U.S. Marines - Tomes 7 et 8 - Arria Romano - E-Book

U.S. Marines - Tomes 7 et 8 E-Book

Arria Romano

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Beschreibung

Personne ne lui avait jamais résisté, jusqu'à ce qu'il la rencontre... 

Lorsque John Arlington, le très séduisant pilote de la U.S. Marine Corps, rencontre June pour la première fois, c'est le coup foudre. Cependant, la jeune femme est une policière farouche, à la réplique plutôt cinglante, qui ne se laisse pas séduire facilement, surtout depuis la mort de son mari. John saura toutefois l'apprivoiser et lui apporter du réconfort durant ses nuits agitées, jusqu'à l'attraper dans ses filets et lui réapprendre à aimer... Mais leur histoire d'amour intense saura-t-elle résister aux peurs profondes de la policière ? 

Dans ce septième tome de la célèbre saga U.S. Marines, découvrez le dernier marine et laissez-vous emporter dans une histoire torride et intense.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE 

Arria Romano, une auteure à suivre pour les amatrices de sexy militaires et de jeunes femmes qui souhaitent prendre leur vie en main - missnefer13500, Babelio
L'intrigue est prenante et j'ai très envie de connaître la suite. Je file lire le tome 2 ! - merlin63, Booknode
Une belle histoire, rapide tout en restant crédible. Les personnages sont très attachants, surtout Hudson le capitaine à couper le souffle...On espère une fin heureuse ! - raphMK, Booknode

À PROPOS DE L'AUTEURE

Arria Romano étudie l’histoire militaire à la Sorbonne et est passionnée de littérature et d’art. Elle écrit depuis quelques années des romans historiques et des romances, qu’elles se vivent au passé, au présent ou même nimbées d’un voile de magie… Tant que l’amour et la passion restent le fil rouge de l’intrigue.

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Couverture

Tome 7 : Donne-moi tes nuits

Mes remerciements à C.S,

officier chez les U.S. Marines,

pour notre précieuse collaboration.

1

Parris Island, Caroline du Sud

10 mai 2012

— Mon Dieu, June, je crois que je vais m’évanouir ! s’exclama, théâtrale, une belle trentenaire aux longs cheveux bruns parsemés de mèches miel, partiellement protégée du soleil par le grand ballon de baudruche rouge en forme de cœur qu’elle tenait d’une main tremblotante.

June Garner dirigea son regard noisette vers sa sœur jumelle et esquissa un sourire moqueur. May, son aînée de quelques minutes, était de nature excessive et démonstrative, si bien que ses émotions s’exprimaient toujours de façon exagérée, surtout lorsqu’il s’agissait de son mari. Car, si elles se trouvaient actuellement au beau milieu d’une caserne militaire, encadrées par une foule de familles impatientes et surexcitées, c’était bien pour accueillir Miguel Navarro, l’adjudant-chef ultra sexy qu’avait épousé May sept ans plus tôt.

— Allons, May, que va penser ton mari si tu t’évanouis devant lui, alors que ça fait six mois que tu ne l’as pas vu, hein ?

— Justement, ça fait six mois ! Imagine s’il n’est plus le même, s’il ne me trouve plus à son goût ? Qui sait ce qu’il a vécu là-bas…

May se mit à mordiller nerveusement sa lèvre inférieure, rehaussée de rouge à lèvres mat, puis tourna vers sa jumelle un regard empreint d’appréhension, mais ses expressions étaient si amusantes que June dut ravaler un petit rire.

— Il faut toujours que tu angoisses pour un rien ! Miguel n’a pas changé et toi non plus. Vous vous aimez toujours comme au premier jour.

— Oui, tu as raison… Aaah, June, le voilà !

Soudain, toute appréhension déserta le corps de May et se substitua à une excitation quasi puérile, qui donna à sa voix une intonation si aiguë qu’elle faillit percer les tympans de sa sœur, mais aussi ceux de son fils de six ans, Hugo. Ce dernier, collé à la hanche de sa mère tel un révolver, sursauta quand elle le saisit impatiemment au bras pour l’entraîner à sa suite. Dans ses mouvements enthousiastes, May lâcha le ballon de baudruche, qui se laissa naturellement porter par la brise printanière.

— May, ton ballon ! cria sa jumelle, mais elle ne l’entendit pas. Et mince !

Préoccupée par le sort du ballon, June suivit aussitôt sa trajectoire en courant après lui et, le voyant prendre de la hauteur, marqua un petit bond pour attraper la ficelle à laquelle il était attaché. Dans sa brève course, elle n’avait pas vraiment observé son environnement et ce fut avec surprise qu’elle se heurta brutalement à un grand corps, aussi dur et chaud que les pierres baignées dans la chaleur du désert de Mojave.

Oh !

Le choc la dérouta et elle était encore un peu étourdie quand un bras la ceintura à la taille pour la maintenir droite sur ses pieds et qu’un fort parfum de verveine et de citron, mélangé à une odeur de sable chaud, envahit ses sens en lui faisant imaginer des paysages arides.

C’était troublant.

La jeune femme n’avait pas encore identifié la personne contre laquelle, manifestement, elle s’appuyait sans vraiment le vouloir. Pourtant, elle était de nature vivace et adroite, c’était ce qui lui permettait d’exceller dans son métier, mais en cet instant, elle semblait trop distraite par ce parfum et cette chaleur magnétique pour se ressaisir.

Bon sang, réveille-toi !

— Je suis désolé, madame, je ne regardais pas où je marchais. J’ai vu votre ballon, mais je n’ai pas eu le temps de m’arrêter au moment où vous veniez dans ma direction…

Madame ?

June n’avait pas l’habitude d’être appelée ainsi, elle que l’on prenait encore pour une adolescente du haut de ses trente ans, surtout en tenue civile, mais ce qui semblait encore moins habituel à son ouïe était cette voix très grave, mâtinée d’un accent dont elle n’aurait su définir l’origine. On aurait dit que de petits cailloux glissaient dans la gorge de cet inconnu quand il ponctuait ses phrases de ses tonalités gutturales, presque allemandes. En tout cas, il n’avait pas du tout l’accent local, tout comme elle d’ailleurs, puisqu’elle était née et avait grandi en Californie.

— Ce n’est rien, répondit June d’une voix moins assurée.

À la fin de sa phrase, elle leva la tête et ses yeux croisèrent un regard bleu, très clair et intense, aussi fascinant que le bleu des glaciers, et creusé sous une paire de sourcils châtains. Ce regard avait une clarté et une profondeur déstabilisantes et s’y noyer semblait être extrêmement dangereux pour l’intégrité mentale d’une femme normalement constituée. Non sans ressentir un petit frisson couler le long de son échine, la jeune femme se hâta donc de quitter l’étreinte – trop confortable – de l’inconnu. Il ne chercha pas à la retenir et la vit effectuer deux pas en arrière.

— C’est moi qui aurais dû regarder où je marchais, poursuivit-elle après un bref silence, d’une voix toutefois plus ferme.

Désormais, la distance qui les séparait permit à June d’étudier plus largement son interlocuteur et son physique éveilla son admiration – réaction qu’elle aurait voulu effacer à grands coups de balai. Si elle n’avait pas été profondément accaparée par le ballon de baudruche durant sa brève course, elle aurait certainement remarqué cet homme de haute et belle carrure, cintrée dans sa tenue de treillis. Il émanait de lui une force tranquille et une élégance rare, que son allure, son sourire discret et le mouvement délicat de ses cheveux courts et blancs accentuaient. June fixa un instant son regard sur le sommet de son crâne et nota qu’il était rare de voir un homme dans la force de la trentaine avec des cheveux aussi blancs, mais ce devait être une caractéristique physique un peu mystérieuse, autant que son petit accent.

— J’ai rattrapé votre ballon à temps. Ça aurait été dommage de le perdre…, dit-il en lui tendant l’objet flottant, qu’elle observa à nouveau.

« WELCOME, MY LOVE ! » était écrit en lettres d’or dessus et était destiné à Miguel, son beau-frère. Hélas, il n’avait pas encore eu le temps de le lire que déjà un inconnu avait intercepté le message à sa place.

