U.S. Marines - Tome 6 - Arria Romano - E-Book

U.S. Marines - Tome 6 E-Book

Arria Romano

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Beschreibung

Pourront-ils un jour vivre pleinement leur amour ?

Lex et Xenia se retrouvent enfin après des années de séparation, plus désireux que jamais de donner une chance à leur amour. Ces retrouvailles passionnées semblent marquer le début d'un bonheur inaltérable, mais l'ombre toujours menaçante de Sergueï, le frère adoptif et extrêmement possessif de la ballerine, assombrit le tableau. Car en découvrant la fugue de Xenia, l'homme d'affaires russe entre dans une colère noire et armé d'une volonté de fer, s'engage dans une chasse à l'homme.

Laissez-vous séduire par la suite des aventures de l'instructeur militaire et de la belle ballerine russe dans ce sixième tome de la saga U.S. Marines, dévorée par des milliers de lectrices.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"U.S Marine est un roman que j'ai adoré lire" - Feartheworld sur Babelio

"On aime cette série, on adhère" - Lussailles67 sur Babelio


À PROPOS DE L'AUTEURE

Arria Romano étudie l’histoire militaire à la Sorbonne et est passionnée de littérature et d’art. Elle écrit depuis quelques années des romans historiques et des romances, qu’elles se vivent au passé, au présent ou même nimbées d’un voile de magie… Tant que l’amour et la passion restent le fil rouge de l’intrigue.

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Chapitre 1

Beaufort, Caroline du Sud — 3 janvier 2010

— Ne me quitte plus jamais, Xenia.

La ballerine couva Lex de son regard bleu vif, empreint d’amour, puis répondit aussi solennellement que l’on scelle un vœu :

— Jamais.

Le militaire inclina sa tête vers elle, nicha sa tête dans son cou et huma son parfum avec avidité, sans jamais desserrer la pression de ses bras puissants autour de ce corps si gracile, quoiqu’un peu plus épais que dans ses souvenirs. Combien de blessures vives se refermaient-elles au contact de la femme qu’il avait dû quitter, trois ans plus tôt ? La totalité de son être paraissait s’alléger.

Mes prières ont été entendues…

L’émotion le privait d’entendement, enrayait les mots qui se bousculaient dans son gosier et les avait tous deux posés sur un nuage d’intimité inatteignable, en les faisant oublier les témoins alentour. Ils n’entendaient ni ne voyaient plus rien. Seul l’autre comptait dans ce moment si troublant qui les hébétait totalement.

Soudain, il y eut un raclement de gorge, puis la voix grave de Keir Dalglish grésilla en anglais autour d’eux :

— Pardon d’interrompre ces retrouvailles dignes d’un roman de Tolstoï, mais peux-tu nous expliquer la présence de cette belle dame russe ici, Lenkov ?

Cette intervention sonna comme un gong et les ramena aussitôt à la réalité. Avec lenteur, Lex quitta la douceur parfumée où son visage s’était niché, puis se redressa de toute sa hauteur pour considérer Hudson et Keir, ses frères d’armes, ainsi que leurs épouses. Tous arboraient l’air surpris d’enfants spectateurs d’un tour de magie et l’embarras se tressa soudain à la joie et au soulagement des retrouvailles. Peu de personnes, même dans son cercle restreint d’amis, avaient eu connaissance de son histoire d’amour avec Xenia. Il n’avait pas souhaité partager ses drames personnels à son retour de Russie et s’était obligé à garder son secret cadenassé, dans les replis d’un cœur qu’il avait anesthésié. Nul autre que John Arlington, l’ami qui l’avait accompagné dans son odyssée russe, connaissait la romance périlleuse d’Alexeï et Xenia, et les séquelles qu’elle avait laissées.

C’était aussi bien par honte de son comportement et de ses échecs que par douleur qu’il avait tout caché à la majorité de son entourage. Et jamais il n’avait cru devoir fournir d’explication sur cette histoire à quiconque un jour. Jusqu’à aujourd’hui.

Dressés à quelques mètres de lui tels deux fous d’échecs imprenables, Hudson et Keir lui firent comprendre, d’un même regard, qu’il ne pourrait pas se soustraire à leur interrogation et qu’une explication claire et concise était attendue. Immédiatement.

Lex prit une profonde inspiration, un peu nerveux. D’ordinaire, c’était lui qui interrogeait les gens et non l’inverse.

— Les amis, je vous présente Xenia Protasova… Nous nous sommes rencontrés il y a cinq ans et comme vous l’avez deviné, nous nous aimons.

