Tibet - Sabine Verhest - E-Book

Tibet E-Book

Sabine Verhest

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Beschreibung

Ce livre n’est pas un récit de voyage, ni un essai historique ou ethnographique. Encore moins un traité de géopolitique ou d’économie. Il s’agit d’une mosaïque où textes et photographies se mêlent. Autant de fragments recueillis au gré d’un parcours aléatoire dans le monde tibétain, faits de rencontres et d’observations, façonnés avec la volonté de les inscrire dans une démarche journalistique de témoignage et de mise en contexte. Ces pièces, une fois assemblées, forment un tableau du Tibet contemporain, de ce Tibet qui déchaîne des passions bien au-delà de ses frontières – sans doute parce qu’il se révèle tout simplement passionnant.Sa géographie, faite de monts de légende et de hauts plateaux indomptés, se prête idéalement à la contemplation. Sa population, empreinte de ce curieux mélange d’humilité et de force vitale, imprime la mémoire de manière indélébile. Sa culture unique, dont on aimerait témoigner des morceaux persistants d’authenticité, invite à l’introspection autant qu’à l’exploration.Au centre de ce puzzle, Lhassa se pose en première pièce. Si, pour beaucoup, la capitale fut l’aboutissement d’un long périple, d’une quête spirituelle ou d’un rêve d’enfant, elle se prête mieux aujourd’hui à l’entame d’un voyage dans le monde tibétain. Là où subsiste une part de Beauté.CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE :"Un très beau livre aux magnifiques photos qui réussit le subtil équilibre entre la découverte d'un pays à couper le souffle et la rage de le voir menacé." - La Libre Belgique Un ouvrage complet qui divertit et qui enrichit ! - Le Vif L'Express À PROPOS DE L'AUTEUR :Journaliste, juriste et photographe de formation, Sabine Verhest travaille pour le service international du quotidien La Libre Belgique depuis 1995. Sa passion pour l’Asie et la montagne l’a menée à sillonner la chaîne himalayenne durant plusieurs mois, du haut plateau tibétain aux confins indiens du Ladakh et de l’Arunachal Pradesh, des cimes népalaises aux monastères du Bhoutan.

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© Paul Gérard

Journaliste, juriste et photographe de formation, Sabine Verhest travaille pour le service international du quotidien La Libre Belgique depuis 1995. Sa passion pour l’Asie et la montagne l’a menée à sillonner la chaîne himalayenne durant plusieurs mois, du haut plateau tibétain aux confins indiens du Ladakh et de l’Arunachal Pradesh, des cimes népalaises aux monastères du Bhoutan.

En couverture Au monastère de Labrang.

À Emma et Zoé

INTRODUCTION

Depuis le toit du monastère du Jokhang le regard s’évade jusqu’au Potala, l’ancien palais d’hiver des dalaï-lamas à Lhassa.

La sérénité vous envahit. Vous souriez, savourez chacune de vos rencontres, admirez sans fin. Vous n’avez pas assez de vos sens pour absorber tous ces petits détails qui rendent l’atmosphère captivante. Peu importe le temps : il s’est arrêté. L’alchimie opère. Il est de ces contrées qui résonnent en soi. Cela ne s’explique pas, cela se sent, presque immédiatement. J’ai été « cueillie » par l’Himalaya, et le Tibet. Sa géographie de légende, encore largement indomptée, invite irrépressiblement à la contemplation. Sa population, empreinte d’un curieux mélange d’humilité et de force vitale, marque la mémoire de manière indélébile. Sa culture unique, dont on aimerait témoigner des morceaux persistants d’authenticité, invite à l’introspection autant qu’à l’exploration.

Le livre que vous tenez entre vos mains n’est pas un récit de voyage. Ni un essai historique ou ethnographique. Encore moins un traité de géopolitique ou d’économie. Mais un peu tout cela à la fois. Il s’agit d’une mosaïque personnelle où textes et photographies se mêlent. Autant de rencontres et d’observations faites au gré de voyages dans le monde tibétain, façonnées avec la volonté de les inscrire dans une démarche journalistique de témoignage et de mise en contexte. Ces pièces, une fois assemblées, forment un tableau du Tibet contemporain, de ce Tibet qui déchaîne des passions bien au-delà de ses frontières – sans doute parce qu’il se révèle tout simplement passionnant.