Réalisant soudain la portée de cette phrase, désormais entre les mains de cet homme aux yeux bleus captivants, June ne put s’empêcher de rosir telle une collégienne. Elle avait le sentiment d’avoir fait une gaffe et le léger sourire de son interlocuteur l’embarrassa davantage.

— … Car c’est un beau cadeau pour votre mari, continua-t-il et la jeune femme s’empressa de lui arracher la ficelle des mains, non sans frôler ses doigts au passage.

— Je n’attends pas mon mari.

Son ton était sec et elle ignorait pourquoi elle s’était sentie obligée de lui dire la vérité. Après tout, quelle importance, elle n’allait jamais plus le croiser.

Comme pour adoucir un peu son attitude, elle ajouta ensuite plus cordialement :

— Merci d’avoir rattrapé le ballon et… désolée de vous avoir heurté.

— Ce n’est rien.

June crut percevoir une note de douceur dans sa voix un peu éraillée et ce détail, destiné à l’apaiser, la tendit un peu plus. Elle devait s’éloigner de cet homme tout de suite et recouvrer son impassibilité légendaire.

— Au revoir, monsieur.

Cette fois-ci, elle s’était exprimée avec une cordialité neutre et contrôlée.

— Au revoir, madame.

L’instant d’après, la jeune femme tourna les talons sur sa ravissante paire de tennis blanches et s’éloigna d’une démarche souple et distinguée, le ballon de baudruche flottant au-dessus de sa tête et ses cheveux bruns, presque auburn sous les rayons du soleil, se balançant sensuellement dans les airs.

Cette brève rencontre avait secoué John Arlington. Immobile sur ses Rangers et chargé du paquetage militaire qu’il avait traîné tout au long de sa mission en Irak, il observait, avec le sentiment d’être un vulgaire pantin désarticulé, cette belle inconnue s’éloigner vers d’autres inconnus. Il était encore frappé par le ravissant spectacle qu’elle lui avait offert à son insu. Il l’avait aussitôt repérée dans la foule de militaires et de familles au moment où son ballon rouge lui avait échappé. Agile et délicate, elle s’était élancée dans sa direction sans le voir et s’était littéralement jetée dans ses bras, avec la même passion des épouses retrouvant leurs soldats adorés, après des mois de séparation. L’impact de leur rencontre l’avait brûlé jusqu’au sang, comme s’il avait reçu dans ses bras une comète incendiaire.

Pourtant, elle semblait être de la plus grande douceur avec ses belles lèvres pulpeuses, son nez mutin, ses pommettes rondes et roses sous un teint hâlé par le soleil et ses ondulations soyeuses, couleur cacao. Sans évoquer ses yeux de biche, légèrement bridés et frangés de longs cils noirs, d’une teinte aussi dense que les feuilles de vigne, avec des pépites brunes qui devaient s’élargir sous les larmes ou en temps de pluie. Si on ne les regardait pas fixement, on pourrait croire que son regard était foncé, alors qu’il était en réalité lumineux et nuancé.

John était fin observateur et avait de l’instinct. Cette femme, qui avait une belle taille pour prétendre au mannequinat, devait être d’une élégance folle dans des atours sophistiqués. Il suffisait de voir comment elle embellissait sa tenue simple pour savoir qu’elle serait extrêmement chic dans une robe de créateur, perchée sur des mules Manolo Blahnik. Car s’il la trouvait déjà séduisante dans son petit haut à manches longues kaki, porté sur des seins volumineux, et associé à un pantalon de mousseline noire qui épousait à merveille sa croupe rebondie en allongeant ses jambes déjà longilignes, il suffoquerait d’admiration en la voyant dans une tenue de gala.

Mais encore fallait-il la retrouver pour lui faire la cour et l’inviter à un gala un jour…

Or, il pouvait parier toute sa fortune qu’elle ne serait pas enthousiaste à cette idée. Elle lui paraissait aussi fermée qu’une huître, décidée à cacher la perle qu’elle gardait secrètement au fond de son cœur…

Et lui était fou de tisser ce genre de pensées alors qu’il ne l’avait croisée qu’une minute ou deux, à cause de ce fichu ballon de baudruche en forme de cœur, qui lui était soudain apparu en faisant danser devant ses yeux, non sans une pointe de sarcasme, ces mots qu’il n’espérait plus recevoir un jour : « WELCOME, MY LOVE ! ».

— Arlington !

Une voix tonitruante résonna tout à coup dans le dos du militaire, à deux ou trois mètres de distance. John se retourna aussitôt et découvrit l’impressionnante silhouette de son meilleur ami, le sergent-chef Lenkov, surnommé le Rottweiler de Parris Island parmi les recrues qu’il formait d’une poigne de fer. L’inconnue quitta brusquement son esprit et il marqua un sourire ravi, avant d’approcher son ami. Les deux hommes se donnèrent l’accolade, puis se perdirent dans un dialogue enfiévré et décousu. Visiblement, ils avaient beaucoup de choses à se dire depuis le départ de John en opération extérieure, en Irak, survenu dix mois plus tôt.

— Dis-moi, Arlington, tu semblais en belle compagnie il y a quelques secondes, lui glissa malicieusement le sergent-chef Lenkov, dont les yeux ambrés, si pénétrants et vifs, semblaient vouloir interpréter ses pensées.

— Une inconnue qui avait égaré son ballon.

— Humm… un ballon en forme de cœur, avec un beau message.

— Elle doit être romantique, répliqua John sur un ton qu’il voulait désinvolte alors que cette coïncidence le troublait encore un peu, certainement parce qu’il ressentait désormais le besoin d’être attendu par une femme à son retour de guerre.

— Je suppose qu’elle attend le retour de son compagnon si elle est ici.

Je n’attends pas mon mari, avait-elle dit. Mais cela n’excluait pas l’existence d’un petit-ami.

— C’est possible.

Dans un élan irrépressible, John observa au loin la silhouette de l’inconnue, qui ne cessait de s’éloigner vers il ne savait quel homme, puis sentant le regard appuyé de son ami sur lui, il le regarda à nouveau et dit :

— Je suis heureux de rentrer.

— Je sens que ce retour à la maison va ouvrir un nouveau chapitre dans ta vie, Arlington, prophétisa le sergent-chef de son air énigmatique.

2

Savannah, Géorgie

Une semaine plus tard

La contrariété et la colère se disputaient dans le cœur et la tête de John alors qu’il pénétrait dans l’un des clubs les plus malfamés de la ville, où son filleul aimait y retrouver ses mauvaises fréquentations. L’ambiance y était enfumée, bruyante, et les odeurs de tabac, d’herbes, mélangées à celle de l’alcool, lui chatouillèrent les narines en lui donnant la nausée. Même s’il avait l’habitude de ce genre d’atmosphère, elle ne manquait jamais de l’étourdir et de le mettre mal à l’aise.

Ça sent vraiment le taudis…

Le militaire plongea une main dans la poche de son pantalon de ville gris anthracite et en sortit un bâton de réglisse, une habitude qu’il avait gardée de son ancienne vie chez les amish. Mâcher son bâton de réglisse était une manière d’évacuer sa nervosité, comme d’autres fumaient, couraient ou méditaient. Le goût et le parfum de la réglisse l’apaisèrent et il s’enfonça un peu plus dans le club, en quête de son filleul. Il ne mit pas beaucoup de temps à le trouver.

Lukas était un adolescent de dix-sept ans, au crâne rasé et plutôt corpulent. Son style très urbain le faisait ressembler à sa bande de copains aussi dégarnis et défroqués, et tous ensemble, regroupés près d’une table de billard, à picoler et fumer du cannabis, tout en décochant parfois des coups d’œil grivois aux filles qui se trémoussaient non loin sur un morceau d’électro – une vraie torture musicale pour John –, ils ressemblaient à des bêtes sauvages alanguies et déconnectées du reste du monde.