Un bruissement d’exclamations s’éleva de la petite assistance. Si tous avaient deviné la relation des deux amants, l’entendre de la bouche de Lex en accentuait le choc. La scène qui se déroulait au domicile des Rowe avait quelque chose d’irréel ; le sergent-chef Alexeï Lenkov, célibataire notoire et endurci, qui ne semblait éprouver de la passion que pour ses motos et son tarot séculaire, avait-il bien dit aimer une femme ? C’en était presque comique pour les personnes qui le côtoyaient au quotidien et qui n’avaient jamais su deviner ce que son cœur dissimulait depuis tant d’années.

Lex était passé maître dans l’art du secret.

— Mon Dieu, Rowe, on aura tout vu et tout entendu…, souffla Keir, un poil théâtral dans sa manière de poser une main sur sa poitrine, comme pour endiguer tout malaise. Lenkov, si on comprend bien, tu es en couple depuis des années et tu ne nous as jamais rien dit ? Tu te moques de nous, hein ?

— Non, je ne me moque pas de vous. En réalité, je connais Xenia et je l’aime depuis cinq ans, mais notre histoire est un peu plus complexe que ça… sinon vous auriez été au courant depuis longtemps.

— Tu veux dire jamais ! Si ta compagne n’était pas venue te rejoindre ici, peut-être qu’on ne l’aurait jamais su !

Visiblement, Keir était bien vexé d’avoir été mis à l’écart de cette affaire amoureuse.

— Je suis d’accord, Dalglish, j’aurais dû vous parler de Xenia depuis le début, mais comme je vous l’ai dit, c’était un peu compliqué à l’époque et nous avons été séparés pendant plus de trois ans… Mais c’est une longue histoire, que je n’ai pas forcément envie d’évoquer maintenant.

— Quel petit cachottier tu fais, Lenkov… Moi qui te prenais pour un demi-saint, en réalité…

— Keir, laisse-le un peu tranquille, intervint l’épouse de ce dernier en lui faisant les yeux ronds, avant de se rapprocher de la Russe, à qui elle présenta une main amicale. Je suis enchantée de vous rencontrer, Xenia, et heureuse de voir qu’Alexeï s’est trouvé une femme… très belle en plus de cela.

La ballerine fut sensible au sourire chaleureux de cette ravissante rousse et lui répondit par un sourire tout aussi sincère.

— Merci beaucoup… Je vous retourne le compliment, vous êtes radieuse et la maternité vous va si bien, formula-t-elle dans un anglais parfait, toutefois saupoudré de cet accent russe qui ne la rendait que plus attractive encore.

Bientôt, l’autre femme, la blonde sophistiquée qui lui rappelait d’anciennes gravures de mode, avança dans sa direction pour lui souhaiter à son tour la bienvenue.

— Ma cousine a raison, Alexeï est un esthète et votre accent est si charmant… Je suis vraiment ravie d’avoir un peu de Russie à travers vous chez moi. J’y suis allée plusieurs fois quand j’étais jeune et je suis tombée amoureuse de Saint-Pétersbourg.

— Je suis originaire de Saint-Pétersbourg, l’informa la ballerine et cette réponse ne fit qu’accroître l’enthousiasme de Livia.

Cette dernière se mit à réfléchir quelques secondes, comme si elle tâchait de se remémorer un souvenir, puis déclama soudain ces vers en russe, avec un accent travaillé qui prouvait ses aptitudes dans cette langue au lycée :

L’amour, l’angoisse, la tristesse,

Soudain la poussent à marcher ;

Soudain, ses yeux figés s’abaissent,

Elle est trop lasse pour bouger1

L’improvisation de Livia stupéfia tout le monde et l’attrait qu’elle montra pour la culture russe flatta la ballerine, qui s’enquit de lui confier :

— J’aime beaucoup Pouchkine, comme la plupart des Russes d’ailleurs…

— Oh, moi aussi ! J’ai lu une grande partie de ses œuvres.

— Livia, tu parles russe ? s’immisça brusquement Hudson, son mari, sincèrement surpris par sa performance. Tu ne me l’avais pas dit !

— Mon amour, le secret de la réussite d’un mariage est de toujours épater son conjoint, lança-t-elle, badine.

Sa phrase s’acheva parfaitement sur le retentissement de la sonnerie, dont la mélodie perturba légèrement le sommeil des bambins endormis. Aussitôt, Livia et Scarlett se hâtèrent de les calmer par des caresses et des mots doux tandis que Hudson se précipita vers la porte d’entrée. Entre temps, Keir n’avait cessé d’observer le couple improbable, puis se rendant compte de son impolitesse, il alla s’établir devant la compagne de son ami.

