Tournai et Wallonie picarde - Cellule Architecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles - E-Book

Beschreibung

Que vous soyez professionnels de l'architecture ou passionnés d'urbanisme et de voyages, partez à la découverte de la cité des cinq clochers !

Ce troisième Guide d’architecture moderne et contemporaine consacré à Tournai et la Wallonie picarde invite à regarder l’architecture autrement au travers d’une sélection de plus de deux cent cinquante projets, illustrés de plans et situés sur des cartes, commentés par de nombreux auteurs et photographiés par Barbara Dits. Ces projets sont le fruit de la modernité revisitée à chaque époque par les architectes, de l’Art nouveau à aujourd’hui : programmes modestes ou réalisations d’envergure, commandes privées et bâtiments publics.

Ce volume est réalisé en partenariat avec la Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme, sous la direction de Charlotte Lheureux et Bernard Wittevrongel.

Publié avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, cet ouvrage de référence richement documenté retrace l'histoire architecturale de Tournai et de la Wallonie picarde, entre art nouveau et modernité.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Une belle réussite accessible à tous qui donnera sans doute l'envie d'une balade urbaine, guide à la main. - Emmeline Beinaert, Vlan

À PROPOS DES AUTEURS

Architecte de formation, Charlotte Lheureux obtient son diplôme de l’Institut Supérieur d’architecture Saint-Luc en 2010, sous le grade de major de promotion. Collaboratrice au sein de l’agence ZigZag Arc. et assistante de recherche à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve, elle poursuit depuis 2014 un doctorat au sein de la faculté d’architecture LOCI. Outre ses activités en bureau et en université, Charlotte Lheureux collabore régulièrement à des publications spécialisées ( L’art même, A+, etc.)

Bernard Wittevrongel est architecte, chef de travaux et secrétaire de la commission de programme « Master en architecture » à la nouvelle Faculté d'architecture, d'ingénierie architecturale, d'urbanisme LOCI de l’Université Catholique de Louvain.

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MARDAGA
&
CELLULE ARCHITECTURE
DE LA FÉDÉRATION
WALLONIE-BRUXELLES
2017
TOURNAI
architecture moderne et
contemporaine
1899-2017
GUIDE
Sous la direction de
CHARLOTTE LHEUREUX et BERNARD WITTEVRONGEL
Photographies de BARBARA DITS
& WALLONIE PICARDE
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS
7
CARTE
10
WALLONIE PICARDE La construction d’un territoire
13
REGARDS TOURNAI
36
A
TOURNAI RIVE GAUCHE
54
B
TOURNAI RIVE DROITE
74
C
LE FAUBOURG SAINT-MARTIN
96
D
LES PLAINES DE L’ESCAUT
114
ANTOING - BRUNEHAUT - RUMES
116
PÉRUWELZ - BELŒIL
132
E
OUEST
148
RUE DE TOURNAI
150
HERSEAUX - DOTTIGNIES
166
AU NORD DE MOUSCRON
172
COMINES
182
REGARDS MOUSCRON
188
F
MOUSCRON CENTRE
200
G
MOUSCRON GARE
218
H
CENTRE
FRASNES-LEZ-ANVAING - LEUZE-EN-HAINAUT - CHIÈVRES
228
REGARDS ATH
248
I
ATH
256
J
NORD-EST
FLOBECQ - LESSINES - SILLY - ENGHIEN
276
Biographies
294
Bibliographie
306
Index des noms
310
Index des typologies
311
6
7
En éditant aujourd’hui son troisième numéro, la collection « Guides d’architecture
moderne et contemporaine » se rapproche un peu plus de l’objectif qu’elle s’est donné il
y a plusieurs années de cela : éclairer près d’un siècle et demi d’architecture moderne
et contemporaine en Wallonie. Observant une carence dans cette partie de la Belgique,
ladite collection entend redonner toute sa place au patrimoine récent par la constitution
d’ouvrages de référence, s’adressant aux amateurs comme aux professionnels. La notion de
modernité pour angle d’attaque, elle tente d’en dépasser l’aspect formel pour aborder les
dimensions sociales, politiques, économiques, culturelles ou techniques. Il s’agit de valoriser
l’architecture en tant qu’acteur de notre quotidien, témoin de notre histoire et de notre
culture, symbole de ce que la ville veut être et des valeurs portées par ses habitants. Si une
telle architecture existe au sein de notre région (et le présent ouvrage tend à le montrer),
elle reste largement méconnue du grand public et ne semble pas encore susciter un intérêt
réel chez nos élus. Les initiatives visant à valoriser le patrimoine constituant nos villes et
campagnes restent encore rares et isolées. Plus, elles se traduisent trop souvent par des
réglementations prohibitives et aveugles aux véritables enjeux de l’art. D’où la nécessité
d’agir, en ramenant au premier plan ces acteurs clés de la modernité : bâtiments privés et
publics, ouvrages d’art ou aménagements urbains. Chaque fois lié à une aire bien définie, le
guide offre l’occasion de (re)découvrir un contexte familier, en élargissant le catalogue des
quelques œuvres emblématiques à une architecture peut-être moins « spectaculaire », mais
non moins significative. Objectif atteint sur les territoires de Liège en 2014, de Mons & Cœur
du Hainaut en 2015, et de Tournai & Wallonie picarde en 2017 !
Dans la lignée de ses prédécesseurs, le guide Tournai & Wallonie picarde trouve ses
origines dans les mouvements d’émancipation touchant les milieux culturels et artistiques
au début du XX
e
siècle. En première de couverture, la date de 1899 renvoie à la construction
de la maison que Léon Pavot dessine pour sa propre famille dans la commune de Péruwelz
(D27)
. Lignes courbes et ferronneries y annoncent les prémices d’une production Art nouveau
que le jeune disciple de Horta, disparu très jeune, ne réalisera hélas jamais. On trouve
d’autres beaux exemples du style dans la région, laquelle ne se lancera toutefois jamais
pleinement dans les nouveaux courants, et restera toujours très liée à son patrimoine.
AVANT-PROPOS
CHARLOTTE LHEUREUX et BERNARD WITTEVRONGEL
8
Ainsi, lors de la reconstruction faisant suite aux bombardements de 1940, Tournai privilégie
une architecture s’appuyant sur les typologies et les matérialités constitutives de la ville
historique. La modernité prend donc un sens particulier ici : celui d’un grand respect du
passé, n’acceptant que les modifications d’usage. Et c’est une contemporanéité tout aussi
particulière qui lui succède aujourd’hui, où les morphologies bâties relèvent d’abord de
réglementations administratives, avant d’exprimer quelque idéal culturel ou artistique.
Pour autant, le présent ouvrage recèle un certain nombre de réalisations de grande qualité.
Ces réalisations se localisent au sein du périmètre tournaisien, et bien au-delà. C’est là une
autre particularité du guide : l’étendue du territoire investigué. Contrairement aux éditions
antérieures, chacune déployée autour d’une grande agglomération, la présente s’articule
autour de trois communes principales : Ath, Mouscron et Tournai. Ce choix est dicté par la
spécificité des influences subies et exercées par les trois villes. Autour de ces noyaux urbains,
les vingt plus petites communes composant la Wallonie picarde sont reprises : Antoing,
Chièvres, Comines-Warneton, Estaimpuis, Belœil, Bernissart, Brugelette, Brunehaut, Celles,
Ellezelles, Enghien, Flobecq, Frasnes-lez-Anvaing, Lessines, Leuze-en-Hainaut, Mont-de-
l’Enclus, Pecq, Péruwelz, Rumes et Silly. En tête, l’approche territoriale aborde les dimensions
paysagères, mais aussi transfrontalières et eurorégionales, éminemment caractéristiques
des lieux. Chacune des trois communes principales fait ensuite l’objet d’un ou plusieurs
chapitre(s), introduit(s) par un Regard sur la vie culturelle du siècle dernier, où sont mis
à jour les mécanismes de leur constitution réciproque. Une série de notices ponctue ce
voyage, présentant chacune les témoins d’un patrimoine peut-être encore plus insoupçonné
que partout ailleurs dans le pays.
Fruit d’un important travail de recherche, de sélection et de rédaction, le guide est
avant tout un travail de collaboration entre un comité scientifique de collection – représenté
par la cellule architecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles — et un comité scientifique de
guide – ici représenté par la Faculté d’architecture, d’urbanisme et d’ingénierie architecture
Loci de l’Université catholique de Louvain. Première étape du processus, la rencontre des
territoires et des acteurs locaux aura permis de pallier le défaut de publications sur le sujet.