Face à ce spectacle, John sentit sa colère enfler davantage et marcha d’un pas déterminé dans leur direction, attirant sur sa silhouette sombre et puissante quelques regards interrogateurs. Avec son élégance de dandy moderne, il ne collait visiblement pas au style de l’établissement et des clients qui le fréquentaient.

Lukas était le fils de Sarah Newman, sa meilleure amie, mais également celle à qui il était fiancé alors qu’ils appartenaient encore à la communauté amish. Leurs fiançailles n’avaient duré que quelques mois et n’avaient jamais été consommées. Cela n’avait été qu’une formalité pour leurs deux familles, avant que les jeunes fiancés ne décident de vivre l’aventure dans la société actuelle. Si John avait rencontré de son côté le général Arlington à ses dix-huit ans, devenant un an plus tard son fils adoptif, Sarah avait fait la connaissance d’un jeune médecin, qui l’avait épousée quelques années plus tard et lui avait donné un fils : Lukas.

John et Sarah n’avaient jamais rompu le contact depuis leur départ de la communauté amish, si bien qu’ils gardaient une place importante dans la vie l’un de l’autre. Lukas était, pour ainsi dire, comme un fils pour le militaire, qui s’efforçait d’être présent dans son existence, surtout depuis la mort de son véritable père. Il lui vouait énormément d’affection et se sentait responsable de son bonheur et de son intégrité dans la société, c’est pourquoi le découvrir dans ce club lugubre en compagnie de racailles droguées et toxiques l’enrageait.

Quel imbécile !

Il était temps pour John d’intervenir. Et s’il devait employer la force pour ramener son filleul chez lui, il le ferait sans scrupule. C’était de cette façon que l’on corrigeait les rebelles.

D’un mouvement sec, il ôta le bâton de réglisse de sa bouche, le garda en main, puis s’arrêta à la hauteur du groupe de jeunes.

— Lukas ! le héla John d’un ton autoritaire.

L’interpelé, qui était affalé sur un fauteuil en cuir, un joint de cannabis au coin des lèvres, sursauta en découvrant la haute silhouette désormais dressée face à lui et ses copains.

— Parrain ? s’étrangla l’adolescent en écarquillant de surprise ses yeux rougis par l’herbe. Qu’est-ce… qu’est-ce que tu fais là ?

L’œil sévère et les lèvres plissées d’énervement, John étudia longuement son filleul et ce dernier fut aussitôt envahi par une vague de honte. S’il y avait une personne qu’il n’aimait pas décevoir en ce monde, c’était bien cet homme, ce militaire qu’il considérait comme un héros, mais qui lui paraissait parfois trop parfait, trop irréprochable, et dont l’image exemplaire lui renvoyait plus violemment ses propres faiblesses et imperfections.

Pour se donner un peu plus de contenance, Lukas se redressa avec maladresse sur son fauteuil et écrasa le joint dans un cendrier posé sur la table-basse devant lui.

— Je suis venu te chercher pour te ramener chez toi, Lukas.

Si John était d’ordinaire cordial en toutes circonstances et d’une tranquillité proverbiale, il s’exprimait en cet instant avec une froideur implacable, qui préfaçait une colère difficile à contrôler dans le cas où on remettait en question ses ordres.

— Mais… je… je ne peux pas.

— Tu vas te lever sans riposter, Lukas, et me suivre pour rentrer chez ta mère. Elle s’inquiète énormément.

L’adolescent rougit, toujours plus honteux vis-à-vis de son parrain, mais aussi de sa mère qu’il tourmentait par bêtise. Il savait qu’il ne pouvait rien opposer à la détermination et l’agacement de son parrain, et malgré les ricanements qui chuintaient désormais dans son dos, il se redressa de son siège, l’air penaud, et s’apprêtait à suivre John quand le chef de bande, que tout le monde surnommait Mojito, quitta brutalement son propre siège pour venir au-devant d’eux.

— Hé ! Le vieux ! Qu’est-ce que tu fous là ? Et d’ailleurs, t’es qui ?

Le vieux ?

John tourna la tête sur le côté et découvrit un grand type baraqué, rasé, tatoué jusqu’au crâne, percé aux oreilles, de type latino et peut-être âgé de vingt-cinq ans, qui avançait de sa démarche traînante et arrogante dans sa direction. Encore un petit morveux.

Le militaire n’apprécia pas la moue impertinente de son interlocuteur et sentit ses poings le picoter tant l’appel de la correction devint fort. Il savait déjà qu’en quelques mouvements, ce type serait K.O.

— À ta place, j’éviterais de le demander, rétorqua John tout de go, avant de remettre son bâton de réglisse dans la bouche, comme pour mastiquer son exaspération.

L’autre eut un sifflement persifleur et se rapprocha encore plus près, jusqu’à s’arrêter à quelques centimètres du marine. Les deux hommes étaient aussi grands l’un que l’autre et avaient à peu près la même corpulence, mais Mojito ne semblait pas deviner quel genre d’animal sommeillait en John quand il était sur les nerfs. D’ailleurs, ce dernier n’était en rien intimidé par ce petit caïd, lequel attendait certainement l’opportunité de dégainer le canif qu’il cachait dans la poche arrière de son baggy pour le menacer. John avait l’œil qui traînait partout et avait aperçu l’arme blanche quelques secondes plus tôt.

— Écoute, mec, je crois que tu n’as pas compris que tu étais sur mon territoire là. Donc, quand je te pose une question, tu me donnes la réponse que je veux. Et surtout, tu laisses mes invités en paix, répondit Mojito d’une voix agressive. Maintenant, tu dégages.

Un rictus incurva les lèvres de John, ce qui irrita un peu plus Mojito. Il n’y avait qu’à voir le froncement de ses sourcils noirs et le pli amer de sa bouche charnue pour deviner que sa colère grandissait, car il était sanguin, fier, et ne supportait pas la moindre contrariété.

En silence et sous les regards un peu curieux des jeunes, le militaire ôta le bâton de réglisse de sa bouche, sortit de la poche de son pantalon un mouchoir en papier dont il se servit pour l’envelopper, avant de le ranger là où il l’avait initialement pris. L’instant d’après, il contrecarra d’une voix tellement tranchante qu’elle aurait pu couper en deux le smog de fumée environnant :

— Écoute, mon garçon, je crois que tu ne sais pas à qui tu t’adresses. Si tu ne veux pas avoir de problème, tu ne t’approches plus de Lukas. Compris ?

D’abord offusqué par ce ton, le visage de Mojito s’assombrit, puis un rire diabolique le secoua tout entier en même temps qu’il réfléchissait à une réplique. Mais son tempérament agressif effaça tous les mots de son esprit et le poussa à sortir, d’un mouvement vif, le canif qu’il gardait dans la poche arrière de son baggy. Menaçant, il le brandit sous la gorge de John en postillonnant :

— Je te le répète une dernière fois : dégage d’ici, fils de pute.

Aussi fier qu’un chêne peuplant les alentours, John ne cilla même pas à la vue de la lame étincelante. Sa carrière dans l’armée l’avait conduit à affronter des rivaux bien plus sanguinaires et dangereux que ce voyou de bas étage et il ressentit même de la peine pour lui en sachant ce qui pourrait l’attendre si jamais cette confrontation se poursuivait.

Aussi, sur un ton faussement calme, John lui conseilla :

— Range ce couteau, petit, je ne voudrais pas que tu te blesses.

Ce fut l’étincelle de trop qui enflamma les yeux rougeoyants de Mojito et anima ses gestes incontrôlés. Avec un petit cri colérique, il dirigea son poing armé vers John, toutefois ce dernier riposta par une clef de bras extrêmement efficace et douloureuse. Il y eut un second cri et d’autres coups. Lukas prit peur et héla son parrain dans l’espoir de le raisonner, mais déjà d’autres jeunes hommes s’étaient amassés autour des deux bagarreurs pour venir en aide à Mojito.

— Tu vas me le payer ! brailla le caïd, recroquevillé de douleur au sol, alors que deux de ses compagnons se risquaient à attaquer son adversaire.