Xenia posa son regard sur ce grand blond lourdement charpenté, à la grande cicatrice qui estampillait, tel un sceau de bravoure et de hardiesse, la totalité de sa joue droite en descendant jusqu’au menton. Loin de l’effrayer, la jeune femme trouvait que cette cicatrice lui conférait du charme et elle aurait souhaité en connaître l’origine.

— Pardon pour ma grossièreté de tout à l’heure, mais votre visite est un vrai choc pour nous tous… Encore une fois, veuillez m’excuser et bienvenue parmi nous, Xenia, lui dit-il en saisissant l’une de ses mains pour y déposer un baiser chaste sur le dos.

— Merci beaucoup et je comprends, ma venue était imprévue… mais je devais absolument retrouver Alexeï.

Le bras d’acier de son amant se resserra plus étroitement autour de sa taille, comme pour accentuer sa présence, et elle se laissa totalement aller contre son corps chaud, puissant et réconfortant. Combien de fois avait-elle prié pour sentir cette étreinte protectrice autour d’elle, dans ces moments où le désespoir était si fort qu’elle avait failli en mourir ?

— Mon Dieu… ! s’exclama une énième voix masculine. Dites-moi que je rêve ?

John Arlington.

Le cœur de la ballerine manqua un battement en recroisant un regard limpide, aussi bleu que les glaciers de l’Antarctique, par-delà la distance. Il était fidèle à ses souvenirs et, abasourdi, la fixait comme s’il avait face à lui un fantôme.

— Xenia… je ne pensais plus jamais vous revoir…

— Parce que tu la connais aussi, Arlington ? s’immisça Keir, qui passa son regard de John à Lex, sans manquer de fusiller ce dernier des yeux. Alors comme ça, Arlington était au courant pour Xenia, mais pas nous ? Et moi qui pensais qu’il ne devait jamais y avoir de secrets entre nous quatre… je suis déçu.

— Arrête d’être jaloux, Dalglish.

La réponse venait de Hudson.

— Et arrêtez de parler aussi fort, vous allez réveiller les enfants, les disputa Scarlett dans un murmure puissant.

John continua d’avancer en direction du couple, l’œil totalement rivé sur la Russe. Elle avait coupé ses cheveux au carré et semblait avoir pris un peu de poids depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Cela lui seyait plutôt bien et cette nouvelle coiffure, associée à son teint neigeux et à ses lèvres rubis, lui donnait l’air d’une Blanche-Neige moderne, vêtue avec beaucoup d’élégance dans un trench-coat rouge cerise.

Indubitablement, Lex avait très bon goût.

— Bonjour, John, je suis heureuse de vous revoir, souffla-t-elle, sincère et émue de retrouver un second visage familier.

Elle avait une dette envers l’ami de son amant, car celui-ci n’avait pas hésité à risquer sa vie pour la sauver de sa situation insupportable et tenter de la faire fuir avec eux. Ce geste héroïque demeurait indélébile dans son cœur et sa reconnaissance lui était éternelle.

En guise de réponse, John se rapprocha encore plus du couple et l’entoura de ses bras costauds, si bouleversé par ces retrouvailles qu’il l’étouffa presque. Après tout, n’avait-il pas été impliqué personnellement dans leur affaire amoureuse ? Les retrouver ensemble, ici, en sécurité, était comme la consécration de tous les risques encourus en Russie, ce fameux jour où les deux marines tentèrent, au risque de se perdre, d’emmener Xenia avec eux aux États-Unis.

Lex dut le repousser légèrement tant il était passionnel dans son étreinte et John se mit à rire, de manière si tonitruante et incontrôlable qu’il en réveilla les bambins endormis.

— Bravo, John ! ironisèrent en chœur Livia et Scarlett, qui durent malgré elles récupérer les bébés dans leurs bras. Ils sont très difficiles à endormir ces derniers jours et ils venaient tout juste de trouver le sommeil ! poursuivit la rousse.

— Allons, les filles, n’en faites pas tout un drame ! C’est un grand jour de fête aujourd’hui !

1.Pouchkine Alexandre, Eugène Onéguine, Chapitre 3, Chant XVI, Actes Sud, 2005, p. 85.

Chapitre 2

— Ainsi, tu es ballerine ?

