté.

— Charmant, très romantique, adorable, sensuel… Et si tu veux savoir, il en a une grosse !

Je m’étrangle avec ma propre salive, avant d’avaler de travers. Je n’ai pas demandé à apprendre la taille de son pénis, bon sang !

— Garde ces informations-là pour toi ! Tu me dégoûtes… Et il s’appelle comment ? Christian le connaît avec un peu de chance, s’ils bossent dans la même faculté.

Elle émet un rictus sans répondre à ma question. Je comprends qu’elle ne m’en dira pas plus pour le moment. Cette dernière a besoin de temps pour savoir ce que désire vraiment son cœur. Plusieurs minutes s’écoulent, nous bavardons de tout et de rien avant qu’Inès ne se lève, prête à rentrer chez elle. Nous marchons ensemble et remontons la rue jusqu’à la Grand-place. Il faut avouer que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Un proverbe qui se défend bien quand j’écoute mes patients. J’ai hâte de connaître la décision de Christian sur la destination de notre futur voyage. Ai-je seulement encore assez d’espoir pour nous ?