John grogna au fond de lui. Il n’était pas vraiment venu ici pour se bagarrer, surtout qu’il portait l’un de ses ensembles préférés et ne voulait pas l’abîmer, mais une fois qu’il était lancé, difficile de l’arrêter, d’autant plus qu’il débordait d’une mauvaise énergie – appelons cela de la « frustration » – ces derniers temps et qu’il lui était nécessaire de l’évacuer. Au risque d’amocher quelques morveux camés.

— Parrain ! entendit-il crier parmi la fumée, le brouhaha et les coups.

Cependant, il était bien trop focalisé sur les deux types qui cherchaient à l’intimider avec une bouteille en verre cassée et une chaise en bois. Combien de corrections musclées avait-il déjà connues chez les amish, puis à l’armée, parmi des hommes bien plus féroces et costauds que ceux-là ? Par le passé, son corps avait été violenté tellement de fois qu’à chaque guérison, il en était ressorti plus solide et résistant. Ce n’était donc pas cette misérable bouteille en verre et cette pauvre chaise qui pourraient l’envoyer au tapis.

Malgré lui, un rire moqueur le secoua face à la dégaine de ses agresseurs, puis ils connurent le même sort que leur chef. Ce fut rapide et efficace. Les deux types furent envoyés au sol par quelques coups bien placés et, parmi les gémissements de douleur et les insultes, réclamaient désormais vengeance en se tortillant comme des vers sur les dalles froides du club.

— Quand un aîné vous parle, vous êtes priés de le respecter, moralisa-t-il ensuite sur un ton ironique, tout en remettant un peu d’ordre dans sa tenue sobre, mais terriblement chic, puis dans ses cheveux blancs.

Quelques insultes étouffées et regards noirs fusèrent en retour.

John ne s’en formalisa pas, il n’avait pas envie de traîner ici et voulait ramener au plus vite son filleul chez sa mère. Toutefois, ses volontés ne semblaient pas faire l’unanimité. Alors qu’il massait un peu ses poings en se rapprochant de Lukas pour quitter les lieux, deux bras costauds l’agrippèrent traitreusement aux épaules et le projetèrent contre la table de billard, avec tant de violence qu’il crut la sentir céder sous son poids.

Outch !

Malgré la surprise et le choc, John se ressaisit aussitôt pour découvrir son agresseur et vit un colosse à la peau très sombre et aux canines d’or, qui semblait déterminé à le réduire en bouillie. Il ne l’avait pas vu, celui-là.

L’atmosphère était brumeuse et la luminosité faible, sans compter ces odeurs d’herbes brûlées qui donnaient un peu le tournis, mais il en fallait plus pour déstabiliser John, lequel anticipa les mouvements de son agresseur et roula sur la table en évitant l’impact de son coup de poing. Ce fut si brutal que le poing du colosse s’encastra dans le bois de la table en lui arrachant un rugissement de douleur et de frustration mêlées. Le militaire en profita pour se remettre totalement sur pieds, le dos engourdi, le souffle écourté et les sens aux aguets. Quand le colosse se redressa de toute sa hauteur, il prit réellement conscience de la puissance de son corps, supérieure à la sienne, et déglutit avec peine sous la montée plus sauvage de l’adrénaline et du stress.

Ce combat s’annonçait très intéressant.

John devait réfléchir à la posture la plus intelligente à adopter, car lorsqu’un adversaire était plus costaud que soi, il fallait user de ruses et le déconcentrer mentalement, afin que sa force physique s’amenuise vite. Certes, il était fort, rusé et rapide, d’autant plus que les arts martiaux n’avaient aucun secret pour lui, mais une stratégie de combat était de rigueur pour avoir le dessus.

Cent idées galopaient dans sa tête alors qu’il esquivait sciemment les agressions du colosse, avant d’être tout de même emporté dans une énième empoignade, qui entraîna à sa suite une série de dégâts. Entre les coups donnés et reçus, des chaises, des tables, des verres et des objets non identifiés se renversèrent sur leur passage musclé en amassant toujours plus de monde autour d’eux. Au bout d’un moment, le colosse faiblit face aux manœuvres du militaire, mais il avait tant de force en réserve que le combattre en était épuisant.

Il est increvable…

Dans la bagarre, John eut une seconde d’inattention et reçut un coup de poing au visage qui le propulsa en arrière et le fit tomber à la renverse, sur une chaise couchée au sol. Les pieds en bois le heurtèrent au dos et au bassin en lui arrachant un gémissement de douleur. Il avait le corps et la tête en feu, heureusement que ses entraînements au combat avaient été drastiques et qu’il savait ignorer le mal physique pour riposter aussitôt.

Un chapelet d’injures s’éleva dans les airs en même temps qu’il se redressait pour charger son adversaire tel un taureau de corrida. Un brouillard de cris se forma bientôt dans sa tête en même temps qu’il sentait le colosse s’écrouler au sol en l’entraînant avec lui dans sa chute. Celle-ci fut ponctuée par des coups de sifflet.

— ARRÊTEZ ! vociféra soudain une femme.

L’ordre n’arrêta ni John ni son adversaire. Les coups continuaient à pleuvoir quand d’autres coups de sifflet bourdonnèrent autour d’eux.

— POLICE, JE VOUS ORDONNE D’ARRÊTER !

Une fois de plus, l’ordre ne sembla pas tomber dans l’oreille des deux bagarreurs. John étant affalé sur son adversaire, ce fut le premier à être tiré de force en arrière par quatre bras, puis plaqué violemment contre le mur adjacent, les deux bras ramenés dans le dos alors qu’on lui passait les menottes avec dextérité.

Si les sens de John étaient un peu brouillés par les bourdonnements qui polluaient encore son cerveau, la sueur qui humidifiait ses yeux et le sang coulant de son nez blessé, cela ne l’empêcha pas de percevoir la présence d’une femme dans son dos. Il n’avait entendu que sa voix directive et senti la pression de ses mains sur ses bras, puis autour de ses poignets, toutefois la finesse de ses doigts l’alerta. À l’aveugle, il aurait attribué ces mains délicates à une impératrice chinoise, pourtant c’étaient ces mêmes mains qui l’avaient agrippé avec force, puis plaqué contre le mur pour lui passer les menottes. Et ce contraste l’intrigua.

— Vous m’arrêtez ? demanda-t-il de sa voix rocailleuse, alors qu’elle l’invitait à tourner sur ses talons pour lui faire face.

— On vous embarque pour…

La policière devint subitement muette lorsque John se tourna vers elle en lui présentant son visage blessé. Quant à lui, il se statufia de surprise et d’effroi mêlés sous un regard noisette et sourcilleux, qui ne lui était pas étranger.

Un silence s’installa entre eux et s’étendit dans le temps et l’espace, si bien qu’ils semblaient percutés par la foudre et privés de leurs facultés physiques et mentales. On aurait dit deux robots débranchés, happés dans la contemplation hébétée de l’autre.

La belle femme au ballon, se dit John, très gêné par la situation.

Il se serait certainement évanoui là, maintenant et tout de suite, si cela pouvait lui éviter la honte de l’instant, mais cela ne ferait qu’aggraver sa position… on ne peut plus délicate. Et quand bien même, un marine ne s’évanouissait pas !

Pourquoi, de tout l’État de Géorgie – surtout qu’il vivait en Caroline du Sud – devait-il se faire arrêter par elle ? Et dire qu’il l’avait imaginée couturière, top-modèle ou encore dresseuse de dauphins… mais pas flic !

— Vous… le marine ? demanda enfin la policière, l’air choquée.

Oui, moi, le marine.

John ne savait plus où se mettre, de toute évidence elle l’avait piégé avec ses menottes et il lui était désormais impossible de se soustraire à son regard incisif.

En toute sincérité, le destin était en train de lui faire subir la plus grande honte de sa vie.

Putain de coïncidence.

— Je dois vous avouer que je vous préfère avec votre ballon en forme de cœur…, marmonna-t-il, bougon. Vous paraissiez… moins brutale.

En réponse, elle lui décocha un regard sombre, puis ouvrit sa belle bouche pulpeuse pour prononcer cette phrase, sur un ton aussi sec que le cliquetis des menottes se refermant sur sa peau :

— Et vous paraissiez plus civilisé dans votre uniforme.