Au centre de ce puzzle, Lhassa se pose en première pièce. Si, pour beaucoup, la capitale fut l’aboutissement d’un long périple, d’une quête spirituelle ou d’un rêve d’enfant, elle se prête mieux aujourd’hui à l’entame d’un voyage dans le monde tibétain. Là où subsiste une part de Beauté.

LHASSA, VILLE MYTHIQUE VILLE MUTANTE

Le Potala se compose d’un palais blanc, qui abritait la résidence du Dalaï-Lama et l’administration notamment, ainsi que d’un palais rouge, dédié aux activités religieuses.

Lhassa a fait rêver des générations d’explorateurs et d’aventuriers qui en ont dessiné les contours d’une ville mythique. Alexandra David-Néel n’y est pas pour rien, elle qui se déguisa en mendiante tibétaine, en 1924, pour atteindre la capitale à pied et devenir la première Européenne à pénétrer dans cette (autre) « cité interdite ». Huit mois d’un périple haletant à travers les immenses solitudes du pays des neiges, avec ses paysans accueillants, ses mystiques étonnants et ses brigands de grand chemin. Des rares occidentaux – franciscains, jésuites, capucins et autres – qui découvrirent le Tibet à partir du dix-septième siècle, la plupart y séjournèrent quelques mois, voire plusieurs années. Tous n’en gardèrent pas un souvenir impérissable pour autant. L’Anglais Thomas Manning, qui découvrit Lhassa en 1811, ne fut que très éphémèrement ébloui. Si le palais des dalaï-lamas, le Potala, « dépassait largement mon attente, la ville elle-même me fut une grande déception. Rien de particulièrement frappant, ni même de plaisant dans son aspect », écrivit-il à son ami, le poète Charles Lamb. « Tout paraît sombre et lugubre, tout paraît irréel. La joie même et les rires des habitants m’ont semblé oniriques, fantomatiques. »1 Elle en a séduit du monde, Lhassa, et déçu tout autant probablement.

Effectuer le tour du Potala en en actionnant les moulins à prières reste très prisé des pèlerins et croyants de la capitale.

Aujourd’hui encore, elle attire irrésistiblement comme elle déplaît profondément. Capitale d’un royaume du Tibet appartenant à l’histoire, actuel chef-lieu d’une « Région autonome » qui n’en porte que le nom, la ville est en pleine mutation. Elle n’a plus rien, ou si peu, de la bourgade toute tibétaine aux ruelles tortueuses, mais les atours d’une ville chinoise désespérément rectiligne et kitch au regard occidental.

La vieille ville de Lhassa se transforme inexorablement…

Le quartier tibétain n’est plus qu’un îlot dans un océan de façades de céramiques et de plexiglas, de grands magasins, d’hôtels clinquants et de bars karaokés, de larges boulevards, de statues de béton et de jardins apprêtés. Ne subsistent que quelques fragments de Tibet, à l’instar de ce Potala qui trône toujours, insubmersible, sur sa colline. Malgré cette écrasante influence chinoise, Lhassa garde cependant un cœur et surtout une âme, celle d’un peuple porté par la foi.

On en trouve pour tous les goûts : styles chinois et tibétain se côtoient désormais à Lhassa.

Au détour d’une ruelle du quartier tibétain de la capitale.

1 KEAY John, Voyageurs excentriques, Paris, Petite Bibliothèque Payot (Voyageurs), 2002, p. 75.

LE JOKHANG, SACRÉ À L’ÉTAT PUR

Les genoux, les mains, le tronc puis le front embrassent le sol, le quittent, pour l’épouser et l’abandonner encore et encore, invariablement, inlassablement. Étonnant ballet de prosternations que les dévots exécutent devant le Jokhang. La vie se concentre autour de ce temple le plus sacré du Toit du Monde, le cœur spirituel de Lhassa, le monastère que tout Tibétain rêve de voir dans sa vie – quitte à traverser le « pays » à pied. C’est qu’il enferme un véritable trésor, la statue d’un Bouddha, Jowo Sakyamuni. « Les Thibétains racontent nombre d’histoires sur la façon dont elle a été faite », raconte Alexandra David-Néel en 1926. « Certains prétendent même qu’elle s’est formée d’elle-même, sans le concours d’aucun artiste, et tous sont persuadés qu’elle a parlé en diverses occasions. »2