Xenia tourna la tête vers une Livia totalement admirative, à côté de laquelle on l’avait placée à table. Car si les frères d’armes et leurs compagnes s’étaient rassemblés en ce jour, c’était pour célébrer le Nouvel An un peu tardivement. La Russe était venue ici à l’improviste, un peu embarrassée mais totalement désemparée par sa situation et était partie en quête de Lex sans réfléchir, au risque de paraître intrusive. Une chance pour elle que ses amis soient très avenants et surtout enthousiasmés à l’idée de rencontrer la mystérieuse femme pour laquelle le sergent-chef Lenkov, la « Terreur de Parris Island » comme le surnommait, avait succombé.

— Oui, j’étais ballerine, répondit Xenia, mi-figue, mi-raisin.

— Pas uniquement ballerine, mais danseuse étoile pour le théâtre Mariinsky, à Saint-Pétersbourg, précisa Lex, non sans une once de fierté dans la voix. Xenia est une véritable star en Russie, si vous pouviez voir ses performances sur scène, sa grâce, son énergie et l’adulation de son public, vous seriez bluffés. Voir Xenia danser au théâtre, c’est comme se rendre à un match de boxe de Mike Tyson : spectaculaire.

Cette révélation eut l’effet d’une bombe autour de la table, car tous étudièrent la belle étrangère de leurs yeux ronds, une fois encore ébahis par les surprenantes informations qui se révélaient à mesure que se poursuivaient les présentations.

Trop surpris par ces propos, Keir avala difficilement la grande cuillère de verrine salée qu’il engloutissait et dut se désaltérer d’un peu de vin blanc pour s’aider à déglutir et éclaircir sa gorge.

— Attends, Lenkov, tu veux dire que la belle dame que nous recevons à notre table est une célébrité russe… ?

Lex hocha la tête en rougissant un peu, une réaction physique qui ne lui arrivait pratiquement jamais quand elle était liée aux émotions. Ses amis découvrirent ce nouvel aspect de sa personnalité et en furent troublés.

— Oui…

— Nom d’un chien… ! Lenkov avec une star russe… Franchement, j’aurai vraiment tout vu dans ma vie…

— Je n’arrive pas à y croire, renchérit Scarlett, bouche bée. Mais comment tu as fait pour la séduire ? Sans vouloir vous froisser, vous êtes de deux mondes différents… toi, Lenkov, l’instructeur-militaire tyrannique, brute de décoffrage, parfois bien vulgaire… et elle… la grâce incarnée, la reine des ballets… C’est totalement improbable !

— On appelle cela, mon amour, l’union de la carpe et du cygne.

Lex ravala un rire devant ces remarques, puis ironisa :

— Je suppose, Dalglish, que je suis la carpe ?

— Tu n’es certainement pas le cygne !

Assis en face de Xenia, John lui décocha un regard complice, avant de lancer :

— Moi, je trouve qu’ils forment un beau couple même s’ils sont très différents. D’ailleurs, nous devrions porter un toast en leur honneur.

Et sans attendre le moindre assentiment, il se redressa de sa chaise en détournant les autres de leur surprise, puis leva son verre de vin blanc, le visage guilleret :

— À notre danseuse étoile et Lenkov, que leurs retrouvailles soient définitives !

Entraînés par l’élan jovial de leur ami, les autres l’imitèrent en brandissant à leur tour leurs verres et ensemble, ils burent une gorgée de vin blanc.

Lex et Xenia se prêtèrent au jeu.

— Si j’avais su que je recevrais une danseuse étoile à ma table un jour… je regrette de ne pas m’être assez informée sur les danseuses étoiles de cette décennie, je t’aurais reconnue tout de suite, s’empressa d’ajouter Livia, excitée par cette nouvelle présence et les quelques gorgées de vin blanc englouties. J’ai toujours adoré la danse classique et c’est un peu un rêve de petite fille de te rencontrer, Xenia. Comme j’aurais aimé te voir danser sur scène, dans un si beau théâtre en plus…

En parlant, Livia avait joint ses deux mains et fermé les yeux dans un élan rêveur, perdue dans ses songes. Hudson l’observa avec un sourire amusé aux lèvres, tandis que les autres ne cessaient d’examiner Xenia comme on le ferait d’un célèbre tableau de Léonard de Vinci au Louvre. Plus vraiment habituée à ce genre d’attention, la jeune femme se sentit un peu mal à l’aise et Lex la caressa au bras, comme pour lui insuffler de la sérénité.

— Arrêtez de la regarder comme si elle n’était qu’une bête de foire, lança-t-il, taquin. Vous allez finir par lui faire peur.

— Loin de nous cette envie !

— Et pourquoi ne danses-tu plus ? la questionna innocemment Livia.