3

— Quoi ? Vous vous connaissez ? demanda, surpris, l’un des deux hommes qui venaient de neutraliser le colosse.

June tourna la tête vers son coéquipier, alias le lieutenant de police Jeremiah Fisher, un trentenaire de taille moyenne mais costaud, d’origine jamaïcaine et aussi sagace que le plus vieux des renards. Il connaissait sa coéquipière depuis tellement longtemps – la preuve, elle avait été son témoin à son mariage – qu’il sentait immédiatement quand elle était troublée. Et ce bel homme aux cheveux blancs et habillé comme James Bond ne la laissait pas indifférente, cela se voyait à la manière dont elle rougissait en le regardant… Pourtant, June Garner avait l’habitude d’arrêter de beaux spécimens, mais c’était la première fois qu’il la voyait aussi perturbée qu’une pucelle… Enfin, depuis le décès de Keith, son défunt mari…

— On ne se connaît pas, on s’est juste croisés il y a peu de temps, répondit-elle enfin, agacée.

— Apparemment, ce soir, nous allons apprendre à nous connaître…, poursuivit John, ironique, en lisant le nom gravé sur le petit badge rectangulaire doré, épinglé à la chemise bleu nuit de la policière. Sergent Garner.

Cette dernière le fusilla du regard et John en ressentit comme une pointe de plaisir sadique, peut-être parce qu’il la trouvait très séduisante avec cet air menaçant sur le visage. D’ailleurs, elle ne portait aucune trace de maquillage, juste un peu de baume pour les lèvres, et avait les cheveux coiffés en queue de cheval, avec une petite mèche rebelle rangée derrière son oreille droite. Un parfum très subtil s’accrochait à son uniforme, mais cela n’avait rien de capiteux comme les plus célèbres fragrances.

Certes, son métier de policière ne permettait pas trop de fantaisie, mais John devinait que cette femme faisait le strict minimum pour se mettre en valeur et pourtant, elle était vraiment très belle au naturel. Elle avait une bouche à damner à saint, des yeux de velours sous une paire de sourcils fins et naturellement bien dessinés et un nez adorable. À bien regarder, elle ressemblait beaucoup à Jessica Biel dans le film Furtif.

— À votre place, j’éviterais ce petit ton sarcastique, l’informa-t-elle en le saisissant à l’avant-bras pour l’entraîner jusqu’à la sortie du club.

John put dès lors balayer d’un coup d’œil circulaire son environnement et découvrir la présence de quatre policiers au total, le sergent Garner compris. Ses trois collègues s’occupaient du colosse, de Mojito et des deux types qui avaient tenté de le battre, alors qu’une petite partie des jeunes s’était enfuie quand l’autre restait figée devant cette intervention musclée. Parmi eux se trouvait Lukas, impuissant de voir son parrain se faire embarquer par sa faute.

— Parrain ? se risqua l’adolescent en s’approchant de John et de la policière. Tu… mon Dieu, je suis désolé… Je ne voulais pas que ça tourne comme ça…

Lukas s’interrompit pour mieux s’éparpiller en excuses, mais le militaire n’avait pas le cœur à lui pardonner tout de suite et répliqua, froidement :

— Rentre immédiatement chez ta mère, Lukas. On en reparlera plus tard.

— Oui, plus tard. Vous réfléchirez à cette discussion à venir en cellule de dégrisement, s’immisça June en imposant à John une cadence plus rapide, peu encline à perdre son temps ici.

— Je ne suis même pas ivre !

— Seul l’éthylotest me le dira. Et quand bien même, vous avez besoin d’une bonne nuit en cellule pour vos actions de la soirée.

John ne donna pas suite à cette réplique et tout en décochant un dernier regard à son filleul, se laissa entraîner jusqu’au véhicule de police, dont les gyrophares bleus n’avaient pas cessé de tourner. S’il décida de garder le silence, il ne put empêcher son regard de glisser sur le corps de la jeune femme et d’admirer sa croupe. Elle était grande et harmonieuse, avec des formes où il fallait, et sous son pantalon bleu nuit, moulant à point, ses fesses rebondies ressortaient magnifiquement.

Elle devait avoir une belle croupe au naturel, mais son quotidien mouvementé et le sport qu’elle pratiquait certainement pour se maintenir en forme contribuaient à les embellir.

Comme ce doit être…

— Qu’est-ce que vous matez, là ?

La voix un soupçon agressive de la policière le fit sursauter et ses yeux parcoururent à la vitesse de la lumière les étages imaginaires jusqu’à ses propres yeux. Sous la lueur des gyrophares, ils avaient une teinte vert clair, tandis que les siens devaient paraître encore plus bleus que d’ordinaire.

Le regard froncé du sergent Garner lui fit prendre un air faussement offusqué et il lui dit :

— Rien… absolument rien.

Et comme elle ouvrait la portière pour l’inviter à monter sur la banquette arrière du véhicule, son regard s’attarda plus longuement sur son visage viril et vit le sang qui s’écoulait toujours un peu de son nez. D’ordinaire, cela ne lui aurait pas fait de peine, mais en dix ans de métier, elle savait distinguer les personnes bonnes et mauvaises, et dans ce cas-là, son instinct lui soufflait que cet homme, ce marine, n’était pas entré en conflit par pur plaisir ou de lui-même. Il avait certainement voulu se défendre ou protéger autrui… À tous les coups, l’adolescent.

Gagnée par un petit élan de compassion, elle retint John au bras quand il voulut monter dans le véhicule.

— Attendez.

Le militaire obéit et la vit sortir un mouchoir en papier de la poche de son pantalon, dont elle déchira un bout pour le tourner sur lui-même et lui donner la forme d’un cône. L’instant d’après, il la vit approcher sa main de son visage pour essuyer les filets de sang qui coulaient de sa narine gauche en lui conférant un air bien bête et sauvage, puis il la sentit boucher cette même narine en douceur à l’aide du petit cône de papier.

Bien sûr, au vu de la situation, John n’avait jamais cessé de se sentir ridicule. Mais ce petit geste « attentionné » accéléra les pulsations de son cœur, qu’il sentit soudain battre dans ses tempes, puis dans son ventre. C’était vraiment étrange de sentir son cœur battre un peu partout… Pourtant, il n’y avait vraiment rien de spécial à cela. Bon, peut-être que toutes les policières ne glissaient pas un tampon de fortune dans les nez ensanglantés des mecs qu’elles arrêtaient, mais vraiment il n’y avait rien d’extraordinaire à ce qu’elle le fasse.

— Merci, répondit-il, reconnaissant.

— C’est pour éviter de salir la banquette, mentit-elle.

Cette simple réponse suffit à faire voler en éclats tous les doutes sur son geste « attentionné » et John entendit un petit grognement boudeur dans sa tête.

— Bien sûr, vu les moyens que vous mettez dans vos voitures, il faudrait éviter de les tacher.

Et voilà. Quand on ne savait pas garder son sarcasme pour soi, on s’attirait toujours des regards sombres. Beaux, mais sombres.

L’instant d’après, John était assis à l’arrière du véhicule de police, menotté, la gueule cassée et l’esprit désormais en proie à quelques inquiétudes. Comment et avec qui Lukas allait-il rentrer ? Et quel serait le sort de sa précieuse « Caroline », sa magnifique Jaguar type E garée sur le parking de ce club miteux ?

Si on me l’abîme, je reviendrai ici pour mettre le feu à cet établissement de merde. Au moins, ça me donnera l’occasion de revoir l’adorable sergent Garner, ironisa-t-il silencieusement.

* * *

— Vous êtes le lieutenant-colonel Arlington ? demanda June, légèrement surprise, en tenant entre ses mains racées la carte d’identité militaire de John.