Le classement d’une matière très riche, mais jusque-là éparpillée, amorce alors une base
9
de données qui ne cessera de grossir grâce à la collaboration de nombreuses personnes :
architectes bien sûr, mais aussi historiens, éditeurs, membres de cercles artistiques et
d’organismes régionaux, agents communaux ou amateurs passionnés. Des visites sont
organisées, des informations échangées, des publications empruntées… gonflant l’inventaire
jusqu’à près de mille références au sortir des dix premiers mois de travail. S’ensuit une
phase de sélection drastique, au cours de laquelle le comité se retire, laissant la place à un
jury d’experts extérieurs. Cinq universitaires se penchent ainsi sur chacun des bâtiments
inventoriés à travers divers renseignements (prix octroyé, contexte de l’opération, spécificité
structurelle, etc.) et photographies les plus significatives. Les choix pris à cette occasion
n’en sont pas figés pour autant : des groupes de travail (réunissant cette fois des acteurs
locaux) sont mis en place au sein des communes principales. Leur tâche consiste à valider
ou à écarter les références retenues ; à passer en revue et éventuellement à intégrer les
références mises en réserve ; à repêcher des références écartées ou omises. Non sans
quelque inévitable subjectivité, et sans plus prétendre à l’exhaustivité, la sélection arrêtée
se veut la plus représentative possible de la région, en observant notamment une répartition
égale entre territoires urbain et rural. Cela posé, la recherche des documents d’archives
et informations plus précises, en vue de la rédaction des notices, se révélera tout aussi
laborieuse. Ici, la contribution d’organismes tels qu’Archives communales, Archives de l’État
ou archives bénévoles (Archives iconographiques du Tournaisis par exemple), mais aussi
celle de nombreux acteurs privés, auront été précieuses. Et après répartition entre un panel
d’auteurs expérimentés, les plus de 250 entrées architecturales du guide Tournai & Wallonie
picarde s’enorgueillissent aujourd’hui d’une publication unique en son genre.
10
11
12
13
WALLONIE PICARDE
la construction
d’un territoire
BÉNÉDICTE GROSJEAN
L’appellation « Wallonie picarde » (en abrégé, « Wapi ») s’est diffusée dans les années 2000
pour désigner le Hainaut occidental, une province belge qui comprend également deux autres
sous-régions, Mons-Borinage et La Louvière-Centre. Cette dénomination a été promue par le
Conseil de développement, une association de forces vives1 réunies en 2006 pour fédérer et
structurer les dynamiques locales. Celui-ci est à l’origine d’un « projet de territoire » éponyme
publié en 2008. C’est aussi le nom de l’asbl chargée de le mettre en œuvre, sous l’égide de
trois intercommunales (IDETA, IEG et Ipalle) en collaboration avec plusieurs autres organes
consultatifs ou promotionnels2.
1.
Une soixantaine de personnes issues de la société civile (aujourd’hui 80), regroupées en sept collèges : formation ; culture et tourisme ;
environnement ; recherche et développement ; jeunes ; socio-économique ; politique.
2.
La Conférence des bourgmestres (2008) et le Conseil de développement (2006) sont deux instances consultatives. L’asbl Wallonie
picarde 2025 est en charge du suivi de leurs travaux. D’autres organes pour la promotion ont été fondés sur cette lancée : wapinvest,
culture.wapi, visit.wapi, cciwapi, etc.
14
Cette partie ouest de l’actuel Hainaut est certainement la plus hétérogène historique-
ment. Elle se compose en effet d’une portion du Hainaut historique (amputé des arrondisse-
ments français de Valenciennes et de l’Avesnes), du Tournaisis et de Tournai, dont l’histoire a
été autonome pendant plusieurs siècles, et, enfin, de Mouscron ainsi que des communes de
son arrondissement, qui étaient encore, il y a peu (1963), en province de Flandre-Occidentale.
Or, si la pratique de marketing territorial consistant à dynamiser une région par une
appellation nouvelle devient courante, elle peine souvent à dépasser le stade d’étiquette, à
s’incarner dans un territoire réel. Mais celle-ci semble bien prendre corps ; elle essaime en
de multiples initiatives et a déjà engendré une attractivité certaine, au point que d’autres
communes ont souhaité s’y rattacher.
Tout en se gardant donc d’instrumentaliser l’histoire et la géographie pour y déceler une
quelconque prédestination – car bien conscients de la construction humaine que représente
tout territoire, nous cherchons ici à en élaborer une possible compréhension à travers trois
fils descriptifs : des caractères historiques à sa formation récente ; des structures paysa-
gères à ses ressources actuelles ; des formes d’urbanisation à ses pratiques quotidiennes.
Au-delà d’une culture commune assez discernable – mixage et collage, opportunismes des
situations frontalières, chacune de ces lectures montre surtout comment des diversités conti-
guës peuvent s’articuler entre elles : l’agriculture, les activités et l’urbanisation, dans les
ressources ; ou encore, la mobilité, le patrimoine et le tourisme vert, dans les usages.
Des caractères historiques
communs
La Wallonie picarde aime à se présenter aujourd’hui comme un « territoire carrefour et
multipolaire […] à la croisée des axes de communication européens majeurs, aux portes de la
Flandre et de deux métropoles européennes... »3. Ce qui frappe en premier lieu, c’est à quel
point l’histoire de ses différentes parties se raconte d’abord séparément. Le nombre d’ou-
vrages différents, d’érudits de domaines distincts, qu’il faut aujourd’hui cumuler, associer et
croiser pour en construire une vision dans le temps le démontre.
Si cet exercice fait bien entendu apparaître des recoupements, car nombre de protago-
nistes sont communs, et qu’il met à jour des caractéristiques semblables, chacun les présente
cependant comme spécifiques : une situation de « territoire de transition » ou de carrefour,
la superposition des influences, l’alternance incessante des suzerainetés, le sac et ressac des
limites fluctuantes, un morcellement des entités. Remarquons au passage, et à une autre
échelle, que ce sont aussi des caractères souvent attribués à la Belgique elle-même. Ainsi,
de nombreux épisodes dans l’histoire du territoire Wapi apparaissent comme un concentré
représentatif des péripéties de l’ensemble du pays.
———
3.
http://culturepointwapi.be/
15
Carrefour géographique
Globalement, le Hainaut historique est déjà un carrefour viaire à l’époque des Romains.
La ville de Bavai (Bagacum) constitue son centre géographique, entre la Haine (qui lui donne
son nom) qui coule vers l’Escaut, et la Sambre, qui coule vers la Meuse. Trois des sept grands
itinéraires partant en étoile À partir de Bavai concernent l’actuelle WAPI : celui vers Anvers
la frôle en passant par Enghien, celui vers Gand la traverse, et celui qui longe l’Escaut vers
l’ouest est encore bien visible : il donne la direction générale du plan primitif de Tournai à
l’endroit de l’implantation de cette ville, sans doute un passage à gué avant la grande plaine
marécageuse. à partir de là, on trouve encore les traces d’autres axes romains, vers Arras,
vers Courtrai et vers Comines, puis Cassel.
À l’échelle des villes aussi, comme Ath, on retrouve la même expression : « Implantée au
carrefour de deux routes anciennes qui joignent Lille et Tournai à Bruxelles, et Mons à Gand,
au bord de cette grande plaine de Flandres qui a joué un grand rôle économique et militaire,
Ath a une position stratégique non négligeable, puisque [au XVe siècle] on la qualifiait de clef
de la Flandres et du Brabant. »4
Plus précisément, le Hainaut historique est régulièrement décrit comme « une région “trans-
frontalière” […], terre de marche et de confins, le Hainaut chevauche des aires culturelles et
géographiquement différentes. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait été l’objet de revendications
contradictoires, et que ses frontières se soient constamment modifiées à travers l’histoire ».5
4.
(Coll.),
Le patrimoine monumental de la Belgique
, vol. 13 « Province de Hainaut, arrondissement d’Ath (t. 1) », Liège, Mardaga, 1988, p. 12.
5.
Hainaut, connaissance du bâti ancien en Europe
, Conseil de l’Europe, 1992, p. 18.
16
En effet, dans la première grande partition de l’Europe, celle entre les trois petits-fils
de Charlemagne (843), c’est l’Escaut qui définit la limite entre les terres acquises à Charles
le Chauve (qui deviendront la France), à l’ouest, et celles de la Lotharingie, qui passeront
sous la suzeraineté germanique, à l’est. Ceci sera le cas du Hainaut, contrairement au comté
de Flandres, qui devra allégeance au roi de France. Cependant, à de nombreuses reprises
dans l’histoire, des alliances et des héritages, des acquisitions, récupérations et échanges
(l’Ostrevant, la Mortagne) associeront les deux comtés ; et la société déjà fortement urbaine
(patriciens, échevins, métiers et corporations, foulons, etc.) complexifiera leurs relations bien
au-delà des simples rapports de féodalité.