Soudain, une ombre de tristesse voila le visage de Xenia et aucune réponse ne sortit de sa bouche. Comment pouvait-elle répondre à cette question sans raviver cette cicatrice incurable qui gangrenait son cœur ? Elle put toutefois compter sur la réactivité de son compagnon, qui décréta en douceur, quoique fermement :

— Les questions pour plus tard, s’il vous plaît. Xenia a vécu quelques épreuves ces derniers temps et je la sens fatiguée aujourd’hui. Vous aurez tout le temps d’apprendre à la connaître.

Le mystère qui scanda les mots de cette phrase ne fit qu’exacerber leur curiosité collective, cependant, par respect et compassion, ils obéirent et décidèrent d’engager une conversation plus légère et impersonnelle. Lex savait combien ils bridaient avec peine leur indiscrétion toute légitime.

Une femme étrangère, venue de Russie, débarquait à l’improviste au milieu d’une réunion amicale pour se jeter dans les bras de leur ami, qui leur avait caché jusqu’à l’existence de leur histoire d’amour. Il y avait de quoi dérouter. S’il avait été à leur place, sa curiosité aurait été piquée à vif, mais il ne pouvait faire autrement que de leur imposer une discrétion totale, tant que Xenia ne se sentirait pas pleinement sereine. Elle était bien trop à fleur de peau pour évoquer son passé à des inconnus.

Une main toujours posée sur sa cuisse, Lex la rassurait de sa présence, en silence, et elle se raccrochait à cette chaleur lénifiante. Enfin, ils étaient ensemble. Enfin, elle avait eu le courage de fuir sa réclusion pour le retrouver, lui, son destin.

Au bout d’un moment, lorsque Hudson et Keir quittèrent la table pour aller chercher dans la cuisine le plat de résistance, un superbe bœuf Wellington servi avec des pommes de terre au four et des légumes, Livia se tourna de nouveau vers Xenia pour relancer la conversation et tenter d’effacer dans ce regard bleu les brumes de la mélancolie :

— Tu as dit aimer Pouchkine tout à l’heure, moi aussi… D’ailleurs, j’adore la littérature russe en général et j’ai bien failli me spécialiser dans ce domaine. Mais j’ai finalement choisi d’enseigner la littérature grecque et latine.

— Livia est professeure de littérature classique à l’université de Beaufort depuis trois ans environ. Ça ne fait pas très longtemps qu’elle est ici, car elle est originaire de Londres, crut bon de préciser Lex.

Xenia écarquilla les yeux et son cœur se fit plus léger en apprenant que Livia n’était pas tout à fait américaine, pourtant elle semblait s’être parfaitement acclimatée au pays.

— Tu es Anglaise ?

— Tout à fait. Je suis venue ici pour faire connaissance avec ma cousine Scarlett et vivre une expérience professionnelle à l’étranger. Entre temps, j’ai rencontré Hudson, nous sommes tombés amoureux et me voici désormais mariée à lui.

Après fine observation, Xenia remarqua la distinction toute britannique avec laquelle s’exprimait la belle blonde aux yeux pervenche. Il émanait d’elle une douceur et une réserve très anglaise, un peu old school, qui contrastait joyeusement avec la spontanéité de sa cousine.

— Tu n’es donc pas la première étrangère à avoir quitté ton pays natal pour vivre avec l’amour de ta vie, intervint justement la pétillante rousse, malicieuse dans son sourire. Beaufort a besoin d’exotisme et quoi de mieux que des femmes venues d’ailleurs pour embellir notre petite ville. Je serai vraiment très curieuse, à l’avenir, de t’entendre me parler de la Russie…

— Avec joie.

Xenia admira, à la lueur des petites chandelles allumées sur la belle table festive, les rubans d’éphélides qui dansaient sur les pommettes de Scarlett en même temps qu’elle souriait. Espiègle, John ne put s’empêcher de poursuivre :

— Attends-toi à une interview interminable, car cette petite est une vraie pipelette !

— Oh, mais ça ne me dérange pas, j’ai beaucoup de choses à dire sur la Russie.

— J’espère que tu m’y emmèneras un jour ! Il paraît que les hommes russes sont beaux et très gentlemen…

— Comme les Américains, non ? rétorqua John, faussement blessé par la remarque. N’as-tu pas dit un jour que j’étais digne d’un drama coréen tellement je suis sophistiqué et galant ?

— Non, mais toi, tu es un Américain de la haute société, John !