Quand les lourdes portes du temple s’ouvrent, les pèlerins se précipitent, armés de leur thermos de beurre de dri3 pour alimenter les lampes. À l’intérieur, on se bouscule, on passe de chapelle en chapelle en récitant des mantras, en touchant du front les statues, en laissant quelques billets en offrande. Tout à leurs prières, les dévots ne prêtent guère attention aux moines masqués, qui les poussent pour les faire circuler et récupérer leurs dons. Ils passent, repassent et dépassent, pour se prosterner une fois encore devant Jowo Sakyamuni, paré de pierres précieuses et confortablement installé sur son piédestal dans l’une des petites chapelles du temple. On peine à imaginer ce lieu désacralisé et transformé en porcherie durant la Révolution culturelle…

Un halo de mystère enveloppe toujours l’histoire de la statue mais aussi, et surtout, le destin de celle qui l’a amenée de Chine, la princesse Wencheng. Non sans réticences, la jeune femme aurait été donnée en mariage par l’empereur Taizong en 641 au grand roi tibétain Songsten Gampo, qu’elle partagea notamment avec la princesse népalaise Bhrikuti. L’introduction du bouddhisme et l’érection des temples de Ramoché et du Jokhang seraient le fait de ces deux ferventes croyantes. Mais au-delà des considérations religieuses, l’alliance ainsi scellée entre une princesse de la dynastie des Tang et un roi conquérant sert aujourd’hui d’alibi historique, à Pékin pour justifier la souveraineté chinoise sur le Toit du Monde, et à Dharamsala4 pour accréditer la thèse d’un Tibet indépendant et à l’égal de la Chine impériale. Le contexte de l’époque donne à penser qu’il s’agissait surtout, pour un empereur menacé, de sceller la paix, au demeurant fragile, avec des guerriers tibétains dont les Annales des Tang soulignent le courage, la vaillance et la qualité des armes. Ces épousailles n’empêcheront toutefois pas les guerres de se succéder ni le roi Trisong Detsen, allié aux Ouïghours, de ravager en 763 la capitale chinoise, Chang’an (connue aujourd’hui sous le nom de Xi’an).

Les Tibétains viennent toujours nombreux faire le tour du Jokhang dans le sens des aiguilles d’une montre et se prosterner devant ses murs.

À des années-lumière de ce pan d’une histoire tibétaine méconnue dans son aspect belliqueux, le regard s’évade aujourd’hui depuis le toit du Jokhang jusqu’au Potala. Et plonge vers les marchands du temple peuplant le Barkhor, la rue circulaire qui enceint le monastère et que les forces de l’ordre surveillent plus ou moins scrupuleusement, assises à une table au milieu du tumulte, ou plus discrètement depuis les fenêtres des alentours. Le long des tréteaux chargés d’écharpes de bénédiction, moulins à prières, bijoux, couteaux ou crânes de yak incrustés de pierres, passent ici chaque jour des milliers de Tibétains venus accomplir le tour du monastère sacré, une khora de huit cents mètres, en psalmodiant et tournant leurs moulins à prières dans le sens des aiguilles d’une montre. Les accompagner renvoie à des temps immémoriaux. De ce défilé permanent se dégage une immense force collective, inarrêtable veut-on croire, avec le sentiment que les Tibétains tourneront encore ainsi dans mille ans.

2 DAVID-NÉEL Alexandra, Voyage d’une Parisienne à Lhassa, Paris, Plon, 1926, p. 346.

3 La dri est la femelle du yak.

4 Dharamsala, en Inde, accueille la demeure du Dalaï-Lama, ainsi que le gouvernement et le parlement tibétains en exil.

« HEUREUX », CHACUN CHEZ SOI

Un beau sourire aux confins du Grand Tibet, à Labrang dans l’Amdo. Cette région est devenue chinoise sous la dynastie mandchoue des Qing.