Terres de débat
L’expression « terres de débat » est née dans ce contexte : « Aux confins du Hainaut et de la
Flandre, [ces terres] étaient revendiquées par les deux comtes respectifs depuis le XIIIe siècle.
Au début du XIVe, le comte de Hainaut réussit à y faire imposer son autorité fiscale. […] Lessines,
Flobecq et Ellezelles furent dès lors comprises comme partie intégrante du Hainaut. »6 La terre
du Roeux fut acquise au début du XIVe siècle. Au sud, Blaton et Feignies ont été cédées au
comte de Flandres en 1333, puis à nouveau réunies au Hainaut un siècle après.
À échelle plus fine encore est également présenté comme spécifique à ce territoire,
le très grand nombre d’enclaves, terres franches ou domaines, parfois au sein même d’un
village, déclarant allégeance à une autre principauté que celle où ils sont inclus : « Certaines
sont assujetties aux douanes et aux contributions, d’autres seulement aux unes et pas aux
autres. […] La liste en était d’autant plus difficile à établir dans le cas du Tournaisis et de la
châtellenie d’Ath en raison du caractère extrêmement déchiqueté de leur territoire. Ces deux
régions présentent en effet la particularité de compter une grande quantité de poussières de
terres franches, […] à l’intérieur même des seigneuries et des paroisses. »7 Antoing, Leuze et
Condé, par exemple, ont dépendu de la principauté de Liège, dès le XIe siècle.
Le morcellement physique n’est pas la seule conséquence de la multiplication de ces
terres d’exception. Jouissant du droit d’asile, abri de fraudeurs, déserteurs et « gens sans
aveux », battant monnaie, exempts des taxes et impôts frappant le voisinage direct, « brasse-
ries, distilleries et cabarets prolifèrent ainsi dans les terres franches, générant une énorme
fraude […]. De nombreux [T]ournaisiens vont donc s’abreuver ou s’approvisionner aux alen-
tours, y compris dans des enclaves sises dans l’ancien [T]ournaisis, sur la rive gauche de
l’Escaut (Bailleul, Estaimpuis, Estaimbourg), et du Hainaut adjoint. »8
———
6.
Ibid.
, p. 22-23.
7.
MARIAGE, F. (coord.), DESMAELE, B., CAUCHIES, J.-M. (dir.), « Les institutions publiques régionales et locales en Hainaut et Tournai/
Tournaisis sous l’Ancien Régime », Archives générales du Royaume et Archives de l’État dans les Provinces,
Miscellanea archivistica
studia
, 119, Bruxelles, 2009, p. 42.
8.
Ibid.
, p. 44.
17
Des fleuves comme limites
Enserrée entre les puissants comtés de Flandres et Hainaut, la petite entité du Tournaisis
a d’abord eu une histoire bien autonome et particulièrement florissante sous la paix romaine.
La ville est également connue dans toutes les histoires d’Europe comme le lieu de naissance
de Clovis et de diffusion de la chrétienté.
Cependant, le fleuve, à Tournai, ne fut pas toujours un bassin rassembleur, mais d’abord
une limite. Le Tournaisis issu du pagus
tornaceriium
s’étalait en effet uniquement à l’ouest de
celui-ci, jusqu’à la Marque dans la France actuelle, et entre l’Espierres au nord et la Scarpe au
sud. À ce titre, au traité de Verdun (843), il fut attribué au royaume de France. Baudouin II (comte
de Flandres) s’empara du Tournaisis au IXe
siècle, mais le pouvoir sur la ville de Tournai est resté
aux mains de l’évêque et sous le pouvoir du roi de France, c’est pourquoi Tournai et son territoire
rural ont formé deux entités différentes. Ainsi, la ville a également eu une période « frontalière »,
à cheval sur le fleuve délimitant la suzeraineté du comté de Flandres et celle du Hainaut.
Mais c’est surtout la Lys qui a vu se développer des urbanisations bicéphales, telles
que Comines qui formait une seule ville au XVe
siècle, mais qui dépendait de la châtellenie
d’Ypres pour sa partie occidentale et de celle de Lille pour la partie à l’est du fleuve9. La pre-
mière, dite Comines-Nord, fut ensuite française jusque sous Louis XIV qui, en 1713, fixa défini-
tivement la Lys comme frontière. Mais « Comines conserve un seul corps échevinal avec une
Maison [c]ommunale et un bourgmestre à Comines-Sud, ainsi que des échevins de chaque
côté, qui traitent les affaires de Comines-Nord dans un cabaret nommé l’Hôtel du Baron. Les
deux Comines conserveront un seul corps échevinal jusqu’à la Révolution »10.
9.
Mouscron, Luinge, Dottignies et Hersaux formaient, avec neuf autres communes, l’une des cinq « verges » de la châtellenie de Courtrai
(avec Menin, Deinze, Tielt, Harelbeke), dont les bourgeois se réunissaient et prenaient part à de nombreuses décisions. On pense que
ces verges émanent des anciens pagi qui organisaient le territoire des Romains. Warneton était la plus petite et la dernière-née des
châtellenies de Flandres.
10. www.ville-comines.fr/découvrircomines/origines.html.
18
Fédération de territoires
Au XVe siècle a commencé sous les Bourguignons une forme de rassemblement de ces
territoires par simple juxtaposition, une période clé également dans l’histoire de la construc-
tion du territoire belge. Après que Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, épouse Marguerite
de Flandres, lui et ses quatre descendants n’auront de cesse de conquérir tous les territoires
qui séparent le comté de Flandres du duché de Bourgogne. Par mariage, héritages, appropria-
tions, spoliations, ils parviendront à réunir l’Artois, le Brabant, le Limbourg, la Flandre, le
comté de Namur, le duché de Luxembourg, la Frise et la Hollande, et Jacqueline de Bavière
renoncera au comté de Hainaut à leur profit, en 1433. L’ensemble sera nommé Pays-Bas bour-
guignons, après que Charles le Téméraire conquiert encore la Lorraine, comme ultime trait
d’union. Celui-ci gouverne à partir de Lille, de Dijon, de Bruxelles, habite à Malines, à Gand,
à Nancy. Sa fille, Marie de Bourgogne, unique héritière, est élevée durant plusieurs années
dans le Hainaut (Quesnoy), avant d’épouser un Habsbourg, Maximilien d’Autriche.
Charles Quint, leur petit-fils né à Gand en 1500, gouvernera donc l’ensemble de ces
principautés, mais aussi : l’Espagne, par héritage de sa mère, le Portugal, par son épouse,
toutes leurs possessions outre-Atlantique Il sera élu empereur du Saint Empire germanique,
en 1520. Cette addition de territoires, dont il parle toutes les langues (dit-on), sera gérée de
manière différenciée selon leurs coutumes, tout en imposant des règles communes, en parti-
culier la religion catholique. Ainsi, les Pays-Bas souffriront fortement de l’Inquisition impo-
sée par son fils Philippe II, et notamment la ville de Tournai, devenue un foyer de résistance
du protestantisme dans les Pays-Bas du Sud.
Cette « ville-état » a joué, en effet, un rôle particulier durant cette période médiévale,
dépendant directement de la couronne de France, jouissant de chartes et de grandes libertés
communales : au XVe
siècle, elle est gouvernée démocratiquement par quatre collèges, dont
celui des doyens des corporations. Elle fera partie quelques années (1513-1519) du royaume
d’Henri VIII, envoyant des députés à Londres, puis sera annexée en 1521 par Charles Quint.
Contestant le pouvoir des Habsbourg, elle fit partie de l’Union d’Utrecht en 1579 (comme
le comté de Flandres et le duché de Brabant) alors que le comté de Hainaut, lui, signait la
paix d’Arras (avec Valenciennes et l’Artois) pour le maintien du catholicisme et du régime
habsbourgeois. Ce dernier écrase cependant la rébellion de Tournai en 1581, provoquant un
long déclin.