Cela faisait bientôt trente minutes qu’ils étaient au commissariat de Savannah et elle l’étudiait avec une précision scientifique, assise à son bureau parfaitement rangé. John avait pris place sur une chaise en face d’elle, les mains désormais libres et le visage nettoyé en entier, même si les petites boursouflures qui l’abîmaient et les taches de sang souillant le col de sa chemise blanche évoquaient encore la récente bagarre. Son corps était courbaturé au possible, le colosse ne l’ayant pas manqué, mais il réussissait toutefois à garder une posture digne et altière, qui suscita secrètement de l’admiration chez la policière.

— Pourquoi, ça vous étonne que je sois un officier supérieur ?

Absolument pas. Cet homme avait tout d’un officier supérieur de la United States Marine Corps : la distinction, l’assurance, peut-être même l’arrogance… Elle devra discuter davantage avec lui pour s’en assurer.

En réalité, si elle était surprise de découvrir son identité, c’était parce que son beau-frère avait déjà évoqué une fois son nom pour dresser de lui un portrait élogieux. Rien de plus. Mais elle se garderait de lui dire, il n’avait pas à connaître ses liens de parenté.

— Non.

— Vous comptez me retenir ici longtemps, sergent Garner ?

Elle reposa la carte d’identité militaire sur le bureau et la glissa dans sa direction, avant de joindre leurs deux regards.

— L’éthylotest nous a révélé que vous étiez sobre. Vous vous êtes mis dans le pétrin pour une cause compréhensible, d’autant plus que nous connaissons la bande à laquelle vous vous êtes confronté et leurs habitudes. Vous n’avez pas de casier judiciaire ni le profil d’un homme louche… Mis à part votre cocard et votre nez gonflé, vous semblez être un homme honnête…

— Et héros de guerre ! souligna Jeremiah depuis son propre bureau, situé dans l’open-space d’en face, à seulement quelques mètres de distance. Je viens de le voir dans le journal officiel de la United States Marine Corps. Vous étiez récemment en Irak, non ?

John se tourna à moitié sur sa chaise pour regarder le sergent Fisher et lui dire, pince-sans-rire :

— Tout à fait. De sacrées vacances…

— Vous partez longtemps en plus, à chaque fois.

— Affirmatif.

— Si vous êtes à Parris Island, vous devez certainement connaître le beau-frère du sergent Garner…

June décocha aussitôt un regard d’avertissement en direction de son coéquipier, mais ce dernier se rendit compte de sa bourde un peu trop tard et lui adressa un petit sourire navré. Jeremiah avait tendance à trop parler quand il se sentait en confiance avec son interlocuteur, surtout que les informations ne le concernaient pas directement la plupart du temps… Elle ne manquerait pas de le lui rappeler une fois qu’ils seraient seuls.

Sincèrement surpris, John tourna de nouveau son regard vers elle et, tout en se rappelant sa présence à Parris Island le jour de son retour aux États-Unis, il lui demanda :

— C’était donc votre beau-frère que vous attendiez la semaine dernière ?

Elle contint de justesse un soupir d’agacement.

— Affirmatif.

Un sourire se creusa dans le coin des lèvres masculines en l’entendant s’adresser à lui avec l’efficacité et l’implacabilité d’un militaire.

— Je le connais peut-être.

— Peut-être.

Cette femme était vraiment avare en détail, puisqu’elle semblait déterminée à ne lâcher aucun nom, mais en même temps elle était en service et donc peu encline à livrer des informations personnelles à un homme qu’elle ne connaissait ni d’Adam ni d’Ève, et qu’elle venait surtout d’arrêter. Il appréciait sa froideur professionnelle, même si elle le titillait un peu… D’ordinaire, il avait du succès auprès des femmes, même auprès de celles qui savaient rester professionnelles. Au moins riaient-elles parfois à ses plaisanteries. Mais ce sergent Garner paraissait aussi hermétique qu’une porte de prison.

Bon, maintenant, je sais qu’elle n’attendait pas un petit-ami…

— Au fait, elle est à vous la Jaguar de type E, couleur champagne, garée sur le parking du club ?

— Oui, c’est Caroline.

— Caroline ? réitéra-t-elle en arquant l’un de ses fins sourcils. Vous lui avez donné un prénom ?

Une interrogation s’imposa immédiatement dans l’esprit de John. Comment pouvait bien s’appeler le sergent Garner ? Impossible de voir son prénom sur son badge et aucun document la concernant ne traînait sur son bureau… Quant à essayer de le deviner, c’était inenvisageable. Il n’arrivait pas à lui donner de nom…

— Steve McQueen avait bien son Eleanor, non ? répliqua-t-il après avoir inspecté avec minutie l’environnement de la policière.

— Certes.

— C’est vraiment un beau modèle, renchérit Jeremiah au loin. Et rare en plus, car elle date des années 60 si je ne m’abuse.

— Tout à fait.

Sentant venir une discussion animée et interminable entre passionnés d’automobiles, June décida d’intervenir par cette phrase :

— Colonel Arlington, vous devriez peut-être récupérer au plus vite votre « Caroline » avant qu’elle ne se fasse voler. Vous pouvez partir dès maintenant.

John fut soulagé d’éviter une nuit au commissariat, même si subir un interrogatoire de cette ravissante policière était plutôt intéressant. Il ne savait pas vraiment pourquoi elle continuait à l’attirer malgré son attitude glaciale, peut-être parce qu’elle était belle et qu’il y avait un je-ne-sais-quoi d’intense et d’énigmatique dans son regard noisette ? Le sergent Garner lui donnait l’envie de mieux la connaître, au-delà de tous les obstacles qu’elle pourrait dresser entre eux, car elle l’intriguait. Comment en était-elle venue à intégrer la police ? Et pourquoi donc son aura était-elle si présente alors qu’elle semblait tout mettre en œuvre pour être discrète ? Et quel goût avaient ses belles lèvres pulpeuses ?

Arrête, John. Pense à Caroline qui t’attend seule sur le parking.

— Votre compassion pour Caroline me touche, plaisanta-t-il en récupérant sa carte d’identité militaire, avant de se redresser de son siège, non sans une petite grimace de douleur.

Putain, John, tu pourrais te montrer plus digne…

— Ça va aller ? s’enquit-elle en le regardant effectuer des mouvements pour remettre de l’ordre dans ses habits, le front perlé de sueur à cause des picotements qui rongeaient ses muscles et ses articulations.

— Comme sur des roulettes…

John se façonna un sourire de circonstance et porta sur elle son regard pénétrant, avant de lui adresser un bref salut militaire.

— Merci pour votre hospitalité, sergent Garner. La prochaine fois, vous serez mon invitée.

Ce type était impertinent, autant que le petit ricanement de Jeremiah, mais June conserva son professionnalisme et répondit avec un calme olympien :

— Dans vos rêves, bien sûr.

John accueillit cette réplique avec un sourire en coin, aussi charmant qu’exaspérant, et garda le silence. Par contre, son regard bleu glacier brilla d’une lumière qu’elle n’aurait su décrire et qui fit naître des frissons au niveau de sa nuque.

On aurait dit un chasseur guettant patiemment et sûrement sa proie farouche, certain au fond de lui de la capturer un jour… à l’usure.

June voulut se taper à la nuque pour faire disparaître ces sensations étranges sous sa peau, mais elle demeura aussi stoïque qu’une statue de marbre et sembla insister du regard pour que John parte. Ce qu’il fit. L’instant suivant, il tourna les talons en la laissant perplexe et intimement troublée.

Que voulait dire son regard ?

4

Le lendemain

Toujours vêtue de son uniforme de service, June pénétra dans la belle demeure historique où elle louait un appartement depuis quatre ans à Elizabeth McKenna, une quinquagénaire à l’énergie inépuisable, qui avait eu l’idée de reconvertir les chambres de son ancien hôtel familial en logements d’habitations. L’hôtel étant tombé à la dérive sept ans plus tôt, ce fut le seul moyen pour elle de conserver son patrimoine. Elle comptait désormais huit locataires, toutes des femmes célibataires qui s’inscrivaient sur une tranche d’âge plutôt large. Alison, la plus jeune, était serveuse dans le restaurant le plus côté de la ville et n’avait que dix-neuf ans, tandis que Nancy Jackson, la matriarche de la maison, allait bientôt fêter ses quatre-vingt-six ans. Plutôt que de subir une existence en maison de retraite, elle s’était installée ici à la mort de son époux pour y finir sa vie.