Elle pointe vers le ciel, discrètement, sans intéresser grand-monde, emmurée à sa base, loin d’être mise en valeur à vrai dire. Sur cette stèle posée devant le Jokhang, pourtant, restent gravés en tibétain et en chinois les termes du traité de paix scellé en 821 : « […] les Tibétains seront heureux au Tibet et les Chinois seront heureux en Chine ». Cet « accord solennel », qui fixe les frontières d’un territoire tibétain deux fois plus étendu que l’actuelle Région autonome, n’inspire visiblement plus personne, du moins à Pékin. Il est vrai qu’il ne fut respecté… qu’une vingtaine d’années.

L’HABIT NE FAIT PAS TOUJOURSLE MOINE

Le monastère de Kumbum, dans l’Amdo (aujourd’hui au Qinghai), est l’un des six plus grands monastères de l’école des « bonnets jaunes », non loin du village d’origine du XIVe Dalaï-Lama.

Jamyang, dix-neuf ans, rêve de business. Il en parle avec enthousiasme comme s’il allait accoucher de montagnes d’argent. Le jeune homme, bien dans son temps et dans ses baskets, connecté au monde depuis un café internet de sa ville natale des confins de l’Amdo, se penche le plus clair de sa journée sur des thématiques moins terre à terre, les écritures saintes. Jamyang est moine. Un moine nourri des espoirs et des désespoirs de son jeune âge. Les murs de sa chambre monacale témoignent de ce déchirement entre le bouddhisme et les démons de sa jeunesse : les images des grands lamas et monastères tibétains côtoient les posters de stars en vogue. Un jour, il en est sûr, il rangera sa robe pourpre au placard. Définitivement.

Aux monastères de Wutun Si, près de Repkong dans l’Amdo, se trouve l’école de peinture tibétaine la plus réputée, où l’on découvre parmi les plus beaux thangka.

Les moines ne vivent pas hors du temps et de la société de consommation.

Si la vie monacale n’est plus perçue comme la panacée dans un monde riche de tentations, elle attire encore de jeunes Tibétains, touchés par une foi profonde ou, plus prosaïquement, soucieux de s’assurer une éducation ou une vie décente.

Certains monastères ne rassemblent guère qu’une poignée d’habitants, comme celui de Rongbuk en contrebas du camp de base de l’Everest. Mais d’autres, à l’instar de Labrang (dans la province du Gansu) ou de Drepung (dans la Région autonome du Tibet), fonctionnent comme des villes, avec leurs rues, allées et places, leurs quartiers résidentiels, leur bibliothèque et leur cuisine. On y enseigne l’art, l’astronomie ou la médecine, on y étudie le tantrisme, la théologie ou la logique.

Quand les soldats chinois pénétrèrent au Tibet, le monastère de Drepung comptait près de dix mille moines. Comme d’autres hauts lieux de l’enseignement bouddhiste que sont Sera et Ganden dans la région de Lhassa, Drepung n’est plus que l’ombre de lui-même aujourd’hui. On évaluait la proportion de religieux à 30% avant 1950; ils ne seraient plus que 2 % en Région autonome du Tibet, selon les sources officielles chinoises.5 C’est que la vocation monastique s’accompagne de contraintes pratiques et intellectuelles : il faut notamment pouvoir composer « avec les autorités, la présence d’espions dans les murs et les séances de rééducation patriotique », témoigne une ancienne moniale. La surveillance policière a d’ailleurs encore été accrue dans les monastères tibétains depuis le mois de janvier 2012. Posséder une photo du Dalaï-Lama et, a fortiori, le vénérer restent plus que jamais interdits. Aussi, des moines préfèrent-ils partir pour parfaire leur enseignement bouddhiste en Inde, où vivent exilés de grands lamas tibétains.

Les plus grands monastères tibétains, comme celui de Labrang, s’apparentent à des villes, avec leurs habitations et leurs allées.

Les moines de Sakya déboulent de la salle des prières. Comme son nom l’indique, ce monastère de l’Ü-Tsang est le siège de l’école Sakya du bouddhisme tibétain. Son chef est marié et père de deux enfants.