19
Champs de bataille
En ce qui concerne les XVIIe
et XVIIIe
siècles,, toutes les histoires s’étendent longuement
sur les fluctuations de la frontière nord du royaume de France, que Louis XIV en particu-
lier cherchera régulièrement à repousser, et dont elles reproduisent cartographiquement les
ondulations, le sac et le ressac. Nombre de cartes historiques de cette époque représentent
en fait les positions des armées qui assiègent les villes. Celles-ci sont des pions, conquis,
récupérés, assiégés, fortifiés, perdus ; et la plupart des plaines sont des champs de bataille. À
titre d’exemple, Tournai est aux Habsbourg d’Espagne jusqu’en 1667, avant de devenir fran-
çaise jusqu’en 1713, autrichienne jusqu’en 1745, puis à nouveau française, ensuite encore
autrichienne de 1748 jusqu’à l’annexion française en 1793, dans le grand « département de
Jemappes » ; elle sera enfin hollandaise de 1815 jusqu’à l’indépendance belge (1830). Ath éga-
lement, bien que fort au nord, a des périodes françaises, de même que Binche11.
Les travaux de fortifications de Vauban sont donc aussi une marque commune à tout
ce territoire : si on connaît généralement la citadelle de Lille et celle de Tournai, réputée
imprenable, juste avant, Vauban avait aussi construit celle d’Ath et fortifié le château de
Comines, comme toutes les place fortes conquises au traité de Nimègue (1668). À partir de
1678, Mouscron et Dottignies sont, quant à elles, traversées par une longue ligne de murailles
fortifiées par les français, s’étendant de la Lys jusqu’à l’Escaut, entre Mein et Espierres. Le
même type de construction marque aussi le paysage entre Comines et Ypres.
———
11. Plus globalement, entre l’an 1000 et l’an 2000, Tournai a changé dix-sept fois de régime politique (Courtrai, 15 fois, et Lille, 11 fois).
http://www.euskomedia.org/PDFAnlt/azkoaga/11/11447466.pdf.
20
Des langues, une Eurométropole
Si les limites des provinces de Flandre-Occidentale et de Hainaut furent ensuite stables,
sous la forme de départements avec l’annexion française (Mouscron, Comines et Warneton
faisaient partie du département de la Lys), puis sous les Hollandais et après l’indépendance,
les dernières péripéties dans la définition du territoire de la Wallonie picarde concernent
encore la fixation d’une limite, mais cette fois linguistique.
Quand, en 1962, on décide en Belgique que la langue officielle d’une commune dépen-
dra de sa situation géographique par rapport à une limite linguistique (et non plus de ses
habitants)12, celle-ci est tracée juste au nord du Tournaisis et du Hainaut, en traversant des
terres où les deux langues ont toujours cohabité, parfois à part égale. Ainsi, quasiment toute
la limite nord de la Wapi est constituée de « communes à facilité »13, qu’elles soient dans l’une
ou l’autre région : Enghien (Wallonie), Bever (Flandre), Flobecq (W), Ronse (Fl), Spiere (Fl),
Mouscron (W), Comines-Warneton (W) et Mesen (Fl). C’est à la suite de ce même mouvement
que les communes de Mouscron et Comines ont basculé de la province de Flandre à celle du
Hainaut.
Ainsi, ce statut de territoire d’entre-deux, de frontière épaisse, continue à caractériser
la région, marquée par son histoire entremêlée de celle de territoires voisins, mais aussi par
les multiples bains culturels qui l’ont façonnée. Les communes à facilité, dans ce contexte,
peuvent n’être que des « scories » de cette longue histoire, mais elles peuvent aussi être vues
comme les germes d’un « territoire de transition », avec la superposition des caractéristiques
comme opportunité plutôt que comme contrainte.
Aujourd’hui, la Wapi participe à une nouvelle construction territoriale transfrontalière.
Dès 1991, en effet, elle fait partie de la COPIT (Conférence permanente intercommunale trans-
frontalière), cofondée par ses deux intercommunales renouvelées, IDETA et IEG, ainsi que
par deux autres intercommunales belges (WVI et Leidal) et la communauté urbaine de Lille.
Cet organe de réflexion, produisant études et prospectives, deviendra de plus en plus opéra-
tionnel, notamment grâce à l’accord binational franco-belge signé en 2002. Il contribue à une
connaissance mutuelle, rend possibles des interactions et souscrit à des fonds de développe-
ment européens (DG Regio, Interreg IIIa). En janvier 2008, l’expérience ainsi acquise leur per-
met d’être les premiers à adopter le nouveau statut de Groupement européen de coopération
transfrontalière (GECT) en fondant l’Eurométropole Likoto (Lille-Kortrijk-Tournai). Celle-ci est
toujours principalement portée, du côté belge, par les intercommunales en charge du déve-
loppement territorial et c’est donc le terrain d’action de l’IDETA qui, aujourd’hui, donne ses
limites à la partie nord-est de la Wallonie picarde, et de l’Eurométropole, comme les limites à
l’ouest correspondent à celles dont l’IEG gère le développement.
———
12. En 1947, les parlementaires flamands ont refusé que les recensements décennaux continuent à poser la question de la langue principale
usitée par la personne recensée. Au préalable, ces recensements permettaient de définir si une commune était prioritairement néerlando-
phone ou francophone.
13. Communes incluses dans une Région donnée, mais où le nombre de locuteurs de l’autre langue est suffisamment important pour que des
facilités linguistiques leur soient accordées (documents officiels, information publique, etc.).
21
Les ressources du territoire :
géographie, géologie et agriculture
Des corridors naturels nord-sud,
des infrastructures est-ouest
La grande géographie de l’Ouest belge est structurée par la succession parallèle de
rivières et de fleuves qui, avant de converger vers Anvers, s’écoulent tous suivant une même
direction globale, du sud-sud-ouest au nord-nord-est : la Lys, l’Escaut, la Dendre, et, plus
loin, la Senne, la Dyle, la Gette. Toutes ces vallées assuraient les flux des marchandises, des
hommes et des idées, entre le nord et le sud du pays.
La Wallonie picarde s’étend à cheval sur trois d’entre elles, alternant ainsi, d’ouest en est,
vallées ou plaines et plateaux ou crêtes. En un premier regard général, on peut associer ses
principales sous-régions à ces situations géographiques contrastées : Comines et Warneton
se trouvent dans la plaine de la Lys, Mouscron s’est développée sur la crête urbanisée de
Roubaix et Tourcoing ; Tournai et le Tournaisis s’étendent dans la large vallée de l’Escaut, puis
le « Pays des collines » tire son nom du plateau du Hainaut ; enfin, Ath et Lessines s’inscrivent
dans la vallée de la Dendre.
22
Globalement, la Wallonie picarde est insérée dans la grande plaine argilo-sablonneuse
qui fait la transition entre la plaine maritime de Flandre et les premiers plateaux hennuyers.
Le paysage est donc constitué de collines assez douces, qui se rassemblent en plusieurs ali-
gnements : du mont de l’Enclus (141 m) au Pottelberg (157 m), d’est et ouest ; du mont Saint-
Aubert jusqu’au bois de Mainvaut, plus au sud ; et reliant les deux, la crête interfluviale
Dendre/Escaut, de Frasnes à Ellezelles. Son flanc ouest forme une dépression vallonnée où
affleure l’argile et que la Rhosnes contourne avant de se jeter dans l’Escaut. C’est aujourd’hui
le paysage le moins urbanisé de la WAPI.
Un regard plus précis sur l’hydrographie permet d’approfondir cette première lecture
physique du territoire. Si les deux premiers cours d’eau traversant la région prennent leur
source bien en amont (la Lys dans le Pas-de-Calais, et l’Escaut dans le Cambresis), la Dendre,
elle, naît de deux branches locales qui commencent par s’écouler presque face à face, le long
d’un relief qui barre, d’est en ouest, l’extrême sud de la Wallonie picarde, découpant ainsi une
autre sous-région, spécifique par sa géologie. Ce relief du Hainaut prolonge en fait le dôme de
craie du Mélantois, en France, et, entre les deux, doit se glisser l’Escaut. Après avoir parcouru
la plaine de la Scarpe, sa vallée s’y rétrécit en effet à quelques dizaines de mètres, avant de
pouvoir à nouveau s’étendre, après Tournai, en une vaste plaine alluviale d’une dizaine de
kilomètres de large, assez marécageuse, mais amplement drainée par un système complexe
de petits canaux.
En contrebas de ce même relief, sur son flanc sud bordé par la vallée de l’Haine, a été
creusé le canal Pommerœul-Antoing (1823-1826, aujourd’hui Nimy-Blaton), longeant d’est en
ouest, parfois frôlant, la frontière avec la France. Il avait pour but de passer le charbon du
Borinage vers l’Escaut sans payer les taxes françaises qui étaient dues sur l’ancien itinéraire,
le canal de Condé (creusé sous Napoléon vers 1807, quand la région ne formait qu’un seul
département, dit de Jemappes, avec Valenciennes et l’Avesnes).