Les lèvres du concerné cédèrent à un sourire malicieux, puis il reporta son regard sur Xenia. Elle découvrit une fois de plus combien cet aviateur de formation était distingué dans son costume de jour bleu marine, très soigné, où venaient s’attacher des boutons de manchette d’argent Tiffany&Co. Sans parler de la beauté de son visage parfaitement ciselé et auréolé d’une belle crinière de cheveux blanc comme la neige. Ce n’était pas un effet de l’âge, mais une particularité physique qui était apparue assez tôt chez lui, sans entacher son charme, bien au contraire. Cette teinte de cheveux faisait ressortir le hâle de son teint, mais surtout l’intensité de ses yeux bleu arctique, extrêmement purs et limpides, pareils à deux glaciers du Nord qui semblaient avoir traversé les âges depuis la création de l’univers.

— Un Américain de la haute ? Tu as oublié d’où je viens, rouquine.

— Bon ok, tu es passé du petit Amish de Pennsylvanie au fringant militaire de la haute bourgeoisie américaine.

— C’est plus fidèle ! Sinon, tu vas me faire passer pour un bobo arrogant de souche !

— Qui est un bobo arrogant de souche ? répéta Hudson en apportant le bœuf Wellington fumant, suivi de Keir et des accompagnements.

Personne ne lui répondit tellement le fumet des plats était alléchant. Discrètement, Xenia se mit à observer les autres compagnons d’armes de son amant. Hudson, le maître de maison, correspondait en tout à l’image qu’elle se faisait de l’Américain d’après Hollywood : viril, grand, séduisant et charismatique. Une certaine sévérité se dégageait de son visage, mais ça ne le rendait que plus attractif, d’autant plus qu’elle le devinait en réalité avenant et sincèrement bon. C’était son côté légèrement réservé qui lui conférait cet air un peu froid, une caractéristique qu’il ne partageait pas du tout avec Keir.

Plus petit de taille que ses frères d’armes mais robuste comme un roc, le balafré semblait être de nature intrépide et aussi tempétueuse que la mer grise de son regard. On devinait une propension à la provocation et à la bagarre chez lui, mais en contrepartie, une générosité et une fidélité sans bornes.

— Hmm… ça sent tellement bon !

— Vous vous êtes surpassés aujourd’hui, les gars, les complimenta Lex.

Xenia reporta son attention sur son amant et constata combien il était grand et imposant. Des quatre hommes, il se démarquait par une attitude plus hiératique et distante, peut-être une posture-réflexe qu’avaient forgée son métier d’instructeur militaire et sa nature slave. Sa discrétion l’opposait à l’exubérance de Keir, même si elle ne parvenait pas à effacer sa stature écrasante. Au contraire, il en était même plus impressionnant. Mais au-delà de son apparence froide, ses yeux hypnotiques, un peu terribles, brûlaient de sensibilité.

— J’espère que nous avons fait des progrès, surtout que nous avons une invitée d’honneur aujourd’hui ! lança Keir avec un clin d’œil pour la ballerine.

— Oh c’est moi qui suis honorée d’être avec vous tous…Je suis encore désolée d’être venue à l’improviste et j’ai de la chance de pouvoir partager un moment aussi convivial en votre compagnie. Merci beaucoup pour votre accueil et votre gentillesse.

— Ils se comportent en enfants de chœur en ta présence, mais en réalité, ce sont de vrais diables, les taquina Scarlett. Ton chéri le premier…Tu t’en rendras compte quand tu les verras avec quelques verres de whisky en trop dans le nez. Des bombes à retardement.

— En attendant, c’est qui notre petite bombe à retardement ? riposta Keir en contournant la table pour rejoindre son épouse et lui caresser le ventre avec douceur.

Profitant de la petite distraction générale, Lex admira de nouveau son amante, son profil adorable dans la belle lumière du séjour et tacitement, comme si lui parler pouvait la faire disparaître, il entrelaça leurs doigts sous la table d’un geste tendre de réconfort.

Au fond de lui, il n’attendait plus qu’une chose, que ce repas festif s’achève pour savourer ces retrouvailles seul à seule.

Chapitre 3

Trois ans. Cela semblait bref pour une vie entière, mais pour Xenia et Lex, ces trois années de distance, de silence et d’ignorance leur avaient semblé séculaires. Ces trois années avaient suffi à bouleverser leur existence, ou du moins les avaient à jamais marqués émotionnellement. Si Xenia avait tout perdu dans la tourmente de leur amour, Lex s’était obligé à reprendre sa vie de militaire solitaire, aveuglé par ses remords. Sa vie n’avait plus que le goût de cendre depuis leur séparation forcée.