Certains monastères sont aussi devenus de vrais foyers de contestation. Des moines de Drepung notamment, qui avaient initié les grandes manifestations tibétaines précédant les jeux Olympiques de Pékin en 2008, le paient toujours de leur liberté. Plus encore, la communauté religieuse a initié une nouvelle forme de résistance : le suicide par le feu. Pas moins de cinquante moines, nonnes ou laïcs, se sont immolés au 25 septembre 2012, depuis que, le 16 mars 2011, Phuntsok Jarutsang, un pensionnaire du monastère de Kirti dans le Kham6, a mis ainsi fin à ses jours pour réclamer la liberté et le retour du XIVe Dalaï-Lama sur sa terre natale. Des actes – résistance ou comble du désespoir – qui ont valu à la région d’être quadrillée par les forces de l’ordre et fermée aux étrangers, journalistes et autres observateurs internationaux. Si ces immolations par le feu ont eu lieu, en très grande majorité, dans la province du Sichuan, elles ont aussi touché Lhassa lorsque, le 27 mai 2012, deux jeunes se sont transformés en torches humaines devant le monastère du Jokhang – lieu symbolique s’il en est.

Trompes, conques, cymbales, tambours et autres : à vent et à percussion, les instruments sonnent et résonnent au service de la liturgie tibétaine.

La cause de ces actes est à chercher dans les « frustrations quotidiennes » découlant de l’occupation chinoise, analyse Kathup Tsering, qui travaille pour l’organisation International Campaign for Tibet à Dharamsala. « Vous ne pouvez pas sentir pleinement ce qu’ils vivent à l’intérieur », assure-t-il. « Leur combat se situe au-delà de la mort. » Pour les autorités chinoises, la responsabilité de ces « actes politiques prémédités » est plutôt à mettre sur le compte de « la clique du Dalaï-Lama et (des) forces séparatistes » qui « mènent sauvagement le bouddhisme tibétain sur la voie de l’extrémisme », comme le déclare Wu Zegang, le chef de la préfecture d’Aba (Ngaba en tibétain), dans le Sichuan.7 Attaqué, le chef spirituel des Tibétains lui-même a pris le parti de ne plus commenter les immolations. Car, « quoi que je dise, les Chinois en rejettent le blâme sur moi ». « Pour éviter d’être accusé de déclencher tout cela, la seule chose à faire est de rester muet. » D’autant que « je n’ai plus de fonction politique », depuis l’élection d’un Premier ministre tibétain en exil.8 Lobsang Sangay se charge dès lors de réagir. « Nous n’encourageons aucune manifestation au Tibet, y compris les immolations, parce que manifester signifie être arrêté, parfois être torturé, parfois disparaître. En tant que bouddhistes, nous pensons que la vie est précieuse, nous attendons des Tibétains qu’ils vivent leur vie et contribuent à la communauté et au combat plus efficacement sur le long terme », nous explique-t-il.9 « Il est préférable de vivre et de devenir un leader sur le long terme. »

Le débat dialectique sur des sujets de philosophie, ici au monastère de Repkong, permet aux moines d’améliorer leur capacité de raisonnement, leur mémoire, leurs connaissances.

Reste que des Tibétains du Tibet, menacés dans leur dimension religieuse, linguistique et culturelle par les politiques chinoises, ne peuvent s’empêcher de réagir, engendrant une répression accrue de Pékin, qui entraîne à son tour des actes de résistance tels que les immolations. Un cercle vicieux que seule la liberté pourra réellement casser.

5 Relayées par ROBIN Françoise (ss la dir. de), Clichés tibétains – idées reçues sur le Toit du monde, Paris, Le Cavalier Bleu Éditions, 2011, p. 151.

6 Aux yeux des Tibétains, leur pays se compose de trois provinces (l’Ü-Tsang, l’Amdo et le Kham), qui dépassent ensemble largement la Région autonome du Tibet (RAT), pour déborder sur les provinces du Qinghai, du Gansu, du Sichuan et du Yunnan. Les statistiques officielles, qui remontent à l’an 2000, recensent 5,5 millions de Tibétains en Chine, dont 2,4 millions (soit 45 %) en RAT, 1,3 million au Sichuan et 1,1 million au Qinghai.

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