Ce canal fait partie, en réalité, d’un important dispositif développé au XIXe siècle pour
relier transversalement, d’est en ouest, les principales vallées citées qui, elles, sont plutôt
orientées nord-sud. Ces infrastructures caractéristiques du territoire permettaient de rallier,
d’un côté, le port de Dunkerque et, de l’autre, le bassin de la Meuse, ainsi que les canaux
très équipés de Charleroi à Bruxelles (ascenseurs à bateaux, plans inclinés), en passant par
le canal du Centre, de Péronnes, et celui de Nimy-Blaton. La Dendre, également, qui butait
au sud sur l’extrémité du plateau de Hainaut, fut par un canal traversant celui-ci, à Blaton
(1868). Deux petits canaux partant de l’Escaut vers l’ouest ont aussi contribué au développe-
ment économique de la région, en permettant aux Belges de rejoindre Dunkerque, et à Lille-
Roubaix-Tourcoing, de s’approvisionner en eau et en charbon : il s’agit du canal de l’Espierre
(1843), qui longe en partie la rivière naturelle du même nom, puis la canalise, et rejoint la
Deule via le canal de Roubaix ; et du canal de Bossuit à Courtrai, qui s’y connecte à la Lys.
Ces deux canaux font partie des tout premiers actes de la « diplomatie » franco-belge, comme
en témoigne la convention signée entre les deux rois (1839), qui organise non seulement leur
construction, mais surtout les droits d’accès, les taxes et consignes à payer14.
———
14. « Canal de Boussuyt à Courtray et de l’Espierres. Mise en concession » dans
Premiers actes du nouveau gouvernement de Belgique
,
1839, p. 1202.
23
Sols, sous-sols, exploitation
Si les canaux se sont tant développés, c’est qu’il y avait de la matière première pondé-
reuse à transporter : le charbon bien entendu, car la région jouxte les bassins miniers, tant
belges que français, mais aussi à partir de la WAPI elle-même, dont la couronne sud-est pos-
sède une géologie propice aux carrières de pierres.
Le nord de la région, ancré dans la grande plaine argilo-sableuse des Flandres (limons et
sables qui se sont déposés lors de la période tertiaire), a fourni la matière première pour les
briques et les tuiles, qui caractérisent les constructions traditionnelles. À l’ouest de Tournai,
le sous-sol est un affleurement de la période secondaire (crétacé supérieur), de craie et de
marnes, qui prolonge le sous-sol du Mélantois, au sud de Lille, et ses nappes aquifères. Ces
terrains calcaires sont plus favorables aux grandes cultures et incitent au regroupement de
l’habitat.
Mais, au sud-est de Tournai (Antoing), à Basècles et Quevaucamps (frontière sud de
la région), et à l’est d’Ath et de Lessines, des couches de la période primaire (carbonifère
inférieur) sont accessibles en carrières et ont permis d’exploiter des grès, du porphyre, des
calcaires fins et des marbres noirs, très renommés, et exportés très loin pendant plusieurs
siècles.
24
Ainsi, entre Tournai et Antoing (comme à Maffle, à côté d’Ath) affleure une roche cal-
caire argilo-siliceuse qui sert depuis l’Antiquité comme matériau de construction. Brute ou
soigneusement taillée, elle est très connue dans l’architecture sous le nom de petit granit ou
pierre bleue, pour les encadrements de portes et fenêtres, seuils, colonnes et toutes pierres
sculptées. Elle a aussi toujours été exploitée sous la forme de chaux et ciment. Cela marque
encore fortement cette sous-région, surnommée le « pays blanc », à cause des rejets de pous-
sières de l’industrie cimentière qui transforment les environs en « paysages lunaires ». Cette
industrie s’est également fortement développée au XVIIIe
siècle, comme l’a remarqué le géo-
graphe Ph. Vandermaelen en 1839, par le débouché important qu’a constitué « la transforma-
tion des villes[-]frontières en villes-fortes »15.
À l’extrême sud, les carrières de Basècles (mais aussi Quevaucamps, Blaton), aujourd’hui
comblées ou remplies d’eau, ont produit pendant des siècles un calcaire très fin et homo-
gène, dit marbre noir de Basècles, que l’on retrouve notamment sous la forme de carrelages,
tablettes de cheminée, panneaux muraux, dans nombre de châteaux, églises et monuments,
dont la cathédrale de Cologne.
Enfin, tout à l’est, on extrait à Lessines une roche éruptive rare, le porphyre, particu-
lièrement dure, difficile à façonner et quasiment inaltérable. Aussi, ce matériau a-t-il sur-
tout été exploité sous la forme de pavés, par un traitement principalement manuel : jusqu’à
6 000 personnes étaient employées dans ces carrières, avant la Première Guerre mondiale.
Des voies de chemins de fer, aménagées entre les carrières et les péniches sur la Dendre, per-
mettaient l’exportation par voie d’eau. Le développement urbain de Bruxelles au XIXe siècle a
fortement profité de ces pavés, qui ont aussi chaussé à la même époque l’avenue des Champs-
Élysées. Au fil du XXe
siècle, la mécanisation de la production a progressivement déplacé
les débouchés du porphyre vers une nouvelle application contemporaine très demandée, le
concassé, et les carrières locales continuent de s’agrandir.
Agriculture et modes de peuplement
À côté de l’extraction de minéraux et des productions spécifiques développées dans les
villes (bonneterie, draperie, tapisserie, faïencerie), l’agriculture a constitué la base de l’éco-
nomie de cette région avant la révolution industrielle et marque encore la période contem-
poraine.
Comparativement avec le nombre de haies, de bocages, de rangées d’arbres que nous
montrent dans le détail les cartes de Ferraris (1777), témoignant de la richesse et de la sophis-
tication de la culture agricole de la région, les plantations se sont évidemment clairsemées,
même si elles continuent de constituer le paysage dominant. Néanmoins, comme le relève
le paysagiste Philippe Thomas, aujourd’hui « l’évolution de l’agriculture tend à réduire les
surfaces toujours en herbe et à développer le drainage sous-terrain qui réduit l’importance
des fossés et des ados. Cet “enterrement de l’eau” rend le paysage moins lisible. Cette évolu-
tion s’accompagne d’un abandon de l’exploitation des terres les plus ingrates au profit des
plantations de peupliers qui ferment peu à peu le paysage »16.
———
15. Ph. VANDERMAELEN,
Dictionnaire géographique de la province de Hainaut
, Bruxelles, Établissement géographique, 1833, p. 7.
16. Ph. THOMAS, « Les motifs du paysage »,
Les dossiers de l’atelier transfrontalier
, n° 10, 2001, p. 41.
25
Les bois occupent les parties hautes et pentues des monts, surtout leurs versants nord
(mont de l’Enclus, mont Saint-Aubert), mais aussi les sols trop humides des vallées (Rieu de
Barges, Rieu de Templeuve) et les sols sans limon (bois de Péronnes, de Lanchon), tandis
que de nombreux bosquets abritent des réserves de chasse. Néanmoins, l’ensemble boisé,
surtout des feuillus, reste modeste dans la région, car le sol du Hainaut est fertile, et celui du
Tournaisis plus encore : 90 % des terres agricoles y étaient labourées à la fin du XVIIIe siècle,
et 75 % le sont encore aujourd’hui. Près de 40 % concernent les céréales (froment, orge), le
reste est destiné à la betterave et à la pomme de terre17. Les herbages sont réservés aux fonds
humides et à la grande plaine alluviale et marécageuse de l’Escaut. La vallée de la Dendre
produit également des plantes fourragères. L’enclave de Comines est connue pour ses vergers
et l’émiettement de ses prairies, associé à l’éparpillement des maisons.
———
17. M. ANSELME
et al.
,
Tournaisis, Architecture rurale de Wallonie
, Liège, Mardaga, 1984, p. 40.
26
L’habitat traditionnel rural, même en petits villages, s’entourait en effet d’un jardin, d’un
potager et, parfois, d’un petit verger (apanage sinon des grosses fermes et parcs des châteaux).
Là où le relief est plus prononcé, les villages sont plus regroupés et les prairies de plus grande
taille, comme au sud de la WAPI. C’est aussi le cas à l’ouest de Tournai (Lamain), où l’habitat
dispersé est très faible, les villages étant entourés de grandes superficies de cultures.
En revanche, au nord d’une ligne passant à peu près horizontalement par Tournai, les
historiens relèvent, dès le XVIIIe siècle, un habitat très dispersé. Ils l’associent à la plaine
d’argile yprésienne de Flandre, où l’eau affleure partout en petits ruisseaux et dans les fossés.