June était l’une des plus anciennes locataires et sa présence réconfortait aussi bien la propriétaire des lieux que ses voisines. Car c’était rassurant d’avoir une policière téméraire et bienveillante dans les parages, d’autant plus qu’elle s’était toujours assurée de protéger l’une d’entre elles lorsque les circonstances le demandaient.

Par exemple, quelques mois plus tôt, Rebecca, la locataire de l’appartement « Mauve », avait eu une altercation violente avec son ex-beau-frère et l’intervention de June avait mis un point final à cette affaire.

Une autre fois, Ingrid, l’étudiante qui occupait l’appartement « Orange », se faisait suivre par un camarade de l’université et la policière s’était assurée de mettre un terme à ce harcèlement.

Il y avait beaucoup d’anecdotes pareilles, si bien que June était considérée, à l’unanimité, comme l’ange gardien de la demeure.

— Bonjour, June, la salua joyeusement la locataire de l’appartement « Turquoise », situé au premier étage et juste en face des escaliers. Tu rentres tard aujourd’hui !

— Bonjour, Elaine, j’ai eu pas mal de travail, en effet, répondit la policière en revoyant l’espace d’une seconde les yeux bleus, très hypnotiques, de John Arlington.

Agacée par elle-même, elle balaya son image d’une gifle imaginaire, puis se concentra sur la tenue d’Elaine, cette jolie esthéticienne brune de quarante-sept ans, au look sulfureux. Si d’ordinaire elle était toute de rose vêtue, cette fois-ci elle avait opté pour une mini-jupe en similicuir beige sur un collant transparent, un pull en mohair mauve et des bottes blanches qui lui montaient jusqu’aux genoux. Sans parler de son maquillage à la Lana del Rey et de ses grosses boucles d’oreilles violettes, en forme de ronds, qui se balançaient entre ses mèches ondulées et mi-longues. Elaine avait un côté sexy et kitsch à la fois, qui avait son petit succès.

— Oh, je me doute ! Tu n’as pas un métier facile, June, surtout par rapport au mien. Quand tu t’occupes de courir les méchants ou de sauver les petites dames, moi je fais la guerre aux poils et je redonne vie à des ongles négligés.

Un mince sourire étira les lèvres de la policière.

— À chacune ses missions, Elaine. Tu sauves beaucoup de femmes avec l’épilation et la manucure.

— Ah ça oui ! D’ailleurs, si tu es intéressée, il y a de superbes promotions dans mon salon de beauté actuellement. Ce serait un plaisir de t’y accueillir… Oh, l’heure tourne, je dois filer ! Bonne journée… ou plutôt bonne nuit, June !

Et sur un petit rire espiègle, Elaine dévala les escaliers en même temps que June souriait en montant jusqu’au second étage pour atteindre son propre appartement, celui à la porte « Rose ». Les noms des huit appartements loués dépendaient de la couleur de leurs portes, c’était une manière un peu fantaisiste de les reconnaître aisément.

June s’arrêta devant sa porte rose clair et chercha dans la poche de son uniforme la petite clef de son appartement. Il était environ 10 heures du matin et elle n’avait qu’une hâte : se doucher, boire un bon chocolat chaud, puis s’endormir devant un épisode d’Amour, Gloire et Beauté. Regarder un soap opera l’aidait à vider sa tête et à s’endormir très rapidement. C’était bien moins nocif que les somnifères dont voulait l’abreuver sa psychologue.

Une fois la porte refermée derrière elle, June balaya son petit appartement des yeux et soupira d’aise. Elle adorait son studio douillet et joliment décoré, qui lui rappelait les ambiances féminines et cosy des maisons de poupées. En arrivant chez elle, on pénétrait immédiatement dans le salon beige et terracotta, divisé en deux par une commode ivoire d’ancienne facture qui marquait la limite avec sa ravissante chambre à coucher. Son grand lit tendu de draps clairs et d’une grosse couverture en laine bleu ciel était fixé contre un mur percé par une fenêtre en œil-de-bœuf, avec vue sur l’un des plus beaux parcs de Savannah. Il y avait une petite table de chevet en bois d’acajou près de son lit et une grande armoire avec miroirs agencée juste en face. À l’autre bout du salon chaleureux se trouvaient une table blanche pour deux personnes, une kitchenette et une porte menant à une salle de bains design.

Et si l’on s’attardait sur les tableaux et les objets décorant ses murs clairs et ses meubles, on découvrait ses goûts plutôt éclectiques. Elle aimait les anges, les objets amérindiens et les pubs vintage, sans parler des petits souvenirs qu’elle avait rapportés de ses voyages à travers les États-Unis et au Japon.

Coucou, mon chéri, dit-elle silencieusement en regardant le cadre qui était posé près de sa lampe de chevet. Il y avait là la photo d’un bel homme brun aux yeux verts et au sourire malicieux, posant devant un drapeau américain en uniforme de lieutenant de police. Il s’agissait de Keith Donaghy, son défunt mari, son premier et grand amour. Ils s’étaient rencontrés à l’école de formation des policiers, il avait d’abord été son instructeur avant d’être l’homme de sa vie. Ils s’étaient mariés plutôt vite et avaient vécu des moments de bonheur absolu. Malheureusement, Keith lui avait été enlevé bien trop tôt, au cours d’une mission à grand risque où il avait été abattu par un déséquilibré mental en fuite, au cœur du parc de Yosemite, à l’époque où ils vivaient en Californie. Cela remontait à cinq ans.

Cinq ans qu’elle se levait et se couchait avec son souvenir, en sachant qu’ils ne pourraient plus jamais se retrouver dans cette vie-là. Cinq ans qu’elle était prisonnière d’une mélancolie chronique, d’une dépression sourde qu’elle tâchait de soigner avec des anxiolytiques, des séances de chamanisme amérindien en compagnie de sa sœur et d’autres moyens inefficaces. Cinq ans qu’elle se sentait orpheline.

Le deuil de Keith était absolument impossible à faire.

June se déshabilla dans la chambre, accrocha son uniforme au porte-manteau fixé près de son armoire, puis se dirigea en sous-vêtements vers la salle de bains. Une fois encore, alors qu’elle observait les cernes bordant ses yeux de biche, le regard incroyablement bleu du militaire s’imposa à son esprit. Cela l’agaçait de penser à cet homme provocateur, mais pour être honnête, son physique l’avait marquée. Il y avait un détail, une lueur, une nuance chez lui qui l’attirait à son corps défendant. Elle aurait aimé le regarder encore un peu, de plus près, juste pour comprendre pourquoi il lui paraissait différent des autres… ce n’était peut-être pas des pensées saines, surtout qu’il s’agissait d’un autre homme que Keith…

Ma fille, tu es trop tendue. Une bonne douche et au dodo ! Ce type disparaîtra ensuite de ton esprit !

* * *

Il fallut plus de temps à John pour rentrer chez lui, en Caroline du Sud. Après son passage au commissariat de Savannah, il s’était rendu chez Sarah pour s’assurer que son filleul était bien rentré et ne fréquenterait plus les tocards qu’il avait tabassés, sous peine d’être expédié dans l’armée le jour de son dix-huitième anniversaire – c’est-à-dire dans sept semaines. La menace sembla faire effet sur l’adolescent, qui jura sur les têtes de tout le monde qu’il se comporterait de manière exemplaire à l’avenir.

Convaincu et surtout exténué, John était resté chez eux le temps d’une nuit et ne rejoignit la Caroline du Sud qu’au lendemain après-midi, étant donné qu’il n’avait qu’une heure de route à faire pour atteindre sa demeure.

Par chance, le père adoptif de John – alias le général Arlington – n’était pas présent au moment où il rentrait et cela lui épargnait donc de fournir des explications relatives au cocard qui bordait son œil droit et au petit pansement couvrant l’arête de son nez.