Mais aujourd’hui, il semblait renaître tel le Phœnix, avec une puissance sentimentale qui lesta son estomac. Il ne se sentait non pas léger, mais lourd d’un amour qu’on ne pouvait tempérer.

Alors qu’ils parcouraient à moto les rues illuminées de décorations de Noël, Lex voyait défiler leur avenir ensemble, le sourire aux lèvres et le cœur ranimé d’un nouveau feu d’espoir. Si Xenia était venue le rejoindre jusqu’en Caroline du Sud, c’était pour ne plus le quitter et permettre à leur histoire d’éclore à la lumière du jour.

Enfin.

Le trajet parut trop rapide lorsque Lex arrêta sa moto au pied de l’hôtel où Xenia était descendue. Dans le courant de la nuit, un taxi l’avait déposée devant la belle façade historique de l’hôtel le plus luxueux de Beaufort : The Anchorage.

Son voyage parcouru depuis Moscou l’avait confondue dans une excitation épuisante et après des jours à traverser la moitié du Globe, son escale à Helsinki ayant dépassé les vingt-quatre heures avant une étape obligatoire à New-York pour raison administrative et financière auprès d’une connaissance d’Igor, elle avait eu besoin d’un long moment de repos pour se préparer à revoir son amant. Ce n’était donc qu’au bout d’une semaine de pérégrinations qu’elle avait atterri en Caroline du Sud, cette région où Alexeï vivait pour son métier.

Dans la matinée, un employé de l’hôtel lui avait donné l’annuaire téléphonique des habitants de la ville, ce qui lui avait permis de trouver les coordonnées d’Alexeï Lenkov. Elle avait tenté de l’appeler, mais n’ayant aucune réponse de sa part, elle s’était résolue à se rendre jusqu’à la caserne où il vivait. Hélas, en arrivant là-bas, elle découvrit son absence et ce fut grâce aux renseignements d’un collègue un peu commère que l’étrangère put le rejoindre chez Hudson et Livia Rowe.

Lex descendit de sa moto et aida la jeune femme à en faire de même.

— Tu as choisi le meilleur hôtel, observa-t-il quand elle le prit par la main, afin de le guider vers l’entrée de l’établissement.

— C’est celui qu’on m’a conseillé à l’aéroport de Charleston. Ici, les gens sont chaleureux.

— Très… J’espère que mes amis ne t’ont pas trop effrayée.

— Au contraire, j’avais l’impression de faire partie de leur vie depuis longtemps et c’est si plaisant d’être accueillie de cette manière, surtout que je venais vraiment à l’improviste.

— J’en suis le premier surpris, tu sais…

Dans la lumière crépusculaire, les yeux de Lex reluisirent d’une étincelle mystérieuse qui la troublait toujours autant, et son masque de solennité semblait se contracter pour ne pas se fissurer sous la montée des larmes. Car oui, ce soldat lourdement bâti et intimidant avait une envie irrépressible d’épancher tout son soûl. Durant combien de jours et de nuits ses beaux yeux en amandes avaient-ils pleuré le deuil de leur histoire ?

— Je pensais que tu ne me rejoindrais jamais…

— Je ne savais pas que je le ferais un jour. Je me pensais condamnée, mais en réalité non, c’était uniquement le courage qui me manquait.

— Tu n’as jamais manqué de courage, Xenia, c’est moi qui n’ai pas su te garder auprès de moi et… je regrette tellement de n’avoir rien tenté depuis notre dernière rencontre à Saint-Pétersbourg. J’aurais dû me battre comme un tigre, jusqu’à mourir s’il le fallait. Au fond de moi, je pense que je ne t’ai jamais méritée… Je n’ai pas su donner le meilleur de moi-même et puiser dans tout mon amour pour que nous restions ensemble. Je n’ai pas su t’aimer comme tu dois être aimée…

— Ne sois pas idiot, Aliosha… C’est parce que tu m’aimes que tu as accepté de me quitter. Je t’ai poussé à sacrifier nos rêves pour notre sécurité. Ce n’était que cela…

Se laissant envahir par l’émotion, il n’eut pas d’autres mots et elle continua de l’entraîner jusqu’au vestibule de l’hôtel. Plus que jamais, ils avaient besoin de se parler, de se confier, de se retrouver après une rupture aussi brutale que traumatisante. Et pour ce faire, l’intimité d’une chambre était propice à recueillir leurs tristes souvenirs.