Au sud, sur terrain plus drainé (calcaire) et vallonné, les villages se regroupent et se densi-
fient. Ils observent enfin un habitat à nouveau plus dispersé dans la zone déprimée du Rieu
de Barges, constitué de marnes crayeuses, imperméables et humides.
Cette partie nord de la Wapi a aussi comme caractère spécifique une plus forte « enclo-
sure »18 des parcelles (haies, rangées d’arbres), sauf le long de la vallée de l’Escaut où le pay-
sage reste plus ouvert. L’enclave de Comines était, elle aussi, particulièrement bocagère. En
outre, si la typologie de villages-rues domine, et que l’importance du réseau viaire est forte
dans le développement de l’urbanisation, la partie nord du Tournaisis est aussi représenta-
tive d’une typologie de hameaux où les maisons sont « aérées autour d’une prairie centrale »,
dite « rejet », « trieu », parfois « warechaix » ou « communes » : c’est un terrain enherbé, issu
de la jachère, parfois entouré d’arbres, appartenant à la communauté et où celle-ci exerce un
droit d’usage. Il avait de multiples utilités (rassemblement du bétail, traite, abreuvage, récolte
de bois, de sable, mais aussi fêtes, activités collectives).
———
18. Un édit de 1771 autorisait en Hainaut et en Flandres de délimiter les parcelles privées ; cela fournissait un apport de bois non
négligeable. Même les maisons autour des rejets (ou trieux) marquaient leurs limites de propriété. Ibid., p. 38.
27
Parallèlement à l’agriculture traditionnelle, toute la région est aussi caractérisée par
la culture de plantes dites industrielles (betteraves sucrières, tabac, houblon, lin) parce
qu’entraînant de manière précoce des productions et manufactures diversifiées (brasserie,
sucrerie, bonneterie). Un entrepreneur yprois développe, dès 1719, la rubanerie à Comines,
dont on dira en 1950 qu’elle est devenue « la capitale mondiale ». Le lin, surtout, aura des
conséquences importantes sur le développement de cette région : cultivé depuis 1650 autour
de Comines et Mouscron, au XIXe siècle, il l’est à peu près dans tout le Tournaisis, puis soit
filé et tissé sur place (comme à Frasnes), soit envoyé à rouir dans la vallée de la Lys, qui s’est
spécialisée dans le traitement de cette fibre. Dès le XVIIIe siècle, dans le sud du Courtraisis,
les deux tiers de la population sont occupés dans le tissage ; Mouscron atteint l’apogée de
sa production cotonnière dans les années 1860, avec cinquante et une fabriques de tissus,
deux filatures de coton, vingt retordeurs de coton, trente teintureries, employant localement
jusqu’à trois mille tisserands et deux mille huit cents fileurs, teinturiers, bobineurs19.
Cet artisanat textile, très souvent réalisé au domicile des cultivateurs, intensifiait les
échanges entre culture, production, commerce, et contribuait déjà à brouiller, interpénétrer
mais aussi enrichir réciproquement les mondes rural et urbain.
Urbanisation et industrie
Au XIXe siècle, le développement de l’urbanisation se fait principalement sur deux fac-
teurs : de bonnes communications et des conditions propices pour l’industrie. La Belgique dans
sa globalité est connue pour la précocité de sa révolution industrielle, notamment grâce au fort
taux d’urbanisation dès le Moyen Âge20, qui est aussi une caractéristique de cette sous-région.
Cependant, le développement industriel n’a pas forcément lieu dans des villes de longue
tradition historique, mais plutôt selon les opportunités géographiques, économiques ou géolo-
giques de certaines communes. Ainsi, Tournai et Ath (comme Namur ou Mons) vont à peine
doubler leur population au XIXe
siècle, et vivront de la mécanisation de leurs précédentes pro-
ductions (extraction, textile, brasserie et moulins, agro-industrie). L’urbanisation de Mouscron,
en revanche, sera multipliée par six (de 3 600 à 20 000 habitants) sur la même période ; de
même que Charleroi est passée de 20 000 à 200 000 habitants avec le charbon, ou Verviers,
passée de 19 000 à 90 000 habitants sur le même XIXe
siècle, avec l’industrie lainière.
C’est pourquoi la configuration urbaine de Tournai surprend aujourd’hui, avec son
centre historique dense, entouré des boulevards marquant l’ancien intra-muros (construit
sur la trace des anciens remparts, démolis en 1865), puis sa couronne étroite de quartiers de
faubourgs d’entre-deux guerres, plus bourgeois qu’ouvriers, et, enfin, directement adjacent,
son urbanisation caractéristique de la seconde moitié du XXe
siècle : routes-marchés sur les
nationales, habitat périurbain, en bandes ou pavillonnaire, et grandes zones d’activités.
À l’inverse, Mouscron, qui n’était qu’un village, exploite des circonstances politiques et sa
situation frontalière pour développer son industrie, d’abord textile. Elle va doubler de superficie
avec de nouveaux quartiers denses et des logements bon marché. Elle profite du fait que Lille,
en 1769, interdit à Roubaix et Tourcoing la fabrication du molleton (mélange de lin et laine) ; ces
entreprises viendront donc s’installer de l’autre côté de la frontière. Elle exploite aussi un nouveau
matériau, le coton, dès le début du XIXe
siècle. Comme le Nord de la France manque de main-
d’œuvre, elle attire aussi de nouveaux habitants : un grand nombre d’ouvriers flamands, tout en
travaillant en France, s’installeront dans de nouveaux quartiers au sud de Mouscron, contigus à la
frontière. Enfin, à la fin du XIXe siècle, de même qu’entre les deux guerres, ce sont les entreprises
françaises (filatures et usines de tapis) qui viendront s’y installer, à proximité des ouvriers. Tous
ces flux, de personnes, de marchandises et d’entreprises, sont provoqués par les différentiels fron-
taliers, mais sont aussi facilités grâce à un réseau de transport déjà fort développé.
———
19. A. M. COULON,
Histoire de Mouscron
, Courtrai, éd. Nys et Fils, 1890, p. 146.
20. En 1500, le taux d’urbanisation de la Belgique est de 45 % (pourcentage de la population qui habite dans une ville de plus de 5 000 habitants), 15 %
en France et 12 % en moyenne européenne. P. BAIROCH,
De Jéricho à Mexico, villes et économie dans l’histoire
, Paris, Gallimard, 1985, p. 233.
28
Les usages du territoire :
économie et mobilité,
patrimoine et loisirs
Réseaux de transports et mobilité individuelle
Le développement du réseau de chemin de fer en Belgique est connu pour être fulgu-
rant, et la densité de lignes (nationales et vicinales) par kilomètre carré atteinte au tournant
du XXe siècle était la plus haute au monde. Prépondérant pour le développement écono-
mique de cette sous-région, l’histoire de sa formation est à l’image des priorités de l’industria-
lisation : les marchandises et les flux transfrontaliers. Le réseau de l’époque illustre de ce fait
une hiérarchie urbaine assez différente de l’actuelle.
En effet, la première figure des voies ferrées à l’indépendance est une étoile, centrée au
départ sur Malines et reliant Anvers, Ostende, les bassins productifs et toutes les frontières. La
construction ira très vite : la ligne de Malines à Bruxelles et Anvers est ouverte en 1835. En 1837,
Gand est desservie ; Ostende, en 1838, et Courtrai à partir de Gand, en 1839. À l’est, Liège est
29
atteinte en 1842 ; au sud, Mons en 1842 et Quiévrain en 1843. La loi du 26 mai 1837, qui définit
les chemins de fer prioritaires aux frais de l’État, prévoit de relier Tournai à partir de Mouscron,
comme « embranchement » d’une ligne principale reliant Gand à Mouscron (1842), puis Tourcoing
et Fives, la gare industrielle de Lille (1843). Mouscron sera, en outre, traversée par plusieurs
lignes vicinales, et Herseaux jouira d’une ligne nationale supplémentaire, la reliant à Wattrelos et
Roubaix, d’un côté, de l’autre, à Avelghem et Audenaarde, en passant par Espierres.