Enfin chez moi…

John habitait à Habersham, une ravissante ville côtière située à une vingtaine de minutes de Beaufort. Son père adoptif, Graig Arlington, un général quatre étoiles connu pour ses actions pendant la guerre du Vietnam et sa contribution dans le développement technique de la U.S.M.C, y possédait une immense demeure du XIXe siècle où les réceptions allaient bon train. Cette magnifique demeure historique était posée telle une pierre précieuse dans un écrin de verdure au milieu de la Caroline du Sud et entrer à l’intérieur était comme investir l’antre d’un musée ou alors d’un manoir de légende, laissé à l’identique, où le temps semblait s’être suspendu pour toujours. Même les éléments modernes se fondaient dans le décor et ne parvenaient pas à rivaliser avec les meubles de grand seigneur.

John adorait cette demeure, sa chambre de prince et surtout, l’observatoire aménagé à l’étage pour admirer les étoiles et les planètes. D’ordinaire, quand il avait une minute, il aimait s’adonner à la joie de l’astronomie, mais en cette fin de journée harassante, il rêvait plutôt de prendre un bain relaxant aux huiles essentielles pour dissiper ses courbatures, avant de s’allonger sur son lit et d’y dormir jusqu’au lendemain soir. C’était un ordre que lui invectivaient son corps et son esprit.

Sans tarder, il se dirigea vers le grand escalier bifurqué de la maison. Modèle d’exception, cet escalier se présentait à l’entrée en déroulant un somptueux tapis de velours sombre et la montée se divisait en deux ailes à compter de la quatorzième marche.

Le pied de John se posa à peine sur la troisième marche que le bruit de la sonnette d’entrée retentit aussitôt.

C’est pas vrai… ce doit encore être un démarcheur…

Décidé à ne pas ouvrir, il gravit la quatrième marche en retenant tout de même son souffle, comme si cela pouvait le rendre plus silencieux, malheureusement les coups de sonnette se firent plus insistants.

— Arlington, je sais que tu es là !

— Arrrgh…, grogna John en faisant cette fois-ci demi-tour pour ouvrir la porte d’entrée et tomber nez à nez avec son meilleur ami. Lenkov ? Qu’est-ce que tu fais ici ?

— Je vois que tu as oublié notre rendez-vous de ce soir… Ça ne te parle pas, une partie de poker avec Rowe, Dalglish et les gars de ton régiment ? Et… mais c’est quoi toutes ces marques sur ton visage ? s’inquiéta soudain Lex en plissant les yeux.

— Longue histoire… Et en effet, j’avais oublié la soirée poker…

— Tu as eu des ennuis ?

— Minimes, ironisa John en s’écartant pour permettre à son ami de pénétrer dans le vestibule de la demeure. Je me suis frotté aux mauvaises fréquentations de Lukas, puis j’ai été emmené au commissariat de Savannah. Disons que la situation a un peu dérapé…

Lex écarquilla les yeux, étonné, mais il n’était pas au bout de ses surprises puisque son ami lui réservait le meilleur pour la fin.

— Au commissariat de Savannah ?

— Oui… bon, je n’y suis resté qu’une heure au total, puisque les flics ont décidé qu’il n’était pas nécessaire de me garder plus longtemps… Mais tu ne sais pas encore le plus incroyable, l’informa-t-il, sarcastique. Devine qui est la policière qui m’a arrêté ?

Lex le dévisagea d’un air sourcilleux, déroulant dans sa tête une liste de leurs connaissances féminines, cependant il ne voyait vraiment pas de qui il pouvait s’agir. Aucune n’était policière… encore moins à Savannah.

— Je donne ma langue au chat.

— Tu te souviens de la femme au ballon, qui m’a percuté le jour de mon retour ?

Une fois encore, Lex plongea dans sa mémoire et après quelques instants de réflexion, ce souvenir parut refaire surface. Il y eut comme une étincelle de clairvoyance dans son regard d’ambre.

— Tu… tu veux dire que tu l’as revue ?

— C’est peu dire ! C’est la policière qui m’a arrêté.

— Pardon ?

— J’ai eu la même tête de hareng mort en la revoyant dans sa tenue de sergent de police. Je peux t’assurer qu’elle ne rigole pas, elle.

— Le monde est vraiment petit… C’était ton destin de la revoir.

— On dirait bien… il paraît qu’elle a un beau-frère chez les U.S. Marines.

— Intéressant... Tu sais qui est ce militaire ?

— Pas encore.

— Si tu réponds ça, c’est qu’elle t’intéresse, observa Lex, taquin.

— C’est vrai qu’elle n’est pas inintéressante. Un peu froide en apparence, mais j’aime sa répartie et sa réserve plutôt digne. Elle m’a aussi l’air d’être très compétente dans son métier et, tout en étant féminine, elle dégage une énergie virile qui a son charme.

— Je vois… Je vais te tirer le tarot, décréta d’emblée le sergent-chef.

Derrière ses airs de tueur à gages russe, Lex était un homme d’une grande sensibilité qui avait hérité de sa mère une passion pour les pratiques et les sciences ésotériques, jusqu’à devenir maître dans l’art du magnétisme et du tarot. Par chance, il était tombé sur des amis sensibles à ce genre de don, entre Keir qui croyait dur comme fer aux poltergeists et Hudson qui s’en remettait toujours au destin dans une prise de décision. Seul John se montrait la plupart du temps d’un scepticisme stérile, préférant s’adonner à des sciences plus concrètes, telles que les mathématiques et l’astronomie. Mais plus les années passaient, plus il se plaisait à croire que le destin et ses mystères réservaient parfois des choses indémontrables.

5

Cet hiver-là, le froid était mordant, brûlant, et tout autour il n’y avait que des arbres immenses et sombres. June était perdue au milieu d’une forêt de séquoias gigantesques, si grands que les regarder en donnait le vertige, tandis que ses pieds s’enfonçaient péniblement dans le sol enneigé. Le souffle du vent la cinglait et portait en elle des murmures sinistres qui la faisaient frissonner jusque dans les os.

June se voulait cartésienne, mais au fond d’elle-même, les légendes que lui racontait son grand-père amérindien la rendaient sensible aux évènements paranormaux. Les esprits de la nature ne lui étaient pas étrangers et le cadre où elle se trouvait ce jour-là dégageait quelque chose d’étrange, de mystique. C’était comme si les séquoias qui l’entouraient cherchaient à lui communiquer un message…

— S’il te plaît, grand-père, guide-moi vers Keith…, murmura June en actionnant sa lampe torche par-dessus son arme de service.

Keith. Son mari. Il était également agent du S.W.A.T. dont elle faisait partie depuis quelques semaines et se trouvait quelque part dans cette forêt de séquoias, située en plein parc naturel de Yosemite. Elle, lui et d’autres collègues s’étaient déployés pour retrouver un meurtrier en cavale, fraîchement évadé de la prison où il était retenu depuis quelques années et accusé d’avoir assassiné ses parents et son frère cadet avec un arc et des flèches. Le fugueur était connu des services pour son profil psychiatrique instable et sa passion de la chasse traditionnelle et des contrées sauvages. C’était la raison pour laquelle il s’était réfugié ici, armé jusqu’aux dents, dans ce parc où les cachettes étaient innombrables, la faune imprévisible et le paysage sournois, sans parler du climat hivernal.

Cela faisait quatre heures que l’équipe de June et de Keith menait une battue pour retrouver le meurtrier, dont on disait qu’il possédait uniquement des armes anciennes, mais le résultat n’était pas encore là, même s’ils pensaient se rapprocher de sa tanière.

Malgré les températures négatives, June brûlait de l’intérieur et suait à grosses gouttes sous son uniforme de police et son gilet pare-balles. Si deux hélicoptères du shérif du comté survolaient le ciel depuis quatre heures en assurant les arrières des agents au sol, elle n’avait jamais eu les nerfs aussi à vif, consciente du danger qui se tapissait dans l’ombre et pouvait surgir à n’importe quel moment. Il fallait donc se tenir prête pour répliquer aussitôt, sans quoi l’issue pouvait être fatale pour elle.