Mutique, Lex lui emboîta le pas à travers cet hôtel de charme raffiné, installé dans un beau manoir du XVIIIe siècle qui faisait face à un fleuve, jusqu’à atteindre l’élégante chambre cosy qu’elle louait au premier étage. Une fois seuls dans ce cocon ouaté, ils s’étreignirent jusqu’à s’en étouffer, leurs mains écrasant leurs dos, leurs crânes, leurs visages pendant qu’ils s’embrassaient avec soif. Dans une fougue peu contrôlée, ils s’écorchèrent leurs langues et leurs lèvres tant leurs baisers se firent violents et Xenia ressentit des douleurs aux bras et au bas du dos tant il la serrait avec passion. Les larmes lui coulèrent naturellement sur les joues, mouillèrent leurs lèvres en même temps qu’il continuait de l’embrasser en la débarrassant de son trench-coat rouge cerise. Le vêtement tomba au col dans un chuintement de tissu, formant une corolle vive sur le tapis crème de la chambre, puis fut rejoint par le blouson en cuir noir du militaire. Une fois allégés de leurs manteaux et sans vraiment rompre leur baiser, il la souleva dans ses bras et la dirigea jusqu’au large lit à baldaquin blanc et brun.

Lex ne comptait pas lui faire l’amour tout de suite, car même s’il la désirait au-delà de la raison, il ne la sentait pas prête pour cela. Xenia avait traversé trop d’épreuves toute seule pour ne pas vouloir parler avant tout le reste. Elle était fragile ces derniers temps et lui imposer un rapport sexuel à quelques heures de leurs retrouvailles pourrait la brusquer. Non, il la connaissait et son instinct le lui recommandait : il fallait attendre qu’elle fasse le premier pas, qu’elle se décharge du fardeau qui semblait peser sur ses frêles épaules. Ils avaient besoin d’un peu de temps, de recul et d’échanges avant de se sauter dessus, sans préambule.

Comme lisant dans ses pensées, Xenia comprit qu’il ne lui ferait rien tant qu’elle ne prendrait pas elle-même les commandes et l’en remercia d’une esquisse de sourire. Elle était épuisée par ces années de solitude et d’oppression, par le manque de lui… et le retrouver aujourd’hui était un choc émotionnel si bouleversant qu’il la privait de libido. Bien sûr qu’elle désirait cet homme de tout son corps et de toute son âme, mais à cet instant elle avait plutôt besoin de tendresse et d’écoute.

Et qui d’autre que Lex pouvait lui offrir ces attentions ?

Ils s’étendirent sur le lit ensemble, déchaussés mais habillés, et s’enlacèrent amoureusement.

En silence.

La jeune femme avait sa tête lovée dans le creux de son cou et leurs jambes s’entremêlaient étroitement. Ils n’avaient pas besoin de parler tout de suite, juste de savourer cette communion chaste et silencieuse où les larmes s’exprimaient avec plus de clarté que les mots.

Ils n’arrivaient plus à formuler une phrase.

Ils étaient comme transportés sur un nuage de coton multicolore et seuls la chaleur et le parfum de l’autre leur prouvaient combien cette scène était réelle. Ils ne fantasmaient plus.

La veille, Lex était encore persuadé qu’il ne pourrait plus revoir Xenia et voici qu’elle lui était apparue au moment où il s’y attendait le moins, manquant de provoquer chez lui un malaise intense. C’était sa maîtrise de soi qui lui avait permis de demeurer stoïque, de ne pas faillir face à son apparition. Car en absorbant sa chaleur dans ses bras, en humant le parfum poudré sur ses cheveux, il réalisait une fois de plus qu’elle n’était pas un fantôme ou une chimère et que ses prières, bien que désespérées, avaient été entendues.

Il s’écoula un long moment pendant lequel les deux amants gardèrent le silence en restant dans cette position romantique. Dehors, la pluie s’était mise à tomber et les gouttes d’eau battant les murs boisés de l’édifice et les fenêtres soulignèrent la mélancolie de cette scène douce et muette.

Quand il crut qu’elle s’était assoupie contre lui, Lex la sentit se mouvoir un peu pour écarter sa tête et permettre à leurs yeux de se croiser dans la semi-pénombre. La lumière crépusculaire avait cédé à un ciel gris, dont les nuances sombres perçaient les fenêtres de la chambre non éclairée. C’était une luminosité parfaite, car sa pudeur voulait lui camoufler ses traits épaissis par les larmes intarissables.

— J’ai beaucoup souffert de ton absence et de ce qu’était devenue ma vie après l’accident, après nous… Aliosha… je ne supporterais plus d’être séparée de toi.

— Je ne le permettrai plus, je te le jure, la rassura-t-il en faisant glisser ses doigts épais sur la délicatesse de ses traits, essuyant au passage ses joues mouillées.