Tournai sera, quant à elle, reliée à Ath en 1847, et puis seulement à Halle (et, donc,
Bruxelles) en 1866, sur les investissements d’une compagnie privée. Un an avant, s’était ouvert
son tronçon vers la frontière, puis Ascq et Fives, par Baisieux. Une ligne rejoint Saint-Ghislain
à Basècles dès 1861, puis Péruwelz (1867) et, enfin, Tournai en 1870. Cet axe important pour
le transport comportait de multiples ramifications, vers Bernissart et Quevaucamps, mais
aussi transfrontalières, vers Orchies, Saint-Amand, ou Somain. Tournai sera encore à l’origine
d’une dernière ligne à écartement normal (avant les vicinaux) vers Renaix (1882), passant
par Pecq et Amougies.
Ath sera tout d’abord reliée à Mons (1848), puis à Alost (1855), en passant par Lessines,
et à Bruxelles seulement dix-huit ans après (1866). Il y aura encore Blaton en 1878 et Saint-
Ghislain en 1879. Comines, enfin, sera reliée à Courtrai en 1853, puis à Ypres en 1854. Vingt-
trois ans plus tard, une liaison sera construite via un pont surélevé sur la Lys avec Comines-
France, dont la ligne vers Lille a été inaugurée en 1876.
D’autres lignes nationales striaient encore la région, notamment une ligne nord-sud
reliant Gand à Saint-Ghislain, passant par Blaton, Leuze, Frasnes, Renaix-Ronse, et une autre
qui l’y croise, de Braine-le-Comte à Courtrai, desservant Hellezelles, Flobecq et Lessines.
Quand on pense que le réseau vicinal était encore plus dense que le réseau national,
rajoutant à partir de 1885 plus d’une douzaine de lignes à travers ce territoire, on comprend
que le nombre de villages desservis par transport collectif était prépondérant, et fait rêver
aujourd’hui à l’heure ou l’on cherche des dessertes alternatives à la voiture pour ces territoires
d’urbanisation diffuse. Car ce réseau a été complètement démantelé : la desserte ferroviaire
actuelle se cantonne à quelques axes pointés sur Bruxelles et quelques grandes polarités. Les
relations régionales sont des moignons de plus en plus mal desservis, rendant courante la situa-
tion absurde où il est plus rapide de passer par la capitale pour aller d’une ville à l’autre.
La conséquence la plus importante de l’histoire ferrée est sans doute la pratique très
précoce de la « navette », cette mobilité domicile-travail qui, ailleurs, s’est imposée avec la dif-
fusion de la voiture individuelle dans les Trente Glorieuses, mais qui, en Belgique, a dominé
les pratiques dès 1910, avec le réseau de chemin de fer vicinal21. En Wallonie picarde, le
phénomène est encore plus marquant parce qu’il était en outre transfrontalier, les réseaux
étant bien développés d’un pays à l’autre, et l’industrie française appréciant la main-d’œuvre
belge. Les recensements belges relèvent en 1910 que près de 5 000 habitants de Mouscron (et
plus de 7 000 si on compte aussi Dottignies, Herseaux et Luingne), soit 22 % de la population
totale, vont travailler quotidiennement dans les industries, surtout textiles, du Nord de la
France. En 1930, ils sont 11 000 frontaliers, pour 33 000 habitants22. Actuellement, ce sont les
flux de la France vers la Belgique qui sont les plus importants23, tant pour le travail que pour
la migration résidentielle.
———
21. B. GROSJEAN, « Le vicinal, un transport collectif de proximité » dans Urbanisation sans urbanisme, Bruxelles, Mardaga, 2010, p.107-144.
22.
Schéma de structure de la commune de Mouscron, analyse de la situation existante
, novembre 2009, p. 13.
23. Trente-neuf mille résidents en France travaillent en Belgique, dont 20 000 issus du Nord-Pas-de-Calais, un nombre qui se stabilise ;
et 14 000 résidents belges travaillent en France, un nombre en hausse (INSEE, 2015).
30
Le territoire « moderne » : activités, ZAE, logistique
Après la Seconde Guerre mondiale, le Hainaut occidental est à nouveau marqué, de
façon différenciée, par de grandes politiques d’échelle nationale, voire européenne. Tout
d’abord, il est impacté par le développement du réseau autoroutier24, tandis que les chemins
de fer sont progressivement démantelés. La Belgique, en effet, est très impliquée dans l’élabo-
ration du Plan des routes européennes, et six des principaux itinéraires seront prévus à tra-
vers le pays. Mouscron-Courtrai est le premier tronçon construit (1970) de la nouvelle route
prévue entre Lille et Venlo, par Gand et Anvers. Celle-ci sera entièrement ouverte dès 1972,
année durant laquelle Mons est reliée à Liège, d’un côté, et à la frontière française, de l’autre.
Tournai est reliée à la frontière française en 1973 et à Pommerœul, sur l’autoroute Mons-Paris,
en 1974. En revanche, Tournai-Mouscron n’ouvre qu’en 1986, et Tournai n’est reliée à Hal (et,
par là, Bruxelles) qu’en 2000. La sous-région est ainsi tôt desservie, mais reliée à la France, à
la Flandre et à la dorsale wallonne, ce qui orientera son développement local.
Quelques autres grands travaux nationaux la concernent encore, en particulier pour
les voies d’eau (mise au gabarit 1 350 t, darses, parcs industriels). Mais, dans les années
1960, le développement progressif de politiques régionales laisse d’abord cette sous-région
assez à l’écart des grands plans wallons, qui se concentrent sur les besoins des plus grandes
villes, sur les urgences socio-économiques du Borinage voisin, sur le retard plus important
de l’Ardenne.
———
24. Les premiers tronçons sont réalisés en Flandre (Ostende est reliée à Bruxelles en 1957, juste avant l’Exposition universelle ; et Anvers à
Liège, en 1964).
31
La loi organique de 1962 lancera la mise en œuvre des plans de secteur pour l’aménage-
ment du territoire : ce sont des plans d’occupation monofonctionnelle des sols, affectant une
couleur à un usage unique. Les plans de secteur de la sous-région seront, dans un premier
temps, assez peu ambitieux, c’est-à-dire proches de l’état existant et, donc, très agricoles, mis
à part les investissements en grands travaux déjà évoqués. Ils prévoyaient proportionnelle-
ment peu de zones pour de nouvelles activités (économiques, industrielles, commerciales),
mis à part la périphérie de Mouscron ; une situation que les intercommunales actuelles en
charge du développement territorial, IEG et IDETA (succédant en 1991 à la SIDEHO jugée trop
peu dynamique), ont encore toujours pour leitmotiv de rééquilibrer.
Cette conjonction a entraîné le développement de l’économie agro-industrielle, déjà
ancien, puis celui du secteur logistique, qui peut aujourd’hui s’orienter vers le multimodal,
pour exploiter la diversité des infrastructures quadrillant le territoire.
Tourisme vert et actions transfrontalières
Si, dans les années 1970, des observateurs relevaient donc « une trop faible partici-
pation de la province à l’expansion tertiaire »25 du pays, le contrepoint est que le paysage
agricole a été, en revanche, plutôt préservé de l’étalement urbain en nappe de cette période.
Les caractères typiques de ce paysage déjà décrits, le vallonnement et une structure assez
bocagère, en font aujourd’hui un grand bassin verdoyant attractif à la fois pour une Flandre
très urbanisée et pour les métropoles voisines, Lille et Bruxelles. Un atout que la sous-région
exploite aujourd’hui en soutenant un développement touristique aux thématiques variées
(de la nature au patrimoine), aux temporalités et aux publics diversifiés. Elle s’appuie notam-
ment pour cela sur deux parcs naturels, au nord et au sud de son territoire, qui sont transré-
gionaux. Le premier, dit Parc naturel des collines, protégé depuis 1997, se prolonge, en effet,
en Flandre ; le second, le Parc naturel des plaines de l’Escaut, fait l’objet de protection depuis
le début des années 1980. Son jumelage avec le parc naturel français de l’Avesnois, contigu,
fait partie des premières actions transfrontalières soutenues par les Interreg, mis en place
en 1989.
Un programme général de dépollution des rivières est également mené depuis les
années 2000, un accent important est donné aux circuits vélo à diverses échelles (du Ravel
régional aux pistes en ville), et, plus récemment, la remise en état des canaux de l’Espierres,
de Roubaix et de la Marque, a permis en 2010 la réouverture de la liaison Escaut-Deule et
Lys, drainant des bateaux de plaisance depuis les Pays-Bas jusqu’au Sud de la France. Cette
action, portée par le programme européen Blue Links, est encore une des collaborations qui
se développent dans le contexte transfrontalier.
———
25. M. DE FALLEUR, « Problèmes et perspectives économiques du Hainaut » dansRevue du Nord, n° 209, 1971, p. 327.
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La wallonie picarde touristique
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Maison du tourisme de la Wallonie picarde © Visiwapi.be / Cartographie © www.grandnord.fr - 5249
34
De l’urbanisme fonctionnel aux villes de patrimoine
À leur échelle, les villes seront aussi fort impactées par les impératifs de l’urbanisme
moderne : les plans de reconstruction explicitement dessinés pour faciliter le trafic automo-
bile en centre-ville, les grands parkings et les zones commerciales extérieures caractérisent
tant Mouscron que Tournai ou Ath jusqu’aux années 1980. Fortement détruite lors de la
Seconde Guerre mondiale (plus de la moitié des bâtiments est en ruine), Tournai, en parti-
culier, remodèlera le plan des rues de son centre urbain avec des courbes et des gabarits
propices à la circulation automobile, tout en les bordant d’une architecture qui, en façade,
prône toujours le langage et les modénatures des styles classiques précédents. À Mouscron,
cette période moderniste voit surtout se mettre en œuvre un assainissement indispensable
des rues, de nombreux travaux de salubrité publique (distribution d’eau, réflexion sur les
parcs), la construction d’une des seules tours modernes de la région (résidence des Jardins) et
le développement important de la voiture en ville.
Ath, également sujette à des reconfigurations modernes, se révélera, comme Tournai,
assez rapidement motrice dans les mouvements de défense du patrimoine à l’échelle archi-
tecturale et de rénovation urbaine à l’échelle des quartiers, qui s’épanouissent en Belgique
à partir des années 1970. Entre les « luttes urbaines » que mènent les habitants du quartier
des Marolles à Bruxelles, et celles de l’Alma-Gare à Roubaix, toutes tournées contre les des-
tructions de tissu urbain qu’impliquent les opérations modernes de logements (les ZUP en
France), elles mettent en œuvre des opérations dites de rénovation urbaine qui illustrent le
retour à la ville. Ce courant de pensée, qui marque les théories urbaines de l’époque, remet
en évidence l’importance du parcellaire, de la rue, de la hiérarchie des espaces publics, etc.
Elles luttent en fait contre deux formes de désertion, provoquées par l’urbanisme fonc-
tionnel, les plans de secteur conçus trop « au large » en termes de superficies constructibles, et
la desserte moderne et rapide du territoire. La première est celle du commerce et des loisirs,
dans de larges zones en grande banlieue et le long des autoroutes ; la seconde est celle des
habitants et en particulier des classes moyennes, en partance pour les lotissements avoisi-
nants, dans un contexte de remembrement des communes (1977) ; Tournai est ainsi passée
d’une superficie de 15 à plus de 200 ha, devenant la commune la plus étendue de Belgique,
en englobant une trentaine de bourgs.
Ces opérations cherchaient à rendre une attractivité aux centres anciens, principale-
ment par le biais de la piétonnisation et d’un fort investissement dans les espaces publics
(revêtements de sol, mobilier urbain), de la patrimonialisation et du développement cultu-
rel local. Lessines lutte aussi contre une forte paupérisation du centre-ville par ces mêmes
moyens, en s’appuyant notamment sur l’attractivité touristique de l’hôpital Notre-Dame de
la Rose.
Ce sont toujours ces thèmes qui portent globalement les opérations contemporaines,
avec cependant un accent supplémentaire sur la nature en ville, la convivialité, les pistes
cyclables, mais aussi le numérique, comme le montre la liste des projets que la Wapi a sélec-
tionnés pour y consacrer ses fonds FEDER 2014-2020 : des investissements dans les ZAE,
leur accessibilité et les plates-formes multimodales (Pecq, Comines) ; le tourisme patrimonial
(musées), naturel (base de loisir) et d’affaires ; l’emploi créatif et le numérique ; et toujours les
espaces publics en centre-ville, avec scénographies, mobiliers urbain, Wi-Fi et mobilité douce.
Tournai a ainsi cumulé de nombreux projets de sols centrés sur les abords de la cathédrale
et sur les quais de l’Escaut. Et c’est encore cette réflexion qui se rouvre aujourd’hui… pour
cause de grande infrastructure, avec le débat sur l’élargissement du fleuve au grand gabarit
« Seine Nord », en cœur de ville.
36
1
37
Le 3 mars 1863, le
Courrier de l’Escaut
annonce la décision du
ministre de la Guerre de procéder au démantèlement des fortifications
de Tournai. La libération hors les murs s’annonce comme une occasion
d’ouvrir à la modernité la « cité des cheonq clotiers » (« des cinq clo-
chers », en référence à la cathédrale). Plusieurs architectes étrangers
à la ville – parmi lesquels l’Allemand Josef Stübben ou le Bruxellois
Gustave Strauven – prennent part à cette renaissance, appelés par des
autorités soucieuses d’intégrer au plus vite la nouvelle ère. Initié dès
1865 par la mise à bas de la porte Saint-Martin, le tracé des boulevards
au-delà des cicatrices historiques dégage une épaisseur intermédiaire
ou « ceinture verte ». Celle-ci s’agrémente notamment d’une « Petite
Rivière » au nord, maintenue jusqu’en 1911 pour l’approvisionnement
des industries. Paradoxalement, aucune politique d’aménagement
générale ne semble avoir accompagné les réflexions. Les constructions
REGARDS
TOURNAI
CHARLOTTE LHEUREUX
1.
Restaurant Le Carillon, vue de la salle du café, vers 1934,
photographie d’Edmond Messiaen. © AIT
2.
Projet d’emplacement de la nouvelle station, arch.
Théophile Fumière, 1865. © AET
1863–1914
2
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surgissent çà et là, soumises au bon vouloir d’une bourgeoisie attirée
par des espaces périurbains plus aérés, plus lumineux, plus récents.
Et contre toute prévision, les travaux ne dépasseront que peu l’anneau
périphérique. Ils contribueront, en revanche, à la paupérisation d’un
intra-muros déserté, sali, vieilli.
Deux quartiers, situés aux extrémités de l’aire urbaine, profitent
néanmoins de la politique de dégagement : le quartier de la gare et le
quartier de la justice. Quelques bâtiments majeurs y sont édifiés : la
prison en 1871, la gare et le palais de justice en 1879, l’asile d’aliénés en
1884 et l’hôpital civil en 1889. Le quartier de la gare, inspiré de la capi-
tale, se dote d’un plan en patte d’oie dès 1876 : trois rues principales sont
percées pour offrir au voyageur une vue directe sur la cathédrale
2
.
Plusieurs ouvrages d’art témoignent de l’effervescence de l’époque,
parmi lesquels une passerelle métallique remarquable (70 x 14 m dans
sa dernière version)
3
, dont les reconstructions successives se solderont
par une dépose définitive en 1981 dans le cadre de l’électrification de la
« dorsale wallonne » entre Tournai et Liège. Cette modernité n’est tou-
tefois qu’apparente, le quartier de la gare souffrant durant de longues
années d’un équipement vétuste responsable de désordres sanitaires.
Malgré la dynamique productive, l’esthétique architecturale
reste très liée au passé, privilégiant l’éclectisme pour le privé et les
« néo » pour le public – néogothique du pensionnat Passy-Froyennes
de Paul Clerbaux
(E8)
ou néo-Renaissance flamande de la gare d’Henri
Beyaert
4
, la seconde se dotant toutefois d’une belle structure métal-
lique, aujourd’hui disparue
5
. Signes d’un décloisonnement des styles
3.
Le pont des Vendéens, faubourg Maurel. © AIT
4.
Le bureau de douane (aujourd’hui disparu), arch. Henri
Beyaert, fin 1870. Extrait de CLOQUET Louis,
Traité
d’architecture 1891-1894
(feuilles libres ronéotypées).
5.
« Station de Tournai, bâtiment de recette et gare couverte ».
Extrait de BEYAERT Henri,
Travaux d’architecture exécutés
en Belgique
, planche 3, gravés par Joseph & Franz Neirynck,
Bruxelles, E. Lyon-Claesen, 1991-1895, 2 vol., reproduit dans
Mémoires de la Société royale d’histoire et d’archéologie de
Tournai
, tome II, Tournai, Cassart, 1981, p. 359.
3
5
4
39
et d’une libération des formes, ces tendances semblent préparer un
terrain favorable au développement des nouveaux courants. Et si
Tournai ne s’affiche pas comme une concentration majeure de l’Art
nouveau, elle n’en dénombre pas moins quelques beaux exemples (cer-
tains disparus lors de la Seconde Guerre mondiale). Certes, la patte
locale ne pousse pas très loin la courbe et se contente très souvent
d’un travail de façadisme. L’Art nouveau touche d’ailleurs majoritaire-